Language of document : ECLI:EU:T:2005:298



ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

27 juillet 2005 (*)

« Ententes – Marché luxembourgeois de la bière – Amendes »

Dans les affaires jointes T-49/02 à T-51/02,

Brasserie nationale SA(anc. Brasseries Funck-Bricher et Bofferding), établie à Bascharage (Luxembourg), représentée par Mes A. Carnelutti et L. Schiltz, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

Brasserie Jules Simon et Cie SCS, établie à Wiltz (Luxembourg), représentée par Mes A. Carnelutti et J. Mosar, avocats,

Brasserie Battin SNC, établie à Esch-sur-Alzette (Luxembourg), représentée par Mes A. Carnelutti et M. Santini, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Wils et A. Bouquet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de l’article 1er de la décision 2002/759/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire COMP/37.800/F3 – Brasseries luxembourgeoises) (JO 2002, L 253, p. 21), en tant qu’il concerne les requérantes, et, d’autre part, une demande tendant, à titre principal, à l’annulation de l’article 2 de cette décision en tant qu’il impose des amendes aux requérantes et, à titre subsidiaire, à la réduction substantielle du montant desdites amendes,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, N. J. Forwood et Mme I. Pelikánová, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mars 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits

1       Les présentes affaires concernent la décision 2002/759/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire COMP/37.800/F3 – Brasseries luxembourgeoises) (JO 2002, L 253, p. 21, ci-après la « Décision »).

2       La Décision vise la convention signée le 8 octobre 1985 (ci-après la « Convention ») par cinq brasseries luxembourgeoises (ci-après les « parties »), à savoir la Brasserie nationale (ci-après « Brasserie nationale »), la Brasserie Jules Simon et Cie, anciennement dénommée Brasserie de Wiltz (ci-après « Wiltz »), la Brasserie Battin (ci-après « Battin ») (ci-après ensemble les « requérantes »), la Brasserie de Diekirch (ci-après « Diekirch ») et, enfin, les Brasseries Réunies de Luxembourg Mousel et Clausen (ci-après « Mousel »).

3       En 1999, Mousel et Diekirch ont été acquis par Interbrew SA (ci-après « Interbrew »). En juillet 2000, Diekirch est devenue une filiale de Mousel. À cette occasion, Mousel a été renommée Brasserie de Luxembourg Mousel-Diekirch (ci-après « Brasserie de Luxembourg »).

4       Dans la Décision, Brasserie nationale est désignée par « Brasserie nationale ‑ Bofferding », en abrégé « Bofferding ». Lors de l’audience, son avocat a toutefois confirmé que ces termes visaient la même entité juridique. Elle sera désignée ci-après par « Brasserie nationale ».

5       L’article 1er de la Convention énonce :

« Cette convention a pour but de prévenir et de régler les conflits qui au Grand-Duché peuvent se présenter en ce qui concerne le respect et la protection réciproque des clauses de brasserie dites ‘clauses de bière’, [qu’une telle clause] soit rédigée séparément ou qu’elle soit contenue dans toute autre convention ou autre engagement […] »

6       L’article 2 de la Convention énonce :

« Est considérée comme clause de bière toute convention écrite quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité, par laquelle une des brasseries contractantes a convenu avec un débitant que celui-ci s’approvisionnera en exclusivité en bières luxembourgeoises de [sa] propre fabrication ou fabriquées sous licence par une brasserie luxembourgeoise et/ou vendues par une brasserie luxembourgeoise pour une durée déterminée et/ou pour une quantité déterminée de bière […] »

7       L’article 4 de la Convention stipule :

« Les brasseries soussignées s’interdisent à elles-mêmes et s’engagent à interdire strictement à leurs dépositaires toute vente de bière dans un débit garanti aux termes de la présente convention à l’une des autres brasseries signataires.

En cas de récidive du dépositaire, il sera procédé de la manière suivante :

La brasserie contractante fera constater le débit des bières de la brasserie concurrente auprès de son client et lui [fera] signifier à toutes fins utiles la convention d’approvisionnement. Elle signifiera également cette convention au dépositaire et le mettra en demeure de s’abstenir de toutes fournitures de bières. En même temps elle demandera à la brasserie concurrente de convoquer son dépositaire et de le sommer en due forme [de] cesser toutes fournitures au client lié par contrat à son collègue, ceci pour éviter toute complicité de la brasserie concurrente avec son dépositaire dans ses agissements […] »

8       L’article 5 de la Convention prévoit :

« Chacune des brasseries contractantes s’engage avant de conclure et/ou de faire une fourniture de bière à un débitant approvisionné antérieurement par l’autre brasserie, à s’informer au préalable auprès de celle-ci au sujet de l’existence d’une ‘clause de bière’ en sa faveur.

Cette demande d’information est adressée par écrit à l’autre brasserie, qui sera tenue de donner les renseignements accompagnés, si nécessaire, des pièces à l’appui, permettant de constater s’il y a ou non ‘clause de bière’ […] Copie de cette demande d’information peut être adressée au directeur de la Fédération des Brasseurs luxembourgeois. »

9       Les articles 6 et 7 de la Convention prévoient des pénalités en cas de violation des articles 4 ou 5. Les articles 8, 9 et 10 prévoient des procédures de conciliation, d’arbitrage et de consultation. L’article 11 prévoit la possibilité de dénoncer la Convention en cas de prise de contrôle par une société étrangère ou de coopération avec une brasserie étrangère. Enfin, l’article 12 stipule que la Convention est conclue pour une durée illimitée, le préavis de résiliation étant de douze mois.

10     La Convention est complétée par une déclaration d’intention, signée également le 8 octobre 1985 (ci-après la « Déclaration d’intention concernant Battin »), qui se lit ainsi :

« [Battin] ne contrevient pas à l’article 2 [de la Convention] en distribuant les bières de son concédant la ‘Bitburger Brauerei Th. Simon’, RFA, selon les formes et modalités de distribution actuellement pratiquées.

Si, à l’avenir, une modification soit des formes et modalités de cette distribution, soit une augmentation sensible de volume venait à troubler l’équilibre actuel de la distribution […], la [Convention] pourra être dénoncée à tout moment à l’égard de [Battin]. »

11     La Convention a également été complétée par une déclaration d’intention, signée lors de la réunion de la Fédération des brasseurs luxembourgeois (ci-après la « FBL ») du 2 décembre 1986 (ci-après la « Déclaration d’intention concernant les brasseries étrangères ») et qui prévoit :

« Les brasseries signataires de la convention en référence déclarent vouloir réserver la priorité pour le démarchage et la conclusion d’une clause d’approvisionnement à une de leurs consœurs luxembourgeoises dans le cas où des indications écrites de la brasserie qui détient le contrat font présumer qu’un de ses clients, malgré [le fait] qu’il soit lié envers l’une d’elles par une clause d’approvisionnement qui rentrerait dans le cadre de la [Convention], est démarché et s’apprête à conclure une convention d’approvisionnement avec une brasserie étrangère.

Pour le cas où une consœur aura pu conclure une clause d’approvisionnement avec l’ancien client de la brasserie qui lui a réservé par écrit la priorité au démarchage, cette consœur s’engage, à la première occasion qui se prête à un tel échange, [à] offrir un de ses clients qui serait dans une position semblable au démarchage de cette brasserie. »

 Décision attaquée

12     Dans la Décision, il est considéré que la Convention avait pour objet, en premier lieu, de maintenir les clientèles respectives des parties dans le secteur dit « Horeca » (hôtels, restaurants, cafés) luxembourgeois et, en second lieu, d’entraver la pénétration de ce secteur par les brasseries étrangères (considérants 47 à 73).

13     Ensuite, il est considéré que la Convention était susceptible de restreindre sensiblement la concurrence dans ce secteur et d’affecter sensiblement le commerce entre États membres. Il est donc conclu que, en adoptant la Convention, les parties ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE (considérants 74 à 85).

14     Selon la Décision, l’infraction a été commise de propos délibéré au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), alors applicable (considérants 89 et 90).

15     L’article 1er de la Décision énonce ainsi :

« [Les parties] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] en concluant un accord qui avait pour objet de maintenir leurs clientèles respectives dans le secteur Horeca luxembourgeois et d’entraver la pénétration de ce secteur par des brasseurs étrangers.

L’infraction a duré d’octobre 1985 à février 2000. »

16     L’article 2 de la Décision inflige une amende de 400 000 euros à Brasserie nationale et des amendes de 24 000 euros chacune à Wiltz et à Battin.

 Procédure

17     Par trois requêtes déposées au greffe du Tribunal le 26 février 2002, les requérantes ont introduit les présents recours.

18     Les procédures écrites ont pris fin le 25 novembre 2002.

19     Les parties ayant été entendues sur ce point, le président de la deuxième chambre a, par ordonnance du 15 février 2005, joint les présentes affaires aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

20     Le président de la deuxième chambre étant empêché de siéger dans les présentes affaires, le 22 février 2005, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, M. le juge N. J. Forwood pour compléter la chambre.

 Conclusions des parties

21     Dans chacune des affaires, la requérante concernée conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler l’article 1er de la Décision en tant qu’il retient une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à l’encontre de la requérante ;

–       annuler en tout état de cause l’article 2 de la Décision en tant qu’il impose une amende à la requérante et, à titre subsidiaire, en réduire substantiellement le montant ;

–       condamner la Commission aux dépens.

22     Dans chacune des affaires, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner la requérante aux dépens.

 En droit

23     Dans chacune des affaires, la requérante concernée invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et, le second, d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’obligation de motivation consacrée à l’article 253 CE.

1.     Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE

24     Le premier moyen se divise en cinq branches, par lesquelles les requérantes reprochent à la Commission, premièrement, de ne pas avoir suffisamment tenu compte, pour apprécier l’objet de la Convention, du contexte dans lequel s’inscrivait cette dernière, deuxièmement, d’avoir retenu qu’elle s’appliquait en l’absence de « clause de bière », troisièmement, de l’avoir qualifiée d’accord de maintien de clientèles et, partant, d’anticoncurrentiel par son objet, quatrièmement, d’avoir conclu qu’elle avait pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères et, cinquièmement, d’avoir estimé qu’elle avait un effet sensible sur la concurrence.

25     À cet égard, il y a lieu de relever que la troisième branche du premier moyen se rapporte au premier objet restrictif retenu par la Commission, à savoir le maintien de la clientèle respective des parties dans le secteur Horeca au Luxembourg, la quatrième branche de ce moyen visant le second objet restrictif retenu par la Commission, à savoir l’entrave de la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères. La première branche du premier moyen dénonce un défaut de motivation quant à l’appréciation de l’objet de la Convention.

26     Il en résulte que les troisième, quatrième et première branches du premier moyen ont toutes trait à l’appréciation de l’objet de la Convention. Dans cette mesure, il convient de les examiner conjointement.

 Sur l’appréciation de l’objet de la Convention (troisième, quatrième et première branches du premier moyen)

 Décision attaquée

27     Dans la Décision, il est rappelé, d’abord, que, selon le compte rendu de la réunion de la FBL du 7 octobre 1986, tel que modifié par celui de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986, les parties étaient convenues d’une interprétation plus large du terme « clause de bière » que celle prévue à l’article 2 de la Convention. Le compte rendu du 7 octobre 1986 énonce (considérant 9) :

« [I]l est convenu d’admettre et d’assimiler à la ‘clause bière’ :

–       l’opération consistant à prendre un bail et à participer financièrement à l’équipement d’un café ‑ sans qu’une ‘clause bière’ soit expressément mentionnée, par exemple la brasserie X prend [à] bail un immeuble et participe financièrement à la mise en valeur de l’immeuble suivant sa destination, mais ne conclut pas ou n’arrive pas à conclure une obligation avec le propriétaire,

–       la reprise par une brasserie d’un droit de cabaretage [licence de débit de boissons], sans qu’une ‘clause bière’ soit expressément mentionnée.

Ces deux interprétations font partie intégrante des dispositions existant en ce domaine. »

28     Selon la Décision, cette interprétation est confirmée par une lettre adressée le 23 octobre 1991 par Wiltz à la FBL, aux termes de laquelle (considérant 9) :

« [L]es brasseurs conviennent d’admettre et d’assimiler à la ‘clause bière’

–       l’opération consistant à prendre un bail ;

–       la mise à disposition par une brasserie, à quelque titre que ce soit, d’un droit de cabaretage. »

29     En ce qui concerne l’appréciation juridique de l’objet de la Convention, la Décision relève (considérant 47) :

« La convention a pour objet, en premier lieu, de restreindre la concurrence entre les brasseries signataires, par le maintien de leurs clientèles respectives dans le secteur Horeca au Luxembourg. C’est ce qui résulte des articles 4 et 5 de la convention, ainsi que des articles 6 et 7 qui prévoient des sanctions en cas de violation de ces dispositions (considérants 48 à 66). En outre, la convention vise à entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères. Ce second objet restrictif de la concurrence ressort en particulier de la deuxième déclaration annexée à la convention (considérants 67 à 73). »

30     Concernant le premier objet restrictif, il est considéré que l’article 4 de la Convention interdisait à chaque brasserie signataire et à ses dépositaires de fournir de la bière aux débits garantis aux autres brasseries luxembourgeoises. Selon la Décision, cette interdiction s’appliquait à trois cas de figure, à savoir celui de l’absence de contrat de fourniture ou de « clause de bière », celui d’une « clause de bière » invalide ou inopposable et celui d’une « clause de bière » valide, et comportait une restriction de concurrence dans chacun de ces cas. Selon la Décision, dans chacun de ces cas, l’objet même de la Convention était restrictif de la concurrence (considérant 48).

31     S’agissant du premier cas, il est relevé que, quand une brasserie finançait l’équipement ou prenait un droit de cabaretage, mais ne concluait pas de contrat avec le débitant ou ne lui imposait pas de clause d’achat exclusif, l’article 4 de la Convention empêchait ce débitant de s’approvisionner auprès d’autres brasseries luxembourgeoises, de sorte que, d’une part, la première brasserie maintenait sa clientèle et, d’autre part, la liberté d’action du débitant et des brasseries tierces était limitée (considérant 50).

32     S’agissant du deuxième cas, il est relevé que la Convention allait au-delà des restrictions imposées par la loi dans la mesure où elle obligeait les parties à respecter des « clauses de bière » qui n’étaient pas valides, ou qui étaient inopposables, par exemple en raison d’une violation des obligations contractuelles de la brasserie envers le débitant. Ainsi, les parties réduisaient leur liberté d’action et s’accordaient des avantages, en termes de maintien de leur clientèle et de sécurité juridique, qu’elles n’auraient pas obtenu dans des conditions normales de concurrence. Il est ajouté que la jurisprudence luxembourgeoise relative à la nullité des contrats pour cause d’indétermination du prix ou de la quantité n’existe plus depuis le mois de mars 1996, mais que les parties n’ont pas pour autant mis fin à la Convention à cette date. En outre, l’expression « quelle que soit sa validité juridique, et/ou sa durée, et/ou son opposabilité » étendait, selon la Décision, la garantie de l’article 4 à des contrats invalides ou inopposables également pour des motifs autres que l’indétermination du prix ou de la quantité (considérants 52 à 55).

33     S’agissant du troisième cas, la Décision fait état, en premier lieu, de ce que l’article 4 de la Convention interdisait « toute vente de bière dans un débit garanti [...] à l’une des autres brasseries signataires », alors que l’obligation prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l’application de l’article [81], paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords d’achat exclusif (JO L 173, p. 5), tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1582/97 de la Commission, du 30 juillet 1997 (JO L 214, p. 27), se limitait aux bières du même type que celles livrées par la brasserie contractante. En second lieu, la Convention interdisait toute fourniture à un débit garanti à une autre partie, alors que la sanction prévue par le droit civil pour de telles fournitures se limite, selon les parties mêmes, au paiement de dommages et intérêts. Or, pour diverses raisons, il serait possible qu’un débitant souhaite rompre son contrat, en en assumant les conséquences financières. La Convention aurait rendu inopérante cette possibilité d’arbitrage par les débitants et aurait donc servi à préserver des relations inefficaces (considérants 56 à 58).

34     Ensuite, la Décision relève que la restriction de concurrence du fait de l’objet de la Convention résulte, en premier lieu, du fait non contesté par les parties que la Convention s’appliquait même en l’absence de contrat de fourniture ou de « clause de bière » et qu’elle ne pouvait donc faire l’objet d’un quelconque litige (considérant 59).

35     En deuxième lieu, il est rappelé que la Convention a été précédée de plusieurs autres accords entre brasseries luxembourgeoises, par exemple la convention du 1er septembre 1966 impliquant toutes les brasseries contractantes, ainsi que les conventions du 13 juin 1975 et du 28 avril 1983 impliquant Brasserie nationale et Mousel. Ces accords antérieurs auraient déjà obligé les brasseries signataires au respect total de leur clientèle respective, sans se référer à une clause d’achat exclusif, et sans faire état par ailleurs du moindre problème relatif à la sécurité juridique. Selon la Décision, l’interprétation de la Convention ne peut pas être entièrement dissociée de ce contexte historique, qui est de nature à mettre en doute le motif d’insécurité juridique avancé par les parties pour justifier la Convention (considérant 60).

36     En troisième lieu, il est relevé que l’appréciation de l’objet de la Convention ne dépend pas des intentions subjectives des parties, dans la mesure où elle est manifestement de nature à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence (considérant 61).

37     En quatrième lieu, la Commission a souligné, en ce qui concerne le problème de l’insécurité juridique évoqué par les parties, que, selon les règles du droit civil national applicables, ce type de problème affecte divers types de contrats dans divers secteurs industriels et dans différents États membres et fait partie de l’ensemble des risques commerciaux que chaque entreprise doit affronter de manière autonome. Selon la Décision, ce problème « ne justifie pas une entente dont le bénéfice est réservé aux entreprises nationales » et « ne mérite pas une dérogation » à l’article 81, paragraphe 1, CE (considérant 62).

38     Par ailleurs, la Décision relève que le directeur de la FBL a explicitement reconnu l’invalidité juridique de la Convention en déclarant, lors de la réunion de conciliation entre Brasserie nationale et Diekirch tenue le 19 mars 1996, que, « même si les [stipulations] interbrasseries n’ont pas de valeur juridique, il y a l’esprit qu’on y a mis et qui domine » (considérant 63).

39     Ensuite, la Décision relève que l’article 5 de la Convention renforce la restriction de concurrence résultant de l’article 4 en assurant son application effective et que les articles 6 et 7 visent à renforcer les obligations imposées par les articles 4 et 5 et prévoient des sanctions allant au-delà de celles prévues par le droit civil (considérants 64 à 66).

40     Concernant le second objet restrictif, à savoir celui d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères, la Décision relève que la Déclaration d’intention concernant les brasseries étrangères prévoit une consultation entre les parties afin de réserver la priorité de démarchage à l’une des « consœurs luxembourgeoises » puis, dans le cas où ce démarchage aboutirait, un mécanisme compensatoire d’échange de débits entre les deux parties concernées. Cet objet serait confirmé par le fait que, lors de la réunion de conciliation entre Brasserie nationale et Diekirch tenue le 19 mars 1996, susvisée, le directeur de la FBL a déclaré qu’« [i]l s’agi[ssai]t d’éviter [...] l’arrivée massive des brasseries étrangères sur [leur] marché ». Si cette remarque n’engage pas les parties, il y aurait lieu, néanmoins, d’en tenir compte afin d’interpréter la Convention, dès lors qu’elle a été prononcée lors d’une réunion relative à l’application de ladite Convention. Selon la Décision, ce second objet restrictif ne peut pas être dissocié du premier, dans la mesure où la restriction de la pénétration du marché luxembourgeois par les brasseries étrangères contribuait à préserver la stabilité des rapports entre les parties. La Déclaration d’intention concernant Battin aurait visé à préserver l’«’équilibre actuel de la distribution », ce qui indiquerait que les parties estimaient qu’il existait un certain équilibre qui méritait d’être protégé. Enfin, la Décision relève que l’article 11 de la Convention prévoit la possibilité de dénoncer celle-ci à l’égard d’une brasserie contractante qui coopère avec une brasserie étrangère (considérants 67 à 73).

 Arguments des parties

–       Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet le maintien de clientèles (troisième branche du premier moyen)

41     Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir qualifié la Convention d’accord de maintien de clientèles et, partant, d’anticoncurrentiel par son objet.

42     En effet, selon les requérantes, l’objectif unique de la Convention était de faire respecter les exclusivités contractuellement consenties entre débitant et brasserie, dont la Cour a admis qu’elles n’ont pas d’objet anticoncurrentiel (arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C‑234/89, Rec. p. I-935). Brasserie nationale ajoute que cet objectif de la Convention se déduit de chacun des cas où la Convention a été invoquée, lesquels sont rapportés dans la Décision.

43     S’agissant de la considération selon laquelle le bénéfice de la Convention était réservé aux brasseries nationales (considérant 62 de la Décision), les requérantes font valoir que la Convention était ouverte à toutes les brasseries présentes au Luxembourg. Elles ajoutent que Mousel et Diekirch n’ont pas été évincées de la Convention à la suite de leur reprise par Interbrew.

44     Selon les requérantes, le mécanisme d’échange d’informations prévu à l’article 5 de la Convention permettait de circonscrire la portée de celle-ci aux « clauses de bière » écrites. Dans la copie du contrat échangée, les informations commercialement sensibles auraient été occultées. Brasserie nationale ajoute que l’article 4 de la Convention ne ferait qu’exprimer l’engagement des parties de respecter les exclusivités. Le terme « débit garanti » qui y est employé signifierait simplement « lié » à une brasserie en raison d’une « clause de bière », ce que le troisième alinéa dudit article confirmerait.

45     S’agissant des accords ayant précédé la Convention, évoqués au considérant 60 de la Décision, les requérantes font valoir que leur appréciation dans la Décision est faussée. Elles précisent que les accords de 1980 et 1981 ainsi que la Convention visaient à garantir l’exclusivité contractuellement consentie, à la différence des accords de 1975 et 1983. Brasserie nationale précise encore que la plupart de ces accords sont antérieurs au traité CEE, que les accords postérieurs à ce traité ne liaient que deux des parties, que, parmi ces derniers accords, celui de 1980 a été ignoré par la Commission et que le seul accord multilatéral date de 1966, donc d’avant l’expiration de la période de transition, et a pris fin très longtemps avant la Convention.

46     S’agissant de la remarque du directeur de la FBL visée au considérant 63 de la Décision (voir point 38 ci-dessus), Brasserie nationale conteste l’autorité même du directeur, en ce que la FBL a une mission limitée et que le profil de son directeur ne lui permet guère de connaître le marché. De surcroît, son point de vue sur la validité de la Convention serait erroné. En effet, selon Brasserie nationale, dans la mesure où la Convention ne visait qu’à assurer le respect d’accords d’exclusivité n’impliquant pas le franchissement de frontières, elle ne concernait pas les importations ou exportations (arrêt de la Cour du 18 mars 1970, Bilger, 43/69, Rec. p. 127). Par conséquent, selon Brasserie nationale, la Convention était dispensée de notification, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17, de sorte qu’elle demeurait valide jusqu’à l’éventuelle constatation d’une infraction. Wiltz et Battin contestent également l’autorité de ladite déclaration du directeur de la FBL et relèvent elles aussi que la Convention ne concernait pas les importations ou exportations.

47     Ensuite, les requérantes soutiennent que la Convention a été adoptée pour trois raisons. Brasserie nationale, pour sa part, ne se prévaut de ces raisons qu’en ce qui concerne les deuxième et troisième cas de figure évoqués dans la Décision, à savoir respectivement celui d’une « clause de bière » invalide ou inopposable et celui d’une « clause de bière » valide, en réitérant que le premier, à savoir celui de l’absence de « clause de bière », ne relève pas de la portée de la Convention.

48     S’agissant de la première raison, les requérantes font valoir que les contrats comportant une « clause de bière » étaient systématiquement annulés par les tribunaux luxembourgeois pour indétermination du prix et de la quantité, sur la base d’une jurisprudence française rendue à propos de dispositions similaires du code civil. Brasserie nationale ajoute que la Convention constituait un mode de règlement alternatif des litiges qui écartait, eu égard à cette jurisprudence, la question de la validité des « clauses de bière » et que c’était à cet effet que les termes « quelles que soit sa validité juridique, […] et/ou son opposabilité » avaient été inclus dans l’article 2 de la Convention.

49     Les requérantes précisent que le risque d’invocation de la nullité d’un contrat comportant une « clause de bière » devant les tribunaux luxembourgeois existait quel que soit le point de départ du contentieux, en ce que toute assignation en justice, y compris celle suivant la résiliation ou l’inexécution dudit contrat, exposait la brasserie concernée à ce risque. Si la jurisprudence française susvisée a été abandonnée en 1995, cette évolution étant suivie au Luxembourg d’un seul jugement de première instance datant du mois de mars 1996, ce seul jugement ne suffisait pas, selon les requérantes, à éliminer le présent risque. Il importerait peu que cette jurisprudence française ait été unanime ou majoritaire. En réponse à l’argumentaire de la Commission, Brasserie nationale ajoute que le fait que le revirement de la jurisprudence française se soit opéré en deux temps est sans incidence en ce qui concerne la date effective du revirement de la jurisprudence luxembourgeoise, qu’il a fallu attendre trois à quatre années pour qu’un jugement luxembourgeois d’appel dans une affaire de bière consacre ce revirement français et que les solutions envisageables pour se conformer à la jurisprudence en question étaient également caractérisées par l’incertitude et, en tout état de cause, inadaptées à la distribution de bière. En ce qui concerne l’adjonction demandée afin d’exprimer le fait que la Convention visait des cas de nullité autres que ceux touchés par l’indétermination du prix et de la quantité, Brasserie nationale soutient que l’absence d’inclusion formelle de cette adjonction indique, précisément, que celle-ci n’a pas été acceptée par les parties.

50     S’agissant de la deuxième raison, les requérantes prétendent que la brasserie ayant conclu un nouveau contrat comportant une « clause de bière » avec un débitant se voyait exposée au risque d’être poursuivie par une autre brasserie pour tierce complicité de violation des obligations incombant à ce débitant. Selon les requérantes, pour marginal qu’il fût sous l’empire de la jurisprudence susvisée sur la nullité, ce risque pouvait donner lieu à une procédure longue et coûteuse. À l’inverse, selon les requérantes, si la tierce complicité pouvait, dans des hypothèses marginales, être un remède pour la brasserie victime du manque de loyauté du débitant, l’efficacité de ce remède exigeait une procédure similaire.

51     S’agissant de la troisième raison, les requérantes soutiennent que les brasseries ne disposaient pas d’un recours juridictionnel efficace pour assurer le respect des exclusivités convenues. Pallier les insuffisances d’un droit national constituerait un motif classique du recours à des règles privées. La question de savoir si la Convention était contraire à l’ordre public relèverait de la seule compétence des tribunaux luxembourgeois, de sorte qu’elle devrait être présumée licite.

52     Ensuite, les requérantes font valoir que, loin de restreindre leur liberté d’agir, elles l’ont exercé en vue d’assurer le respect des contrats signés. À supposer que la Convention ait eu un effet restrictif de concurrence détachable de celui inhérent aux « clauses de bière », elle aurait été justifiée par la nécessité de préserver la loyauté commerciale. Brasserie nationale se prévaut, à cet égard, des arrêts de la Cour du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit « Cassis de Dijon » (120/78, Rec. p. 649), et du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, Rec. p. I‑1577). Selon les requérantes, l’état du droit luxembourgeois ne saurait être une « frontière » fixant le niveau de garantie qu’elles pouvaient s’accorder afin d’assurer cette loyauté commerciale. Par ailleurs, elles s’efforcent d’établir une analogie avec l’article 5, sous c), du code de conduite professionnelle de l’Institut des mandataires agréés près l’Office européen des brevets (ci-après l’« IMA »), article dont la Commission, dans sa décision ayant fait l’objet de l’arrêt du Tribunal du 28 mars 2001, Institut des mandataires agréés/Commission (T‑144/99, Rec. p. II‑1087, points 89 et 90) aurait admis qu’il n’appelait pas d’objection. En effet, selon les requérantes, la Convention interdisait seulement de contracter avec un débitant déjà lié à un concurrent par un contrat comportant une « clause de bière » et n’emportait aucune interdiction lorsque la relation commerciale avait pris fin.

53     Par ailleurs, les requérantes contestent le fait que la Convention ait protégé « des relations brasseur-débitant inefficaces » (considérant 57 de la Décision). En effet, les notions de validité et d’opposabilité mentionnées à l’article 2 de la Convention ne viseraient que des vices affectant le contrat au moment de sa formation et la Convention n’aurait pas eu pour objet ou pour effet d’interdire une résiliation en cas de manquements graves de la brasserie envers le débitant.

54     En ce qui concerne la considération selon laquelle la Convention était plus restrictive que les « clauses de bière », dans la mesure où son article 4 interdisait « toute vente de bière » à un débitant lié à l’une des parties (considérant 56 de la Décision), les requérantes font valoir que la Convention ne s’appliquait qu’aux bières du type « pils ». Brasserie nationale indique que, pour une brasserie luxembourgeoise, la notion de bière ne visait que les bières de ce type, en ajoutant que ce n’est que bien après la conclusion de la Convention que Mousel et Diekirch ont entrepris de distribuer d’autres types de bière. Wiltz et Battin soutiennent que l’article 4 ne pouvait avoir pour sens que d’empêcher les parties de livrer les bières qu’elles produisaient ou distribuaient. Or, celles-ci n’auraient été que du type « pils ».

55     Enfin, Brasserie nationale fait valoir que le système d’échange d’informations prévu par la Convention n’a aucun rapport avec celui faisant l’objet des arrêts du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission (T‑34/92, Rec. p. II‑905), et Deere/Commission (T‑35/92, Rec. p. II‑957), qui seraient les seuls où le Tribunal a sanctionné l’échange d’informations ne concernant pas les prix et ne constituant pas le support d’un autre mécanisme anticoncurrentiel.

56     La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

–       Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois (quatrième branche du premier moyen)

57     Les requérantes soutiennent que la Commission a considéré à tort que la Convention avait pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères.

58     En effet, selon les requérantes, la Convention ne visait qu’à contrer la violation des « clauses de bière » du fait des brasseries étrangères, tout en préservant la possibilité pour une brasserie luxembourgeoise de répondre avec succès à l’offre d’un débitant envisageant de contracter avec une brasserie étrangère. En outre, la Convention aurait été justifiée par la situation exceptionnelle du Luxembourg, et notamment la disproportion des forces entre les brasseries luxembourgeoises et étrangères, et par la situation anormale résultant du manque de loyauté des débitants. Brasserie nationale ajoute que, dès lors que les « clauses de bière » ne sont pas contestées par la Commission, celle-ci ne pourrait pas indirectement leur porter atteinte. Par ailleurs, la Convention n’aurait pas empêché les brasseries étrangères de contracter. Enfin, le mécanisme de compensation prévu par la Déclaration d’intention concernant les brasseries étrangères n’appellerait pas de critique particulière.

59     S’agissant de la Déclaration d’intention concernant Battin, Brasserie nationale soutient que son premier alinéa encourage, précisément, la pénétration au Luxembourg de bières étrangères. Le terme « équilibre » employé à son deuxième alinéa n’impliquerait que le souhait de préserver la possibilité pour l’offre nationale d’être présente lorsqu’un débit est ouvert à la concurrence.

60     Les requérantes font également valoir que l’article 11 de la Convention n’a jamais été mis en œuvre. Brasserie nationale ajoute qu’aucune dissuasion n’en est résultée, ni n’était recherchée. Wiltz et Battin ajoutent que l’article 11 n’est qu’accessoire, ainsi qu’il serait admis au considérant 72 de la Décision. La possibilité de dénonciation prévue par la Déclaration d’intention concernant Battin ne serait donc pas davantage une restriction par elle-même.

61     En ce qui concerne la déclaration du directeur de la FBL visée au considérant 68 de la Décision, les requérantes réitèrent l’argument selon lequel son autorité est contestable. Brasserie nationale ajoute que cette déclaration n’engage que le directeur lui-même et n’est pas représentative de l’opinion de Brasserie nationale.

62     Enfin, Brasserie nationale soutient que la Décision est affectée d’une contradiction de motifs en tant qu’elle reproche aux parties de refuser aux brasseries étrangères des avantages qui sont, par ailleurs, jugés inadmissibles entre brasseries nationales.

63     La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

–       Sur l’insuffisante prise en compte du contexte de la Convention dans l’appréciation de son objet (première branche du premier moyen)

64     Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir suffisamment tenu compte, pour apprécier l’objet de la Convention, du contexte dans lequel s’inscrivait cette dernière. Cette erreur justifierait l’annulation de la Décision, d’autant plus qu’elle serait à l’origine de graves contresens dans l’interprétation de la Convention.

65     En effet, les requérantes soutiennent que, s’il est superflu de démontrer les effets d’un accord restrictif par son objet, l’identification d’un objet restrictif requiert une analyse du contexte (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 23 à 25). Brasserie nationale se prévaut, en outre, des arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société technique minière (56/65, Rec. p. 337, 359 et 360); du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 26), et Wouters e.a., précité (point 97), et des arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission (T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, points 44 à 53), et du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission (T‑112/99, Rec. p. II‑2459, point 76).

66     Or, selon les requérantes, à une exception près, le cadre concret dans lequel la Convention a déployé ses effets est demeuré étranger à l’appréciation de son objet. S’agissant dudit cadre concret, les requérantes se prévalent de la vitalité du secteur concerné en termes de parts de marché, lesquelles connaissent de fortes variations selon les brasseurs, et de l’ouverture unique dans la Communauté de ce secteur aux importations. En effet, elles font valoir que plus de 33 % de la bière consommée au Luxembourg est d’origine importée et soulignent la présence aux frontières de producteurs majeurs. Brasserie nationale invoque, en outre, l’existence d’un nombre important de débits non liés aux parties et pouvant constituer un terrain propice à une concurrence additionnelle entre brasseries luxembourgeoises et étrangères. Lors de l’audience, elle a ajouté que ces débits étaient liés à des brasseurs étrangers par des clauses d’exclusivité.

67     Aucun des éléments avancés aux considérants 59 à 63 de la Décision pour fonder l’appréciation portée par la Commission sur l’objet de la Convention ne contiendrait une description de son contexte économique, pas même par renvoi aux considérants 74 à 76. Ces derniers auraient pour but d’établir le caractère sensible de la restriction, étape du raisonnement distincte de celle consistant à qualifier la Convention de restrictive par son objet.

68     Il en serait de même s’agissant de la qualification de restriction de concurrence à l’encontre des brasseries étrangères (considérants 67 à 73 de la Décision).

69     La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet le maintien de clientèles (troisième branche du premier moyen)

70     Il y a lieu d’examiner, d’abord, les arguments des requérantes qui visent à infirmer plusieurs des éléments factuels pris en compte par la Commission, dans la Décision, pour conclure que la Convention avait pour objet le maintien de clientèles.

71     En premier lieu, s’agissant de leur contestation de la considération selon laquelle la Convention interdisait toute vente de bière à un débitant lié à l’une des parties (considérant 56 de la Décision), il suffit de rappeler que l’article 4 de la Convention vise expressément « toute vente de bière ». En présence de ces termes clairs, le présent argument doit être rejeté, dans la mesure où il n’est étayé par aucun élément concret.

72     Il en va de même, en deuxième lieu, de la prétention selon laquelle les notions de validité et d’opposabilité visées à l’article 2 de la Convention ne visaient que des vices affectant le contrat au moment de sa formation. En effet, une telle restriction n’est pas prévue audit article 2 et cette prétention n’est étayée par aucun élément concret.

73     En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel le mécanisme d’échange d’informations prévu à l’article 5 de la Convention permettait de circonscrire sa portée aux « clauses de bière » écrites, il suffit de relever, avec la Commission, que cet argument est démenti par le fait que, ainsi qu’il sera exposé dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du présent moyen, la Convention avait vocation à s’appliquer dans toute sa portée, même en cas d’absence de « clause de bière ».

74     En quatrième lieu, les requérantes dénoncent la prise en compte, au considérant 60 de la Décision, d’accords ayant précédé la Convention.

75     À cet égard, il y a lieu de relever, d’abord, que les accords de 1980 et 1981 ne sont pas évoqués dans la Décision. Dès lors, l’argument tiré de ce que ceux-ci sont différents de ceux de 1975 et 1983 est sans pertinence. Ensuite, force est de constater que la Commission n’a tenu compte des accords de 1966, 1975 et 1983 que pour conclure que l’interprétation de la Convention ne pouvait être entièrement dissociée de ces derniers accords et que ceux-ci étaient de nature à mettre en doute le motif d’insécurité juridique avancé par les parties pour justifier la Convention. Or, par rapport à cette conclusion, les affirmations de Brasserie nationale en ce qui concerne ces derniers accords sont dépourvues de pertinence.

76     Enfin, les requérantes dénoncent la prise en compte de la remarque du directeur de la FBL visée au considérant 63 de la Décision, relative à l’esprit protectionniste de la Convention (voir point 38 ci-dessus).

77     À cet égard, il convient de relever, avec la Commission, que ce directeur était un acteur et un témoin privilégié de la Convention. En effet, par exemple, il est constant que c’est lors d’une réunion de conciliation entre deux des parties qu’il a émis la remarque en cause. Par ailleurs, l’article 5 de la Convention prévoyait la possibilité pour une partie de lui adresser copie d’une demande d’information adressée à une autre partie au titre de cette disposition. Ainsi, le directeur s’était vu attribuer le rôle de conciliateur par les parties.

78     S’agissant encore du prétendu caractère erroné de cette remarque, dans la mesure où la Convention n’aurait pas concerné les importations ou les exportations, il suffit de relever que, en présence des Déclarations d’intention concernant Battin et concernant les brasseries étrangères, les requérantes ne sauraient valablement prétendre que la Convention ne concernait pas les importations ou les exportations. S’agissant de l’arrêt Bilger, précité, invoqué à l’appui de cette thèse, il est sans pertinence, notamment dans la mesure où il portait sur un accord vertical, alors que la Convention était de nature horizontale.

79     Il s’ensuit que les requérantes n’ont réussi à infirmer aucun des éléments factuels pris en compte par la Commission, dans la Décision, pour conclure que la Convention avait pour objet le maintien de clientèles.

80     Il convient, ensuite, d’examiner les autres arguments invoqués par les requérantes à l’appui de la présente branche du premier moyen.

81     S’agissant des trois raisons sur lesquelles la Convention repose prétendument, visées aux points 47 à 51 ci-dessus, il y a lieu de relever que, à les supposer établies, elles ne sont pas de nature à justifier une entente ayant un objet anticoncurrentiel. En effet, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de règles juridiques qu’elles considèrent comme excessivement défavorables par la conclusion d’ententes ayant pour objet de corriger ces désavantages sous prétexte que ces règles créent un déséquilibre à leur détriment (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, point 256, dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 3, CE, et arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 487, s’agissant d’une crise sur le marché). Il y a lieu d’ajouter que non seulement les requérantes, mais également tous les opérateurs économiques devaient faire face aux difficultés que la Convention entendait prétendument pallier.

82     Au demeurant, il convient de relever, avec la Commission, qu’il ressort du dossier que, comme il sera exposé dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, la Convention avait vocation à s’appliquer même en l’absence de « clause de bière » et que son objet ne se limitait pas à remédier aux trois problèmes avancés par les requérantes, visés aux points 47 à 51 ci-dessus.

83     Pour autant que les arguments des requérantes, tels qu’ils ont été précisés lors de l’audience, doivent être compris en ce sens que l’objectif de la Convention était de rétablir, face aux trois problèmes susvisés, une situation juridique qui fût en conformité avec le règlement n° 1984/83, il convient de rappeler que l’interdiction visée à l’article 4 de la Convention va nettement au-delà de ce qui est permis par l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement. De plus, ce règlement ne permet que certaines restrictions à la concurrence dans la relation verticale entre revendeur et fournisseur (voir, notamment, articles 1er et 6), alors que la Convention constitue un accord horizontal. En tout état de cause, les requérantes n’ont même pas tenté de démontrer que, aux fins de résoudre les prétendus problèmes existant sur le plan vertical, il était indispensable de recourir à un accord horizontal.

84     Ensuite, les requérantes soutiennent que l’objectif unique de la Convention était de faire respecter les exclusivités contractuellement consenties entre débitant et brasserie. Par ailleurs, la Convention aurait été justifiée par la nécessité de préserver la loyauté commerciale.

85     À cet égard, il suffit de relever que, même à supposer ces circonstances établies, la conclusion selon laquelle la Convention avait pour objet de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ne saurait être infirmée par le prétendu fait qu’elle poursuivait également un objet légitime (voir, en ce sens, arrêt IAZ e.a./Commission, précité, point 25). L’arrêt Delimitis, précité, ne saurait être invoqué utilement par les requérantes, car ce dernier a été rendu dans une affaire où étaient en cause des relations verticales, alors que le cas d’espèce concerne un accord horizontal. Par ailleurs, la référence faite par Brasserie nationale aux arrêts Cassis de Dijon et Wouters e.a., précités, doit être rejetée. Dès lors qu’il est établi que l’objet d’un accord constitue, par nature, une restriction de la concurrence, tel qu’un partage de clientèle, cet accord ne saurait, en application d’une règle de raison (rule of reason), échapper aux prescriptions de l’article 81, paragraphe 1, CE, en raison du fait qu’il poursuivrait également d’autres objectifs, tels que ceux qui sont en cause dans ces arrêts.

86     S’agissant de l’argument tiré de l’arrêt Institut des mandataires agréés/Commission, précité, il y a lieu de relever, en premier lieu, que l’article 5, sous c), du code de conduite professionnelle de l’IMA ne comportait qu’une interdiction d’offrir des services non sollicités pour des affaires qui étaient en cours de traitement par un autre mandataire (point 89). Or, une telle interdiction est loin d’être comparable à celles imposées par la Convention. En effet, dans ladite affaire, l’interdiction ne visait que l’initiative de solliciter un client, alors que la Convention interdisait aux parties, notamment, de répondre à une demande de contracter. En deuxième lieu, cette interdiction se fondait en particulier sur des raisons d’ordre déontologique, à la différence de la Convention, qui visait à un partage de clientèle. Le présent argument doit donc être rejeté.

87     Enfin, les requérantes contestent que le bénéfice de la Convention fût réservé aux brasseries nationales (considérant 62 de la Décision). À cet égard, il y a lieu de relever que cette contestation n’est pas suffisamment étayée. Si les requérantes prétendent que la Convention était ouverte à toutes les brasseries présentes au Luxembourg, force est de constater qu’elle n’a été signée par aucune brasserie étrangère. L’argument tiré de ce que deux brasseries luxembourgeoises n’ont pas été évincées de la Convention à la suite de leur reprise par une brasserie étrangère ne démontre pas que des brasseries étrangères pouvaient en tant que telles accéder à la Convention. Au contraire, la stipulation de l’article 11, prévoyant l’éviction d’une partie à la Convention en cas de prise de contrôle par une société étrangère ou en cas de coopération avec une brasserie étrangère, démontre que la Convention était censée être réservée seulement aux brasseries nationales. La circonstance que cet article n’ait jamais été mis en œuvre ne modifie pas cette constatation.

88     Il résulte de ces considérations qu’aucun des arguments invoqués à l’appui de la troisième branche du premier moyen ne peut être accueilli. Partant, celle-ci doit être rejetée.

–       Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois (quatrième branche du premier moyen)

89     Il convient de constater que, par la Déclaration d’intention concernant les brasseries étrangères, les parties se sont réservé l’une à l’autre la priorité pour le démarchage et la conclusion d’un contrat d’approvisionnement avec un débitant lié à l’une d’elles et s’apprêtant à contracter avec une brasserie étrangère. La Déclaration d’intention concernant Battin prévoyait la possibilité de dénoncer la Convention à l’égard de Battin en cas de modification des termes de la distribution par celle-ci de certaines bières étrangères. Enfin, l’article 11 de la Convention prévoyait la possibilité de dénoncer celle-ci en cas de prise de contrôle par une société étrangère ou de coopération avec une brasserie étrangère.

90     De surcroît, il y a lieu de constater que, comme la Commission le relève à juste titre, le mécanisme instauré par la Déclaration d’intention concernant les brasseries étrangères visait seulement la brasserie étrangère souhaitant livrer à un débitant luxembourgeois, mais ne protégeait pas la brasserie étrangère qui voyait son client débitant luxembourgeois s’apprêter à s’approvisionner auprès d’une brasserie luxembourgeoise.

91     Dans ces circonstances, il convient de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur de droit en estimant que la Convention avait pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois par les brasseries étrangères.

92     Aucun des arguments des requérantes n’est susceptible d’infirmer cette conclusion.

93     S’agissant, en premier lieu, de l’argument selon lequel la Convention ne visait qu’à contrer la violation des « clauses de bière » du fait des brasseries étrangères, il y a lieu de relever, d’abord, qu’il manque en fait, dans la mesure où, ainsi qu’il sera exposé dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, la Convention s’appliquait même en l’absence de « clause de bière ».

94     De surcroît, il convient de souligner, à l’instar de ce qui a été relevé dans le cadre du rejet de la troisième branche du présent moyen, que, même à la supposer exacte, la circonstance avancée par les requérantes ne saurait justifier l’objet restrictif de la Convention, tel qu’il vient d’être constaté.

95     Enfin, en soutenant que la Convention tendait à préserver la possibilité pour une brasserie luxembourgeoise de répondre à l’offre d’un débitant envisageant de contracter avec une brasserie étrangère, les requérantes admettent elles-mêmes que la Convention était restrictive par son objet. En effet, en préservant cette possibilité, elle entraînait, par définition, une modification des conditions de concurrence au détriment de la brasserie étrangère concernée.

96     En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Convention était justifiée par la situation exceptionnelle du Luxembourg et par la situation anormale résultant du manque de loyauté des débitants. Par ailleurs, elles font valoir que l’article 11 de la Convention n’a jamais été mis en œuvre. Brasserie nationale ajoute que la Convention n’a pas empêché les brasseries étrangères de contracter.

97     À l’égard de tous ces arguments, il convient de relever, à nouveau, que, même en les admettant, ils ne sauraient justifier l’objet restrictif de la Convention tel qu’il résulte des éléments factuels évoqués par la Commission et non contestés par les requérantes. Plus particulièrement, il y a lieu de relever que l’allégation selon laquelle la Convention n’a pas empêché les brasseries étrangères de contracter est sans pertinence, dans la mesure où la Convention avait pour objet de restreindre la concurrence, de sorte qu’il n’est pas besoin d’examiner si elle a eu également pour effet de la restreindre (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 231).

98     En troisième lieu, les requérantes réitèrent l’argument selon lequel l’autorité du directeur de la FBL est contestable. Brasserie nationale ajoute que la remarque du directeur évoquée au considérant 68 de la Décision n’engage que le directeur lui-même et n’est pas représentative de l’opinion de Brasserie nationale.

99     À cet égard, il y a lieu de relever, s’agissant de la contestation de l’autorité du directeur de la FBL, qu’elle doit être rejetée pour les raisons évoquées dans le cadre du rejet de la branche précédente du présent moyen. Part ailleurs, ainsi qu’il est relevé au même considérant 68 de la Décision, cette remarque a été émise lors d’une réunion de conciliation relative à l’application de la Convention. Il y a dès lors lieu d’en tenir compte aux fins de l’appréciation juridique de celle-ci. Ce faisant, la Commission n’a nullement considéré cette remarque comme représentative de l’opinion de Brasserie nationale.

100   Brasserie nationale soutient, en quatrième lieu, que, s’agissant de la Déclaration d’intention concernant Battin, son premier alinéa encourageait, précisément, la pénétration au Luxembourg de bières étrangères. Le terme « équilibre » employé au deuxième alinéa n’impliquerait que le souhait de préserver la possibilité pour l’offre nationale d’être présente lorsqu’un débit est ouvert à la concurrence.

101   À cet égard, il suffit de relever que, si cette déclaration d’intention permettait effectivement la distribution par Battin de certaines bières étrangères, il en résultait néanmoins une restriction considérable de la liberté d’agir de cette dernière et, partant, une restriction à la concurrence.

102   Enfin, Brasserie nationale soutient que la Décision est affectée d’une contradiction de motifs en tant qu’elle reproche aux parties de refuser aux brasseries étrangères des avantages qui sont, par ailleurs, jugés inadmissibles entre brasseries nationales.

103   À cet égard, il convient de considérer que, si l’ouverture de la garantie des « clauses de bière » à des brasseries étrangères était peut-être à même de renforcer la nature restrictive de cette garantie, il n’en reste pas moins que l’article 11 de la Convention et la Déclaration d’intention concernant Battin permettaient d’exclure les brasseries étrangères des « avantages », même illégitimes, de cette garantie en termes de protection de clientèle, et donc d’entraver leur pénétration du secteur Horeca au Luxembourg.

104   Il s’ensuit que la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée.

–       Sur l’insuffisante prise en compte du contexte de la Convention dans l’appréciation de son objet (première branche du premier moyen)

105   Il y a lieu de rappeler que le considérant 47 de la Décision, intitulé « Restriction de concurrence par objet », énonce que la Convention avait pour objet, premièrement, de maintenir la clientèle respective des parties dans le secteur Horeca luxembourgeois et, deuxièmement, d’entraver la pénétration de celui-ci par les brasseries étrangères. Ce même considérant renvoie, pour le premier objet qui y est identifié, aux considérants 48 à 66 et, pour le deuxième, aux considérants 67 à 73 de la Décision.

106   Il découle donc de l’économie de la Décision que, contrairement à ce qui sous-tend les arguments des requérantes, l’identification de l’objet de la Convention n’est pas limitée aux considérants 59 à 62, mais résulte de l’ensemble des considérants 47 à 73.

107   Or, une simple lecture de l’ensemble de ces derniers considérants fait apparaître que les requérantes ne sauraient valablement prétendre que le contexte de la Convention est demeuré étranger à l’appréciation de son objet. Il est renvoyé, à cet égard, au résumé des considérants 48 à 73 de la Décision, exposé aux points 30 à 40 ci-dessus.

108   Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les éléments de contexte dont, selon les requérantes, la Commission n’a pas suffisamment tenu compte dans l’appréciation de l’objet de la Convention sont, respectivement, la vitalité du secteur concerné en termes de parts de marché, l’ouverture unique de ce secteur aux importations et l’existence d’un nombre important de débits non liés aux parties. Toutefois, ces éléments de contexte se rapportent non pas à la question de savoir quel était l’objet de la Convention, mais à celle de savoir quels étaient ses effets. Or, selon la jurisprudence, la Commission est dispensée d’examiner les effets d’un accord anticoncurrentiel par son objet (voir, en ce sens, arrêt Volkswagen/Commission, précité, point 231). Cela n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes, qui admettent qu’il est superflu de démontrer les effets d’un accord restrictif par son objet.

109   Il convient d’ajouter que les allégations des requérantes, selon lesquelles la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte des éléments de contexte, ne sont pas fondées. En effet, aux points 23 à 25 de l’arrêt IAZ e.a./Commission, précité, invoqué par les requérantes, « tant le contenu de la convention [en cause dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt] que sa genèse et les circonstances de sa mise en œuvre » avaient été pris en compte. Or, ce sont précisément de tels éléments que la Commission a pris en compte pour conclure que la Convention était restrictive par son objet. À cet égard, il est renvoyé, à nouveau, au résumé des considérants 48 à 73 de la Décision, susvisé.

110   Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que la Convention s’appliquait en l’absence de « clause de bière »

 Décision attaquée

111   Dans la Décision, il est considéré que, selon le compte rendu de la réunion de la FBL du 7 octobre 1986, tel que modifié par celui de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986, les parties étaient convenues d’une interprétation plus large du terme « clause de bière » que celle prévue à l’article 2 de la Convention. Selon la Décision, cette interprétation est confirmée par une lettre adressée le 23 octobre 1991 par Wiltz à la FBL (considérant 9).

 Arguments des parties

112   Les requérantes soutiennent que la Commission a conclu à tort que la Convention s’étendait aux cas d’absence de « clause de bière » dûment conclue et en vigueur.

113   En effet, selon les requérantes, si un accord peut résulter d’un document autre qu’un texte formel, encore faut-il vérifier s’il s’agit de la « fidèle expression de la volonté commune » des parties (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 110 à 114, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 86). Or, une telle volonté ferait ici défaut. En effet, les requérantes font remarquer, d’abord, que le compte rendu de la réunion de la FBL du 7 octobre 1986, visé au considérant 9 de la Décision, énonce que « [l]es trois documents ayant été gardés en suspens […] [étaient] approuvés et ser[aient] signés lors de la prochaine réunion », ce dont le compte rendu de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986, visé également au considérant 9 de la Décision, fait état, en énonçant que « [l]es [parties] proc[èdaient] à la signature [desdits documents] ». Selon les requérantes, une telle signature constitue donc une formalité sans laquelle aucune volonté commune des parties ne pourrait être identifiée. Or, elles font remarquer qu’aucun des deux comptes rendus susvisés ne fait état d’une telle signature, pour autant que l’interprétation de la Convention, telle qu’elle ressort des deux comptes rendus, soit concernée, et ce alors que cette interprétation ne saurait être dissociée des trois documents susvisés. En outre, elles font observer qu’il ressort du compte rendu de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986, susvisé, que le texte visé au point 2 du compte rendu de la précédente réunion de la FBL a fait l’objet de précisions. Ce dernier texte n’aurait donc été arrêté ni après la première ni après la deuxième réunion. Enfin, les requérantes font remarquer que le libellé de la lettre du 23 octobre 1991 adressée par Wiltz à la FBL, visée au considérant 9 de la Décision, est intitulé « Proposition ». Elles ajoutent que l’on y retrouve les deux tirets interprétatifs figurant aux comptes rendus susvisés, avec des rédactions raccourcies et améliorées. Or, selon les requérantes, Wiltz n’aurait eu aucun intérêt à faire cette proposition si ces comptes rendus traduisaient déjà l’extension contestée.

114   S’agissant de la prétendue admission de l’extension contestée par Wiltz, les requérantes répondent que, dans la déclaration concernée, celle-ci a employé le conditionnel. S’agissant de la prétendue admission de cette extension de la part de Brasserie nationale, celle-ci répond que, dans la déclaration concernée, elle n’a indiqué que l’origine de la proposition d’une telle extension, et que les termes « elle acceptait [de] signer » et « [c]ela ne [la] gênait pas de signer » ne marquaient que son acceptation de signer à l’avenir.

115   Brasserie nationale relève également, en se référant aux correspondances contenues dans le dossier, que jamais aucun litige entre les parties n’est survenu en l’absence de contrat signé.

116   Enfin, Brasserie nationale prétend que la Commission a reconnu elle-même que la Convention ne s’appliquait pas aux cas d’absence de « clause de bière », dans la mesure où, au considérant 92 de la Décision, il est affirmé que « la portée de l’infraction [était] limitée […] aux seuls débits liés aux parties par une clause d’achat exclusif ».

117   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

 Appréciation du Tribunal

118   Selon une jurisprudence constante, pour qu’il y ait accord, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir, en ce sens, arrêts ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 112, et Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86 ; arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 256, et du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T‑41/96, Rec. p. II‑3383, point 67). En ce qui concerne la forme d’expression de ladite volonté commune, il suffit qu’une stipulation soit l’expression de la volonté des parties de se comporter sur le marché conformément à ses termes (voir, en ce sens, arrêts ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 112 ; Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86, et Bayer/Commission, précité, point 68).

119   Il s’ensuit que la notion d’accord, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, telle qu’elle a été interprétée par la jurisprudence, est axée sur l’existence d’une concordance de volontés entre deux parties au moins, dont la forme de manifestation n’est pas importante pour autant qu’elle constitue l’expression fidèle de celles-ci (arrêt Bayer/Commission, précité, point 69).

120   En l’espèce, il convient de constater, d’abord, que le compte rendu de la réunion de la FBL du 7 octobre 1986, susvisé, énonce ce qui suit :

« 2)      Clause Bière

Les trois documents ayant été gardés en suspens […] sont approuvés et seront signés lors de la prochaine réunion.

Par ailleurs, il est convenu d’admettre et d’assimiler à la ‘clause bière’ :

–       l’opération consistant à prendre un bail et à participer financièrement à l’équipement d’un café – sans qu’une ‘clause bière’ soit expressément mentionnée,

–       la reprise par une brasserie d’un droit de cabaretage, avec mise de fonds, sans qu’une ‘clause bière’ soit expressément mentionnée.

Ces deux interprétations font partie intégrante des dispositions existant en ce domaine. »

121   Le compte rendu de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986, susvisé, énonce ce qui suit (les passages figurent comme tels dans l’original) :

« 1) Le compte rendu de la réunion du 7 octobre 1986 appelle les modifications ci-après :

[…] Point 2) - 1er tiret

–       « l’opération consistant à prendre un bail et à participer financièrement à l’équipement d’un café - sans qu’une ‘clause [de] bière’ soit expressément mentionnée, p.ex. la brasserie X prend [à] bail un immeuble et participe financièrement à la mise en valeur de l’immeuble suivant sa destination, mais ne conclut pas ou n’arrive pas à conclure une obligation avec le propriétaire.

2e tiret

se lira comme suit :

–       la reprise par une brasserie d’un droit de cabaretage, sans qu’une ‘clause bière’ soit expressément mentionnée.

2) Les brasseurs procèdent à la signature [des trois documents visés au point 2 du compte rendu de la réunion du 7 octobre 1986].

Tous les brasseurs ont reçu copie de ces documents signés et dont les originaux resteront à la [FBL]. Ces documents ont un caractère confidentiel. »

122   La lettre adressée le 23 octobre 1991 par Wiltz à la FBL, susvisée, est libellée comme suit :

« Proposition :

En rapport avec l’article 2 de la convention, les brasseurs conviennent d’admettre et d’assimiler à la ‘clause bière’

–       l’opération consistant à prendre un bail ;

–       la mise à disposition par une brasserie, à quelque titre que ce soit, d’un droit de cabaretage. »

123   Il convient donc d’examiner si, au vu des éléments apportés par les requérantes, la Commission a établi à suffisance de droit l’existence d’une concordance de volontés entre les parties sur l’application de la Convention, même en l’absence de ‘clause de bière’ dûment conclue et en vigueur.

124   Or, force est de constater que le compte rendu de la réunion de la FBL du 7 octobre 1986 énonce expressément que l’extension du champ d’application de la Convention qui y est mentionnée était « convenu[e] » et « [faisait] partie intégrante des [stipulations] existant dans ce domaine ». Ni ce compte rendu ni celui de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986 ne prévoit une quelconque formalisation de cet accord. Dans cette mesure, le fait que le premier compte rendu prévoie également que certains documents qui y sont visés « [seraient] approuvés et seront signés » est sans incidence. De même, le fait que le second compte rendu comporte des modifications (d’ailleurs relativement mineures) par rapport au texte figurant dans le premier compte rendu n’est pas de nature à infirmer l’accord des parties intervenu précisément sur le texte ainsi modifié.

125   De surcroît, ainsi que le considérant 29 de la Décision l’énonce, tant Brasserie nationale que Wiltz ont admis que la Convention s’appliquait également à certaines relations brasserie-débitant où un contrat de fourniture ou une « clause de bière » faisait entièrement défaut.

126   En effet, dans sa réponse aux questions posées par la Commission après l’audition, Brasserie nationale a déclaré, concernant le cas où il y aurait eu un bail et un financement de la part d’une brasserie, mais pas de contrat comportant une « clause de bière » :

« Dans ce cas, disent les textes de 1986 [à savoir les deux comptes rendus susvisés], il y a aussi lieu de considérer qu’il y a ‘clause de bière’ au sens de la Convention. Cette clause est, il faut l’admettre, a priori surprenante, alors qu’aucun brasseur n’investit sans avoir un contrat […] Ceci dit, cette clause rocambolesque n’a jamais […] été appliquée. En réalité, ce qui était visé, c’était l’hypothèse saugrenue imaginée par […] L’hypothèse de travail de cette personne était évidemment saugrenue, mais comme [Brasserie nationale] n’avait aucunement les intentions qu’on lui prêtait, elle accepta [de] signer le texte en question […] Cela ne gênait pas [Brasserie nationale] de signer, car elle n’avait pas l’intention d’agir selon l’hypothèse visée par la clause en question […] »

127   Wiltz, pour sa part, a déclaré, dans sa réponse à la communication des griefs, ce qui suit :

« La [Convention] pourrait tout au plus être considérée en ce sens sur [la] base de l’interprétation des termes ‘clause de bière’ convenue entre [les] parties lors des [réunions de la FBL des] 7 octobre et 2 décembre 1986, mais, là encore, le but unique et légitime a été de garantir l’information destinée à prévenir l’insécurité juridique en cas d’investissements lourds. »

128   À cet égard, l’argument des requérantes, tiré de la circonstance selon laquelle, dans sa déclaration citée au point précédent, Wiltz a employé le conditionnel, doit être rejeté. En effet, dans cette même déclaration, Wiltz a expressément évoqué « l’interprétation des termes ‘clause de bière’ convenue entre [les] parties ».

129   Brasserie nationale soutient encore que, dans sa déclaration citée au point 126 ci-dessus, elle n’a indiqué que l’origine de la proposition d’extension du champ d’application de la Convention aux cas d’absence de « clause de bière », et que les termes « elle acceptait [de] signer » et « [c]ela ne [la] gênait pas de signer » ne marquaient que son acceptation de signer cette proposition à l’avenir.

130   Ces arguments doivent également être rejetés. Dans les circonstances de l’espèce, la déclaration précitée ne saurait infirmer la constatation du consentement de Brasserie nationale à l’extension du champ d’application de la Convention à l’issue des réunions des 7 octobre et 2 décembre 1986. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il importe peu de savoir qui fut à l’origine de la proposition d’étendre le champ d’application de la Convention, dès lors qu’une concordance de volontés peut être établie (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19/77, Rec. p. 131, point 7, et arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. 549, point 37).

131   En toute hypothèse, à supposer même que Brasserie nationale n’ait pas accepté l’extension du champ d’application de la Convention, il lui appartenait alors de manifester sa distanciation au regard de la nouvelle interprétation des « clauses de bière » (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 1353, et la jurisprudence citée). Or, il est constant que tel n’a pas été le cas.

132   Par ailleurs, si ladite extension du champ d’application de la Convention n’avait pas été décidée entre les parties, logiquement, Brasserie nationale ne se serait pas prévalue, vis-à-vis de la Commission, de la seule absence d’application de cette extension.

133   Quant à l’argument tiré de la lettre de Wiltz, susvisée, il y a lieu de considérer que Wiltz peut très bien avoir fait la proposition mentionnée dans cette lettre non pas pour la raison avancée par les requérantes, mais dans le souhait de modifier le texte qui résultait précisément des deux comptes rendus susvisés. D’ailleurs, il convient de constater que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, cette proposition de Wiltz ne comporte pas seulement des améliorations rédactionnelles. Ainsi, selon cette proposition, l’« opération consistant à prendre un bail » est assimilée à une « clause de bière », alors que le compte rendu de la réunion de la FBL du 2 décembre 1986 prévoit qu’est assimilée à une telle clause l’« opération consistant à prendre un bail et à participer financièrement à l’équipement d’un café ». Or, cette modification ne saurait être considérée comme étant seulement rédactionnelle.

134   Enfin, s’agissant de la prétendue reconnaissance par la Commission de ce que la Convention ne s’appliquait pas aux cas d’absence de « clause de bière », il y a lieu de relever que, si la formulation utilisée au considérant 92 de la Décision et selon laquelle « la portée de l’infraction est limitée […] aux seuls débits liés aux parties par une clause d’achat exclusif » n’est peut-être pas heureuse, il résulte d’une simple lecture combinée des considérants 9 et 48 à 63 et, notamment, de la référence faite, par le considérant 50, au considérant 9, que la Commission était d’avis que la Convention s’appliquait aussi en l’absence de « clause de bière ». Au demeurant, il convient de rappeler que, par la présente branche du premier moyen, les requérantes contestent cet avis. Elles ne sauraient donc valablement prétendre que la Commission était d’un avis différent.

135   Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas apporté d’éléments de nature à remettre en cause la constatation par la Commission de l’existence d’une concordance de volontés entre les parties sur l’application de la Convention, même en l’absence de « clause de bière » dûment conclue et en vigueur.

136   Dès lors, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée de l’absence d’effet sensible de la Convention sur la concurrence

 Décision attaquée

137   La Décision relève que la Convention était susceptible de restreindre sensiblement la concurrence dans le secteur Horeca luxembourgeois. À cet égard, il est rappelé, premièrement, que les parties ont limité la portée de la Convention au secteur Horeca luxembourgeois, ce qui indique qu’elles considéraient que leur position dans ce secteur était suffisamment importante et que les conditions de concurrence y étaient suffisamment différentes de celles des autres secteurs et des pays limitrophes pour assurer l’efficacité de la Convention. Deuxièmement, il est relevé que, compte tenu de leur propre production et de leur distribution de bières importées, les parties contrôlaient environ 85 % des ventes de bière dans le secteur concerné, et que plus de la moitié des débits de boissons luxembourgeois leur était lié par une « clause de bière » (considérants 74 à 76).

 Arguments des parties

138   Les requérantes soutiennent que la conclusion de la Commission sur l’existence d’une restriction sensible à la concurrence est erronée et insuffisamment motivée. En effet, elles font observer que la Commission n’a pas défini le marché de référence. Ensuite, elles prétendent que la limitation de la portée de la Convention au secteur Horeca ne démontre rien, mais correspond simplement à l’étendue du problème identifié par les parties, en vue duquel elles étaient susceptibles de coopérer. En outre, si la proportion de 85 % des volumes de bière distribués par les parties peut paraître élevée, la proportion de 40 à 45 % de débits ouverts à d’autres brasseries ne justifierait pas une appréciation de sensibilité. Par ailleurs, l’absence de mise en œuvre de la restriction visant les brasseries étrangères devrait conduire à la conclusion que la restriction n’était pas sensible.

139   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du premier moyen.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur l’erreur d’appréciation alléguée

140   À cet égard, il suffit de rappeler que des entreprises qui concluent un accord ayant pour but de restreindre la concurrence ne sauraient, en principe, échapper à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE en prétendant que leur accord ne devait pas avoir d’incidence appréciable sur la concurrence (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, non encore publié au Recueil, points 130 et 196).

141   En effet, la Convention ayant eu pour objet de maintenir la clientèle respective des parties dans le secteur Horeca luxembourgeois, d’une part, et d’entraver la pénétration de ce secteur par les brasseries étrangères, d’autre part, son existence n’avait de sens que si son objet était de restreindre la concurrence dans ce secteur d’une manière appréciable, c’est-à-dire d’une manière qui leur était commercialement utile (voir, par analogie, arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, précité, point 131).

–       Sur le prétendu défaut de motivation

142   Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

143   Or, eu égard aux informations évoquées aux considérants 74 à 76 de la Décision, il convient de considérer que Brasserie nationale était pleinement en mesure d’invoquer des arguments tirés de l’illégalité de la conclusion de la Commission quant au caractère sensible de la restriction de la concurrence.

144   S’agissant encore du reproche concernant l’absence de délimitation du marché en cause, il suffit de rappeler que l’obligation d’opérer une telle délimitation dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T-213/00, Rec. p. II-913, point 206). Or, une telle situation ne se présente pas en l’espèce, ainsi qu’il ressort, notamment, du rejet des troisième et quatrième branches du présent moyen.

145   Il s’ensuit que la cinquième branche du premier moyen doit être rejetée.

146   Toutes les branches du premier moyen ayant été rejetées, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble, de sorte qu’il convient d’examiner le second moyen.

2.     Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’exigence de motivation consacrée à l’article 253 CE

147   Le second moyen se divise en trois branches, tirées, premièrement, du fait que l’infraction n’a pas été commise de propos délibéré, deuxièmement, d’une erreur d’appréciation concernant la gravité et la durée de l’infraction et, troisièmement, du fait de ne pas avoir appliqué les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CA (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les « lignes directrices ») en matière de circonstances atténuantes. Le moyen invoqué dans l’affaire T-49/02 comporte encore une quatrième branche, tirée d’un défaut de motivation quant au montant initial de base retenu par la Commission pour le calcul des amendes.

 Sur la première branche du second moyen, tirée du fait que l’infraction n’a pas été commise de propos délibéré

 Décision attaquée

148   Dans la Décision, il est considéré qu’une infraction aux règles de concurrence communautaires est considérée comme étant commise de propos délibéré si les intéressés sont conscients que l’acte en question a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence. Il importerait peu qu’ils aient en outre conscience d’enfreindre une disposition du traité CE. Or, en ce qui concerne les stipulations visant les brasseries étrangères, la Commission a considéré que les parties ne pouvaient ignorer leur objet restrictif. D’ailleurs, aucune justification n’aurait été avancée par elles au sujet de ces stipulations. Quant aux restrictions de concurrence entre les parties résultant du respect réciproque des « clauses de bière », il est considéré comme possible que, lors de la conclusion de la Convention et jusqu’en mars 1996, les parties aient pu être motivées par l’insécurité juridique créée par la jurisprudence luxembourgeoise sur l’indétermination du prix ou de la quantité. Cependant, cette motivation aurait disparu en mars 1996, date du revirement qu’a connu cette jurisprudence. Il est donc conclu que les parties ont commis l’infraction de propos délibéré, même si le courant jurisprudentiel luxembourgeois a pu créer un doute sur le caractère infractionnel de certaines clauses pendant une certaine période (considérants 89 et 90).

 Arguments des parties

149   Les requérantes soutiennent que la Commission a conclu à tort qu’elles avaient commis l’infraction de propos délibéré.

150   En effet, s’agissant de la restriction concernant le maintien de clientèles, d’une part, la Commission reconnaîtrait elle-même que la jurisprudence luxembourgeoise pouvait créer un doute sur le caractère infractionnel de cette restriction. En réitérant l’assertion selon laquelle cette justification devait être admise non pas jusqu’en 1996 mais jusqu’au milieu de 1998, les requérantes ajoutent que, si l’on suit le raisonnement de la Commission dans la Décision, il ne pourrait y avoir infraction commise de « propos délibéré » que pour les deux dernières années de la durée de la Convention. D’autre part, dans la Décision, la Commission ne contesterait pas, en définitive, que l’unique objet de la Convention était de garantir le respect des « clauses de bière ». Or, cet objet serait légitime (arrêt Delimitis, précité).

151   En outre, les requérantes prétendent qu’elles ne sont pas d’une taille telle que leur méconnaissance du droit ne puisse être admise. Elles rappellent que, si le considérant 96 de la Décision qualifie Brasserie de Luxembourg de grande entreprise, a contrario, cette caractéristique ne s’appliquerait à aucune des autres parties. Par ailleurs, les requérantes n’auraient jamais eu conscience de la restriction apportée au commerce entre États membres. Brasserie nationale ajoute, quant à ce dernier point, que la Commission n’a pas démontré le contraire.

152   Les requérantes prétendent aussi qu’aucune des parties n’a cherché à faire obstacle aux brasseries étrangères. Brasserie nationale ajoute qu’aucune des parties n’a jugé que l’objectif de préserver la possibilité d’une concurrence nationale puisse être jugé anticoncurrentiel. La réserve exprimée par Diekirch quant à la légalité de la Convention ne serait qu’une formule classique dans les lettres de prise de contact dans un litige.

153   S’agissant de la motivation de la Décision sur le point de savoir si les requérantes ont agi de propos délibéré, Brasserie nationale prétend que l’argument selon lequel, s’agissant des stipulations visant les brasseries étrangères, « les parties ne pouvaient ignorer leur objet restrictif » relève de la pétition de principe et ne constitue pas une démonstration et que l’argument selon lequel « aucune justification n’a été avancée par les parties » est inexact. Ces deux reproches ne permettraient pas d’admettre, selon Brasserie nationale, que la motivation de la Décision répond aux exigences de clarté et de précision requises. Wiltz et Battin prétendent que la motivation contenue dans le considérant 89 de la Décision ne constitue pas une démonstration. L’article 253 CE ne serait donc pas respecté.

154   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du second moyen.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur l’erreur d’appréciation alléguée

155   Il est de jurisprudence constante que, pour qu’une infraction aux règles de concurrence du traité CE puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n’est pas nécessaire que l’entreprise ait eu conscience de restreindre la concurrence, mais il suffit qu’elle n’ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet de restreindre la concurrence, et il importe peu de savoir si l’entreprise avait ou non conscience d’enfreindre l’article 81 CE (arrêt Miller/Commission, précité, point 18, et arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 41, et la jurisprudence citée).

156   Or, ainsi qu’il résulte du rejet des troisième et quatrième branches du premier moyen, la Commission a légitimement pu conclure que la Convention avait pour objet de maintenir la clientèle respective des parties dans le secteur Horeca luxembourgeois et d’entraver la pénétration de ce secteur par les brasseries étrangères. Ainsi, la Convention revient à un partage de marché, d’une part, et à un cloisonnement du marché commun, d’autre part. Dans ces conditions, il convient de considérer que la Commission a pu estimer, sans commettre d’erreur, que les requérantes ne pouvaient ignorer que la Convention avait pour objet de restreindre la concurrence.

157   Dans cette perspective, force est de considérer que les arguments des requérantes, selon lesquels elles ne seraient pas d’une taille telle que leur méconnaissance du droit ne puisse être admise, elles n’auraient jamais eu conscience de ce que la Convention restreignait le commerce interétatique, aucune des parties n’aurait cherché à faire obstacle aux brasseries étrangères et aucune des parties n’aurait jugé que l’objectif de préserver la possibilité d’une concurrence nationale puisse être jugé anticoncurrentiel, sont nécessairement tous dénués de pertinence en l’espèce.

158   Les requérantes font encore valoir que, dans la Décision, la Commission reconnaît elle-même que la jurisprudence luxembourgeoise de l’époque pouvait créer un doute sur le caractère infractionnel de la restriction concernant le maintien de clientèles. À cet égard, il suffit de relever que, comme la Commission le fait valoir, un tel doute, à le supposer fondé, est sans pertinence à l’égard du caractère délibéré de la restriction de concurrence, précisément parce qu’il se rapporte non pas à l’objet de la Convention, qui était de restreindre la concurrence, mais, tout au plus, à son caractère infractionnel. Or, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 155 ci-dessus, la notion de propos délibéré visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne se rapporte qu’à l’objet restrictif de l’accord concerné et non pas à son caractère infractionnel au regard de l’article 81, paragraphe 1, CE.

159   Enfin, en ce qui concerne l’argument tiré de ce que le considérant 96 de la Décision qualifie Brasserie de Luxembourg de grande entreprise, de sorte que, a contrario, cette caractéristique ne vaut pas pour les autres parties, il y a lieu de relever que, comme la Commission le rappelle, la taille de Brasserie de Luxembourg a seulement été invoquée pour justifier le recours au coefficient multiplicateur appliqué à cette dernière au titre de la dissuasion. Cette appréciation concernant la taille de l’entreprise est donc sans pertinence à l’égard de l’examen du caractère délibéré de la restriction de concurrence.

–       Sur le prétendu défaut de motivation

160   À la lumière des exigences de motivation visées à l’article 253 CE et rappelées au point 140 ci-dessus, les considérants 89 et 90 de la Décision font apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a conclu au caractère délibéré de la restriction de concurrence.

161   Il en découle que la première branche du second moyen doit être rejetée.

 Sur la deuxième branche du second moyen, tirée d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne la gravité et la durée de l’infraction

 Décision attaquée

162   S’agissant de la gravité de l’infraction, la Décision relève, d’une part, que, dans la mesure où la Convention avait pour objet de maintenir en l’état les clientèles et d’entraver la pénétration du marché par les brasseries étrangères, la présente infraction constitue l’une des plus graves qui puissent être commises. D’autre part, il est estimé, premièrement, que la portée de l’infraction est limitée au secteur Horeca et aux seuls débits liés aux parties par une clause d’achat exclusif, deuxièmement, que les stipulations visant les brasseries étrangères n’ont pas été mises en œuvre et, troisièmement, que le marché de la bière luxembourgeois est le moins important de la Communauté. Pour l’ensemble de ces raisons, l’infraction est finalement qualifiée de grave (considérants 92 et 93).

163   S’agissant de la durée de l’infraction, la Décision relève, notamment, qu’elle a cessé le 16 février 2000, date à laquelle Interbrew a informé la Commission qu’elle avait donné instruction à ses filiales Mousel et Diekirch de mettre fin à l’application de la Convention (considérant 86). Il en est conclu que, ayant duré plus de quatorze ans (1985 - 2000), elle est de longue durée (considérant 97).

 Arguments des parties

164   Les requérantes soutiennent que la Commission a erronément apprécié la gravité et la durée de l’infraction.

165   S’agissant de la gravité de l’infraction, elles relèvent que, en application des lignes directrices, les infractions peu graves sont définies comme des restrictions « visant à limiter les échanges mais dont l’impact sur le marché reste limité, ne concernant en outre qu’une partie substantielle mais relativement étroite du marché communautaire » et que les infractions graves sont définies comme des restrictions horizontales ou verticales de même nature que dans le cas précédent, mais « dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun ». Or, selon les requérantes, la présente infraction aurait dû être qualifiée de peu grave, dans la mesure où le considérant 92 de la Décision relève que les stipulations visant les brasseries étrangères n’ont pas été mises en œuvre, où la Convention ne visait que le secteur Horeca au Luxembourg et où les informations échangées étaient très réduites. Brasserie nationale réitère, à cet égard, l’affirmation selon laquelle la Convention était dispensée de notification.

166   S’agissant de la durée de l’infraction, les requérantes font valoir que les stipulations visant les brasseries étrangères n’ont pas été mises en œuvre.

167   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du second moyen.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la gravité de l’infraction

168   Il y a lieu de rappeler que les lignes directrices énoncent, notamment, que l’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les infractions sont ainsi classées en trois catégories, permettant de distinguer les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves (point 1 A, premier et deuxième alinéas).

169   Il y a lieu de préciser que les lignes directrices ne préjugent pas de l’appréciation de l’amende par le juge communautaire, qui dispose à cet égard, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17, d’une compétence de pleine juridiction. Par ailleurs, si la Commission peut déterminer le montant de l’amende conformément à la méthode des lignes directrices, elle est tenue de rester dans le cadre des sanctions définies par l’article 15 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T‑368/00, Rec. p. II‑4491, point 188).

170   Il convient de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence. Il incombe néanmoins au Tribunal de contrôler si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par la requérante (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127, arrêt General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, précité, point 189).

171   En l’espèce, il convient de constater que, dans la Décision, la Commission a suivi un raisonnement en deux étapes, sans d’ailleurs se référer aux lignes directrices de façon expresse.

172   En ce qui concerne la première étape du raisonnement, il y a lieu de rappeler que, comme il a été exposé dans le cadre de l’examen des troisième et quatrième branches du premier moyen, la Convention revient à un partage de marché et, en outre, à un cloisonnement du marché commun.

173   Or, s’agissant du partage de marché, les ententes de ce type figurent parmi les exemples d’ententes expressément déclarées incompatibles avec le marché commun à l’article 81, paragraphe 1, sous c), CE. Elles sont en effet qualifiées dans la jurisprudence de restrictions patentes de la concurrence (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 136).

174   S’agissant du cloisonnement du marché commun, il y a lieu de rappeler qu’une telle infraction patente au droit de la concurrence est, par sa nature, particulièrement grave. Elle contrarie les objectifs les plus fondamentaux de la Communauté et, en particulier, la réalisation du marché unique (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T-9/92, Rec. p. II-493, point 42, et General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, précité, point 191).

175   Dans ces conditions, c’est à bon droit que la Commission, dans une première étape de son raisonnement, a considéré que la Convention relevait des infractions les plus graves à l’article 81 CE.

176   En ce qui concerne la seconde étape du raisonnement, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’un marché géographique de dimension nationale correspond à une partie substantielle du marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 28 et arrêt Deutsche Bahn/Commission, précité, point 58).

177   Or, dans la mesure où il est constant que la présente infraction porte sur le secteur Horeca luxembourgeois dans son entièreté, elle couvre une partie substantielle du marché commun.

178   Par ailleurs, dans les lignes directrices, la Commission a indiqué, s’agissant des infractions très graves, qu’il s’agissait « pour l’essentiel de restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux » (point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret). Il résulte de cette description indicative que des accords ou pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la répartition des clientèles, d’une part, et au cloisonnement du marché commun, d’autre part, peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de très grave, sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description indicative des infractions graves mentionne qu’« il s’agira le plus souvent de restrictions horizontales ou verticales […] dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun », celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.

179   Il en résulte que la qualification de la présente infraction de grave, au lieu de très grave, comme le fait ressortir la Décision, représente déjà une qualification atténuée par rapport aux critères généralement appliqués dans la fixation des amendes en cas d’ententes tendant à un partage de marché et, en outre, à un cloisonnement du marché commun (voir, en ce sens, arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, précité, confirmé par arrêt de la Cour du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I-4933, point 103).

180   De surcroît, il y a lieu de rappeler que, au point 1 A, deuxième alinéa, premier tiret, des lignes directrices, la Commission précise, en ce qui concerne les infractions peu graves, qu’« il pourra s’agir par exemple de restrictions, le plus souvent verticales, visant à limiter les échanges mais dont l’impact sur le marché reste limité, ne concernant en outre qu’une partie substantielle mais relativement étroite du marché communautaire ».

181   Or, il convient d’estimer qu’une entente horizontale qui couvre le territoire entier d’un État membre et qui a pour objet et un partage de marché et un cloisonnement du marché commun ne saurait être qualifiée de peu grave au sens des lignes directrices.

182   La circonstance que la deuxième infraction identifiée n’ait pas été mise en œuvre ne modifie pas cette appréciation. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 174, une telle restriction constitue une infraction caractérisée à l’article 81 CE et, plus largement, aux objectifs de la Communauté.

183   Pour l’ensemble de ces raisons, il y a lieu de considérer que, en qualifiant, finalement, la présente infraction de grave, la Commission n’a pas porté atteinte aux droits des requérantes au regard du droit communautaire.

–       Sur la durée de l’infraction

184   À cet égard, il suffit de relever que, à supposer établie la circonstance selon laquelle les stipulations de la Convention visant les brasseries étrangères n’auraient pas été mises en œuvre, elle est sans pertinence.

185   En effet, dès lors que la Commission n’avait pas l’obligation de prouver les effets de l’accord en cause, celui-ci ayant un objet restrictif de concurrence, la circonstance qu’un aspect de l’accord en cause ait été ou non mis en vigueur est sans pertinence pour le calcul de la durée de l’infraction. Pour calculer la durée d’une infraction dont l’objet est restrictif de concurrence, il convient en effet uniquement de déterminer la durée pendant laquelle cet accord a existé, à savoir la période s’étant écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin (arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 280).

186   Il résulte de ce qui précède que la deuxième branche du second moyen doit être rejetée.

 Sur la troisième branche du second moyen, tirée de l’absence d’application des lignes directrices en matière de circonstances atténuantes

 Décision attaquée

187   Dans la Décision, il est considéré que le doute que le courant jurisprudentiel luxembourgeois de l’époque a pu créer jusqu’en mars 1996 sur le caractère infractionnel des restrictions relatives au respect réciproque des « clauses de bière » justifie une réduction de 20 % du montant de l’amende (considérant 100).

 Arguments des parties

188   À l’appui de cette branche, d’une part, les requérantes soutiennent que c’est à tort que la Commission n’a admis la circonstance atténuante résultant du doute créé par la jurisprudence luxembourgeoise susvisée que jusqu’au mois de mars 1996, dans la mesure où cette date ne peut être retenue comme date ultime du risque à l’origine de la Convention. Brasserie nationale ajoute que la possibilité d’appel et de jurisprudences divergentes justifient que ce doute soit admis en qualité de circonstance atténuante jusqu’à la fin de la Convention ou, tout au moins, jusqu’à l’expiration du délai moyen de traitement d’un appel dans un État tel que le Luxembourg, à savoir trois ans. Dans ces conditions, selon Brasserie nationale, une réduction de l’amende d’au moins 40 % était justifiée.

189   D’autre part, les requérantes se prévalent de ce que, parmi les circonstances atténuantes énumérées dans les lignes directrices, figure la « non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles » (point 3, deuxième tiret). Par suite, l’absence d’application des stipulations de la Convention qui visent les brasseries étrangères justifierait une réduction supplémentaire du montant des amendes.

190   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du second moyen.

 Appréciation du Tribunal

191   S’agissant de la première thèse avancée par les requérantes, il y a lieu de rappeler que la Commission a considéré que le problème de l’insécurité juridique évoqué par les parties ne justifiait pas qu’il fût dérogé à l’article 81, paragraphe 1, CE (considérant 62). Ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de l’examen de la troisième branche du premier moyen, cette considération n’est pas entachée d’erreur, dans la mesure où une telle préoccupation ne saurait justifier une entente ayant un objet anticoncurrentiel.

192   Or, dès lors que ce problème ne justifiait pas une telle entente, il ne saurait être pris en compte en tant que circonstance atténuante justifiant une réduction de l’amende infligée à cause de cette entente.

193   Il convient de considérer que le problème de l’insécurité juridique soulevé par les parties ne saurait justifier la reconnaissance d’un doute raisonnable sur le caractère infractionnel du comportement restrictif de concurrence de l’espèce, au sens du point 3 des lignes directrices, dans la mesure où la Convention constituait, comme il a été relevé ci-dessus, un accord ayant pour objet un partage de marché et, en outre, un cloisonnement du marché commun.

194   Il s’ensuit que, en accordant aux requérantes, au motif dudit doute, une réduction de 20 % du montant de leur amende, la Commission n’a pas porté atteinte aux droits que le droit communautaire leur confère.

195   S’agissant de la deuxième thèse avancée par les requérantes, il y a lieu de relever que le point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, susvisé, ne doit pas s’interpréter comme visant l’hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n’est pas mise en œuvre, abstraction faite du comportement propre à chaque entreprise, mais doit se comprendre comme une circonstance fondée sur le comportement individuel de chaque entreprise.

196   Or, les requérantes n’ont avancé aucun élément permettant de conclure qu’elles auraient dû bénéficier d’une circonstance atténuante au titre de l’absence d’application effective de la Convention, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, c’est-à-dire attestant qu’elles se sont effectivement soustraites à l’application de l’accord en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché.

197   Il résulte de ce qui précède que la troisième branche du second moyen doit être rejetée.

 Sur la quatrième branche du second moyen (uniquement invoquée dans l’affaire T-49/02), tirée d’un défaut de motivation quant au montant initial de base retenu par la Commission pour le calcul des amendes

 Décision attaquée

198   Dans la Décision, la présente infraction est qualifiée de grave, pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus. La Commission a considéré qu’il était en outre nécessaire de prendre en compte la capacité économique effective des parties à créer un dommage, tout en fixant le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif, et qu’il convenait de pondérer ce montant afin de tenir compte du poids spécifique du comportement infractionnel de chaque partie. C’est ainsi que, en fonction des ventes respectives dans le secteur concerné, les parties ont été divisées en trois groupes et que le montant retenu au titre de la gravité de l’infraction pour le premier groupe visé au considérant 95 de la Décision, concernant Brasserie de Luxembourg, a été fixé à 500 000 euros (considérants 92 à 95).

 Arguments des parties

199   Brasserie nationale reproche à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé le montant initial de base retenu pour le premier groupe d’entreprises visé au considérant 95 de la Décision, montant qui conditionne entièrement l’ensemble des calculs pour chaque partie. Cela empêcherait le contrôle juridictionnel de l’amende infligée à Brasserie nationale et justifierait donc l’annulation de celle-ci.

200   La Commission conteste le bien-fondé de la présente branche du second moyen.

 Appréciation du Tribunal

201   À la lumière des exigences de motivation visées à l’article 253 CE et rappelées au point 142 ci-dessus, il convient de considérer que, eu égard aux informations évoquées aux considérants 92 à 95 de la Décision, Brasserie nationale était pleinement en mesure de soulever des moyens tirés de l’illégalité des éléments de calcul ayant conduit la Commission à retenir ledit montant de 500 000 euros pour le premier groupe susvisé.

202   En effet, lesdits considérants font ressortir que la Commission est arrivée à ce montant en ayant, d’abord, qualifié la présente infraction de grave et en ayant, ensuite, tenu compte de la capacité économique de Brasserie de Luxembourg à créer un dommage aux autres opérateurs, de la nécessité de fixer le montant de l’amende à un niveau suffisamment dissuasif et du poids spécifique de son comportement infractionnel, poids déterminé en fonction de ses ventes dans le secteur Horeca luxembourgeois.

203   Dès lors, la quatrième branche du second moyen doit être rejetée.

204   Toutes les branches du second moyen ayant été rejetées, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

205   Par conséquent, les présents recours doivent être rejetés dans leur ensemble.

 Sur les dépens

206   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

207   Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Les requérantes sont condamnées aux dépens.

Meij

Forwood

Pelikánová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juillet 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       A. W. H. Meij

Table des matières


Faits

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

1.  Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE

Sur l’appréciation de l’objet de la Convention (troisième, quatrième et première branches du premier moyen)

Décision attaquée

Arguments des parties

–  Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet le maintien de clientèles (troisième branche du premier moyen)

–  Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois (quatrième branche du premier moyen)

–  Sur l’insuffisante prise en compte du contexte de la Convention dans l’appréciation de son objet (première branche du premier moyen)

Appréciation du Tribunal

–  Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet le maintien de clientèles (troisième branche du premier moyen)

–  Sur la qualification prétendument erronée de la Convention d’ayant pour objet d’entraver la pénétration du secteur Horeca luxembourgeois (quatrième branche du premier moyen)

–  Sur l’insuffisante prise en compte du contexte de la Convention dans l’appréciation de son objet (première branche du premier moyen)

Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de ce que la Commission a conclu à tort que la Convention s’appliquait en l’absence de « clause de bière »

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée de l’absence d’effet sensible de la Convention sur la concurrence

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur l’erreur d’appréciation alléguée

–  Sur le prétendu défaut de motivation

2.  Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’exigence de motivation consacrée à l’article 253 CE

Sur la première branche du second moyen, tirée du fait que l’infraction n’a pas été commise de propos délibéré

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur l’erreur d’appréciation alléguée

–  Sur le prétendu défaut de motivation

Sur la deuxième branche du second moyen, tirée d’une erreur d’appréciation en ce qui concerne la gravité et la durée de l’infraction

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur la gravité de l’infraction

–  Sur la durée de l’infraction

Sur la troisième branche du second moyen, tirée de l’absence d’application des lignes directrices en matière de circonstances atténuantes

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche du second moyen (uniquement invoquée dans l’affaire T-49/02), tirée d’un défaut de motivation quant au montant initial de base retenu par la Commission pour le calcul des amendes

Décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure: le français.