Language of document : ECLI:EU:T:1999:329

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

15 décembre 1999 (1)

«Fonctionnaires — Maladie professionnelle — Exposition à l'amiante et à d'autres substances — Taux d'invalidité permanente partielle — Irrégularité de l'avis de la commission médicale»

Dans l'affaire T-27/98,

Albert Nardone, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Piétrain (Belgique), représenté par Mes Georges Vandersanden et Laure Levi, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire, 2-4, rue Beck,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Julian Currall, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Jean-Luc Fagnart, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation de la décision de la Commission du 29 mai 1997 relative à la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle du requérant, fixant à 6 % son taux d'invalidité permanente partielle,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. Potocki, président, C. W. Bellamy, A. W. H. Meij, juges,

greffier: H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 24 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique, faits et procédure

1.
    L'article 73, paragraphe 1, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») prévoit que le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d'accident. Aux termes de l'article 73, paragraphe 2, sous b) et sous c), du statut, la prestation garantie est constituée, en cas d'invalidité permanente totale, par un capital égal à huit fois le traitement de base annuel de l'intéressé calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédant l'accident et, en cas d'invalidité permanente partielle (ci-après «IPP»), par une partie de ce capital, calculée sur la base du barème fixé par la réglementation prévue à l'article 73, paragraphe 1, du statut.

2.
    La réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «réglementation») fixe, en exécution de l'article 73 du statut, les conditions dans lesquelles le fonctionnaire est couvert contre lesdits risques.

3.
    Le requérant est né le 15 février 1939. Il a travaillé auprès de la Haute Autorité de la CECA, à Luxembourg, de 1963 à 1970. En 1971, il est entré au service de la Commission, à Bruxelles, pour exercer les fonctions de chef de l'atelier de serrurerie. Son poste de travail se trouvait au premier sous-sol, puis à l'entresol du bâtiment Berlaymont. Dans ses notes des 17 septembre 1971, 14 mai et 24 juin 1974, le Dr Romain, médecin-conseil de la Commission, a fait état des «conditions sanitaires lamentables de ce local», en raison de la présence d'«une quantité absolument anormale de poussières [qui n'étaient] pas produites par les travaux effectués». Le requérant a démissionné en 1981.

4.
    Se plaignant, notamment, d'infections virulentes bronchiques, pulmonaires et nasales dont il aurait été atteint de 1971 à 1992, le requérant a introduit, le 14 avril 1994, une demande tendant à la reconnaissance, conformément à l'article 17, paragraphe 1, de la réglementation, de l'origine professionnelle de ses maladies. Il indiquait avoir été victime d'un «empoisonnement pulmonaire à l'asbeste» et demandait une réparation adéquate «couvrant la période de 1970 à 1992 pour les souffrances endurées à cause de ce que l'on a appelé bronchite [et] sinusite virulente, [...] la toux provoquée par cet empoisonnement, les souffrances dues aux interventions chirurgicales, le préjudice financier et matériel ainsi que les dommages corporels subis». Il invoquait, en particulier, des «douleurs dorsales persistantes et inexplicables qui peuvent être le commencement d'une fibrose pulmonaire, une diminution importante à l'effort pulmonaire et physique, des troubles de la vue, des troubles et des difficultés respiratoires», et affirmait que la poussière de l'atelier du bâtiment Berlaymont avait constitué «un terrain infectieux permanent qui a ruiné [sa] santé, a contribué au développement d'une arthrose généralisée et [lui] a volé un quart de siècle de sa courte vie».

5.
    Cette demande était accompagnée de plusieurs rapports médicaux (du Dr Reinecke, du 1er février 1979, qui diagnostiquait une bronchite chronique et un épaississement basal gauche, du Dr Raguse, du 22 décembre 1992, rédigé en langue allemande, concernant une hernie inguinale et évoquant la possibilité d'une asbestose débutante en raison de légères opacités au niveau basal gauche et pariétal, du Dr Gillard, du 7 mars 1994, faisant état de bronchites, de sinusites et d'un épaississement pleural au niveau de la base gauche), d'un rapport d'analyses minéralogiques de l'hôpital Erasme du 28 décembre 1993 et de documents administratifs.

6.
    Le requérant a fait parvenir, ultérieurement, à la Commission d'autres documents médicaux, dont la traduction en français du rapport du Dr Raguse, du 22 décembre 1992, le compte rendu de la résonance magnétique de l'encéphale, du 31 mars 1994, concluant à une sinusite bimaxillaire, établi par la clinique Edith Cavell, et le rapport du Pr Boutin, du 7 octobre 1994, constatant, notamment, l'existence de plaques pleurales (zones circonscrites de fibrose au niveau de la plèvre) fibro-hyalines bénignes et d'une anthracose nettement développée en périphérie de certains vaisseaux. Il a également transmis, le 18 mai 1995, la lettre du Dr Anthonissen, du 19 mars 1995, le rapport de l'hôpital Hart, daté du même jour, ainsi que celui du Pr Boutin, du 26 avril 1995. Ce dernier document indiquait que le requérant «se [plaignait] toujours de douleurs du côté gauche importantes en relation avec le rachis» et relevait que, «au niveau du rachis, il y [avait] des lésions radiologiques particulières et, au niveau pleural, on [avait] trouvé une symphyse [c'est-à-dire un accolement des deux feuillets de la plèvre] limitée dans le cul-de-sac pleural gauche dans la région axillaire [...] qui [entraînait] depuis longtemps déjà ses douleurs pleurales».

7.
    La Commission a procédé à une enquête, en application de l'article 17, paragraphe 2, de la réglementation, en vue de recueillir tous les éléments permettant d'établir la nature de l'affection, son origine professionnelle ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s'est produite, et a désigné le Dr Dalem pour établir les conclusions prévues par l'article 19 de ladite réglementation. Le Dr Dalem, dans un premier rapport en date du 18 mai 1995, indiquait que le requérant avait été exposé au cours de son travail à une «atmosphère empoussiérée anormale» et que l'origine professionnelle de l'infection pulmonaire devait être admise. Dans des rapports supplémentaires des 28 et 31 juillet 1995, il jugeait nécessaire de faire établir l'état fonctionnel pulmonaire de l'intéressé par le Pr De Coster et de recueillir l'avis du Dr Beckers, oto-rhino-laryngologiste, ainsi que celui d'un ophtalmologue, le Pr Zanen.

8.
    Dans son rapport du 9 septembre 1995, le Pr Zanen estimait que les troubles ophtalmiques du requérant n'étaient pas invalidants et n'avaient aucun lien avec une asbestose ou une sinusite chronique. Dans son rapport du 15 septembre 1995, le Pr De Coster, tout en admettant l'existence possible d'une bronchite chronique sur le plan clinique, excluait, sur le plan fonctionnel, une bronchopathie obstructive significative et constatait, par ailleurs, la présence de plaques pleurales hyalines entraînant des anomalies fonctionnelles minimes. Dans son rapport du 26 décembre 1995, le Dr Beckers indiquait que le requérant ne présentait aucun trouble oto-rhyno-laryngologique invalidant pouvant être mis en relation avec l'exposition à des poussières depuis 1972 et qu'il était atteint d'une légère pharyngite chronique assez banale et fréquente dans la population en général.

9.
    A la suite des avis émis par les trois médecins susvisés, le Dr Dalem concluait, dans son rapport général du 19 janvier 1996, à la présence de plaques pleurales dont, selon les termes du Pr De Coster, les conséquences fonctionnelles devaient être considérées comme minimes et fixait à 3 % le taux d'IPP correspondante.

10.
    Dans un rapport supplémentaire du 7 février 1996, le Dr Dalem précisait que la date de consolidation de ces plaques pleurales devait être fixée au 1er novembre 1978. Il se fondait sur le rapport susmentionné du Dr Reinecke du 1er février 1979 pour estimer que les plaques pleurales s'étaient développées au niveau de l'épaississement basal gauche diagnostiqué par ce dernier.

11.
    Sur la base de ces conclusions, la Commission a adressé au requérant, le 9 avril 1996, un projet de décision dans lequel elle reconnaissait l'origine professionnelle des «plaques pleurales dont le retentissement était qualifié de minime par le Pr De Coster» et proposait de lui verser un capital de 132 600 BFR, correspondant au taux d'IPP de 3 %.

12.
    Par lettre du 16 avril 1996, le requérant a contesté le taux d'IPP retenu et, conformément à l'article 21, deuxième alinéa, de la réglementation, a demandé l'avis de la commission médicale. Il indiquait souffrir d'asbestose, de problèmes ophtalmiques, de graves problèmes respiratoires et de douleurs permanentes dans

tout le corps. Il évoquait également son angoisse permanente d'être atteint d'un cancer, en raison de la concentration d'amiante dans sa plèvre (2,6 millions de fibres par gramme de tissu sec) et ses poumons (5,2 millions de fibres par gramme de tissu sec). Ces affections auraient provoqué une diminution constante de ses capacités physiques, rendant toute vie normale impossible.

13.
    Conformément à l'article 23 de la réglementation, afin de constituer la commission médicale, le requérant et la Commission ont désigné, respectivement, les Drs Willems et Dalem, lesquels ont choisi, d'un commun accord, le Dr Van Cutsem. Le 26 avril 1996, la Commission a adressé aux membres de la commission médicale un mandat type comportant, en annexe, un dossier administratif et un dossier médical contenant, notamment, les rapports médicaux qui accompagnaient la demande du 14 avril 1994 ainsi que les rapports du Pr Boutin du 7 octobre 1994, du Pr Zanen du 9 septembre 1995, du Pr De Coster du 15 septembre 1995, du Dr Beckers du 26 décembre 1995 et du Dr Dalem des 19 janvier et 7 février 1996.

14.
    Dans l'inventaire des pièces annexées au mandat, l'institution défenderesse a attiré expressément l'attention de la commission médicale sur le fait que, l'administration étant uniquement en mesure de transmettre les rapports médicaux qu'elle détient, «tout document ou renseignement d'ordre médical en possession de l'un [des membres de la commission médicale] et auquel il sera fait référence dans le rapport de la commission est à communiquer au préalable à ses deux autres confrères sous peine de voir les travaux de ladite commission frappés de vice de forme».

15.
    Dans ses lettres des 7 et 14 juin 1996 au Dr Dalem, le requérant a précisé qu'il était atteint de sinusite et de bronchite chroniques et d'une anthracose nettement développée.

16.
    Il a également transmis à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») et, d'après les réponses concordantes des parties aux questions du Tribunal, à la commission médicale lors de sa réunion du 11 septembre 1996 des avis médicaux supplémentaires, parmi lesquels figuraient les rapports du Dr Willems et du Dr Joppart du 7 juin 1996, du Pr Boutin du 28 juin 1996, ainsi que deux rapports du Dr Joseph en date du 29 août 1996.

17.
    Le Dr Joppart constatait, dans son rapport du 7 juin 1996, l'existence d'une sinusite et d'une bronchite chroniques. Il évaluait la perte de capacité fonctionnelle totale pour cause de troubles respiratoires à 30 %. Il soulignait que les épreuves fonctionnelles respiratoires ne rendaient pas bien compte du préjudice global envisagé à travers toutes les manifestations pathologiques dans ce domaine, y compris les complications à long terme. Dans son rapport du 28 juin 1996, le Pr Boutin observait, quant à lui, sur le plan spirométrique, une diminution de la capacité vitale à 84 % de la valeur limite inférieure de la moyenne et concluait à une diminution certaine de la fonction respiratoire. Il insistait, à cet égard, sur le

fait que le requérant était autrefois un grand sportif, de sorte que cette diminution était chez lui plus importante que chez un sujet qui n'a jamais pratiqué de sport à haut niveau. Il rappelait la présence d'une symphyse pleurale à gauche entraînant des douleurs pleurales. Il constatait également une symptomatologie fonctionnelle faite de toux et d'expectorations, d'inflammation bronchique, de douleurs pleurales gênantes, permanentes et anciennes, la présence de plaques pleurales asbestosiques bénignes avec anthracose pulmonaire, ainsi qu'un syndrome de bronchite et d'irritation chroniques, provoqué par l'inhalation de poussières diverses par l'intéressé au cours de son travail. Il considérait que le taux d'IPP du requérant devait être fixé à 15 %. Pour sa part, le Dr Joseph concluait, dans son premier rapport du 29 août 1996 concernant la sinusite chronique, à un taux d'invalidité de 10 % résultant de cette affection. Dans son second rapport du 29 août 1996, il relevait l'apparition d'une bronchite chronique et l'existence de plaques pleurales. Il estimait que, sur le plan de la symptomatologie subjective, il fallait tenir compte de l'apparition d'infections pulmonaires quatre à cinq fois par an, de la persistance d'une chaleur constante au niveau du poumon gauche entraînant des malaises fréquents et des poussées de température, de l'existence de douleurs pleurales constantes et lancinantes, d'une fatigue extrême, de l'apparition de troubles cardiaques au moindre effort, de la persistance de troubles de l'équilibre, de troubles psychoaffectifs graves ayant conduit à la séparation du requérant et de son épouse, d'une rupture des relations filiales et de l'arrêt obligatoire et définitif de tous sports, loisirs et voyages. Il concluait à un taux d'IPP d'au moins 70 %.

18.
    Lors de sa réunion du 11 septembre 1996, la commission médicale a procédé à des examens radiographiques du thorax du requérant, à des épreuves fonctionnelles respiratoires et à des scanographies de son thorax et de ses sinus. Elle a également demandé les avis du Dr Mailleux, de la clinique Saint-Luc, et du Pr Bertrand, de l'Université catholique de Louvain (service d'oto-rhino-laryngologie). Dans son rapport daté du 23 septembre 1996, le Dr Mailleux indiquait que les scanographies du thorax et la radiographie thoracique standard montraient, respectivement, des petites irrégularités pleurales plurifocales et une synéchie (adhérence) pleuro-diaphragmatique latéro-basale postérieure gauche. Le Pr Bertrand, pour sa part, a conclu dans son rapport du 29 novembre 1996 que le requérant présentait une discrète sinusite maxillaire bilatérale d'allure chronique et que l'exposition à une quantité importante de poussières pouvait être un facteur favorisant le développement d'une sinusopathie chronique.

19.
    Dans une lettre du 4 octobre 1996 au Dr Hoffman, chef du service médical de la Commission, le requérant a demandé que la commission médicale détermine si les troubles dont il souffre, à savoir l'arthrose étagée médio-dorsale et cervicale, la hernie discale, le syndrome lombaire traumatique sévère, l'ostéophyte, les douleurs permanentes aux deux épaules, les douleurs permanentes pleurales et au milieu du poumon gauche, l'impossibilité de dormir sur le dos et les douleurs lombaires permanentes étaient liés à la maladie professionnelle ou aux autres accidents dont il avait été victime.

20.
    Dans une lettre du 10 décembre 1996 aux membres de la commission médicale, le requérant s'est plaint de nombreuses céphalées, d'un problème cardiaque lié à la chaleur dégagée par le poumon gauche, d'une stérilité complète depuis 1970 qui trouverait son origine dans une infection généralisée et aurait causé de graves problèmes dans sa vie intime, ainsi que d'une douleur persistante au niveau du poumon gauche, sous l'omoplate, entraînant un état de malaise permanent.

21.
    Dans son avis émis le 29 janvier 1997, la commission médicale a conclu que le requérant était porteur de plaques pleurales bénignes résultant d'une exposition à l'amiante et présentait une discrète sinusite maxillaire bilatérale d'allure chronique, sans aucun lien avec l'exposition à l'amiante, mais pour laquelle l'inhalation de poussières avait peut-être joué un rôle favorisant. Elle n'a retenu l'existence d'aucun trouble oculaire d'origine professionnelle. A la majorité de deux voix contre une, elle a fixé la date de consolidation des lésions au 1er septembre 1996 et le taux d'IPP à 6 %, correspondant à l'existence de plaques pleurales (3 %) et à la sinusite chronique (3 %).

22.
    Par lettre du 29 mai 1997, la Commission a informé le requérant, d'une part, des conclusions de la commission médicale et, d'autre part, de sa décision fixant définitivement à 6 % le taux d'IPP de celui-ci.

23.
    Par lettre du 26 juin 1997, M. Nardone a introduit une réclamation à l'encontre de cette décision. Cette réclamation a fait l'objet d'un rejet implicite à l'expiration du délai de réponse.

24.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 1998, le requérant a introduit le présent recours.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les parties ont répondu par écrit, avant la date de l'audience, aux questions écrites posées par le Tribunal en vue de déterminer notamment, d'une part, si la commission médicale avait examiné l'ensemble des affections dont se plaignait le requérant dans sa demande du 14 avril 1994 et, d'autre part, si cette commission médicale avait été en mesure de prendre en considération les rapports médicaux utiles aux fins de son appréciation. L'audience s'est déroulée le 24 juin 1999.

Conclusions des parties

26.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision de la Commission du 29 mai 1997;

—    condamner la Commission aux dépens.

27.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours non fondé;

—     statuer comme de droit sur les dépens.

En droit

28.
    Le requérant invoque deux moyens tirés, respectivement, de l'irrégularité de l'avis de la commission médicale et de la violation du principe de bonne administration.

Sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis de la commission médicale

29.
    Ce moyen s'articule en trois branches. En premier lieu, la commission médicale n'aurait pas rempli son mandat en limitant son examen à certaines affections respiratoires et oculaires et en omettant de prendre position sur l'ensemble des affections physiques et psychiques dont le requérant serait atteint, ainsi que sur l'application de l'article 14 de la réglementation, prévoyant l'octroi éventuel d'une indemnité supplémentaire. En deuxième lieu, elle n'aurait pas été mise en possession de tous les rapports médicaux utiles. En troisième lieu, son avis ne ferait pas apparaître de lien compréhensible entre les constatations médicales et les conclusions qu'il contient.

30.
    Avant d'examiner successivement les trois branches de ce premier moyen, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les appréciations médicales proprement dites doivent être considérées comme définitives lorsqu'elles ont été émises dans des conditions régulières. Le juge est uniquement habilité à vérifier, d'une part, si la commission médicale a été constituée et a fonctionné régulièrement et, d'autre part, si son avis est régulier, notamment, s'il contient une motivation permettant d'apprécier les considérations sur lesquelles il est fondé et s'il établit, entre les constatations médicales et les conclusions qu'il comporte, un lien compréhensible (voir, notamment, arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Royale belge, C-76/95, Rec. p. I-5501, point 67, et arrêt du Tribunal du 15 juillet 1997, R/Commission, T-187/95, RecFP p. II-729, point 35).

Sur la première branche du moyen, prise du prétendu défaut d'accomplissement de son mandat par la commission médicale

— Arguments des parties

31.
    Selon le requérant, le mandat type confié à la commission médicale doit être interprété au regard des demandes qu'il a présentées le 14 avril 1994 et le 16 avril 1996 et du dossier médical joints à ce mandat. En l'occurrence, sa demande du 14 avril 1994 aurait porté sur la «reconnaissance de la maladie professionnelle, empoisonnement pulmonaire à l'asbeste», sa sinusite et sa bronchite chroniques, ses douleurs dorsales et son état général altéré. De même, dans sa demande du 16 avril 1996, le requérant aurait exprimé clairement le souhait de voir examiner l'ensemble de son état physique et psychique. Il aurait réitéré ce souhait dans ses lettres des 7 et 14 juin 1996 au Dr Dalem et du 10 décembre 1996 aux membres de la commission médicale.

32.
    La commission médicale aurait néanmoins limité son examen aux problèmes liés aux troubles respiratoires et oculaires, sans d'ailleurs faire procéder à un nouvel examen ophtalmologique. Elle ne se serait pas prononcée sur les autres troubles dont est atteint le requérant et sur les conséquences psychologiques de ses maladies professionnelles. En particulier, contrairement aux allégations de la Commission, elle n'aurait pas pris de position définitive sur les douleurs thoraciques, mais aurait exposé que «ces douleurs [semblaient] a priori en rapport avec des névralgies probablement liées à des phénomènes dégénératifs (connus) de la colonne dorsale». La commission médicale aurait également omis de se prononcer sur les douleurs dorsales, lombaires et autres, dont se plaignait le requérant, et sur son anthracose (mentionnés dans les rapports du Pr Boutin des 7 octobre 1994 et 28 juin 1996). Or, d'après la lettre du Dr Willems à l'administration en date du 1er juillet 1997, exposant les raisons pour lesquelles il était en désaccord avec les conclusions de la commission médicale, la toux est probablement responsable de douleurs thoraciques lancinantes et d'une accentuation des phénomènes de dégénérescence arthrosique du rachis dont souffre le requérant.

33.
    Dans ses réponses aux questions du Tribunal, le requérant a souligné que les douleurs dorsales et lombaires sont intimement liées et difficiles à distinguer des douleurs thoraciques ou pleurales, et que le Pr Boutin avait également diagnostiqué, dans ses rapports du 26 avril 1995 et du 28 juin 1996, une symphyse pleurale qui serait la cause essentielle des douleurs d'origine pleurale. Il ajoute que la commission médicale a aussi omis de prendre position sur la bronchite chronique dont il était fait état, notamment, dans les rapports du Dr Joppart du 7 juin 1996, du Pr Boutin du 28 juin 1996 et du Dr Joseph du 29 août 1996. Elle n'aurait pas davantage examiné l'état général altéré du requérant, tel qu'il ressort du secondrapport du Dr Joseph du 29 août 1996.

34.
    Enfin, la commission médicale aurait omis de se prononcer sur l'application de l'article 14 de la réglementation, alors qu'elle y était invitée par son mandat.

35.
    La Commission rappelle, pour sa part, que le contrôle juridictionnel ne saurait s'étendre aux appréciations proprement médicales qui doivent être tenues pour définitives dès lors qu'elles sont intervenues dans des conditions régulières (arrêts du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, du 23 mars 1993, Gill/Commission, T-43/89 RV, Rec. p. II-303, et R/Commission, précité). En l'espèce, conformément à son mandat, la commission médicale aurait uniquement eu pour mission de se prononcer sur les questions d'ordre médical soulevées par le requérant dans ses demandes du 14 avril 1994 et du 16 avril 1996. Cette dernière demande aurait porté, notamment, sur le taux d'IPP résultant de l'asbestose (troubles respiratoires) et sur les lésions ophtalmiques. La commission médicale n'aurait pas été tenue de faire connaître son avis sur les doléances qui n'avaient pas été préalablement soumises à l'AIPN.

36.
    La commission médicale aurait examiné attentivement non seulement les troubles respiratoires et les lésions ophtalmiques, sur lesquelles portait son mandat, mais également les lésions arthrosiques et les douleurs thoraciques dont souffre le requérant. Quant aux douleurs dorsales, lombaires et autres, elle les aurait mentionnées sous la rubrique «affections actuelles». La commission médicale aurait conclu que «le patient se [plaignait] de douleurs thoraciques, qui [semblaient] a priori en rapport avec des névralgies probablement liées à des phénomènes dégénératifs (connus) de la colonne dorsale».

37.
    Toutes les doléances du requérant auraient bien été prises en compte, notamment celles contenues dans ses lettres du 4 octobre 1996 au Dr Hoffman, chef du service médical de la Commission, et du 10 décembre 1996 aux membres de la commission médicale. Ainsi, celle-ci aurait fait procéder à une série d'examens et aurait recueilli les avis supplémentaires du Pr Bertrand et du Dr Mailleux.

38.
    En outre, en réponse aux questions du Tribunal, le Dr Dalem, consulté par la Commission, aurait affirmé ce qui suit dans sa lettre du 7 juin 1999. Premièrement, la symphyse pleurale aurait été largement discutée. Toutefois, les douleurs thoraciques et dorsales du requérant «[relèveraient] en partie de la symphyse pleurale mais surtout des phénomènes d'irradiation à partir de l'arthrose vertébrale», comme l'aurait d'ailleurs affirmé le Pr Boutin. Ce serait la raison pour laquelle un taux de 3 % avait été proposé initialement au requérant. La commission médicale aurait porté ce taux à 6 % en tenant compte de la sinusite maxillaire du requérant à l'origine de bronchites répétitives. Deuxièmement, l'anthracose consisterait, chez le requérant, dans l'existence de taches charbonneuses sur le parenchyme pulmonaire semblables à celles constatées chez tous les habitants des villes industrielles et n'entraînerait, en l'occurrence, aucun retentissement sur les échanges respiratoires. Le Pr Boutin n'en tirerait d'ailleurs aucune conséquence invalidante. Troisièmement, aucun élément cardio-circulatoire ne pourrait justifier les phénomènes de dyspnée d'effort invoqués par le requérant,

lesquels pourraient se manifester normalement chez un homme de 57 ans à l'époque. Quatrièmement, la fatigue extrême décrite par le requérant ne trouverait pas sa justification dans les phénomènes respiratoires en question. Cinquièmement, le requérant aurait présenté les troubles psychologiques mentionnés par le Dr Joseph dès son entrée au service de la Commission. Sixièmement, s'agissant des liens entre les troubles respiratoires et les lésions arthrosiques du requérant, le Dr Dalem affirme qu'il n'a jamais été établi que les manifestations d'arthrose généralisée, qui correspondent à une dégénérescence progressive du cartilage articulaire, seraient liées à des phénomènes de toux ou de bronchite. Enfin, septièmement, il indique que, si les plaques pleurales dues à l'inhalation d'amiante se stabilisent dans la majorité des cas, elles peuvent néanmoins évoluer dans de rares cas vers des mésothéliomes. En outre, la fibrose du poumon serait également une complication possible, d'où la nécessité d'une surveillance médicale.

39.
    Pour ce qui est de l'application de l'article 14 de la réglementation, la Commission soutient que, en fixant à 3 % le taux d'invalidité correspondant à l'existence de plaques pleurales, la commission médicale avait nécessairement considéré qu'il s'agissait d'une invalidité bénigne qui ne pouvait entraîner de conséquences psychologiques. En réponse à une question du Tribunal lors de l'audience, elle a confirmé que l'absence de prise de position expresse de la commission médicale en ce qui concerne l'application de cet article devait être interprétée dans le sens que la commission médicale avait estimé qu'il n'était pas justifié, en l'espèce, d'accorder une indemnité à ce titre.

— Appréciation du Tribunal

40.
    Le mandat du 26 avril 1996 conféré par l'institution défenderesse à la commission médicale est un mandat type chargeant cet organe de définir les affections dont est atteint le requérant, de déterminer si elles revêtent un caractère professionnel au regard des critères prévus par l'article 3 de la réglementation et, enfin, de fixer, le cas échéant, le taux d'IPP correspondante. Ce taux doit être déterminé au titre de l'article 12 de la réglementation, qui prévoit le versement du capital visé à l'article 73, paragraphe 2, du statut, et majoré, le cas échéant, en application de l'article 14 de cette réglementation, lequel prévoit l'octroi d'une indemnité supplémentaire, calculée par analogie avec les taux prévus aux barèmes d'invalidité visés à l'article 12, «pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales».

41.
    Il en résulte qu'il incombait à la commission médicale, dans une première étape, d'identifier avec clarté les affections dont est atteint l'intéressé, puis, dans une deuxième étape, de déterminer si ces affections revêtent un caractère professionnel et, dans une troisième étape, de fixer, le cas échéant, le taux d'IPP au titre de l'article 12, majoré, éventuellement, en application de l'article 14 de la réglementation.

42.
    Pour ce qui est de la définition des affections du requérant, il y a lieu de rappeler que c'est la demande initiale de reconnaissance de maladie professionnelle introduite conformément à l'article 17, paragraphe 1, de la réglementation et la demande d'avis de la commission médicale, faite en application de l'article 21, deuxième alinéa, de cette réglementation, éclairées et précisées, le cas échéant, par les éléments médicaux et administratifs qui lui sont communiqués, qui fixent le cadre des travaux de la commission médicale.

43.
    Pour déterminer, en l'espèce, les affections du requérant sur lesquelles elle était appelée à émettre un avis, il incombait donc à la commission médicale, en l'absence d'autres précisions dans son mandat, d'interpréter celui-ci en relation avec la demande du 14 avril 1994, celle du 16 avril 1996, les dossiers administratif et médical joints à cette dernière et les documents médicaux complémentaires qui lui ont été communiqués ultérieurement, notamment par le requérant, dans la mesure où ils s'inscrivaient dans le cadre desdites demandes.

44.
    En outre, afin de remplir son mandat, la commission médicale devait traiter, dans son avis, tous les troubles qui lui étaient soumis. Il lui incombait de prendre position, de manière claire et précise, sur leur existence et leur éventuelle origine professionnelle et de consigner ses conclusions dans son rapport adressé à l'AIPN et au fonctionnaire concerné, en vertu de l'article 23 de la réglementation. En effet, seul le respect de cette exigence permet de vérifier que la commission médicale a accompli son mandat. Il en est d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, il s'agit d'un dossier médical volumineux et que l'intéressé fait état d'un grand nombre de troubles médicaux qui pourraient avoir des origines différentes.

45.
    Dans sa demande du 14 avril 1994, le requérant, après avoir évoqué son exposition à l'amiante et aux autres poussières présentes dans l'atelier de serrurerie du bâtiment Berlaymont, faisait état de troubles respiratoires et pulmonaires (bronchites, sinusites et toux), de douleurs dorsales persistantes éventuellement liées au début d'une fibrose pulmonaire, de troubles respiratoires, de troubles de la vue et d'un terrain infectieux permanent qui aurait ruiné sa santé, contribué au développement d'une arthrose généralisée et lui aurait «volé un quart de siècle» de sa vie. L'étendue des doléances du requérant est confirmée par sa demande du 16 avril 1996. Le requérant y évoquait son «angoisse permanente qu'un cancer se déclare», en raison de l'existence de plaques pleurales et d'une concentration importante d'amiante au niveau de la plèvre et des poumons, ainsi que de «graves problèmes respiratoires et, en permanence, des douleurs dans tout le corps», rendant toute vie normale impossible.

46.
    Il apparaît ainsi clairement que le requérant entendait soumettre à l'examen l'ensemble de son état de santé en relation avec l'exposition tant à l'amiante qu'à une quantité anormale de poussières dans son lieu de travail, tout en sollicitant, notamment, la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une sinusite et d'une bronchite chroniques, de douleurs dorsales et au niveau du poumon gauche, de l'anthracose, de troubles respiratoires, d'un état général altéré et de troubles de la

vue. Il invoquait, en outre, l'angoisse liée à une possible cancérisation des plaques pleurales. De plus, en se référant, de manière générale, à l'impossibilité de mener une «vie normale», il faisait état d'un préjudice d'agrément.

47.
    Ces demandes s'appuyaient sur les rapports médicaux annexés au mandat de la commission médicale et sur ceux que le requérant avait transmis à l'institution défenderesse ou à la commission médicale lors de sa réunion du 11 septembre 1996. En effet, d'après ces rapports, le requérant était atteint non seulement de plaques pleurales et de sinusite chronique, mais également, premièrement, de bronchite chronique et d'irritation bronchique provoquée par l'inhalation de poussières diverses au cours de son travail [rapport du Pr De Coster du 15 septembre 1995 évoquant une bronchite chronique sur le plan clinique (toux et expectorations plus de trois mois par an, trois années consécutives), rapports du Dr Joppart du 7 juin 1996, du Pr Boutin du 28 juin 1996, du Dr Joseph du 29 août 1996 et certificat du Dr Willems du 7 juin 1996]; deuxièmement, de douleurs pleurales (rapports du Dr Dalem du 31 juillet 1995 et du Dr Joseph du 29 août 1996) et d'«une symphyse pleurale entraînant des douleurs pleurales gênantes et permanentes remontant déjà à de très nombreuses années» (rapports du Pr Boutin du 26 avril 1995 et du 28 juin 1996); troisièmement, d'une anthracose pulmonaire nettement développée (rapports du Pr Boutin du 7 octobre 1994 et du 28 juin 1996); quatrièmement, d'une fatigue extrême, d'une dyspnée d'effort, de troubles de l'équilibre, d'un état général altéré et de malaises en relation, notamment, avec les affections respiratoires (rapports du Pr De Coster du 15 septembre 1995, du Dr Joppart du 7 juin 1996, du Pr Boutin du 28 juin 1996 et du Dr Joseph du 29 août 1996); cinquièmement, de douleurs dorsales et d'arthrose dorsale et lombaire (rapport du Dr Raguse du 22 décembre 1992, du Pr De Coster du 15 septembre 1995 et du Pr Boutin du 28 juin 1996) et, sixièmement, de troubles psychoaffectifs graves (rapport du Dr Joseph du 29 août 1996).

48.
    En l'espèce, il est constant que la commission médicale s'est prononcée, dans son avis, sur les plaques pleurales, la sinusite chronique et les troubles ophtalmiques du requérant.

49.
    En ce qui concerne l'anthracose, il convient de constater que le requérant s'est borné à en faire état sans apporter aucun élément tendant à relier son anthracose à son exposition à l'amiante ou à d'autres poussières présentes dans son lieu de travail. De même, aucun des rapports soumis par le requérant avant que la commission médicale ne se soit prononcée ne fait état d'un lien entre ses troubles respiratoires et sa dégénérescence arthrosique. Dans ces conditions, le fait que la commission médicale a omis de se prononcer, dans son avis, sur l'origine professionnelle de ces affections ne suffit pas, à lui seul, à mettre en cause la validité de ce dernier.

50.
    Il y a lieu, ensuite, de vérifier s'il ressort de l'avis de la commission médicale que celle-ci a également examiné l'existence et l'origine professionnelle éventuelle d'une

bronchite chronique, de douleurs pleurales, thoraciques et/ou dorsales, en relation, notamment, avec une symphyse, et d'un état général altéré, en ce qui concerne, en particulier, les troubles psychoaffectifs.

51.
    S'agissant de la bronchite chronique, le Tribunal constate que, dans son avis, la commission médicale s'abstient de se prononcer sur le point de savoir si le requérant est atteint d'une bronchite chronique causée par l'exposition à diverses poussières dans le cadre de son travail à la Commission. Elle se limite, en effet, à relever, sous la rubrique «affections actuelles», que le requérant «signale une toux peu fréquente».

52.
    Dans sa lettre du 7 juin 1999, en réponse aux questions du Tribunal, le Dr Dalem affirme que «la commission a tenu compte des phénomènes de bronchites répétitives à partir d'une sinusite maxillaire dont l'imagerie médicale montre les fluctuations». Outre le fait qu'elle ne figure pas dans l'avis du 29 janvier 1997, cette affirmation ne permet pas de déterminer si la commission médicale estimait que, en plus de sa sinusite chronique, le requérant était également atteint d'une bronchite chronique et, dans l'affirmative, si cette dernière affection avait une origine professionnelle.

53.
    En ce qui concerne les douleurs pleurales, thoraciques et/ou dorsales, la simple mention par la commission médicale des douleurs thoraciques dans sa description des affections actuelles du requérant et la constatation d'une synéchie pleuro-diaphragmatique latéro-basale et postérieure gauche dans l'exposé des résultats de la scanographie du thorax effectuée à sa demande ne permettent pas de vérifier qu'elle a pris en considération la symphyse pleurale décrite dans les rapports médicaux du Pr Boutin du 26 avril 1995 et du 28 juin 1996. En effet, dans ses conclusions, la commission médicale passe cette dernière affection sous silence et déclare que les douleurs thoraciques dont se plaint le requérant «semblent a priori en rapport avec des névralgies probablement liées à des phénomènes dégénératifs (connus) de la colonne dorsale». Il en résulte que la commission médicale a non seulement omis de se prononcer de manière explicite sur la symphyse pleurale, mais s'est abstenue de tout examen approfondi de l'origine des douleurs susmentionnées, à la lumière des rapports du Pr Boutin.

54.
    A cet égard, le Dr Dalem affirme, dans sa lettre du 7 juin 1999, que «la symphyse pleurale a donc été largement discutée. Elle se trouve déjà présente sur une radio du thorax en mars 1971. Elle peut entraîner des phénomènes douloureux mais, comme l'a exprimé le Pr Boutin, ces douleurs relèvent en partie de la symphyse pleurale mais surtout des phénomènes d'irradiation à partir de l'arthrose vertébrale. C'est la raison pour laquelle un taux de 3 % avait été proposé à M. Nardone initialement». Toutefois, aucune discussion concernant la symphyse pleurale ne figure dans l'avis du 29 janvier 1997. Il ressort, en effet, de cet avis que la commission médicale a considéré que le taux d'invalidité correspondait, à hauteur de 3 %, à l'existence des «plaques pleurales fibro-hyalines bénignes, avec une répercussion fonctionnelle minime», sans tenir compte des douleurs qui étaient

liées à la symphyse pleurale. Il en va de même en ce qui concerne le taux de 3 % initialement proposé par le Dr Dalem dans son rapport du 19 janvier 1996, à la suite du rapport du Pr De Coster du 15 septembre 1995. En outre, même s'il est vrai que, dans son rapport du 26 avril 1995, le Pr Boutin a signalé des «douleurs importantes du côté gauche en relation avec le rachis», il a également souligné l'existence d'une «symphyse limitée dans le cul-de-sac pleural gauche [...] qui entraîne depuis longtemps déjà [d]es douleurs d'origine pleurale» (voir ci-dessus point 6). Or, force est de constater que l'avis du 29 janvier 1997 ne contient aucun élément permettant de déterminer si la commission médicale considérait que la symphyse pleurale et les douleurs qui en résultaient avaient une origine professionnelle.

55.
    En ce qui concerne l'état de santé altéré du requérant et, particulièrement, la dyspnée d'effort, la fatigue extrême, les troubles de l'équilibre, les malaises en relation, notamment, avec les affections respiratoires et les troubles psychoaffectifs, force est de constater que, dans l'avis du 29 janvier 1997, la commission médicale ne se prononce pas sur l'existence de ces affections, ni sur leur éventuelle origine professionnelle. Les explications fournies par le Dr Dalem sur ces points, dans sa lettre du 7 juin 1999, ne contiennent aucun élément susceptible de justifier cette absence de prise de position.

56.
    Il en résulte que l'avis du 29 janvier 1997 est entaché d'irrégularité en ce qu'il ne permet pas d'établir que la commission médicale a examiné l'ensemble des affections du requérant soumises à son appréciation en application des articles 19 et 21 de la réglementation.

57.
    En outre, la commission médicale n'a pas pris position, dans son avis, sur l'application de l'article 14 de la réglementation.

58.
    A cet égard, la thèse de l'institution défenderesse, selon laquelle le silence de la commission médicale sur ce point devait être interprété en ce sens que cette dernière aurait estimé qu'il n'y avait pas lieu d'accorder une indemnité au requérant à ce titre, ne saurait être accueillie.

59.
    En effet, pour s'acquitter pleinement de son mandat, qui portait également sur l'application de l'article 14 de la réglementation, la commission médicale devait se prononcer sur la réalité des troubles d'ordre psychique (éventuellement liés, par exemple, aux risques d'évolution de la maladie professionnelle) et de l'atteinte à ses relations sociales allégués par le requérant dans ses demandes du 14 avril 1994 et du 16 avril 1996 et évoqués dans les rapports médicaux dont elle avait eu communication. Il lui incombait aussi d'examiner si ces préjudices présentaient un lien direct avec les troubles d'origine professionnelle du requérant et étaient, de ce fait, susceptibles de donner lieu à une indemnisation forfaitaire supplémentaire au titre de l'article 14 susvisé.

60.
    La commission médicale ayant omis de prendre position à cet égard, il appartenait à l'institution défenderesse de l'inviter à fournir les appréciations médicales nécessaires à cette fin (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 1997, S/Cour de justice, T-4/96, Rec. p. II-1125, points 39 à 42).

61.
    Dans ces conditions, la décision attaquée est entachée d'irrégularité pour autant qu'elle doit être comprise, d'après les explications fournies par la Commission tant dans ses mémoires qu'au cours de l'audience, dans le sens qu'elle refuse définitivement de majorer le taux d'IPP reconnu au requérant, au titre de l'article 14 de la réglementation. En effet, l'institution défenderesse a ainsi substitué à celle de la commission médicale sa propre appréciation des questions d'ordre médical qui commandent l'application de cet article.

62.
    Pour l'ensemble de ces motifs, la décision attaquée est viciée tant dans la mesure où il n'est pas établi que la commission médicale a examiné l'ensemble des affections soumises à son appréciation qu'en ce qui concerne l'application de l'article 14 de la réglementation.

Sur la deuxième branche du moyen, prise du défaut de communication à la commission médicale de certains documents médicaux

— Arguments des parties

63.
    Selon le requérant, le dossier médical transmis à la commission médicale lors de sa saisine ne comporte pas un certain nombre de documents indispensables pour permettre à celle-ci de se prononcer, tels que le rapport du Pr Boutin du 26 avril 1995 attestant des douleurs pleurales, le compte rendu de la résonance magnétique de l'encéphale du 31 mars 1994 concluant à une sinusite bimaxillaire et la traduction en français du rapport du Dr Raguse du 22 décembre 1992. Dans sa lettre du 6 septembre 1996 à M. Caston, chef de l'unité 5 «assurance maladie et accidents» de la direction B «droits et obligations» de la direction générale Personnel et administration (DG IX), le requérant aurait demandé que ces documents soient transmis à la commission médicale. Toutefois, dans son courrier du 16 septembre 1996, M. Caston aurait répondu qu'il ne donnait pas suite à cette demande. En outre, il ne serait pas établi que le médecin désigné par l'institution, le Dr Dalem, à qui le requérant avait communiqué ces documents, les a transmis à ses confrères de la commission médicale.

64.
    Par ailleurs, lorsque le requérant a remis les rapports médicaux énumérés au point 16 ci-dessus à la commission médicale, lors de sa réunion du 11 septembre 1996, le Dr Dalem lui aurait alors précisé que cet organe ne devait prendre en considération que les documents communiqués par la Commission.

65.
    Selon la Commission, la commission médicale était en mesure de prendre connaissance de la totalité des documents susceptibles de lui être utiles.

66.
    En tout état de cause, les documents (notamment le rapport du Pr Boutin du 26 avril 1995) que le requérant a envoyés à la Commission le 18 mai 1995 auraient été transmis au Dr Dalem, lequel aurait nécessairement dû communiquer l'intégralité du dossier à la commission médicale. En outre, le compte rendu de la résonance magnétique de l'encéphale du 31 mars 1994 ne présenterait guère d'intérêt, dans la mesure où il se limiterait à confirmer la conclusion de la commission médicale en ce qui concerne la réalité d'une sinusite maxillaire bilatérale. Quant au rapport du Dr Raguse, il serait permis de penser que les membres de la commission médicale avaient une connaissance suffisante de la langue allemande pour en comprendre la teneur.

67.
    Enfin, l'institution défenderesse a déclaré, dans sa réponse écrite aux questions du Tribunal déposée avant l'audience, que, d'après ses renseignements et contrairement aux allégations du requérant, il semblait bien que la commission médicale ait tenu compte des documents remis par celui-ci le 11 septembre 1996. En attesterait le rapport du Dr Dalem à la Commission en date du 4 octobre 1996, dans lequel celui-ci indique qu'il a versé ces documents à son dossier pour la discussion ultérieure. Le Dr Dalem aurait également confirmé, dans une lettre du 16 juin 1999 adressée à la Commission à la suite des questions posées par le Tribunal, que ces documents ont retenu toute l'attention de la commission médicale. Il ferait état d'un scanner des sinus réalisé le 11 mai 1996 et des rapports du Pr Guerrier du 13 juin 1996, du Dr Reveille du 1er juillet 1996, du Dr Collet du 25 juin 1996, relatif à une scintigraphie du corps total osseux du requérant, et du Dr Joseph, concluant à un taux d'invalidité de 70 %.

— Appréciation du Tribunal

68.
    Selon une jurisprudence bien établie, pour qu'une commission médicale émette valablement un avis médical, il faut qu'elle soit en mesure de prendre connaissance de la totalité des documents susceptibles de lui être utiles pour ses appréciations (voir, notamment, arrêt R/Commission, précité, point 49).

69.
    Par ailleurs, il appartient à la commission médicale de régler sa propre procédure et de déterminer dans quelle mesure il convient de prendre en considération les divers rapports médicaux antérieurs et d'y faire référence dans son avis (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, Rec. p. 143, point 19, et arrêt du Tribunal du 18 février 1993, Tallarico/Parlement, T-1/92, Rec. p. II-107, point 46).

70.
    En l'espèce, deux séries de rapports médicaux essentiels auraient été soustraites, d'après le requérant, à l'examen de la commission médicale. Il s'agirait, d'une part, de la traduction en français du rapport du Dr Raguse du 22 décembre 1992, du compte rendu de la résonance magnétique de l'encéphale du 31 mars 1994 et du rapport du Pr Boutin du 26 avril 1995 (voir ci-dessus point 6) et, d'autre part, des rapports du Dr Willems du 7 juin 1996, du Dr Joppart du 7 juin 1996, du Pr Boutin

du 28 juin 1996 et des deux rapports du Dr Joseph du 29 août 1996 (voir ci-dessus points 16 et 17).

71.
    En ce qui concerne la première série de documents, il convient de constater, tout d'abord, que le compte rendu de la résonance magnétique de l'encéphale concluait à une sinusite bimaxillaire, alors qu'il est constant que le requérant est atteint d'une sinusite chronique. Le prétendu défaut de communication de ce document est donc sans incidence. Quant au rapport du Dr Raguse, à supposer même que les membres de la commission médicale n'aient pas eu une connaissance suffisante de la langue allemande, il concernait principalement une intervention chirurgicale subie par le requérant pour une hernie inguinale en 1992 et était donc, en principe, privé de pertinence. De plus, les résultats d'examens radiologiques du thorax et du rachis mentionnés dans ce rapport ne font l'objet d'aucune controverse en l'espèce.

72.
    En revanche, contrairement à d'autres documents transmis par le requérant à l'AIPN le 18 mai 1995, tels que la lettre du Dr Anthonissen, le rapport du Pr Boutin du 26 avril 1995 n'a pas été communiqué à la commission médicale lors de sa saisine, ainsi qu'il ressort de l'inventaire des pièces annexées au mandat, alors que, à première vue, il était utile à ses travaux.

73.
    En effet, ce rapport, dont les conclusions principales ont été reprises ultérieurement dans le rapport du même médecin en date du 28 juin 1996, mettait en évidence l'existence d'une symphyse pleurale à gauche. En particulier, en ce qui concerne les douleurs thoraciques et/ou dorsales, le Pr Boutin établissait un lien entre les douleurs importantes du côté gauche en relation avec le rachis, dont se plaignait le requérant, et, notamment, cette «symphyse limitée dans le cul-de-sac pleural gauche qui entraînait depuis longtemps déjà [d]es douleurs d'origine pleurale» (voir points 6 et 54 ci-dessus).

74.
    Pour ce qui est de la seconde série de rapports médicaux, susmentionnée, remise par le requérant à la commission médicale lors de sa réunion du 11 septembre 1996, tant les éléments du dossier que l'avis même de la commission médicale font apparaître des indices concordants qui permettent de supposer que ces rapports n'ont pas été pris en considération par ladite commission, sans que cette présomption soit renversée par les indications contenues dans la lettre du Dr Dalem en date du 16 juin 1999.

75.
    En effet, d'une part, ces cinq rapports n'ont pas été transmis par l'administration à la commission médicale, ainsi qu'il ressort de la lettre de M. Caston du 16 septembre 1996. D'autre part, il n'est fait aucune référence à ces rapports ou à leur contenu spécifique dans l'avis du 29 janvier 1997. Enfin, les allégations du requérant selon lesquelles, lors de la réunion du 11 septembre 1996, le Dr Dalem lui aurait indiqué que seuls les documents communiqués par la Commission pouvaient être pris en considération ne sont pas contredites par ce dernier. Ainsi, dans son compte rendu à la Commission de la réunion de la commission médicale du 11 septembre 1996, daté du 4 octobre 1996, le Dr Dalem se limite à indiquer

qu'il a versé les rapports remis par le requérant à son dossier «pour la discussion ultérieure», ce qui ne permet de tirer aucune conclusion sur le point de savoir si la commission médicale les a effectivement pris en considération. En outre, dans sa lettre du 16 juin 1999, le Dr Dalem mentionne un certain nombre de documents mais ne fait aucune référence à quatre des cinq rapports en cause.

76.
    Dans ces circonstances, il n'est pas établi que la commission médicale a pris en considération les rapports du Pr Boutin des 26 avril 1995 et 28 juin 1996, faisant état d'éléments qui n'étaient pas mis en évidence dans les autres documents médicaux à sa disposition, ainsi que le rapport du Dr Joppart du 7 juin 1996 et au moins un des rapports du Dr Joseph du 29 août 1996, qui contenaient également des éléments utiles à son appréciation.

77.
    Il s'ensuit que, eu égard à la complexité des affections dont se plaignait le requérant, la procédure suivie par la commission médicale doit être considérée comme irrégulière, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que la commission médicale a pris en compte les rapports susvisés.

Sur la troisième branche du moyen, prise de l'absence alléguée de lien compréhensible entre les constatations effectuées et les conclusions énoncées par la commission médicale

— Arguments des parties

78.
    Le requérant fait valoir, en premier lieu, que l'affirmation de la commission médicale selon laquelle ses douleurs thoraciques «semblent a priori en rapport avec des névralgies probablement liées à des phénomènes dégénératifs (connus) de la colonne dorsale» est vague et, en tout état de cause, insuffisante pour conclure que ces douleurs ne sont pas liées à ses troubles respiratoires.

79.
    En deuxième lieu, l'avis de la commission médicale serait incompréhensible lorsqu'il énonce qu'«il n'y a pas à proprement parler d'asbestose, ce terme étant habituellement réservé à la fibrose pulmonaire induite par l'amiante». En effet, les rapports du Dr Dalem du 31 juillet 1995, du Pr Boutin des 26 avril 1995 et 28 juin 1996, du Dr Anthonissen du 19 mars 1995, du Dr Raguse du 22 décembre 1992 et du Pr De Coster du 15 septembre 1995 évoqueraient tous l'existence d'une asbestose chez le requérant. La commission médicale aurait donc dû motiver ses propres conclusions sur ce point en fonction des rapports médicaux précédents, nombreux et concordants, en explicitant, le cas échéant, le terme «asbestose».

80.
    En troisième lieu, la commission médicale aurait dû justifier son estimation du taux d'IPP du requérant à 6 % au regard des rapports qui lui avaient été communiqués par ce dernier lors de la réunion du 11 septembre 1996 et qui retenaient, de manière concordante, des taux d'incapacité considérablement plus élevés. Le requérant se réfère aux rapports du Dr Willems du 7 juin 1996, du Dr Joppart du

7 juin 1996, du Pr Boutin du 28 juin 1996 et du Dr Joseph du 29 août 1996, ainsi qu'à un rapport du Pr Arnaud du 28 juin 1996 sur ses troubles ophtalmiques.

81.
    Le requérant considère en outre que, dans l'avis du 29 janvier 1997, seuls sont cités des rapports médicaux qui lui sont défavorables et que la commission médicale ne s'est donc pas livrée à un examen complet et objectif des pièces du dossier.

82.
    En quatrième lieu, la commission médicale n'aurait pas motivé ses conclusions en ce qui concerne la fixation de la date de consolidation des lésions au 11 septembre 1996, laquelle diffère de la date du 1er novembre 1978 retenue dans le rapport du Dr Dalem du 7 février 1996. Dans sa réponse écrite à une question du Tribunal, le requérant a précisé que, si la commission médicale avait fixé la date de consolidation au 1er novembre 1978, son droit à une indemnisation au titre de l'article 73 du statut serait né à compter de cette date.

83.
    Pour sa part, la Commission considère, en premier lieu, que, en constatant que les douleurs thoraciques étaient en rapport avec des névralgies probablement liées à des phénomènes dégénératifs de la colonne vertébrale, la commission médicale a suffisamment justifié que ces douleurs n'avaient pas une origine professionnelle. La charge de la preuve de l'origine professionnelle d'une maladie incombant au fonctionnaire concerné, il appartiendrait en l'espèce au requérant d'établir que ces phénomènes dégénératifs ont une origine professionnelle.

84.
    En deuxième lieu, s'agissant de la définition de l'«asbestose», il ressortirait clairement des rapports médicaux invoqués par le requérant que ce terme y est utilisé dans un sens large pour désigner les plaques pleurales résultant de l'exposition à l'amiante, et non pas dans le sens strict de fibrose pulmonaire induite par l'amiante.

85.
    En troisième lieu, pour ce qui est de la fixation du taux d'invalidité, la commission médicale aurait clairement motivé le taux de 6 % retenu, en expliquant que «les plaques pleurales fibro-hyalines bénignes, avec une répercussion fonctionnelle minime, donnent une invalidité de 3 %»et que les «discrètes lésions de sinusite maxillaire bilatérale d'allure chronique [...] justifient 3 % supplémentaires». Le caractère bénin des plaques pleurales aurait déjà été mis en évidence par le rapport du Pr De Coster du 15 septembre 1995 et le taux d'invalidité de 3 % retenu à cet égard confirmerait le rapport du Dr Dalem du 19 janvier 1996. Le fait que la commission médicale n'a pas suivi certaines des opinions exprimées par d'autres médecins ne démontrerait pas qu'elle n'a pas effectué son travail correctement.

86.
    En quatrième lieu, le requérant n'aurait pas transmis, bien qu'il y fût tenu en application de l'article 20, premier alinéa, de la réglementation, de rapport médical constatant la consolidation de son état et indiquant la nature de ses lésions, de sorte que la commission médicale, qui s'est réunie le 11 septembre 1996, n'aurait

disposé d'aucun élément lui permettant de conclure scientifiquement à l'existence d'une consolidation à une date antérieure.

— Appréciation du Tribunal

87.
    Selon une jurisprudence constante, la mission qui incombe à la commission médicale de porter en toute objectivité et en toute indépendance une appréciation sur des questions d'ordre médical exige que sa liberté d'appréciation soit entière (voir, notamment, arrêts Biedermann/Cour des comptes, précité, point 19, et Commission/Royale belge, précité, point 73). Toutefois, ce pouvoir de la commission médicale s'accompagne d'une obligation de motivation devant permettre d'apprécier les considérations sur lesquelles sont basées les conclusions contenues dans son avis et de vérifier si ce dernier établit, entre les constatations médicales et les conclusions qu'il comporte, un lien compréhensible (arrêts Commission/Royale belge, précité, point 67, et S/Cour de justice, précité, point 54).

88.
    En particulier, lorsque la commission médicale est saisie de questions d'ordre médical complexes se rapportant, en particulier, à un diagnostic difficile, au lien de causalité entre les affections dont est atteint l'intéressé et l'exercice de son activité professionnelle auprès d'une institution communautaire, ou aux risques d'évolution de la maladie et à l'application de l'article 14 de la réglementation, il lui incombenotamment d'indiquer, dans son avis, les éléments sur lesquels elle s'appuie et de préciser, en cas de divergence significative, les raisons pour lesquelles elle s'écarte de certains rapports médicaux antérieurs et pertinents, plus favorables à l'intéressé.

89.
    Il convient, dès lors, de vérifier si, en l'espèce, l'avis de la commission médicale est conforme à ces exigences.

90.
    Pour ce qui est, premièrement, de l'existence d'une divergence dans l'acception du terme «asbestose» employé par la commission médicale et par les auteurs des rapports médicaux antérieurs, il suffit de relever qu'elle n'a pas d'incidence sur les conclusions de cet organe, lesquelles ne présentent, à cet égard, aucune ambiguïté. En effet, il ressort expressément de l'avis de la commission médicale que celle-ci a réservé le terme «asbestose» à la fibrose pulmonaire et qu'elle a constaté, chez le requérant, l'existence de plaques pleurales et l'absence de fibrose diffuse. Il n'y a pas davantage d'ambiguïté en ce qui concerne l'utilisation du terme litigieux dans les rapports médicaux antérieurs, cités par le requérant, lesquels indiquaient clairement qu'ils visaient uniquement, en l'espèce, l'existence de plaques pleurales lorsqu'ils se référaient à une asbestose en retenant une acception plus large de ce terme. Il en découle que, contrairement à la thèse du requérant, le lien établi par la commission médicale entre les constatations médicales sur lesquelles elle se fonde et ses conclusions est, à cet égard, parfaitement clair et compréhensible.

91.
    En ce qui concerne, deuxièmement, les troubles ophtalmiques, il ne ressort pas du dossier que le rapport du Dr Arnaud du 28 juin 1996, invoqué par le requérant en ce qu'il retenait un taux d'IPP de 5 % pour ces troubles, avait été transmis à la commission médicale. Dans ces conditions, en se fondant sur le rapport précis et circonstancié du Pr Zanen du 9 septembre 1995 pour conclure à leur absence d'origine professionnelle, la commission médicale a suffisamment motivé son avis, dans la mesure où aucun des autres rapports médicaux à sa disposition ne renfermait d'élément incompatible avec les conclusions de ce rapport.

92.
    En ce qui concerne, troisièmement, les douleurs thoraciques, il suffit de rappeler que, dans l'avis du 29 janvier 1997, la commission médicale n'indique pas qu'elle a examiné l'origine de ces douleurs en relation, notamment, avec la symphyse pleurale, mise en évidence dans les rapports du Pr Boutin qui ne lui avaient pas été communiqués (rapport du 26 avril 1995) ou qu'elle avait omis de prendre en considération (rapport du 28 juin 1996), ainsi qu'il a déjà été jugé (voir ci-dessus points 53 et 54, et 72 à 76).

93.
    Bien que le Dr Dalem affirme, dans sa lettre du 7 juin 1999, que la symphyse pleurale a été largement discutée au sein de la commission médicale et que cette affection peut entraîner des phénomènes douloureux, comme l'a constaté le Pr Boutin dans ses rapports des 26 avril 1995 et 28 juin 1996, force est de constater que l'avis du 29 janvier 1997 ne contient aucune motivation indiquant les raisons pour lesquelles la symphyse pleurale n'a pas été retenue comme l'un des facteurs contribuant aux douleurs pleurales dont se plaignait le requérant. Dans ces circonstances, l'avis de la commission médicale ne saurait être considéré comme suffisamment motivé sur ce point.

94.
    S'agissant, quatrièmement, du taux d'IPP fixé par la commission médicale, celle-ci a motivé, dans son avis, ses conclusions selon lesquelles il correspondait aux «plaques pleurales fibro-hyalines bénignes, avec une répercussion fonctionnelle minime» (3 %), et «aux discrètes lésions de sinusite maxillaire bilatérale d'allure chronique» (3 %), par des constatations médicales fondées tant sur des rapports médicaux antérieurs que sur les examens qu'elle avait elle-même ordonnés et dont elle mentionne les résultats.

95.
    Toutefois, il ne ressort pas de son avis que la commission médicale a pris en considération une série de rapports médicaux antérieurs, précis et circonstanciés, qui se trouvaient à sa disposition et qui différaient de ses propres conclusions en ce qu'ils concluaient à un taux d'IPP de 10 % pour la sinusite chronique (rapport du Dr Joseph du 29 août 1996) et, pour les autres troubles liés à l'exposition à l'amiante et à d'autres poussières, à des taux de l'ordre de 15 % (rapport du Pr Boutin du 28 juin 1996), de 30 % (rapport du Dr Joppart du 7 juin 1996) et de 70 % (deuxième rapport du Dr Joseph du 29 août 1996). Ces rapports faisaient état, notamment, de la symphyse pleurale, d'une bronchite chronique et d'un état de santé généralement défaillant ainsi que de troubles psychologiques.

96.
    Dans ces conditions, compte tenu de l'écart important entre le taux d'IPP déterminé dans les rapports qui lui ont été soumis et le taux qu'elle a retenu et de ce que les appréciations contenues dans ces rapports étaient précises et motivées, la commission médicale aurait dû, pour satisfaire à son obligation de motivation, spécifier, dans son avis, les raisons principales pour lesquelles elle avait abouti à ses conclusions.

97.
    En ce qui concerne, cinquièmement, la date de consolidation des lésions, il convient de relever que la commission médicale a fixé la date de consolidation des plaques pleurales et de la sinusite chronique du requérant au 11 septembre 1996, date de sa première réunion, sans assortir ses conclusions d'aucune explication à ce sujet. Elle s'est écartée ainsi, sans motivation, du rapport présenté le 7 février 1996 par l'un de ses membres, le Dr Dalem, qui, en qualité de médecin désigné par la Commission, avait proposé de fixer cette date au 1er novembre 1978, en se fondant sur un rapport du Dr Reinecke du 1er février 1979, joint à la demande du 14 avril 1994, et faisant état d'un épaississement basal gauche.

98.
    Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'avis de la commission médicale est également entaché d'irrégularité en ce qu'il ne contient pas une motivation suffisante quant à l'origine des douleurs thoraciques ou pleurales du requérant et n'expose pas les raisons pour lesquelles il s'écarte de façon importante de certains rapports médicaux antérieurs circonstanciés, en ce qui concerne la fixation du taux d'invalidité ainsi que la détermination de la date de consolidation des lésions.

99.
    Pour tous ces motifs, le premier moyen, tiré de l'irrégularité de l'avis de la commission médicale, est fondé en ses trois branches. La décision attaquée doit, dès lors, être annulée, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen.

Sur les dépens

100.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant conclu à la condamnation de la défenderesse aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 29 mai 1997, relative à la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle du requérant, est annulée.

2)    La Commission est condamnée aux dépens.

Potocki

Bellamy
Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Potocki


1: Langue de procédure: le français.