Language of document : ECLI:EU:T:2023:491

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Erreur d’appréciation – Notion d’“association” – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑272/22,

Galina Evgenyevna Pumpyanskaya, demeurant à Ekaterinbourg (Russie), représentée par Mes G. Lansky, P. Goeth, A. Egger et E. Steiner, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Van Overmeire et M. B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 25 avril 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Galina Evgenyevna Pumpyanskaya, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31, ci-après la « décision attaquée »), et du règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1, ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en ce que ces actes inscrivent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        La requérante est de nationalité russe.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

8        À la même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145/PESC (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement (UE) no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportaient un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tiraient avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissaient une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

9        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

10      Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

11      L’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de cette même décision.

12      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ladite décision.

13      Dans ce contexte, le 9 mars 2022, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision attaquée et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement attaqué.

14      Par ces deux actes attaqués, le nom de la requérante a été ajouté, respectivement, sur la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et sur celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes en cause »), aux motifs suivants :

« [La requérante] est présidente du conseil de direction de BF ‘Sinara’, une fondation qui exerce les activités caritatives de grandes entreprises, dont PJSC Pipe Metallurgical Company. Elle est l’épouse de Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy, président du conseil d’administration de PJSC Pipe Metallurgical Company, un fabricant russe de niveau mondial de tuyaux en acier pour l’industrie pétrolière et gazière. Dmitry A. Pumpyanskiy est un homme d’affaires russe milliardaire. Il est également président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. Les deux entreprises soutiennent les autorités de la Fédération de Russie et des entreprises d’État, notamment les chemins de fer russes, Gazprom et Rosneft, et tirent profit d’une coopération avec celles-ci.

Galina Evgenyevna Pumpyanskaya est donc une personne physique liée à un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

15      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2022 (JO 2022, C 114 I, p. 1), un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes attaqués. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes attaqués, en y joignant des pièces justificatives.

16      Par courriel du 19 avril 2022, la requérante a demandé de lui donner accès à tous les documents produits et détenus par le Conseil et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant, en vue d’élaborer une demande de réexamen.

17      Par lettre du 28 avril 2022, le Conseil a répondu à la demande de la requérante visée au point 16 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 3054/2022, daté du 8 mars 2022 (ci-après le « dossier WK »).

 Conclusions des parties

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

19      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

I.      En droit

A.      Sur la demande de jonction

20      Lors de l’audience, le Conseil a formulé une demande de jonction avec l’affaire T‑270/22, Pumpyanskiy/Conseil, aux fins de la décision mettant fin à l’instance. La requérante s’est opposée à cette demande, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

21      À cet égard, il convient de souligner qu’une telle demande avait d’ores et déjà été formulée par le Conseil par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2023. Or, par décision du 10 mars 2023, le président de la première chambre a décidé, les parties entendues, de joindre la présente affaire à l’affaire T‑270/22, Pumpyanskiy/Conseil, uniquement aux fins de la phase orale.

22      Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que la présente affaire ne se prête toujours pas à la jonction avec l’affaire T‑270/22, Pumpyanskiy/Conseil, aux fins de la décision mettant fin à l’instance.

23      La demande de jonction formulée par le Conseil lors de l’audience est donc rejetée.

B.      Sur le fond

24      À l’appui du recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation et, le second, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux.

1.      Sur le premier moyen, tiré dune erreur dappréciation

25      En substance, la requérante reconnaît que, malgré la divergence matérielle entre les actes attaqués et le dossier WK, il ressort de la motivation de ces actes que le Conseil lui a appliqué le critère d’inscription relatif aux « femmes et hommes d’affaires influents […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [et] les personnes physiques et morales […] qui leur sont associés » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié ainsi que, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère g) »].

26      En revanche, elle conteste le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes en cause qui se rattache au critère g) au motif qu’elle ne saurait être considérée comme étant « associée » avec son mari.

27      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

a)      Considérations liminaires

28      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis. Cependant, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

29      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

30      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

31      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

32      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments de la requérante.

b)      Sur les éléments de preuve produits par le Conseil

33      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, le Conseil a fourni le dossier WK comportant quatorze éléments de preuve. Il convient de relever qu’il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir :

–        un extrait du compte Twitter d’un journaliste de février 2022, (pièce no 1) ;

–        des informations relatives à la requérante figurant sur le site « tadviser.com » de février 2022 (pièce no 2) ;

–        des articles du Novayja gazeta de février 2018 (pièce no 10), de play the game de juin 2018 (pièce no 12), du Svoboda de février 2020 (pièce no 11), du Moscow Post d’avril 2020 (pièce no 5), de Ura News de mars 2021 (pièce no 13), de Forbes d’avril 2021 (pièce no 7), de Rogtec magazine de juin 2021 (pièce no 4) et de février 2022 (pièce no 3), ainsi que du site d’information de la ville de Taganrog (Russie) d’octobre 2021 (pièce no 14) ;

–        des pages extraites du site Internet officiel de PJSC Pipe Metallurgical Company (ci-après « TMK ») de décembre 2021 (pièce no 9) et du Financial Times de février 2022 (pièce no 6) ;

–        des informations relatives à M. Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy figurant sur le site « wikipedia.org » de juillet 2014 (pièce no 8).

c)      Sur la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil

34      La requérante remet en cause la fiabilité des éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé. En substance, ils seraient une compilation inconsistante d’articles de presse et de sites Internet de qualité médiocre dont un seul mentionne la requérante. Or, une telle compilation ne permettrait pas de prouver que le Conseil a effectué un examen minutieux de la valeur probante et du contenu des éléments de preuve. Dans la réplique, elle ajoute que, puisque le Conseil prétend que le dossier WK est un document du SEAE, il pourrait être considéré qu’il n’y a pas de document du Conseil au sens strict et que le Conseil n’a donc fourni aucune preuve. Elle observe également que le juge de l’Union a déjà, d’une part, rejeté des articles de presse comme étant insuffisamment probants en raison de leur caractère inexact et confus et, d’autre part, jugé qu’un extrait de journal en ligne devait être corroboré par d’autres éléments de preuve.

35      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée).

36      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 12 février 2020, Kibelisa Ngambasai/Conseil, T‑169/18, non publié, EU:T:2020:58, point 96 et jurisprudence citée).

37      En premier lieu, il convient de rejeter l’affirmation de la requérante selon laquelle, en substance, il pourrait être considéré que le Conseil n’a fourni aucune preuve dès lors que le dossier WK émane du SEAE et non du Conseil lui-même. En effet, force est de constater que cette affirmation ne trouve aucun fondement ni dans la réglementation de l’Union en vigueur, ni dans la jurisprudence des juridictions de l’Union. Au contraire, à la lumière de la jurisprudence mentionnée aux points 35 et 36 ci-dessus, il y a lieu de considérer, d’une part, qu’aucune obligation de recueillir lui-même les éléments de preuve n’incombe au Conseil et, d’autre part, que lesdits éléments peuvent émaner de différentes sources, pour autant qu’il puisse leur être reconnu un caractère sensé et fiable.

38      En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil ne s’est pas fondé sur une compilation inconsistante d’articles de presse et de sites Internet de qualité médiocre. Il a notamment produit des captures d’écran provenant du site Internet de TMK elle-même (pièce no 9) et du site d’information de la ville de Taganrog (pièce no 14). Par ailleurs, concernant la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil, il convient de constater que les articles de presse émanent de sources d’informations numériques d’origines variées, non seulement locales, comme The Moscow Post, le Novayja gazeta, le Svoboda ou encore le Rogtec magazine, mais également étrangères, telles que The Financial Times qui est un journal dont la qualité et la fiabilité ne sauraient être remises en cause. En outre, le Conseil a produit une page relayant des informations dépourvues de toute appréciation journalistique provenant du site Internet de TMK. Il convient encore de remarquer que ces différentes sources relayent des éléments d’informations qui se corroborent. Dès lors, l’argument de la requérante doit être rejeté.

39      En troisième lieu, doit être rejeté l’argument de la requérante selon lequel, en substance, seul un élément de preuve sur les quatorze produits dans le dossier WK la concernerait, ce qui tendrait à démontrer la médiocrité du dossier WK et son incapacité à constituer une base factuelle suffisante. En effet, à l’instar du Conseil, force est de considérer que, ce qui compte n’est pas le nombre d’éléments de preuve ou de pages consacrées à la démonstration d’un fait, mais plutôt la force probante de ces éléments ou des pages en question et leur capacité à étayer les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée.

40      Ainsi, au vu de ce qui précède, et en l’absence d’élément dans le dossier susceptible de remettre en cause la fiabilité des sources utilisées par le Conseil, il y a lieu de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 35 ci-dessus.

41      Par conséquent, il convient d’examiner les arguments de la requérante par lesquels elle conteste le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes en cause.

d)      Sur lapplication à la requérante du critère g)

1)      Sur la portée du critère g)

42      Il importe d’observer que ce critère implique en l’espèce que soit établi, d’une part, l’existence d’un lien d’« association » avec un homme d’affaires influent et, d’autre part, que cet homme d’affaires influent ait une activité dans des « secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie ».

43      Le motif retenu à l’égard de la requérante qui se rattache au critère g) a trait au fait qu’elle est « associée » à un homme d’affaires influent, en l’occurrence son mari, ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de ses fonctions au sein de TMK et du groupe Sinara.

44      La requérante conteste ce motif d’inscription. En substance, premièrement, elle fait valoir que, dès lors qu’elle ne participe pas aux activités commerciales de son mari, elle est incapable de se prononcer sur la question de savoir si son mari est un homme d’affaires influent au sens du critère g). Néanmoins, étant convaincue que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en inscrivant le nom de son mari sur les listes en cause, elle joint la requête introduite par ce dernier dans l’affaire T‑270/22 et indique contester tous les griefs émis contre son mari et fait siens les arguments contenus dans ladite requête. Deuxièmement, la requérante soutient qu’elle ne saurait être considérée comme lui étant « associée » dès lors que ni le lien familial ni sa fonction de présidente d’une organisation caritative ne seraient suffisants. Troisièmement, en renvoyant à la requête de son mari dans l’affaire T‑270/22, elle observe que ce dernier n’était plus lié de quelque façon que ce soit à TMK et au groupe Sinara au jour de l’adoption des actes par lesquels il a été inscrit sur les listes en cause. Quatrièmement, la requérante indique, en substance, que le Conseil ne saurait fonder ses allégations, relatives au critère g), sur la documentation fournie dans le dossier WK dès lors qu’aucune pièce de ce dossier ne satisfait aux exigences de la charge de la preuve qui pèse sur le Conseil.

45      Le Conseil soutient, en substance, qu’il ressort des éléments de preuve contenus dans le dossier WK que le motif retenu à l’égard de la requérante satisfait au critère g). Lors de l’audience, le Conseil a ajouté, en faisant référence à des informations contenues dans des annexes des dossiers des affaires T‑270/22, Pumpyanskiy/Conseil et T‑740/22, Pumpyanskiy/Conseil, que la requérante était également actionnaire du groupe Sinara.

46      À cet égard, il convient de relever d’emblée que le motif d’inscription par lequel le Conseil a estimé qu’il existait un lien d’association entre elle et son mari ne se limite pas exclusivement à leur lien familial, mais porte également sur leurs liens d’affaires. En effet, ainsi que cela ressort clairement tant de la décision attaquée que du dossier WK, c’est en raison des fonctions de son mari au sein de TMK et du groupe Sinara ainsi que de sa fonction de présidente du conseil de direction de la fondation BF Sinara, une fondation qui exerce les activités caritatives de grandes entreprises, dont TMK, que le Conseil a considéré qu’il existait un lien d’association avec son mari. D’ailleurs, il découle clairement de l’argumentation de la requête que la requérante a saisi que ce lien d’affaires lui était reproché dès lors qu’elle s’emploie à en contester le bien-fondé.

47      Il y a lieu d’ajouter que, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de l’argument du Conseil tiré des annexes des affaires T‑270/22 et T‑740/22, l’argument de ce dernier selon lequel la requérante était actionnaire du groupe Sinara est dénué de pertinence aux fins d’examiner la légalité des actes attaqués. En effet, il suffit de constater, à cet égard, que la prétendue détention d’actions par la requérante n’est nullement contenue dans les motifs desdits actes.

48      Cela étant précisé, il importe désormais de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve produits par le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus, et constitue ainsi un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause.

2)      Sur la qualification du mari de la requérante en tant qu’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie

49      À cet égard, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité du renvoi à la requête du mari de la requérante dans l’affaire T‑270/22, il y a lieu de constater que le Conseil a apporté, en l’espèce, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le mari de la requérante était un homme d’affaires influent au sens du critère g). Cela ressort également de l’arrêt de ce jour, Pumpyanskiy/Conseil (T‑270/22, non publié).

50      En effet, TMK et le groupe Sinara, deux entreprises fondées par le mari de la requérante, sont des acteurs majeurs dans de nombreux secteurs économiques, en particulier dans les secteurs de l’énergie, du transport et de la construction, et toutes deux ont des relations commerciales avec plusieurs entreprises d’État. Il est également constant que, à tout le moins jusqu’au 9 mars 2022, le mari de la requérante était président du conseil d’administration de TMK et président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara.

51      S’agissant de TMK, il ressort des pièces nos3, 4, 7 et 10 qu’elle est un producteur mondial de tuyaux en acier dans de nombreux secteurs, qu’elle fournit ces tuyaux principalement à l’industrie pétrolière et gazière, en particulier à Rosneft et à Gazprom, et qu’elle a conclu des accords de collaboration avec ces entreprises d’État, notamment pour le développement de nouveaux produits. En outre, la page extraite du Financial Times (pièce no 6), précise que TMK a réalisé un revenu net de 1,95 milliard de roubles russes en 2021 et emploie plus de 39 000 personnes.

52      S’agissant du groupe Sinara, la pièce no 4 décrit sa participation au forum économique international organisé à Saint-Pétersbourg (Russie) en 2021 au cours duquel il a signé plusieurs accords avec des entreprises d’État concernant le financement et la mise en œuvre de grands projets pour le développement des infrastructures de transport. Sont notamment cités des accords d’intention avec les chemins de fer russes, un accord pour le financement du projet de modernisation du réseau de tramway de Taganrog avec l’entreprise d’État VEB.RF ainsi qu’un contrat conclu entre une filiale de Rosneft et une filiale du groupe Sinara. Par ailleurs, cette même pièce mentionne des réunions organisées au cours de ce forum entre la direction du groupe Sinara et les dirigeants d’un certain nombre de régions russes ainsi que de grandes entreprises du secteur de l’énergie et de la construction de machines en Russie.

53      Quant aux pièces nos 4, 10 et 14, elles confirment que le groupe Sinara a noué des relations commerciales avec des entreprises d’État et qu’il a une présence significative dans de nombreux secteurs, tels que la production de masse de locomotives électriques, le développement d’infrastructures de transport ou encore le développement de nanotechnologies.

54      Partant, eu égard, d’une part, aux fonctions du mari de la requérante au sein de TMK et du groupe Sinara et, d’autre part, aux nombreux secteurs d’activités de ces deux entreprises, à savoir le pétrole, le gaz, les machines ferroviaires, le secteur financier et la construction, il y a lieu de considérer que le mari de la requérante est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

55      Certes, il est vrai que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définit cette notion de « source substantielle de revenus ». Il convient cependant de relever que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable. De même, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés à ce gouvernement. Toutefois, outre les revenus d’impôts que ces deux entreprises apportent nécessairement de par leur très grande taille et par leur place en Russie, il est indéniable que les secteurs d’activités dans lesquels elles sont impliquées fournissent, directement, ou à tout le moins, indirectement, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Tel est le cas, en particulier, des secteurs du pétrole et du gaz, dès lors que TMK jouit d’une place majeure dans l’industrie pétrolière et gazière en tant que société spécialisée dans la production de tuyaux en acier dans ces secteurs. En effet, d’une part, il s’agit de deux secteurs spécifiques de l’économie russe, dont font partie les grandes entreprises d’État Gazprom et Rosneft avec qui TMK a conclu des accords commerciaux et qui bénéficient du savoir-faire de TMK pour développer leurs activités. D’autre part, ces deux secteurs occupent une place particulièrement importante et représentent, à eux seuls, nécessairement des sources substantielles de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

56      Il y a donc lieu d’en conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le mari de la requérante était un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

57      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel, en substance, son mari n’était plus lié de quelque façon que ce soit à TMK et au groupe Sinara au jour de l’adoption des actes par lesquels il a été inscrit sur les listes en cause. En effet, à supposer que par cet argument la requérante tende à faire valoir que son mari avait démissionné de ses fonctions au sein de ces deux entreprises ou qu’il avait cédé les actions qu’il détenait dans ces mêmes entreprises au jour de l’adoption desdits actes, un tel argument ne saurait prospérer.

58      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêts du 14 avril 2021, Al Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 69, et du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 49).

59      S’agissant de l’argument tiré de la démission de son mari, il ne peut qu’être rejeté. En effet, il suffit de constater que, à tout le moins jusqu’au jour de l’adoption des actes attaqués, le mari de la requérante était président du conseil d’administration de TMK et président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. À la supposer établie, l’éventuelle démission de son mari ne précéderait donc pas l’adoption des actes par lesquels il a été inscrit sur les listes en cause, ni l’adoption des actes attaqués. En conséquence, conformément à la jurisprudence citée au point 58 ci-dessus et, ainsi que l’a réitéré le Conseil lors de l’audience, la démission du mari de la requérante ne saurait être prise en considération dans le cadre du présent recours en ce qu’il vise l’annulation des actes attaqués.

60      S’agissant de l’argument tiré de la cession des actions du mari de la requérante, il doit également être rejeté. En effet, indépendamment de la question de savoir si son mari a réellement cédé ses actions de TMK et du groupe Sinara, il y a lieu de rappeler que c’est en raison de ses fonctions au sein de TMK et du groupe Sinara que le Conseil a considéré que le mari de la requérante était un homme d’affaires influent au sens du critère g) et non en raison de sa qualité d’actionnaire de ces deux entreprises. Dès lors, quand bien même son mari aurait effectivement cédé ses actions, cela n’aurait aucune incidence sur la légalité des actes attaqués.

61      Afin de vérifier si le motif retenu à l’égard de la requérante satisfait au critère g), il convient donc désormais d’examiner si la requérante pouvait être considérée comme étant associée avec son mari.

3)      Sur l’association de la requérante avec son mari

62      D’emblée, il y a lieu de relever que la requérante prétend que le Conseil fait une interprétation erronée de la notion d’« association », dès lors que, selon elle, cette notion nécessite l’existence d’un lien par le biais d’une activité économique et politique commune.

63      Un tel argument ne saurait prospérer. Certes, il y a lieu de souligner que, bien que cette notion soit souvent employée dans les actes du Conseil relatifs aux mesures restrictives, elle n’est pas en tant que telle définie et sa signification dépend des contextes et des circonstances en cause. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être considérée comme visant des personnes physiques ou morales qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs, sans pour autant nécessiter un lien par les biais d’une activité économique, mais qui ne sauraient toutefois exclusivement reposer sur un lien familial (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, points 93 et 103 et jurisprudence citée). La notion d’association prévue par les dispositions pertinentes de la décision 2014/145 modifiée et du règlement no 269/2014 modifié peut donc être interprétée en ce sens qu’elle vise toute personne physique ou morale ou toute entité qui présente un lien, tel que défini ci-dessus, avec, en l’espèce, une femme ou un homme d’affaires influent ou une entité ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

64      En l’espèce, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause et du dossier WK ainsi que des écritures des parties que le Conseil a considéré que celle-ci était liée à son mari, en raison de leur lien familial et d’un lien d’affaires compte tenu de leurs fonctions respectives au sein de TMK, du groupe Sinara et de la fondation BF Sinara (voir point 46 ci-dessus).

65      S’agissant du lien familial, force est de constater que la requérante est mariée à M. Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy, ainsi qu’elle le reconnaît dans la requête et que cela ressort des informations figurant sur le site « tadviser.com » (pièce no 2).

66      S’agissant du lien d’affaires, il convient de relever ce qui suit.

67      Premièrement, la requérante ne conteste pas que, à tout le moins jusqu’au 9 mars 2022, son mari était président du conseil d’administration de TMK ainsi que président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara.

68      Deuxièmement, en ce qui concerne la requérante, il est constant entre les parties que, à tout le moins au jour de l’adoption des actes attaqués, elle était présidente du conseil de direction de la fondation BF Sinara. Cet élément d’information est confirmé par la requérante elle-même dans la requête et lors de l’audience, et par ailleurs, il se trouve sur le site « tadviser.com » (pièce no 2), dont elle ne conteste pas le contenu.

69      Troisièmement, s’agissant des activités et de l’importance de la fondation BF Sinara, la requérante reconnaît que cette fondation, d’une part, exerce les activités caritatives de grandes entreprises, dont TMK, et, d’autre part, agit comme l’opérateur uniforme des plus grandes sociétés commerciales de l’Oural. Elle indique, tout d’abord, que cette fondation réalise des programmes sociaux substantiels à long terme dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture et du sport et qu’elle participe également à des programmes majeurs dans le domaine de la collaboration intrasectorielle et coordonne, à cet effet, plus de 20 programmes sociaux. Ensuite, elle précise que, depuis 2017, cette fondation soutient le grand projet de la biennale industrielle d’art moderne de l’Oural, un des plus importants projets internationaux réguliers dans ce domaine en Russie. Enfin, elle souligne que, depuis mars 2020, ladite fondation mène à bien le projet de collecte de fonds intitulé « Stop coronavirus », qui vise à soutenir les établissements médicaux et les organisations non gouvernementales qui apportent une assistance aux personnes âgées isolées. Grâce aux sommes collectées, des équipements ont été fournis à 51 établissements médicaux dans 23 villes.

70      Il découle donc des points 67 à 69 ci-dessus, et ainsi que le soutient à juste titre le Conseil, que la requérante exerce la fonction de présidente du conseil de direction d’une fondation qui occupe une place majeure en Russie, et qui est intimement liée à TMK et au groupe Sinara, dès lors qu’elle exerce leurs activités caritatives. Or, il s’avère que ces deux entreprises ont été créées par son mari et que ce dernier était, à tout le moins jusqu’au 9 mars 2022, respectivement président du conseil d’administration de TMK ainsi que président et membre du conseil d’administration du groupe Sinara. Il y a donc lieu d’en conclure que, s’il est vrai que la requérante n’exerce pas de fonctions directes au sein de TMK et du groupe Sinara, elle et son mari sont liés par des intérêts communs allant au-delà d’un lien familial, dès lors qu’elle occupe des fonctions dans la fondation BF Sinara, chargée de gérer les activités caritatives de ces deux entreprises et dont on ne saurait nier l’importance.

71      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le lien d’association de la requérante avec un homme d’affaires influent, en l’occurrence son mari, en raison tant du lien familial que du lien d’affaires qui les unit.

72      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par la requérante.

73      En premier lieu, elle prétend qu’une distinction devrait être faite entre les personnes « liées », en référence au lien familial, et les personnes « associées », en référence à la structure d’une société. En l’espèce, à supposer que son mari puisse être qualifié d’homme d’affaires influent au sens du critère g), elle estime que le Conseil ne pouvait donc pas se fonder sur leur seul lien familial pour lui appliquer ce critère.

74      S’agissant de la distinction entre personnes « liées » et personnes « associées », à supposer même qu’il faille distinguer entre les deux termes, dans la mesure où le « lien » s’appliquerait plutôt à la relation familiale et le critère d’« association » à la relation de nature économique à travers notamment des sociétés, cette distinction est, en l’espèce, inopérante. En effet, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, ainsi que du dossier WK et des écritures des parties, que le Conseil a considéré que la requérante était liée à son mari, en raison de leur lien familial et de leurs fonctions respectives au sein de TMK, du groupe Sinara et de la fondation BF Sinara (voir point 46 ci-dessus).

75      Dès lors que la motivation retenue en l’espèce pour appliquer les mesures restrictives à la requérante ne tient pas uniquement au fait qu’elle soit l’épouse de M. Dmitry Alexandrovich Pumpyanskiy, mais résulte également d’une combinaison d’éléments qui ont permis de constater l’association de la requérante avec son mari, et en particulier le fait qu’elle lui est « associée » par le biais de la fondation BF Sinara, il convient d’écarter l’argument de la requérante fondé sur la supposée nécessité d’une distinction entre le fait d’être « lié » à une personne et le fait d’être « associé » à cette personne.

76      Quant à l’argument selon lequel le Conseil ne pouvait pas se fonder sur le seul lien familial de la requérante avec son mari pour lui appliquer le critère g), il doit être rejeté pour les mêmes raisons que celles figurant au point 75 ci-dessus.

77      En deuxième lieu, la requérante fait valoir que sa fonction de présidente de la fondation BF Sinara ne saurait être qualifiée d’« association » au sens du critère g). En substance, elle indique que cette fonction correspond principalement à un poste de bénévole honoraire, qui ne lui permet pas de contrôler les affaires de cette fondation. Son rôle consisterait uniquement à superviser certaines activités de soutien aux artistes, aux enfants, aux personnes âgées et aux malades, menées par ladite fondation, ce qui ne justifierait nullement qu’un motif d’inscription soit retenu à son égard.

78      Or, une telle argumentation ne saurait prospérer. En effet, il suffit de relever que la requérante n’a pas été inscrite sur les listes en cause au motif qu’elle était une femme d’affaires influente en raison des fonctions qu’elle exerce au sein de la fondation, mais uniquement au motif qu’elle est « associée », au sens du critère g), avec un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, en raison du lien familial et du lien d’affaires qu’elle a avec son mari. Dès lors, toute argumentation tendant à démontrer qu’elle ne contrôle pas la fondation BF Sinara est dénuée de pertinence aux fins de vérifier si elle peut être qualifiée de personne physique « associée » à son mari.

79      En troisième lieu, dans la réplique, la requérante prétend que, en soutenant que son renvoi à la requête introduite par son mari dans l’affaire T‑270/22 est irrecevable, le Conseil ferait preuve d’un comportement abusif et constitutif d’une discrimination fondée sur le sexe. Elle allègue qu’il ne fait aucun doute que, si elle avait cherché à se renseigner auprès de son mari et à faire siens les arguments de ce dernier, plutôt que d’annexer la requête de son mari, le Conseil y aurait vu une preuve de sa prétendue association avec son mari. Elle ajoute que le Conseil afficherait un certain mépris pour son identité, puisque ce dernier va jusqu’à utiliser, dans son mémoire en défense dans la présente affaire, des parties de sa défense dans l’affaire T‑270/22 relative à son mari, sans même adapter les arguments empruntés à la personnalité et au sexe de la requérante.

80      À cet égard, il suffit de constater que, par son argumentation, la requérante vise à critiquer le comportement du Conseil dans le cadre de la présente instance et non la légalité des actes attaqués. Dès lors, cette argumentation doit être écartée comme étant inopérante aux fins d’apprécier la légalité desdits actes.

81      Enfin, en quatrième lieu, la requérante prétend que, compte tenu du caractère très basique et générique des pièces justificatives contenues dans le dossier WK, les actes attaqués seraient insuffisamment motivés. Par ailleurs, elle ajoute que le Conseil n’a manifestement pas identifié les raisons individuelles, spécifiques et concrètes justifiant l’imposition de mesures restrictives à son égard.

82      À cet égard, il ressort du point 40 ci-dessus, que les éléments de preuve retenus par le Conseil pour inscrire le nom de la requérante sur les listes en cause présentent un caractère sensé et fiable. En outre, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il convient de constater que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à procéder à l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, sont indiquées de manière suffisamment claire pour lui permettre de les comprendre. Cela est d’ailleurs pleinement confirmé par les moyens et les arguments soulevés par la requérante dans ses écritures dont il ressort, d’une part, qu’elle a été mise en mesure de connaître les justifications des mesures prises à son égard afin de pouvoir les contester utilement devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, que le contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures était connu par elle.

83      Il convient d’en conclure que la motivation des actes attaqués est compréhensible et suffisamment précise pour permettre à la requérante de connaître les raisons qui ont conduit le Conseil à considérer que l’inscription de son nom sur les listes en cause était justifiée et d’en contester la légalité devant le juge de l’Union, et de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle. Elle ne saurait donc valablement faire valoir que la motivation des actes attaqués est insuffisante ou imprécise.

84      Par conséquent, au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause en raison de son lien d’association avec son mari, est suffisamment étayé, de sorte que, au regard du critère g), cette inscription est bien fondée.

85      Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

2.      Sur le second moyen, tiré dune violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux

86      Au soutien de ce moyen, subdivisé en deux branches, la requérante fait valoir, premièrement, que l’inscription de son nom sur les listes en cause constitue une limitation injustifiée, arbitraire et disproportionnée de ses droits fondamentaux, au rang desquels figurent, notamment, le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications ainsi que le droit de propriété. Elle ajoute que, puisqu’elle n’a jamais eu de lien avec les élites du Kremlin, ni avec TMK, et dès lors que son mari a cédé ses actions de TMK et du groupe Sinara, le fait de la sanctionner ne participerait aucunement à la réalisation des objectifs du règlement no 269/2014 modifié, consistant à exercer une pression sur les autorités russes. Dans la réplique, elle fait valoir que, au contraire, l’effet des mesures restrictives adoptées serait bénéfique au gouvernement russe en raison du retour forcé en Russie de nombreux hommes d’affaires et des personnes qui leur sont associées. Le maintien de ces mesures restrictives la concernant ne serait donc ni nécessaire ni approprié.

87      Deuxièmement, la requérante fait valoir, en substance, que le motif retenu à son égard qui se rattache au critère g) méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et d’égalité de traitement. L’absence de précision des termes « liée à » ou la simple référence au critère d’« association » conférerait un pouvoir d’appréciation arbitraire au Conseil. Cela serait clair, selon la requérante, dès lors que sur 1 110 personnes actuellement inscrites au titre du règlement no 269/2014 modifié, seules deux sont des conjoints de personnes inscrites.

88      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

a)      Sur la violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux

89      Il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications est consacré à l’article 7 de la Charte.

90      En l’espèce, les mesures restrictives en cause constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété, du droit au respect de leur vie privée et familiale, du domicile et des communications. Toutefois, elles entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée et familiale, le domicile et les communications de la requérante (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 115 et jurisprudence citée).

91      Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

92      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

93      Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

94      En l’espèce, ces quatre conditions sont remplies contrairement à ce que prétend la requérante.

95      En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les actes attaqués comportent pour la requérante sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). De plus, dans le cadre de l’examen du premier moyen, il a été établi que l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfaisait à la charge de la preuve qui lui incombait et permettait légitimement d’inscrire le nom de la requérante sur les listes en cause (voir points 33 à 84 ci-dessus).

96      En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » desdits droits fondamentaux, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et sont réversibles (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑551/18, non publié, EU:T:2021:453, point 96 et jurisprudence citée).

97      Tout d’abord, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées.

98      Ensuite, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée, l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. En outre, dans la mesure où les actes attaqués n’ont pas pour effet de confisquer les biens du requérant, il y a lieu de considérer que de telles mesures ne revêtent aucun caractère pénal.

99      Enfin, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

100    En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

101    La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

102    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère apte à réaliser les objectifs poursuivis des mesures en cause, il y a lieu de relever que, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, les conséquences négatives résultant de leur application à la requérante ne sont pas manifestement démesurées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 116).

103    Il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de l’examen du premier moyen, il a été établi que les mesures restrictives à l’égard de la requérante étaient justifiées au motif que sa situation permettait de considérer qu’elle remplissait les conditions pour l’application du critère g) dès lors qu’elle faisait partie des personnes associées à un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, en l’espèce son mari.

104    En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée). Par ailleurs, force est de constater que la requérante est restée en défaut d’indiquer quelles mesures moins contraignantes le Conseil aurait pu adopter.

105    De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée, l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, ainsi que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

106    De même, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

107    Enfin, la présence du nom de la requérante sur les listes en cause ne saurait être qualifiée de disproportionnée en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité. En effet, ces listes font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 185 et jurisprudence citée).

108    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel, en substance, l’effet des mesures restrictives adoptées serait bénéfique au gouvernement russe en raison du retour forcé en Russie de nombreux hommes d’affaires et des personnes qui leur sont associées (voir point 86 ci-dessus). En effet, il suffit de constater à cet égard que cet argument n’est nullement étayé et qu’il ne saurait être exclu que ces personnes se rendent dans d’autres pays que la Russie.

109    Il y a donc lieu d’en conclure que les restrictions des droits fondamentaux de la requérante, qui découlent des mesures restrictives en cause, ne sont pas disproportionnées et ne peuvent pas entraîner l’annulation des actes attaqués.

b)      Sur la violation du principe dégalité de traitement et du principe de sécurité juridique

110    En substance, la requérante soutient que l’absence de précision des termes « liée à » ou la simple référence au critère d’« association » conférerait un pouvoir d’appréciation arbitraire au Conseil lui ayant permis d’inscrire seulement deux conjoints sur les listes en cause sur les 1 110 personnes inscrites sur ces mêmes listes (voir point 87 ci-dessus).

111    À cet égard, à supposer qu’il faille comprendre que la requérante fait valoir que, eu égard à l’absence de définition du critère d’association, le Conseil dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui ayant permis de soumettre à des mesures restrictives seulement deux conjoints, dont elle, sur les listes en cause, il doit être rejeté comme étant non fondé. En effet, si le Conseil ne peut inscrire sur les listes des personnes qui ne satisfont pas aux critères de désignation fixés par les actes applicables, en revanche, il n’est pas tenu d’inscrire sur ces listes toutes les personnes qui satisfont à ces critères. Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant, le cas échéant, de ne pas soumettre une telle personne ou entité à des mesures restrictives, s’il estime que, au regard de leurs objectifs, il ne serait pas opportun de le faire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 243). Il y a lieu d’ajouter que le fait, à le supposer établi, que seuls deux conjoints, dont la requérante, ont été inscrits sur les listes en cause, tend à démontrer que le Conseil ne se fonde pas uniquement sur le lien familial pour inscrire une personne sur les listes, mais plutôt, à la fois, sur le lien familial et un lien d’affaires comme en l’espèce.

112    Enfin, s’agissant de la prétendue violation du principe de sécurité juridique, la requérante semble prétendre que la formulation très large du critère d’inscription ou, en tout état de cause, des termes « liée à » serait incompatible avec ce principe (voir point 87 ci-dessus).

113    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, exige notamment que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et sur les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, point 77 et jurisprudence citée). Une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë. Le principe de sécurité juridique implique notamment que toute réglementation de l’Union, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et prendre leurs dispositions en conséquence. Cette exigence d’une base juridique claire et précise a également été consacrée dans le domaine des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, points 131 et 132 et jurisprudence citée).

114    Il y a lieu d’admettre que, par sa formulation très large, le critère d’association en cause en l’espèce confère un pouvoir d’appréciation au Conseil. Toutefois, contrairement aux allégations de la requérante, ce pouvoir n’est ni arbitraire ni incompatible avec le principe de sécurité juridique.

115    Premièrement, il y a lieu de relever que l’existence de termes vagues dans la disposition n’entraînait pas nécessairement une violation de l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire. En outre, l’exigence de prévisibilité qui accompagne le principe de légalité des peines – lequel impose que la loi définisse clairement les infractions et les peines – ne s’oppose pas à ce que la loi attribue un pouvoir d’appréciation dont l’étendue et les modalités d’exercice se trouvent définies avec une netteté suffisante. Ces principes jurisprudentiels sont également applicables en ce qui concerne les mesures restrictives qui, bien qu’elles ne visent pas en principe à sanctionner des infractions, mais constituent des mesures préventives, affectent lourdement les droits et libertés des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, points 135 et 136 et jurisprudence citée).

116    Deuxièmement, le critère d’association en cause, en l’espèce, s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives à l’encontre de la Fédération de Russie.

117    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le critère de fond relatif aux femmes et aux hommes d’affaires influents prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié concerne les personnes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Or, ce critère vise les personnes susceptibles d’apporter des sources de revenus permettant de financer les actions de la Russie compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

118     En outre, s’agissant des personnes associées aux femmes et aux hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, il convient d’observer que, lorsque les fonds de ces dernières sont gelés, il existe un risque non négligeable qu’elles exercent des pressions sur les personnes qui leur sont associées pour contourner l’effet des mesures qui les visent (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, points 139).

119    Il y a lieu d’en conclure que le critère d’association définit ainsi de manière objective une catégorie circonscrite de personnes.

120    Pour l’ensemble de ces raisons, il y a lieu de constater que le critère d’association limite le pouvoir d’appréciation du Conseil, en instaurant des critères objectifs, lesquels garantissent le degré de prévisibilité requis par le droit de l’Union et le respect du principe de sécurité juridique.

121    Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

122    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Galina Evgenyevna Pumpyanskaya est condamnée aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.