Language of document : ECLI:EU:C:2009:214

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

2 avril 2009 (*)

«Pourvoi – Abus de position dominante – Marché des services d’accès à Internet à haut débit – Prix prédateurs – Récupération des pertes – Droit à l’alignement»

Dans l’affaire C‑202/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 10 avril 2007,

France Télécom SA, établie à Paris (France), représentée par Mes J. Philippe, H. Calvet, O.W. Brouwer et T. Janssens, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Gippini Fournier, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano (rapporteur), A. Borg Barthet et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 avril 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, France Télécom SA (ci-après «France Télécom») demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission (T-340/03, Rec. p. II‑107, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 16 juillet 2003 relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (affaire COMP/38.233 – Wanadoo Interactive, ci‑après la «décision litigieuse»).

 Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

2        Wanadoo Interactive SA (ci-après «WIN») était à l’époque des faits litigieux une société du groupe France Télécom active, en France, dans le secteur des services d’accès à Internet, y compris les services ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, ligne numérique à paire asymétrique).

3        À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission des Communautés européennes a constaté que, du mois de mars 2001 au mois d’octobre 2002, WIN «a enfreint l’article [82 CE] en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 et ne lui permettant pas de couvrir ses coûts complets à partir d’août 2001, dans le cadre d’un plan visant à préempter le marché de l’accès à Internet à haut débit dans une phase importante de son développement». À l’article 2 de cette décision, la Commission lui a, dès lors, ordonné de mettre fin à cette infraction et, à l’article 4 de ladite décision, lui a infligé une amende de 10,35 millions d’euros.

4        Le 2 octobre 2003, WIN, aux droits de laquelle est venue France Télécom à la suite d’une opération de fusion intervenue le 1er septembre 2004, a saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Ce recours a été rejeté par l’arrêt attaqué.

5        Dans son recours en annulation, WIN a, en particulier, soulevé un moyen tiré de la violation par la Commission de l’article 82 CE. Par l’une des branches de ce moyen, WIN a fait valoir que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit l’abus de position dominante commis par elle sous la forme de l’application de prix prédateurs pour les services en cause du mois de mars 2001 au mois d’octobre 2002 et avait commis une série d’erreurs de droit.

6        La branche en question se composait de deux groupes d’arguments relatifs, respectivement, à la méthode suivie par la Commission pour le calcul du taux de couverture des coûts et à l’application par celle-ci du test de prédation.

7        S’agissant des arguments relatifs à la méthode de calcul du taux de couverture des coûts, le Tribunal a, à titre liminaire, rappelé, aux points 129 et 130 de l’arrêt attaqué, le large pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission en matière d’appréciation économique complexe ainsi que les critères dégagés par la jurisprudence afin de considérer un prix comme prédateur.

8        Se référant, notamment, aux arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359), et du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission (C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951), le Tribunal a, au point 130 de l’arrêt attaqué, rappelé que, «d’une part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables permettent de présumer le caractère éliminatoire d’une pratique de prix et que, d’autre part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent».

9        Cela étant rappelé, le Tribunal a, tout d’abord, constaté que, en l’espèce, la Commission, afin de calculer le taux de couverture des coûts, avait choisi la méthode de calcul des coûts retraités. Cette méthode est décrite au point 132 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants:

«[...] Selon le principe de l’amortissement d’une immobilisation, la Commission a pris l’hypothèse d’un étalement des coûts d’acquisition de la clientèle sur 48 mois. Elle a, sur cette base, examiné séparément la couverture des coûts variables retraités et celle des coûts complets retraités, en affirmant que la Cour prévoit deux tests de couverture des coûts, selon que les agissements de l’entreprise dominante s’inscrivent ou non dans le cadre d’un plan visant à écarter des concurrents. [...]»

10      En appliquant ladite méthode des coûts retraités, la Commission a conclu, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 138 de l’arrêt attaqué, ce qui suit:

«[...] les prix pratiqués par WIN ne lui permettaient pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 ni ses coûts complets de janvier 2001 à octobre 2002 [...], la non‑couverture des coûts complets jusqu’en août 2001 ne faisant pas de doute compte tenu du niveau de couverture des coûts variables.»

11      Rejetant ensuite les allégations de WIN visant à démontrer que la méthode choisie par la Commission était statique et ne prenait pas en considération les variations des coûts tout au long de la période considérée de 48 mois, le Tribunal a observé, au point 143 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait bien intégré, pour chaque période de l’infraction considérée ainsi que pour l’ensemble des abonnés, les baisses successives de tarifs intervenues au cours de la période durant laquelle l’infraction a duré et structuré son analyse en fonction de ces baisses.

12      En outre, le Tribunal a, au point 152 de l’arrêt attaqué, jugé que la Commission avait considéré à bon droit que les recettes ainsi que les coûts postérieurs au mois d’octobre 2002 et, partant, postérieurs à l’infraction ne sauraient entrer en ligne de compte pour évaluer le taux de couverture des coûts pendant ladite période.

13      Enfin, le Tribunal a, au point 153 de l’arrêt attaqué, estimé que, même à supposer, ainsi que le soutenait WIN, qu’il eût été adapté d’appliquer en l’espèce une autre méthode de calcul, en particulier celle visant à calculer la valeur nette actualisée des abonnés, cette circonstance ne saurait suffire à prouver l’illégalité de la méthode finalement retenue par la Commission.

14      WIN a également contesté en première instance la prise en compte par la Commission de certains éléments erronés, dans le cadre de l’application de la méthode choisie pour la détermination du taux de couverture des coûts.

15      À cet égard, le Tribunal a, aux points 165 et 169 de l’arrêt attaqué, considéré que, indépendamment de la recevabilité de cet argument, même sans la prise en compte desdits éléments erronés, les revenus générés par les services en cause, ainsi que WIN elle-même l’avait admis, auraient été en tout état de cause inférieurs aux coûts complets de ceux-ci. Cette circonstance aurait permis à elle seule de rejeter ledit argument comme inopérant.

16      S’agissant des arguments relatifs au test de prédation, le Tribunal a, premièrement, rejeté, aux points 182 à 186 de l’arrêt attaqué, les arguments avancés par WIN concernant l’existence d’un droit absolu pour un opérateur économique de s’aligner de bonne foi sur les prix antérieurement pratiqués par l’un de ses concurrents lorsque ces prix sont inférieurs aux coûts dudit opérateur.

17      En effet, après avoir relevé que ni la pratique de la Commission ni la jurisprudence communautaire ne reconnaissent à une entreprise en position dominante un tel droit absolu, le Tribunal a rappelé que les entreprises dominantes ont des obligations spécifiques et peuvent, dès lors, se voir privées du droit d’adopter des comportements qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient admissibles s’ils étaient adoptés par une entreprise non dominante.

18      Le Tribunal a conclu, au point 187 de l’arrêt attaqué, ce qui suit:

«WIN ne saurait invoquer un droit absolu à s’aligner sur les prix de ses concurrents pour justifier son comportement. S’il est vrai que l’alignement de l’entreprise dominante sur les prix des concurrents n’est pas en soi abusif ou condamnable, il ne saurait être exclu qu’il le devienne lorsqu’il ne vise pas seulement à protéger ses intérêts, mais a pour but de renforcer cette position dominante et d’en abuser.»

19      Deuxièmement, le Tribunal a rejeté l’allégation de WIN selon laquelle celle-ci n’avait pas de plan de prédation et de réduction de la concurrence.

20      Selon WIN, la Commission a commis une violation grave de l’article 82 CE en concluant à l’existence d’un plan d’éviction de ses concurrents. En effet, un tel plan n’aurait pas pu être considéré rationnel dans les conditions du marché en cause, notamment eu égard à la faiblesse des barrières à l’entrée dans celui-ci.

21      À ce sujet, le Tribunal a tout d’abord rappelé, aux points 195 à 198 de l’arrêt attaqué, que, selon la jurisprudence, la Commission, afin de conclure à l’existence d’une pratique de prix prédateurs, est tenue de fournir des indices sérieux de l’existence d’une stratégie de «préemption» du marché lorsque les prix appliqués par une entreprise en position dominante ne sont pas suffisants pour couvrir ses coûts complets. Ensuite, après avoir constaté que la Commission avait fourni de tels indices, il a jugé, au point 204 de cet arrêt, que la requête de WIN invoquait des éléments trop vagues pour permettre au Tribunal de se prononcer sur cet argument et l’a dès lors rejeté. À titre surabondant, le Tribunal a estimé, aux points 206 à 215 dudit arrêt, que les indices sur lesquels la Commission s’était fondée étaient suffisamment sérieux, ainsi que confortés par d’autres éléments de fait, de sorte que cette dernière pouvait à bon droit conclure à l’existence d’une stratégie de «préemption» du marché pendant toute la durée de l’infraction.

22      Troisièmement, selon WIN, la Commission a commis une erreur de droit en considérant que la démonstration de la possibilité de récupération des pertes subies par elle à la suite de l’application de sa politique de prix n’était pas nécessaire. WIN a également soutenu que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en estimant avoir apporté la preuve d’une telle possibilité.

23      En se référant aux arrêts précités AKZO/Commission et Tetra Pak/Commission, le Tribunal a exclu, au point 228 de l’arrêt attaqué, qu’une telle preuve soit exigée de la Commission. En effet, lorsque les prix appliqués par une entreprise en position dominante ne sont inférieurs qu’aux coûts complets de celle‑ci, la Commission, tout en étant tenue d’apporter la preuve d’un élément ultérieur, à savoir l’existence d’un plan visant à «préempter» le marché, ne serait pas dans l’obligation de fournir également la démonstration de la possibilité de récupération des pertes.

 Les conclusions des parties

24      Par son pourvoi, France Télécom conclut à ce que la Cour:

–        annule l’arrêt attaqué, et, en conséquence,

–        renvoie l’affaire devant le Tribunal, ou

–        statue elle-même définitivement en annulant la décision litigieuse, en faisant ainsi droit aux conclusions présentées par elle en première instance, et

–        condamne la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce que la Cour rejette le pourvoi et condamne la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

26      Par son premier moyen, la requérante invoque un défaut de motivation de l’arrêt attaqué. Ce moyen est divisé en deux branches.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de la nécessité de prouver la possibilité de récupération des pertes

–       Argumentation des parties

27      À l’appui de la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir que la Cour, dans son arrêt Tetra Pak/Commission, précité, a jugé qu’une démonstration de la possibilité de récupérer les pertes subies par l’entreprise en position dominante à la suite de l’application de sa politique de prix n’était pas nécessaire dans les circonstances en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. Dès lors que le Tribunal s’est rallié à l’approche suivie dans l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité, il aurait dû expliquer les raisons pour lesquelles les circonstances de la présente affaire soit étaient similaires ou non à celles de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, soit justifiaient la même solution que celle retenue dans ledit arrêt.

28      La Commission fait valoir, en substance, que la jurisprudence ne requiert de la part de la Commission aucune démonstration de la possibilité de récupération des pertes et que le Tribunal a suffisamment motivé l’arrêt attaqué sur ce point.

–       Appréciation de la Cour

29      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (voir, notamment, arrêts du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens, C‑259/96 P, Rec. p. I‑2915, points 32 et 33, ainsi que du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑449/98 P, Rec. p. I‑3875, point 70).

30      Cependant, ainsi que la Cour l’a également précisé, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions ne saurait être interprétée comme impliquant que celui-ci fût tenu de répondre dans le détail à chaque argument invoqué par une partie, en particulier s’il ne revêtait pas un caractère suffisamment clair et précis et ne reposait pas sur des éléments de preuve circonstanciés (arrêts du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C‑274/99 P, Rec. p. I‑1611, point 121, et du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, Rec. p. I‑8461, point 81).

31      C’est donc à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la première branche du premier moyen.

32      Or, force est de constater que, en l’espèce, contrairement à ce qu’affirme la requérante, le Tribunal a suffisamment motivé les raisons pour lesquelles la Commission n’était pas tenue de prouver que WIN avait la possibilité de récupérer ses pertes.

33      En effet, au point 224 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, tout d’abord, rappelé que, dans les arrêts précités AKZO/Commission (points 71 et 72) ainsi que Tetra Pak/Commission (point 41), la Cour a jugé, d’une part, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent toujours être considérés comme abusifs et que, d’autre part, les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, ne présentent un caractère abusif que lorsqu’un plan d’élimination peut être démontré.

34      Le Tribunal a, ensuite, rappelé, au point 225 de l’arrêt attaqué, les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité. En particulier, il s’est référé aux points 42 et 43 de cet arrêt, dans lesquels la Cour avait spécifiquement expliqué ce qui suit:

«42      [...] Pour les ventes de cartons non aseptiques en Italie entre 1976 et 1981, [le Tribunal] a constaté que les prix étaient largement inférieurs à la moyenne des coûts variables. La preuve de l’intention d’éliminer les concurrents n’était donc pas nécessaire. En 1982, les prix de ces cartons se situaient entre la moyenne des coûts variables et la moyenne des coûts totaux. C’est la raison pour laquelle, au point 151 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est efforcé, sans d’ailleurs être critiqué à cet égard par la requérante, d’établir que Tetra Pak [International SA] avait l’intention d’éliminer un concurrent.

43      C’est également à juste titre que le Tribunal a, aux points 189 à 191 de l’arrêt attaqué, suivi exactement le même raisonnement quant aux ventes de machines non aseptiques au Royaume-Uni entre 1981 et 1984.»

35      Enfin, le Tribunal a, au point 226 de l’arrêt attaqué, cité le point 44 de l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité, dans lequel la Cour avait conclu que, au vu de la constatation des circonstances résumées aux points 42 et 43 dudit arrêt, il ne serait pas opportun d’exiger, à titre de preuve supplémentaire, qu’il soit démontré que Tetra Pak International SA avait une chance réelle de récupérer ses pertes.

36      C’est alors en appliquant précisément au cas d’espèce le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité, tel que résumé aux points précédents, que le Tribunal a conclu, au point 227 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait à bon droit présumer le caractère éliminatoire de la pratique de prix en cause dans la mesure où les prix pratiqués par WIN étaient, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt Tetra Pak/Commission, inférieurs à la moyenne des coûts variables et que, en ce qui concerne les coûts complets, elle devait apporter en plus la preuve que la pratique de prix adoptée par WIN s’inscrivait dans le cadre d’un plan visant à «préempter» le marché.

37      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’arrêt attaqué expose avec suffisamment de clarté les raisons qui ont amené le Tribunal à considérer les circonstances à l’origine de la présente affaire, en particulier le rapport existant entre le niveau des prix appliqués par WIN et la moyenne des coûts variables et complets supportés par celle-ci, comme étant analogues à celles ayant donné lieu à l’arrêt Tetra Pak/Commission, précité, et à conclure, dès lors, que la démonstration d’une récupération des pertes ne constituait pas un préalable nécessaire à la constatation d’une pratique de prix prédateurs.

38      La première branche du premier moyen doit, dès lors, être rejetée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée du droit pour une entreprise en position dominante d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents

–       Argumentation des parties

39      Par la seconde branche du présent moyen, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir motivé le rejet de ses arguments invoquant un droit à l’alignement de ses prix sur ceux de ses concurrents. En particulier, elle reproche au Tribunal de s’être borné à affirmer, au point 187 de l’arrêt attaqué, que, si l’alignement sur les prix des concurrents n’est pas en soi abusif, il ne saurait être exclu qu’il le devienne lorsqu’il a pour but de renforcer une position dominante et d’en abuser, sans aucunement spécifier si WIN avait, en l’espèce, l’intention de renforcer sa position dominante ou d’en abuser.

40      La Commission fait valoir que la requérante s’était limitée, en première instance, à invoquer une violation par la Commission du droit absolu dont toute entreprise disposerait d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents, même lorsque celle-ci jouit d’une position dominante sur le marché et même si un tel alignement se traduit par l’application d’un niveau de prix inférieur aux coûts. La Commission considère que le Tribunal s’est par conséquent limité, à juste titre, à exclure l’existence en droit communautaire d’un tel droit absolu.

–       Appréciation de la Cour

41      Il convient de rappeler que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-­185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 128; du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I‑4933, point 47, ainsi que du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 244).

42      Or, force est de constater que, ainsi que le fait valoir la Commission, le Tribunal a, en l’espèce, amplement répondu à l’argumentation soulevée par WIN en première instance visant, en substance, à justifier la pratique de prix en cause sur le fondement d’un droit de tout opérateur économique, indépendamment de sa position sur le marché, d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents.

43      Ainsi, au point 176 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé, tout d’abord, que la décision litigieuse, au point 315 de ses motifs, ne conteste le droit de WIN d’aligner ses prix sur ceux pratiqués par ses concurrents que dans la mesure où l’exercice d’une telle faculté «implique une non-couverture par l’entreprise dominante des coûts du service en cause».

44      Ensuite, le Tribunal a expliqué, aux points 178 à 182 de l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles un tel droit à l’alignement ne pouvait être fondé ni sur la décision 83/462/CEE de la Commission, du 29 juillet 1983, relative à une procédure au titre de l’article [82] du traité CEE (IV/30.698 – ECS/Akzo – Mesures provisoires) (JO L 252, p. 13), ni sur l’arrêt AKZO/Commission, précité, invoqués par la requérante.

45      Enfin, le Tribunal a vérifié si la limitation du droit de WIN d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents, en ce qu’il «implique une non-couverture par l’entreprise dominante des coûts du service en cause», était compatible avec le droit communautaire.

46      À cet effet, le Tribunal s’est, aux points 185 et 186 de l’arrêt attaqué, référé à la jurisprudence communautaire selon laquelle l’article 82 CE impose des obligations spécifiques aux entreprises en position dominante. En particulier, le Tribunal a rappelé que, si une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et s’il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger lesdits intérêts, de tels comportements ne peuvent toutefois être admis lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser.

47      C’est en application de cette jurisprudence que le Tribunal a alors conclu, au point 187 de l’arrêt attaqué, que WIN ne saurait se prévaloir d’aucun droit absolu d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents pour justifier son comportement lorsque celui-ci constitue un abus de sa position dominante.

48      La requérante ne saurait non plus reprocher au Tribunal de s’être limité à énoncer une telle conclusion sans vérifier si, dans le cas d’espèce, le comportement de WIN présentait un caractère abusif. En effet, le Tribunal a précisément rejeté, notamment aux points 195 à 218 et 224 à 230 de l’arrêt attaqué, l’ensemble des arguments de la requérante visant à remettre en cause l’existence d’un tel comportement abusif, telle qu’elle a été constatée par la décision litigieuse.

49      Il y a lieu, dès lors, de rejeter également la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble, comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation par le Tribunal de l’article 82 CE, en ce que celui-ci aurait refusé à WIN le droit d’aligner de bonne foi ses prix sur ceux de ses concurrents

 Argumentation des parties

50      Par son deuxième moyen, la requérante souligne, tout d’abord, que le Tribunal a reconnu qu’elle s’est limitée à aligner ses prix sur ceux de certains de ses concurrents. Elle affirme, ensuite, qu’un droit à l’alignement sur les prix des concurrents a été consacré par la pratique décisionnelle de la Commission, par la jurisprudence de la Cour et par la doctrine. Enfin, elle reproche au Tribunal de ne pas avoir vérifié, comme l’exigerait une jurisprudence constante, si les mesures qu’elle a adoptées pour aligner ses prix sur ceux de ses concurrents étaient, ainsi qu’elle le soutient, proportionnées et raisonnables.

51      La Commission objecte que la requérante n’invoque ni une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’analyse des arguments concernant le prétendu droit de WIN d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents, ni une contradiction de motifs. En réalité, la requérante soulèverait pour la première fois au stade du pourvoi des arguments consistant à reprocher à la Commission de ne pas avoir vérifié si les mesures adoptées par WIN étaient proportionnées et raisonnables.

52      En tout état de cause, la requérante ne critiquerait qu’un seul point de l’arrêt attaqué, à savoir le point 187 de celui-ci, selon lequel «il ne saurait être exclu» que la faculté d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents soit refusée à une entreprise lorsqu’un tel alignement a pour but de renforcer la position dominante de celle-ci ou d’en abuser. Or, selon la Commission, l’interdiction d’un tel alignement, lorsque celui‑ci comporterait l’application par une entreprise en position dominante de prix inférieurs à ses coûts, est pleinement conforme aux principes sous-tendant l’article 82 CE. À titre subsidiaire, la Commission souligne que WIN ne s’est pas limitée à aligner ses prix sur ceux de ses concurrents, mais qu’elle a, au contraire, forcé ses concurrents à aligner leurs prix sur les siens.

 Appréciation de la Cour

53      Au soutien du présent moyen, la requérante invoque deux arguments.

54      D’une part, elle reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 82 CE en ce que, en substance, il ne lui a pas reconnu un droit à l’alignement de ses prix sur ceux de ses concurrents.

55      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément aux articles 58 du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande.

56      Or, en l’espèce, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 83 de ses conclusions, la requérante n’explique nullement les raisons pour lesquelles le Tribunal aurait violé l’article 82 CE lorsqu’il a expressément examiné, ainsi qu’il a été rappelé au point 44 du présent arrêt, la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence de la Cour invoquées par WIN en première instance et en a conclu que ledit article ne peut être interprété comme assurant à une entreprise en position dominante un droit absolu à l’alignement de ses prix sur ceux de ses concurrents.

57      Il s’ensuit que cet argument est irrecevable.

58      D’autre part, la requérante reproche au Tribunal d’avoir omis d’analyser le caractère raisonnable et proportionné de la riposte de WIN.

59      Or, ce second argument est également irrecevable, dans la mesure où la requérante ne l’avait pas soulevé en première instance.

60      En effet, selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir, notamment, arrêts du 11 novembre 2004, Ramondín e.a./Commission, C‑186/02 P et C‑188/02 P, Rec. p. I‑10653, point 60, ainsi que du 26 octobre 2006, Koninklijke Coöperatie Cosun/Commission, C‑68/05 P, Rec. p. I‑10367, point 96).

61      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être déclaré irrecevable.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur commise par le Tribunal dans l’appréciation de la légalité de la méthode utilisée par la Commission pour calculer le taux de couverture des coûts

 Argumentation des parties

62      Par son troisième moyen, la requérante allègue que, en ne censurant pas la méthode utilisée par la Commission pour calculer le taux de couverture des coûts, le Tribunal a dénaturé le test de prédation établi par l’arrêt AKZO/Commission, précité, et, partant, violé l’article 82 CE. En effet, le Tribunal aurait illégalement validé l’application erronée de ce test par la Commission tant au regard des coûts variables que des coûts complets.

63      En ce qui concerne les coûts variables, la requérante allègue que, pour que des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables puissent être qualifiés d’abusifs, la méthode de calcul appliquée doit démontrer que les services en cause ont été fournis en entraînant une perte.

64      Or, étant donné que WIN, dans son recours en première instance, avait invoqué le fait que tous les abonnés, sur la quasi-totalité de la période durant laquelle l’infraction a duré, avaient individuellement généré un bénéfice, le Tribunal n’aurait pas pu se dispenser, sans violer l’article 82 CE, de vérifier si la Commission avait établi que le bilan de chaque abonnement avait constitué ou non une perte pour WIN. Par contre, le Tribunal aurait validé l’approche suivie par la Commission consistant en une analyse période par période, qui ne donnerait pas une vision complète de la rentabilité de chaque abonnement.

65      En ce qui concerne les coûts complets, la requérante, faisant référence à ses allégations concernant les coûts variables, allègue que le Tribunal a dénaturé le test de prédation en ne cherchant pas à vérifier s’il avait été démontré que les coûts complets des abonnés n’avaient pas été couverts.

66      La Commission rétorque, tout d’abord, que la méthode appliquée au cas d’espèce est non seulement la même méthode qu’elle a suivie dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités AKZO/Commission et Tetra Pak/Commission prenant en compte les coûts tels qu’ils ressortent de la comptabilité annuelle de l’entreprise, mais que cette méthode a même été adaptée dans un sens favorable à la requérante, de sorte que le niveau des coûts retenu dans le calcul serait en réalité inférieur au niveau des coûts réels de WIN.

67      La Commission relève, ensuite, que la requérante ne reproche au Tribunal aucune erreur d’appréciation ou dénaturation des faits dans l’analyse du moyen portant sur la méthode de calcul statique appliquée par la Commission. De même, elle ne ferait valoir aucune erreur de droit en ce qui concerne l’analyse par le Tribunal du refus de la Commission d’adopter la méthode alternative de calcul des coûts proposée par WIN.

68      En ce qui concerne la nécessité de prendre en compte l’abonnement pour l’ensemble de ses 48 mois de vie, la Commission estime que, avec des taux de couverture inférieurs à 100 % sur toutes les périodes courtes successives examinées dans la décision litigieuse et totalisant environ un an et demi, le taux de couverture n’aurait pu qu’être inférieur à 100 % également pour toute la durée moyenne de vie d’un abonnement, soit 48 mois. À cet égard, la Commission relève que ce taux de couverture ne pourrait excéder 100 % sur une période plus longue que s’il était supposé que la situation après la période durant laquelle l’infraction a duré aurait permis à l’entreprise de réaliser durablement des marges bénéficiaires par abonné très largement supraconcurrentielles.

 Appréciation de la Cour

69      Il convient de rappeler d’emblée que selon la jurisprudence de la Cour un pourvoi ne peut se limiter à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal sans avancer des arguments visant à établir que celui‑ci aurait commis une erreur de droit (voir ordonnance du 5 février 1998, Abello e.a./Commission, C‑30/96 P, Rec. p. I‑377, point 45, ainsi que, en ce sens, arrêt du 8 janvier 2002, France/Monsanto et Commission, C‑248/99 P, Rec. p. I‑1, point 69).

70      Or, aux points 129 à 156 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a longuement répondu aux arguments de la requérante selon lesquels la méthode de calcul du taux de couverture des coûts utilisée par la Commission ne permettait pas de prendre en compte un niveau approprié des coûts supportés par WIN.

71      En particulier, le Tribunal a, d’une part, constaté, au point 138 de l’arrêt attaqué, que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’application de la méthode de calcul choisie par la Commission permettait à celle‑ci de conclure que WIN avait pratiqué des prix inférieurs à ses coûts. D’autre part, le Tribunal, dans le cadre de son analyse de la légalité de cette méthode, a, aux points 144 et 145 de cet arrêt, expliqué les raisons pour lesquelles l’analyse période par période menée par la Commission permettait de prendre en compte les variations des tarifs intervenues au cours de la période durant laquelle l’infraction a duré et, partant, d’avoir une vision suffisamment complète de la rentabilité d’un abonnement.

72      Or, force est de constater que, en réalité, par le moyen en examen, la requérante n’identifie aucune erreur de droit que le Tribunal aurait commise dans le cadre de l’analyse rappelée aux points précédents du présent arrêt, mais se borne à répéter les arguments qu’elle avait déjà avancés en première instance à l’encontre de la méthode adoptée par la Commission dans la décision litigieuse.

73      Dès lors, il convient de déclarer le troisième moyen irrecevable.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une violation de l’obligation de motivation commises par le Tribunal, en ce que celui‑ci a considéré que les coûts et les revenus postérieurs à la période durant laquelle la prétendue infraction a duré ne doivent pas être pris en compte dans le calcul du taux de couverture des coûts

 Argumentation des parties

74      S’agissant de son quatrième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir validé l’analyse de la Commission qui excluait du calcul pour l’évaluation du taux de couverture des coûts les recettes et les coûts postérieurs à la prétendue infraction, c’est-à-dire postérieurs au 15 octobre 2002. À cet égard, elle soutient, notamment, que le Tribunal ne pouvait pas, sans se contredire et violer l’article 82 CE, confirmer l’approche adoptée par la Commission consistant à la fois, d’une part, à exclure du calcul dudit taux de couverture les recettes et les coûts postérieurs à la prétendue infraction mais pourtant inclus dans les 48 mois de durée de vie d’un abonnement et, d’autre part, reconnaître que, dans le cas des abonnements, les coûts et les revenus sont légitimement étalés sur une période de 48 mois.

75      Selon la Commission, ce moyen n’est qu’un prolongement du troisième moyen et résulte d’une confusion. En effet, en application de la méthode suivie par la Commission et validée par le Tribunal, seuls les coûts non récurrents, à savoir les coûts de «conquête» ou d’«acquisition de la clientèle», devraient être étalés selon le principe de l’amortissement. En revanche, les revenus et les coûts récurrents, tels les coûts postérieurs à l’infraction, ne devraient pas être étalés.

76      Ensuite, la Commission soutient qu’il est erroné d’intégrer dans le calcul du taux de couverture des coûts les projections de marges positives futures. De telles projections positives se fonderaient sur la circonstance que WIN avait décidé de ne pas répercuter sur ses prix la réduction des tarifs d’accès au réseau de France Télécom accessible à tous les concurrents. En réalité, selon la Commission, de telles hypothèses de marge ne peuvent se réaliser que dans un contexte de concurrence affaiblie.

77      Enfin, la Commission rappelle que, en tout état de cause, les extrapolations de la requérante n’aboutissent pas à un taux de couverture des coûts complets positif et que, même en acceptant les projections présentées par la requérante de marges bénéficiaires extrêmement élevées sur les 48 mois de durée de vie d’un abonnement, de telles marges ne pourraient se justifier que dans une situation de concurrence affaiblie.

 Appréciation de la Cour

78      Il convient de rappeler que le Tribunal a, aux points 136 et 137 de l’arrêt attaqué, expliqué que la méthode suivie par la Commission consistait à étaler sur la durée de vie moyenne d’un abonnement, égale à 48 mois, uniquement les coûts variables non récurrents, à savoir les coûts d’acquisition de la clientèle. En effet, selon l’approche adoptée par la Commission dans la décision litigieuse, l’objectif pour l’entreprise est non pas de réaliser immédiatement un résultat comptable positif instantané, mais, ainsi qu’il résulte du point 76 des motifs de ladite décision, cité par le Tribunal au point 136 de l’arrêt attaqué, «d’atteindre un niveau de couverture des coûts récurrents (coûts de réseau et coûts de production) suffisant pour que la marge dégagée sur ces coûts récurrents couvre à un horizon de temps raisonnable les coûts variables non récurrents investis dans le développement commercial des produits en cause».

79      En application de cette méthode, la Commission a analysé la politique de prix appliquée par WIN entre le mois de janvier 2001 et le mois d’octobre 2002 et a conclu que, durant cette période, WIN avait appliqué des prix inférieurs à un certain niveau de ses coûts retraités.

80      Il s’ensuit que l’absence de prise en compte des coûts et des revenus postérieurs à la période durant laquelle l’infraction a duré, mais compris dans la période de 48 mois en question, découlait directement de l’application à l’espèce de la méthode de calcul du taux de couverture des coûts choisie par la Commission, dont la requérante n’est pas parvenue à établir l’illégalité ni en première instance, ainsi qu’il ressort du point 154 de l’arrêt attaqué, ni dans le cadre du présent pourvoi, ainsi qu’il résulte des points 69 à 73 du présent arrêt.

81      Le Tribunal n’a ainsi commis aucune erreur de droit lorsqu’il a conclu, au point 152 de l’arrêt attaqué, que «c’est à bon droit que la Commission considère que les recettes et les coûts postérieurs à l’infraction ne sauraient entrer en ligne de compte pour évaluer le taux de couverture des coûts pendant la période considérée».

82      Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une violation de l’obligation de motivation commises par le Tribunal, en ce que celui-ci a considéré qu’un prix entraînant une diminution de la part de marché de l’entreprise peut être considéré comme prédateur

 Argumentation des parties

83      Selon la requérante, le Tribunal, bien qu’il ait reconnu que la part de marché de WIN avait baissé à partir du mois d’août 2002, a considéré à tort que la prétendue infraction avait continué jusqu’au 15 octobre 2002. En réalité la prédation supposerait une réduction significative de la concurrence et serait donc exclue dans l’hypothèse d’un renforcement de la concurrence elle-même.

84      La Commission rétorque, à titre liminaire, que WIN n’avait invoqué cet argument en première instance que pour contester l’existence de sa position dominante ainsi que pour demander une réduction de l’amende. Or, ledit argument serait soulevé pour la première fois au stade du pourvoi afin de contester l’existence de l’abus de position dominante et serait, de ce fait, irrecevable.

85      S’agissant du bien-fondé du cinquième moyen, la Commission souligne, à titre subsidiaire, que, sur la base des informations dont elle dispose, la part de marché de WIN a constamment augmenté jusqu’au mois d’août 2002. Dès lors, tout infléchissement éventuel de la part de marché de WIN pendant le dernier mois et demi de la période durant laquelle l’infraction a duré ne serait dû qu’à la réduction des tarifs de gros de France Télécom pour l’accès au réseau que WIN, contrairement à ses concurrents, a décidé de ne pas répercuter sur ses prix, mettant ainsi fin à l’infraction le 15 octobre 2002. À titre surabondant, la Commission soutient qu’un tel infléchissement ne saurait remettre en cause la légalité de la décision litigieuse, mais n’aurait éventuellement d’incidence que sur la durée de l’infraction, sans que cela puisse d’ailleurs avoir un impact sur le montant de la sanction, une révision de celle-ci n’ayant pas été demandée par la requérante.

 Appréciation de la Cour

86      Il suffit de constater à cet égard que, en l’espèce, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission et ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 121 de ses conclusions, la requérante n’a pas critiqué en première instance la décision litigieuse sur ce point. En effet, si elle a invoqué la réduction de sa part de marché afin, d’une part, de contester l’existence d’une position dominante et, d’autre part, de solliciter une réduction du montant de l’amende, elle n’a toutefois pas, à la différence du présent moyen, soulevé cet argument pour contester l’existence de l’infraction.

87      Il s’ensuit que, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 60 du présent arrêt, le cinquième moyen doit être déclaré irrecevable.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une erreur de droit commises par le Tribunal dans son appréciation de l’existence d’un plan de prédation

88      Le sixième moyen est composé de deux branches.

 Sur la première branche du sixième moyen, tirée de la dénaturation des éléments de preuve

–       Argumentation des parties

89      Par la première branche du moyen en examen, la requérante allègue que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve sur lesquels il a fondé son analyse de l’existence d’un plan de prédation de la part de WIN. En effet, il se serait appuyé uniquement sur des documents de WIN qui reflétaient simplement, selon les termes utilisés par le Tribunal lui-même au point 214 de l’arrêt attaqué, des «objectifs commerciaux assez ambitieux» ainsi que sur une lecture gravement inexacte d’une série de documents internes, utilisant, notamment, des termes tels que «préemption» ou «préempter».

90      Selon la Commission, la première branche du sixième moyen serait irrecevable en ce que, d’une part, elle tend à faire réexaminer au stade du pourvoi un moyen qui a été rejeté comme irrecevable par le Tribunal, sans pour autant contester le fait que ce dernier l’ait déclaré irrecevable. D’autre part, la requérante ne fournirait aucun argument pour étayer la dénaturation alléguée, alors qu’il appartient au Tribunal d’apprécier souverainement la valeur à attribuer aux éléments de preuve qui lui sont soumis.

–       Appréciation de la Cour

91      Il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 192 de l’arrêt attaqué, la requérante a déjà invoqué devant le Tribunal la dénaturation des éléments de preuve commise par la Commission, lorsqu’elle a affirmé que celle-ci s’était, à tort, fondée sur des documents internes pour conclure à l’existence d’un plan de prédation.

92      Toutefois, avant de se livrer, à titre surabondant, à l’appréciation de ces documents, contestée par la requérante dans le cadre du présent pourvoi, le Tribunal a tout d’abord, aux points 204 et 205 de l’arrêt attaqué, déclaré ce moyen irrecevable, car il ne répondait pas aux exigences de précision et de spécificité posées par la jurisprudence communautaire.

93      Or, dans le cadre d’un pourvoi, le requérant n’est pas recevable à se prévaloir de moyens que le Tribunal a rejetés comme irrecevables, alors que cette déclaration d’irrecevabilité n’est pas mise en cause (arrêt du 22 décembre 1993, Eppe/Commission, C‑354/92 P, Rec. p. I‑7027, point 13).

94      Par conséquent, la première branche du sixième moyen doit être déclarée irrecevable.

 Sur la seconde branche du sixième moyen, tirée de la violation de l’article 82 CE

–       Argumentation des parties

95      Dans le cadre de la seconde branche de ce moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a violé l’article 82 CE en ce qu’il a conclu à l’existence d’un plan de prédation exclusivement sur la base d’éléments subjectifs, alors que ledit article requerrait la preuve d’un plan d’éviction objectivement identifiable, fondée sur des indices objectifs, tels que, notamment, des menaces aux concurrents ou des baisses sélectives de prix à l’égard des clients des concurrents.

96      La Commission rétorque que, d’une part, l’élément intentionnel de l’abus de position dominante est nécessairement subjectif et que, d’autre part, l’exigence de prouver l’existence d’un plan d’éviction sur la base d’indices objectifs tels que ceux indiqués par la requérante ne trouve aucun soutien dans la jurisprudence.

–       Appréciation de la Cour

97      Il suffit de constater que c’est à tort que la requérante soutient que le Tribunal, afin d’établir l’existence d’un plan de prédation, se serait fondé uniquement sur des éléments subjectifs.

98      En effet, il ressort des points 199 et 215 de l’arrêt attaqué, que, si le Tribunal s’est référé à une «stratégie de préemption» du marché de la part de WIN, il a toutefois déduit celle‑ci d’éléments objectifs tels que des documents internes de cette entreprise.

99      Par conséquent, la seconde branche du présent moyen étant non fondée, le sixième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le septième moyen, tiré d’une violation de l’article 82 CE par le Tribunal en ce que celui-ci a refusé de prendre en compte l’impossibilité de récupérer les pertes

100    Le septième moyen est également divisé en deux branches.

 Sur la première branche du septième moyen, tirée de la nécessité de prouver la possibilité de récupération des pertes

–       Argumentation des parties

101    Par la première branche du septième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a violé l’article 82 CE en considérant que la démonstration de la possibilité de récupérer les pertes n’est pas un préalable à la constatation d’une pratique de prix prédateurs. En réalité, la jurisprudence communautaire requerrait toujours une telle démonstration, sans laquelle aucune prédation n’est envisageable, étant donné qu’il ne serait pas économiquement rationnel pour une entreprise de se livrer à une telle pratique. Cette position serait d’ailleurs partagée par de nombreuses juridictions et autorités de concurrence ainsi que par une grande partie de la doctrine.

102    La Commission rétorque, tout d’abord, que la démonstration de la possibilité de récupération des pertes n’est pas requise par la jurisprudence de la Cour. D’ailleurs, une telle démonstration, requise par la jurisprudence des juridictions des États-Unis d’Amérique, reposerait sur une logique économique qui n’est pas celle propre au droit communautaire. En effet, selon la Commission, contrairement à l’approche du droit américain, l’analyse de l’abus au sens de l’article 82 CE présuppose que l’entreprise en cause jouisse d’une position dominante. Or, l’existence d’une telle position serait suffisante, à elle seule, pour déterminer que la récupération des pertes est possible. Enfin, en l’espèce, la situation de croissance exponentielle du marché concerné aurait rendu probable une telle récupération.

–       Appréciation de la Cour

103    Afin d’apprécier le bien-fondé de la première branche du présent moyen, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, l’article 82 CE est une expression de l’objectif général assigné par l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE à l’action de la Communauté européenne, à savoir l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun. Ainsi, la position dominante visée à l’article 82 CE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 38).

104    Dans ce contexte, en interdisant l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, l’article 82 CE vise les comportements qui sont de nature à influencer la structure du marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffman-La Roche/Commission, précité, point 91; du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 70; AKZO/Commission, précité, point 69, et du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, point 66).

105    Dès lors, l’article 82 CE visant non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26), il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, précité, point 57).

106    Ainsi que la Cour l’a déjà précisé, il s’ensuit que l’article 82 CE interdit à une entreprise en position dominante d’éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut être considérée comme légitime (arrêt AKZO/Commission, précité, point 70).

107    En particulier, il convient de considérer qu’exploite de façon abusive sa position dominante une entreprise qui, dans un marché dont la structure concurrentielle est déjà affaiblie en raison précisément de sa présence, met en œuvre une politique de prix ne poursuivant d’autre finalité économique que celle d’éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, tirer profit de la réduction du degré de concurrence existant encore sur le marché.

108    Or, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, la Cour, au point 74 de l’arrêt AKZO/Commission, précité, s’est référée à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante et sur la stratégie de celle-ci.

109    Ainsi, la Cour a précisé, d’une part, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés, en principe, comme abusifs, dans la mesure où, en appliquant de tels prix, une entreprise en position dominante est présumée ne poursuivre aucune autre finalité économique que celle d’éliminer ses concurrents. D’autre part, les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables ne doivent être considérés comme abusifs que lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (voir arrêts précités AKZO/Commission, points 70 et 71, ainsi que Tetra Pak/Commission, point 41).

110    Dès lors, contrairement à ce qu’affirme la requérante, il ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour que la preuve de la possibilité de récupération des pertes subies du fait de l’application, par une entreprise en position dominante, de prix inférieurs à un certain niveau de coûts constitue une condition nécessaire afin d’établir le caractère abusif d’une telle politique de prix. En particulier, la Cour a eu l’occasion d’exclure la nécessité d’une telle preuve dans des circonstances où l’intention éliminatoire de l’entreprise en cause pouvait être présumée en considération de l’application par celle‑ci de prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (voir, en ce sens, arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 44).

111    Cette interprétation n’exclut pas, bien entendu, que la Commission puisse considérer une telle possibilité de récupération des pertes comme étant un élément pertinent dans l’appréciation du caractère abusif de la pratique en question, en ce qu’elle peut contribuer, par exemple, à exclure, en cas d’application de prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, des justifications économiques autres que l’élimination d’un concurrent, ou à établir, en cas d’application de prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, l’existence d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent.

112    Du reste, l’absence de toute possibilité de récupération des pertes ne saurait suffire à exclure que l’entreprise en question parvienne à renforcer sa position dominante à la suite, notamment, de la sortie du marché d’un ou de plusieurs de ses concurrents, de sorte que le degré de concurrence existant sur le marché, déjà affaibli en raison précisément de la présence de l’entreprise en question, soit réduit davantage et que les consommateurs subissent un dommage du fait de la limitation de leurs possibilités de choix.

113    C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 228 de l’arrêt attaqué, que la démonstration d’une possibilité de récupération des pertes n’est pas un préalable nécessaire à la constatation d’une pratique de prix prédateurs.

114    Il s’ensuit que la première branche du présent moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche du septième moyen, tirée de la preuve par l’entreprise dominante de l’impossibilité de récupération des pertes

–       Argumentation des parties

115    Par la seconde branche du septième moyen, la requérante allègue qu’elle avait apporté la preuve que la récupération des pertes était, en l’espèce, impossible. Le Tribunal aurait, dès lors, dû se prononcer sur la question de savoir si la Commission pouvait écarter cette preuve lorsque celle-ci est apportée par l’entreprise défenderesse.

116    La Commission répond que, en première instance, la requérante n’a invoqué aucun moyen portant sur la question de savoir si la Commission pouvait écarter une telle preuve apportée par la défenderesse. En tout état de cause, un rejet implicite de cet argument ressortirait des points 103 à 121 et 261 à 267 de l’arrêt attaqué. Enfin, la Commission souligne que, dans la décision litigieuse, elle a analysé, à titre subsidiaire, la possibilité de récupération des pertes et l’a considérée possible en l’espèce.

–       Appréciation de la Cour

117    Ainsi qu’il a été rappelé au point 30 du présent arrêt, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions ne saurait être interprétée comme impliquant qu’il soit tenu de répondre dans le détail à chaque argument invoqué par une partie, en particulier s’il ne revêt pas un caractère suffisamment clair et précis et ne repose pas sur des éléments de preuve circonstanciés.

118    Or, il suffit de constater que, en première instance, la requérante n’a soulevé aucun moyen visant à contester spécifiquement le fait que la Commission aurait illégalement écarté la preuve, prétendument apportée par WIN, de l’impossibilité de récupération des pertes en l’espèce.

119    Dans ces conditions, la seconde branche du septième moyen n’étant pas non plus fondée, il convient d’écarter le septième moyen dans son ensemble.

120    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté comme étant partiellement irrecevable et partiellement non fondé.

 Sur les dépens

121    Selon l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

122    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, de ce même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      France Télécom SA est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.