Language of document : ECLI:EU:T:2012:600

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS

14 novembre 2012(*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑403/12 R,

Intrasoft International SA, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me S. Pappas, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Erlbacher et Mme E. Georgieva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, une demande de sursis à l’exécution, d’une part, une demande de sursis à l’exécution, d’une part, de la décision de la Délégation de l’Union européenne en République de Serbie, du 10 août 2012, rejetant l’offre soumise par la requérante dans le cadre de la procédure d’appel d’offres EuropeAid/131367/C/SER/RS, concernant l’assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier (JO 2011/S 160-262712) et, d’autre part, de la décision de la Délégation de l’Union européenne en République de Serbie du 12 septembre 2012 l’informant que le comité d’évaluation avait recommandé que le contrat soit accordé à un autre soumissionnaire,

LE JUGE DES RÉFÉRÉS,

remplaçant le président du Tribunal, conformément à l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal,

rend la présente

Ordonnance

 Procédure et conclusions des parties

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2012, la requérante, Intrasoft International SA, une société de droit luxembourgeois, a introduit un recours visant, d’une part, à l’annulation de la décision de la délégation de l’Union européenne en République de Serbie du 10 août 2012 rejetant (ci-après, la « délégation » et la « décision du 10 août 2012 ») qu’elle avait présentée dans le cadre de la procédure d’attribution d’un marché public intitulé « Assistance technique à l’administration des douanes serbe dans le cadre de la modernisation du système douanier » (EuropeAid/131367/C/SER/RS) et, d’autre part, à l’annulation de la décision implicite de la délégation rejetant sa réclamation.

2        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 21 septembre 2012, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision du 10 août 2012 ;

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision de la délégation du 12 septembre 2012, l’informant du rejet de sa réclamation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

3        Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 12 octobre 2012, la Commission conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–         rejeter la demande en référé comme irrecevable ou non fondée ; 

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

4        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

5        L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

6        En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

7        Par ailleurs, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

8        Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

9        Il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

10      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue ; il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du président du Tribunal du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, non publiée au Recueil, point 25, et la jurisprudence citée).

11      Il résulte également d’une jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre purement financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113, et ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94].

12      Au soutien de son allégation de l’existence d’un préjudice grave et irréparable, la requérante souligne que le marché de la République de Serbie constitue une « nouvelle zone géographique cruciale » dans le cadre de sa stratégie commerciale. Elle en déduit qu’en l’absence des sursis à exécution sollicités, sa position sur le marché serait irrévocablement affectée. La requérante se réfère également aux préjudices constitués par la perte, d’une part, des revenus liés à l’exécution du contrat et, d’autre part, « de la possibilité d’obtenir des références sur lesquelles elle pourrait ensuite compter en tant qu’avantage concurrentiel ».

13      En ce qui concerne, en premier lieu, le préjudice qui serait constitué par l’affectation de la position de la requérante sur le marché, il convient de rappeler qu’un tel préjudice ne peut relever des circonstances exceptionnelles mentionnées au point 11 ci-dessus qu’à la condition que la partie qui sollicite la mesure provisoire démontre un risque de modification irrémédiable des parts de marché présentant également un caractère grave (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 9 juin 2011, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, T‑533/10 R, non encore publiée au Recueil, point 35, et la jurisprudence citée). Force est de constater que, dans sa demande en référé, la requérante se contente de simples affirmations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve, notamment, concernant la gravité de l’affectation de sa position sur le marché. Il ne saurait, dès lors, être considéré qu’elle a effectué la démonstration requise.

14      En ce qui concerne, en second lieu, le préjudice constitué par la perte des revenus liés à l’exécution du contrat, il convient de rappeler que perte d’une chance de se voir attribuer un marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T‑511/08 R, non publiée au Recueil, points 25 à 27, et la jurisprudence citée).

15      En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante (voir, en ce sens, ordonnance Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, précitée, point 28).

16      En l’espèce, il convient de constater que la requérante n’a pas produit le moindre élément permettant de considérer, compte tenu en particulier de sa taille, que la perte qu’elle risque de subir serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoire. Dès lors, à défaut d’éléments pertinents figurant dans la demande en référé, le juge des référés n’est pas en mesure de considérer que, pour la requérante, la perte d’une chance de percevoir les revenus résultant de l’exécution du marché en cause serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires.

17      En toute hypothèse, un tel préjudice ne saurait être considéré comme irréparable, ou même difficilement repérable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation ultérieure (voir, en ce sens, ordonnance Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, précitée, points 31 à 34).

18      Enfin, pour autant que la demande en référé puisse être interprétée en ce sens que la requérante entend invoquer une atteinte à sa réputation sur le marché, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir, en ce sens, ordonnance Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, précitée, point 39, et la jurisprudence citée).

19      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les éléments de preuve apportés par la requérante ne permettent pas d’établir à suffisance de droit que, à défaut d’octroi des mesures provisoires demandées, elle subirait un préjudice grave et irréparable.

20      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si cette demande peut être considérée comme recevable et, dans l’affirmative, si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité sont remplies.

Par ces motifs,

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 novembre 2012.

Le greffier

 

       Le juge

E. Coulon

 

       M. Prek


* Langue de procédure : l’anglais.