Language of document : ECLI:EU:C:2005:636

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

25 octobre 2005 (*)

«Agriculture – Indications géographiques et appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Dénomination ‘feta’ – Règlement (CE) n° 1829/2002 – Validité»

Dans les affaires jointes C-465/02 et C-466/02,

ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduits le 30 décembre 2002,

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. W.‑D. Plessing, en qualité d’agent, assisté de Me M. Loschelder, Rechtsanwalt,

partie requérante dans l’affaire C-465/02,

Royaume de Danemark, représenté par MM. J. Molde et J. Bering Liisberg, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante dans l’affaire C-466/02,

soutenus par:

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme A. Colomb, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme C. Jackson, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. L. Iglesias Buhigues et H. C. Støvlbæk, ainsi que Mmes A.‑M. Rouchaud-Joët et S. Grünheid, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par:

République hellénique, représentée par MM. V. Kontolaimos et I.‑K. Chalkias, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas et J. Malenovský, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus et E. Levits, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 février 2005,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 mai 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Danemark demandent l’annulation du règlement (CE) n° 1829/2002 de la Commission, du 14 octobre 2002, modifiant l’annexe du règlement (CE) n° 1107/96 en ce qui concerne la dénomination Feta (JO L 277, p. 10, ci-après le «règlement attaqué»).

 Le cadre juridique

2       L’article 2, paragraphes 1 à 3, du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1, ci-après le «règlement de base»), prévoit:

«1.      La protection communautaire des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles et denrées alimentaires est obtenue conformément au présent règlement.

2.      Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)      ‘appellation d’origine’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

–       originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

–       dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée;

b)      ‘indication géographique’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

–       originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

–       dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et dont la production et/ou la transformation et/ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.

3.      Sont également considérées comme des appellations d’origine, certaines dénominations traditionnelles, géographiques ou non, désignant un produit agricole ou une denrée alimentaire originaire d’une région ou d’un lieu déterminé et qui remplit les conditions visées au paragraphe 2 point a) deuxième tiret.»

3       L’article 3, paragraphe 1, du même règlement dispose:

«1.      Les dénominations devenues génériques ne peuvent être enregistrées.

Aux fins du présent règlement, on entend par ‘dénomination devenue générique’, le nom d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire qui, bien que se rapportant au lieu ou à la région où ce produit agricole ou cette denrée alimentaire a été initialement produit ou commercialisé, est devenu le nom commun d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire.

Pour déterminer si un nom est devenu générique, il est tenu compte de tous les facteurs et notamment:

–       de la situation existant dans l’État membre où le nom a son origine et dans les zones de consommation,

–       de la situation existant dans d’autres États membres,

–       des législations nationales ou communautaires pertinentes.

Si, au terme de la procédure définie aux articles 6 et 7, une demande d’enregistrement est rejetée parce qu’une dénomination est devenue générique, la Commission publie cette décision au Journal officiel des Communautés européennes

4       Les articles 5 à 7 du règlement de base établissent une procédure d’enregistrement d’une dénomination dite «procédure normale». Dans ce cadre, l’article 7 dudit règlement prévoit une procédure d’opposition à une demande d’enregistrement.

5       Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, du même règlement:

«Si aucune déclaration d’opposition n’est notifiée à la Commission conformément à l’article 7, la dénomination est inscrite dans un registre tenu par la Commission, intitulé ‘Registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées’, qui contient les noms des groupements et des organismes de contrôle concernés.»

6       Pour l’adoption des mesures prévues au règlement de base, l’article 15 de celui-ci prévoit:

«La Commission est assistée par un comité composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.

Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 148 paragraphe 2 du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.

La Commission arrête les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.

Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence de l’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. Le Conseil statue à la majorité qualifiée.

Si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la saisine du Conseil, celui-ci n’a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission.»

7       En outre, l’article 17 du règlement de base instaure une procédure d’enregistrement, dite «procédure simplifiée», dans les termes suivants:

«1.      Dans un délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou, dans les États membres où un système de protection n’existe pas, consacrées par l’usage, celles qu’ils désirent faire enregistrer en vertu du présent règlement.

2.      La Commission enregistre, selon la procédure prévue à l’article 15, les dénominations visées au paragraphe 1 qui sont conformes aux articles 2 et 4. L’article 7 ne s’applique pas. Toutefois, les dénominations génériques ne sont pas enregistrées.

3.      Les États membres peuvent maintenir la protection nationale des dénominations communiquées conformément au paragraphe 1 jusqu’à la date à laquelle une décision sur l’enregistrement est prise.»

8       En vertu de l’article 1er, point 15, du règlement (CE) n° 692/2003 du Conseil, du 8 avril 2003, modifiant le règlement n° 2081/92 (JO L 99, p. 1), ledit article 17 a été supprimé, mais ses dispositions continuent à s’appliquer aux dénominations enregistrées ou à celles dont l’enregistrement a été demandé en vertu de la procédure prévue à l’article 17 avant l’entrée en vigueur du règlement n° 692/2003, à savoir le 24 avril 2003.

9       Par sa décision 93/53/CEE, du 21 décembre 1992, relative à l’institution d’un comité scientifique des appellations d’origine, indications géographiques et attestations de spécificité (JO 1993, L 13, p. 16), la Commission a institué un comité, dit «comité scientifique», ayant pour mission d’examiner, sur demande de la Commission, les problèmes techniques notamment dans le contexte de l’application du règlement de base.

10     Selon l’article 3 de cette décision, les membres du comité scientifique sont nommés par la Commission parmi des professionnels hautement qualifiés et ayant des compétences dans les domaines visés à l’article 2 de la même décision. En vertu des articles 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, de celle-ci, ledit comité se réunit sur convocation d’un représentant de la Commission et ses délibérations portent sur les sujets pour lesquels la Commission a demandé un avis.

 Les faits à l’origine du litige

11     Par lettre du 21 janvier 1994, le gouvernement hellénique a demandé l’enregistrement de la dénomination «feta» comme appellation d’origine, en application de l’article 17 du règlement de base.

12     Le 12 juin 1996, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 1107/96 relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement n° 2081/92 (JO L 148, p. 1). Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, de ce règlement, la dénomination «feta», figurant à l’annexe dudit règlement, dans la partie A, sous la rubrique «fromages» et sous le nom de l’État membre «Grèce», a été enregistrée en tant qu’appellation d’origine protégée.

13     Par arrêt du 16 mars 1999, Danemark e.a./Commission (C-289/96, C‑293/96 et C‑299/96, Rec. p. I-1541), la Cour a annulé le règlement n° 1107/96 pour autant qu’il procédait à l’enregistrement de la dénomination «feta» en tant qu’appellation d’origine protégée.

14     Au point 101 de cet arrêt, la Cour a retenu que, lors de l’enregistrement de la dénomination «feta», la Commission n’avait aucunement tenu compte du fait que cette dénomination avait été utilisée depuis longtemps dans certains États membres autres que la République hellénique.

15     Au point 102 dudit arrêt, la Cour a conclu que la Commission, lorsqu’elle avait examiné la question de savoir si «feta» constituait une dénomination générique, n’avait pas dûment tenu compte de l’ensemble des facteurs que l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement de base l’obligeait à prendre en considération.

16     À la suite du même arrêt, la Commission a, le 25 mai 1999, adopté le règlement (CE) n° 1070/99, modifiant l’annexe du règlement n° 1107/96 (JO L 130, p. 18), lequel a supprimé la dénomination «feta» du registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées ainsi que de l’annexe du règlement n° 1107/96.

17     Par lettre du 15 octobre 1999, la Commission a envoyé aux États membres un questionnaire portant sur la fabrication et la consommation des fromages dénommés «feta» ainsi que sur la notoriété de cette dénomination auprès des consommateurs dans chacun de ces États.

18     Les informations reçues en réponse à ce questionnaire ont été présentées au comité scientifique, qui a rendu son avis le 24 avril 2001 (ci-après l’«avis du comité scientifique»). Dans cet avis, ledit comité a conclu à l’unanimité au caractère non générique de la dénomination «feta».

19     Le 14 octobre 2002, la Commission a adopté le règlement attaqué. En vertu de celui-ci, la dénomination «feta» a de nouveau été enregistrée en tant qu’appellation d’origine protégée.

20     L’article 1er dudit règlement dispose:

«1.      La dénomination ‘Φέτα’ (Feta) est inscrite dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées, prévu à l’article 6, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 2081/92, en tant qu’appellation d’origine protégée (AOP).

2.      À l’annexe du règlement (CE) n° 1107/96, dans la rubrique ‘fromages’ et ‘Grèce’ de la partie A, la dénomination ‘Φέτα’ (Feta) est ajoutée.»

21     Aux termes du vingtième considérant du règlement attaqué:

«(20) En vertu des informations transmises par les États membres, les fromages revêtant la dénomination Feta sur le territoire communautaire font généralement explicitement ou implicitement référence sur leur étiquette, nonobstant leur production dans d’autres États membres que la Grèce, au territoire, aux traditions culturelles ou à la civilisation helléniques, par le biais de mentions ou de dessins présentant une connotation hellénique marquée. Il en découle que le lien entre la dénomination Feta et le terroir hellénique est volontairement suggéré et recherché car constitutif d’un argument de vente inhérent à la réputation du produit d’origine, engendrant ainsi des risques effectifs de confusion du consommateur. Les étiquettes de fromage Feta non originaire de Grèce, commercialisé effectivement sur le territoire communautaire sous une telle dénomination sans faire allusion directement ou indirectement à la Grèce, minoritaires arithmétiquement, constituent de surcroît une proportion extrêmement réduite du marché communautaire de la Feta eu égard aux quantités de fromage effectivement commercialisées par leur biais.»

22     Selon les trente-troisième à trente-septième considérants dudit règlement:

«(33) La Commission a pris acte de l’avis, consultatif, du comité scientifique. Elle considère que l’analyse globale exhaustive de l’ensemble des éléments d’ordre juridique, historique, culturel, politique, social, économique, scientifique et technique communiqués par les États membres ou résultant des investigations que la Commission a entreprises ou commanditées, permet de considérer qu’il [n’est] satisfait notamment à aucun des critères requis par l’article 3 du règlement (CEE) n° 2081/92 en vue de retenir le caractère générique d’une dénomination, et que, en conséquence, la dénomination Feta n’est pas devenue le ‘nom d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire qui, bien que se rapportant au lieu ou à la région où ce produit agricole ou cette denrée alimentaire a été initialement produit ou commercialisé, est devenu le nom commun d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire’.

(34)      Le caractère générique de la dénomination Feta n’ayant pas été établi, la Commission a vérifié, conformément à l’article 17, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2081/92, que la demande des autorités helléniques visant à l’enregistrement de la dénomination Feta en tant qu’appellation d’origine protégée est conforme aux articles 2 et 4 dudit règlement.

(35)      La dénomination Feta constitue une dénomination traditionnelle non géographique au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 2081/92. Les termes ‘région’ et ‘lieu’ visés audit paragraphe ne peuvent être interprétés que dans une optique géomorphologique et non administrative, dans la mesure où les facteurs naturels et humains inhérents à un produit donné sont susceptibles de transcender les frontières administratives. Il est toutefois exclu, en vertu dudit paragraphe, que l’aire géographique inhérente à une dénomination puisse couvrir un pays dans son intégralité. Dans le cas de la dénomination Feta, il a dès lors été constaté que l’aire géographique délimitée visée à l’article 2, paragraphe 2, point a), deuxième tiret, dudit règlement couvre exclusivement le territoire de la Grèce continentale ainsi que le département de Lesbos. L’ensemble des autres îles et archipels en sont exclus, car ils ne satisfont pas aux facteurs naturels et/ou humains requis. La délimitation administrative de l’aire géographique est en outre affinée et précisée du fait que le cahier des charges présenté par les autorités helléniques mentionne des exigences impératives et cumulatives: en particulier, l’aire d’origine de la matière première est substantiellement restreinte du fait que le lait servant à l’élaboration de fromage Feta doit provenir de brebis et chèvres de races locales élevées traditionnellement et dont l’alimentation doit se fonder impérativement sur la flore présente dans les aires de pâturage des régions éligibles.

(36)      Il a été constaté que l’aire géographique découlant de la délimitation administrative ainsi que les exigences du cahier des charges présentent une homogénéité adéquate permettant de satisfaire aux exigences de l’article 2, paragraphe 2, point a), et de l’article 4, paragraphe 2, point f), du règlement (CEE) n° 2081/92. Le pâturage extensif et la transhumance, pierres angulaires de l’élevage des brebis et des chèvres appelées à fournir la matière première du fromage Feta, sont le fruit d’une tradition ancestrale permettant de s’adapter aux variations climatiques et à leurs conséquences sur la végétation disponible. Cela a conduit au développement de races ovines et caprines autochtones de petite taille, très sobres et résistantes, aptes à survivre dans un environnement peu généreux d’un point de vue quantitatif mais qualitativement doté d’une flore spécifique extrêmement diversifiée, conférant au produit fini une saveur et un arôme particuliers. L’osmose entre les facteurs naturels et les facteurs humains spécifiques, en particulier la méthode traditionnelle d’élaboration requérant impérativement un égouttage sans pression, a ainsi conféré au fromage Feta une réputation internationale insigne.

(37)      Le cahier des charges présenté par les autorités helléniques incluant l’ensemble des éléments requis par l’article 4 du règlement (CEE) n° 2081/92 et l’analyse formelle dudit cahier des charges n’ayant pas révélé d’erreur manifeste d’appréciation, il convient d’enregistrer la dénomination Feta en tant qu’appellation d’origine protégée.»

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

23     Dans l’affaire C-465/02, la République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler le règlement attaqué;

–       condamner la Commission aux dépens.

24     Dans l’affaire C-466/02, le Royaume de Danemark conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler le règlement attaqué;

–       condamner la Commission aux dépens.

25     La Commission conclut, dans chaque affaire, à ce qu’il plaise à la Cour:

–       rejeter le recours;

–       condamner la requérante aux dépens de l’instance.

26     Par ordonnances du président de la Cour des 13 mai et 3 juin 2003, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir à l’appui des conclusions des requérants et la République hellénique à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission.

27     Par ordonnance du président de la Cour du 13 janvier 2005, les affaires C-465/02 et C-466/02 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur la recevabilité

28     Le gouvernement hellénique fait valoir que les recours de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume de Danemark ont été introduits hors délai. La publication du règlement attaqué date du 15 octobre 2002. Les recours n’ayant été formés que le 30 décembre 2002, le délai de deux mois prévu à l’article 230, cinquième alinéa, CE n’aurait pas été respecté.

29     Cet argument ne peut pas être retenu. En effet, le délai de recours ne commence à courir, conformément à l’article 81, paragraphe 1, du règlement de procédure, qu’à la fin du quatorzième jour suivant la date de publication de l’acte en cause. À cela s’ajoute le délai de distance prévu à l’article 81, paragraphe 2, du règlement de procédure, soit dix jours supplémentaires. Compte tenu de ces règles, les présents recours ont été formés dans les délais.

 Sur le fond

 Sur le premier moyen

30     Le gouvernement allemand dénonce la violation du règlement intérieur du comité prévu à l’article 15 du règlement de base (ci-après le «comité de réglementation») ainsi qu’une violation du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385). Les documents qui devaient être examinés lors de la réunion du comité de réglementation du 20 novembre 2001 n’auraient pas été notifiés au gouvernement allemand quatorze jours avant cette réunion ni notifiés en langue allemande.

31     Selon les informations soumises à la Cour, le comité de réglementation ne s’était pas encore doté d’un règlement intérieur à la date de ladite réunion. Il convient donc de se reporter au règlement intérieur type – décision 1999/468/CE du Conseil (JO 2001, C 38, p. 3).

32     Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de celui-ci:

«1.      La convocation, l’ordre du jour ainsi que les projets de mesures sur lesquels l’avis du comité est demandé et tout autre document de travail sont transmis par le président aux membres du comité conformément à l’article 13, paragraphe 2, en règle générale quatorze jours de calendrier au plus tard avant la date de la réunion […].

2.      Dans des cas urgents et lorsque les mesures à arrêter doivent être appliquées immédiatement, le président peut, à la demande d’un membre du comité ou de sa propre initiative, abréger le délai de transmission visé au paragraphe précédent jusqu’à cinq jours de calendrier avant la date de la réunion […]»

33     L’article 3 du règlement n° 1 prévoit:

«Les textes adressés par les institutions à un État membre ou à une personne relevant de la juridiction d’un État membre sont rédigés dans la langue de cet État.»

34     Il est constant que, par courrier électronique du 9 novembre 2001, la Commission a transmis au gouvernement allemand une convocation à la réunion du comité de réglementation du 20 novembre 2001. Cette convocation prévoyait comme premier point de l’ordre du jour un échange de vues sur le dossier «feta». La Commission a joint audit courrier électronique deux annexes, toutes deux rédigées en anglais et en français. L’une de ces annexes résumait les réponses des États membres au questionnaire de la Commission, du 15 octobre 1999, relatif à la fabrication, à la consommation et à la notoriété de la feta. L’autre annexe comportait un avant-projet d’avis du comité scientifique sur ledit dossier.

35     Lors de la réunion du comité de réglementation du 20 novembre 2001, la délégation allemande a demandé une version allemande de ces deux annexes. Il est constant qu’elle ne l’a jamais reçue.

36     À supposer même que l’absence d’une version allemande des deux annexes en question ne soit pas conforme à l’article 3 du règlement n° 1, une telle irrégularité n’entraînerait pas l’annulation du règlement attaqué.

37     En effet, une telle irrégularité de procédure ne pourrait entraîner l’annulation de l’acte finalement adopté que si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 47; du 20 octobre 1987, Espagne/Commission, 128/86, Rec. p. 4171, point 25, et du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit «Tubemeuse», C‑142/87, Rec. p. I-959, point 48).

38     Or, lors de la réunion en question, le comité de réglementation n’a procédé qu’à un tour de table sur le dossier «feta» et sur les résultats du questionnaire de la Commission. Ce comité n’a examiné une proposition de règlement qu’ultérieurement, lors de sa réunion du 16 mai 2002. Cependant, à cette occasion, ledit comité n’était pas parvenu à réunir une majorité qualifiée des voix permettant d’adopter la proposition. À son tour, le Conseil, lors de sa réunion du 27 juin 2002, n’a pas pu adopter la proposition de règlement sur le même sujet, également faute de majorité qualifiée. Lors de chacune de ces réunions, la République fédérale d’Allemagne a voté contre la proposition soumise. Même si cet État membre avait disposé d’une version allemande des deux documents en cause lors de la réunion du 20 novembre 2001, il n’aurait pas pu s’opposer plus efficacement à ladite proposition.

39     En l’absence d’adoption d’un règlement par le Conseil, la Commission a adopté elle-même le règlement attaqué, conformément à l’article 15, cinquième alinéa, du règlement de base. Cette institution avait donc le pouvoir d’arrêter, sous sa propre responsabilité, les mesures projetées.

40     Dans ces conditions, le fait que la convocation à la réunion du comité de réglementation du 20 novembre 2001 soit intervenue moins de quatorze jours avant celle-ci et qu’il n’y ait pas eu de version allemande des deux documents en cause lors de cette réunion ne pouvait avoir aucun effet sur la mesure finalement adoptée.

41     Par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen

42     Le gouvernement allemand allègue une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base. Le mot «feta» proviendrait de l’italien et signifierait «tranche». Il aurait été repris dans la langue grecque au XVIIe siècle. La dénomination «feta» serait utilisée non seulement en Grèce, mais aussi dans d’autres pays des Balkans et du Moyen-Orient pour désigner un fromage en saumure. Ce serait à tort que la Commission a examiné, dans les considérants du règlement attaqué, si «feta» est devenue une désignation générique. Dans la mesure où ce mot est tout d’abord un terme non géographique, la Commission aurait dû établir qu’il a acquis une signification géographique, et ce, de telle manière qu’il ne s’étend pas à l’ensemble du territoire d’un État membre. Ensuite, la sous-région indiquée par le gouvernement hellénique dans sa demande d’enregistrement serait formée artificiellement; elle ne s’appuierait ni sur la tradition ni sur l’opinion généralement admise. Par ailleurs, la feta ne devrait pas sa qualité et ses caractères essentiellement ou exclusivement au milieu géographique; les affirmations figurant au trente-sixième considérant du règlement attaqué ne seraient appuyées ni par la demande d’enregistrement du gouvernement hellénique ni par les constatations du comité scientifique. Enfin, il n’existerait pas de concordance entre l’aire géographique de production et celle d’élaboration ainsi qu’il ressort tant des dispositions légales helléniques que de la circonstance que la Communauté accorde des aides à la production de feta dans les îles égéennes.

43     Le gouvernement danois allègue que la dénomination «feta» ne remplit pas les conditions nécessaires pour pouvoir être enregistrée comme dénomination traditionnelle non géographique, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base. À ce propos, ledit gouvernement considère que c’est en premier lieu à l’État demandeur et en second lieu à la Commission qu’il revient de prouver que les conditions d’enregistrement d’une appellation d’origine en tant que dénomination traditionnelle non géographique sont remplies. Selon ce gouvernement, l’aire géographique désignée aux fins de l’enregistrement en l’espèce, à savoir la Grèce continentale et le département de Lesbos, comprend quasiment toute la Grèce et aucune raison objective n’a été avancée pour justifier en quoi les régions qui en ont été exclues s’en distinguent. Le gouvernement danois précise que le lien exclusif requis entre le fromage feta et l’aire géographique désignée dans la demande n’existerait pas, pour le seul motif que la feta est originaire de l’ensemble des Balkans et non seulement de la Grèce. L’aire géographique désignée présenterait beaucoup de disparités sur les plans climatique et morphologique et il existerait de nombreuses variétés de fetas grecques, dont les goûts sont différents. La réputation internationale de la feta ne pourrait pas être clairement et directement attribuée à l’aire géographique désignée, mais serait due en grande partie à l’importante production et aux exportations d’autres États, dont le Royaume de Danemark, pendant la deuxième moitié du XXe siècle.

44     Le gouvernement français, intervenant au soutien des gouvernements allemand et danois, relève que le mot «feta», qui signifie «tranche» en italien, n’est pas une dénomination géographique. Par conséquent, les dispositions de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base seraient applicables. Celles-ci renvoyant à l’article 2, paragraphe 2, sous a), deuxième tiret, du même règlement, il en résulterait que la dénomination «feta» n’aurait de vocation à être enregistrée en tant qu’appellation d’origine protégée que si ce produit ne devait sa qualité ou ses caractères essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains et que si la production, la transformation et l’élaboration de ce produit avaient lieu dans l’aire géographique délimitée. Or, d’une part, contrairement aux dispositions de l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement, l’aire géographique de production de la feta en Grèce représenterait la quasi-totalité du territoire de la République hellénique et, d’autre part, la feta serait produite hors du territoire grec, notamment en France, dans des conditions comparables à celles qui prévalent sur le territoire grec. En effet, grâce à l’apport de subventions communautaires, les fromageries françaises auraient réussi une adaptation industrielle des procédés artisanaux et produiraient actuellement entre 10 000 et 12 000 tonnes de fromage feta par an. Ces deux constatations feraient obstacle à l’enregistrement, au profit de la République hellénique, de la dénomination «feta» en tant qu’appellation d’origine protégée.

45     Le gouvernement du Royaume-Uni est intervenu également au soutien des gouvernements allemand et danois, sans présenter des observations.

46     Dans le présent litige, il est constant que le terme «feta» est dérivé du mot italien «fetta» qui signifie «tranche», la langue grecque l’ayant adopté au XVIIe siècle. Il est également constant que «feta» n’est pas le nom d’une région, d’un lieu ou d’un pays au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du règlement de base. Partant, ce terme ne peut pas être enregistré en tant qu’appellation d’origine en vertu de cette disposition. Tout au plus peut-il être enregistré au titre de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, lequel étend la définition de l’appellation d’origine, notamment, à certaines dénominations traditionnelles non géographiques.

47     C’est sur cette base que le terme «feta» a été enregistré comme appellation d’origine par le règlement attaqué. Selon le trente-cinquième considérant de celui-ci, «[l]a dénomination Feta constitue une dénomination traditionnelle non géographique au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement [de base]».

48     Pour être protégée en vertu de cette dernière disposition, une dénomination traditionnelle non géographique doit, notamment, désigner un produit ou une denrée alimentaire qui soit «originaire d’une région ou d’un lieu déterminé».

49     En outre, l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base exige, en renvoyant à l’article 2, paragraphe 2, sous a), deuxième tiret, du même règlement, que la qualité ou les caractères du produit agricole ou de la denrée alimentaire soient dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains et que la production, la transformation et l’élaboration de ce produit ou de cette denrée aient lieu dans l’aire géographique délimitée.

50     Il ressort de la lecture combinée de ces deux dispositions que le lieu ou la région visés audit article 2, paragraphe 3, doivent être définis en tant que milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et humains particuliers et qui est capable de conférer à un produit agricole ou à une denrée alimentaire ses caractéristiques spécifiques. La zone de provenance visée doit donc présenter des facteurs naturels homogènes qui la délimitent par rapport aux zones limitrophes (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 1975, Commission/Allemagne, 12/74, Rec. p. 181, point 8).

51     C’est à la lumière de ces différents critères qu’il convient d’examiner si la définition de la région d’origine retenue dans le règlement attaqué est conforme aux exigences de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base.

52     La Commission s’étant fondée à cet effet sur la législation hellénique en la matière, il y a lieu de rappeler que l’article 1er de l’arrêté ministériel hellénique n° 313025, du 11 janvier 1994, portant reconnaissance de l’appellation d’origine protégée (AOP) du fromage feta, prévoit:

«1.      L’appellation ‘feta’ est reconnue comme appellation d’origine protégée (AOP) pour le fromage blanc saumuré qui est fabriqué traditionnellement en Grèce, et concrètement (‘syngekrimena’) dans les régions mentionnées au paragraphe 2 du présent article, à partir de lait de brebis ou d’un mélange de ce dernier avec du lait de chèvre.

2.      Le lait utilisé pour la fabrication de la ‘feta’ doit provenir exclusivement des régions de Macédoine, Thrace, Épire, Thessalie, Grèce centrale, Péloponnèse et du département (‘Nomos’) de Lesbos.»

53     L’aire géographique ainsi délimitée pour la production de la feta comporte exclusivement la partie continentale de la Grèce ainsi que le département de Lesbos. Sont exclus de cette aire géographique l’île de Crête ainsi que certains archipels grecs, à savoir les Sporades, les Cyclades, le Dodécanèse et les îles Ioniennes.

54     Les zones exclues de cette aire géographique ne peuvent pas être considérées comme négligeables. L’aire délimitée par la réglementation nationale pour la production de fromage sous la dénomination «feta» ne couvre donc pas l’ensemble du territoire de la République hellénique. Ainsi il n’est pas nécessaire d’examiner si l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base permet que l’aire géographique inhérente à une dénomination puisse couvrir le territoire d’un pays dans son intégralité.

55     Il y a lieu néanmoins d’examiner si l’aire ainsi délimitée l’a été d’une manière artificielle.

56     À cet égard, l’article 2, paragraphe 1, sous e), de l’arrêté ministériel n° 313025 précise que «le lait utilisé pour la fabrication de la feta doit provenir de races de brebis et de chèvres d’élevage traditionnel et adaptées à la région de fabrication de la feta et la flore de ladite région doit constituer la base de leur nourriture».

57     Il résulte des informations présentées à la Cour, et en particulier du cahier des charges que le gouvernement hellénique a transmis à la Commission, le 21 janvier 1994, en vue de l’enregistrement de la dénomination «feta» comme appellation d’origine, que l’effet de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 1er du même arrêté ministériel, est de délimiter l’aire géographique visée par rapport notamment à des caractéristiques géomorphologiques, à savoir le caractère principalement montagneux ou semi-montagneux du terrain, à des caractéristiques climatiques, à savoir des hivers doux, des étés chauds et une grande durée d’ensoleillement, ainsi qu’à des caractéristiques botaniques, à savoir la flore typique de la moyenne montagne balkanique.

58     Ces éléments indiquent à suffisance que cette aire présente des facteurs naturels homogènes qui la différencient des zones limitrophes. Il ressort du dossier que les zones de Grèce exclues de l’aire délimitée ne présentent pas les mêmes facteurs naturels que celle-ci. Il apparaît donc que l’aire délimitée en l’espèce ne l’a pas été de manière artificielle.

59     Pour ce qui concerne la réglementation communautaire des aides à la production de feta dans les îles égéennes, il est exact que l’article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2019/93 du Conseil, du 19 juillet 1993, portant mesures spécifiques pour certains produits agricoles en faveur des îles mineures de la mer Égée (JO L 184, p. 1), prévoyait, avant d’être modifié par l’article 1er, point 4, du règlement (CE) n° 442/2002 du Conseil, du 18 février 2002 (JO L 68, p. 4), une aide pour «le stockage privé des fromages suivants de fabrication locale: feta, d’au moins deux mois d’âge […]».

60     Cette disposition montre que la feta est également produite dans les îles mineures de la mer Égée.

61     La Commission a d’ailleurs confirmé, dans ses observations devant la Cour, que la feta provient effectivement de la fabrication locale de certaines îles mineures de la mer Égée.

62     Toutefois, elle a également précisé que ces îles relèvent administrativement du département de Lesbos.

63     Or, ledit département fait partie de l’aire géographique définie par la réglementation nationale qui délimite l’aire de production de la feta.

64     Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 2, du règlement n° 2019/93 est en cohérence avec la définition de l’aire géographique de fabrication feta prescrite par la réglementation nationale et figurant dans la demande d’enregistrement de cette dénomination, l’argument avancé par le gouvernement allemand dans le sens contraire s’avérant non fondé.

65     Les requérants font valoir que la qualité et les caractères de la feta ne sont pas dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique délimité, comme cela est exigé par l’article 2, paragraphe 2, sous a), deuxième tiret, du règlement de base.

66     Toutefois, le trente-sixième considérant du règlement attaqué énonce une série de facteurs qui indiquent que les caractères de la feta sont dus essentiellement au milieu géographique délimité. Contrairement à ce qui est allégué par le gouvernement allemand, cet énoncé est fondé sur le cahier des charges présenté par le gouvernement hellénique, lequel cahier énumère de manière détaillée les facteurs naturels et humains conférant les caractères spécifiques à la feta.

67     Parmi ces facteurs figurent la durée d’ensoleillement, les écarts de température, la pratique de la transhumance, le pâturage extensif et la flore.

68     Les requérants n’ont pas démontré que l’appréciation de la Commission à ce sujet est mal fondée.

69     Le moyen tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base doit donc être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen

70     Le gouvernement allemand prétend que le règlement attaqué viole l’article 3, paragraphe 1, du règlement de base. «Feta» serait une dénomination générique au sens dudit article 3, paragraphe 1. La Commission n’aurait pas dûment tenu compte de tous les facteurs, notamment de la fabrication de feta dans les États membres autres que la Grèce, de la consommation de feta en dehors de la Grèce, de la perception des consommateurs, des réglementations nationales et communautaires, ainsi que des appréciations antérieures de la Commission. Le risque de confusion du consommateur invoqué au vingtième considérant du règlement attaqué ne pourrait pas fonder la protection de la dénomination «feta», car la présentation trompeuse d’un produit n’a aucun rapport avec la question de savoir si une dénomination est générique ou si elle constitue une appellation d’origine.

71     Par ailleurs, selon le même gouvernement, la constatation que la dénomination «feta» n’est pas devenue générique ne serait pas suffisamment motivée au sens de l’article 253 CE, le renvoi à l’avis consultatif d’un comité étant inadéquat à cet égard.

72     Pour le gouvernement danois, la Commission a adopté le règlement attaqué en violation des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, du règlement de base, étant donné que le terme «feta» est une dénomination générique. Selon lui, lorsqu’une dénomination a un caractère générique dès l’origine, ou l’a acquis par la suite, elle le conserve pour toujours, de manière irréversible. Ce serait à l’État demandeur, et en second lieu à la Commission, de prouver qu’une dénomination autre que géographique n’est pas générique.

73     Le gouvernement danois souligne encore que la feta n’est pas spécifiquement originaire de Grèce, que ce soit comme dénomination ou comme produit. La zone traditionnelle de consommation et de production s’étendrait sur plusieurs pays balkaniques. La République hellénique aurait elle-même importé, produit, consommé et exporté du fromage sous la dénomination «feta», en ce compris de la feta fabriquée avec du lait de vache. Il serait probable que les consommateurs grecs considèrent, après une période de plusieurs années, la dénomination comme générique. De même, dans d’autres États, communautaires ou non, où la feta est consommée et produite en grandes quantités, le consommateur considérerait la feta comme une dénomination générique. Hors de sa zone d’origine, la feta ferait l’objet d’une production et d’une commercialisation licites dans nombre d’États membres et de pays tiers.

74     Toujours selon le gouvernement danois, la production et la commercialisation danoises de feta ne sont en rien contraires aux usages loyalement et traditionnellement pratiqués et ne créent pas non plus de risques effectifs de confusion, du seul fait que la réglementation danoise a, depuis 1963 déjà, imposé la dénomination de «feta danoise». Le fait que la feta est une dénomination générique ressortirait d’un ensemble de dispositions et d’actes du législateur communautaire, lequel comprend la Commission.

 Sur le caractère générique de la dénomination

75     Il convient de rappeler que, selon l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement de base:

«Pour déterminer si un nom est devenu générique, il est tenu compte de tous les facteurs et notamment:

–       de la situation existante dans l’État membre où le nom a son origine et dans les zones de consommation,

–       de la situation existante dans d’autres États membres,

–       des législations nationales ou communautaires pertinentes.»

76     Quant à l’argument avancé par le gouvernement danois selon lequel le terme «feta» désigne un type de fromage originaire des Balkans, il est constant que des fromages blancs en saumure ont été produits depuis longtemps non seulement en Grèce, mais dans différents pays des Balkans et du Sud-Est du bassin méditerranéen. Toutefois, ainsi qu’il figure au point B, sous a), de l’avis du comité scientifique, ces fromages sont connus, dans ces pays, sous d’autres dénominations que celle de «feta».

77     Pour ce qui concerne la situation de production dans la République hellénique elle-même, le gouvernement danois affirme, sans être contredit, que, jusqu’en 1988, du fromage fabriqué à partir de lait de vache selon des méthodes autres que les méthodes traditionnelles grecques a été importé en Grèce sous la dénomination «feta» et que, jusqu’en 1987, du fromage feta a été fabriqué sur le territoire de cet État membre selon des méthodes non traditionnelles et notamment à partir de lait de vache.

78     Il convient de reconnaître que, si de telles opérations devaient perdurer, elles tendraient à conférer un caractère générique à la dénomination «feta». Néanmoins, il y a lieu de retenir que, par arrêté ministériel n° 2109/88, du 5 décembre 1988, portant approbation du remplacement de l’article 83 «Produits fromagers» du code des aliments, la délimitation de l’aire géographique de production fondée sur les usages traditionnels a été fixée. En 1994, l’arrêté ministériel n° 313025 a codifié l’ensemble des prescriptions applicables en matière de fromage feta. Or, toute cette réglementation a créé une nouvelle situation dans laquelle de telles opérations ne doivent plus se produire.

79     Par rapport à la situation de production dans les autres États membres, il convient de rappeler que la Cour a jugé, au point 99 de l’arrêt Danemark e.a./Commission, précité, que le fait qu’un produit a été légalement commercialisé sous une dénomination dans certains États membres peut constituer un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit d’apprécier si cette dénomination est devenue générique au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement de base.

80     La Commission admet d’ailleurs qu’il existe une fabrication de feta dans certains États membres autres que la République hellénique, à savoir le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne et la République française. Selon les treizième au dix-septième considérants du règlement attaqué, la République hellénique produirait environ 115 000 tonnes annuellement. En 1998, près de 27 640 tonnes auraient été produites au Danemark. De 1988 à 1998, la production française aurait oscillé entre 7 960 tonnes et 19 964 tonnes. Quant à la production allemande, celle-ci oscillerait, depuis 1985, entre 19 757 et 39 201 tonnes.

81     Il ressort des mêmes considérants que la production de feta a débuté en 1972 en Allemagne, en 1931 en France et dans les années 1930 au Danemark.

82     Au surplus, il est constant que le fromage ainsi produit a pu être commercialisé en toute légalité, et ceci même en Grèce à tout le moins jusqu’en 1988.

83     Même si ces productions ont été relativement importantes et leur durée substantielle, il y a lieu de souligner, comme le fait le comité scientifique au premier tiret des conclusions de son avis, que la production de feta est restée concentrée en Grèce.

84     D’ailleurs, le fait qu’un produit a été légalement produit dans des États membres autres que la République hellénique n’est que l’un des éléments parmi ceux dont il doit être tenu compte conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement de base.

85     Eu égard à la consommation de feta dans les divers États membres, par opposition à sa production, il importe de relever qu’il ressort du dix-neuvième considérant du règlement attaqué que plus de 85 % de la consommation communautaire de feta, par personne et par an, a lieu en Grèce. Comme le fait remarquer le comité scientifique, la consommation de feta est donc concentrée dans cet État membre.

86     Des informations fournies à la Cour indiquent que la majorité des consommateurs en Grèce considèrent que la dénomination «feta» a une connotation géographique et non pas générique. Il apparaît, en revanche, qu’au Danemark la majorité des consommateurs soutiennent la connotation générique de cette dénomination. La Cour ne dispose pas de données concluantes en ce qui concerne les autres États membres.

87     Les éléments produits devant la Cour montrent également que, dans les États membres autres que la Grèce, la feta est régulièrement commercialisée avec des étiquettes renvoyant aux traditions culturelles et à la civilisation grecques. Il est légitime d’en déduire que les consommateurs dans ces États membres perçoivent la feta comme un fromage associé à la République hellénique, même si en réalité il a été produit dans un autre État membre.

88     Ces différents éléments relatifs à la consommation de la feta dans les États membres tendent à indiquer que la dénomination «feta» n’a pas un caractère générique.

89     Quant à l’argument du gouvernement allemand visant la deuxième phrase du vingtième considérant du règlement attaqué, il résulte du point 87 du présent arrêt qu’il n’est pas erroné d’affirmer, s’agissant des consommateurs dans les États membres autres que la République hellénique, que «[…] le lien entre la dénomination Feta et le terroir hellénique est volontairement suggéré et recherché car constitutif d’un argument de vente inhérent à la réputation du produit d’origine, engendrant ainsi des risques effectifs de confusion du consommateur».

90     L’argument avancé par le gouvernement allemand dans le sens opposé n’est donc pas fondé.

91     Concernant les réglementations nationales, il doit être pris en compte que, selon les dix-huitième et trente et unième considérants du règlement attaqué, le Royaume de Danemark et la République hellénique sont les seuls parmi les États membres de l’époque qui avaient une réglementation spécifique relative à la feta.

92     Pour sa part, la réglementation danoise mentionne non pas la «feta» mais la «feta danoise», ce qui suggère que, au Danemark, la dénomination «feta» sans qualificatif a gardé sa connotation grecque.

93     En outre, comme la Cour l’a constaté au point 27 de l’arrêt Danemark e.a./Commission, précité, la dénomination «feta» a été protégée par une convention entre la République d’Autriche et le Royaume de Grèce, conclue le 20 juin 1972 en application de l’accord du 5 juin 1970 entre ces deux États et relatif à la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des dénominations des produits de l’agriculture, de l’artisanat et de l’industrie (BGBl. 378/1972 et 379/1972). Depuis lors, l’utilisation de cette dénomination sur le territoire autrichien est réservée aux seuls produits grecs.

94     Il en résulte que, dans l’ensemble, les réglementations nationales pertinentes tendent à indiquer le caractère non générique de la dénomination «feta».

95     En ce qui concerne la réglementation communautaire, certes la dénomination «feta» est utilisée sans aucune précision quant à l’État membre d’origine dans la nomenclature du tarif douanier commun et dans la réglementation communautaire relative aux restitutions à l’exportation.

96     Toutefois, cette dernière réglementation et la nomenclature douanière s’appliquent au domaine douanier et n’ont pas pour objectif de régler des droits de propriété industrielle. Leurs dispositions ne sont donc pas concluantes dans le présent contexte.

97     Quant aux appréciations antérieures de la Commission, il est exact que cette institution a, le 21 juin 1985, répondu à la question écrite n° 13/85 d’un député européen, dans les termes suivants: «[…] la feta est un type de fromage et non une appellation d’origine.» (JO du 30 septembre 1985, C 248, p. 13).

98     À cet égard, il convient toutefois de retenir que, à cette époque, il n’existait pas encore de protection communautaire des appellations d’origine et des indications géographiques, laquelle fut établie pour la première fois par le règlement de base. À la date de cette réponse, la dénomination «feta» n’était protégée en Grèce que par des usages traditionnels.

99     De ce qui précède, il ressort que plusieurs éléments pertinents et importants indiquent que ce terme n’est pas devenu générique.

100   Au vu de ces éléments, il convient de considérer que la Commission a pu légalement décider, dans le règlement attaqué, que le terme «feta» n’est pas devenu générique au sens de l’article 3 du règlement de base.

 Sur la motivation

101   S’agissant enfin de l’argument selon lequel la motivation du règlement attaqué est insuffisante au regard de la constatation que la dénomination «feta» n’est pas générique, il convient d’examiner, d’une part, la portée de l’avis du comité scientifique et, d’autre part, le degré de détail de la motivation fournie.

102   Du onzième au vingt et unième ainsi qu’au trente-troisième considérants dudit règlement, la Commission analyse elle-même la question du caractère générique du terme «feta». C’est seulement du vingt-deuxième au trente-deuxième considérants que la Commission rend compte de l’avis du comité scientifique. Il serait donc inexact d’affirmer que la motivation figurant dans ledit règlement sur la question du caractère générique du terme «feta» consiste uniquement dans une reprise de cet avis.

103   Il ressort de la décision 93/53 que le comité scientifique a été institué par la Commission et que ses membres sont nommés par celle-ci. Ledit comité se réunit sur convocation d’un représentant de ladite institution et ses délibérations portent sur les sujets pour lesquels la Commission a demandé un avis.

104   Conformément à ces dispositions, il était loisible à la Commission, selon son appréciation, de soumettre des questions en matière d’appellation d’origine aux experts nommés à ce comité pour l’aider à élucider le problème, comme elle l’a fait en l’espèce. Il appartenait de même à la Commission de décider dans quelle mesure elle entend suivre l’avis fourni par ledit comité.

105   Il résulte du trente-troisième considérant du règlement attaqué que, en l’espèce, la Commission a fait siennes les orientations dégagées par ce comité. Cette démarche est conforme tant aux dispositions de la décision 93/53 qu’à celles de l’article 253 CE.

106   Concernant le degré de détail de la motivation fournie dans le règlement attaqué sur la question du caractère générique du terme «feta», il est de jurisprudence constante que la motivation exigée à l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution qui en est l’auteur, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 7 février 2002, Weber, C-328/00, Rec. p. I‑1461, point 42 et jurisprudence citée). Toutefois, l’auteur d’un tel acte n’est pas tenu de prendre position sur des éléments clairement secondaires ou d’anticiper des objections potentielles (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I-1719, point 64).

107   La Commission a clairement exposé, du onzième au trente-troisième considérants du règlement attaqué, les éléments essentiels qui l’ont conduite à la conclusion que la dénomination «feta» n’était pas générique au sens de l’article 3 du règlement de base. Cet exposé constitue une motivation suffisante aux fins de l’article 253 CE.

108   Il en résulte que l’argument, selon lequel la motivation du règlement attaqué est insuffisante au regard de la constatation que la dénomination «feta» n’est pas générique, manque de fondement.

109   Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement de base et de l’article 253 CE doit être rejeté comme non fondé.

110   Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter les présents recours.

 Sur les dépens

111   Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume de Danemark et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, du même règlement, la République hellénique, la République française et le Royaume-Uni, parties intervenantes, supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Les recours sont rejetés.

2)      La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens afférents à l’affaire C-465/02 et le Royaume de Danemark est condamné aux dépens afférents à l’affaire C‑466/02.

3)      La République hellénique, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langues de procédure: l'allemand et le danois.