Language of document : ECLI:EU:C:2009:461

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

16 juillet 2009 (*)

«Pourvoi – Responsabilité non contractuelle de la Communauté – Décision de la Commission rejetant une plainte dirigée contre Eurocontrol – Préjudice réel et certain»

Dans l’affaire C‑481/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 31 octobre 2007,

SELEX Sistemi Integrati SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Mes F. Sciaudone, R. Sciaudone et A. Neri, avvocati,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et F. Amato, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, MM. P. Kūris (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 avril 2009,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, SELEX Sistemi Integrati SpA (ci-après «Selex») demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 août 2007, SELEX Sistemi Integrati/Commission (T-186/05, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle le Tribunal a rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement dépourvue de tout fondement en droit sa demande de réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de la décision de la Commission des Communautés européennes du 12 février 2004 qui a rejeté sa plainte dénonçant une violation, par l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), des dispositions du traité CE en matière de concurrence.

 Les antécédents du litige

2        Selex opère depuis 1961 dans le secteur des systèmes de gestion du trafic aérien. Le 28 octobre 1997, elle a saisi la Commission d’une plainte au titre de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), par laquelle elle dénonçait un abus de position dominante et des distorsions de concurrence dont Eurocontrol aurait été responsable.

3        Ladite plainte a été rejetée par la décision de la Commission du 12 février 2004 contre laquelle Selex a introduit un recours en annulation le 23 avril 2004. Par un arrêt du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission (T‑155/04, Rec. p. II‑4797), le Tribunal a rejeté ce recours. Le 23 février 2007, Selex a formé un pourvoi contre ledit arrêt, qui a été rejeté par un arrêt du 26 mars 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission (C‑113/07 P, non encore publié au Recueil).

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 mai 2005, Selex a introduit un recours en indemnité tendant à voir établir la responsabilité non contractuelle de la Communauté, constater les dommages qu’elle a subis du fait de la décision de la Commission du 12 février 2004 rejetant sa plainte, évalués à 72,8 millions d’euros, condamner la Commission à la réparation de ces dommages, au paiement d’intérêts compensatoires et moratoires ainsi qu’aux dépens.

5        À l’appui de ses conclusions, Selex invoquait cinq moyens, tirés de la violation de l’article 82 CE, de la violation des fonctions de surveillance de l’application des règles de concurrence, de la violation de l’obligation de procéder à un examen impartial et diligent de sa plainte, de la violation des droits du plaignant et de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable.

6        Le préjudice allégué était constitué, premièrement, d’un manque à gagner résultant de l’exclusion de Selex, entre 1999 et 2004, des procédures d’appel d’offres mises en œuvre par les administrations nationales, deuxièmement, de dépenses accrues en matière de recherche et de développement ainsi que d’investissements financiers engagés durant la même période pour l’adaptation de ses produits aux spécifications techniques établies par Eurocontrol, troisièmement, des frais relatifs aux services de conseil et d’assistance juridique exposés tant dans le cadre de la procédure administrative que devant le Tribunal dans l’affaire T‑155/04 et, quatrièmement, d’un préjudice moral résultant d’une atteinte à sa réputation et à son image.

7        Le Tribunal, par l’ordonnance attaquée prise conformément à l’article 111 de son règlement de procédure, a rejeté comme manifestement irrecevable la demande en indemnité présentée par Selex en ce qu’elle concernait les frais de conseil et d’assistance juridique et comme manifestement dépourvue de tout fondement en droit ladite demande en ce qu’elle concernait les autres chefs de préjudice.

8        S’agissant desdits frais de conseil et d’assistance juridique, le Tribunal a considéré qu’ils n’avaient pas la qualité de préjudice indemnisable aux motifs, d’une part, que les frais exposés aux fins de la procédure devant lui dans l’affaire T‑155/04 ne constituaient pas un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance et, d’autre part, que reconnaître aux frais exposés dans le cadre de la procédure administrative une telle qualité serait en contradiction avec le caractère non récupérable des dépens encourus au cours de la phase précédant la procédure juridictionnelle.

9        Quant aux autres chefs de préjudice, le Tribunal, n’examinant que la condition de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté relative au caractère réel et certain du préjudice, a estimé que la requérante n’avait pas apporté de preuves ou d’offres de preuve du manque à gagner, des investissements supplémentaires et du préjudice moral allégués.

 Conclusions des parties

10      Selex demande à la Cour:

–        d’annuler l’ordonnance attaquée et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens de la présente instance ainsi qu’à ceux de l’affaire T‑186/05.

11      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, éventuellement sur la base d’une substitution partielle des motifs retenus par le Tribunal;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation partielle de l’ordonnance attaquée, de rejeter le recours introduit en première instance, et

–        de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi, tirés de ce que le Tribunal a considéré à tort que les frais d’avocat ne constituaient pas un préjudice indemnisable

12      Les premier et deuxième moyens avancés par Selex à l’appui de son pourvoi tendent à l’annulation de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré manifestement irrecevables, d’une part, sa demande en indemnité concernant les frais de conseil et d’assistance juridique exposés par elle dans le cadre de la procédure devant le Tribunal dans l’affaire T‑155/04 et, d’autre part, sa demande concernant les frais de conseil et d’assistance juridique exposés par elle dans le cadre de la procédure précontentieuse.

13      Il convient d’examiner ensemble ces deux moyens.

 Argumentation des parties

14      La requérante fait valoir, premièrement, que le Tribunal a commis une erreur en considérant que sa demande relative aux frais exposés dans l’affaire T‑155/04 visait à renverser la décision sur les dépens contenue dans l’arrêt rendu dans cette affaire. En réalité, l’identité d’objet entre sa présente demande en indemnité et celle visant à la condamnation aux dépens dans ladite affaire ne serait que fortuite et partielle. La cause de ces demandes serait en outre différente. Dès lors, le Tribunal aurait dû apprécier sa demande au fond au regard des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

15      En outre, selon la requérante, les articles 87 et suivants du règlement de procédure du Tribunal, relatifs aux dépens, ne sauraient faire obstacle à l’application des principes prévalant en matière de réparation du préjudice résultant d’un acte illégal. En effet, ces articles contiendraient des règles spéciales s’appliquant exclusivement au sort des dépens. Il aurait d’ailleurs déjà été jugé par la Cour que le droit au remboursement de frais de procédure et le droit à des dommages et intérêts sont en principe soumis à des conditions différentes et sont indépendants l’un de l’autre.

16      Dans ce contexte, ce serait à tort que, pour rejeter sa demande, le Tribunal a retenu que, si elle avait dû supporter les dépens dans l’affaire T‑155/04, c’est parce qu’elle avait introduit un recours qui s’était avéré non fondé. De même, ce serait en faisant une mauvaise interprétation de l’article 87 de son règlement de procédure que le Tribunal aurait affirmé que le fait de reconnaître à de tels frais la qualité de préjudice indemnisable risquerait de priver cette disposition d’effet utile. En effet, l’application de cette disposition et celle des principes régissant la réparation du préjudice répondraient à une ratio legis différente, de sorte que sa condamnation à supporter les dépens ne dispensait pas le Tribunal d’apprécier, dans le cadre de l’action autonome en dommages et intérêts introduite par elle, si les frais en cause ne constituaient pas un préjudice illégalement causé par la Commission.

17      À cet égard, le Tribunal aurait commis une erreur en se référant à l’arrêt du 10 juin 1999, Commission/Montorio (C‑334/97, Rec. p. I‑3387), qui ne serait pas pertinent, pour affirmer que les frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne sauraient, comme tels, être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens.

18      Deuxièmement, le Tribunal aurait effectué une interprétation et une application erronées des articles 87 et suivants du règlement de procédure du Tribunal au sujet des frais d’avocat afférents à la procédure précontentieuse. En effet, les articles 90 et 91 dudit règlement, auxquels se réfère l’ordonnance attaquée, régiraient exclusivement les frais exposés durant la procédure juridictionnelle et non les frais se rapportant à la procédure précontentieuse qui, selon la jurisprudence, pourraient faire l’objet d’une demande de dommages et intérêts.

19      La Commission conclut au rejet de ces deux moyens. Subsidiairement, concernant le second, elle suggère, pour le cas où la Cour jugerait que la demande relative aux frais d’avocat exposés durant la procédure administrative était recevable, de procéder à une substitution de motifs en retenant l’absence de lien de causalité entre le prétendu dommage et le comportement reproché. À titre encore plus subsidiaire, si la Cour décidait d’annuler l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré irrecevable cette demande, la Commission sollicite le rejet du recours en indemnité comme manifestement dénué de fondement.

 Appréciation de la Cour

20      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le droit au remboursement de frais de procédure et le droit à des dommages et intérêts sont en principe soumis à des conditions différentes et ils sont indépendants l’un de l’autre (voir arrêt du 28 juin 2007, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑331/05 P, Rec. p. I‑5475, point 22).

21      S’agissant, en premier lieu, des frais de conseil et d’assistance juridique exposés dans le cadre de la procédure juridictionnelle ayant donné lieu à l’arrêt SELEX Sistemi Integrati/Commission, précité, c’est à bon droit que le Tribunal a relevé en substance, au point 15 de l’ordonnance attaquée, que ces frais avaient fait l’objet de la décision sur les dépens contenue dans cet arrêt et que, si la requérante avait dû supporter ces dépens, cela résultait de l’application de l’article 87 du règlement de procédure du Tribunal, son recours ayant été jugé non fondé.

22      Concernant, en second lieu, les frais d’avocat afférents à la procédure précontentieuse, il convient de rappeler que le droit à des dommages et intérêts suppose que soient réunies les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, et notamment que soit établie l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché aux institutions et le préjudice invoqué (voir notamment, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, points 16 et suivants). Le lien de causalité requis est constitué dès lors que le préjudice est la conséquence directe de l’acte fautif en cause (voir arrêt Internationaler Hilfsfonds/Commission, précité, point 23 et jurisprudence citée).

23      Il y a lieu, toutefois, de relever, d’une part, que, si la requérante a exposé des frais pour contester la décision de la Commission du 12 février 2004, la légalité de celle-ci a été reconnue tant par l’arrêt du Tribunal, du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission, précité, que par l’arrêt de la Cour du 26 mars 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, précité, qui a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt et, d’autre part, que, si la requérante a allégué que sa plainte n’avait pas été examinée dans un délai raisonnable, elle n’a apporté aucun élément de nature à établir un lien de causalité entre ce prétendu délai excessif et le dommage qu’elle affirme avoir subi.

24      Il résulte de ces considérations que les demandes de Selex relatives aux frais de conseil et d’assistance juridique sont, en tout état de cause, manifestement dépourvues de fondement en droit et qu’il y a lieu, pour ce motif qui doit être substitué à celui retenu par le Tribunal, de rejeter le pourvoi sur ce point.

25      Dès lors, les premier et deuxième moyens avancés par la requérante ne sauraient emporter l’annulation de l’ordonnance attaquée, puisque le dispositif de ladite ordonnance rejetant le recours demeurerait fondé, s’ils étaient accueillis, pour les motifs de droit énoncés aux points 21 à 24 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 1992, Lestelle/Commission, C‑30/91 P, Rec. p. I‑3755, point 28; du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 58, ainsi que du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 57).

26      Par conséquent, il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens du pourvoi.

 Sur les autres moyens du pourvoi

27      La requérante avance cinq autres moyens au soutien du pourvoi, tirés respectivement d’une dénaturation et d’une déformation des éléments de preuve fournis par elle, du caractère illogique et contradictoire de la motivation et de la violation de la jurisprudence communautaire en matière de réparation des préjudices, d’une violation de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal, d’un défaut de motivation relatif à la réparation du préjudice subi du fait de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable et, enfin, de la dénaturation des arguments et des éléments de preuve ainsi que d’une motivation illogique et contraire à la jurisprudence en matière de réparation du préjudice moral.

28      Il convient d’examiner ensemble ces cinq moyens.

 Argumentation des parties

29      Selex prétend, premièrement, que la motivation de l’ordonnance attaquée est entachée d’une dénaturation ainsi que d’une déformation des éléments de preuve et des demandes de mesures d’instruction présentés par elle. En effet, le Tribunal aurait constaté un «défaut absolu» d’éléments de preuve du préjudice qu’elle a subi. Or, sa requête introduite devant le Tribunal ferait pourtant référence aux nombreux éléments de preuve qu’elle avait fournis à la Commission au cours de la procédure administrative. Elle aurait ainsi produit avec ladite requête tous les éléments de preuve concernant les circonstances qui, selon le Tribunal, ne seraient pas établies ou, à tout le moins, n’auraient pas fait l’objet d’offres de preuve.

30      Selex fait en outre grief au Tribunal de ne pas avoir accueilli ses demandes de mesures d’instruction qui auraient permis de rassembler des éléments de preuve supplémentaires.

31      Deuxièmement, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur en déclarant que sa demande en indemnité était manifestement dépourvue de tout fondement, motif pris d’un défaut de preuve quant à l’évaluation de son préjudice, alors qu’elle avait expressément sollicité une évaluation en équité de celui-ci et fourni des éléments permettant une telle évaluation. À cet égard, le raisonnement suivi dans l’ordonnance attaquée serait contradictoire, puisqu’il y est reconnu que la valeur d’un manque à gagner représente nécessairement une donnée hypothétique qui doit être estimée à défaut de pouvoir être calculée de manière certaine. Ledit raisonnement s’écarterait en outre de la jurisprudence selon laquelle l’appréciation de l’existence d’un préjudice doit précéder l’évaluation de celui-ci.

32      Troisièmement, Selex fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en interprétant l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal comme exigeant que la requête contienne les offres de preuve. Les termes «s’il y a lieu» contenus dans cette disposition devraient être interprétés en ce sens qu’une offre de preuve n’est pas exigée lorsqu’elle est concrètement impossible.

33      Quatrièmement, Selex, invoquant un défaut de motivation, fait grief au Tribunal d’avoir omis de se prononcer sur le préjudice subi par elle en raison de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable.

34      Cinquièmement, la requérante dénonce, concernant son préjudice moral, une dénaturation des arguments et des éléments de preuve ainsi que le caractère illogique et contradictoire de la motivation de l’ordonnance attaquée. D’une part, le Tribunal aurait fondé le rejet de sa demande sur l’absence de tout élément de preuve de sa participation aux appels d’offres et de son exclusion de ceux-ci, alors que le préjudice moral subi par elle résulterait non seulement de ces faits, mais aussi des violations des droits de la défense, du principe du respect d’un délai raisonnable et de l’obligation d’un examen diligent et impartial. D’autre part, ce motif du rejet de sa demande serait en contradiction avec l’affirmation contenue au point 33 de l’ordonnance attaquée selon laquelle, en ce qui concerne le préjudice moral, une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée comme une condition du bien-fondé d’un recours en indemnité.

35      La Commission s’oppose à l’ensemble de ces arguments. Elle fait valoir, en substance, que c’est par des motifs exempts de critiques et bien en raison de l’absence d’éléments de preuve établissant que Selex a subi un préjudice réel et certain que le recours en indemnité formé par cette dernière a été rejeté.

 Appréciation de la Cour

36      Tout d’abord, il convient de relever que le Tribunal a justement rappelé, au point 20 de l’ordonnance attaquée, que le préjudice dont il est demandé réparation dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE doit être réel et certain, ce qu’il appartient à la partie requérante de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 27 et jurisprudence citée). Il incombe à cette dernière d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque (voir arrêt du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C‑362/95 P, Rec. p. I‑4775, point 31).

37      Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit et par des motifs non contradictoires que le Tribunal a jugé, en substance, que si le chiffrage et l’estimation d’un manque à gagner pouvaient présenter certaines particularités telles que celles décrites au point 27 de l’ordonnance attaquée, cela ne dispensait pas la requérante de toute obligation de preuve quant au préjudice invoqué. Il lui échoit en effet, également pour ce type de préjudice matériel, d’apporter la preuve tant de l’existence de ce préjudice que des données sur lesquelles se fonde l’évaluation de celui-ci, laquelle ne saurait être effectuée simplement en équité.

38      De même, c’est sans commettre d’erreur de droit et par des motifs exempts de contradiction que, s’agissant du préjudice moral, le Tribunal a jugé en substance, aux points 33 et 36 de l’ordonnance attaquée, que, si la présentation d’une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée comme une condition de la reconnaissance d’un tel préjudice, il incombe tout au moins à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice.

39      Ensuite, il convient de considérer que le Tribunal n’a pas commis d’erreur d’interprétation de l’article 44, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure du Tribunal en relevant notamment, au point 21 de l’ordonnance attaquée, que la requérante, s’agissant du manque à gagner allégué, n’avait apporté, dans sa requête, aucune preuve de la réalité et de l’importance des éléments constitutifs du dommage qu’elle prétendait avoir subi ni aucune offre de preuve à cet égard, bien que, en vertu de cette disposition, la requête doive contenir les offres de preuve s’il y a lieu. En effet, aux termes de cette disposition, la requête doit contenir les offres de preuve s’il y a lieu, ce qui est le cas, compte tenu de la charge de la preuve qui pèse sur la partie requérante, s’agissant d’établir l’existence et l’étendue d’un préjudice.

40      À cet égard, il apparaît, à la lecture de la requête introduite devant le Tribunal, que Selex a exposé dans cette dernière les faits relatifs aux appels d’offres desquels elle aurait été exclue. Déclarant expressément ne pas entendre déterminer strictement l’importance du préjudice résultant de cette exclusion, mais vouloir fournir des éléments de référence permettant une «estimation équitable» de son préjudice, elle y a présenté le mode de calcul de son manque à gagner, reproduit sans dénaturation ni déformation aux points 23 à 25 de l’ordonnance attaquée, et y a inséré un tableau contenant quelques indications chiffrées sur la valeur des ventes réalisées en Europe par deux autres opérateurs entre 1999 et 2004. Les seules pièces annexées à la requête auxquelles il est fait référence sont la plainte déposée en 1997 et un mémoire du 14 mars 2000 contenant les observations présentées par la requérante au cours de la procédure administrative en réponse à des observations d’Eurocontrol.

41      Or, il ressort de l’examen de ladite requête et desdites pièces que celles-ci ne contiennent manifestement pas les éléments nécessaires à l’administration de la preuve tant de l’existence que de l’étendue du préjudice allégué ni, d’ailleurs, de l’imputabilité dudit préjudice au comportement de la Commission.

42      Dès lors, le Tribunal a pu, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation des faits ainsi que des preuves et sans dénaturer ceux-ci, constater, au point 21 de l’ordonnance attaquée, que la requérante n’avait apporté aucune preuve de la réalité et de l’importance des éléments constitutifs du dommage qu’elle prétendait avoir subi ni aucune offre de preuve à cet égard.

43      Il en est de même de la constatation similaire faite au point 30 de l’ordonnance attaquée au sujet du préjudice qui résulterait des investissements supplémentaires que la requérante prétend avoir effectués durant la période comprise entre 1999 et 2004 afin de rendre ses produits conformes aux spécifications techniques établies par Eurocontrol. En effet, il apparaît que la requérante n’a fourni aucun élément de preuve de ce préjudice.

44      C’est par ailleurs de manière souveraine et sans encourir aucun grief que le Tribunal n’a pas donné suite aux demandes de mesures d’instruction formées par la requérante. Le Tribunal est, en effet, le seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi en ordonnant de telles mesures, lesquelles ne sauraient avoir pour objet de suppléer la carence de la partie requérante dans l’administration de la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 67 et jurisprudence citée).

45      S’agissant du préjudice moral allégué, il ressort de la requête introduite devant le Tribunal que Selex a soutenu que celui-ci résultait de son exclusion des appels d’offres et des dépenses supplémentaires de publicité et d’information qu’elle avait exposées pour assurer la réputation de sa marque. Elle n’y a nullement fait état d’un préjudice moral résultant en outre de violations des droits de la défense, du principe du respect d’un délai raisonnable et de l’obligation d’un examen diligent et impartial. Par conséquent, l’ordonnance attaquée ne souffre ni d’une dénaturation des arguments et des preuves ni d’une insuffisance de motivation concernant ce préjudice.

46      Enfin, la requérante n’ayant pas invoqué dans ladite requête un préjudice quelconque causé par la durée de la procédure administrative, il ne saurait non plus être fait grief au Tribunal d’avoir omis de se prononcer et de motiver l’ordonnance attaquée sur le préjudice qu’elle aurait subi du fait de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable.

47      Il s’ensuit qu’aucun des cinq moyens mentionnés au point 27 du présent arrêt n’est fondé et que, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Selex et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      SELEX Sistemi Integrati SpA est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.