Language of document : ECLI:EU:C:2008:426

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 juillet 2008 (*)

«Secteur des télécommunications – Réseaux et services – Rééquilibrage tarifaire – Article 4 quater de la directive 90/388/CEE – Article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33/CE – Article 12, paragraphe 7, de la directive 98/61/CE – Autorité réglementaire – Effet direct des directives – Situation triangulaire»

Dans les affaires jointes C‑152/07 à C‑154/07,

ayant pour objet trois demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), par décisions du 13 décembre 2006, parvenues à la Cour le 20 mars 2007, dans les procédures

Arcor AG & Co. KG (C‑152/07),

Communication Services TELE2 GmbH (C‑153/07),

Firma 01051 Telekom GmbH (C‑154/07)

contre

Bundesrepublik Deutschland,

en présence de:

Deutsche Telekom AG,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et L. Bay Larsen, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, P. Kūris (rapporteur), E. Juhász, A. Ó Caoimh, Mme P. Lindh et M. J.-C. Bonichot, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 février 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour Arcor AG & Co. KG, par Mes T. Bosch et D. Herrmann, Rechtsanwälte,

–        pour Communication Services TELE2 GmbH, par Me P. Rädler, Rechtsanwalt,

–        pour Firma 01051 Telekom GmbH, par Mes M. Schütze et M. Salevic, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement allemand, par Mes J. Scherer et J. Hagelberg, Rechtsanwälte,

–        pour Deutsche Telekom AG, par Mes T. Mayen et U. Karpenstein, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme V. Jackson et M. M. Hoskins, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Braun et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er avril 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation, d’une part, de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (JO L 192, p. 10), telle que modifiée par la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996 (JO L 74, p. 13, ci-après la «directive 90/388»), et, d’autre part, de la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) (JO L 199, p. 32), telle que modifiée par la directive 98/61/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 1998 (JO L 268, p. 37, ci-après la «directive 97/33»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois recours en «Revision» opposant, respectivement, Arcor AG & Co. KG (ci-après «Arcor»), Communication Services TELE2 GmbH (ci-après «TELE2») et Firma 01051 Telekom GmbH (ci-après «01051 Telekom»), opérateurs de réseaux publics de télécommunications, à la Bundesrepublik Deutschland, représentée par la Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen (Agence fédérale des réseaux pour l’électricité, le gaz, les télécommunications, la poste et les chemins de fer, ci-après l’«autorité réglementaire»), en présence de Deutsche Telekom AG (ci-après «Deutsche Telekom»), au sujet d’une décision de l’autorité réglementaire du 29 avril 2003 par laquelle cette dernière a autorisé, à partir du 1er juillet 2003, une redevance de raccordement d’un montant de 0,004 euro la minute sur le prix des communications pour la fourniture de liaisons en provenance du réseau téléphonique national de la Deutsche Telekom à un partenaire d’interconnexion en tant qu’opérateur du réseau de connexions pour les communications locales [ci-après la «prestation Telekom-B2 (local)»].

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Le cinquième considérant de la directive 96/19 énonce:

«[...] afin de permettre aux organismes de télécommunications d’achever de se préparer à la concurrence, et en particulier de continuer le rééquilibrage nécessaire de leurs tarifs, les États membres peuvent maintenir les droits exclusifs et spéciaux actuels relatifs à la téléphonie vocale jusqu’au 1er janvier 1998 au plus tard; [...] les États membres dotés de réseaux moins développés ou de très petits réseaux doivent pouvoir bénéficier d’une exception temporaire lorsque celle-ci se justifie par la nécessité de procéder à des ajustements structurels, mais seulement pour la durée nécessaire à ces ajustements; [...] ces États membres devraient se voir accorder un délai supplémentaire respectivement de cinq ans au maximum ou de deux ans au maximum, sur leur demande, pour autant que ce délai soit requis afin d’achever les ajustements structurels nécessaires; [...] les États membres qui pourraient demander à bénéficier de cette possibilité sont l’Espagne, l’Irlande, la Grèce et le Portugal en ce qui concerne les réseaux moins développés et le Luxembourg pour ceux de très petite taille; [...]»

4        Aux termes du vingtième considérant de la directive 96/19:

«[...] les États membres devraient procéder, dans les meilleurs délais, à la suppression graduelle des restrictions subsistantes non justifiées au rééquilibrage des tarifs de la part des organismes de télécommunications, et en particulier celles empêchant l’adaptation des tarifs qui ne sont pas liés aux coûts et qui accroissent la charge de la fourniture du service universel; [...]»

5        Le troisième alinéa de l’article 4 quater de la directive 90/388, introduit par l’article 1er, point 6, de la directive 96/19, dispose:

«Les États membres autorisent leurs organismes de télécommunications à rééquilibrer leurs tarifs en tenant compte des conditions spécifiques du marché et de la nécessité d’assurer un service universel abordable, et notamment ils les autorisent à adapter les tarifs actuels qui ne sont pas liés aux coûts et qui augmentent la charge de la fourniture du service universel, afin d’asseoir leur structure tarifaire sur les coûts réels. Lorsque ce rééquilibrage ne peut être achevé avant le 1er janvier 1998, les États membres concernés font rapport à la Commission sur la suppression graduelle des déséquilibres tarifaires subsistant. Ce rapport contient un calendrier détaillé de mise en œuvre.»

6        L’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33 se lit comme suit:

«Les redevances d’interconnexion respectent les principes de la transparence et de l’orientation en fonction des coûts. La charge de la preuve que les redevances sont déterminées en fonction des coûts réels, y compris un rendement raisonnable des investissements, incombe à l’organisme qui fournit l’interconnexion avec ses installations. Les autorités réglementaires nationales peuvent demander à un organisme de justifier intégralement ses redevances d’interconnexion et, si nécessaire, en exiger l’adaptation. Le présent paragraphe est également applicable aux organismes définis à l’annexe I troisième partie, qui ont été notifiés par des autorités réglementaires nationales comme étant des organismes puissants sur le marché national de l’interconnexion.»

7        Aux termes de l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33, ajouté par la directive 98/61:

«Les autorités réglementaires nationales exigent au moins des organismes exploitant des réseaux publics de télécommunications visés dans la première partie de l’annexe I et notifiés par les autorités réglementaires nationales comme étant des organismes puissants sur le marché, de permettre à leurs abonnés, y compris ceux utilisant le RNIS [réseau numérique à intégration de services], d’accéder aux services commutés de tout prestataire interconnecté de services de télécommunications accessibles au public. Des mécanismes doivent être mis en place à cet effet au 1er janvier 2000 au plus tard ou, dans les pays qui bénéficient d’une période transitoire supplémentaire, dès que possible après cette date, mais au plus tard deux ans après toute date ultérieure décidée pour la pleine libéralisation des services de téléphonie vocale, afin de permettre à l’abonné de choisir ces services au moyen d’une présélection et d’un système lui permettant d’écarter à chaque appel tout choix de présélection en composant un préfixe court.

Les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’interconnexion liée à la fourniture de ce service soit fonction du coût et à ce que, le cas échéant, les redevances à payer par le consommateur ne jouent pas un rôle dissuasif à l’égard de l’utilisation dudit service.»

 La réglementation nationale

8        L’article 43, paragraphe 6, de la loi sur les télécommunications (Telekommunikationsgesetz), du 25 juillet 1996 (BGBl. 1996 I, p. 1120, ci-après le «TKG 1996»), tel que modifié par la première loi de modification de la loi sur les télécommunications (Erste Gesetz zur Änderung des Telekommunikationsgesetzes), du 21 octobre 2002 (BGB1. 2002 I, p. 4186), dispose:

«Les opérateurs de réseaux publics de télécommunications détenant une position dominante au sens de l’article 19 de la loi sur les restrictions de concurrence [(Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen)] doivent, en vertu de la troisième phrase, garantir sur leurs réseaux que chaque usager ait la possibilité de choisir les services de télécommunications de tous les opérateurs de réseaux publics de télécommunications qui sont directement interconnectés, et cela aussi bien en sélectionnant l’opérateur selon une procédure de choix individuel en formant un préfixe donné qu’au moyen d’une présélection de l’opérateur, étant cependant entendu, dans ce dernier cas, que la possibilité doit exister, pour tout appel, de passer outre à la présélection établie en formant le préfixe d’un autre opérateur. L’usager doit également pouvoir effectuer divers préréglages pour les communications locales et lointaines. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’interconnexion des réseaux qui doit être réalisée pour exécuter cette obligation, il convient de veiller, lorsque l’on adopte des décisions en application des troisième, quatrième et sixième parties de la présente loi, à ne pas supprimer l’attrait d’investissements efficaces dans des équipements d’infrastructure garantissant une concurrence plus forte à long terme et de veiller également à ce que le réseau existant soit utilisé de manière efficace au moyen d’un raccordement à proximité. Ce faisant, il faut en particulier veiller à ce que l’opérateur de réseau choisi par l’usager participe de façon appropriée aux coûts du raccordement mis à la disposition de l’usager. L’autorité réglementaire peut suspendre, totalement ou partiellement, l’obligation prévue à la première phrase, aussi longtemps que et dans la mesure où cela est techniquement justifié. Pour les exploitants de réseaux de téléphonie mobile, l’obligation de permettre une sélection ou une présélection de l’opérateur est suspendue. Elle sera réexaminée dans le cadre de la transposition des exigences de l’article 19, paragraphe 2, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques [(directive ‘service universel’)] (JO L 108, p. 51).»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Il ressort des décisions de renvoi que, sur demande de Deutsche Telekom, l’autorité réglementaire a, par décision du 29 avril 2003, autorisé, à partir du 1er juillet 2003 et jusqu’au 30 novembre 2003, une redevance de raccordement d’un montant de 0,004 euro la minute sur le prix des communications pour la prestation Telekom-B2 (local). Cette autorisation s’étendait à l’ensemble des interconnexions convenues ou imposées jusqu’au 7 mai 2003. Prise sur la base de l’article 43, paragraphe 6, quatrième phrase, du TKG 1996, cette décision était motivée par la circonstance que les frais de raccordement des abonnés n’auraient pas été couverts par les recettes d’activation de la connexion d’abonnés, de sorte qu’ils auraient entraîné un déficit.

10      L’autorité réglementaire a, par décision du 23 septembre 2003, abrogé la décision du 29 avril 2003, au motif qu’il n’existait plus de déficit de raccordement pour Deutsche Telekom, car une augmentation du prix payé par le client final pour l’activation de la connexion d’abonnés avait entre-temps été autorisée.

11      Arcor, TELE2 et 01051 Telekom ont chacune engagé un recours contre la décision du 29 avril 2003 devant le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne).

12      Par jugements du 3 novembre 2005, celui-ci a annulé cette décision.

13      C’est à l’encontre de ces jugements que l’ensemble des parties au principal dans l’affaire C‑152/07 et les parties défenderesses et intervenantes au principal dans les affaires C‑153/07 et C‑154/07 ont introduit un recours en «Revision» devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour fédérale administrative).

14      Dans ce contexte, le Bundesverwaltungsgericht a, dans les trois affaires au principal, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La directive 90/388 […] et la directive 97/33 […] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles empêchent l’autorité réglementaire nationale d’obliger l’opérateur d’un réseau de connexion interconnecté à un réseau public de télécommunications à verser, pour l’année 2003, à l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché, une contribution destinée à combler le déficit que celui-ci subit du fait de la mise à disposition du raccordement des abonnés?

2)      En cas de réponse affirmative [la] juridiction nationale saisie d’un recours dirigé contre l’autorisation de mettre l’opérateur du réseau de connexion à contribution doit-elle tenir compte de l’incompatibilité d’une telle obligation de droit national avec le droit communautaire?»

15      Par ordonnance du 1er juin 2007, le président de la Cour a ordonné la jonction des affaires C‑152/07 à C‑154/07 aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

16      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les directives 90/388 et 97/33 s’opposent à ce qu’une autorité réglementaire nationale puisse obliger un opérateur d’un réseau de connexion interconnecté à un réseau public de verser à l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché une redevance destinée à combler le déficit que ce dernier subit du fait de la mise à disposition du raccordement des abonnés.

17      Il est constant que la redevance de raccordement en cause au principal, établie en application de l’article 43, paragraphe 6, quatrième phrase, du TKG 1996, est distincte et versée en sus de la redevance d’interconnexion, laquelle est fondée sur une autre disposition du TKG 1996, à savoir l’article 39 de celui-ci. Le principe de cette redevance de raccordement a été introduit lors de la transposition en droit allemand de la directive 98/61. Le montant de ladite redevance de raccordement est calculé en fonction du déficit subi par Deutsche Telekom du fait que les recettes générées par la mise à disposition des raccordements d’abonnés ne couvrent pas les coûts liés à la mise à disposition efficace desdits raccordements.

18      Selon la juridiction de renvoi, l’obligation de participation aux frais de raccordement incombe à l’opérateur du réseau de connexion choisi par l’abonné par sélection directe ou par présélection. Elle se présente toutefois comme une compensation pour le déficit relatif aux frais de raccordement de Deutsche Telekom, opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché, et non comme la contrepartie d’une prestation fournie par ce dernier opérateur à l’opérateur du réseau de connexion.

19      La redevance de raccordement en cause au principal a donc pour finalité une rémunération supplémentaire à titre de participation aux coûts de raccordement des abonnés qui ne sont pas couverts par les redevances «client». Elle est due uniquement par les opérateurs de réseaux de connexion qui ont conclu un accord d’interconnexion avec Deutsche Telekom concernant les prestations de sélection directe ou de présélection de l’opérateur sur les réseaux locaux.

20      Il ressort des termes de l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 que les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’interconnexion liée à la fourniture des services de téléphonie vocale offrant à l’abonné la faculté de choisir ces services au moyen d’une présélection et d’un système lui permettant d’écarter à chaque appel tout choix de présélection en composant le préfixe court soit fonction du coût et que les redevances à payer ne jouent pas un rôle dissuasif pour le consommateur à l’égard de l’utilisation de ce service.

21      Or, il convient de constater que la redevance de raccordement en cause au principal, qui est subordonnée à l’existence d’un accord d’interconnexion pour les prestations de présélection d’un opérateur, est versée par les opérateurs de réseaux de connexion et qu’elle intervient dans le cadre d’une libéralisation accrue du marché des télécommunications.

22      Il s’ensuit que ladite redevance entre dans le champ d’application de l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 et doit dès lors se voir imposer les mêmes conditions de fixation que la redevance d’interconnexion stricto sensu, à savoir le respect du principe de l’orientation des tarifs en fonction des coûts.

23      Posé à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33, ce principe oblige à déterminer la redevance en fonction des coûts réels.

24      Par suite, il convient de constater que l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 ne permet pas à une autorité réglementaire nationale d’autoriser une redevance de raccordement dont le tarif n’est pas fixé en fonction des coûts, alors qu’elle présente les mêmes caractéristiques qu’une redevance d’interconnexion et est perçue en sus d’une telle redevance.

25      Au surplus, il est également constant que le rééquilibrage tarifaire de Deutsche Telekom, dans le but d’adapter les tarifs de cet opérateur aux coûts réels et de mettre fin au mode de subventionnement croisé des rémunérations pour la location de lignes d’abonnés, dont fait état la juridiction de renvoi, consistant à consacrer une partie des rémunérations payées par les clients finals pour les prestations de connexion à la compensation du déficit relatif aux coûts de raccordement, a été entrepris dès 1996, mais n’était pas achevé en 2002.

26      Il n’est par ailleurs pas contesté que les obligations de service universel n’ont pas été définies en Allemagne et n’ont donc pas été mises à la charge de Deutsche Telekom, dans la mesure où les besoins qu’elles devraient satisfaire l’ont été par le jeu normal du marché.

27      Néanmoins, afin de poursuivre la satisfaction de ces besoins par le libre jeu du marché, il convient de s’assurer que les règles de la concurrence sont maintenues et garanties.

28      Or, il s’impose de constater, d’une part, que l’existence d’une redevance de raccordement telle que celle en cause au principal permet en réalité de faire financer le déficit de l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché par les abonnés des autres opérateurs de réseaux interconnectés et, d’autre part, qu’un tel financement, intervenant en dehors d’un financement des obligations de service universel, est contraire au principe de libre concurrence.

29      À cet égard, contrairement à ce que soutient Deutsche Telekom, il n’apparaît pas qu’une telle redevance ait pour objet d’empêcher des distorsions de concurrence entre les opérateurs ayant investi dans un réseau de télécommunications et les autres, nouveaux arrivants sur le marché local. En effet, il n’est pas contesté que la redevance de raccordement en cause au principal n’a pour effet que de protéger l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché en lui permettant de maintenir un coût pour les communications de ses propres abonnés inférieur au coût réel et, ainsi, de financer son propre déficit.

30      Par ailleurs, il faut relever que, si l’article 4 quater de la directive 90/388 ne prévoit pas de délai pour l’accomplissement de l’obligation de rééquilibrage des tarifs, il n’en demeure pas moins que plusieurs éléments de la directive 96/19 indiquent que ce rééquilibrage devait être accompli à un rythme soutenu, afin de faciliter l’ouverture du marché des télécommunications à la concurrence. En effet, il résulte de la lecture combinée des cinquième et vingtième considérants de la directive 96/19, ainsi que de l’article 4 quater de la directive 90/388 que les États membres étaient tenus de supprimer les obstacles au rééquilibrage dans les meilleurs délais à compter de l’entrée en vigueur de la directive 96/19, et ce jusqu’au 1er janvier 1998 au plus tard (voir arrêt du 7 janvier 2004, Commission/Espagne, C‑500/01, Rec. p. I‑583, point 32). À défaut de l’achèvement de ce rééquilibrage avant le 1er janvier 1998, les États membres étaient tenus d’adresser un rapport à la Commission sur les plans visant à la suppression graduelle des déséquilibres tarifaires subsistants, rapport comportant un calendrier détaillé de mise en œuvre de ces plans. Cette phase devait être achevée avant le 1er janvier 2000.

31      Or, force est de constater que l’article 43, paragraphe 6, du TKG 1996, dans sa version prenant effet au 1er décembre 2002, intervient postérieurement au 1er janvier 2000, date ultime pour l’accomplissement dudit rééquilibrage tarifaire, dès lors que la République fédérale d’Allemagne n’a pas présenté à la Commission de plan de rééquilibrage. En tout état de cause, une disposition telle que celle énoncée à la quatrième phrase dudit article 43, paragraphe 6, n’incite pas l’opérateur du réseau d’abonnés bénéficiaire de la redevance de raccordement qu’elle prévoit à éliminer le déficit qu’il subit en corrigeant ses tarifs.

32      Il s’ensuit que la directive 90/388 ne permet pas à une autorité réglementaire nationale d’autoriser la perception, par l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché, d’une redevance de raccordement en sus de la redevance d’interconnexion au titre de l’année 2003.

33      Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre à la première question posée que l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 et l’article 4 quater de la directive 90/388, ce dernier étant lu en combinaison avec les cinquième et vingtième considérants de la directive 96/19, doivent être interprétés en ce sens qu’une autorité réglementaire nationale ne peut obliger un opérateur de réseau de connexion interconnecté à un réseau public à verser à l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché une redevance de raccordement supplémentaire à une redevance d’interconnexion, destinée à combler le déficit subi par ce dernier opérateur du fait de la mise à disposition du raccordement des abonnés au titre de l’année 2003.

 Sur la seconde question

34      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il y a lieu de répondre à la seconde question posée, par laquelle la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, un particulier peut se prévaloir devant elle des articles 4 quater de la directive 90/388 et 12, paragraphe 7, de la directive 97/33.

35      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier, mais seulement des droits. Par conséquent, un particulier ne peut invoquer une directive à l’encontre d’un État membre lorsqu’il s’agit d’une obligation étatique qui est directement liée à l’exécution d’une autre obligation incombant, en vertu de cette directive, à un tiers (voir arrêt du 7 janvier 2004, Wells, C‑201/02, Rec. p. I‑723, point 56 et jurisprudence citée).

36      En revanche, de simples répercussions négatives sur les droits de tiers, même si elles sont certaines, ne justifient pas de refuser à un particulier d’invoquer les dispositions d’une directive à l’encontre de l’État membre concerné (voir arrêt Wells, précité, point 57 et jurisprudence citée).

37      Dans les affaires au principal, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 104 de ses conclusions, les litiges soumis à la juridiction de renvoi sont dirigés par des personnes privées à l’encontre de l’État membre concerné, agissant par l’autorité réglementaire nationale qui est l’auteur de la décision contestée et seule compétente pour fixer les tarifs de la redevance de raccordement en cause au principal ainsi que de la redevance d’interconnexion à laquelle celle-ci vient s’ajouter.

38      Il convient, par suite, de constater que Deutsche Telekom est tiers par rapport au litige soumis à la juridiction de renvoi et n’est susceptible que de subir des répercussions négatives du fait que cet opérateur a perçu la redevance de raccordement en cause au principal et que, en cas de suppression de cette redevance, il devrait augmenter ses propres tarifs d’abonnés. Or, une telle suppression d’avantages ne peut être considérée comme une obligation incombant à un tiers en vertu des directives invoquées devant la juridiction de renvoi par les requérantes au principal.

39      Eu égard à ce qui précède, il convient d’examiner si les articles 4 quater de la directive 90/388 et 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 remplissent les conditions pour produire un effet direct.

40      À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État membre lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (voir arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 103 et jurisprudence citée).

41      Or, d’une part, l’article 4 quater, troisième alinéa, de la directive 90/388 satisfait à ces critères, étant donné qu’il expose clairement que le rééquilibrage des tarifs doit, en principe, être achevé avant le 1er janvier 1998 ou au plus tard le 1er janvier 2000, et que cette obligation n’est assortie d’aucune condition.

42      D’autre part, il en va de même s’agissant de l’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33, puisque cette disposition définit les limites devant être respectées par les redevances telles que celle en cause au principal.

43      En conséquence, les dispositions des articles 4 quater de la directive 90/388 et 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 remplissent toutes les conditions requises pour produire un effet direct.

44      Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre à la seconde question posée que les articles 4 quater de la directive 90/388 et 12, paragraphe 7, de la directive 97/33 produisent un effet direct et peuvent être invoqués directement devant une juridiction nationale par des particuliers pour contester une décision de l’autorité réglementaire nationale.

 Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      L’article 12, paragraphe 7, de la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP), telle que modifiée par la directive 98/61/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 1998, et l’article 4 quater de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications, telle que modifiée par la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996, ce dernier étant lu en combinaison avec les cinquième et vingtième considérants de la directive 96/19, doivent être interprétés en ce sens qu’une autorité réglementaire nationale ne peut obliger un opérateur de réseau de connexion interconnecté à un réseau public à verser à l’opérateur du réseau d’abonnés qui domine le marché une redevance de raccordement supplémentaire à une redevance d’interconnexion, destinée à combler le déficit subi par ce dernier opérateur du fait de la mise à disposition du raccordement des abonnés au titre de l’année 2003.

2)      Les articles 4 quater de la directive 90/388, telle que modifiée par la directive 96/19, et 12, paragraphe 7, de la directive 97/33, telle que modifiée par la directive 98/61, produisent un effet direct et peuvent être invoqués directement devant une juridiction nationale par des particuliers pour contester une décision de l’autorité réglementaire nationale.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.