Language of document : ECLI:EU:T:2016:719

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 décembre 2016 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative CAFE DEL SOL – Marque nationale figurative antérieure Café del Sol – Défaut de production de preuve dans la langue de procédure de l’opposition – Articles 75 et 76 du règlement (CE) n° 207/2009 – Règles 19 et 20 du règlement (CE) n° 2868/95 – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑549/15,

Ramón Guiral Broto, demeurant à Marbella (Espagne), représenté par Me J. L. de Castro Hermida, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. H. O’Neill, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Gastro & Soul GmbH, établie à Hildesheim (Allemagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 16 juillet 2015 (affaire R 1888/2014‑5), relative à une procédure d’opposition entre M. Guiral Broto et Gastro & Soul,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

Composé, lors des délibérations, de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 septembre 2015,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2016,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 16 juillet 2007, Gastro & Soul GmbH, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1). La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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2        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 30, 35, 41, 42, 43 et 45 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

3        La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 005/2008, du 4 février 2008.

4        Le 30 avril 2008, le requérant, M. Ramón Guiral Broto, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits et services pour lesquels il a été demandé.

5        L’opposition était fondée, notamment, sur la marque espagnole figurative antérieure, enregistrée le 20 avril 2001, reproduite ci-après :

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6        Cette marque antérieure désignait des services relevant de la classe 42.

7        Le requérant a également fondé son opposition sur d’autres marques antérieures, mais ces marques avaient expiré ou leurs enregistrements n’étaient pas suffisamment étayés.

8        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

9        Le 23 mai 2014, la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition pour les « services de restauration (alimentation) ; services d’hébergement ; restauration » relevant de la classe 43.

10      Le 22 juillet 2014, Gastro & Soul a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition susmentionnée dans la mesure où celle-ci faisait partiellement droit à l’opposition.

11      Par décision du 16 juillet 2015 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’opposition et rejeté l’opposition dans son intégralité. Elle a considéré que le requérant n’avait pas dûment apporté la preuve de l’existence et de la validité de sa marque antérieure dans le délai imparti par la division d’opposition.

 Conclusions des parties

12      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        déclarer recevable l’opposition fondée sur la marque antérieure ;

–        confirmer la décision rendue par la division d’opposition ou, si le Tribunal n’est pas compétent, renvoyer le litige devant une chambre de recours de l’EUIPO en ordonnant la recevabilité de l’opposition ;

–        admettre les preuves présentées au cours de la procédure administrative ainsi que celles jointes à la requête.

13      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

14      À l’appui de son recours, le requérant avance trois moyens. Le premier moyen est tiré du prétendu caractère ultra petita de la décision attaquée. Le deuxième moyen est tiré du caractère suffisamment probant des documents produits par le requérant afin d’établir l’existence de la marque antérieure. Le troisième moyen est fondé sur le non-respect du caractère subordonné, accessoire et auxiliaire des règles procédurales en cause et de la possible régularisation des irrégularités procédurales.

15      Dans le cadre du premier moyen, le requérant estime, en substance, que, en se prononçant sur la recevabilité de son opposition à l’enregistrement de la marque verbale demandée, la chambre de recours a agi au-delà de l’objet du recours dont elle avait été saisie. Selon le requérant, le recours de la demanderesse de marque, Gastro & Soul, contre la décision de la division d’opposition a été limité à des questions de fond, à savoir la preuve suffisante de l’usage sérieux de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion pour le consommateur. En se prononçant sur la recevabilité de l’opposition, la décision attaquée irait par conséquent au-delà du domaine matériel de la question soumise au réexamen de la chambre de recours par le recours de la demanderesse de marque. La décision attaquée aurait donc été rendue ultra petita. En outre, le requérant considère que le principe du contradictoire a été violé parce qu’il n’a pas pu se défendre devant la chambre de recours contre un possible rejet de l’opposition fondé sur de prétendues irrégularités afférentes à la présentation des documents attestant de ses droits antérieurs.

16      L’EUIPO estime que l’examen de la justification du droit antérieur, y compris l’exactitude des éventuelles traductions, relève de la compétence de la chambre de recours, indépendamment du fait que des questions de justification aient été spécifiquement portées à son attention par les parties.

17      Au vu de ces arguments, deux précisions liminaires doivent être faites.

18      En premier lieu, il importe de préciser que la présente affaire n’a pas trait à la recevabilité du recours de la demanderesse de marque devant la chambre de recours. En effet, au point 8 de la décision attaquée, la chambre de recours reconnaît la recevabilité du recours contre la décision de la division d’opposition et elle n’est pas contestée par le requérant.

19      En second lieu, il importe d’observer que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a fait droit au recours introduit devant elle en considérant que l’opposition à l’enregistrement de la marque demandée était non fondée et non en la considérant irrecevable. En effet, si aux points 22 et suivants de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que le fait de ne pas avoir joint une représentation en couleur de la marque antérieure constituait également une violation des dispositions concernant la recevabilité de l’opposition, elle a cependant estimé que ce constat ne saurait rendre inapplicable la sanction prévue à la règle 20, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1). Or, selon la chambre de recours, en omettant de fournir à la division d’opposition et à la chambre de recours les traductions dans la langue de la procédure, à savoir l’anglais, des revendications de couleur tant dans la représentation de la marque figurative antérieure que dans une partie descriptive du certificat d’enregistrement de ladite marque, le requérant n’avait pas dûment justifié l’étendue de la protection de ladite marque conformément à la règle 19 du règlement n° 2868/95. En application de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, elle a dès lors considéré que l’opposition n’était pas fondée et que la division d’opposition aurait dû la rejeter sur cette base.

20      Le requérant conteste cette dernière appréciation estimant, en substance, que, en se prononçant sur l’insuffisance des justifications de la marque antérieure sans que la demanderesse de marque n’ait soulevé cette question devant la chambre de recours, celle-ci a agi ultra petita. Selon le requérant, étendre l’objet du recours devant la chambre de recours à des questions qui ont été exclues par la partie requérante devant la chambre de recours constitue une violation du principe selon lequel le juge administratif ou judiciaire ne peut se prononcer sur des demandes qui ne lui ont pas été formulées. Ce principe exigerait une concordance entre les prétentions de la partie requérante devant la chambre de recours et le prononcé de la décision. L’EUIPO conteste ces griefs.

21      À cet égard, il importe de rappeler qu’il ressort de l’article 63, paragraphe 1, et de l’article 64, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 que la compétence des chambres de recours implique un réexamen des décisions prises par les unités de l’EUIPO statuant en première instance. Dans le cadre de ce réexamen, l’issue du recours dépend de la question de savoir si une nouvelle décision ayant le même dispositif que la décision faisant l’objet du recours peut ou non être légalement adoptée au moment où il est statué sur le recours [arrêt du 23 septembre 2003, Henkel/OHMI – LHS (UK) (KLEENCARE), T‑308/01, EU:T:2003:241, point 26]. Ainsi, par l’effet du recours dont elle est saisie, la chambre de recours est appelée à procéder à un nouvel examen complet du fond de l’opposition, tant en droit qu’en fait [arrêts du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 57, et du 24 mai 2011, ancotel/OHMI – Acotel (ancotel.), T‑408/09, non publié, EU:T:2011:241 point 20].

22      En outre, aux termes de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, l’EUIPO procède à l’examen d’office des faits. Toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, son examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties. L’article 76, paragraphe 2, dudit règlement dispose que l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.

23      Ainsi, dans le champ d’application de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 et compte tenu de la continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO, la chambre de recours est tenue de fonder sa décision au regard de tous les éléments de fait et de droit présents dans la décision attaquée devant elle et au regard de ceux introduits par la ou les parties soit dans la procédure devant l’unité ayant statué en première instance, soit, sous la seule réserve du paragraphe 2 de cette disposition, dans la procédure de recours. L’étendue de l’examen que la chambre de recours est tenue d’opérer à l’égard de la décision attaquée devant elle n’est pas, en principe, déterminée exclusivement par les moyens invoqués par la ou les parties dans la procédure devant elle [voir arrêt du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, EU:T:2005:29, point 18 et jurisprudence citée ; arrêt du 3 juin 2015, Lithomex/OHMI – Glaubrecht Stingel (LITHOFIX), T‑273/14, non publié, EU:T:2015:352, point 37].

24      En particulier, s’agissant du cadre factuel, il résulte de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 qu’il incombe aux parties de fournir en temps utile devant l’EUIPO les éléments de fait dont elles entendent se prévaloir. Il s’ensuit qu’aucune illégalité ne saurait être reprochée à l’EUIPO au vu d’éléments de fait qui ne lui ont pas été soumis [arrêts du 1er février 2005, HOOLIGAN, T‑57/03, EU:T:2005:29, point 19, et du 11 septembre 2014, Continental Wind Partners/OHMI – Continental Reifen Deutschland (CONTINENTAL WIND PARTNERS), T‑185/13, non publié, EU:T:2014:769, point 34].

25      S’agissant du cadre juridique dans une procédure relative aux motifs relatifs de refus, l’article 76, paragraphe 1, in fine, du règlement n° 207/2009 limite l’examen de l’EUIPO aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties. Ainsi, la chambre de recours, en statuant sur un recours contre une décision mettant fin à une procédure d’opposition, ne saurait fonder sa décision que sur les motifs relatifs de refus que la partie concernée a invoqués ainsi que sur les faits et preuves y afférents présentés par les parties. Les critères d’application d’un motif relatif de refus ou de toute autre disposition invoqués à l’appui des demandes formées par les parties font naturellement partie des éléments de droit soumis à l’examen de l’EUIPO. Il convient de préciser, à cet égard, qu’une question de droit peut devoir être tranchée par l’EUIPO alors même qu’elle n’a pas été soulevée par les parties, si la résolution de cette question est nécessaire pour assurer une correcte application du règlement n° 207/2009 au regard des moyens et demandes présentés par les parties. Fait donc également partie des éléments de droit portés devant la chambre de recours une question de droit devant nécessairement être examinée pour l’appréciation des moyens invoqués par les parties et pour la satisfaction ou le rejet des demandes, même si ces dernières ne se sont pas exprimées sur cette question et même si l’EUIPO a omis de se prononcer sur cet aspect. De même, s’il est prétendu que l’EUIPO a commis une irrégularité dans le traitement des demandes des parties, telle que, par exemple, la violation du principe du contradictoire, cette irrégularité alléguée fait également partie du cadre juridique de l’affaire [arrêts du 1er février 2005, HOOLIGAN, T‑57/03, EU:T:2005:29, point 21 ; du 11 septembre 2014, CONTINENTAL WIND PARTNERS, T‑185/13, non publié, EU:T:2014:769, point 35, et du 25 juin 2015, Copernicus-Trademarks/OHMI – Maquet (LUCEA LED), T‑186/12, EU:T:2015:436, point 37].

26      En l’espèce, il est constant que la chambre de recours a soulevé de sa propre initiative l’absence de traductions des revendications de couleur dans la représentation et la description de la marque figurative antérieure reprises dans son certificat d’enregistrement. Sur cette base, elle a annulé la décision de la division d’opposition et rejeté l’opposition du requérant à l’enregistrement de la marque demandée.

27      En soulevant cette question et en rejetant l’opposition sur cette base, la chambre de recours n’a pas outrepassé la portée du recours dont elle avait été saisie. En effet, les revendications de couleur de la marque antérieure et leur traduction dans la langue de procédure font partie des éléments de fait et de droit pertinents que la chambre de recours est obligée d’examiner afin de décider si une nouvelle décision ayant le même dispositif que la décision faisant l’objet du recours peut ou non être légalement adoptée au moment où il est statué sur le recours. Les revendications de couleur pour la marque antérieure en cause font partie des faits qui étaient soumis à la division d’opposition pour apprécier le risque de confusion. Ils pouvaient dès lors être pris en compte par la chambre de recours.

28      Par ailleurs, l’obligation de traduction de ces revendications dans la langue de procédure est une question de droit. Le respect de cette obligation est nécessaire pour assurer une correcte application du règlement n° 207/2009 au regard des moyens et demandes présentés par les parties dès lors que lesdites revendications sont susceptibles d’affecter l’appréciation du risque de confusion entre les marques en cause. En outre, en l’absence de traduction desdites revendications, le demandeur de marque est susceptible de ne pas avoir pu se défendre adéquatement.

29      Par conséquent, il ne peut être considéré que la chambre de recours a statué ultra petita en statuant d’office sur le caractère incomplet des traductions de la marque fondant l’opposition et en rejetant cette dernière sur cette base.

30      Toutefois, il importe également de rappeler que l’article 75, seconde phrase, du règlement n° 207/2009, prévoit que les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs sur lesquels les parties ont pu prendre position. Cette disposition constitue une application spécifique du principe général de protection des droits de la défense, consacré, par ailleurs, à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel les personnes dont les intérêts sont affectés par des décisions des autorités publiques doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue (arrêt du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 74). Le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel [arrêt du 26 mars 2014, Still/OHMI (Fleet Data Services), T‑534/12 et T‑535/12, non publié, EU:T:2014:157, point 31].

31      En l’espèce, il n’est pas contesté que la chambre de recours a déclaré l’opposition du requérant non fondée en application de la règle 19 et de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 sans avoir entendu ce dernier. En effet, la chambre de recours a elle-même soulevé le caractère incomplet de la traduction dans la langue de la procédure de la marque antérieure à l’origine de l’opposition et en a déduit, comme exposé au point 19 ci-dessus, que l’opposition n’était pas fondée. Ainsi que le soutient le requérant dans son premier moyen, le fait de ne pas l’avoir entendu sur cette question constitue une irrégularité procédurale (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 56 à 62).

32      Une violation des droits de la défense ne peut toutefois être consacrée que pour autant que l’absence de prise en compte de la position d’une partie intéressée a eu une incidence concrète sur la possibilité pour l’intéressé de se défendre. En effet, selon une jurisprudence constante, il incombe au juge de vérifier, lorsqu’il estime être en présence d’une telle irrégularité, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent si l’intéressé avait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité [voir arrêts du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 80 et jurisprudence citée ; du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX‑II, EU:C:2009:804, point 52 et jurisprudence citée, et du 5 mai 2015, Lidl Stiftung/OHMI – Horno del Espinar (Castello), T‑715/13, non publié, EU:T:2015:256, point 81 et jurisprudence citée].

33      Il y a donc lieu de vérifier le point de savoir si, en l’absence de l’irrégularité procédurale visée au point 31 ci-dessus, le requérant aurait été en mesure de compléter sa demande d’opposition en fournissant une traduction des indications de couleur de sa marque antérieure.

34      À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.

35      Ainsi que l’a jugé la Cour, il découle du libellé de cette disposition que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du règlement n° 207/2009, et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits (voir arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, EU:C:2013:638, point 22 et jurisprudence citée).

36      En précisant que ce dernier « peut », en pareil cas, décider de ne pas tenir compte de telles preuves, ladite disposition investit l’EUIPO d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte (voir arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, EU:C:2013:638, point 23 et jurisprudence citée).

37      De plus, aux termes de la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2868/95, lorsque le recours est dirigé contre une décision d’une division d’opposition, la chambre de recours limite l’examen du recours aux faits et aux preuves présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition, à moins qu’elle ne considère que des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009.

38      Le règlement n° 2868/95 prévoit donc, expressément, que la chambre de recours dispose, lors de l’examen d’un recours dirigé contre une décision d’une division d’opposition, du pouvoir d’appréciation découlant de la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2868/95 et de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 à l’effet de décider s’il y a lieu ou non de prendre en compte des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires qui n’ont pas été présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition (arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, EU:C:2013:638, point 32). La règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 ne constitue pas une règle empêchant la chambre de recours de faire usage de la marge d’appréciation qui lui est conférée par l’article 76, paragraphe 2, du règlement nº 207/2009 dès lors que cette règle doit être interprétée de façon à la rendre conforme aux règles supérieures de droit énoncées dans le règlement n° 207/2009 et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux.

39      En l’espèce, dès lors que, d’une part, la chambre de recours a considéré que, en ne fournissant pas de traduction dans la langue de la procédure des indications de couleur de la marque antérieure, le requérant ne s’était pas conformé aux exigences posées par la règle 19 du règlement n° 2868/95 en termes de preuves de l’existence et de la validité de la marque antérieure entrainant le rejet de son opposition comme non fondée et, d’autre part, la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2868/95 confère à la chambre de recours un pouvoir d’appréciation pour décider s’il y a lieu d’admettre des preuves supplémentaires, il ne peut être exclu que, si le requérant avait été entendu sur l’absence de traduction des indications de couleur de sa marque antérieure, il aurait soumis une traduction desdites indications qui aurait pu être admise par la chambre de recours et dès lors pu avoir pour conséquence que la procédure d’opposition aboutisse à un résultat différent.

40      Partant, c’est à juste titre que le requérant a allègue que la décision attaquée a été adoptée en violation du principe du contradictoire.

41      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de l’EUIPO.

42      Premièrement, en ce que l’EUIPO considère que la chambre de recours a précisément défendu les droits de la défense en insistant sur le fait que la traduction du certificat d’enregistrement concerné devait être fidèle au document original, il est exact que la règle 19 du règlement n° 2868/95 se justifie par la nécessité de respecter le principe du contradictoire ainsi que l’égalité des armes entre les parties dans la procédure inter partes [voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2007, SAEME/OHMI – Racke (REVIAN’s), T‑407/05, EU:T:2007:329, point 35 et jurisprudence citée]. Toutefois, la chambre de recours ne peut s’exonérer de son obligation de respecter les droits de la défense du requérant au motif qu’elle devait garantir ceux de la demanderesse de marque. Cela est d’autant plus vrai que le fait d’entendre le requérant sur l’absence de traduction des indications de couleur de sa marque antérieure ne fait pas obstacle à ce que la demanderesse de marque soit entendue. En effet, si, après avoir été entendu par la chambre de recours sur l’absence de traduction desdites indications, le requérant les produit, la chambre de recours est en mesure d’entendre la demanderesse de marque sur les conséquences d’une telle production devant elle pour la procédure en cours.

43      Deuxièmement, le fait que, au stade de la procédure devant la division d’opposition, le requérant a été informé du fait que le non-respect des exigences en matière de traduction entraînerait le rejet de l’opposition est indifférent pour l’appréciation du respect des droits de la défense au stade de la procédure devant la chambre de recours. En effet, dès lors que la compétence des chambres de recours implique un réexamen des décisions prises par les unités de l’EUIPO et que, en l’espèce, la chambre de recours a soulevé de sa propre initiative une violation des règles en matière de traduction de la marque antérieure, ladite information ne peut être considérée comme ayant permis au requérant de faire utilement connaître son point de vue devant la chambre de recours sur le rejet de son opposition en raison de l’absence de traduction des indications de couleur de sa marque.

44      Troisièmement, l’EUIPO allègue à tort une absence de violation des droits de la défense du requérant au motif que lesdits droits s’étendent aux éléments de fait et de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais pas à la position finale que l’administration entend adopter. En effet, en l’espèce, au cours de la procédure devant la chambre de recours, le requérant n’a pas été entendu sur les implications de l’absence de traduction des indications de couleur de sa marque antérieure. Les éléments de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision attaquée n’ont pas été soumis au requérant avant l’adoption de ladite décision.

45      Quatrièmement, la circonstance que le requérant n’a pas fourni devant la chambre de recours d’indications précisant, dans la langue de procédure, que la marque antérieure était de couleur est indifférent pour l’appréciation du respect des droits de la défense du requérant. Le respect des droits de la défense du requérant par la chambre de recours impose que cette dernière l’entende sur les implications négatives pour lui de l’absence de traduction des indications de couleur de sa marque antérieure.

46      Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la décision attaquée doit être annulée en raison d’une violation des droits de la défense du requérant, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens avancés par le requérant.

47      En ce qui concerne les autres conclusions visant à déclarer ou ordonner l’opposition recevable, confirmer la décision rendue par la division d’opposition et admettre les preuves présentées au cours de la procédure administrative, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 65, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, n’a pas pour effet de conférer à celui‑ci le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, de procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72). Compte tenu de la violation des droits de la défense du requérant par la chambre de recours, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre. Partant, lesdites conclusions doivent être rejetées.

 Sur les dépens

48      En vertu de l’article 133, du règlement de procédure du Tribunal, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance.

49      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

50      En l’espèce, l’EUIPO a succombé pour l’essentiel. Toutefois, le requérant n’a pas conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens. Partant, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 juillet 2015 (affaire R 1888/2014‑5), relative à une procédure d’opposition entre M. Ramón Guiral Broto et Gastro & Soul GmbH est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO et M. Guiral Broto supporteront chacun leurs propres dépens.

Prek

Labucka

Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2016.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.