Language of document : ECLI:EU:T:2015:209

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 novembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Article 15 – Conditions d’octroi de la protection subsidiaire – Prise en compte des éléments relevant du statut individuel et de la situation personnelle du demandeur ainsi que de la situation générale dans le pays d’origine – Situation humanitaire »

Dans l’affaire C‑125/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois‑le‑Duc, Pays-Bas), par décision du 22 février 2022, parvenue à la Cour le 22 février 2022, dans la procédure

X,

Y,

leurs 6 enfants mineurs

contre

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : Mme A. Lamote, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 mars 2023,

considérant les observations présentées :

–        pour Y, X et leurs 6 enfants mineurs, par Mme S. Rafi, Mes P. J. Schüller et J. W. J. van den Broek, advocaten,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. H. S. Gijzen, A. Hanje et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. R. Bénard, Mme A.‑L. Desjonquères et M. J. Illouz, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A. Azéma et M. F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X, Y et leurs 6 enfants mineurs, ressortissants libyens, au Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État »), au sujet du rejet par celui-ci de leurs demandes de protection internationale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 12, 16 et 34 de la directive 2011/95 énoncent :

« (12)      L’objectif principal de la présente directive est, d’une part, d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres.

[...]

(16)      La présente directive respecte les droits fondamentaux, ainsi que les principes reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la “Charte”]. En particulier, la présente directive vise à garantir le plein respect de la dignité humaine et du droit d’asile des demandeurs d’asile et des membres de leur famille qui les accompagnent et à promouvoir l’application des articles 1er, 7, 11, 14, 15, 16, 18, 21, 24, 34 et 35 de ladite [C]harte, et devrait être mise en œuvre en conséquence.

[...]

(34)      Il convient de fixer les critères communs que doivent remplir les demandeurs d’une protection internationale pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. Ces critères devraient être définis sur la base des obligations internationales au titre des instruments relatifs aux droits de l’homme et des pratiques déjà existantes dans les États membres. »

4        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire définis aux points e) et g) ;

b)      “bénéficiaire d’une protection internationale”, une personne qui a obtenu le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire définis aux points e) et g) ;

[...]

f)      “personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

g)      “statut conféré par la protection subsidiaire”, la reconnaissance, par un État membre, d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ;

h)      “demande de protection internationale”, la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la présente directive et pouvant faire l’objet d’une demande séparée ;

i)      “demandeur”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ;

[...] »

5        L’article 4 de ladite directive, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », qui figure sous le chapitre II de celle-ci, relatif à l’« [é]valuation des demandes de protection internationale », dispose :

« 1.      Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

[...]

3.      Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)      tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande [...]

b)      les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ;

c)      le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

[...]

4.      Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

5.      Lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a)      le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande ;

b)      tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ;

c)      les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ;

d)      le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il ne puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait ; et

e)      la crédibilité générale du demandeur a pu être établie. »

6        L’article 8, paragraphe 2, de la même directive, intitulé « Protection à l’intérieur du pays », est ainsi libellé :

« Lorsqu’ils examinent si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou risque réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves dans une partie du pays d’origine conformément au paragraphe 1, les États membres tiennent compte, au moment où ils statuent sur la demande, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur, conformément à l’article 4. À cette fin, les États membres veillent à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes, telles que le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. »

7        Aux termes de l’article 15 de la directive 2011/95, intitulé « Atteintes graves », qui figure sous le chapitre V de celle-ci, relatif au « [c]onditions de la protection subsidiaire » :

« Les atteintes graves sont :

a)      la peine de mort ou l’exécution ; ou

b)      la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou

c)      des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. »

8        L’article 18 de cette directive, intitulé « Octroi du statut conféré par la protection subsidiaire », énonce :

« Les États membres octroient le statut conféré par la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride pouvant bénéficier de la protection subsidiaire conformément aux chapitres II et V. »

 Le droit néerlandais

9        L’article 29 de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers de 2000), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, no 495), dans sa version applicable au litige au principal, dispose, à son paragraphe 1 :

« 1.      Le permis de séjour à durée limitée [...] peut être accordé au ressortissant étranger qui :

a)      a le statut de réfugié ; ou

b)      établit à suffisance qu’il a des raisons valables de croire qu’il court, en cas d’expulsion, un risque réel de subir des atteintes graves, qui sont :

1°.      la peine de mort ou l’exécution ;

2°.      la torture, des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ; ou

3°.      des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      Le 28 janvier 2018, X et Y, deux conjoints de nationalité libyenne, ont introduit, également au nom de leurs six enfants mineurs, des demandes de protection internationale auprès du secrétaire d’État, faisant valoir que, dans le cas où ils seraient renvoyés en Libye, ils courraient un risque réel de subir des « atteintes graves », au sens de l’article 15, sous b) et/ou sous c), de la directive 2011/95.

11      Au soutien de leurs demandes de protection internationale, X et Y ont invoqué des faits se rapportant tant à leur situation personnelle qu’à la situation générale de leur pays d’origine, notamment au niveau général de violence en Libye et à la situation humanitaire qui en résulterait.

12      Plus particulièrement, X a déclaré avoir travaillé à Tripoli (Libye) de l’année 2012 jusqu’au mois de juin 2017 en tant que garde du corps d’éminents responsables politiques, notamment deux Premiers ministres, un vice-Premier ministre et plusieurs ministres. Il affirme avoir été victime d’une fusillade en dehors de son temps de travail, au cours de laquelle il aurait été touché à la tête et reçu un éclat de balle dans sa joue gauche, et avoir, par la suite, fait l’objet de menaces de mort, lors de conversations téléphoniques intervenues respectivement après environ cinq mois et un à deux ans à compter de la date de cette fusillade. X aurait des soupçons sur l’identité des responsables de ces actes, mais ne pourrait, toutefois, en apporter la preuve. En outre, X a invoqué le fait que son frère lui avait rapporté que des milices tentaient de s’emparer d’un terrain dont il aurait hérité de son père et avaient menacé de tuer toute personne qui s’y opposerait. Finalement, X a déclaré que son départ de Libye a été dû également aux conditions de vie difficiles à Tripoli, notamment à l’absence de carburant, d’eau potable et d’électricité. Pour sa part, Y a fondé sa demande de protection internationale sur la crainte résultant de l’expérience personnelle de X, ainsi que de la situation générale d’insécurité en Libye, qui lui aurait également provoqué des problèmes de santé.

13      Par décisions distinctes du 24 décembre 2020, le secrétaire d’État a rejeté les demandes de protection internationale introduites par X et Y comme étant non fondées. D’une part, il a considéré que les demandeurs n’avaient pas à craindre d’atteinte grave, au sens de l’article 15, sous b), de la directive 2011/95. En effet, il a estimé que les deux menaces alléguées n’étaient pas crédibles et que X n’avait pas démontré que la fusillade dont il avait été victime était spécifiquement dirigée contre lui, ni qu’il y avait un lien entre cette violence et son activité professionnelle de garde du corps de hauts responsables politiques. D’autre part, le secrétaire d’État a considéré qu’il lui appartenait d’identifier les groupes à risque et de déterminer s’il existe une situation de risque telle que celle envisagée à l’article 15, sous c), de cette directive. Or, n’estimant pas nécessaire d’apprécier la situation sécuritaire générale en Libye, il a conclu que les requérants n’avaient pas non plus à craindre d’atteinte grave, au sens de cette seconde disposition.

14      X et Y ont formé des recours contre ces décisions auprès du rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc, Pays-Bas).

15      Tout d’abord, cette juridiction souligne que les demandes de protection internationale en cause au principal sont étayées tant par des circonstances individuelles et personnelles des requérants que par la référence à la situation générale de violence et à la situation humanitaire résultant de cette violence dans le pays d’origine. Elle observe, toutefois, qu’il n’apparaît pas que de tels éléments, considérés séparément, atteignent le degré d’individualisation de l’atteinte grave et le seuil de gravité de la violence aveugle requis pour bénéficier de la protection subsidiaire conférée, respectivement, à l’article 15, sous b), et à l’article 15, sous c), de la directive 2011/95.

16      Selon ladite juridiction, se poserait, dès lors, la question de savoir si l’article 15 de cette directive doit être interprété en ce sens que les manifestations d’atteintes graves visées à cet article 15 doivent être appréciées de manière strictement séparée, avec pour conséquence que les faits et les circonstances allégués par le demandeur ne seraient pertinents que pour étayer la crainte d’une de ces atteintes graves, ou, en revanche, qu’il convient de procéder à une appréciation intégrale et conjointe de l’ensemble des éléments pertinents, relatifs tant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, avant de déterminer quelle manifestation d’atteintes graves de tels faits et de telles circonstances permettent d’étayer.

17      La juridiction de renvoi considère, à cet égard, que le point de départ de l’appréciation de l’existence d’un risque réel d’atteintes graves est le besoin de protection du demandeur et que la première interprétation de l’article 15 de la directive 2011/95, résumée au point précédent, entraîne une lacune dans la protection offerte par cette disposition, qui prive d’effet utile le régime de protection subsidiaire qu’elle prévoit. La seconde interprétation de cet article 15, résumée au point précédent, serait, quant à elle, conforme à l’économie de cette directive et aux objectifs poursuivis par celle-ci, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’interprétation de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), dont il conviendrait de tenir compte dans l’interprétation de l’article 4 de la Charte, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de celle-ci.

18      Ensuite, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser la manière dont les raisons propres à la situation personnelle du demandeur, telles qu’identifiées dans l’arrêt du 17 février 2009, Elgafaji (C‑465/07, EU:C:2009:94), doivent être prises en compte dans l’appréciation portée au regard de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95. Dans ce contexte, cette juridiction souhaite, notamment, que la Cour clarifie si la prise en compte du statut individuel et de la situation personnelle d’un demandeur de protection internationale va au-delà de la condition d’individualisation, telle qu’elle résulte de l’arrêt de la Cour EDH du 17 juillet 2008, NA. c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115), à savoir si des circonstances individuelles autres que le simple fait de provenir d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de ce dernier arrêt, peuvent étayer une crainte de l’atteinte grave définie à cette disposition.

19      Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’indiquer si, d’une part, des facteurs personnels ou le risque d’être victime d’une « violence pénale » en raison d’une situation de violence aveugle et, d’autre part, des circonstances individuelles non personnelles, telles que l’exercice de certaines professions et/ou les lieux d’exercice de celles-ci, ou le fait de devoir se rendre dans des lieux pour bénéficier de services de base doivent être pris en compte.

20      Cette juridiction souhaite également savoir comment le niveau de violence aveugle dans le pays d’origine du demandeur, tel que visé à l’article 15, sous c), de la directive 2011/95, doit être pris en compte dans l’appréciation de l’existence d’atteintes graves, au sens de cet article 15, sous a) et b). En particulier, elle cherche à savoir si la corrélation inversée entre l’aptitude du demandeur à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle et le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire, résultant de la jurisprudence issue de l’arrêt du 17 février 2009, Elgafaji (C‑465/07, EU:C:2009:94, point 39), s’applique également à l’appréciation concernant les atteintes graves visées audit article 15, sous b), lorsqu’il existe un niveau élevé de violence générale dans le pays d’origine du demandeur, mais que celui-ci ne suffit pas, à lui seul, à justifier l’octroi d’une protection subsidiaire.

21      Enfin, la juridiction de renvoi cherche à savoir si et dans quelles conditions une situation humanitaire, qui, contrairement à celle de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj (C‑542/13, EU:C:2014:2452), est la conséquence directe ou indirecte des actes de violence commis par un acteur d’atteintes graves infligées dans le cadre d’un conflit armé international ou interne, et qui est susceptible d’entraîner une violation des articles 1er, 4 et 19, paragraphe 2, de la Charte, devrait être prise en compte pour apprécier une demande de protection subsidiaire. Cette juridiction précise, à cet égard, qu’elle se réfère tant à la situation humanitaire délibérément créée par un acteur d’atteintes graves qu’à celle qui serait causée par l’attitude indifférente d’un tel acteur à l’égard des conséquences d’un conflit armé pour la population civile.

22      C’est dans ces conditions que le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s‑Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois‑le‑Duc) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 15 de la directive [2011/95], lu conjointement avec l’article 2, sous g), et l’article 4, de cette directive, ainsi qu’avec l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un demandeur a besoin d’une protection subsidiaire, tous les éléments pertinents, se rapportant aussi bien au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, doivent toujours être examinés et appréciés intégralement et conjointement avant d’identifier la manifestation redoutée d’atteintes graves que ces éléments permettent d’étayer ?

2)      Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question par la négative, l’appréciation du statut individuel et de la situation personnelle du demandeur dans le cadre de l’appréciation au regard de l’article 15, sous c), de la directive [2011/95], éléments dont la Cour a déjà précisé qu’ils doivent être pris en compte à ce titre, va-t-elle au-delà du contrôle du respect de la condition d’individualisation telle que mentionnée dans l’arrêt de la Cour EDH [du 17 juillet 2008,] NA. c. Royaume-Uni [(CE:ECHR:2008:0717JUD002590407)]? Lesdits éléments peuvent-ils, s’agissant d’une même demande de protection subsidiaire, être pris en compte dans l’appréciation au regard de l’article 15, tant sous b) que sous c), de la directive [2011/95] ?

3)      L’article 15 de la directive [2011/95] doit-il être interprété en ce sens que, pour apprécier la nécessité d’une protection subsidiaire, l’échelle dite “dégressive”, dont la Cour a déjà précisé qu’elle doit être appliquée lors de l’appréciation d’une crainte alléguée d’atteintes graves, au sens de l’article 15, sous c), de [cette directive], doit également être appliquée pour apprécier une crainte alléguée d’atteintes graves, au sens de l’article 15, sous b), de [celle-ci] ?

4)      L’article 15 de la directive [2011/95], lu conjointement avec les articles 1er et 4 ainsi qu’avec l’article 19, paragraphe 2, de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’une situation humanitaire qui est la conséquence (in)directe des actes et/ou omissions d’un acteur d’atteintes graves doit être prise en compte pour apprécier la nécessité [d’une] protection subsidiaire d’un demandeur ? »

23      Par décision du président de la Cour du 8 avril 2022, la procédure dans la présente affaire a été suspendue, en application de l’article 55, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour, jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Notion de menaces graves et individuelles) (C‑579/20).

24      À la suite du retrait de la demande de décision préjudicielle dans cette affaire et à la radiation de celle-ci par l’ordonnance du 18 mai 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Notion de menaces graves et individuelles) (C‑579/20, EU:C:2022:416), la procédure dans la présente affaire a été reprise en conséquence le 20 mai 2022.

 Sur la demande de procédure accélérée

25      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée, conformément à l’article 105 du règlement de procédure.

26      À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait, en substance, valoir que, bien que les requérants sont en séjour régulier jusqu’à ce qu’elle ait statué définitivement sur le litige au principal, les enfants mineurs de X et de Y se trouvaient dans une situation d’insécurité. À cet égard, ladite juridiction a indiqué que cinq des six enfants mineurs de X et de Y ont fait l’objet d’une assistance éducative à partir du 22 avril 2020 et que ces enfants étaient gravement menacés dans leur développement et grandissaient dans un contexte éducatif dangereux et instable, dans lequel ils étaient témoins et victimes d’agressions et souffraient d’un sentiment d’abandon émotionnel et physique. Par ailleurs, la juridiction de renvoi a souligné que, selon X et Y, le contexte d’insécurité en question résultait également de la longueur de la procédure en cause au principal ainsi que de l’incertitude quant à l’issue de celle-ci.

27      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement.

28      En l’occurrence, le 20 mai 2022, le président de la Cour, la juge rapporteure et l’avocat général entendus, a décidé de rejeter la demande visée au point 25 du présent arrêt.

29      En effet, il importe de rappeler que la procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 13 juillet 2023, Azienda Ospedale-Università di Padova, C‑765/21, EU:C:2023:566, point 26 et jurisprudence citée).

30      Or, la juridiction de renvoi n’a pas fourni l’ensemble des éléments permettant d’apprécier l’existence d’une telle situation d’urgence extraordinaire et, notamment, les risques encourus si ce renvoi suivait la procédure ordinaire. Si cette juridiction a fait état de risques pour le développement des enfants mineurs de X et de Y découlant du contexte familial, social et éducatif dans lequel ils sont insérés, elle n’a toutefois pas démontré qu’il existe un lien entre la durée de la procédure devant la Cour et la prolongation de la situation d’insécurité dans laquelle se trouveraient ces enfants. En outre, ladite juridiction n’a pas non plus exposé les raisons pour lesquelles l’application de la procédure accélérée à la présente affaire permettrait d’éviter de tels risques ou de résoudre une telle situation d’insécurité, l’incertitude juridique affectant lesdits enfants quant à l’issue de la procédure en cause au principal n’étant pas, à elle seule, susceptible de justifier le recours à une procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 27 juin 2016, S., C‑283/16, EU:C:2016:482, point 11 et jurisprudence citée).

31      Par ailleurs, sans être décisif en soi, l’important laps de temps écoulé entre, d’une part, l’introduction des demandes de protection internationale des requérants et les décisions du secrétaire d’État de rejet de ces demandes, et, d’autre part, l’introduction du présent renvoi préjudiciel ne plaide pas en faveur de l’adoption d’une décision soumettant ce renvoi à une procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 27 juin 2016, S., C‑283/16, EU:C:2016:482, point 12).

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

32      Avant de répondre aux questions posées, il convient, à titre liminaire, de rappeler que, tout d’abord, la directive 2011/95 ayant été adoptée sur le fondement, notamment, de l’article 78, paragraphe 2, sous b), TFUE, elle vise, entre autres, à instaurer un régime uniforme de protection subsidiaire. À cet égard, il résulte des considérants 12 et 34 de cette directive que l’un des objectifs principaux de celle-ci est d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin d’une protection internationale, en leur offrant un statut approprié [voir, en ce sens, arrêts du 23 mai 2019, Bilali, C‑720/17, EU:C:2019:448, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, points 22 et 34].

33      Ensuite, il ressort de l’article 18 de la directive 2011/95, lu en combinaison avec la définition des termes « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », contenue à l’article 2, sous f), de cette directive, et celle des termes « statut conféré par la protection subsidiaire », contenue à l’article 2, sous g), de celle-ci, que le statut conféré par la protection subsidiaire visé à ladite directive doit, en principe, être octroyé à tout ressortissant d’un pays tiers ou à tout apatride qui court, en cas de renvoi dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, un risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 15 de la même directive [arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, point 23 ainsi que jurisprudence citée].

34      Enfin, la directive 2011/95 a abrogé et remplacé, avec effet au 21 décembre 2013, la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12). Or, ce changement de norme n’ayant donné lieu à modification ni du régime juridique de l’octroi de la protection subsidiaire ni de la numérotation des dispositions concernées, la jurisprudence relative à la directive 2004/83 est pertinente pour interpréter la directive 2011/95. En particulier, le libellé de l’article 15 de la directive 2011/95 étant identique à celui de l’article 15 de la directive 2004/83, la jurisprudence relative à cette seconde disposition est transposable à la première [voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, point 24].

 Sur la première question

35      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un demandeur de protection internationale peut bénéficier de la protection subsidiaire, l’autorité nationale compétente doit examiner tous les éléments pertinents, se rapportant tant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, avant d’identifier le type d’atteinte grave que ces éléments permettent éventuellement d’étayer.

36      En premier lieu, il convient de relever que cet article 15 prévoit trois types d’« atteintes graves » de nature à justifier, au profit de la personne qui, en cas de renvoi dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de les subir, l’octroi de la protection subsidiaire.

37      En ce qui concerne, premièrement, les motifs figurant au point a) dudit article 15, à savoir le risque de « peine de mort ou [d’]exécution », et au point b) de celui-ci, à savoir le risque de « torture ou [de] traitements ou [de] sanctions inhumains ou dégradants », de telles « atteintes graves » couvrent des situations dans lesquelles le demandeur de la protection subsidiaire est exposé spécifiquement au risque d’une atteinte d’un type particulier, présupposant un degré d’individualisation clair [arrêts du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, points 32 et 38, ainsi que du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, point 25 ainsi que jurisprudence citée].

38      Il s’ensuit que l’octroi d’une protection subsidiaire en vertu de l’article 15, sous a) et b), de la directive 2011/95 suppose qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur, s’il était renvoyé dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, serait exposé spécifiquement et individuellement à un risque réel de faire l’objet de la peine de mort, d’une exécution, d’actes de torture, ou de traitements ou de sanctions inhumains ou dégradants.

39      Cela étant, les éléments relatifs à la situation générale du pays concerné, dont notamment ceux tenant au niveau général de violence et d’insécurité dans ce pays, doivent également être examinés lors de l’évaluation de l’existence d’un tel risque. En effet, un tel contexte général permet d’apprécier, de manière plus précise, la mesure dans laquelle le demandeur est réellement exposé à un risque de subir les atteintes graves définies à l’article 15, sous a) ou b), de la directive 2011/95.

40      S’agissant, deuxièmement, de l’atteinte définie à l’article 15, sous c), de cette directive, constituée par « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne » du demandeur, il convient de relever que cette disposition couvre un risque d’atteinte « plus général » que ceux visés au même article, sous a) et b). Sont ainsi visées, plus largement, « des menaces [...] contre la vie ou la personne » d’un civil, plutôt que des violences déterminées. En outre, ces menaces sont inhérentes à une situation générale de conflit armé donnant lieu à une « violence aveugle », ce qui implique qu’elle peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et de leur identité, lorsqu’une telle violence atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces [voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, points 26 et 28 ainsi que jurisprudence citée].

41      Il s’ensuit que, dans le cadre d’une situation exceptionnelle, telle que celle décrite au point précédent du présent arrêt, la constatation de l’existence d’un risque de « menaces graves et individuelles », au sens de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95 n’est pas subordonnée à la condition que le demandeur apporte la preuve qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle [voir, en ce sens, arrêts du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, point 43, ainsi que du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, point 27].

42      Cependant, dans d’autres situations moins exceptionnelles, les éléments tenant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur s’avèrent pertinents. Ainsi, plus le demandeur est apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à son statut individuel ou à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire, au titre de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95 (voir, en ce sens, arrêts du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, point 39, et du 30 janvier 2014, Diakité, C‑285/12, EU:C:2014:39, point 31).

43      Il s’ensuit que l’article 15 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que tant les circonstances se rapportant à la situation générale dans le pays d’origine, notamment au niveau général de violence et d’insécurité dans ce pays, que celles relatives au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur sont susceptibles de constituer des éléments pertinents pour l’évaluation de toute demande de protection subsidiaire par l’autorité nationale compétente, indépendamment du type spécifique d’atteintes graves, au sens de cet article 15, qui fait l’objet d’une telle évaluation.

44      À cet égard, il importe encore de souligner que, si chaque type d’atteintes graves visées aux points a) à c) de l’article 15 de la directive 2011/95 constitue un motif autonome de reconnaissance de la protection subsidiaire, dont les conditions doivent être pleinement remplies pour que cette protection soit accordée, il n’en demeure pas moins, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 30, 40 et 41 de ses conclusions, que cet article n’instaure pas un ordre hiérarchique entre ces différents types d’atteintes graves et n’impose aucun ordre dans l’appréciation de l’existence d’un risque réel de subir l’une de ces atteintes graves. En effet, d’une part, une même demande de protection internationale peut faire apparaître l’existence d’un risque que le demandeur soit exposé à plusieurs types d’atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. D’autre part, un même élément peut servir à étayer l’existence d’un risque réel de subir plusieurs de ces atteintes graves.

45      En deuxième lieu, l’interprétation de l’article 15 de la directive 2011/95, mentionnée au point 43 du présent arrêt, est corroborée par le contexte normatif dans lequel cet article 15 s’inscrit.

46      À cet égard, il résulte, tout d’abord, de l’article 4 de cette directive, figurant au chapitre II de celle-ci, relatif à l’« [é]valuation des demandes de protection internationale », et partant applicable tant aux demandes visant l’octroi du statut de réfugié qu’à celles visant l’obtention d’une protection subsidiaire, au sens de ladite directive, que l’évaluation des faits et des circonstances étayant une demande de protection internationale se déroule en deux étapes distinctes. La première étape concerne l’établissement des circonstances factuelles susceptibles de constituer les éléments de preuve au soutien de la demande, alors que la seconde étape est relative à l’appréciation juridique de ces éléments et consiste à décider si, eu égard aux faits caractérisant un cas d’espèce, les conditions de fond prévues à l’article 15 de la même directive pour l’octroi d’une protection subsidiaire sont remplies [voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), C‑349/20, EU:C:2022:151, point 63 et jurisprudence citée].

47      Si, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/95, les États membres peuvent exiger que le demandeur présente, au cours de la première de ces étapes, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection, il n’en demeure pas moins que les autorités des États membres doivent, au besoin, coopérer activement avec celui-ci afin de déterminer et de compléter les éléments pertinents de la demande, ces autorités étant, en outre, souvent mieux placées que le demandeur pour avoir accès à certains types de documents [voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), C‑349/20, EU:C:2022:151, point 64 et jurisprudence citée], étant entendu que, lorsque certains aspects des déclarations d’un demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation, pourvu que les conditions cumulatives fixées à l’article 4, paragraphe 5, sous a) à e), de cette directive soient remplies (arrêt du 2 décembre 2014, A e.a., C‑148/13 à C‑150/13, EU:C:2014:2406, point 58).

48      Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a considéré aux points 34 et 41 de ses conclusions, l’autorité nationale compétente pour l’évaluation d’une demande de protection internationale est tenue d’examiner, au cours de la première étape de cette évaluation, l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce pouvant constituer des éléments de preuve, avant de déterminer, au cours de la seconde étape de ladite évaluation, quel type d’atteinte grave, définie à l’article 15 de cette directive, ces éléments permettent éventuellement d’étayer, sans pouvoir écarter des éléments potentiellement pertinents pour l’évaluation de cette demande au seul motif que le demandeur les a avancés au soutien d’un seul type d’atteinte grave définie à cet article 15.

49      Ensuite, il ressort de l’article 4, paragraphe 3, de ladite directive que, parmi les éléments pertinents que cette autorité doit prendre en compte lorsqu’elle procède à l’évaluation de chaque demande de protection internationale, figurent, notamment, tant « tous les faits pertinents concernant le pays d’origine », au sens du point a) de cette disposition, que le « statut individuel et la situation personnelle du demandeur », au sens du point c) de celle-ci.

50      C’est ainsi que la Cour a jugé que, même si une demande de protection internationale présentée au titre de l’article 15, sous c), de la même directive n’invoque pas d’éléments propres à la situation du demandeur, il découle de l’article 4, paragraphe 3, de celle-ci qu’une telle demande doit faire l’objet d’une évaluation individuelle, aux fins de laquelle il doit être tenu compte de toute une série d’éléments énumérés à cette disposition, dans le cadre d’une prise en compte globale de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce [voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, points 40 et 41].

51      Par ailleurs, en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2011/95, le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes peut, en principe, constituer un indice sérieux du risque réel du demandeur de subir des atteintes graves, de sorte que ces circonstances tenant à la situation personnelle du demandeur doivent toujours être prises en compte lors de l’évaluation de l’existence d’un risque réel de subir l’une des atteintes graves définies à l’article 15 de la même directive, quelle qu’elle soit.

52      Enfin, l’exigence de procéder à l’évaluation d’une demande de protection internationale en prenant en compte l’ensemble des éléments pertinents, dont ceux rappelés au point 49 du présent arrêt, et de coopérer activement avec le demandeur à cette fin, est confirmée à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 67), dès lors qu’il oblige les autorités nationales compétentes, lorsqu’elles examinent si un demandeur de protection internationale a accès à une protection contre, notamment, tout type d’atteinte grave dans une partie du pays d’origine, conformément au paragraphe 1 de cette disposition, à tenir compte tant des conditions générales dans cette partie du pays que de la situation personnelle du demandeur.

53      En troisième et dernier lieu, l’interprétation de l’article 15 de la directive 2011/95 dégagée aux points 43 et 48 du présent arrêt est conforme aux objectifs poursuivis par cette directive, tels que rappelés au point 32 du présent arrêt. En effet, un examen des demandes de protection internationale qui ne tiendrait pas compte de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce et, notamment, de l’ensemble des éléments énumérés à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive, avant d’identifier le type d’atteinte grave définie à l’article 15 de celle‑ci que ces éléments pourraient éventuellement étayer, conduirait à une violation de l’obligation que ladite directive impose aux États membres d’identifier les personnes qui ont réellement besoin de cette protection [voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles »), C‑901/19, EU:C:2021:472, point 44].

54      Une telle interprétation est, par ailleurs, conforme à l’article 4 et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, qui portent, respectivement, sur l’interdiction de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ainsi que sur la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition, évoqués par la juridiction de renvoi. À cet égard, il convient, toutefois, d’observer que, si les droits fondamentaux garantis à ces dispositions doivent certes être respectés lors de la mise en œuvre de la directive 2011/95 et donc également lors de l’évaluation des demandes de protection subsidiaire au regard de l’article 15 de celle-ci, lesdites dispositions n’apportent pas, dans le cadre de la réponse à la présente question préjudicielle, d’enseignement spécifique supplémentaire quant à la portée de l’exigence de procéder systématiquement à l’examen de tous les éléments pertinents, se rapportant tant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, lors d’une telle évaluation (voir, par analogie, arrêts du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 129, et du 4 octobre 2018, Ahmedbekova, C‑652/16, EU:C:2018:801, point 64).

55      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 15 de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si un demandeur de protection internationale peut bénéficier de la protection subsidiaire, l’autorité nationale compétente doit examiner tous les éléments pertinents, se rapportant tant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, avant d’identifier le type d’atteinte grave que ces éléments permettent éventuellement d’étayer.

 Sur la deuxième question

56      La deuxième question n’est posée que dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question. Cela étant, si la réponse à la seconde partie de la deuxième question découle, en effet, de la réponse affirmative apportée à la première question, en ce sens que les circonstances relatives au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur peuvent s’avérer pertinentes dans l’examen du bien‑fondé d’une demande de protection internationale au regard tant de l’article 15, sous b), que de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95, il n’en demeure pas moins que la première partie de la deuxième question conserve sa pertinence.

57      En effet, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, afin d’apprécier l’existence d’un risque réel de subir des « menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne », au sens de l’article 15, sous c), de cette directive, l’autorité nationale compétente doit prendre en compte, parmi les divers éléments pertinents relatifs au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur, des éléments supplémentaires par rapport à la simple circonstance que le demandeur provient d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment de son arrêt du 17 juillet 2008, NA. c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115), à savoir de la zone dans laquelle le degré de violence atteint un niveau tel que l’expulsion d’une personne vers ce pays constitue une violation de la prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants garantie à l’article 3 de la CEDH.

58      Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, sous c), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier l’existence d’un risque réel de subir une atteinte grave telle que définie à cette disposition, l’autorité nationale compétente doit pouvoir prendre en compte des éléments relatifs au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur autres que la simple circonstance de provenir d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de l’arrêt de la Cour EDH du 17 juillet 2008, NA. c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115).

59      À cet égard, il convient d’emblée de relever que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est, en principe, pertinente pour l’interprétation de l’article 15 de la directive 2011/95. En effet, d’une part, il ressort de l’article 6, paragraphe 3, TUE que le droit fondamental garanti à l’article 3 de la CEDH fait partie des principes généraux du droit de l’Union, dont la Cour assure le respect. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme doit donc être prise en considération pour l’interprétation de la portée de ce droit dans l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, point 28).

60      D’autre part, il ressort du considérant 16 de la directive 2011/95 que l’interprétation des dispositions de celle-ci doit être effectuée dans le respect des droits fondamentaux reconnus par la Charte, dont notamment l’article 4 de celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2018, MP (Protection subsidiaire d’une victime de tortures passées), C‑353/16, EU:C:2018:276, point 36]. Or, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dès lors que les droits garantis à l’article 4 de celle-ci correspondent à ceux garantis à l’article 3 de la CEDH, le sens et la portée de ces droits sont les mêmes que ceux que leur confère ledit article 3 [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 60 et jurisprudence citée], ce qui ne fait pas toutefois obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue auxdits droits. Dans l’interprétation de l’article 4 de la Charte il convient donc de tenir compte de l’article 3 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que seuil de protection minimale [voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 41 et jurisprudence citée].

61      Par ailleurs, il ressort des explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), que le droit figurant à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, aux termes duquel nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, incorpore la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la CEDH, auquel cet article 19, paragraphe 2, correspond en substance (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, M’Bodj, C‑542/13, EU:C:2014:2452, point 38 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 47). Cette jurisprudence est, dès lors, également pertinente pour l’interprétation de ce droit.

62      Cela étant, la Cour a déjà jugé que c’est l’article 15, sous b), de la directive 2011/95 qui correspond, en substance, à l’article 3 de la CEDH. En revanche, l’article 15, sous c), de cette directive est une disposition dont le contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et dont l’interprétation doit donc être effectuée de manière autonome, afin, notamment, d’assurer un champ d’application propre à cette disposition, tout en respectant les droits fondamentaux garantis par la Charte et la CEDH (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, points 28 et 36).

63      À cet égard, il convient de relever que l’article 15, sous c), de la directive 2011/95 couvre, certes, la situation exceptionnelle dans laquelle le degré de violence aveugle résultant d’un conflit armé interne ou international est tel qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ce pays ou de cette région, un risque réel de subir des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne.

64      Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 42 du présent arrêt, cette disposition est susceptible de couvrir également d’autres situations, dans lesquelles la combinaison, d’une part, d’un degré de violence aveugle moins élevé que celui caractérisant une telle situation exceptionnelle et, d’autre part, d’éléments propres à la situation personnelle du demandeur est de nature à concrétiser le risque réel de subir des menaces graves et individuelles, au sens de ladite disposition.

65      Il s’ensuit que, dans ces autres situations, les éléments tenant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur que l’autorité nationale compétente doit prendre en compte vont nécessairement au‑delà du fait de provenir d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et notamment de son arrêt du 17 juillet 2008, NA. c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115).

66      Ainsi, tout en étant pleinement compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2009, Elgafaji, C‑465/07, EU:C:2009:94, point 44), l’interprétation de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95, dégagée par la Cour, accorde aux demandeurs de protection internationale une protection plus étendue que celle offerte par ledit article 3.

67      Eu égard aux interrogations soulevées par la juridiction de renvoi et rappelées au point 19 du présent arrêt, il convient encore de préciser que la liste d’éléments pertinents tenant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur contenue à l’article 4, paragraphe 3, sous c), de cette directive ne revêt pas un caractère exhaustif, de telle sorte que, dans les situations visées au point 64 du présent arrêt, l’autorité nationale compétente pour l’octroi de la protection subsidiaire doit procéder à une appréciation au cas par cas, en tenant compte, le cas échéant, de tout autre élément tenant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur susceptible de contribuer à concrétiser le risque réel de subir une atteinte grave telle que définie à l’article 15, sous c), de ladite directive, compte tenu du degré de violence aveugle dans le pays ou dans la région concernés. Dans ce contexte, pourraient notamment être considérés comme étant pertinents des éléments propres à la vie privée, familiale ou professionnelle du demandeur dont il peut être raisonnablement présumé qu’ils augmenteront le risque que ce dernier subisse une telle atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle.

68      En outre, il appartient à l’autorité nationale compétente, ainsi qu’il a été rappelé au point 51 du présent arrêt et conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2011/95, de tenir compte de la circonstance que le demandeur a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes en ce sens, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

69      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 15, sous c), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier l’existence d’un risque réel de subir une atteinte grave telle que définie à cette disposition, l’autorité nationale compétente doit pouvoir prendre en compte des éléments relatifs au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur autres que la simple circonstance de provenir d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de l’arrêt de la Cour EDH du 17 juillet 2008, NA. c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115).

 Sur la troisième question

70      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, sous b), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que l’intensité de la violence aveugle régnant dans le pays d’origine du demandeur est susceptible d’affaiblir l’exigence d’individualisation des atteintes graves définies à cette disposition.

71      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 37 à 42 du présent arrêt, les atteintes graves définies à l’article 15, sous b), de la directive 2011/95 présupposent un degré d’individualisation clair.

72      En effet, comme il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, les atteintes relatives au risque de « peine de mort ou [d’]exécution » et de « torture ou [de] traitements ou [de] sanctions inhumains ou dégradants », visées à l’article 15, sous a) et b), de ladite directive, couvrent des situations dans lesquelles le demandeur de la protection subsidiaire est exposé spécifiquement et individuellement au risque d’une atteinte d’un type particulier.

73      Si, ainsi qu’il a été souligné au point 39 du présent arrêt, les éléments pertinents relatifs à la situation générale du pays d’origine du demandeur, dont notamment ceux tenant au niveau général de violence et d’insécurité dans ce pays, doivent également être examinés dans de telles hypothèses, il n’en demeure pas moins que l’existence, dans ledit pays, d’un niveau de violence et d’insécurité, aussi important soit-il, ne saurait affaiblir la portée de la condition selon laquelle, pour qu’il existe un risque réel d’atteintes graves, au sens de l’article 15, sous a) et b), de la directive 2011/95, il doit être démontré, en tenant compte, le cas échant d’un tel niveau de violence, que le demandeur risque réellement d’être exposé spécifiquement et individuellement à de telles atteintes en cas de retour dans le même pays.

74      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 15, sous b), de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que l’intensité de la violence aveugle régnant dans le pays d’origine du demandeur n’est pas susceptible d’affaiblir l’exigence d’individualisation des atteintes graves définies à cette disposition.

 Sur la quatrième question

75      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, sous c), de la directive 2011/95, lu en combinaison avec les articles 1er et 4 ainsi qu’avec l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une situation humanitaire qui est la conséquence directe ou indirecte des actes et/ou des omissions d’un acteur d’atteintes graves infligées dans le cadre d’un conflit armé international ou interne, doit être prise en compte dans l’évaluation d’une demande de protection internationale, au sens de cet article 15, sous c).

76      La Commission européenne soutient que cette question est irrecevable, en faisant, en substance, valoir que, eu égard aux éléments étayant les demandes de protection internationale en cause au principal, la réponse à ladite question n’est pas nécessaire pour résoudre le litige au principal et que, en tout état de cause, la décision de renvoi ne contient pas les informations et les précisions nécessaires à cette fin.

77      Aux termes d’une jurisprudence constante, si les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, il n’en demeure pas moins que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 167 et jurisprudence citée).

78      Ainsi, il est notamment indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous a), du règlement de procédure, que la décision de renvoi contienne un exposé sommaire des faits pertinents tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées (arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 28 et jurisprudence citée).

79      En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé aux points 11, 12 et 15 du présent arrêt, figurent parmi les éléments étayant les demandes de protection internationale en cause au principal, tels qu’ils ont été avancés par les requérants et constatés par l’autorité nationale compétente ainsi que par la juridiction de renvoi, des faits se rapportant au niveau général de violence et d’insécurité en Libye, aux conditions de vie difficiles à Tripoli ainsi qu’à la « situation humanitaire » qui en résulterait.

80      Cependant, il ne découle nullement desdits éléments, tels qu’exposés dans la demande de décision préjudicielle, qu’une telle situation humanitaire soit la conséquence directe ou indirecte des actes et/ou des omissions d’un acteur d’atteintes graves infligées dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, au sens de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95.

81      En outre, la juridiction de renvoi reste en défaut d’indiquer qui serait l’acteur des actes et/ou des omissions en question et en quoi consisteraient ces actes et/ou ces omissions.

82      Il s’ensuit que la juridiction de renvoi n’a pas fait suffisamment apparaître en quoi une réponse à la quatrième question serait nécessaire pour lui permettre de résoudre le litige au principal et qu’elle n’a pas davantage exposé de manière suffisante les données factuelles sur lesquelles cette question est fondée.

83      Dans ces conditions, la quatrième question doit être déclarée comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

84      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 15 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection,

doit être interprété en ce sens que :

afin de déterminer si un demandeur de protection internationale peut bénéficier de la protection subsidiaire, l’autorité nationale compétente doit examiner tous les éléments pertinents, se rapportant tant au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur qu’à la situation générale dans le pays d’origine, avant d’identifier le type d’atteinte grave que ces éléments permettent éventuellement d’étayer.

2)      L’article 15, sous c), de la directive 2011/95

doit être interprété en ce sens que :

afin d’apprécier l’existence d’un risque réel de subir une atteinte grave telle que définie à cette disposition, l’autorité nationale compétente doit pouvoir prendre en compte des éléments relatifs au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur autres que la simple circonstance de provenir d’une zone d’un pays donné où se produisent les « cas les plus extrêmes de violence générale », au sens de l’arrêt de la Cour EDH du 17 juillet 2008, NA. c. RoyaumeUni (CE:ECHR:2008:0717JUD002590407, § 115).

3)      L’article 15, sous b), de la directive 2011/95

doit être interprété en ce sens que :

l’intensité de la violence aveugle régnant dans le pays d’origine du demandeur n’est pas susceptible d’affaiblir l’exigence d’individualisation des atteintes graves définies à cette disposition.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.