Language of document : ECLI:EU:C:2020:1022

ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

10 décembre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – État d’urgence sanitaire national – Continuité de l’activité judiciaire – Report des audiences – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel et réglementaire du litige au principal ainsi que les raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑220/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Giudice di pace di Lanciano (juge de paix de Lanciano, Italie), par décision du 18 mai 2020, parvenue à la Cour le 28 mai 2020, dans la procédure

XX

contre

OO,

en présence de :

WW,

XC,

VS,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. E. Juhász et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 9 TUE ainsi que de l’article 67, paragraphes 1 et 4, et des articles 81 et 82 TFUE, lus en combinaison avec les articles 1er, 6, 20, 21, 31, 34, 45 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XX à OO au sujet d’une demande en réparation de dommages prétendument causés à XX par OO lors d’un accident de la circulation.

 Le droit italien

3        Par la delibera del Consiglio dei Ministri – Dichiarazione dello stato di emergenza in conseguenza del rischio sanitario connesso all’insorgenza di patologie derivanti da agenti virali trasmissibili (délibération du Conseil des ministres portant déclaration de l’état d’urgence du fait du risque sanitaire lié à la survenance de pathologies dues à des agents viraux transmissibles), du 31 janvier 2020 (GURI no 26, du 1er février 2020, p. 7), le gouvernement italien a déclaré l’état d’urgence du fait du risque sanitaire (ci-après l’« état d’urgence sanitaire ») pour une durée de six mois allant jusqu’au 31 juillet 2020.

4        Par l’article 14, paragraphe 4, du decreto-legge n. 34 – Misure urgenti in materia di salute, sostegno al lavoro e all’economia, nonché di politiche sociali connesse all’emergenza epidemiologica da COVID‑19 (décret-loi no 34, portant mesures urgentes en matière de santé, de soutien au travail et à l’économie, ainsi que de politiques sociales par suite de la situation épidémiologique liée à la COVID‑19), du 19 mai 2020 (supplément ordinaire à la GURI no 128, du 19 mai 2020, ci-après le « décret-loi n° 34/2020 »), la durée initiale de l’état d’urgence sanitaire a été prorogée de six mois, soit jusqu’au 31 janvier 2021.

5        Dans ce cadre, diverses dispositions d’urgence ont été adoptées par le législateur italien, lesquelles ont, en particulier, restreint l’activité judiciaire en matière civile et pénale, puis l’ont suspendue pour la période allant du 9 mars au 11 mai 2020, un nombre limité d’affaires considérées comme présentant une urgence particulière ayant cependant été exemptées de cette suspension.

6        Parmi ces dispositions figure le decreto-legge n. 18 – Misure di potenziamento del Servizio sanitario nazionale e di sostegno economico per famiglie, lavoratori e imprese connesse all’emergenza epidemiologica da COVID‑19 (décret-loi no 18, portant mesures de renforcement du service de santé national et mesures de soutien économique aux familles, aux travailleurs et aux entreprises, liées à la crise épidémiologique de la COVID‑19), du 17 mars 2020 (GURI no 70, du 17 mars 2020, p. 1), converti en loi, avec modifications, par la loi no 27 du 24 avril 2020 (supplément ordinaire à la GURI n° 110, du 29 avril 2020)  et modifié par le décret-loi no 28/2020 du 30 avril 2020 (GURI no 111, du 30 avril 2020, p. 1) (ci-après le « décret-loi no 18/2020 »).

7        Le décret-loi no 18/2020 comporte une série de mesures portant sur l’activité judiciaire, notamment des mesures d’organisation relatives au traitement des affaires pénales et civiles visant, en particulier, à assurer la poursuite de l’activité juridictionnelle, dans la mesure requise par la nature des affaires et dans des conditions conformes aux règles d’hygiène et de prévention adoptées par les autorités sanitaires.

8        Le paragraphe 7 de l’article 83 de ce décret-loi prévoit, notamment, au point d), l’adoption de lignes directrices contraignantes pour la fixation et la tenue des audiences, au point e), la tenue à huis clos de toutes les audiences pénales publiques ou de comparution ainsi que des audiences civiles publiques, au point f), la tenue des audiences civiles qui n’exigent pas la présence physique d’autres personnes que les parties et leurs avocats respectifs par tout moyen de communication à distance répondant aux exigences applicables, selon des modalités propres à garantir le respect du contradictoire ainsi qu’une participation effective des parties, la présence du juge dans les locaux de la juridiction étant requise, au point g), le report des audiences civiles et pénales à une date postérieure au 31 juillet 2020, à l’exception des affaires présentant un caractère d’urgence particulière visées au paragraphe 3 de ce même article, et, au point h), la tenue des audiences civiles qui n’exigent pas la présence physique d’autres personnes que les avocats des parties par voie électronique, sous forme de dépôt et d’échange de notes écrites limitées aux seules demandes et conclusions, le juge statuant ultérieurement, hors audience.

9        En ce qui concerne le régime applicable aux personnels des administrations publiques, dont le personnel des juridictions, les modalités du régime dit du « travail souple » (« lavoro agile »), visé à l’article 87, paragraphe 1, deuxième phrase, du décret-loi no 18/2020, s’appliquent aussi longtemps que perdurera la situation de crise sanitaire, les personnels concernés exerçant alors, en principe, leurs fonctions à domicile, conformément à cette disposition.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      Par acte du 12 juin 2019, XX a cité OO à comparaître devant le Giudice di pace di Lanciano (juge de paix de Lanciano, Italie), la juridiction de renvoi, en vue d’obtenir la condamnation de OO à l’indemnisation des préjudices que XX prétend avoir subis à l’occasion d’un accident de la circulation survenu le 31 octobre 2018. Dans son acte de comparution du 3 septembre 2019, OO, soutenant que la responsabilité de cet accident devait être attribuée à WW, a appelé cette dernière partie à la cause. Par ordonnance du 22 mai 2020, parvenue à la Cour le 28 mai 2020, la juridiction de renvoi a admis XC et VS à intervenir dans cette procédure.

11      Cette juridiction, qui siège en tant que juge unique (ci-après le « juge de renvoi »), indique qu’elle avait ordonné, dans le cadre de l’instruction de cette affaire, la comparution personnelle des parties lors d’une audience initialement fixée le 4 mai 2020. Le juge de renvoi expose que, cependant, en raison de la crise provoquée par la pandémie de COVID‑19, le législateur italien a adopté, au titre de l’état d’urgence sanitaire instauré le 31 janvier 2020, diverses mesures d’urgence, dont celles relatives au fonctionnement des juridictions visées aux points 5 à 9 de la présente ordonnance, qui l’ont conduit à reporter cette audience dans un premier temps au 1er juin 2020, puis, dans un second temps, à une date ultérieure indéterminée, mais postérieure au 31 août 2020.

12      En ce qui concerne la mise en œuvre de ces mesures d’urgence dans le cadre de ses propres activités judiciaires, le juge de renvoi estime que, compte tenu des lignes directrices adoptées par le président du Tribunale di Lanciano (tribunal de Lanciano, Italie) au titre de l’article 83, paragraphe 7, sous d), du décret-loi n° 18/2020 ainsi que des moyens matériels et humains dont il dispose, le report des audiences à une date ultérieure, en application de l’article 83, paragraphe 7, sous g), de ce même décret-loi – telle qu’ordonnée dans l’affaire en cause devant lui –, représente la seule solution envisageable, en pratique, aux fins du traitement des affaires qui lui ont été attribuées, eu égard à leur objet.

13      En effet, parmi les modalités procédurales prévues à l’article 83, paragraphe 7, du décret-loi no 18/2020, seule la tenue des audiences par tout moyen agréé de communication à distance, visée à cette disposition, au point f), serait théoriquement envisageable en ce qui concerne les affaires civiles relevant de la compétence des juges de paix de Lanciano. Toutefois, l’absence d’équipement informatique à la disposition de la justice de paix et de dématérialisation de la procédure civile ferait obstacle à la tenue de telles « audiences à distance ». À cela s’ajouterait l’insuffisance des accès à distance accordés au personnel du greffe, alors que celui-ci continuerait à exercer ses fonctions, en principe, à domicile selon le régime dit du « travail souple ».

14      À cet égard, le juge de renvoi précise aussi que, d’une part, du fait de l’absence d’informatisation de la justice de paix, les conditions pour pouvoir traiter les affaires selon les modalités prévues au point h) de cet article 83, paragraphe 7, ne sont pas réunies et, d’autre part, la tenue d’audiences suivant le mode d’organisation prévu au point e) dudit article 83, paragraphe 7, n’est pas non plus envisageable, considérant l’impossibilité de respecter les conditions d’hygiène imposées – les dispositifs de protection et de prévention de la contagion prévus par les protocoles sanitaires du Ministero della Salute (ministère de la Santé, Italie) n’ayant pas été fournis aux juridictions – et ce mode d’organisation étant, en tout état de cause, réservé aux affaires qualifiées « d’urgentes » par l’article 83, paragraphe 3, du décret-loi n° 18/2020, dont aucune ne relèverait de la justice de paix de Lanciano.

15      Confronté à une telle situation, le juge de renvoi considère, tout d’abord, que les mesures d’urgence en question portent gravement atteinte à la dignité de sa fonction ainsi qu’à son indépendance. Il se réfère, notamment, au statut particulier du juge de paix, qui, en tant que magistrat onorario, est rémunéré à la tâche sous forme d’indemnité de vacation et serait privé de toute rémunération jusqu’à la reprise des audiences. À cet égard, tout en admettant qu’il est, en principe, admis à solliciter l’obtention du soutien financier mensuel prévu à l’article 119 du décret-loi no 18/2020, il observe que l’octroi d’un tel soutien, pour une durée limitée à trois mois, est subordonné à une suspension effective et généralisée de l’activité judiciaire. S’agissant des juges de paix, une telle suspension n’aurait toutefois pas eu lieu, dans la mesure où ils restent tenus, dans la limite de leurs compétences, d’assurer le traitement des affaires urgentes visées à l’article 83, paragraphe 3, du décret-loi no 18/2020. Or, si certaines de celles-ci relèveraient de la compétence des juges de paix, aucune de celles-ci ne relèverait de la compétence territoriale des juges de paix de Lanciano, de sorte que le juge de renvoi ne pourrait pas satisfaire aux conditions d’octroi de ce soutien financier.

16      Le juge de renvoi estime, ensuite, que les effets de ces mêmes mesures d’urgence portent également gravement atteinte aux droits des parties à ce que leur cause soit entendue de manière équitable et dans un délai raisonnable.

17      Enfin, l’allongement des délais de procédure résultant du report des audiences à une date probablement postérieure au 31 janvier 2021 pourrait l’exposer au risque de voir sa responsabilité engagée du fait du retard en découlant, étant donné qu’il est responsable des rôles qui lui sont attribués et des modalités de tenue et de direction des audiences. Il précise cependant que, dans l’affaire pendante devant lui, le report de l’audience ne relève pas de sa responsabilité, mais résulte du fait que l’avocat de l’une des parties réside en dehors de la région dans laquelle se situe le Tribunale di Lanciano (tribunal de Lanciano).

18      Le juge de renvoi souligne, par ailleurs, que la majeure partie des dispositions de droit interne applicables aux affaires soumises à son examen, y compris au litige dans le cadre duquel il saisit la Cour, résulte de la transposition du droit de l’Union par le législateur italien.

19      Dans ces conditions, le Giudice di pace di Lanciano (juge de paix de Lanciano) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, telle que rectifiée par une ordonnance de ce dernier du 22 mai 2020 :

« L’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 9 TUE, l’article 67, paragraphes 1 et 4, [ainsi que] les articles 81 et 82 [TFUE], lus en combinaison avec les articles 1er, 6, 20, 21, 31, 34, 45 et 47 de la [Charte], s’opposent-ils à des dispositions de droit interne telles que les articles 42, 83 et 87 du décret-loi no 18/2020, la délibération du Conseil des ministres du 31 janvier 2020 [mentionnée au point 3 de la présente ordonnance] qui a déclaré l’état d’urgence sanitaire national pour six mois jusqu’au 31 juillet 2020 et les articles 14 et 263 du [décret-loi no 34/2020], qui ont prorogé l’état d’urgence national dû à la COVID‑19 et la paralysie de la justice civile et pénale [ainsi que] du travail administratif des juridictions italiennes jusqu’au 31 janvier 2021, dispositions lues en combinaison, en ce qu’elles enfreignent l’indépendance du juge de renvoi et le principe du procès équitable ainsi que les droits, qui y sont liés, de la dignité des personnes, de la liberté et de la sécurité, de l’égalité devant la loi, de la non‑discrimination, de conditions de travail équitables et justes, de l’accès aux prestations de sécurité sociale, de la liberté de circulation et de séjour ?

Plus précisément, le gouvernement italien a-t-il violé l’indépendance du juge de [renvoi] et le droit à un procès équitable des parties au présent litige et à toutes les affaires pendantes devant le juge de [renvoi], dès lors que se sont produites les conditions juridiques et factuelles suivantes :

–        le 31 janvier 2020, par une décision adoptée sans la concertation obligatoire avec les régions et en utilisant une procédure qui n’est pas prévue par le droit interne pour une crise sanitaire, le Conseil des ministres a déclaré l’état d’urgence national dû à la COVID‑19 pour une durée de six mois, jusqu’au 31 juillet 2020, en concentrant entre les mains de la présidence du Conseil des ministres la compétence d’adopter toutes les dispositions pour faire face à une situation épidémiologique à ce moment inexistante sur le territoire national, sans allouer les moyens économiques appropriés à la crise déclarée ;

–        par un décret d’urgence, le gouvernement italien a suspendu, pour la période allant du 9 mars au 11 mai 2020, l’activité judiciaire en matière civile et pénale, à l’exception d’un très petit nombre d’affaires qualifiées d’urgentes sur le plan législatif et non selon l’évaluation du juge, affaires qui ont été traitées en audience publique sans prévoir de mesures spécifiques pour contenir la contagion de la COVID‑19, alors que l’activité du juge de [renvoi] a été intégralement suspendue, en l’absence de possibilité de traiter des affaires urgentes relevant de la catégorie prévue par le législateur ;

–        du 9 mars au 11 mai 2020, le gouvernement italien n’a pas pourvu à l’assainissement et à la désinfection extraordinaire des juridictions, des locaux et du matériel utilisés par l’administration judiciaire, ni à l’achat du matériel hygiénique et sanitaire et des dispositifs de protection individuels, ni à l’achat du matériel informatique et des licences d’utilisation nécessaires pour informatiser aussi la justice civile et pénale dans les justices de paix, alors que, pour prendre des mesures destinées à contenir le virus et reprendre l’activité judiciaire ordinaire, le Ministero della giustizia [(ministère de la Justice, Italie)] disposait de moyens financiers d’un montant très élevé et à utiliser immédiatement, en dérogation aux règles du droit de l’Union [et du droit] national en matière de marchés publics, sans obligation comptable et administrative en matière d’emploi des fonds publics et sans contrôle de la Corte dei conti [(cour des comptes, Italie)] ;

–        pour la période allant du 12 mai au 31 juillet 2020, en matière civile et pénale, c’est-à-dire des matières relevant de la compétence du juge de [renvoi], à l’exception de la catégorie restreinte des affaires urgentes comme celles qui avaient déjà été traitées en audience publique pendant la période allant du 9 mars au 11 mai 2020, le gouvernement italien a imposé par un décret d’urgence, pour les très rares audiences qui devraient être tenues, des modes d’organisation soit impossibles à mettre en œuvre, comme la procédure à distance, du fait des carences structurelles du système informatique et de l’organisation du travail du ministère de la Justice, soit gravement attentatoires aux droits de la défense et au contradictoire des parties, comme les audiences par procédure écrite hors de la présence des avocats et des parties ;

–        pour la période allant du 12 mai 2020 au 31 janvier 2021, en matière civile et pénale, le ministère de la Justice n’a pas permis et ne permettra pas de tenir des audiences publiques même à huis clos, à cause de l’impossibilité d’utiliser le personnel administratif des greffes qui se trouve en mode de travail souple sans connexion à distance avec les juridictions, de l’absence d’assainissement et de désinfection extraordinaire des juridictions, des locaux et du matériel utilisés par l’administration judiciaire, de l’absence d’achat de matériel hygiénique et sanitaire et des dispositifs de protection individuels, de l’absence de protocoles prévoyant des mesures destinées à contenir la contagion dans l’exercice de l’activité judiciaire, la responsabilité de tenir (en de rares occasions) ou de ne pas tenir (dans la généralité des cas) les audiences publiques, faute des conditions de sécurité sanitaire et de protection contre la crise de la COVID‑19, étant reportée sur les Capi degli Uffici giudiziari [(chefs de corps des juridictions, Italie)] (présidents de tribunal pour les affaires en première instance) ou sur les différents juges ;

–        pour la période allant du 9 mars 2020 au 31 janvier 2021, le juge de [renvoi] a été placé dans des conditions telles qu’il n’a pu tenir d’audience suivant aucun des modes d’organisation prévus par les décrets d’urgence, que ce soit en audience publique, suivant le mode de la procédure à distance avec salle d’audience virtuelle ou suivant le mode de la procédure écrite en dehors de la présence des avocats et des parties, et il sera contraint de reporter toutes les affaires inscrites sur ses rôles en matière civile et pénale à une date postérieure au 31 août 2020 et, avec la publication du décret-loi [no 34/2020], au 31 janvier 2021 ;

–        à cause de l’absence de toute activité juridictionnelle en termes d’audiences tenues et de décisions de justice rendues pendant la période allant du 9 mars 2020 au 31 janvier 2021, le juge de [renvoi] n’a perçu ni ne percevra aucune indemnité du ministère de la Justice, fût-ce à titre d’aide économique dans le cadre de la crise sanitaire ;

–        enfin, par un décret d’urgence, le gouvernement italien a prorogé pour six mois supplémentaires, jusqu’au 31 janvier 2021, l’état d’urgence national et l’actuelle paralysie de la justice civile et pénale, alors que, depuis le 18 mai 2020, toutes les activités productives et économiques qui se déroulent dans le cadre territorial relevant de la compétence régionale ont repris, et que la libre circulation entre les régions et à l’égard des États [membres] de l’Union, sans obligation de quarantaine, a repris depuis le 3 juin 2020, avec l’adoption de modestes mesures hygiéniques et sanitaires ainsi que de distanciation sociale. »

20      Le juge de renvoi a demandé, en outre, que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

21      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

22      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

23      Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est cependant non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée, et ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:523, point 42).

24      En effet, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45, ainsi que ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:523, point 43).

25      La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence citée, et ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:523, point 44).

26      Dans le cadre d’une telle procédure, il doit ainsi exister entre ce litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48 ainsi que jurisprudence citée, et ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:523, point 45).

27      Par ailleurs, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêts du 26 juillet 2017, Superfoz – Supermercados, C‑519/16, EU:C:2017:601, point 44 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 juillet 2020, Adusbef et Federconsumatori, C‑686/18, EU:C:2020:567, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

28      La Cour insiste également sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. En effet, étant donné que c’est la décision de renvoi qui sert de fondement à la procédure devant la Cour, il est indispensable que le juge national explicite, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, ordonnance du 28 juin 2000, Laguillaumie, C‑116/00, EU:C:2000:350, points 23 et 24, ainsi que arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef et Federconsumatori, C‑686/18, EU:C:2020:567, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

29      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 juillet 2020, Adusbef et Federconsumatori, C‑686/18, EU:C:2020:567, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

30      Aux termes de cet article 94, toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

31      Lesdites exigences sont également rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), dont le point 15 reproduit, en substance, les dispositions dudit article 94.

32      En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points 23 à 31 de la présente ordonnance.

33      D’une part, si cette demande permet de déterminer que l’objet du litige au principal consiste en une demande de réparation de dommages qui auraient été causés lors d’un accident de la circulation impliquant un véhicule automoteur, elle ne contient aucune indication relative aux circonstances de cet accident ou au rôle éventuel que les parties à la procédure pendante devant le juge de renvoi auraient joué dans celui-ci. De plus, elle ne précise pas le fondement juridique de cette demande ni les dispositions nationales susceptibles de s’appliquer afin de résoudre ce litige, le juge de renvoi se limitant à faire état de la nature civile de l’affaire au principal et à relever que la législation interne qu’il aura à appliquer audit litige « découle du processus législatif de transposition du droit de l’Union ».

34      D’autre part, dans la mesure où il ressort de la demande de décision préjudicielle que le juge de renvoi a estimé nécessaire de saisir la Cour de cette demande en raison des modalités organisationnelles dans lesquelles il indique être tenu d’examiner l’affaire au principal, il convient de rappeler que ladite demande porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 9 TUE ainsi que de l’article 67, paragraphes 1 et 4, et des articles 81 et 82 TFUE, lus en combinaison avec les articles 1er, 6, 20, 21, 31, 34, 45 et 47 de la Charte.

35      Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi que le litige au principal présente, que ce soit quant au fond ou quant au régime procédural applicable à son examen, un lien de rattachement avec ces dispositions du traité UE ou du traité FUE ou que le juge de renvoi serait appelé à appliquer l’une quelconque de ces dispositions aux fins de dégager la solution de fond à réserver à ce litige. En outre, il n’en ressort pas davantage qu’une réponse de la Cour à la question préjudicielle serait de nature à pouvoir fournir au juge de renvoi une interprétation du droit de l’Union lui permettant de trancher des questions procédurales de droit national dont il se trouverait saisi avant de pouvoir statuer sur le fond du litige, la décision de renvoi ne contenant aucune indication en ce sens.

36      Dans ces conditions, il s’impose de constater qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il existerait, entre les dispositions du traité UE ou du traité FUE sur lesquelles porte cette question et le litige au principal, un lien de rattachement qui soit propre à rendre l’interprétation sollicitée nécessaire afin que le juge de renvoi puisse, en application des enseignements découlant de l’interprétation demandée, adopter une décision qui serait requise aux fins de statuer sur ce litige. Au contraire, il apparaît de manière manifeste que ladite demande porte non pas sur une interprétation du droit de l’Union qui réponde à un besoin objectif pour la solution dudit litige, mais revêt un caractère général.

37      Au demeurant, la décision de renvoi ne contient aucune explication quant au choix des dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée ou quant aux doutes que le juge de renvoi éprouve à cet égard, celui-ci se limitant à faire état de considérations d’ordre général. En effet, il ressort du libellé de la question préjudicielle que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union devrait lui permettre d’apprécier, en substance, la validité des modalités organisationnelles régissant la tenue des audiences dans les affaires pendantes devant lui, et notamment dans le litige au principal, sur laquelle il s’interroge dans la mesure où lesdites modalités, lues conjointement, enfreindraient « [son] indépendance [...], le principe du procès équitable ainsi que les droits, qui y sont liés, de la dignité des personnes, de la liberté et de la sécurité, de l’égalité devant la loi, de la non‑discrimination, de conditions de travail équitables et justes, de l’accès aux prestations de sécurité sociale, [ainsi que] de la liberté de circulation et de séjour ».

38      Or, pour autant que le juge de renvoi entende, par cette affirmation, ou même par son exposé des effets concrets qui résulteraient des mesures d’urgence relatives au fonctionnement des juridictions adoptées par le législateur italien au titre de l’état d’urgence sanitaire – figurant aux points 12 à 14 de la présente ordonnance –, ou par ses développements relatifs à son indépendance et au droit à une protection juridictionnelle effective – présentés aux points 15 à 17 de la même ordonnance –, justifier du choix des dispositions du traité UE et du traité FUE qu’il vise dans sa question et de la pertinence de celle-ci, il suffit de constater que ces considérations d’ordre général ne comportent aucune référence précise à ces dispositions ni aucune explication claire des motifs pour lesquels il s’interroge sur leur interprétation dans le contexte de l’application de ces mesures d’urgence au litige au principal.

39      Il y a donc lieu de constater que la décision de renvoi ne contient pas davantage l’exposé requis des raisons qui ont conduit le juge de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de ces dispositions du droit de l’Union, ni du lien qu’il établit entre lesdites dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.

40      Par ailleurs, pour autant que la question préjudicielle puisse être considérée comme portant également sur l’interprétation des articles 1er, 6, 20, 21, 31, 34, 45 et 47 de la Charte relatifs, respectivement, à la dignité humaine, au droit à la liberté et à la sûreté, à l’égalité en droit, à la non-discrimination, aux conditions de travail justes et équitables, à la sécurité sociale et à l’aide sociale, à la liberté de circulation et de séjour, ainsi qu’au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, il y a lieu de constater que ce manque d’information ne permet pas non plus à la Cour de se prononcer sur l’applicabilité de ces articles (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 36, ainsi que ordonnance du 15 janvier 2020, Corporate Commercial Bank, C‑647/18, non publiée, EU:C:2020:13, point 37).

41      En effet, l’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 39, ainsi que ordonnance du 15 janvier 2020, Corporate Commercial Bank, C‑647/18, non publiée, EU:C:2020:13, point 40).

42      À cet égard, la seule affirmation du juge de renvoi, selon laquelle la majeure partie des dispositions de droit interne applicables aux affaires soumises à son examen, y compris au litige dans le cadre duquel il saisit la Cour, résulte de la transposition du droit de l’Union par le législateur italien, est manifestement insuffisante pour permettre à la Cour de constater une telle mise en œuvre.

43      L’applicabilité éventuelle des articles de la Charte cités par le juge de renvoi n’aurait pu, le cas échéant, être constatée que si les autres dispositions du droit de l’Union visées dans la question préjudicielle étaient applicables dans l’affaire au principal. Or, pour les raisons indiquées aux points 35 à 39 de la présente ordonnance, cette question est manifestement irrecevable en ce qu’elle vise ces autres dispositions. La demande de décision préjudicielle est, par suite, également manifestement irrecevable dans la mesure où elle doit être comprise comme portant sur lesdites dispositions de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, points 40 et 41, ainsi que ordonnance du 15 janvier 2020, Corporate Commercial Bank, C‑647/18, non publiée, EU:C:2020:13, points 41 et 42).

44      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur la demande de procédure accélérée

45      Compte tenu de l’ensemble de ces considérations et de l’adoption de la présente ordonnance, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Giudice di pace di Lanciano (juge de paix de Lanciano, Italie), par décision du 18 mai 2020, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.