Language of document : ECLI:EU:T:2022:268

Affaire T423/14 RENV

Larko Geniki Metalleftiki kai Metallourgiki AE

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (troisième chambre) du 4 mai 2022

« Aides d’État – Aides accordées par la Grèce – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur – Notion d’aide d’État – Avantage – Principe de l’opérateur privé – Prime de garantie – Entreprise en difficulté – Connaissance des autorités grecques – Communication de la Commission sur les aides d’État sous forme de garanties – Erreur manifeste d’appréciation »

1.      Procédure juridictionnelle – Arrêt de la Cour liant le Tribunal – Conditions – Renvoi consécutif à un pourvoi – Points de droit définitivement tranchés par la Cour dans le cadre du pourvoi – Autorité de la chose jugée – Portée

(Statut de la Cour de justice, art. 61 ; règlement de procédure du Tribunal, art. 215)

(voir points 33, 34)

2.      Aides accordées par les États – Notion – Appréciation selon le critère de l’investisseur privé – Appréciation au regard de tous les éléments pertinents de l’opération litigieuse et de son contexte – Obligation de l’État membre de fournir l’ensemble des éléments relevant de sa sphère de connaissance et de responsabilité pour l’examen du critère de l’investisseur privé – Non-respect de ladite obligation – Conséquences – Obligation de la Commission de fonder sa décision constatant l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur et ordonnant sa restitution sur des éléments d’une certaine fiabilité et cohérence

(Art. 4, § 3, TUE ; art. 107, § 1, TFUE ; communications de la Commission 2004/C 244/02, points 9 à 11, et 2008/C 155/02, point 3.2)

(voir points 45, 46, 53, 54)

3.      Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Lignes directrices adoptées dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission – Nature juridique – Règles de conduite indicatives impliquant une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission – Communication relative aux aides d’État sous forme de garanties – Effet contraignant à l’égard des États membres – Absence – Limites – Obligation de l’État membre de fournir l’ensemble des informations pertinentes relevant de sa sphère de connaissance et de responsabilité susceptibles d’exclure à suffisance la présence d’une aide d’État

[Art. 4, § 3 TUE ; art. 107, § 3, b), et 108, § 3, TFUE ; communication de la Commission 2008/C 155/02, point 3.2]

(voir points 55-57)


Résumé

Par décision du 27 mars 2014 (1), la Commission a constaté que l’entreprise publique grecque Larko Geniki Metalleftiki kai Metallourgiki AE (ci-après « Larko ») a bénéficié d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur de plus de 135 millions d’euros, accordée sous la forme de trois garanties en 2008, 2010 et 2011 ainsi que d’une augmentation du capital en 2009.

S’agissant, plus particulièrement, de la garantie octroyée en 2008, la Commission a qualifié celle-ci d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où un créancier privé n’aurait pas octroyé une telle garantie dans les conditions et selon les modalités convenues par les autorités grecques. À cet égard, la Commission a relevé que cette garantie ne remplissait aucune des conditions cumulatives permettant d’exclure, au titre de la communication relative aux garanties (2), sa qualification d’aide d’État, à savoir, notamment, l’absence de difficulté financière de l’entreprise bénéficiaire et le paiement d’une prime conforme au prix du marché pour son octroi (3).

Par un arrêt du 1er février 2018 (4), le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par Larko contre la décision litigieuse. Selon lui, la Commission n’avait, notamment, pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que, faute de preuves contraires fournies par les autorités grecques, celles-ci avaient ou auraient dû avoir connaissance des difficultés économiques de Larko au moment de l’octroi de la garantie de 2008.

Donnant suite au pourvoi introduit par Larko, la Cour (5) a partiellement annulé l’arrêt du Tribunal et renvoyé l’affaire devant cette juridiction. Dans son arrêt, la Cour a notamment relevé que, lorsque la Commission décide de se référer au critère de l’investisseur privé en vue d’examiner l’existence d’un avantage au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il lui incombe de démontrer que les conditions d’application dudit critère sont remplies. En appliquant ce critère, la Commission ne saurait supposer qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage. À cet égard, la Cour a précisé qu’il incombait au Tribunal de vérifier, dans le cadre de la procédure sur renvoi, si le dossier administratif contenait des éléments d’une certaine fiabilité et cohérence fournissant une base suffisante pour conclure que les autorités grecques avaient ou devaient avoir connaissance des prétendues difficultés économiques de Larko et que ce point n’était pas litigieux entre la Commission et les autorités grecques.

Par son arrêt du 4 mai 2022, le Tribunal rejette le recours de Larko et apporte des précisions sur la répartition de la charge de la preuve entre la Commission et l’État membre concerné s’agissant de la démonstration de l’existence d’une aide d’État au regard des conditions visées par la communication relative aux garanties.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal commence par rappeler que la Commission avait fondé sa conclusion, à savoir que les autorités grecques ne s’étaient pas comportées comme un créancier privé avisé en octroyant la garantie de 2008, sur des motifs comportant deux volets, tirés, d’une part, du caractère d’entreprise en difficulté de Larko et, d’autre part, de l’absence de paiement d’une prime conforme au prix du marché.

Or, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour n’avait pas censuré le raisonnement de la Commission au sujet de l’absence de paiement d’une prime conforme au prix du marché, en constatant, au contraire, qu’il n’y avait pas besoin d’examiner l’argumentation de Larko à cet égard. De plus, vu le caractère cumulatif des deux volets de motifs avancés par la Commission, le seul constat que la prime convenue au moment de l’octroi de la garantie de 2008 n’était pas conforme au prix du marché suffisait pour étayer sa conclusion que l’existence d’une aide d’État ne pouvait pas être exclue au titre de la communication relative aux garanties.

Au regard de ces précisions, le Tribunal examine si la Commission était en droit de remettre en cause, dans la décision litigieuse, la conformité au prix du marché de ladite prime, tout en vérifiant si les autorités grecques avaient ou devaient avoir connaissance des prétendues difficultés financières de Larko au plus tard à la date d’octroi de la garantie en question.

À cet égard, le Tribunal constate que la Commission disposait d’éléments suffisamment fiables et cohérents tendant à démontrer que les autorités grecques étaient conscientes de la situation financière difficile de Larko au moment de l’octroi de la garantie de 2008. En effet, dans sa décision d’ouverture de la procédure, la Commission avait déjà établi un lien entre les difficultés financières considérables de Larko et son ratio élevé dettes/fonds propres. De plus, elle avait attiré l’attention des autorités grecques sur le caractère potentiellement non conforme aux conditions du marché d’une prime de garantie de 1 % visant à rémunérer une garantie couvrant 100 % du prêt garanti. À ce propos, le Tribunal relève, notamment, que les autorités grecques, qui avaient elles-mêmes reconnu une détérioration brutale de la situation financière de Larko au cours du second semestre 2008, n’avaient pas été capables d’étayer leur déclaration selon laquelle, en 2008, Larko disposait d’une bonne notation de crédit.

Dans ce cadre, le Tribunal souligne que les règles portant sur la répartition de la charge de la preuve lors de l’application du principe de l’opérateur privé, telles que rappelées par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi, ne sont pas susceptibles d’infirmer cette conclusion, sous peine d’inverser indûment cette charge de la preuve au détriment de la Commission et de méconnaître la portée de l’obligation de coopération loyale de l’État membre, en tenant compte de la séparation des sphères de connaissance et de responsabilité qui se trouvent à l’origine des exigences de fourniture des informations pertinentes, notamment au titre de la communication relative aux garanties.

En effet, même si par une telle communication juridiquement non contraignante à l’égard des États membres, la Commission ne saurait inverser, au détriment de ceux-ci, la charge de la preuve de l’existence d’une aide d’État, il n’en demeure pas moins qu’il lui est loisible de préciser, dans une telle communication, les informations pertinentes, notamment d’ordre économique, qui sont susceptibles d’exclure à suffisance la présence d’une aide d’État et que l’État membre est normalement en mesure de fournir, au motif qu’elles relèvent de sa sphère de connaissance et de responsabilité.

Par conséquent, dans la mesure où il ressortait clairement du dossier de l’affaire que les autorités grecques n’avaient pas fourni de telles informations et que la Commission avait fondé son constat sur des éléments de preuve précis, le Tribunal conclut que, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, la Commission disposait de suffisamment d’éléments fiables et cohérents pour considérer que la prime de garantie n’était pas conforme à un prix de marché et, dès lors, que la garantie constituait un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Au regard de ces considérations, le Tribunal rejette le recours, tout en estimant qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si Larko était une entreprise en difficulté lors de l’octroi de la garantie.


1      Décision 2014/539/UE de la Commission, du 27 mars 2014, concernant l’aide d’État SA.34572 (13/C) (ex 13/NN) accordée par la Grèce à Larco General Mining & Metallurgical Company SA [notifiée sous le numéro C(2014) 1818] (JO 2014, L 254, p. 24), ci-après la « décision litigieuse ».


2      Communication de la Commission sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État sous forme de garantie (JO 2008, C 155, p. 10).


3      Point 3.2, sous a) et d), de ladite communication.


4      Arrêt du 1er février 2018, Larko/Commission, T 423/14, EU:T:2018:57.


5      Arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C 244/18 P, EU:C:2020:238, ci-après l’« arrêt sur pourvoi ».