Language of document : ECLI:EU:T:2015:669

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

23 septembre 2015 (*)

« Marque communautaire – Procédure de déchéance – Marque communautaire verbale AINHOA – Usage sérieux de la marque – Article 15, paragraphe 1, sous a), et article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 207/2009 – Forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif »

Dans l’affaire T‑426/13,

L’Oréal, établie à Paris (France), représentée par Mes M. H. Granado Carpenter et M. L. Polo Carreño, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. Ó. Mondéjar Ortuño et A. Schifko en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Cosmetica Cabinas, SL, établie à El Masnou (Espagne), représentée par Mes L. Montoya Terán et J.-B. Devaureix, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 6 juin 2013 (affaire R 1642/2012‑1), relative à une procédure de déchéance entre L’Oréal et Cosmetica Cabinas, SL,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio (rapporteur), juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2013,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 19 février 2014,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2014,

vu la décision du 26 mai 2014 refusant d’autoriser le dépôt d’un mémoire en réplique,

à la suite de l’audience du 19 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 9 septembre 2003, l’intervenante, Cosmetica Cabinas, SL, a obtenu auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) l’enregistrement de la marque communautaire verbale AINHOA (ci-après la « marque contestée ») sous le numéro 2720811, en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        Les produits et services visés par l’enregistrement relèvent des classes 3, 35 et 39 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Produits cosmétiques » ;

–        classe 35 : « Services de vente au détail de produits cosmétiques » ;

–        classe 39 : « Distribution, transport et entreposage de produits cosmétiques ».

3        Le 13 octobre 2009, la requérante, L’Oréal, a présenté une demande de déchéance de la marque contestée en vertu de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009. Dans cette demande, la requérante a soutenu que la marque contestée n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pendant une période ininterrompue de cinq ans pour tous les produits et services pour lesquels elle avait été enregistrée.

4        Par décision du 26 juillet 2012, la division d’annulation a déclaré la déchéance de la marque contestée en ce qui concerne les services relevant de la classe 35 et ceux relevant de la classe 39. En revanche, elle a maintenu la validité de l’enregistrement de la marque contestée pour les produits relevant de la classe 3.

5        Le 31 août 2012, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’annulation, pour autant que celle-ci a maintenu l’enregistrement de la marque contestée pour les produits relevant de la classe 3.

6        Par décision du 6 juin 2013 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. À titre liminaire, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve, présentés par l’intervenante et contestés par la requérante étaient recevables. La chambre de recours a, ensuite, considéré que l’intervenante avait apporté la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée pour la période allant du 13 octobre 2004 au 12 octobre 2009 (ci-après la « période pertinente »). Plus précisément, après avoir énuméré, dans la décision attaquée, les éléments de preuve présentés par l’intervenante devant la division d’annulation et constaté leur volume, la chambre de recours a relevé que ces éléments concernaient l’Espagne et plusieurs États membres. La chambre de recours a considéré, d’une part, que, même si certains documents n’étaient pas datés, ceux qui l’étaient étaient suffisamment nombreux pour lui permettre d’apprécier l’usage sérieux de la marque et, d’autre part, que, bien que certaines factures présentées ne mentionnaient pas la marque contestée, il existait un lien clair entre les produits énumérés sur lesdites factures et la marque contestée. Enfin, la chambre de recours a considéré que la marque contestée, même utilisée avec d’autres éléments, ne perdait pas son caractère distinctif. La chambre de recours a déduit de l’ensemble de ces éléments que la marque contestée avait fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire de l’Union durant la période pertinente pour les produits relevant de la classe 3.

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où elle a maintenu l’enregistrement de la marque contestée pour les produits relevant de la classe 3 ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

8        L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009. Au soutient de ce moyen unique, la requérante fait valoir en substance trois griefs en reprochant à la chambre de recours, premièrement, d’avoir pris en compte des preuves présentées tardivement par l’intervenante lors de la procédure devant la division d’annulation, deuxièmement, d’avoir considéré que le caractère distinctif de la marque contestée sous sa forme enregistrée n’était pas altéré par l’ajout de certains éléments, troisièmement, d’avoir pris en compte des preuves non datées, qui ne concernent pas la période pertinente ou ne mentionnent pas la marque contestée.

10      Premièrement, la requérante soutient que les documents nos 24 et 25 présentés par l’intervenante dans sa réponse aux observations le 20 décembre 2010 auraient dû être écartés par la chambre de recours en raison de leur tardiveté.

11      Aux termes de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, l’OHMI peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.

12      Selon une jurisprudence constante, il découle du libellé de cette disposition que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du règlement n° 207/2009, et qu’il n’est nullement interdit à l’OHMI de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits [voir arrêt du 26 septembre 2013, Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, C‑610/11 P, Rec, EU:C:2013:593, point 77 et jurisprudence citée].

13      En précisant que ce dernier « peut », en pareil cas, décider de ne pas tenir compte de telles preuves, ladite disposition investit l’OHMI d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte (voir arrêt Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, point 12 supra, EU:C:2013:593, point 78 et jurisprudence citée).

14      S’agissant plus précisément de la production de preuves de l’usage sérieux de la marque dans le cadre de procédures de déchéance, introduites sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, il convient de relever que ledit règlement ne comporte pas de disposition à l’effet de préciser le délai dans lequel de telles preuves doivent être apportées.

15      En revanche, la règle 40, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1) prévoit, à cet égard, que l’OHMI demande au titulaire de la marque communautaire la preuve de l’usage sérieux de la marque au cours d’une période qu’il précise et que si la preuve n’est pas apportée dans le délai imparti, la déchéance de la marque communautaire est prononcée.

16      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que la présentation de preuves de l’usage sérieux de la marque venant s’ajouter à des preuves elles-mêmes produites dans le délai imparti par l’OHMI, en vertu de la règle 40, paragraphe 5, du règlement n° 2868/95, demeure possible après l’expiration du délai et qu’il n’est nullement interdit à l’OHMI de tenir compte des preuves supplémentaires produites tardivement (arrêt Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, point 12 supra, EU:C:2013:593, point 88).

17      En l’espèce, la chambre de recours a considéré que les documents nos 24 et 25 étaient recevables et pouvaient être valablement pris en considération au cours de l’analyse de l’usage sérieux dès lors, qu’à la suite du dépôt de preuves initiales, la division d’annulation avait expressément invité l’intervenante à présenter des observations et de nouvelles preuves, que l’intervenante avait respecté le délai imparti et que les preuves nouvelles complétaient les preuves initiales.

18      Il convient de constater que la division d’annulation a fait application de la règle 40, paragraphe 5, du règlement n° 2868/95 et a imparti à l’intervenante un délai de trois mois aux fins de la production d’éléments de preuve de l’usage sérieux de la marque contestée. Il convient également de constater que l’intervenante a déféré à cette demande dans le délai imparti et a produit des éléments destinés à établir cet usage.

19      En outre, il y a lieu de relever que, en application de l’article 57, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, l’OHMI a invité les parties à la procédure devant la division d’annulation à présenter leurs observations après le dépôt desdits éléments de preuve et que l’intervenante a déféré à cette invitation et a présenté les documents nos 24 et 25 en annexe à ses observations.

20      Il convient, enfin, de constater que, à la demande de la requérante, l’OHMI a, en vertu de l’article 57, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, autorisé les parties à la procédure devant la division d’annulation à présenter de nouvelles observations, dans lesquelles les documents nos 24 et 25 ont été discutés. À ce titre, l’OHMI a respecté les droits de la défense de chaque partie et notamment son droit à être entendue.

21      Il ressort de ce qui précède que, eu égard au large pouvoir discrétionnaire dont dispose l’OHMI pour apprécier la recevabilité des éléments de preuve, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que les documents nos 24 et 25 étaient recevables.

22      Deuxièmement, la requérante conteste les conclusions de la chambre de recours selon lesquelles le caractère distinctif de la marque contestée telle qu’enregistrée n’était pas altéré par l’ajout d’éléments figuratifs ou de termes supplémentaires dans les éléments de preuve présentés. Elle fait, tout d’abord, valoir que la marque contestée est très souvent combinée avec un élément figuratif qui rendrait la marque contestée imperceptible dans l’ensemble. Elle soutient également que l’ajout de termes tels que « bio », « luxe », « mineral passion » ou « spa world chocolate » porte atteinte au caractère distinctif de la marque contestée.

23      Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, la preuve de l’usage sérieux d’une marque comprend également la preuve de l’utilisation de celle-ci sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée.

24      L’objet de l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, qui évite d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les modifications qui, sans en altérer le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Conformément à son objet, le champ d’application matériel de cette disposition doit être limité aux situations dans lesquelles le signe concrètement utilisé par le titulaire d’une marque pour désigner des produits ou des services pour lesquels celle-ci a été enregistrée constitue la forme sous laquelle cette même marque est commercialement exploitée. Dans de pareilles situations, lorsque le signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, la disposition susvisée prévoit que l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce [voir arrêt du 12 mars 2014, Borrajo Canelo/OHMI – Tecnoazúcar (PALMA MULATA), T‑381/12, EU:T:2014:119, point 26 et jurisprudence citée].

25      Le constat d’une altération du caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée requiert l’examen du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments dans la configuration de la marque (arrêt PALMA MULATA, point 24 supra, EU:T:2014:119, point 30).

26      En l’espèce, il y a lieu de constater que les éléments de preuve présentés contiennent notamment la représentation de la marque contestée, cette représentation pouvant être associée à un élément figuratif tel que reproduit ci-après :

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27      Les éléments de preuve contiennent également la marque contestée en combinaison avec d’autres éléments, tels que « bio », « luxe », « mineral passion » ou « spa world chocolate ».

28      En ce qui concerne la représentation graphique de la marque contestée, il convient de souligner que cette marque est une marque verbale. À ce titre, la présentation précise d’une telle marque n’a aucune d’importance. En effet, la représentation concrète d’une marque verbale n’est généralement pas de nature à modifier le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée [arrêt du 21 novembre 2013, Recaro/OHMI – Certino Mode (RECARO), T‑524/12, EU:T:2013:604, point 42].

29      De plus, il convient de rappeler que, pour que soit appliqué l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, il est nécessaire que les ajouts à la marque enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, notamment en raison de leur position accessoire dans le signe ou de leur faible caractère distinctif [arrêt du 21 juin 2012, Fruit of the Loom/OHMI – Blueshore Management (FRUIT), T‑514/10, EU:T:2012:316, point 38].

30      D’une part, l’élément figuratif ajouté est constitué d’un carré représentant le ciel avec des nuages, concentrés dans la partie inférieure dudit carré. Cet élément ne présente aucun lien évident avec les produits en cause, ni aucune originalité. En outre, en raison de la taille de cet élément par rapport à la représentation figurative de la marque contestée, ce dernier n’est pas de nature à modifier l’impression d’ensemble produite par la marque contestée, eu égard à sa position accessoire. Dès lors, l’utilisation du signe figuratif en cause doit être considérée comme une variation acceptable de la marque contestée.

31      D’autre part, les éléments ajoutés à la marque contestée sont des éléments tels que « bio », « luxe », « mineral passion » ou « spa world chocolate ». Or, ces éléments sont des éléments descriptifs des propriétés des produits en cause. En effet, l’élément « bio » pourra facilement être perçu comme une contraction du terme « biologique » et renvoie à la provenance ou à la composition des produits concernés [voir, par analogie, arrêt du 23 septembre 2014, Groupe Léa Nature/OHMI – Debonair Trading Internacional (SO’BiO ētic), T‑341/13, sous pourvoi, EU:T:2014:802, point 88]. Il en est de même concernant le terme « mineral » qui décrit les composantes des produits en cause en raison de l’utilisation courante de minéraux dans le domaine cosmétique [arrêt du 19 juin 2008, Mülhens/OHMI – Spa Monopole (MINERAL SPA), T‑93/06, EU:T:2008:215, point 30]. De plus, le mot « spa » a notamment une signification à caractère générique, visant les établissements de cure et de bien-être et les soins procurés dans ce type d’établissement (voir, en ce sens, arrêt MINERAL SPA, précité, EU:T:2008:215, point 31). Enfin, le mot « luxe » vise à décrire la gamme de produits en cause.

32      Par conséquent, la requérante n’est pas fondée à soutenir que ces éléments sont de nature à altérer le caractère distinctif de la marque contestée.

33      Troisièmement, la requérante soutient, en substance, que les éléments de preuve présentés par l’intervenante afin de démontrer l’usage sérieux de la marque contestée ne sont pas pertinents. Elle fait valoir que les statistiques relatives au site Internet de la marque contestée, aux ventes réalisées en Espagne et aux inventaires des ventes ne constituent pas des documents probants, que les factures présentées ainsi que les catalogues de prix ne mentionnaient pas la marque contestée, qu’un certain nombre de documents, tels que les publicités, les brochures ou le site Internet, n’étaient pas datés, qu’il n’est pas prouvé que lesdits documents aient été distribués, que les documents relatifs à la participation à des foires, les déclarations faites par les agences de publicité et par les distributeurs étaient rédigées en des termes identiques, et que les autres éléments de preuve présentés par l’intervenante n’étaient pas datés.

34      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, le titulaire de la marque communautaire est déclaré déchu de ses droits sur demande présentée auprès de l’OHMI si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour son non-usage.

35      Selon la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, qui, conformément à la règle 40, paragraphe 5, de ce même règlement, s’applique mutatis mutandis aux procédures de déchéance, la preuve de l’usage d’une marque doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque [arrêts du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, Rec, EU:T:2004:225, point 37, et du 10 septembre 2008, Boston Scientific/OHMI – Terumo (CAPIO), T‑325/06, EU:T:2008:338, point 27].

36      Il ressort de la jurisprudence qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usage de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec, EU:C:2003:145, point 43). De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt VITAFRUIT, point 35 supra, EU:T:2004:225, point 39).

37      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt VITAFRUIT, point 35 supra, EU:T:2004:225, point 40).

38      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque contestée, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêts VITAFRUIT, point 35 supra, EU:T:2004:225, point 41, et du 16 novembre 2011, Buffalo Milke Automotive Polishing Products/OHMI – Werner & Mertz (BUFFALO MILKE Automotive Polishing Products), T‑308/06, Rec, EU:T:2011:675, point 49].

39      De plus, pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous cette marque peut être compensé par une forte intensité ou une grande constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement (arrêts VITAFRUIT, point 35 supra, EU:T:2004:225, point 42, et BUFFALO MILKE Automotive Polishing Products, point 38 supra, EU:T:2011:675, point 51).

40      En outre, l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec, EU:T:2002:316, point 47, et du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, Rec, EU:T:2004:292, point 28].

41      À la lumière de ce qui précède, il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve présentés étaient de nature à démontrer l’usage sérieux de la marque contestée.

42      À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il ressort du point 25 de la décision attaquée que la période pertinente pour apprécier l’usage sérieux de la marque contestée est la période allant du 13 octobre 2004 au 12 octobre 2009, ce que les parties ne contestent pas.

43      En l’espèce, en premier lieu, il convient, s’agissant de la pertinence des éléments de preuves, de relever que l’intervenante a soumis, au cours de la procédure devant l’OHMI, de nombreuses pièces, telles que des factures, des extraits de journaux et de magazines, de brochures publicitaires, de participations à des foires, des photographies et des extraits de sites Internet et que ces pièces, prises dans leur ensemble, démontrent l’usage sérieux de la marque contestée dans l’Union.

44      En effet, les factures fournies devant l’OHMI démontrent que l’intervenante a vendu les produits en cause à des distributeurs non seulement en Espagne, mais également dans un certain nombre d’autres États membres, tels que le Danemark, la Grèce, les Pays-Bas, la Pologne ou la Slovénie. De plus, il convient de constater, à l’instar de la chambre de recours, que l’intervenante a présenté 363 factures émises entre le 3 janvier 2003 et le 1er décembre 2009, dont 258 au cours de la période pertinente. En outre, ces factures, adressées à différents distributeurs, ainsi que les listes de distributeurs nationaux fournies par l’intervenante pour les années correspondant à la période pertinente montrent que l’usage est d’une importance suffisante pour correspondre à un effort commercial réel et sérieux, au sens de la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus.

45      En outre, les extraits de journaux et magazines fournis par l’intervenante sont nombreux, relatifs aux produits en cause et, dans leur majorité, ont été publiés pendant la période pertinente et sur le territoire espagnol. Bien que la valeur probante de la plupart desdits extraits soit limitée en raison des doutes pouvant exister sur la date de publication, il convient toutefois de constater que, parmi ces extraits, une cinquantaine contiennent la date, la publication en cause et la marque contestée. Ceux-ci suffisent à démontrer, d’une part, une certaine intensité de l’utilisation de la marque contestée et, d’autre part, que cette marque a été utilisée publiquement et vers l’extérieur.

46      La même conclusion doit être tirée des documents indiquant que la marque contestée était représentée dans différents salons commerciaux pendant l’ensemble de la période pertinente. En effet, il ressort des éléments de preuve présentés par l’intervenante que la marque contestée a, notamment, été représentée, pendant les éditions 2004, 2005, 2007 \/ et 2008 du salon commercial « Cosmobelleza » de Barcelone (Espagne) et les éditions 2006, 2007 et 2008 du salon commercial « Cosmoprof » de Bologne (Italie), au cours de la période pertinente.

47      En deuxième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel un certain nombre de documents présentés, tels que les factures et les catalogues de prix, ne mentionnent pas la marque contestée, mais d’autres termes, signes ou marques permettant d’identifier les produits en cause et qu’en tant que tels, lesdits éléments ne seraient pas des éléments de preuve pertinents pour démontrer l’usage sérieux de la marque contestée, il convient de constater que les factures ne mentionnent pas la marque contestée, mais une liste de produits et des codes correspondant à ces produits.

48      Or, il ressort de la jurisprudence que le fait que la marque contestée ne soit pas mentionnée sur des factures ne saurait démontrer l’absence de pertinence de ces dernières aux fins de la preuve de l’usage sérieux de ladite marque [voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, La Mer Technology/OHMI – Laboratoires Goëmar (LA MER), T‑418/03, EU:T:2007:299, point 65]. En effet, les factures sont destinées à reprendre la liste des produits vendus, de sorte que doivent y figurer le numéro ou le nom de l’article concerné, éventuellement accompagné, de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, TMS Trademark-Schutzrechtsverwertungsgesellschaft/OHMI – Comercial Jacinto Parera (MAD), T‑152/11, EU:T:2012:263, point 59].

49      En outre, il convient de rappeler que contrairement à ce que soutient la requérante, selon la jurisprudence, un lien entre la marque contestée et les produits concernés peut être établi sans qu’il soit nécessaire que la marque soit apposée sur les produits [arrêts du 11 septembre 2007, Céline, C‑17/06, Rec, EU:C:2007:497, points 21 à 23, et du 6 mars 2014, Anapurna/OHMI – Annapurna (ANNAPURNA), T‑71/13, EU:T:2014:105, point 44].

50      Ainsi que le relève à juste titre la chambre de recours, les codes inscrits sur les factures fournies par l’intervenante correspondent aux références contenues dans les catalogues de prix fournis par l’intervenante et qui renvoient aux différents produits en cause distribués sous la marque contestée. De plus, il convient de constater, que, contrairement à ce que soutient la requérante, la marque contestée apparaît en première et en dernière pages desdits catalogues, ce qui suffit, en application de la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus, pour établir un lien entre lesdits produits et la marque contestée. Enfin, il convient de relever que l’ensemble des factures produites à partir d’avril 2005 contient l’adresse du site Internet de la marque contestée ainsi qu’une adresse électronique de contact dans lesquelles apparaît la marque contestée.

51      Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours pouvait se fonder sur de tels éléments de preuves aux fins d’établir l’usage sérieux de la marque contestée.

52      En troisième lieu, concernant l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours ne pouvait se fonder sur les brochures publicitaires, dès lors que l’intervenante n’avait pas démontré que lesdites brochures avaient été distribuées, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il ne peut être exclu qu’un faisceau d’éléments de preuve permette d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits [voir arrêt du 30 septembre 2014, Scooters India/OHMI – Brandconcern (LAMBRETTA), T‑132/12, EU:T:2014:843, point 25 et jurisprudence citée].

53      En outre, bien que la valeur probante d’un élément de preuve soit limitée, dans la mesure où, pris isolément, il ne démontre pas avec certitude si, et comment, les produits concernés ont été placés sur le marché, et bien que cet élément ne soit, dès lors, pas décisif à lui-seul, il peut néanmoins être pris en compte, dans l’appréciation globale du caractère sérieux de l’usage. Il en va ainsi, par exemple, lorsque cet élément corrobore les autres facteurs pertinents du cas d’espèce [arrêt ANNAPURNA, point 48 supra, EU:T:2014:105, point 45 ; voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2012, Certmedica International et Lehning entreprise/OHMI – Lehning entreprise et Certmedica International (L112), T‑77/10 et T‑78/10, EU:T:2012:95, points 57 et 58].

54      En l’espèce, le caractère limité de la valeur probante de ces éléments de preuve résulte du fait que l’intervenante n’a pas apporté la preuve que les brochures avaient été effectivement distribuées. Toutefois, il ressort de ce qui précède que ce fait n’empêchait pas la chambre de recours de les prendre en considération dans l’appréciation globale de l’usage de la marque contestée comme élément de nature à corroborer d’autres éléments de preuve.

55      En quatrième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel les statistiques de consultation du site Internet mentionné par l’intervenante ne sont pas pertinentes, il convient de constater que la marque contestée constitue le début du nom du domaine du site Internet, occupe une place importante sur la page d’accueil et qu’elle se trouve au-dessus des différents titres faisant référence aux produits de l’intervenante, aux différentes formations proposées par elle ainsi qu’à l’adresse de contact. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le site Internet constitue un moyen de commercialisation et de publicité des produits pour lesquels la marque contestée a été enregistrée. Dès lors, les statistiques de consultation dudit site Internet sont des éléments pertinents que la chambre de recours pouvait prendre en compte aux fins de l’analyse de l’usage sérieux de la marque contestée (voir, par analogie, arrêt FRUIT, point 29 supra, EU:T:2012:316, points 65 et 66).

56      En cinquième lieu, en ce qui concerne les arguments de la requérante relatifs aux autres éléments de preuve présentés, il convient de constater que cette dernière se borne à exprimer des doutes quant à leur valeur probante eu égard au fait que lesdits éléments de preuve ne sont pas datés. Ainsi qu’il a été rappelé au point 53 ci-dessus, bien que la valeur probante des éléments de preuve soit limitée, ils peuvent néanmoins être pris en compte, dans l’appréciation globale du caractère sérieux de l’usage. Ces arguments doivent donc être rejetés.

57      Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a constaté que l’intervenante avait apporté la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée.

58      Dès lors, le moyen unique soulevé par la requérante doit être rejeté et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      L’Oréal est condamnée aux dépens.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.