Language of document : ECLI:EU:T:2020:258

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

10 juin 2020 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque figurative représentant un motif à damier – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Faits notoires – Caractère distinctif acquis par l’usage – Appréciation globale des preuves du caractère distinctif acquis par l’usage – Article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 59, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑105/19,

Louis Vuitton Malletier, établi à Paris (France), représenté par Mes P. Roncaglia, G. Lazzeretti, F. Rossi, N. Parrotta et P.-Y. Gautier, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. V. Ruzek et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Norbert Wisniewski, demeurant à Varsovie (Pologne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 22 novembre 2018 (affaire R 274/2017-2), relative à une procédure de nullité entre M. Wisniewski et Louis Vuitton Malletier,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, E. Buttigieg et Mme K. Kowalik‑Bańczyk, juges,

greffier : Mme R. Ukelyte, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2019,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 14 mai 2019,

vu l’ordonnance du 12 juillet 2019 refusant à M. Wisniewski la qualité d’intervenant,

vu la réattribution de l’affaire à la dixième chambre,

à la suite de l’audience du 22 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 4 novembre 2008, la requérante, Louis Vuitton Malletier, a obtenu, auprès du bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’enregistrement international no 986207 désignant, notamment, l’Union européenne (ci-après l’« enregistrement international »).

2        La marque dont l’enregistrement international a été accordé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels la protection a été demandée relèvent de la classe 18 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « boîtes en cuir ou en imitations du cuir, malles, valises, trousses de voyage (maroquinerie), sacs de voyage, bagages, sacs-housses de voyage pour vêtements, boîtes à chapeaux en cuir, coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits “vanity cases”, trousses de toilette (vides), sacs à dos, sacoches, sacs à main, sacs de plage, sacs à provisions, sacs à bandoulière, cabas, sacs d’épaule, sacs à porter à la ceinture, bourses, mallettes, serviettes (maroquinerie), cartables, porte-documents, pochettes (sacs à main), portefeuilles, porte-monnaie, étuis pour clés, porte-cartes (portefeuilles), parapluies, ombrelles ».

4        L’enregistrement international est parvenu à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) le 18 décembre 2008, a été publié au Bulletin des marques communautaires no 51/2008, du 22 décembre 2008, et s’est vu reconnaître la même protection que celle accordée à une marque de l’Union européenne le 13 novembre 2009 (Bulletin des marques communautaires no 45/2009, du 23 novembre 2009).

5        Le 25 juin 2015, M. Norbert Wisniewski (ci-après le « demandeur en nullité ») a présenté auprès de l’EUIPO une demande en nullité des effets de l’enregistrement international, au titre  du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)], plus particulièrement de son article 158, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous b), c) et e), du même règlement [devenus, respectivement, article 198, paragraphe 2, article 59, paragraphe 1, sous a), et article 7, paragraphe 1, sous b), c) et e), du règlement 2017/1001].

6        Par décision du 14 décembre 2016, la division d’annulation a, en application de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, fait droit à la demande en nullité, en ce qui concerne l’ensemble des produits visés par l’enregistrement international (ci-après la « décision de la division d’annulation »). La division d’annulation a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les motifs absolus de refus prévus à l’article 7, paragraphe 1, sous c) et e), du règlement no 207/2009, et a conclu que l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001) n’était pas applicable en l’espèce.

7        Le 3 février 2017, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’annulation, demandant l’annulation de celle-ci.

8        Par décision du 22 novembre 2018 dans l’affaire R 274/2017-2, la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours (ci-après la « décision attaquée »).

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et le demandeur en nullité aux dépens qu’elle a exposés.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner la requérante aux dépens qu’il a exposés.

 En droit

11      La requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, de l’appréciation erronée par la chambre de recours du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée et, le second, de l’appréciation erronée par la chambre de recours du caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée.

 Sur le premier moyen

12      Au soutien de son premier moyen, tiré de l’appréciation erronée par la chambre de recours du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, la requérante avance, en substance, deux griefs, par lesquels elle fait valoir que la décision attaquée est contraire, d’une part, aux règles relatives à la charge de la preuve dans les procédures de nullité et, d’autre part, au principe d’égalité des armes, au droit à un procès équitable et à ses droits de la défense.

 Sur la prétendue violation des règles relatives à la charge de la preuve dans les procédures de nullité

13      La requérante rappelle que, conformément à une jurisprudence constante, la marque contestée bénéficie d’une présomption de validité dès le moment où elle a été enregistrée. Partant, dans le cadre d’une procédure de nullité, il incomberait au demandeur en nullité d’apporter des preuves solides et concluantes mettant en cause la validité de la marque contestée, et à la chambre de recours d’examiner si la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque à la lumière des preuves présentées par ledit demandeur.

14      Or, selon la requérante, les preuves apportées par le demandeur en nullité auraient été peu nombreuses et dépourvues de toute valeur probante. La chambre de recours aurait remédié à l’absence de preuves adéquates fournies par le demandeur en nullité en fondant sa décision sur de prétendus faits notoires qui, au demeurant, ne seraient pas établis. Par conséquent, la chambre de recours ayant, en substance, procédé à une réévaluation d’office et ex novo du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, elle aurait violé les règles relatives à la charge de la preuve dans les procédures de nullité.

15      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

16      En l’espèce, la chambre de recours a relevé, au point 66 de la décision attaquée, que la marque contestée était constituée de la forme d’un motif destiné à être apposé sur une partie des produits en cause ou à recouvrir la totalité de leur surface, correspondant, par conséquent, à leur aspect extérieur. Pour évaluer le caractère distinctif intrinsèque d’une telle marque, la chambre de recours s’est fondée sur les principes applicables aux marques tridimensionnelles, conformément à la jurisprudence [voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2018, Birkenstock Sales/EUIPO, C‑26/17 P, EU:C:2018:714, point 34 ; du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier gris), T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, points 24, 25 et 31, et du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier marron et beige), T‑359/12, EU:T:2015:215, points 24, 25 et 31], ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties.

17      Selon ces principes, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur auquel appartiennent les produits ou les services en cause et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 (voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2018, Birkenstock Sales/EUIPO, C‑26/17 P, EU:C:2018:714, point 33 ; du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 23 et jurisprudence citée, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 23 et jurisprudence citée).

18      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a commencé par rappeler, au point 69 de celle-ci, que, dans le cadre de son évaluation du caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, rien ne l’empêchait de se fonder sur des faits notoires. Elle a ensuite relevé, aux points 70, 73 et 75 à 78 de la décision attaquée, en faisant référence aux arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), que, premièrement, c’était un fait notoire que le motif à damier avait toujours existé et avait été utilisé dans le secteur des arts décoratifs, et que ce motif était un motif figuratif basique et banal qui ne comportait aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de damiers et coïncidait donc avec le modèle traditionnel d’un tel motif, de sorte que, même appliqué à des produits tels que ceux de la classe 18, ledit motif ne divergeait pas de la norme ou des habitudes du secteur ; deuxièmement, le motif à trame et à chaîne qui figure à l’intérieur de chacun des carrés du damier créait l’effet visuel d’un entrelacement de deux tissus différents, ce qui était habituel en ce qui concerne les produits de la classe 18 et, troisièmement, la juxtaposition du motif à damier et du motif à trame et à chaîne, appliquée aux produits de la classe 18 en cause, donnait lieu à un motif banal et courant qui ne divergeait pas de la norme ou des habitudes du secteur concerné. La chambre de recours a conclu, pour ces motifs, que la marque contestée ne s’écartait pas significativement de la norme ou des habitudes du secteur concerné.

19      Il ressort donc de la décision attaquée que la chambre de recours a fondé son appréciation concernant le défaut de caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, notamment, sur des faits notoires.

20      Il convient dès lors d’examiner, en premier lieu, si la chambre de recours pouvait, à bon droit, fonder son appréciation concernant le défaut de caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée sur des faits notoires, et si, en second lieu, le fait que la marque contestée était un motif basique et banal qui ne s’écartait pas significativement de la norme ou des habitudes du secteur concerné pouvait être considéré comme étant un fait notoire. 

21      En premier lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la chambre de recours peut fonder sa décision sur des faits notoires dans le cadre d’une procédure de nullité, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, conformément à l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, lors de l’examen des motifs absolus de refus, tel que celui concernant le défaut de caractère distinctif intrinsèque, les examinateurs de l’EUIPO et, sur recours, les chambres de recours de l’EUIPO doivent procéder à l’examen d’office des faits afin de déterminer si la marque dont l’enregistrement est demandé relève ou non d’un des motifs absolus de refus d’enregistrement énoncés à l’article 7 de ce règlement. Il s’ensuit que les organes compétents de l’EUIPO peuvent être amenés à fonder leurs décisions sur des faits qui n’auraient pas été invoqués par le demandeur [voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2019, All Star/EUIPO – Carrefour Hypermarchés (Forme d’une semelle de chaussure), T‑611/17, non publié, EU:T:2019:210, point 43 et jurisprudence citée].

22      Néanmoins, dans le cadre d’une procédure de nullité, la chambre de recours ne saurait être contrainte d’effectuer une nouvelle fois l’examen d’office des faits pertinents mené au moment de l’enregistrement par les instances compétentes de l’EUIPO. Il ressort, en effet, des dispositions des articles 59 et 62 du règlement 2017/1001 que la marque de l’Union est considérée comme étant valide jusqu’à ce qu’elle soit déclarée nulle par l’EUIPO à la suite d’une procédure de nullité. Elle bénéficie donc d’une présomption de validité, qui constitue la conséquence logique du contrôle mené par l’EUIPO dans le cadre de l’examen d’une demande d’enregistrement (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2019, Forme d’une semelle de chaussure, T‑611/17, non publié, EU:T:2019:210, point 44 et jurisprudence citée).

23      Cette présomption de validité limite l’obligation de l’EUIPO, figurant à l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, d’examiner d’office les faits pertinents qui pourraient l’amener à appliquer les motifs absolus de refus à l’examen de la demande d’une marque de l’Union mené par les examinateurs et, sur recours, par les chambres de recours lors de la procédure d’enregistrement de ladite marque. Or, dans le cadre d’une procédure de nullité, la marque de l’Union enregistrée étant présumée valide, il appartient à la personne ayant présenté la demande en nullité d’invoquer devant l’EUIPO les éléments concrets qui mettraient en cause sa validité (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2019, Forme d’une semelle de chaussure, T‑611/17, non publié, EU:T:2019:210, point 45 et jurisprudence citée). Ainsi, aux termes de la dernière phrase de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, phrase qui consolide la jurisprudence antérieure du Tribunal [voir arrêt du 24 octobre 2019, Rubik’s Brand/EUIPO – Simba Toys (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille), T‑601/17, sous pourvoi, non publié, EU:T:2019:765, point 82], dans les procédures de nullité engagées en vertu de l’article 59 du même règlement, l’EUIPO limite son examen aux moyens et arguments soumis par les parties.

24      Toutefois, si cette présomption de validité de l’enregistrement limite l’obligation de l’EUIPO d’examiner les faits pertinents, elle ne saurait, pour autant, l’empêcher, notamment au vu des éléments invoqués par la partie qui remet en cause la validité de la marque contestée, de se fonder non seulement sur ces arguments ainsi que sur les éventuels éléments de preuve joints par cette partie à sa demande en nullité, mais également sur les faits notoires relevés par l’EUIPO dans le cadre de la procédure de nullité (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2019, Forme d’une semelle de chaussure, T‑611/17, non publié, EU:T:2019:210, point 46 et jurisprudence citée).

25      Ainsi, lorsqu’une partie a contesté la validité d’une marque enregistrée en se fondant sur des éléments au soutien de sa demande en nullité, il incombe à la chambre de recours d’examiner ces éléments ainsi que de prendre en considération l’existence de faits notoires que l’examinateur aurait, le cas échéant, omis de prendre en considération, dans le cadre de la procédure d’enregistrement [voir arrêt du 3 mai 2018, Raise Conseil/EUIPO – Raizers (RAISE), T‑463/17, non publié, EU:T:2018:249, point 28 et jurisprudence citée].

26      En l’espèce, en examinant le caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, la chambre de recours a pris en considération, conformément à la jurisprudence, les arguments et les éléments de preuve invoqués par le demandeur en nullité au soutien de sa demande en nullité (voir, à cet égard, point 70 de la décision attaquée) ainsi que les faits notoires que l’examinateur aurait omis de prendre en considération dans le cadre de son analyse de l’enregistrement international en 2008.

27      En particulier, dans sa demande en nullité et ses observations devant la division d’annulation, le demandeur en nullité avait soutenu que la marque contestée était un motif simple, basique et banal qui ne divergeait pas de la norme ou des habitudes du secteur, car il s’agissait d’un des motifs les plus anciens et communs, en particulier en ce qui concerne les produits textiles, les sacs et les autres produits similaires, y compris les produits de la classe 18. En outre, le demandeur en nullité avait fourni des éléments de preuve à cet égard, à savoir des photos de produits portant des motifs à damier, dans sa demande en nullité et dans l’annexe 2 de ses observations devant la division d’annulation, ainsi que des images de motifs enregistrés comme dessins ou modèles communautaires, dans l’annexe 1 de ses observations devant la division d’annulation. Enfin, le demandeur en nullité avait fait référence aux arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215).

28      C’est donc au vu des arguments et des éléments de preuve invoqués par le demandeur en nullité que la chambre de recours a examiné le caractère basique et banal de la marque contestée. En effet, contrairement aux allégations de la requérante, la chambre de recours n’a pas procédé à une réévaluation d’office et ex novo, mais s’est, en substance, limitée à examiner les arguments et les éléments de preuve invoqués par le demandeur en nullité tout en considérant que le bien-fondé de ceux-ci était étayé par des faits notoires.

29      Partant, le fait que, outre les arguments et les éléments de preuve invoqués par le demandeur en nullité, la chambre de recours a pris en compte un fait notoirement connu, afin de conclure au défaut de caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée, n’est nullement contraire aux règles relatives à la charge de la preuve (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, points 64 et 65, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, points 64 et 65).

30      En second lieu, en ce qui concerne la question de savoir si le caractère basique et banal de la marque contestée est un fait notoire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les faits notoires sont définis comme des faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles [voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2018, Bayer/EUIPO – Uni-Pharma (SALOSPIR), T‑261/17, non publié, EU:T:2018:710, point 42 et jurisprudence citée]. Lorsque les organes de l’EUIPO décident de tenir compte de faits notoires, ils ne sont pas tenus d’établir, dans leurs décisions, l’exactitude de tels faits [voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2017, Novartis/EUIPO – Meda (Zimara), T‑238/15, non publié, EU:T:2017:636, point 123 et jurisprudence citée]. Cependant, un requérant est en droit de présenter devant le Tribunal des documents afin soit d’étayer soit de contester devant ce dernier l’exactitude d’un fait notoire [voir arrêt du 15 janvier 2013, Gigabyte Technology/OHMI – Haskins (Gigabyte), T‑451/11, non publié, EU:T:2013:13, point 22 et jurisprudence citée].

31      En l’espèce, la marque contestée consiste, d’une part, en un motif régulier de carrés alternant deux couleurs, à savoir le bleu et le beige, comme l’ont confirmé les parties lors de l’audience, qui évoque la composition d’un damier, et, d’autre part, en une structure à trame et à chaîne, qui constitue un motif dans le motif et qui figure à l’intérieur desdits carrés à la manière d’une méthode de tissage apparent de deux fils entrelacés.

32      Ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 73 de la décision attaquée, le motif à damier est un motif figuratif basique et banal, puisqu’il se compose d’une succession régulière de carrés de la même taille qui se différencient par une alternance de couleurs différentes, l’une claire et l’autre foncée, en l’occurrence le bleu et le beige. Ce motif ne comporte ainsi aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de damiers et coïncide avec le modèle traditionnel d’un tel motif. En effet, même appliqué à des produits tels que ceux de la classe 18, le motif en cause ne diverge pas significativement de la norme ou des habitudes du secteur dans la mesure où de tels produits sont généralement revêtus de tissus de différentes sortes, le motif à damier, en raison de sa grande simplicité, pouvant précisément constituer l’un de ces motifs. À cet égard, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 70 de la décision attaquée, le motif à damier est une figure qui a toujours existé et qui a été utilisée dans le secteur des arts décoratifs, lesquels ont un lien incontestable avec les produits de la classe 18 (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, points 37 et 38, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, points 37 et 38).

33      Ainsi que la chambre de recours l’a également relevé à juste titre, au point 75 de la décision attaquée, le motif à trame et à chaîne qui figure à l’intérieur de chacun des carrés du damier correspond à l’effet visuel souhaité d’un entrelacement de deux tissus différents, de quelque nature qu’ils soient (laine, soie, cuir, etc.), ce qui est donc habituel en ce qui concerne des produits tels que ceux relevant de la classe 18 (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 39, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 39).

34      La chambre de recours a pu en déduire correctement, au point 76 de la décision attaquée, que, appliquées aux produits de la classe 18 en cause en l’espèce, la représentation d’un damier alternant les couleurs bleu et beige et l’impression d’un entrelacement de fils ne comportaient, d’un point de vue graphique, aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de tels produits, de sorte que le public visé ne percevrait en réalité qu’un motif banal et courant (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 40, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 40).

35      C’est également avec pertinence que la chambre de recours a relevé, au point 77 de la décision attaquée, que la juxtaposition de deux éléments qui étaient en eux-mêmes non distinctifs ne saurait modifier la perception du public visé quant à l’absence de caractère distinctif ab initio de la marque contestée considérée dans son ensemble. La juxtaposition d’un damier et d’un motif à trame et à chaîne ne laisse, en effet, apparaître aucun élément qui diverge significativement de la norme ou des habitudes du secteur concerné (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 41, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 41).

36      Dans ces circonstances, la chambre de recours a pu, à juste titre, considérer que, contrairement aux allégations de la requérante, le fait que la marque contestée était un motif basique et banal qui ne s’écartait pas significativement de la norme ou des habitudes du secteur concerné était un fait notoire au sens de la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus.

37      Enfin, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve devant le Tribunal afin de contester l’exactitude de ce fait notoire, même s’il lui était loisible de le faire, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus.

38      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas enfreint les règles relatives à la charge de la preuve dans les procédures de nullité.

39      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments de la requérante.

40      Premièrement, la requérante fait valoir que le fait que l’examinateur avait procédé à l’enregistrement de la marque contestée en 2008 démontrait que, à cette époque-là, il n’était pas notoire que celle-ci ne divergeait pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Cet argument ne peut toutefois qu’être rejeté. En effet, selon la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, il incombe à la chambre de recours de prendre en considération l’existence de faits notoires que l’examinateur aurait, le cas échéant, omis de prendre en considération, dans le cadre de la procédure d’enregistrement. De surcroît, le double degré d’examen devant l’EUIPO vise précisément à pallier le risque d’erreur, raison pour laquelle, toujours selon la jurisprudence, les chambres de recours ne sont pas liées par les appréciations effectuées dans les décisions des examinateurs et des divisions d’annulation [voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2017, Gómez Echevarría/EUIPO – M and M Direct (wax by Yuli’s), T‑19/15, non publié, EU:T:2017:46, points 17 à 21].

41      Deuxièmement, la requérante fait valoir que la chambre de recours ne pouvait se fonder, au point 70 de la décision attaquée, pour considérer que le motif à damier était une figure qui a toujours existé et qui a été utilisée dans le secteur des arts décoratifs, ni sur les observations présentées par le demandeur en nullité devant la chambre de recours le 25 juillet 2017 au motif qu’elles étaient tardives et donc irrecevables, ni sur les arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), au motif que ces arrêts n’auraient pas acquis un caractère définitif parce que les demandes en nullité ayant donné lieu auxdits arrêts avaient été retirées à la suite du prononcé de ceux-ci, et que la présomption de validité des marques de l’Union européenne et les règles relatives à la charge de la preuve interdiraient à la chambre de recours de se fonder sur une constatation factuelle effectuée dans lesdits arrêts. Toutefois, le constat opéré par la chambre de recours au point 70, seconde phrase, de la décision attaquée était fondé sur un fait notoire ayant fait l’objet des arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), ainsi qu’il ressort du libellé même de cette phrase, et non sur des arguments présentés par le demandeur en nullité dans ses observations du 25 juillet 2017, dont la chambre de recours n’a pas tenu compte parce qu’elles étaient tardives (points 19 à 23 de la décision attaquée). En outre, le fait que les demandes en nullité ayant donné lieu auxdits arrêts avaient été retirées à la suite du prononcé de ceux-ci n’a pas d’incidence sur le caractère définitif de ces arrêts, de sorte que la chambre de recours pouvait, voire devait, en application de la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus ainsi que de l’arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma (C‑564/16 P, EU:C:2018:509, points 60, 61, 66 et 76 et jurisprudence citée), en tenir compte, d’autant plus que ces arrêts concernaient deux marques quasi identiques à la marque contestée et que le demandeur en nullité avait fait référence à ces affaires tant dans sa demande en nullité que dans ses observations devant la division d’annulation.

42      En effet, dans les arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), les deux marques en cause étaient composées, à l’instar de la marque contestée, par un motif régulier de carrés alternant deux couleurs et reprenant la composition d’un damier, ainsi que par une structure à trame et à chaine à l’intérieur desdits carrés. Comme l’a confirmé la requérante lors de l’audience, la seule différence perceptible entre les deux marques en cause dans lesdits arrêts et la marque contestée réside dans les couleurs utilisées : tandis que les marques en cause dans ces arrêts alternaient, respectivement le marron et le beige (arrêt du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215) et le gris clair et le gris foncé (arrêt du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), la marque contestée, dénommée « Damier Azur », alterne le bleu et le beige. Cette seule différence perceptible n’est toutefois pas susceptible de priver de pertinence les arrêts susmentionnés en l’espèce. En effet, d’une part, la requérante ne relève aucune différence entre les marques concernées autre que celle relative aux couleurs. D’autre part, et en tout état de cause, il s’agit, pour toutes les marques concernées, d’une combinaison alternant deux couleurs, l’une claire et l’autre foncée, ce qui relève de la nature même d’un motif à damier. Par ailleurs, comme le relève la division d’annulation, en ce qui concerne l’aspect visuel, la combinaison de couleurs de la marque contestée n’est pas particulièrement frappante. Enfin, les marques en cause dans ces arrêts visaient des produits de la classe 18 très similaires à ceux couverts par la marque contestée. Partant, la requérante ne saurait reprocher à la chambre de recours d’avoir fait référence auxdits arrêts dans la décision attaquée.

43      Troisièmement, doit également être écarté l’argument de la requérante par lequel elle reproche à la chambre de recours de ne pas avoir apprécié le caractère distinctif intrinsèque de la marque contestée au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de celle-ci, à savoir en 2008. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 18 ci-dessus, dans la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que c’était un fait notoire que le motif à damier était une figure qui avait « toujours » existé, et que la marque contestée coïncidait avec le modèle « traditionnel » d’un tel motif (voir, décision attaquée, points 70 et 73).

44      Enfin, la requérante fait valoir que la définition de la notion de « fait notoire » retenue dans la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus est trop extensive. Selon elle, à tout le moins dans une procédure de nullité, cette notion doit uniquement couvrir les faits susceptibles d’être connus par toute personne, et non ceux qui peuvent l’être via des « sources généralement accessibles ». À cet égard, et sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur le bien-fondé de cet argument, il suffit de constater que la requérante se borne à l’invoquer de façon abstraite sans expliquer l’incidence de celui-ci sur la légalité de la décision attaquée.

45      Il s’ensuit que le premier grief du premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur la prétendue violation du principe d’égalité des armes, du droit à un procès équitable et des droits de la défense de la requérante

46      Par son second grief, la requérante soutient que, en s’appuyant sur de prétendus faits notoires au lieu de se limiter à l’examen des preuves fournies par le demandeur en nullité, la chambre de recours aurait méconnu le principe d’égalité des armes.

47      En particulier, la chambre de recours aurait violé ce principe, ainsi que le droit à un procès équitable et les droits de la défense de la requérante, en se fondant, au point 70 de la décision attaquée, sur les observations tardives et irrecevables présentées par le demandeur en nullité devant la chambre de recours le 25 juillet 2017 et sur les arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), pour conclure que le motif à damier avait toujours existé et été utilisé dans le secteur des arts décoratifs.

48      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

49      Premièrement, l’allégation de la requérante selon laquelle la chambre de recours se serait fondée sur les observations du 25 juillet 2017, alors qu’elle les aurait écartées elle-même parce qu’elles étaient tardives, manque en fait. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 41 ci-dessus, le constat opéré par la chambre de recours au point 70, seconde phrase, de la décision attaquée était fondé sur un fait notoire ayant fait l’objet des arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), et non sur des arguments présentés par le demandeur en nullité dans ses observations du 25 juillet 2017.

50      Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours ne pouvait pas se fonder, au point 70 de la décision attaquée, sur les arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris (T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214), et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige (T‑359/12, EU:T:2015:215), doit aussi être rejeté pour les motifs exposés aux points 41 et 42 ci-dessus. En outre, selon la jurisprudence, la chambre de recours peut soulever, pour la première fois, des faits notoires, sans que cela soit contraire au principe d’égalité des armes (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2018, RAISE, T‑463/17, non publié, EU:T:2018:249, points 21 et 30).

51      Pour le reste, les arguments de la requérante se recoupent, en substance, avec ceux déjà rejetés dans le cadre du premier grief du premier moyen. Ainsi, pour les motifs déjà exposés aux points 21 à 29 ci-dessus, la requérante ne saurait reprocher à la chambre de recours d’avoir enfreint le principe d’égalité des armes du simple fait d’avoir pris en considération des faits notoires.

52      Par conséquent, le second grief du premier moyen doit également être rejeté comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question, soulevée par la requérante, de savoir si l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’appliquent aux procédures de nullité devant l’EUIPO.

53      Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen

54      Au soutien de son second moyen, tiré de l’appréciation erronée par la chambre de recours du caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée, la requérante avance, en substance, deux griefs, par lesquels elle fait valoir que la décision attaquée est contraire, d’une part, à l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, et à l’arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services (C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596), et, d’autre part, aux règles relatives à la charge de la preuve, au principe d’égalité des armes et au droit à un procès équitable.

55      Il y a lieu d’examiner, d’abord, le premier grief du second moyen.

56      La requérante soutient, en substance, que, conformément à l’arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services (C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596), la chambre de recours était obligée de faire une appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve qu’elle avait produits afin de déterminer si lesdites preuves, prises dans leur ensemble, pouvaient établir l’acquisition d’un caractère distinctif par la marque contestée grâce à son usage dans l’ensemble de l’Union. Or, en dépit du fait que la requérante avait présenté un grand nombre de preuves devant l’EUIPO pendant la procédure administrative couvrant l’ensemble de l’Union ainsi que chacun des États membres qui en faisaient partie en 2008, la chambre de recours n’aurait, à tort, examiné que certaines des preuves présentées, à l’exclusion d’autres, et conclu ainsi au défaut de caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée sur la base uniquement d’une partie des preuves présentées.

57      En particulier, dans la décision attaquée, la chambre de recours aurait, tout d’abord, divisé les États membres de l’Union en trois groupes. Ensuite, la chambre de recours aurait, à tort, limité son analyse à certaines preuves concernant spécifiquement les États membres du groupe 3 et conclu que celles-ci ne permettaient pas, séparément ou dans leur ensemble, de démontrer qu’une part significative du public visé, au sein de ces États membres, identifiait les produits en cause comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque contestée. Enfin, la chambre de recours aurait constaté que, étant donné que la marque contestée n’avait pas de caractère distinctif acquis par l’usage dans les États membres du groupe 3, il n’y avait pas lieu de poursuivre l’examen en ce qui concerne les États membres du groupe 1 et ceux du groupe 2.

58      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Il relève, en substance, que la chambre de recours pouvait, à bon droit, limiter son analyse à certaines preuves concernant spécifiquement les États membres du groupe 3, sans qu’il fût nécessaire d’examiner les autres éléments de preuve fournis par la requérante. En effet, la requérante ayant fondé, dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO, sa constatation selon laquelle la marque contestée aurait acquis un caractère distinctif par l’usage dans les États membres du groupe 3 sur une extrapolation, la chambre de recours aurait correctement vérifié dans la décision attaquée si les preuves présentées à l’égard desdits États membres pouvaient servir de base à une telle extrapolation. En tout état de cause, les conditions d’une telle extrapolation ne seraient pas réunies en l’espèce, car les preuves présentées par la requérante en ce qui concerne les États membres du groupe 3 ne permettraient de tirer aucune conclusion sur la perception de la marque contestée par le public pertinent dans ces États membres.

59      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, selon l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, lorsqu’une marque de l’Union a été enregistrée contrairement, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lequel prévoit que sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif intrinsèque, elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l’usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée. Selon l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, le paragraphe 1, sous b), de ce même article n’est pas applicable si la marque a acquis, pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

60      Ainsi, l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 vise les marques dont l’enregistrement était contraire, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 et qui, en l’absence d’une telle disposition, auraient dû être annulées, en application de l’article 59, paragraphe 1, du règlement 2017/1001. L’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 a, précisément, comme objectif de maintenir l’enregistrement des marques qui, en raison de l’usage qui en a été fait, ont, entre-temps, c’est-à-dire après leur enregistrement, acquis un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elles ont été enregistrées, malgré la circonstance que cet enregistrement, au moment où il est intervenu, était contraire à l’article 7 du règlement 2017/1001 (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 82 et jurisprudence citée, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 82 et jurisprudence citée).

61      Ensuite, il y a lieu de souligner que la charge de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage en application de l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, et de l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, repose sur le titulaire de la marque en cause [voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Stada Arzneimittel/EUIPO (Représentation de deux arches opposées), T‑804/17, non publié, EU:T:2019:218, point 49 et jurisprudence citée].

62      Selon la jurisprudence, pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, l’autorité compétente doit procéder à un examen concret et apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné comme provenant d’une entreprise déterminée (voir arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 40 et jurisprudence citée).

63      À cet égard, il convient de prendre en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque, les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles ainsi que les sondages d’opinions (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 90 et jurisprudence citée, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 90 et jurisprudence citée).

64      Par ailleurs, l’acquisition du caractère distinctif d’une marque peut résulter de son usage en combinaison avec une autre marque enregistrée ou en tant que partie de celle-ci. Il importe également de rappeler que l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, et l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement ne font pas de distinction selon la nature des signes en cause, les couleurs ou les combinaisons de couleurs pouvant en elles-mêmes acquérir, pour les produits ou les services pour lesquels est demandé l’enregistrement, un caractère distinctif du fait de l’usage qui en a été fait [voir arrêt du 28 octobre 2009, BCS/OHMI – Deere (Combinaison des couleurs verte et jaune), T‑137/08, EU:T:2009:417, points 27 et 28 et jurisprudence citée].

65      Enfin, en ce qui concerne l’étendue géographique de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, la marque de l’Union a un caractère unitaire et produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union. Il résulte du caractère unitaire de la marque de l’Union que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, dans l’ensemble de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, point 68).

66      Ainsi, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, que si la preuve était rapportée qu’il a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union dans laquelle il n’avait pas ab initio un tel caractère, au sens du paragraphe 1, sous b), du même article. Il s’ensuit que, s’agissant d’une marque dépourvue de caractère distinctif ab initio dans l’ensemble des États membres, une telle marque ne peut être enregistrée en vertu de cette disposition que s’il est démontré qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

67      À cet égard, la Cour a précisé que, s’il est vrai que l’acquisition, par une marque, d’un caractère distinctif par l’usage doit être démontrée pour la partie de l’Union dans laquelle cette marque n’avait pas ab initio un tel caractère, il serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit apportée pour chaque État membre pris individuellement (arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI, C‑98/11 P, EU:C:2012:307, point 62).

68      Dans ce contexte, la Cour a mis en exergue la distinction entre, d’une part, les faits qui doivent être prouvés, à savoir l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage par un signe dépourvu d’un tel caractère intrinsèque, et, d’autre part, les moyens de preuve susceptibles de démontrer ces faits. En effet, aucune disposition du règlement 2017/1001 n’impose d’établir par des preuves distinctes l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans chaque État membre pris individuellement (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 79 et 80).

69      Ainsi, il est possible que des éléments de preuve de l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage présentent une pertinence en ce qui concerne plusieurs États membres, voire l’ensemble de l’Union. Notamment, il est possible que, pour certains produits ou services, les opérateurs économiques aient regroupé plusieurs États membres au sein du même réseau de distribution et aient traité ces États membres, en particulier du point de vue de leurs stratégies marketing, comme s’ils constituaient un seul et même marché national. Dans cette hypothèse, les éléments de preuve de l’usage d’un signe sur un tel marché transfrontalier sont susceptibles de présenter une pertinence pour tous les États membres concernés. Il en ira de même lorsque, en raison de la proximité géographique, culturelle ou linguistique entre deux États membres, le public pertinent du premier possède une connaissance suffisante des produits ou des services présents sur le marché national du second (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 80 à 82).

70      Dans ce contexte, la Cour a jugé que, s’il n’est pas nécessaire, aux fins de l’enregistrement, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, d’une marque dépourvue ab initio de caractère distinctif dans l’ensemble des États membres de l’Union, que la preuve soit apportée, pour chaque État membre pris individuellement, de l’acquisition par cette marque d’un caractère distinctif par l’usage, les preuves apportées doivent permettre de démontrer une telle acquisition dans l’ensemble des États membres de l’Union. En effet, dans le cas d’une marque qui ne possède pas un caractère distinctif intrinsèque dans l’ensemble de l’Union, le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque doit être démontré dans l’ensemble de ce territoire, et non seulement dans une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union, de sorte que, bien qu’une telle preuve puisse être rapportée de façon globale pour tous les États membres concernés ou bien de façon séparée pour différents États membres ou groupes d’États membres, il n’est en revanche pas suffisant que celui à qui en incombe la charge se borne à produire des éléments de preuve d’une telle acquisition qui ne couvriraient pas une partie de l’Union, même consistant en un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 83 et 87).

71      Le juge de l’Union a aussi précisé que, bien qu’il faille établir que la marque contestée a acquis un caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union, il n’est nullement exigé que les mêmes types d’éléments de preuve soient apportés pour chaque État membre (voir arrêt du 28 octobre 2009, Combinaison des couleurs verte et jaune, T‑137/08, EU:T:2009:417, point 39 et jurisprudence citée).

72      Il convient également de préciser que, conformément aux dispositions de l’article 209, paragraphes 1 et 4, du règlement 2017/1001, la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage ne doit être rapportée que dans les États qui étaient membres de l’Union à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier gris, T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 81, et du 21 avril 2015, Représentation d’un motif à damier marron et beige, T‑359/12, EU:T:2015:215, point 81).

73      C’est au vu de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments avancés par la requérante.

74      À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante a présenté de nombreuses preuves devant l’EUIPO pendant la procédure administrative. Dans ce cadre, elle a argué que l’ensemble de ces preuves démontrait que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble de l’Union, y compris dans les États membres du groupe 3, et que la division d’annulation avait commis des erreurs dans l’appréciation individualisée ainsi que globale de ces preuves. Les 68 pièces relatives au caractère distinctif acquis par l’usage présentées devant l’EUIPO étaient les suivantes :

–        Pièces n°s 1 à 4 (ci-après le « premier groupe de pièces ») : extraits des classements BrandZ, Interbrand et Eurobrand des marques ayant le plus de valeur et de dynamisme, avec des données au niveau mondial et européen, ainsi que les parts de marché en ce qui concerne les sacs et les bagages (produits relevant de la classe 18), avec des données pour l’Europe de l’Ouest et pour l’Europe de l’Est. Comme l’avait expliqué la requérante dans le mémoire exposant les motifs de son recours contre la décision de la division d’annulation, ces documents visaient à démontrer qu’elle était une des entreprises du secteur des produits de luxe les plus connues dans le monde ainsi qu’un des acteurs les plus importants du secteur de la maroquinerie dans le marché de l’Union. La requérante avait soutenu, en outre, que la chambre de recours devrait analyser ces pièces de manière globale en lien avec toutes les autres preuves qu’elle avait présentées.

–        Pièces n°s 5 à 46 (ci-après le « deuxième groupe de pièces ») : ces documents comprennent, notamment, les chiffres de vente et une sélection de factures de produits de la classe 18 portant la marque contestée ; des extraits de catalogues et de brochures de la requérante montrant des produits de la classe 18 portant la marque contestée ; des informations relatives à des campagnes publicitaires concernant des produits de la classe 18 portant la marque contestée, diffusées notamment dans des magazines de mode réputés tels que Marie-Claire, Madame Figaro, Vanity Fair, Glamour, Harper’s Bazaar, Elle, GQ, Uomo Vogue, Hola ! ou Vogue, ainsi que sur Internet ; des coupures de presse montrant des images de produits de la classe 18 portant la marque contestée ; des rapports établis par LexisNexis et Sprinklr relatifs au nombre de références faites au mot-clé « Damier Azur » sur des réseaux sociaux tels que Twitter et Instagram ; et des images de célébrités telles que Paris Hilton, Victoria Beckham, Rihanna, Eva Mendes, Cameron Diaz, Reese Witherspoon, Kanye West ou Akon, portant des produits relevant de la classe 18 revêtus de la marque contestée. Comme l’avait expliqué la requérante dans le mémoire exposant les motifs de son recours contre la décision de la division d’annulation, ces documents visaient à démontrer l’usage intensif, géographiquement étendu et de longue durée de la marque contestée dans l’ensemble de l’Union, ainsi que les investissements substantiels qu’elle avait réalisés pour promouvoir celle-ci. La requérante avait soutenu, en outre, que ces pièces démontraient que le public pertinent avait été fortement exposé à la marque contestée, en ce qui concerne les produits de la classe 18, et permettaient de déduire que la marque contestée était amplement reconnue dans l’ensemble de l’Union comme étant l’une de ses marques. Enfin, la requérante avait argué que ces pièces étaient corroborées par les autres preuves versées au dossier, notamment par les pièces n°s 47 à 59 et 62 à 65.

–        Pièces n°s 47 à 59, 61 à 65, 68 et 69 : ces documents comprennent, notamment, des déclarations d’organismes indépendants d’experts en propriété intellectuelle et en mode, de concurrents et d’autorités publiques, en provenance de différents États membres, des sondages visant à déterminer si le public pertinent associe la marque contestée à la requérante couvrant plusieurs États membres et des informations relatives à un certain nombre de saisies de produits de contrefaçon portant la marque contestée effectuées dans différents États membres. Comme l’avait expliqué la requérante dans le mémoire exposant les motifs de son recours contre la décision de la division d’annulation, ces documents visaient à démontrer que le public pertinent l’associait à la marque contestée. La requérante avait soutenu que ces pièces démontraient le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée et avaient une « valeur de corroboration élevée » dans le cadre de l’appréciation globale des éléments de preuve qu’elle avait présentés.

–        Pièces n°s 60 et 66 : ces pièces comprenaient des données de l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) relatives à la population de l’Union et des statistiques sur le trafic de passagers à l’aéroport de Heathrow (Royaume-Uni). Comme l’avait expliqué la requérante dans le mémoire exposant les motifs de son recours contre la décision de la division d’annulation, ces documents visaient à démontrer qu’une grande partie de la population dans l’Union avait pu être exposée à la marque contestée. La requérante avait souligné que ces pièces étaient d’une grande importance dans le cadre de l’appréciation globale des éléments de preuve qu’elle avait présentés.

75      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a divisé les États membres en trois groupes, comme suit : le groupe 1, comprenant l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Suède, pour lesquels la requérante avait présenté notamment des sondages d’opinion démontrant, selon elle, que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage ; le groupe 2, comprenant l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal et la République tchèque, pour lesquels, selon la requérante, il était possible de tirer la même conclusion sur la base d’une extrapolation des résultats des sondages susmentionnés ; et le groupe 3, comprenant la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Slovénie et la Slovaquie, dont la population ne représente que 4 % de la population de l’Union et dans lesquels la requérante n’avait pas de boutiques, mais pour lesquels il était raisonnable de supposer qu’une part significative du public pertinent identifierait les produits en cause portant la marque contestée comme émanant de la requérante.

76      Ensuite, après avoir rappelé que si la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage ne couvrait pas une partie de l’Union, même consistant en un seul État membre, elle ne saurait être considérée comme suffisante aux fins de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, la chambre de recours a décidé de n’évaluer que certaines preuves mentionnant spécifiquement les États membres du groupe 3. Sans expliquer les raisons pour lesquelles elle a considéré que toutes les autres preuves étaient dépourvues de pertinence aux fins de cette évaluation, la chambre de recours s’est limitée à analyser certaines des preuves comprises dans seulement 8 des 68 pièces décrites au point 74 ci-dessus. En particulier, elle a examiné, dans cet ordre, les preuves suivantes :

–        pièce n° 50 : deux lettres provenant d’un organisme indépendant estonien d’experts en propriété intellectuelle (à savoir le Estonian Intellectual Property and Technology Transfer Centre) et d’un magazine estonien (à savoir Cosmopolitan Estonia) concernant la perception de la marque contestée par le public pertinent en Estonie (points 108 à 115 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 7 : une sélection de factures de produits relevant de la classe 18 et portant la marque contestée, correspondant à des ventes réalisées à des clients ayant leurs adresses en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, à Malte, en Slovénie et en Slovaquie (points 116 à 119 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 66 : des statistiques sur le trafic de passagers à l’aéroport de Heathrow entre les années 2005 et 2015 (points 120 et 121 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 41 : des déclarations de représentants légaux de magazines concernant la distribution, en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, à Malte, en Slovénie et en Slovaquie, de magazines contenant des annonces de produits relevant de la classe 18 portant la marque contestée (points 122 et 123 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 42 : des statistiques sur le pourcentage de personnes utilisant Internet au niveau mondial, y compris dans les États membres du groupe 3 (point 124 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 44 : un rapport préparé par LexisNexis sur l’utilisation de l’expression « Damier Azur » sur les réseaux sociaux tels que Twitter, en indiquant qu’il n’était pas aisé de déterminer combien de références renvoyaient à la Bulgarie, à Malte et à la Slovaquie et qu’aucune mention n’était faite aux autres États membres du groupe 3 (point 125 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 46 : des photographies de célébrités portant des produits relevant de la classe 18 revêtus de la marque contestée (point 126 de la décision attaquée) ;

–        pièce n° 61 : une déclaration délivrée par le juriste en propriété intellectuelle de la requérante sur des produits de contrefaçon saisis dans plusieurs États membres, notamment en Bulgarie et en Slovénie (points 127 et 128 de la décision attaquée).

77      En estimant qu’aucune de ces preuves, individuellement ou conjointement, ne saurait démontrer qu’une part significative du public visé, au sein des États membres du groupe 3, identifiait les produits en cause de la classe 18 comme provenant d’une entreprise déterminée en raison de la présence de la marque contestée sur ces produits, la chambre de recours a conclu au défaut de caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque.

78      Dans ces conditions, il convient d’examiner si, en procédant de la sorte, la chambre de recours s’est conformée à la jurisprudence citée aux points 59 à 72 ci-dessus.

79      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, la chambre de recours ayant conclu à bon droit que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque dans l’ensemble de l’Union, il incombait à la requérante de démontrer que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble des États membres de l’Union, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 59 à 72 ci-dessus.

80      Dès lors, la chambre de recours pouvait, pour des raisons d’économie de procédure, limiter son analyse aux États membres du groupe 3, en ce sens que, si elle devait considérer que les preuves présentées par la requérante, considérées globalement, ne suffisaient pas à démontrer l’existence d’un caractère distinctif acquis par l’usage dans ces États membres, elle pouvait conclure au défaut de caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée au sens de l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 et de l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, sans qu’il soit nécessaire d’analyser si la marque contestée avec acquis un tel caractère dans les autres États membres de l’Union.

81      Toutefois, en choisissant d’examiner seulement une petite partie des preuves présentées par la requérante et de faire ainsi abstraction de l’ensemble des nombreuses autres preuves, et cela sans fournir la moindre explication quant à ce choix, la chambre de recours a commis une erreur de droit en effectuant une appréciation partielle des éléments de preuve versés au dossier devant elle.

82      En effet, il peut être déduit de la décision attaquée que la chambre de recours a isolé les éléments de preuve qui mentionnaient expressément tel ou tel État membre du groupe 3 et n’a examiné que ceux-ci, en écartant donc tous les autres éléments de preuve sans aucune évaluation de ces derniers. Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux points 69 et 70 ci-dessus, les éléments de preuve du caractère distinctif acquis par l’usage peuvent concerner de façon globale tous les États membres ou un groupe d’États membres. Certains éléments de preuve peuvent, par conséquent, présenter une pertinence en ce qui concerne plusieurs États membres voire l’ensemble de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 80 et 87).

83      À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner qu’aucune disposition du règlement 2017/1001 n’impose d’établir par des preuves distinctes l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans chaque État membre pris individuellement et qu’il serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit apportée pour chaque État membre séparément (voir la jurisprudence citée aux points 67 et 68 ci-dessus).

84      Il s’ensuit que la chambre de recours était tenue, au vu des arguments de la requérante, de procéder à une appréciation globale de tous les éléments de preuve pertinents présentés par la requérante, qu’ils fassent référence à l’Union dans son ensemble, à des groupes d’États membres comprenant des États membres du groupe 3 ou, plus concrètement, à tel ou tel État membre du groupe 3.

85      Or, en l’espèce, comme le fait valoir à juste titre la requérante, certaines preuves contenues dans les pièces dont la chambre de recours n’a pas tenu compte dans la décision attaquée étaient susceptibles d’être pertinentes aux fins de l’appréciation du caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée, y compris dans les États membres du groupe 3.

86      Ainsi, premièrement, à titre d’exemple, la chambre de recours n’a analysé aucun des éléments de preuve appartenant au premier groupe de pièces, lesquelles, comme l’avait relevé la requérante devant la chambre de recours, visaient à démontrer qu’elle était une des entreprises du secteur des produits de luxe les plus connues dans le monde ainsi qu’un des acteurs les plus importants du secteur de la maroquinerie dans le marché de l’Union. Il ressort de la pièce n° 4, par exemple, que, pendant les années 2008 à 2014, la requérante était le plus important vendeur de sacs et de bagages (produits relevant de la classe 18) en Europe de l’Ouest, et le deuxième plus important en Europe de l’Est.

87      Deuxièmement, la chambre de recours n’a pas non plus examiné la plupart des éléments de preuve relevant du deuxième groupe de pièces, lesquels, comme l’avait relevé la requérante devant la chambre de recours, visaient à démontrer l’usage intensif, géographiquement étendu et de longue durée de la marque contestée dans l’ensemble de l’Union, ainsi que les investissements substantiels réalisés par la requérante pour promouvoir celle-ci. Ainsi, par exemple, la chambre de recours n’a pas analysé les pièces n°s 11 à 13 et 16 à 22, lesquelles contiennent, notamment, des extraits de catalogues, de brochures et d’annonces de la requérante montrant la marque contestée sur des produits relevant de la classe 18. Elle n’a pas analysé, non plus, la pièce n° 40, laquelle contient des extraits de sites Internet slovaques en langue slovaque, contenant des annonces de produits portant la marque contestée, étant précisé que la Slovaquie est un État membre du groupe 3, ni la pièce n° 43, laquelle contient les résultats d’une recherche sur Google utilisant le mot-clef « Damier Azur ». La chambre de recours s’est aussi abstenue d’analyser la pièce n° 45, laquelle contient un rapport préparé par Sprinklr sur l’utilisation de l’expression « Damier Azur » sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram. Comme l’avait relevé la requérante devant la chambre de recours, ce rapport montre, notamment, que les images qui accompagnent le plus souvent l’expression « Damier Azur » sur Instagram sont des images de ses produits et que cette expression est utilisée le plus souvent par des vendeurs de faux produits de la requérante ou de produits d’occasion de celle-ci.

88      Troisièmement, le regroupement des États membres du groupe 3 dans une seule catégorie était dû uniquement au fait que la requérante ne possédait pas de boutiques implantées dans ces États membres. Ainsi que la requérante l’avait expliqué devant la chambre de recours, elle ne disposait pas de boutiques dans chacun des États membres de l’Union, sa stratégie marketing reposant sur l’implantation de ses boutiques dans des lieux de haute visibilité, tels que les parties les plus centrales et les plus touristiques des grandes villes et les aéroports, sur le positionnement de la marque dans le segment de luxe, ainsi que sur l’exposition du public pertinent à la marque contestée par d’autres moyens, tels que la publicité dans des revues de mode renommées ou, plus généralement, la promotion par des célébrités ou des influenceurs mondialement ou localement célèbres. Lors de l’audience, la requérante a précisé qu’elle suivait ainsi une stratégie de distribution sélective. Dans ces circonstances, et étant précisé que la stratégie marketing de l’entreprise concernée est un critère pertinent au sens de la jurisprudence citée au point 69 ci-dessus, la chambre de recours devait examiner soigneusement et globalement tous les éléments de preuve relatifs à l’usage de la marque contestée, notamment sur Internet. En effet, de nos jours, le fait de ne pas disposer de boutique physique dans tel ou tel État membre n’empêche pas nécessairement le public pertinent dans cet État membre de se familiariser et de reconnaître la marque en cause comme provenant du titulaire de celle-ci, en visualisant celle-ci, ainsi que l’a relevé la requérante devant la chambre de recours, sur des sites Internet ainsi que sur les réseaux sociaux généralement accessibles partout dans l’Union, dans des catalogues ou des brochures électroniques, grâce à la publicité en ligne par des célébrités ou des influenceurs mondialement ou localement connus ou dans les boutiques situées dans les parties les plus centrales et les plus touristiques des grandes villes et les aéroports.

89      Or, dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est limitée, aux points 124 à 126 de celle-ci, à critiquer trois éléments de preuve concernant l’usage de la marque contestée sur Internet, pris isolément et sans égard aux autres éléments de preuve susceptibles de compléter l’image que la marque contestée s’était créée sur des sites Internet généralement accessibles. Ainsi, elle a non seulement fait abstraction d’autres éléments de preuve concernant l’usage de la marque contestée sur Internet, tels que, par exemple, les pièces n°s 43 et 45 concernant des sites populaires telles que Google et Instagram, mais a également omis d’examiner ceux-ci de manière globale, en rapport les uns avec les autres, ainsi qu’avec tous les autres éléments de preuve concernant l’usage de la marque contestée, par exemple dans des magazines de mode tels que Marie-Claire, Vanity Fair, Glamour, Harper’s Bazaar, Elle et Vogue.

90      Quatrièmement, la requérante a présenté plusieurs éléments de preuve concernant des produits de contrefaçon saisis ou commercialisés dans plusieurs États membres, dont la Bulgarie, la Slovénie, la Hongrie, la France, le Danemark, la République tchèque, le Royaume-Uni et l’Italie. À cet égard, la chambre de recours s’est bornée à indiquer, au point 128 de la décision attaquée, que ces éléments de preuve « ne montr[ai]ent pas seulement la marque contestée mais concern[ai]ent une imitation intégrale des produits de la titulaire de l’[enregistrement international] » et n’étaient dès lors pas « capable(s) de démontrer qu’une part significative du public visé, en Bulgarie et en Slovénie ou dans tout autre État membre du groupe 3, identifi[ait] les produits relevant de la classe 18 comme provenant d’une entreprise déterminée en raison de la marque contestée elle-même ».

91      Toutefois, il y a lieu de relever, à l’instar de la requérante, que la chambre de recours ne pouvait pas nier la pertinence de ces éléments de preuve sur la base d’un tel constat, étant donné, d’une part, que ces éléments de preuve contiennent, notamment, des déclarations d’autorités publiques concernant l’existence de saisies de produits de contrefaçon portant la marque contestée ainsi que de procédures judiciaires condamnant des individus pour avoir utilisé, de manière illicite, la marque contestée (voir, par exemple, les pièces n° 62 à 65), et, d’autre part, que, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 64 ci-dessus, l’acquisition du caractère distinctif d’une marque peut résulter de son usage en combinaison avec une autre marque enregistrée, la chambre de recours ayant indiqué, au point 107 de la décision attaquée, qu’elle analyserait les éléments de preuve présentés par la requérante sans établir de distinction entre les éléments renvoyant à la marque contestée prise isolément ou conjointement avec une autre marque de la requérante.

92      Par ailleurs, il n’est, certes, pas certain, comme le relève la chambre de recours, que des produits de contrefaçon saisis dans un État membre seraient mis sur le marché dans cet État membre. Cependant, il en va de même pour les produits saisis dans des États membres autres que ceux appartenant au groupe 3, comme par exemple les produits de contrefaçon mentionnés dans la pièce n° 61 ainsi que ceux mentionnés dans les pièces n°s 63 à 65 et 68, lesquels pourraient donc être mis sur le marché dans des États membres du groupe 3. Cette circonstance plaide davantage en faveur d’une appréciation globale des éléments de preuve présentés par la requérante.

93      Enfin, l’appréciation isolée faite par la chambre de recours des seuls éléments de preuve mentionnant explicitement les États membres du groupe 3 peut être illustrée par la manière dont la chambre de recours a examiné les éléments de preuve concernant l’Estonie. À cet égard, la chambre de recours n’a évalué que les éléments de preuve qui faisaient expressément référence à cet État membre, à savoir les pièces n°s 7 (sélection de factures de produits relevant de la classe 18 et portant la marque contestée, correspondant à des ventes réalisées à des clients ayant leurs adresses en Estonie), 41 (déclarations de représentants légaux de magazines tels que Marie-Claire et Vogue concernant la distribution, en Estonie, de magazines contenant des annonces de produits relevant de la classe 18 portant la marque contestée, y compris, par exemple, 13 000 copies d’un numéro du magazine Marie-Claire en décembre 2008) et 50 (lettres provenant d’un organisme indépendant estonien d’experts en propriété intellectuelle, à savoir le Estonian Intellectual Property and Technology Transfer Centre, et d’un magazine estonien, à savoir Cosmopolitan Estonia, indiquant que, d’après eux, le public estonien percevait la marque contestée comme une indication de l’origine commerciale des produits).

94      Or, même dans l’hypothèse où aucune de ces preuves, prises isolément, ne serait suffisante pour démontrer que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage en Estonie, il n’en demeure pas moins que la chambre de recours n’a à aucun moment apprécié l’ensemble des éléments de preuve concernant spécifiquement l’Estonie, conjointement avec les éléments de preuve concernant l’Union dans son ensemble ou une région de l’Union (par exemple l’Europe de l’Est) pouvant également être pertinents pour l’Estonie.

95      Il ressort de tout ce qui précède que, en s’abstenant d’effectuer une appréciation globale des éléments de preuve pertinents présentés par la requérante, la chambre de recours a violé l’article 59, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 et la jurisprudence mentionnée aux points 59 à 72 ci-dessus.

96      Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le premier grief du second moyen comme fondé et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second grief du second moyen soulevé par la requérante.

 Sur les dépens

97      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

98      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 22 novembre 2018 (affaire R 274/2017-2) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juin 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.