Language of document : ECLI:EU:C:2010:10

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 janvier 2010 (*)

«Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Décision de l’État membre concerné de donner son accord au projet de liste des sites d’importance communautaire établi par la Commission – Intérêts et points de vue devant être pris en considération»

Dans l’affaire C‑226/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Oldenburg (Allemagne), par décision du 13 mai 2008, parvenue à la Cour le 26 mai 2008, dans la procédure

Stadt Papenburg

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, MM. C. W. A. Timmermans, K. Schiemann, P. Kūris et L. Bay Larsen (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mars 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour la Stadt Papenburg, par Me K. Füßer, Rechtsanwalt,

–        pour la Bundesrepublik Deutschland, par Me W. Ewer, Rechtsanwalt,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes B. Eggers et D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juillet 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 3, 4, paragraphe 2, et 6, paragraphes 3 et 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 368, ci‑après la «directive habitats»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Stadt Papenburg (ville de Papenburg) à la Bundesrepublik Deutschland, au sujet de l’accord que cet État envisage de donner au projet de liste des sites d’importance communautaire (ci‑après les «SIC») établi par la Commission des Communautés européennes et incluant un site se trouvant sur l’Ems en aval du territoire communal de cette ville.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3        L’article 2, paragraphe 3, de la directive habitats est libellé comme suit:

«Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.»

4        Selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive habitats, un «réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé ‘Natura 2000’, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle».

5        L’article 4, paragraphes 1 et 2, de ladite directive dispose:

«1.      Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. […]

La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. […]

2.      Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 2) et dans le cadre de chacune des neuf régions biogéographiques mentionnées à l’article 1er point c) iii) et de l’ensemble du territoire visé à l’article 2 paragraphe 1, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des sites d’importance communautaire, à partir des listes des États membres, faisant apparaître les sites qui abritent un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.

Les États membres dont les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires et une ou plusieurs espèces prioritaires représentent plus de 5 % du territoire national peuvent, en accord avec la Commission, demander que les critères énumérés à l’annexe III (étape 2) soient appliqués d’une manière plus souple en vue de la sélection de la totalité des sites d’importance communautaire sur leur territoire.

La liste des sites sélectionnés comme sites d’importance communautaire […] est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21».

6        L’annexe III de la directive habitats énonce, à l’étape 2 de celle-ci, intitulée «Évaluation de l’importance communautaire des sites inclus dans les listes nationales»:

«1.      Tous les sites identifiés par les États membres à l’étape 1, qui abritent des types d’habitats naturels et/ou espèces prioritaires, sont considérés comme des sites d’importance communautaire.

2.      L’évaluation de l’importance communautaire des autres sites inclus dans les listes des États membres, c’est-à-dire de leur contribution au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et/ou à la cohérence de Natura 2000, tiendra compte des critères suivants:

a)      la valeur relative du site au niveau national;

b)      la localisation géographique du site par rapport aux voies migratoires d’espèces de l’annexe II ainsi qu’à son éventuelle appartenance à un écosystème cohérent situé de part et d’autre d’une ou de plusieurs frontières intérieures à la Communauté;

c)      la surface totale du site;

d)      le nombre de types d’habitats naturels de l’annexe I et d’espèces de l’annexe II présents sur le site;

e)      la valeur écologique globale du site pour la ou les régions biogéographiques concernées et/ou pour l’ensemble du territoire visé à l’article 2 tant par l’aspect caractéristique ou unique des éléments le composant que par leur combinaison.»

7        L’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive habitats prévoit:

«2.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.      Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.      Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur.»

 Le droit national

8        L’article 28, paragraphe 2, de la loi fondamentale (Grundgesetz) est rédigé comme suit:

«Le droit de régler, sous leur propre responsabilité, toutes les affaires de la communauté locale dans les limites de la loi doit être garanti aux communes. Les groupements de communes ont également le droit d’auto-administration dans le cadre de leurs attributions légales et dans les conditions définies par la loi. La garantie d’auto-administration englobe également les bases de l’autonomie financière, notamment le droit pour les communes d’assurer leurs ressources fiscales et de fixer le taux d’imposition en fonction du potentiel économique des contribuables.»

9        La juridiction de renvoi interprète cette disposition en ce sens que l’autonomie administrative garantie constitutionnellement aux communes leur confère un droit à ce que leurs intérêts soient pris en considération lorsque des mesures dont la portée excède le territoire communal ont une incidence durable sur leur développement ou perturbent durablement des plans suffisamment concrets et sérieux. Cela vaut également pour les mesures mises en œuvre en dehors du territoire communal, pour autant que la commune soit visiblement et spécialement touchée.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      La Stadt Papenburg est une ville portuaire du Land de Basse-Saxe située sur les rives de l’Ems où se trouve un chantier naval.

11      Pour permettre à des bateaux dont le tirant d’eau s’élève à 7,3 mètres de naviguer entre le chantier naval et la mer du Nord, l’Ems doit être approfondi par des «dragages nécessaires». Par une décision du 31 mai 1994, de la Wasser-und Schifffahrtsdirektion Nordwest (direction des eaux et de la navigation du Nord-Ouest), la Stadt Papenburg, le Landkreis Emsland et le Wasser-und Schifffahrtsamt Emden (office des eaux et de la navigation d’Emden) ont été autorisés à effectuer, en cas de besoin, des travaux de dragage de ce fleuve. Ladite décision est définitive et implique, conformément au droit allemand, que les futurs «dragages nécessaires» sont considérés comme étant autorisés.

12      Le 17 février 2006, la Bundesrepublik Deutschland a indiqué à la Commission que des parties de l’Ems situées en aval du territoire communal de la Stadt Papenburg, sous la dénomination «Unterems und Außenems» (Ems inférieur et Ems extérieur), pouvaient être retenues en tant que SIC potentiel au sens de la directive habitats.

13      La Commission a inscrit ces parties de l’Ems dans son projet de liste des SIC. Elle a demandé à la Bundesrepublik Deutschland de donner son accord à cet égard, conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats.

14      Le 20 février 2008, la Stadt Papenburg a formé, devant le Verwaltungsgericht Oldenburg, un recours visant à empêcher que la Bundesrepublik Deutschland ne donne son accord. Elle a fait valoir qu’un accord de la part de cet État membre constituerait une violation de l’autonomie administrative dont elle dispose en vertu du droit constitutionnel allemand.

15      Selon la Stadt Papenburg, ses plans et ses investissements ainsi que son développement économique en tant que ville portuaire abritant un chantier naval sont tributaires de la possibilité qu’elle offre aux grands navires de continuer à pouvoir naviguer sur l’Ems. Elle craint que, en cas d’inscription de l’Unter-und Außenems sur la liste des SIC, les dragages nécessaires à cet effet ne soient obligatoirement soumis à l’avenir, et dans chaque cas, à l’évaluation prévue à l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats.

16      La Bundesrepublik Deutschland conclut au rejet du recours. Elle soutient que la prise en considération des intérêts dont se prévaut la Stadt Papenburg lors de la décision relative à l’accord en cause au principal constituerait une violation du droit communautaire. En application de l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats, l’État membre ne pourrait prendre sa décision à cet égard que sur la base de critères environnementaux.

17      Par ordonnance du 31 mars 2008, passée en force de chose jugée, le Verwaltungsgericht Oldenburg a accueilli la demande en référé présentée par la Stadt Papenburg et interdit à la Bundesrepublik Deutschland de donner son accord avant qu’il n’ait été statué sur le recours.

18      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Oldenburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la [directive habitats] autorise-t-il un État membre à refuser, pour des motifs autres que des motifs de protection de l’environnement, de donner son accord au projet de liste des sites d’importance communautaire établi par la Commission en ce qui concerne un ou plusieurs sites?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question: les intérêts des communes et des groupements de communes, en particulier leurs plans et projets de plans et d’autres intérêts liés au développement ultérieur de leur site, comptent-ils également parmi ces motifs?

3)      En cas de réponse affirmative à la première et à la deuxième question: le troisième considérant ou l’article 2, paragraphe 3, de la [directive habitats], ou d’autres prescriptions de droit communautaire exigent-ils même que les États membres et la Commission tiennent compte de tels motifs lors de l’approbation et de l’établissement de la liste des sites d’importance communautaire?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question: une commune concernée par l’inscription sur la liste d’un site donné pourrait-elle faire valoir en justice, en se fondant sur le droit communautaire, après l’adoption définitive de la liste, que cette dernière est contraire au droit communautaire parce que ses intérêts n’ont pas été pris en considération, ou ne l’ont pas été suffisamment?

5)      Faut-il soumettre des travaux d’entretien continus effectués dans le chenal navigable d’estuaires qui ont déjà été définitivement approuvés en vertu du droit national avant l’expiration du délai de transposition de la [directive habitats] à une évaluation de leur incidence sur le site en application de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de ladite directive en cas de poursuite de ces travaux après l’inscription du site sur la liste des sites d’importance communautaire?»

 Sur la demande tendant à la réouverture de la procédure orale

19      Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 septembre 2009, la Stadt Papenburg a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 61 du règlement de procédure.

20      Au soutien de sa demande, la Stadt Papenburg indique que Mme l’avocat général a, dans ses conclusions, articulé la réponse qu’elle propose à la Cour d’apporter à la cinquième question préjudicielle autour d’une description d’éléments factuels de nature à induire la Cour en erreur. En particulier, la Stadt Papenburg souligne que, contrairement à ce que laisserait entendre Mme l’avocat général, la décision d’approbation de la Wasser-und Schifffahrtsdirektion Nordwest, du 31 mai 1994, par laquelle la Stadt Papenburg, le Landkreis Emsland et le Wasser-und Schifffahrtsamt Emden ont été autorisés à effectuer des travaux de dragage de l’Ems lorsque cela s’avère nécessaire n’est pas la première décision de ce type s’agissant de la navigabilité de l’Ems. Par ailleurs, il n’y aurait pas lieu de considérer que l’Ems est un fleuve qui, à l’état naturel, permet la navigation des bateaux d’un tirant d’eau de 6,3 mètres. Une telle situation serait le résultat de dragages autorisés précédemment. Enfin, la Stadt Papenburg conteste également les arguments invoqués par Mme l’avocat général à l’appui de sa réponse à la première question.

21      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2008, Burda, C‑284/06, Rec. p. I‑4571, point 37, ainsi que du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, non encore publié au Recueil, point 31).

22      En l’occurrence, il apparaît que, par ses allégations, la Stadt Papenburg fait valoir, en substance, d’une part, que certains éléments factuels sur lesquels repose l’analyse de Mme l’avocat général sont inexacts et, d’autre part, que la prise de position de celle-ci concernant l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats est erronée.

23      S’agissant du premier point, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 234 CE, fondé sur une nette séparation de fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, celle-ci est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte communautaire, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêts du 16 mars 1978, Oehlschläger, 104/77, Rec. p. 791, point 4, ainsi que du 16 septembre 1999, WWF e.a., C‑435/97, Rec. p. I‑5613, point 31), ceux-ci devant, en combinaison avec les éléments de droit fournis par la juridiction de renvoi, permettre à la Cour de répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir en ce sens, notamment, arrêt du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, point 28).

24      Or, force est de constater que la décision de renvoi contient tous les éléments d’information nécessaires pour que la Cour puisse répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées et, notamment, à la première question.

25      S’agissant du second point, il suffit de constater que la demande de la Stadt Papenburg ne comporte aucun élément qui ferait apparaître l’utilité ou la nécessité d’une réouverture de la procédure orale.

26      Dès lors, la Cour, l’avocat général entendu, décide qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la procédure orale.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

27      Il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats prévoit que, sur la base des critères établis à l’annexe III, étape 2, de celle-ci, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des SIC pour chacune des régions biogéographiques mentionnées à l’article 1er, point c), sous iii), de cette directive, à partir des listes des États membres.

28      L’annexe III de la directive habitats, qui traite des critères de sélection des sites susceptibles d’être identifiés comme SIC et désignés comme zones spéciales de conservation, énumère, en ce qui concerne l’étape 2 figurant à ladite annexe, des critères d’évaluation de l’importance communautaire des sites inclus dans les listes nationales.

29      Or, ces critères d’évaluation ont été définis en fonction de l’objectif de conservation des habitats naturels ou de la faune et de la flore sauvages figurant respectivement à l’annexe I ou à l’annexe II de la directive habitats, ainsi que de l’objectif de cohérence de Natura 2000, à savoir le réseau écologique européen de zones spéciales de conservation prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive habitats.

30      Il s’ensuit que l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats, en tant que tel, ne prévoit pas la prise en compte d’exigences autres que celles tenant à la conservation des habitats naturels ainsi que de la flore et de la faune sauvages ou à la constitution du réseau Natura 2000 lors de l’établissement par la Commission, en accord avec chacun des États membres, d’un projet de liste des SIC.

31      Si, dans la phase de la procédure de classement, régie par l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats, il était permis aux États membres de refuser leur accord pour des motifs autres que ceux relevant de la protection de l’environnement, serait alors mise en péril la réalisation de l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive habitats, à savoir la constitution du réseau Natura 2000, qui est formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des habitats des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive, et qui doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

32      Tel serait, en particulier, le cas si les États membres pouvaient refuser leur accord en raison des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales, auxquelles renvoie l’article 2, paragraphe 3, de la directive habitats, qui, au demeurant, ne constitue pas, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 38 de ses conclusions, une dérogation autonome au régime général de protection mis en place par cette directive.

33      Il y a donc lieu de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive habitats doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas un État membre à refuser, pour des motifs autres que ceux relevant de la protection de l’environnement, de donner son accord s’agissant de l’inclusion d’un ou de plusieurs sites dans le projet de liste des SIC établi par la Commission.

 Sur les deuxième à quatrième questions

34      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions.

 Sur la cinquième question

35      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des travaux d’entretien continus du chenal navigable de l’estuaire concerné par le litige au principal, qui ne sont pas directement liés ou nécessaires à la gestion du site et qui ont déjà été approuvés en vertu du droit national avant l’expiration du délai de transposition de la directive habitats, doivent, dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter le site concerné de manière significative, être soumis à une évaluation de leur incidence sur ce site en application de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats en cas de poursuite de ces travaux après l’inscription, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive, du site sur la liste des SIC.

36      En vertu de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive habitats, un plan ou un projet susceptible d’affecter le site concerné de manière significative ne peut pas être autorisé sans une évaluation préalable de ses incidences sur celui‑ci (arrêt du 7 septembre 2004, Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C‑127/02, Rec. p. I‑7405, point 22).

37      Dès lors, il convient, d’abord, d’examiner si les travaux de dragage en cause au principal relèvent de la notion de «plan» ou de «projet» figurant à l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive habitats.

38      À cet égard, il importe de rappeler que la Cour, ayant constaté que la directive habitats ne définit pas les notions de «plan» et de «projet», a indiqué que la notion de «projet» figurant à l’article 1er, paragraphe 2, second tiret, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO L 175, p. 40), est pertinente en vue de dégager la notion de «plan» ou de «projet» au sens de la directive habitats (arrêt Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, précité, points 23, 24 ainsi que 26).

39      Or, une activité consistant en des travaux de dragage d’un chenal navigable peut relever de la notion de «projet» au sens de l’article 1er, paragraphe 2, second tiret, de la directive 85/337, qui vise «d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol».

40      Dès lors, une telle activité peut être considérée comme étant couverte par la notion de «projet» figurant à l’article 6, paragraphe 3, de la directive habitats.

41      Ensuite, le fait que ladite activité a été définitivement autorisée en vertu du droit national avant l’expiration du délai de transposition de la directive habitats ne constitue pas, en lui-même, un obstacle à ce qu’elle puisse être considérée, lors de chaque intervention dans le chenal navigable, comme un projet distinct au sens de la directive habitats.

42      S’il en était autrement, lesdits travaux de dragage du chenal concerné, qui ne sont pas directement liés ou nécessaires à la gestion du site, dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter ce dernier de manière significative, seraient a priori soustraits de façon permanente à toute évaluation préalable de leurs incidences sur ce site au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive habitats, ainsi qu’à la procédure prévue au paragraphe 4 de cet article.

43      Aussi, la réalisation de l’objectif de conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages visé par la directive habitats risquerait de ne pas être pleinement assurée.

44      Contrairement à ce que soutiennent la Stadt Papenburg et la Commission, aucune raison tirée des principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime ne s’oppose à ce que les travaux de dragage du chenal en cause dans l’espèce au principal, alors même qu’ils ont été autorisés à titre permanent en vertu du droit national, soient, en tant que projets distincts et successifs, soumis à la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats.

45      S’agissant du principe de sécurité juridique, il exige en particulier qu’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables (arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, Rec. p. I‑4983, point 80). Or, tel est le cas de la directive habitats au regard de la situation en cause au principal.

46      En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, il importe de relever qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’une règle nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne et que le champ d’application du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure (voir, notamment, arrêt du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p. I‑1049, points 50 et 55).

47      Enfin, il convient de relever que si, eu égard notamment à la récurrence, à la nature ou aux conditions d’exécution des travaux d’entretien en cause au principal, ceux-ci peuvent être regardés comme constituant une opération unique, en particulier lorsqu’ils ont pour objectif de maintenir en l’état une certaine profondeur du chenal navigable par des dragages réguliers et nécessaires à cet effet, ces travaux d’entretien peuvent être considérés comme un seul et même projet au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive habitats.

48      Dans ce cas, un tel projet ayant été autorisé antérieurement à la date d’expiration du délai de transposition de la directive habitats, il ne serait pas soumis aux prescriptions portant sur la procédure d’évaluation préalable des incidences du projet sur le site concerné, édictées par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2006, Commission/Autriche, C‑209/04, Rec. p. I‑2755, points 53 à 62).

49      Néanmoins, dès lors que le site concerné serait, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive habitats, inscrit sur la liste des sites sélectionnés comme SIC arrêtée par la Commission, l’exécution d’un tel projet tomberait sous le couvert de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, lequel permet de répondre à l’objectif essentiel de la préservation et de la protection de la qualité de l’environnement, y compris de la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, et fixe une obligation de protection générale, consistant à éviter des détériorations ainsi que des perturbations qui pourraient avoir des effets significatifs au regard des objectifs de cette directive (voir arrêts Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, précité, points 37 et 38, ainsi que du 13 janvier 2005, Dragaggi e.a., C‑117/03, Rec. p. I‑167, point 25). Avant que la Commission n’ait arrêté ladite liste, un tel site, dans la mesure où il figurerait déjà sur une liste nationale transmise à la Commission en vue de son inscription sur la liste communautaire, ne devrait pas, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive habitats, être soumis à des interventions risquant de compromettre sérieusement ses caractéristiques écologiques (arrêt du 14 septembre 2006, Bund Naturschutz in Bayern e.a., C‑244/05, Rec. p. I‑8445, points 44 ainsi que 47).

50      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive habitats doit être interprété en ce sens que des travaux d’entretien continus du chenal navigable d’estuaires, qui ne sont pas liés ou nécessaires à la gestion du site et qui ont déjà été approuvés en vertu du droit national avant l’expiration du délai de transposition de la directive habitats, doivent, dans la mesure où ils constituent un projet et sont susceptibles d’affecter le site concerné de manière significative, être soumis à une évaluation de leur incidence sur ce site en application desdites dispositions en cas de poursuite de ces travaux après l’inscription, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive, du site sur la liste des SIC.

51      Si, eu égard notamment à la récurrence, à la nature ou aux conditions d’exécution desdits travaux, ceux-ci peuvent être regardés comme constituant une opération unique, en particulier lorsqu’ils ont pour objectif de maintenir en l’état une certaine profondeur du chenal navigable par des dragages réguliers et nécessaires à cet effet, ces travaux d’entretien peuvent être considérés comme un seul et même projet au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive habitats.

 Sur les dépens

52      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas un État membre à refuser, pour des motifs autres que ceux relevant de la protection de l’environnement, de donner son accord s’agissant de l’inclusion d’un ou de plusieurs sites dans le projet de liste des sites d’importance communautaire établi par la Commission européenne.

2)      L’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2006/105, doit être interprété en ce sens que des travaux d’entretien continus du chenal navigable d’estuaires, qui ne sont pas liés ou nécessaires à la gestion du site et qui ont déjà été approuvés en vertu du droit national avant l’expiration du délai de transposition de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2006/105, doivent, dans la mesure où ils constituent un projet et sont susceptibles d’affecter le site concerné de manière significative, être soumis à une évaluation de leur incidence sur ce site en application desdites dispositions en cas de poursuite de ces travaux après l’inscription, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive, du site sur la liste des sites d’importance communautaire.

Si, eu égard notamment à la récurrence, à la nature ou aux conditions d’exécution desdits travaux, ceux-ci peuvent être regardés comme constituant une opération unique, en particulier lorsqu’ils ont pour objectif de maintenir en l’état une certaine profondeur du chenal navigable par des dragages réguliers et nécessaires à cet effet, ces travaux d’entretien peuvent être considérés comme un seul et même projet au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2006/105.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.