Language of document : ECLI:EU:T:2013:567

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

15 octobre 2013(*)

« Recours en annulation et en indemnité – Santé publique – Liste des additifs alimentaires autorisés dans les denrées alimentaires – Glycosides de stéviol – Recours irrecevable ou manifestement non fondé »

Dans l’affaire T‑13/12,

Andechser Molkerei Scheitz GmbH, établie à Andechs (Allemagne), représentée par Me H. Schmidt, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme S. Grünheid et M. P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (UE) n° 1131/2011 de la Commission, du 11 novembre 2011, modifiant l’annexe II du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les glycosides de stéviol (JO L 295, p. 205), dans la mesure où il n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol extraits des feuilles de Stevia rebaudiana Bertoni que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes, ainsi qu’ une demande d’indemnité,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé, lors du délibéré, de MM. N. J. Forwood, président, F. Dehousse (rapporteur) et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les glycosides de stéviol sont des substances extraites des feuilles de la plante Stevia rebaudiana Bertoni. Tout en n’ayant pratiquement aucune valeur calorique, les glycosides de stéviol offrent, selon leurs variétés, un pouvoir sucrant jusqu’à 300 fois plus élevé que le sucre, qui leur permet de remplacer le sucre et autres édulcorants riches en calories.

2        En janvier et septembre 2007, deux producteurs de glycosides de stéviol ont saisi la Commission européenne de demandes visant à obtenir l’autorisation des glycosides de stéviol en tant qu’édulcorants conformément à la directive 94/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1994, concernant les édulcorants destinés à être employés dans les denrées alimentaires (JO L 237, p. 3). Une autre demande d’autorisation des glycosides de stéviol en tant qu’édulcorants a été déposée auprès de la Commission en mai 2008.

3        Le 10 mars 2010, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a rendu un avis sur la sécurité des glycosides de stéviol dans l’utilisation proposée par les demandeurs, à savoir en tant qu’édulcorants, notamment dans les aliments sans sucre ou à valeur énergétique réduite, tels que certaines boissons aromatisées, produits laitiers, confiseries sans sucre ajouté ou soupes à valeur énergétique réduite. Selon cet avis, la dose journalière acceptable (DJA) pour une utilisation sûre des glycosides de stéviol en tant qu’édulcorants était de 4 mg par kg de poids corporel par jour et il était signalé que cette DJA serait probablement dépassée, tant par les adultes que par les enfants, si ces édulcorants étaient utilisés aux niveaux maximaux proposés par les demandeurs.

4        Se fondant sur cette conclusion de l’EFSA, les demandeurs ont présenté des propositions d’utilisation révisées en septembre 2010, sur lesquelles l’avis de l’EFSA a été sollicité. Une déclaration de l’EFSA sur une nouvelle évaluation de l’exposition au produit a été publiée en janvier 2011.

5        Compte tenu des demandes d’autorisation de 2007 et de 2008, la Commission a ensuite examiné l’évaluation sur la sécurité des glycosides de stéviol réalisée par l’EFSA avec les États membres, au sein du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, qui assiste la Commission dans l’adoption des mesures de mise en œuvre du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, sur les additifs alimentaires (JO L 354, p. 16).

6        Le 4 juillet 2011, la Commission a soumis audit comité une proposition de règlement modifiant l’annexe II du règlement n° 1333/2008 en ce qui concerne les glycosides de stéviol. Cette proposition était conforme à l’avis du comité et n’a pas été contestée par le Parlement européen et le Conseil.

7        Par conséquent, la Commission, conformément aux dispositions des articles 10 et 30, paragraphe 5, du règlement n° 1333/2008, a arrêté, le 11 novembre 2011, le règlement (UE) n° 1131/2011, modifiant l’annexe II du règlement n° 1333/2008 en ce qui concerne les glycosides de stéviol (JO L 295, p. 205, ci-après le « règlement attaqué »).

8        Le règlement attaqué autorise l’utilisation des glycosides de stéviol extraits de la plante Stevia rebaudiana Bertoni en tant qu’édulcorants sous la dénomination « E 960 glycosides de stéviol » (ci-après l’ « E 960 ») dans certaines catégories de denrées alimentaires (en particulier dans les produits laitiers aromatisés fermentés, à valeur énergétique réduite ou sans sucres ajoutés) et fixe leurs conditions d’utilisation.

9        Le règlement attaqué est entré en vigueur le 2 décembre 2011.

10      La requérante est une entreprise qui collecte le lait de divers producteurs de lait biologique et fabrique, à partir de ce lait, différents produits biologiques, dont des yaourts.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 janvier 2012, la requérante a introduit le présent recours.

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol extraits des feuilles de Stevia rebaudiana Bertoni que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes ;

–        condamner l’Union européenne à réparer le dommage subi par la requérante du fait que le règlement attaqué n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol extraits des feuilles de Stevia rebaudiana Bertoni que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      Par ailleurs, la requérante demande au Tribunal de désigner un expert pour attester que les glycosides de stéviol extraits des feuilles de Stevia rebaudiana Bertoni présentent, en dehors de leur pouvoir sucrant, un goût légèrement âpre leur conférant un caractère d’épices (donc d’ingrédients végétaux d’origine agricole) ou d’arômes.

15      Dans la réplique, la requérante demande, en outre, la désignation d’un expert pour établir qu’elle perdra des parts de marché d’une importance considérable au profit de ses concurrents offrant des produits conventionnels contenant des glycosides de stéviol, parts qu’elle ne perdrait pas si elle bénéficiait elle aussi, depuis décembre 2011, de l’autorisation d’utiliser des glycosides de stéviol dans ses yaourts biologiques.

16      La Commission conclut au rejet de ces demandes d’expertise comme dénuées de pertinence ou irrecevables.

17      Par décision du président du Tribunal du 25 janvier 2013, la présente affaire, initialement attribuée à la cinquième chambre du Tribunal, a été réattribuée à la deuxième chambre du Tribunal et un nouveau juge rapporteur a été désigné.

 En droit

18      Aux termes de l’article 113 du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public. La décision est prise dans les conditions prévues à l’article 114, paragraphes 3 et 4, du même règlement.

19      En outre, aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

20      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure.

21      La Commission soutient que le recours, qu’il vise l’annulation du règlement attaqué ou une autorisation plus large des glycosides de stéviol, est irrecevable.

22      Quant à la demande en indemnisation, elle serait irrecevable comme accessoire à la demande en annulation et, subsidiairement, tant en raison du caractère hypothétique et futur de l’intérêt à agir que du non respect des conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. En tout état de cause, cette demande en indemnité serait manifestement non fondée.

23      La requérante conteste la position de la Commission.

24      Elle estime être recevable à demander l’annulation du règlement attaqué en ce qu’il a autorisé les glycosides de stéviol seulement en tant qu’additifs alimentaires, avec pour effet que la requérante, productrice de produits biologiques, ne pourrait, en l’état, utiliser les glycosides de stéviol dans ses propres produits. La requérante admet que, lors de l’adoption du règlement attaqué, la Commission avait uniquement le choix d’autoriser ou non les glycosides de stéviol en tant qu’additifs alimentaires. Le problème résiderait dans le fait que la Commission n’aurait pas choisi de refuser cette autorisation mais bien de l’accorder. La requérante reproche à la Commission de n’avoir pas veillé en parallèle, en vue du rétablissement de la cohérence du droit de l’Union, à ce que les fabricants de denrées alimentaires biologiques bénéficient eux aussi de la nouvelle autorisation.

25      La requérante conteste que sa situation juridique ne soit pas modifiée. Avant l’adoption du règlement attaqué, elle aurait joui, du fait de l’inexistence d’une autorisation d’utilisation des glycosides de stéviol comme additifs alimentaires, d’un droit d’agir en cessation d’une éventuelle telle utilisation par ses concurrents. Ce droit aurait disparu du fait du règlement attaqué.

26      S’agissant de la demande en indemnité, la requérante fait valoir que l’obligation de réparation de la Commission résulte de la violation par cette institution du principe d’égalité de traitement. Sans l’adoption du règlement attaqué, il n’y aurait pas eu de violation de ce principe et, partant, d’atteinte à la propriété privée de la requérante et à son droit au commerce. Quant à l’existence du préjudice, celui-ci serait suffisamment certain dans son principe, les concurrents conventionnels de la requérante étant sur le point de commercialiser leurs premiers produits édulcorés aux glycosides de stéviol, même s’il ne serait pas possible à la requérante, compte tenu de ses ressources, de présenter une étude de marché chiffrant ce préjudice. Ce chiffrage devrait être confié à un expert désigné à cette fin par le Tribunal.

27      Dans son recours, la requérante demande, d’une part, l’annulation du règlement attaqué « dans la mesure où il n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol […] que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes » et, d’autre part, la condamnation de l’Union à indemniser le dommage que la requérante devrait subir « du fait que ce règlement n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol […] que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes, alors que d’autres entreprises les emploient pour la fabrication de produits laitiers conventionnels et évincent ainsi la requérante de la concurrence […] ».

28      Il convient, d’emblée, de relever l’ambivalence des conclusions de la requérante. D’un côté, la requérante reproche à la Commission une autorisation illégale des glycosides de stéviol comme additifs alimentaires. D’un autre côté, le reproche ne porte pas tant sur cette autorisation que sur le fait que la Commission n’a pas veillé à conférer d’autres autorisations (comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes) qui permettraient l’utilisation des glycosides de stéviol également dans les produits biologiques.

29      C’est en tenant compte de cette ambivalence des conclusions de la requérante qu’il convient d’examiner la recevabilité et, le cas échéant, le bien-fondé des recours en annulation et en indemnité.

 Sur la recevabilité du recours en annulation

30      Selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’un recours en annulation est subordonnée à la condition que la personne physique ou morale qui en est l’auteur ait un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (arrêts du Tribunal du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, Rec. p. II‑1197, point 25, et du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, Rec. p. II‑4063, point 34).

31      Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

32      C'est la requérante elle-même qui doit apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (ordonnance du président de la deuxième chambre de la Cour du 31 juillet 1989, S/Commission, 206/89 R, Rec. p. 2841, point 8 , et ordonnance du Tribunal du 30 avril 2003, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke/Commission, T‑167/01, Rec. p. II‑1873, point 58).

33      Il convient, tout d’abord, de relever que le règlement attaqué a pour objet l’inscription des glycosides de stéviol (E 960) sur la liste de l’annexe II du règlement n° 1333/2008.

34      Ce faisant, le règlement attaqué ne produit aucun effet sur la situation juridique de la requérante autre que celui, favorable, de lui ouvrir la possibilité, comme à n’importe quel autre opérateur économique, d’utiliser l’additif E 960 dans les denrées alimentaires dans le respect des conditions d’utilisation prescrites par le règlement attaqué.

35      La requérante fait toutefois valoir que le règlement attaqué lui fait grief parce qu’il n’autorise les glycosides de stéviol qu’en tant qu’additifs alimentaires, et non en tant qu’ingrédients alimentaires ou que préparations aromatisantes, étant entendu que ces dernières qualifications lui permettraient d’utiliser les glycosides de stéviol dans les produits biologiques qu’elle fabrique.

36      Force est, toutefois, de relever que l’impossibilité pour les opérateurs économiques, en l’état de la réglementation communautaire lors de l’introduction du recours, d’utiliser les glycosides de stéviol dans les denrées alimentaires biologiques ne découle en rien du règlement attaqué, lequel répondait seulement à des demandes d’utilisation des glycosides de stéviol en tant qu’édulcorants conformément à la directive 94/35 puis au règlement n° 1333/2008.

37      Une annulation du règlement attaqué ne procurerait d’ailleurs à la requérante aucun droit d’utiliser les glycosides de stéviol dans ses produits biologiques. Il se trouve que la requérante n’a pas déposé de demande visant à obtenir l’autorisation des glycosides de stéviol dans les denrées alimentaires biologiques, que la Commission aurait pu examiner dans ce contexte distinct. À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel elle serait une trop petite entreprise pour pouvoir déposer une telle demande ne saurait, indépendamment même de son caractère non convaincant, fonder un droit à s’opposer à une autorisation donnée par ailleurs en réponse à des demandes différentes déposées par d’autres opérateurs économiques.

38      Quant à l’argument selon lequel le règlement attaqué priverait la requérante du droit de s’opposer à l’utilisation des glycosides de stéviol comme additifs alimentaires par les fabricants de yaourts conventionnels, il convient de rappeler que le seul effet juridique du règlement attaqué est d’accorder à tous les opérateurs – dont la requérante – la possibilité d’utiliser les glycosides de stéviol comme additifs alimentaires dans les conditions qu’il prescrit.

39      Ce règlement ne vise pas la suppression d’un droit, mais l’octroi d’un droit nouveau à tous les opérateurs. Certes, la requérante ne se déclare pas, compte tenu de ses propres choix de positionnement commercial, intéressée par cette possibilité. Toutefois, cela constitue une circonstance de pur fait dont ne saurait être déduite l’existence d’un quelconque effet défavorable du règlement attaqué sur la situation juridique de la requérante.

40      En tout état de cause, force est de constater que la requérante ne rapporte aucune preuve au soutien des allégations, pourtant sous-jacentes à sa revendication d’un intérêt à agir en annulation du règlement attaqué, selon lesquelles, d’une part, des yaourts conventionnels à faible valeur énergétique édulcorés au E 960 seraient mis sur le marché dans le futur et, d’autre part, de tels produits seraient alors dans un rapport de concurrence avec les yaourts biologiques qu’elle produit et commercialise.

41      Il résulte des considérations qui précèdent que, faute pour la requérante d’établir, lors de l’introduction du recours, l’existence d’un intérêt né et actuel à l’annulation du règlement attaqué, le présent recours, en ce qu’il vise cette annulation, doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur la recevabilité du recours, en ce qu’il peut être perçu comme un recours en carence

42      Par ailleurs et pour autant, comme l’envisage la Commission, que le présent recours vise, alternativement, à reprocher à cette institution de n’avoir pas, au-delà du règlement attaqué, autorisé de sa propre initiative l’utilisation des glycosides de stéviol dans les produits biologiques, et à l’enjoindre d’accorder une telle autorisation, il convient de relever que le traité ne prévoit, à l’article 265 TFUE, que la voie du recours en carence, précédée d’une invitation à agir, voie que la requérante n’a pas suivie en l’espèce.

43      Il s’ensuit que le présent recours, pour autant qu’il peut être perçu comme un recours en carence, introduit sans que la procédure préalable prévue à l’article 265 TFUE n’ait été suivie, doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur la recevabilité et le bien-fondé du recours en indemnité

44      La requérante demande la condamnation de l’Union à réparer le dommage subi du fait que le règlement attaqué n’autorise l’utilisation des glycosides de stéviol extraits des feuilles de Stevia rebaudiana Bertoni que comme additifs alimentaires et non comme ingrédients végétaux d’origine agricole ou comme préparations aromatisantes.

45      À titre principal, la Commission fait valoir que ce recours en indemnité ne constitue que l’accessoire du recours en annulation et que, ce faisant, l’irrecevabilité du recours en annulation entraîne celle du recours en indemnité.

46       À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours en indemnité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêt de la Cour du 28 avril 1971, Lütticke/Commission, 4/69, Rec. p. 325, point 6, et ordonnance de la Cour du 21 juin 1993, Van Parijs e.a./Conseil et Commission, C‑257/93, Rec. p. I‑3335, point 14). Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe communautaire (voir arrêt de la Cour du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, Rec. p. I‑2803, point 59, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 21 juin 2006, Danzer/Conseil, T‑47/02, Rec. p. II‑1779, point 27, et du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, Rec. p. II‑4883, point 64).

47      Le principe de l’autonomie du recours en indemnité trouve ainsi sa justification dans le fait qu’un tel recours se singularise, par son objet, du recours en annulation (arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 45).

48      C’est sur ce fondement qu’il a été jugé, par exception, qu’un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait d’un acte devenu définitif et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler les effets juridiques de l’acte en question (arrêt de la Cour du 26 février 1986, Krohn Import-Export/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 30 ; arrêts du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T‑514/93, Rec. p. II‑621, point 59, et Fresh Marine/Commission, point 47 supra, point 50).

49      Tel est le cas lorsque le recours en indemnité tend au paiement d’une somme dont le montant correspond exactement au montant des droits qui ont été payés – ou dont la requérante a été privés – en exécution d’une décision individuelle et où, de ce fait, le recours en indemnité tend, en réalité, au retrait de cette décision individuelle (arrêt Krohn Import‑Export/Commission, point 48 supra, point 33, et arrêt Cobrecaf e.a./Commission, point 48 supra, point 60).

50      Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

51      En effet, s’il est certes clair que le présent recours en indemnité dénonce – entre autres – la même illégalité alléguée que celle visée dans le recours en annulation, il n’en reste pas moins qu’il ne poursuit pas les mêmes fins que ce recours en annulation. La demande en indemnité formée en l’espèce n’est pas un détournement de procédure par lequel une partie tente d’obtenir, par le biais d’un recours en indemnité, le retrait d’une décision individuelle non attaquée dans les délais.

52      Il s’ensuit que l’argument de la Commission selon lequel le recours en indemnité devrait être déclaré irrecevable en tant qu’ « accessoire » au recours en annulation irrecevable doit être rejeté.

53      En outre, pour autant – comme l’envisage la Commission – que le présent recours vise, alternativement, à reprocher à cette institution de n’avoir pas, au-delà du règlement attaqué, autorisé de sa propre initiative l’utilisation des glycosides de stéviol dans les produits biologiques (voir point 42 ci-dessus), le recours en indemnité, qui vise alors à obtenir réparation des conséquences de cette prétendue abstention fautive, n’a aucun lien avec le recours en annulation. Or, eu égard à l’autonomie (confirmée par la jurisprudence à la suite de l’arrêt Lütticke/Commission, point 46 supra) du recours en indemnité par rapport au recours en carence, il n’y a aucune raison de déclarer irrecevable le recours par lequel une partie, sans avoir introduit un recours en carence, demande réparation d’une abstention fautive d’agir de la Commission.

54      Il résulte des considérations qui précèdent que le présent recours en indemnité, qu’il vise à la réparation d’un préjudice découlant d’une adoption illégale du règlement attaqué ou découlant d’une abstention fautive d’adopter des mesures au-delà de ce règlement, ne saurait être rejeté comme irrecevable en raison de son prétendu caractère accessoire.

55      À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que le recours en indemnité serait irrecevable tant en raison du caractère hypothétique et futur de l’intérêt à agir que du non respect des conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requérante ne produisant pas le moindre élément factuel concernant la perte de parts de marché dont elle serait prétendument menacée. En tout état de cause, le recours en indemnité serait manifestement non fondé.

56      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt de la Cour du 9 septembre 2008, FIAMM e. a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. I‑6513, point 106, et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, Rec. p. II‑2237, point 113).

57      Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 30).

58      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnances du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T‑56/92, Rec. p. II‑1267, point 21, et du 14 mai 1998, Goldstein/Commission, T‑262/97, Rec. p. II‑2175, point 21). Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, Abad Pérez e.a./Conseil et Commission, T‑304/01, Rec. p. II‑4857, point 44, et la jurisprudence citée).

59      Enfin, il convient de relever que l’article 340 TFUE n’empêche pas de saisir le juge de l’Union pour faire constater la responsabilité de l’Union pour des dommages imminents et prévisibles avec une certitude suffisante, même si le préjudice ne peut pas encore être chiffré avec précision (arrêts de la Cour du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./CEE, 56/74 à 60/74, Rec. p. 711, points 5 à 9 ; du 2 mars 1977, Milch-, Fett- und Eier-Kontor/Conseil et Commission, 44/76, Rec. p. 393, point 8 ; du 6 décembre 1984, Biovilac/CEE, 59/83, Rec. p. 4057, point 9, et du 29 janvier 1985, Münchener Import-Weinkellerei Binderer/Commission, 147/83, Rec. p. 257, point 19). Il s’ensuit que le juge de l’Union ne saurait être saisi d’un recours en indemnité lorsque le dommage allégué est, lors de l’introduction du recours, seulement futur et hypothétique.

60      En l’espèce, la requérante affirme dans la requête, pour justifier sa demande en indemnité, qu’elle subit un préjudice du fait qu’elle « perdra des parts de marché, en particulier en ce qui concerne les yaourts, face à ses concurrents qui fabriquent des produits laitiers de qualité conventionnelle avec des glycosides de stéviol et qui pourront les présenter comme des produits amincissants à valeur énergétique réduite », et ce d’autant plus que « [ses] grands concurrents, actifs à l’échelle transcontinentale, [ont] annoncé la mise sur le marché de produits laitiers contenant des glycosides de stéviol, sous différentes formes, en tant que produits à valeur énergétique réduite ».

61      La requérante estime que, compte tenu du grand intérêt des consommateurs pour de tels produits à valeur énergétique réduite, on peut « certainement » anticiper qu’elle perdra des parts de marché. Selon elle, la question de savoir dans quelle mesure cela interviendra et quels dommages elle subira ne se révèlera qu’au cours de l’année 2012.

62      Au stade de la requête, déposée en janvier 2012, la requérante ne produit, au-delà de ces affirmations, aucun élément concret. Notamment, elle ne produit aucune preuve de la réalité – et encore moins du contenu concret – des annonces qu’auraient faites des fabricants de produits non biologiques, preuves qui, si elles avaient été rapportées, auraient permis non seulement de vérifier la réalité de ces annonces, mais encore d’identifier le ou les opérateurs concernés et de, peut-être, disposer d’une première information sur la nature des produits concernés, l’étendue de la commercialisation envisagée et son calendrier.

63      Dans ces conditions, force est de considérer que, au stade de l’introduction du recours, la mise sur le marché par des tiers de yaourts non biologiques à faible valeur énergétique édulcorés au E 960 n’était, objectivement, qu’une simple hypothèse.

64      En outre, la requérante n’a expliqué ni en quoi ni dans quelle mesure ces produits non biologiques, qui plus est édulcorés par un additif alimentaire issu de divers traitements, devraient nécessairement (ce que la requérante tient pour acquis) être substituables, dans la perception des consommateurs, à des produits biologiques et en quoi, par conséquent, la requérante devrait nécessairement subir des pertes sur le marché des yaourts biologiques du fait d’une mise sur le marché de yaourts conventionnels édulcorés au E 960.

65      Comme le relève la Commission, l’allégation sous-tendant la demande en indemnité, selon laquelle les consommateurs de produits laitiers biologiques devraient forcément se détourner de ces produits au profit de produits laitiers conventionnels édulcorés au E 960, n’est pas étayée, et la Commission conteste d’ailleurs formellement cette allégation.

66      En conclusion, il convient de considérer que, faute d’apporter le moindre élément de preuve à l’appui de ses affirmations, la requérante s’est prévalue, pour introduire son recours en indemnité, d’un dommage qui était, au jour de l’introduction du recours, non seulement futur, mais encore et surtout hypothétique.

67      Il convient d’ajouter que la requérante n’a pas cherché, au stade de la réplique, à réfuter les objections de la Commission quant à l’existence d’un lien de concurrence entre d’éventuels produits laitiers non biologiques édulcorés au E 960 et les produits laitiers biologiques, ni à produire des éléments de preuve au sujet des prétendues annonces des fabricants de produits non biologiques. La requérante s’est contentée, dans la réplique, de solliciter, pour la première fois, la désignation d’un expert aux fins, selon elle, « d’établir qu’elle perdra des parts de marché d’une importance considérable au profit de ses concurrents offrant des produits conventionnels contenant des glycosides de stéviol, parts qu’elle ne perdrait pas si elle bénéficiait elle aussi, depuis décembre 2011, de l’autorisation d’utiliser des glycosides de stéviol dans ses yaourts biologiques ».

68      Force est de relever qu’une telle demande d’expertise, même formulée au stade de la requête, n’aurait pas été plus recevable, dès lors que la requérante n’avait pas apporté, de toute manière, à ce stade initial de la procédure, la moindre preuve de la réalité des prémisses factuelles figurant au fondement de son recours en indemnité. Comme le relève, en substance, la Commission, une demande d’expertise, qu’elle soit formée dans la requête ou, a fortiori (comme en l’espèce), dans la réplique, ne saurait pallier l’absence de respect, par la partie requérante, des obligations lui incombant, au stade de l’introduction du recours, en termes d’exposé des faits et de charge de la preuve, conformément à l’article 44, paragraphe 1, sous c) et e), du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié au Recueil, points 39 et 44 ; voir également ordonnance du Tribunal du 19 mai 2008, TF1/Commission, T‑144/04, Rec. p. II‑761, point 30).

69      Il découle des considérations qui précèdent que le recours en indemnité, en ce qu’il vise la réparation du préjudice censé découler dans l’avenir de l’autorisation, par le règlement attaqué, des glycosides de stéviol dans les produits non biologiques, doit être rejeté comme irrecevable au regard des exigences de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure et, en tout état de cause, eu égard à l’absence de tout élément de preuve, comme manifestement non fondé.

70      Cette conclusion est tout autant valable à l’égard du recours en indemnité en ce qu’il peut être perçu, alternativement, comme dénonçant le fait que la Commission n’a pas, de sa propre initiative, autorisé l’utilisation des glycosides de stéviol également dans les produits biologiques.

71      En effet, le préjudice que la requérante déclare craindre, dans ce dernier contexte, découle toujours du fait qu’elle ne pourrait pas répondre, faute de pouvoir produire des yaourts biologiques édulcorés au E 960, à la prétendue concurrence à venir de produits non biologiques édulcorés avec cet additif. C’est donc toujours au regard des circonstances – hypothétiques – que constituent, d’une part, une production de produits non biologiques édulcorés au E 960 par des tiers et, d’autre part, un rapport de concurrence entre ces produits et ceux de la requérante, que la requérante fonde son recours en indemnité.

 Conclusion

72      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable en toutes ses composantes (recours en annulation, recours en carence, recours en indemnité) et, en tout état de cause, s’agissant du recours en indemnité, comme manifestement non fondé.

  Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Andechser Molkerei Scheitz GmbH supportera ses propres dépens ainsi que les dépens de la Commission.

Fait à Luxembourg, le 15 octobre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       N. J. Forwood


Table des matières



Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité du recours en annulation

Sur la recevabilité du recours, en ce qu’il peut être perçu comme un recours en carence

Sur la recevabilité et le bien-fondé du recours en indemnité

Conclusion

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’allemand.