Language of document : ECLI:EU:C:2018:602

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

25 juillet 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 2, article 3, point 2, et article 4, point 3 – Motifs de refus d’exécution – Clôture d’une enquête pénale – Principe ne bis in idem – Personne recherchée ayant eu la qualité de témoin dans une procédure antérieure concernant les mêmes faits – Émission de plusieurs mandats d’arrêt européens contre la même personne »

Dans l’affaire C‑268/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Županijski Sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb, Croatie), par décision du 16 mai 2017, parvenue à la Cour le 18 mai 2017, dans la procédure relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen à l’encontre de

AY,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. E. Levits, A. Borg Barthet, Mme M. Berger (rapporteur) et M. F. Biltgen, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour AY, par Mes L. Valković et G. Mikuličić, odvjetnici, Mme M. Lester, QC, Mme S. Abram et M. P. FitzGerald, barristers, ainsi que par M. M. O’Kane, solicitor,

–        pour l’Ured za suzbijanje korupcije i organiziranog kriminaliteta, par Mmes T. Laptoš, V. Marušić et D. Hržina, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement croate, par M. T. Galli, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et O. Serdula, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et L. Williams ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme G. Mullan, BL,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, C.‑M. Florescu et R.‑M. Mangu, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et M. Mataija ainsi que par Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de l’article 3, point 2, ainsi que de l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen (ci-après le « MAE ») contre AY, ressortissant hongrois, par le Županijski Sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb, Croatie).

 Le cadre juridique

3        L’article 1er de la décision-cadre 2002/584 énonce :

« 1.      Le [MAE] est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout [MAE], sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

4        L’article 2 de cette décision-cadre, intitulé « Champ d’application du [MAE] », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Un [MAE] peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois.

2.      Les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission, donnent lieu à remise sur la base d’un [MAE], aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait :

[...]

–        corruption,

[...] »

5        Aux termes de l’article 3 de ladite décision-cadre, intitulé « Motifs de non-exécution obligatoire du [MAE] » :

« L’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution (ci-après dénommée “autorité judiciaire d’exécution”) refuse l’exécution du [MAE] dans les cas suivants :

[...]

2)      s’il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits par un État membre, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation ;

[...] »

6        L’article 4 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du [MAE] », dispose :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le [MAE] :

[...]

(3)      lorsque les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution ont décidé, soit de ne pas engager des poursuites pour l’infraction faisant l’objet du [MAE], soit d’y mettre fin, ou lorsque la personne recherchée a fait l’objet dans un État membre d’une décision définitive pour les mêmes faits qui fait obstacle à l’exercice ultérieur de poursuites ;

[...] »

 La procédure au principal et les questions préjudicielles

7        AY, ressortissant hongrois et président du conseil d’administration d’une société hongroise, a été mis en accusation en Croatie le 31 mars 2014 pour des faits de corruption active. Selon l’acte d’accusation de l’Ured za suzbijanje korupcije i organiziranog kriminaliteta (office chargé de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, Croatie), il lui est reproché d’avoir fait illégalement verser une somme importante d’argent à un haut responsable politique croate afin d’obtenir en contrepartie la conclusion d’un contrat.

8        L’enquête contre AY a été ouverte, en Croatie, le 10 juin 2011. Lors de l’adoption de la décision de procéder à cette enquête, il a été demandé à l’autorité hongroise compétente de fournir une assistance juridique internationale en interrogeant AY en qualité de suspect et en lui remettant une convocation.

9        Les autorités croates ont réitéré cette demande à plusieurs reprises par commission rogatoire. Toutefois, la Hongrie n’y a pas donné suite, au motif que son exécution aurait porté atteinte aux intérêts nationaux hongrois. En conséquence, l’enquête croate a été suspendue au mois de décembre 2012.

10      Toutefois, sur la base des données communiquées par les autorités croates, le procureur général de Hongrie a ouvert, le 14 juillet 2011, une enquête fondée sur l’existence de motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction pénale consistant en des faits de corruption active dans un cadre international, visée par le code pénal hongrois, avait été commise. La juridiction de renvoi indique que cette enquête a été close, par décision du bureau central des enquêtes hongrois du 20 janvier 2012, au motif que les actes commis ne constituaient pas une infraction pénale selon le droit hongrois.

11      Ladite enquête a été ouverte non pas à l’égard de AY en qualité de suspect, mais uniquement en lien avec l’infraction pénale à l’égard d’un auteur inconnu. Dans ce cadre, AY n’a été entendu qu’en qualité de témoin. En outre, le haut responsable politique croate auquel l’argent aurait été versé n’a pas été entendu.

12      Le 1er octobre 2013, après l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne et avant l’ouverture d’une procédure pénale en Croatie, l’office chargé de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée a émis un MAE contre AY.

13      L’exécution de ce MAE a été refusée par décision de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), du 7 octobre 2013, aux motifs que les informations disponibles permettaient d’établir qu’une procédure pénale avait déjà été engagée en Hongrie sur la base des mêmes faits que ceux sur lesquels le MAE était fondé et qu’il avait été mis fin à ladite procédure.

14      Après le refus d’exécution du MAE, AY a été localisé en Allemagne et en Autriche, mais ces deux États membres ont indiqué qu’ils avaient décidé de ne pas donner suite à l’avis de recherche international émis par l’intermédiaire d’Interpol, étant donné que son exécution était susceptible de constituer une violation du principe ne bis in idem. Par la suite, le secrétariat d’Interpol a décidé de radier l’avis de recherche international lancé contre AY et de refuser à la République de Croatie l’utilisation des canaux d’Interpol en lien avec AY en raison de l’existence d’un risque de violation du principe ne bis in idem et pour les raisons de sécurité nationale avancées par la Hongrie.

15      À la suite de la mise en accusation de AY en Croatie, un nouveau MAE a été émis le 15 décembre 2015, cette fois-ci par la chambre chargée des MAE de la juridiction de renvoi, lequel n’a toutefois jamais été exécuté par la Hongrie.

16      Le 27 janvier 2017, la juridiction de renvoi a de nouveau communiqué ce MAE à l’autorité hongroise compétente. Cette juridiction a précisé à cet égard que, une procédure pénale contre AY ayant été engagée devant elle et le MAE ayant été initialement émis par le ministère public au cours de la phase ayant précédé l’ouverture de cette procédure, les circonstances avaient changé dans l’État membre d’émission.

17      Étant donné que, après l’envoi de ce second MAE, 60 jours se sont écoulés sans réponse, la juridiction de renvoi s’est adressée au membre croate d’Eurojust. Cette juridiction indique que, après être intervenu, ce membre lui a transmis l’avis de l’autorité hongroise compétente, dans lequel il était indiqué que celle-ci estimait ne pas être tenue de donner suite au MAE émis sur lequel il avait déjà été statué au cours de la phase d’instruction de la procédure pénale en Croatie. Par conséquent, elle ne serait pas non plus tenue par les délais de traitement prévus dans la décision-cadre 2002/584. En outre, il était indiqué qu’il n’existait pas, en Hongrie, de voies de droit autorisant l’arrestation d’AY ou l’ouverture d’une nouvelle procédure d’exécution du second MAE émis en Croatie le 15 décembre 2015. Un avis identique de l’autorité hongroise compétente a été transmis à la juridiction de renvoi le 4 avril 2017.

18      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi expose, d’une part, les doutes qu’elle éprouve quant à l’interprétation des motifs de non-exécution prévus à l’article 3, point 2, et à l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584. En effet, cette juridiction considère que c’est la personne recherchée qui constitue l’objet du MAE, de sorte qu’une décision qui est invoquée à titre de motif de non-exécution du MAE doit se rapporter à la personne recherchée en sa qualité de suspect ou de prévenu. Lorsque la personne recherchée a été entendue en qualité de témoin au cours de la procédure à l’origine de cette décision, celle-ci ne saurait constituer le fondement d’un refus d’exécution du MAE. En conséquence, la décision clôturant en Hongrie une enquête qui n’était pas dirigée contre AY ne pourrait justifier un refus de remise.

19      Ladite juridiction estime, d’autre part, nécessaire de saisir la Cour afin de savoir quelles sont les obligations de l’État membre d’exécution lorsqu’un MAE a été émis à plusieurs reprises par différentes autorités compétentes, au cours de phases antérieures et postérieures à l’ouverture d’une procédure pénale.

20      Par conséquent, le Županijski sud u Zagrebu (tribunal de comitat de Zagreb, Croatie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)      L’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit-il être interprété en ce sens que le fait de ne pas engager de poursuites pour l’infraction faisant l’objet d’un [MAE] ou d’y mettre fin se rapporte uniquement à l’infraction faisant l’objet du [MAE] ou bien cette disposition doit-elle être entendue en ce sens que le renoncement ou l’abandon des poursuites doit également concerner la personne recherchée en qualité de suspect/prévenu dans le cadre de ces poursuites ?

2)      Un État membre peut-il refuser, au titre de l’article 4, point 3, de la décision cadre 2002/584, d’exécuter un [MAE] émis lorsque l’autorité judiciaire de l’autre État membre a décidé, soit de ne pas engager de poursuites pour l’infraction faisant l’objet du [MAE], soit d’y mettre fin, dans le cas où, dans le cadre de ces poursuites, la personne recherchée avait la qualité de témoin et non celle de suspect/prévenu ?

3)      La décision de mettre fin à une enquête dans le cadre de laquelle la personne recherchée n’avait pas la qualité de suspect, mais a été entendue en qualité de témoin, constitue-t-elle, pour les autres États membres, un motif de ne pas donner suite au [MAE] émis, conformément à l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584 ?

4)      Quelle est l’articulation entre le motif obligatoire de refus de remise prévu à l’article 3, point 2, de la décision-cadre dans le cas où “il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits par un État membre […]” et le motif facultatif de refus de remise prévu à l’article 4, point 3, de la décision-cadre dans le cas où “la personne recherchée a fait l’objet dans un État membre d’une décision définitive pour les mêmes faits qui fait obstacle à l’exercice ultérieur de poursuites” ?

5)      L’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584 doit-il être interprété en ce sens que l’État membre d’exécution est tenu d’adopter une décision sur tout [MAE] qui lui est transmis, et ce également lorsqu’il a déjà statué sur un [MAE] précédent émis par l’autre autorité judiciaire contre la même personne recherchée dans le cadre de la même procédure pénale et que le nouveau [MAE] est émis en raison d’un changement de circonstances dans l’État membre d’émission du [MAE] (décision de renvoi – ouverture de la procédure pénale, critère plus strict en matière d’indices de la commission de l’infraction, nouvelle autorité judiciaire/juridiction compétente) ? »

 La procédure devant la Cour

21      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette juridiction a précisé, notamment, que la personne recherchée pourrait être arrêtée et qu’une mesure de détention provisoire a été prononcée à son encontre.

22      La cinquième chambre a décidé, le 1er juin 2017, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande. Cependant, eu égard aux circonstances au principal, le président de la Cour a, par décision du 9 juin 2017, accordé à cette affaire un traitement prioritaire, en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

23      AY conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que les réponses aux questions posées ne seraient pas pertinentes aux fins de la procédure par défaut dirigée contre lui en Croatie. Les questions concerneraient le point de savoir si d’autres États membres étaient et sont tenus d’exécuter le premier et le second MAE émis contre lui. Or, il ne serait pas nécessaire que ces questions soient tranchées afin que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement sur les chefs d’accusation.

24      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 12 octobre 2017, Sleutjes, C‑278/16, EU:C:2017:757, point 21 et jurisprudence citée).

25      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 octobre 2017, Sleutjes, C‑278/16, EU:C:2017:757, point 22 et jurisprudence citée).

26      En l’occurrence, il ne ressort pas de manière manifeste du dossier soumis à la Cour que la situation de l’espèce correspond à l’une de ces hypothèses. En effet, sont actuellement pendantes devant la juridiction de renvoi deux procédures distinctes concernant AY, à savoir une procédure pénale par défaut devant la chambre de jugement de cette juridiction, et une procédure relative à l’émission d’un MAE devant la chambre compétente en la matière. Or, la présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre de cette dernière procédure.

27      À cet égard, la juridiction de renvoi indique qu’elle saisit la Cour afin d’adopter, en fonction des réponses apportées aux questions posées, une décision de retrait du MAE émis contre AY. Dès lors, il ne saurait être prétendu que les questions posées n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi ni que le problème est de nature hypothétique.

28      En tout état de cause, la recevabilité de la demande de décision préjudicielle n’est pas remise en cause par la circonstance que les questions posées portent sur les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution, alors que la juridiction de renvoi est l’autorité judiciaire d’émission du MAE. En effet, l’émission d’un MAE a pour conséquence l’arrestation possible de la personne recherchée et, partant, porte atteinte à la liberté individuelle de cette dernière. Or, la Cour a jugé que, s’agissant d’une procédure relative à un MAE, la garantie des droits fondamentaux relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission (arrêt du 23 janvier 2018, Piotrowski, C‑367/16, EU:C:2018:27, point 50).

29      Dès lors, aux fins d’assurer la garantie de ces droits – qui peut conduire une autorité judiciaire à prendre une décision de retrait du MAE qu’elle a émis –, il importe qu’une telle autorité dispose de la faculté de saisir la Cour à titre préjudiciel.

30      Ainsi, il y a lieu de relever que, dans la procédure au principal, le maintien en vigueur du MAE en cause ou l’adoption d’une décision de retrait de celui-ci dépend de la question de savoir si la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution peut, voire, le cas échéant, doit, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, ne pas adopter de décision à l’égard du MAE qui lui a été transmis ou refuser de l’exécuter.

31      Par conséquent, la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la cinquième question

32      Par sa cinquième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution est tenue d’adopter une décision à l’égard de tout MAE qui lui est transmis, même lorsque, dans cet État membre, il a déjà été statué sur un MAE antérieur visant la même personne et concernant les mêmes faits, mais que le second MAE n’a été émis qu’en raison de la mise en accusation, dans l’État membre d’émission, de la personne recherchée.

33      Ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, les États membres sont tenus d’exécuter tout MAE, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la décision-cadre. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les autorités judicaires d’exécution ne peuvent donc refuser d’exécuter un tel mandat que dans les cas, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par cette décision-cadre et l’exécution du MAE ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions qui y sont limitativement énumérées. Ainsi, ladite décision-cadre énonce explicitement les motifs de non-exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) du MAE (voir arrêt du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, points 50 et 51).

34      Dans ce contexte, l’article 15, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 prévoit que « [l]’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne ». De plus, l’article 17, paragraphes 1 et 6, de la décision-cadre dispose qu’ « [u]n [MAE] est à traiter et à exécuter d’urgence » et que « [t]out refus d’exécuter un [tel mandat] doit être motivé ». En outre, l’article 22 de la décision-cadre énonce que « [l]’autorité judiciaire d’exécution notifie immédiatement à l’autorité judiciaire d’émission la décision concernant la suite donnée au [MAE] ».

35      En conséquence, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, une autorité judiciaire d’exécution qui garde le silence à la suite de l’émission d’un MAE et ne transmet ainsi aucune décision à l’autorité judiciaire d’émission de celui-ci méconnaît les obligations qui lui incombent au titre desdites dispositions de la décision-cadre 2002/584.

36      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution est tenue d’adopter une décision à l’égard de tout MAE qui lui est transmis, même lorsque, dans cet État membre, il a déjà été statué sur un MAE antérieur visant la même personne et concernant les mêmes faits, mais que le second MAE n’a été émis qu’en raison de la mise en accusation, dans l’État membre d’émission, de la personne recherchée.

 Sur les première à quatrième questions

37      Par ses première à quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, point 2, et l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens qu’une décision du ministère public, telle que celle du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal, ayant mis fin à une enquête engagée contre un auteur inconnu, au cours de laquelle la personne qui fait l’objet d’un MAE n’a été entendue qu’en qualité de témoin, peut être invoquée aux fins de refuser l’exécution de ce MAE sur le fondement de l’une ou l’autre de ces dispositions.

 Sur l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584

38      L’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584 énonce un motif de non-exécution obligatoire, en vertu duquel l’autorité judiciaire d’exécution doit refuser d’exécuter le MAE lorsqu’elle est informée que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits dans un État membre, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation.

39      Cette disposition a pour objectif d’éviter qu’une personne soit à nouveau poursuivie ou jugée au pénal pour les mêmes faits (arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 40), et reflète le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour une même infraction.

40      L’une des conditions auxquelles est subordonné le refus d’exécution du MAE est que la personne recherchée ait « fait l’objet d’un jugement définitif ».

41      À cet égard, il convient de préciser que, même si l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584 se réfère, dans son libellé, à un « jugement », cette disposition est également applicable à des décisions émanant d’une autorité appelée à participer à l’administration de la justice pénale dans l’ordre juridique national concerné, mettant définitivement fin aux poursuites pénales dans un État membre, bien que de telles décisions soient adoptées sans l’intervention d’une juridiction et ne prennent pas la forme d’un jugement (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 39 et jurisprudence citée).

42      Selon la jurisprudence de la Cour, une personne recherchée est considérée comme ayant fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584 lorsque, à la suite d’une procédure pénale, l’action publique est définitivement éteinte ou encore lorsque les autorités judiciaires d’un État membre ont adopté une décision par laquelle le prévenu est définitivement acquitté pour les faits reprochés (arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 45 et jurisprudence citée).

43      Le prononcé d’un « jugement définitif », au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584, présuppose ainsi l’existence de poursuites pénales antérieures, engagées à l’encontre de la personne recherchée (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, points 46 et 47 ; du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, points 31 et 32, ainsi que du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, points 34 et 35).

44      Par ailleurs, le principe ne bis in idem ne s’applique qu’aux personnes qui ont été définitivement jugées dans un État membre (voir arrêt du 28 septembre 2006, Gasparini e.a., C‑467/04, EU:C:2006:610, point 37). En revanche, il ne s’étend pas aux personnes uniquement entendues dans le cadre d’une enquête pénale, telles que les témoins.

45      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’instruction menée en Hongrie à la suite de la commission rogatoire croate, à laquelle il a été mis fin par la décision du bureau central des enquêtes hongrois du 20 janvier 2012, a été engagée contre un auteur inconnu. Elle n’a pas été menée contre AY en tant que suspect ou prévenu, l’autorité hongroise compétente n’ayant entendu cette personne qu’en qualité de témoin. Ainsi, en l’absence de poursuites pénales menées contre lui, AY ne saurait être considéré comme ayant fait l’objet d’un jugement définitif, au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584.

46      Par conséquent, une décision du ministère public, telle que celle du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal, ayant mis fin à une enquête au cours de laquelle la personne qui fait l’objet d’un MAE n’a été entendue qu’en qualité de témoin, ne saurait être invoquée aux fins de refuser l’exécution de ce MAE sur le fondement de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584.

 Sur l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584

47      L’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584 énonce trois motifs de non-exécution facultatifs.

48      Selon le premier motif de non-exécution prévu à l’article 4, point 3, de cette décision-cadre, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le MAE lorsque les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution ont décidé de ne pas engager des poursuites pour l’infraction faisant l’objet du MAE.

49      Or, la décision du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal ne porte pas sur une renonciation à engager des poursuites, de sorte que ce motif de non-exécution est dépourvu de pertinence dans des circonstances telles que celles de l’espèce.

50      En vertu du deuxième motif de non-exécution prévu à l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584, l’exécution du MAE peut être refusée lorsque, dans l’État membre d’exécution, les autorités judiciaires ont décidé de mettre fin aux poursuites pour l’infraction faisant l’objet du MAE.

51      À cet égard, il convient de relever que l’article 4, point 3, première partie, de la décision-cadre 2002/584, qui énonce ce motif de non-exécution, se rapporte uniquement à « l’infraction faisant l’objet du MAE » et non pas à la personne recherchée.

52      Il convient également de rappeler que, le refus d’exécution d’un MAE constituant l’exception, les motifs de non-exécution d’un tel mandat doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêt du 23 janvier 2018, Piotrowski, C‑367/16, EU:C:2018:27, point 48 et jurisprudence citée).

53      Or, ainsi que le fait valoir la Commission, une interprétation selon laquelle l’exécution d’un MAE pourrait être refusée, sur le fondement du deuxième motif de non-exécution figurant à l’article 4, point 3, de la décision cadre 2002/584, lorsque ce mandat porte sur des faits identiques à ceux ayant déjà fait l’objet d’une décision antérieure, sans qu’importe l’identité de la personne faisant l’objet de poursuites, serait manifestement trop large et induirait un risque que l’obligation d’exécuter un MAE soit contournée.

54      En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision-cadre, le MAE est une décision judiciaire en vue de l’arrestation et de la remise d’une personne recherchée. Dès lors, un MAE n’est pas émis au regard seulement d’une infraction, mais vise nécessairement une personne déterminée.

55      En outre, ce motif de non-exécution n’a pas pour but de protéger une personne contre l’éventualité de devoir se prêter à des recherches successives, pour les mêmes faits, dans plusieurs États membres (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 45 et jurisprudence citée).

56      En effet, la décision-cadre 2002/584 s’inscrit dans le cadre de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice, au sein duquel est assurée, d’une part, la libre circulation des personnes, tout en étant assortie, d’autre part, de mesures appropriées en matière, notamment, de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 46).

57      Dès lors, le deuxième motif de non-exécution prévu à l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété à la lumière de la nécessité de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 47).

58      Or, il y a lieu de constater que, dans des circonstances telles que celles en cause en l’espèce, dans lesquelles, d’une part, une enquête a été menée contre un auteur inconnu, et non pas contre la personne recherchée par le MAE, et, d’autre part, la décision ayant mis fin à cette enquête n’a pas été prise à l’égard de celle-ci, il n’y a pas eu d’implication de cette personne, dans les poursuites visées à l’article 4, point 3, première partie de la décision-cadre 2002/584, justifiant le refus d’exécuter le MAE.

59      Cette interprétation est corroborée par la genèse de la décision-cadre 2002/584, dès lors qu’il ressort de la proposition initiale de la Commission (COM [2001] 522 final, p. 18) que l’article 4, point 3, première partie, de cette décision-cadre est le reflet de l’article 9, deuxième phrase, de la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957. Selon cette dernière disposition, « [l]’extradition pourra être refusée si les autorités compétentes de la Partie requise ont décidé de ne pas engager de poursuites ou de mettre fin aux poursuites qu’elles ont exercées pour le ou les mêmes faits ». À cet égard, le rapport explicatif de cette convention précise qu’est visé par ladite disposition le cas d’un individu qui « a fait l’objet » d’une décision mettant obstacle aux poursuites ou y mettant fin (voir p. 9 du rapport explicatif de la convention européenne d’extradition [Paris, 13.XII.1957, série des traités européens – no 24]).

60      Ainsi, dans des circonstances telles que celles énoncées au point 58 du présent arrêt, ladite décision ne saurait être invoquée aux fins de refuser l’exécution d’un MAE, sur le fondement du deuxième motif de non-exécution prévu à l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584.

61      Enfin, en vertu du troisième motif de non-exécution prévu à l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le MAE lorsque la personne recherchée a fait l’objet dans un État membre d’une décision définitive pour les mêmes faits qui fait obstacle à l’exercice ultérieur de poursuites.

62      À cet égard, il suffit de relever que ce motif de non-exécution ne saurait trouver à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause en l’espèce, puisque les conditions d’application de celui-ci ne sont pas remplies.

63      Par conséquent, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à quatrième questions que l’article 3, point 2, et l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens qu’une décision du ministère public, telle que celle du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal, ayant mis fin à une enquête engagée contre un auteur inconnu, au cours de laquelle la personne qui fait l’objet d’un MAE n’a été entendue qu’en qualité de témoin, sans que des poursuites pénales aient été menées contre cette personne et que cette décision ait été prise à l’égard de celle-ci, ne saurait être invoquée aux fins de refuser l’exécution de ce MAE sur le fondement de l’une ou l’autre de ces dispositions.

 Sur les dépens

64      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution est tenue d’adopter une décision à l’égard de tout mandat d’arrêt européen qui lui est transmis, même lorsque, dans cet État membre, il a déjà été statué sur un mandat d’arrêt européen antérieur visant la même personne et concernant les mêmes faits, mais que le second mandat d’arrêt européen n’a été émis qu’en raison de la mise en accusation, dans l’État membre d’émission, de la personne recherchée.

2)      L’article 3, point 2, et l’article 4, point 3, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doivent être interprétés en ce sens qu’une décision du ministère public, telle que celle du bureau central des enquêtes hongrois en cause au principal, ayant mis fin à une enquête engagée contre un auteur inconnu, au cours de laquelle la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen n’a été entendue qu’en qualité de témoin, sans que des poursuites pénales aient été menées contre cette personne et que cette décision ait été prise à l’égard de celle-ci, ne saurait être invoquée aux fins de refuser l’exécution de ce mandat d’arrêt européen sur le fondement de l’une ou l’autre de ces dispositions.

Signatures


*      Langue de procédure : le croate.