Language of document : ECLI:EU:C:2021:711

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 septembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Droit des sociétés – Offres publiques d’acquisition – Directive 2004/25/CE – Article 5 – Offre obligatoire – Article 4 – Autorité de contrôle – Décision définitive constatant une violation de l’obligation de soumettre une offre publique d’acquisition – Effet contraignant de cette décision dans le cadre d’une procédure de sanction administrative ultérieure engagée par la même autorité – Principe d’effectivité du droit de l’Union – Principes généraux du droit de l’Union – Droits de la défense – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 et 48 – Droit au silence – Présomption d’innocence – Accès à un tribunal indépendant et impartial »

Dans l’affaire C‑546/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), par décision du 16 août 2018, parvenue à la Cour le 23 août 2018, dans la procédure

FN,

GM,

Adler Real Estate AG,

HL,

Petrus Advisers LLP

contre

Übernahmekommission,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour GM, par Mes M. Gall et W. Eigner, Rechtsanwälte,

–        pour Adler Real Estate AG, par Me S. Hödl, Rechtsanwalt,

–        pour HL, par Me C. Diregger, Rechtsanwalt,

–        pour l’Übernahmekommission, par M. M. Winner, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Braun, H. Støvlbæk et H. Krämer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4 et 17 de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO 2004, L 142, p. 12), telle que modifiée par la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014 (JO 2014, L 173, p. 190), lus à la lumière du principe d’effectivité, ainsi que sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FN, GM, Adler Real Estate AG (ci-après « Adler »), HL et Petrus Advisers LLP (ci-après « Petrus ») à l’Übernahmekommission (Commission des offres publiques d’acquisition, Autriche) (ci-après la « Commission des OPA »), au sujet de la légalité des sanctions infligées à FN, GM et HL pour violation de l’obligation de soumettre une offre publique d’acquisition.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 5, 7 et 8 de la directive 2004/25 énoncent :

« (5)      Chaque État membre devrait désigner une ou plusieurs autorités qui contrôlent les aspects des offres relevant de la présente directive et qui veillent au respect par les parties aux offres publiques d’acquisition des règles fixées conformément à la présente directive. Toutes ces autorités devraient coopérer entre elles.

[...]

(7)      Un contrôle devrait pouvoir être exercé par des organismes d’auto‑régulation.

(8)      Conformément aux principes généraux du droit [de l’Union européenne], et notamment au droit à un procès équitable, les décisions d’une autorité de contrôle devraient pouvoir, dans des conditions appropriées, faire l’objet d’un contrôle par une juridiction indépendante. Toutefois, il y a lieu de laisser aux États membres le soin de déterminer s’il convient de prévoir des droits dont on puisse se prévaloir dans le cadre d’une procédure administrative ou judiciaire, qu’il s’agisse d’une procédure engagée contre une autorité de contrôle ou d’une procédure entre les parties à une offre. »

4        L’article 4 de cette directive, intitulé « Autorité de contrôle et droit applicable », prévoit, à ses paragraphes 1, 5 et 6 :

« 1.      Les États membres désignent l’autorité ou les autorités compétentes pour le contrôle d’une offre en ce qui concerne les règles adoptées ou introduites en application de la présente directive. Les autorités ainsi désignées sont des autorités publiques, des associations ou des organismes privés reconnus par le droit national ou par des autorités publiques expressément habilitées à cette fin par le droit national. Les États membres informent la Commission [européenne] de ces désignations en précisant toute répartition éventuelle des fonctions. Les États membres veillent à ce que ces autorités exercent leurs fonctions de manière impartiale et indépendante par rapport à toutes les parties à l’offre.

[...]

5.      Les autorités de contrôle disposent de tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, dont le devoir de veiller à ce que les parties à l’offre respectent les règles adoptées ou introduites en application de la présente directive.

[...]

6.      La présente directive n’affecte pas le pouvoir des États membres de désigner les autorités, judiciaires ou autres, chargées de connaître des litiges et de se prononcer sur les irrégularités commises lors de l’offre, ni le pouvoir des États membres d’arrêter des dispositions précisant si et dans quelles circonstances les parties à l’offre ont le droit d’entamer une procédure administrative ou judiciaire. En particulier, la présente directive n’affecte pas le pouvoir que peuvent avoir les juridictions d’un État membre de refuser de connaître d’un recours et de se prononcer sur le point de savoir si celui-ci affecte le résultat de l’offre. La présente directive n’affecte pas le pouvoir des États membres de déterminer les règles juridiques relatives à la responsabilité des autorités de contrôle ou au règlement des litiges entre les parties à une offre. »

5        L’article 5 de ladite directive, intitulé « Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’une personne physique ou morale détient, à la suite d’une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d’une société au sens de l’article 1er, paragraphe 1, qui, additionnés à toutes les participations en ces titres qu’elle détient déjà et à celles des personnes agissant de concert avec elle, lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de cette société, les États membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société. [...] »

6        Aux termes de l’article 17 de la même directive, intitulé « Sanctions » :

« Les États membres déterminent les sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. [...] »

 Le droit autrichien

 L’ÜbG

7        La directive 2004/25 a été transposée dans le droit autrichien par le Bundesgesetz betreffend Übernahmeangebote (loi fédérale relative aux offres publiques d’acquisition) (BGBl I, no 127/1998, ci-après l’« ÜbG »).

8        L’article 1er, paragraphe 6, de cette loi définit la notion d’« entités juridiques agissant de concert » comme étant les « personnes physiques ou morales qui coopèrent avec l’offrant sur la base d’un accord, afin d’obtenir le contrôle de la société visée ou d’exercer ce contrôle, notamment en coordonnant les droits de vote, ou qui coopèrent sur la base d’un accord avec la société visée, afin de faire échouer l’offre d’acquisition. Si une entité juridique détient une participation de contrôle indirecte ou directe (article 22, paragraphes 2 et 3) dans une ou plusieurs autres entités juridiques, toutes ces entités juridiques sont présumées agir de concert [...] »

9        L’article 22, paragraphe 1, de ladite loi dispose :

« Toute personne qui prend une participation de contrôle indirecte ou directe dans une société visée est tenue d’en informer immédiatement la [Commission des OPA] et, dans un délai de 20 jours boursiers à compter de la prise de contrôle, de présenter une offre conforme aux dispositions de la présente loi fédérale sur l’ensemble des titres de participation dans la société visée. »

10      En vertu de l’article 22a, paragraphe 1, de la même loi, l’« obligation de soumettre une offre, prévue à l’article 22, paragraphe 1, existe également [...] lorsque un groupe d’entités juridiques agissant de concert, qui prennent ensemble une participation de contrôle, est constitué ».

11      L’article 23 de l’ÜbG, intitulé « Imputation de participations et extension des obligations des offrants », prévoit, à son paragraphe 1, que, aux fins de l’application des articles 22 à 22b, il convient d’imputer mutuellement aux « personnes agissant de concert », au sens de l’article 1er, paragraphe 6, les droits de vote qu’ils détiennent.

12      L’article 28, paragraphes 3 et 4, de cette loi définit la Commission des OPA comme une autorité collégiale dont les membres, nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable, sont irrévocables et ne sont soumis à aucune instruction dans l’exercice de leurs fonctions. Les paragraphes 5 et 6 de cet article règlent, respectivement, les incompatibilités dans la nomination des membres de cette commission et la cessation anticipée des fonctions de ceux-ci.

13      L’article 30, paragraphe 2, de ladite loi dispose que l’Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz (loi générale relative aux procédures administratives, ci-après l’« AVG ») s’applique aux procédures engagées devant la Commission des OPA.

14      Aux termes de l’article 33 de la même loi, intitulé « Dispositions spécifiques concernant l’offre obligatoire, la formation des prix et les sanctions civiles », prévoit, à son paragraphe 1, point 2, que la Commission des OPA « peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, constater à l’égard de l’offrant, des entités juridiques agissant de concert avec lui (article 1er, paragraphe 6), de la société visée et des détenteurs de titres de participation dans la société visée, si [...] une offre obligatoire n’a, à tort, pas été présentée ou ordonnée, ou n’a pas fait l’objet d’une notification en bonne et due forme (articles 22 à 25) ».

15      En vertu de l’article 30a et l’article 35, paragraphe 3, de l’ÜbG, un recours contre les décisions de la Commission des OPA rendues à l’issue d’une procédure de constatation peut être introduit devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), alors qu’un recours contre les décisions de cette commission qui sont rendues à l’issue d’une procédure de sanction administrative peut être introduit devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche).

 L’AVG

16      L’article 38 de l’AVG dispose :

« Sauf disposition contraire de la loi, l’autorité peut se prononcer sur les questions préliminaires soulevées dans le cadre de la procédure d’enquête devant être tranchées, en tant que questions principales, par d’autres autorités administratives ou par des juridictions, sur la base de sa propre analyse des circonstances décisives ; elle peut fonder sa décision sur cette évaluation. Toutefois, elle peut également suspendre la procédure jusqu’à ce que la question préliminaire ait été tranchée de façon définitive, lorsque celle-ci fait déjà l’objet d’une procédure pendante devant l’autorité administrative compétente ou la juridiction compétente ou lorsqu’une telle procédure est introduite simultanément. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Par une décision du 22 novembre 2016, la Commission des OPA, désignée, conformément à l’article 4 de la directive 2004/25, en tant qu’autorité pour le contrôle d’une offre, a considéré qu’Adler, Petrus et GM, ainsi que deux autres sociétés (Mountain Peak Trading Limited LLP et Westgrund AG), avaient, à l’automne 2015, « agi de concert », au sens de l’article 1er, paragraphe 6, de l’ÜbG, pour inciter Conwert Immobilien SE (ci-après « Conwert ») à conclure une transaction. Celle-ci aurait conduit à une modification importante de la structure de l’entreprise, avec pour conséquence le renforcement sensible de la participation de son actionnaire principal. Selon cette commission, les droits de vote attachés aux participations d’Adler, de Petrus et de GM dans Conwert auraient dû, en vertu de l’article 23 de l’ÜbG, leur être imputés mutuellement pour la première fois le 29 septembre 2015, date à laquelle l’accord visant à réaliser la transaction aurait été partiellement mis en œuvre. À cette date, ces parties auraient détenu 31,36 % des droits de vote de Conwert, ce qui leur aurait conféré une participation de contrôle dans cette société, au sens de l’article 22 de l’ÜbG. Ladite commission a estimé qu’une telle acquisition aurait dû conduire les parties en cause à présenter une offre publique d’acquisition dans un délai de 20 jours boursiers qui courait à compter de ladite date.

18      Par une ordonnance du 1er mars 2017, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a rejeté le recours formé contre la décision du 22 novembre 2016, laquelle est ainsi devenue définitive.

19      Par la suite, la Commission des OPA a engagé une procédure tendant à l’infliction de sanctions administratives contre GM, HL et FN, ces deux derniers en leur qualité, respectivement, de membre du conseil d’administration d’Adler et de directeur de Petrus à la date de l’infraction constatée.

20      Par des décisions du 29 janvier 2018, la Commission des OPA a infligé à GM, HL et FN des sanctions pécuniaires administratives et a retenu la responsabilité subsidiaire d’Adler et de Petrus pour les amendes infligées à HL et à FN. Ces décisions sont fondées sur les constatations factuelles figurant dans la décision du 22 novembre 2016 et, en particulier, sur la constatation selon laquelle, sur la base d’un accord conclu le 29 septembre 2015, les parties concernées avaient « agi de concert », au sens de l’article 1er, paragraphe 6, de l’ÜbG. En n’ayant pas soumis à la Commission des OPA une offre publique d’acquisition obligatoire dans le délai imparti, GM, HL et FN auraient enfreint les dispositions combinées de l’article 22a, paragraphe 1, et de l’article 22, paragraphe 1, de l’ÜbG.

21      Le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral), devant lequel des recours contre les décisions de la Commission des OPA du 29 janvier 2018 ont été formés, considère que, afin de se prononcer sur ces recours, il lui est nécessaire de lever ses doutes sur la compatibilité, avec le droit de l’Union, de la pratique administrative nationale sur laquelle la Commission des OPA a fondé ses décisions infligeant des sanctions administratives.

22      Cette juridiction relève que, selon le droit autrichien, en particulier l’article 38 de l’AVG, une décision constatant une infraction, telle que celle du 22 novembre 2016, une fois devenue définitive, lie non seulement l’autorité qui l’a prise, mais aussi les autres autorités administratives et juridictionnelles appelées à se prononcer dans d’autres procédures sur la même situation de fait et de droit, à condition qu’il y ait une identité des parties concernées.

23      S’agissant de GM, la juridiction de renvoi considère qu’une telle identité existe entre la procédure de constatation à l’issue de laquelle la décision du 22 novembre 2016 a été adoptée et la procédure de sanction administrative.

24      En ce qui concerne, en revanche, HL et FN, la juridiction de renvoi doute de l’existence d’une identité des parties dans ces deux procédures. Elle fait observer que HL et FN n’étaient pas présents en tant que « parties » lors de la procédure de constatation de l’infraction, mais qu’ils ont seulement agi en tant que représentants, respectivement, d’Adler et de Petrus. Ce statut de « partie » pour HL et FN (en tant que personnes physiques) ne se serait vérifié qu’au cours de la procédure de sanction administrative. Néanmoins, au cours de cette procédure, la Commission des OPA aurait reconnu des « effets contraignants étendus » (erweiterte Bindungswirkung) à la décision du 22 novembre 2016, également à l’égard de HL et de FN.

25      La juridiction de renvoi estime qu’elle pourrait ainsi être amenée à considérer que, dès lors que la décision du 22 novembre 2016 est devenue définitive, celle-ci a un effet contraignant aux fins de la procédure de sanction administrative ultérieure, tant lorsqu’il existe une identité des parties dans les deux procédures que lorsque la personne physique ayant fait l’objet de la procédure de sanction administrative ultérieure n’a pas bénéficié du statut de « partie » à la procédure de constatation de l’infraction et, partant, n’a pas pu bénéficier de tous les droits reconnus à une « partie », y compris le droit au silence, sans préjudice de la voie de recours devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) permettant à ces deux catégories de personnes d’invoquer une violation de leurs droits procéduraux au cours de la procédure de constatation de l’infraction.

26      À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, selon la jurisprudence constitutionnelle nationale, l’accès à un tribunal indépendant disposant d’une compétence de pleine juridiction, en fait et en droit, est assuré devant la Commission des OPA, dans la mesure où celle-ci est une autorité indépendante pouvant être qualifiée de tribunal, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. En conséquence, la limitation de la compétence de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) aux questions de droit, s’agissant du contrôle de la décision constatant l’infraction, prise par la Commission des OPA, serait conforme aux exigences énoncées à l’article 2 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

27      La juridiction de renvoi considère cependant que, dès lors que la Commission des OPA a agi en application du droit de l’Union dans le cadre tant de la procédure de constatation de l’infraction que de la procédure de sanction administrative, la solution de tels litiges devrait tenir compte de ce droit, y compris des droits fondamentaux garantis par la Charte, notamment à l’article 47 de celle-ci.

28      Cette juridiction s’interroge sur la compatibilité, avec les droits de la défense garantis par le droit de l’Union, d’une pratique nationale en vertu de laquelle une décision définitive prise à l’issue d’une procédure de constatation d’une infraction a un effet contraignant dans le cadre d’une procédure de sanction administrative ultérieure. Les doutes de cette juridiction viennent du fait que la procédure de constatation de l’infraction menée par la Commission des OPA n’est pas de nature pénale et, par conséquent, les parties concernées, même dans la situation de GM, n’ont pas bénéficié de l’ensemble des garanties propres à une procédure pénale, dont, notamment, la présomption d’innocence. Selon la juridiction de renvoi, de tels doutes se posent a fortiori à l’égard de HL et de FN, qui n’ont pas participé, en tant que parties, à la procédure de constatation de l’infraction qui a précédé la procédure de sanction administrative.

29      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi demande, néanmoins, si le principe d’effectivité du droit de l’Union – qui comprend, selon elle, les principes de stabilité des décisions administratives devenues définitives et d’autorité de la chose jugée des décisions juridictionnelles, lesquels contribuent à la sécurité juridique – lui impose d’appliquer les règles en cause à des personnes se trouvant dans les situations tant de GM que de HL et de FN.

30      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les articles 4 et 17 de la directive [2004/25], lus à la lumière du principe d’effectivité du droit de l’Union, s’opposent-ils à une interprétation en vertu de laquelle une décision définitive de l’autorité de contrôle visée à l’article 4 de la directive [2004/25] constatant une violation des dispositions du droit interne transposant cette directive, commise par une personne [physique] ne revêt aucun caractère contraignant dans le cadre d’une procédure de sanction administrative menée ultérieurement par cette autorité de contrôle contre cette personne, de sorte que cette dernière peut à nouveau invoquer l’ensemble des moyens et des éléments de preuve pour contester, en fait et en droit, la violation déjà constatée antérieurement par cette décision définitive ?

2)      Les articles 4 et 17 de la directive [2004/25], lus à la lumière du principe d’effectivité du droit de l’Union, s’opposent-ils à une interprétation en vertu de laquelle une décision définitive de l’autorité de contrôle visée à l’article 4 de la directive [2004/25] constatant une violation des dispositions du droit interne transposant cette directive, commise par une personne morale, ne revêt aucun caractère contraignant dans le cadre d’une procédure de sanction administrative menée ultérieurement par cette autorité de contrôle contre l’organe de représentation de cette personne morale, de sorte que ladite personne (l’organe) peut à nouveau invoquer l’ensemble des moyens et des éléments de preuve pour contester, en fait et en droit, la violation déjà constatée antérieurement par cette décision définitive ?

3)      En cas de réponse négative à la première question, [l]’article 47 de la [Charte] s’oppose-t-il à une pratique nationale en vertu de laquelle un caractère contraignant est reconnu à une décision définitive de l’autorité de contrôle visée à l’article 4 de la directive [2004/25] constatant une violation des dispositions du droit interne transposant cette directive, commise par une personne, dans le cadre d’une procédure de sanction administrative menée ultérieurement par cette autorité de contrôle contre celle-ci, de sorte qu’elle ne peut plus contester, en fait et en droit, la violation constatée antérieurement de façon définitive ?

4)      En cas de réponse négative à la [deuxième question], [l]’article 47 de la [Charte] s’oppose-t-il à une pratique nationale en vertu de laquelle un caractère contraignant est reconnu à une décision définitive de l’autorité de contrôle visée à l’article 4 de la directive [2004/25] constatant une violation des dispositions du droit interne transposant cette directive, commise par une personne morale, dans le cadre d’une procédure de sanction administrative menée ultérieurement par cette autorité de contrôle contre l’organe de représentation de cette personne morale, de sorte que celle-ci (l’organe) ne peut plus contester, en fait et en droit, la violation constatée antérieurement de façon définitive ? »

 Sur les questions préjudicielles

31      Par ses quatre questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 4 et 17 de la directive 2004/25, lus à la lumière des droits de la défense garantis par le droit de l’Union, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique d’un État membre, en vertu de laquelle une décision constatant une infraction aux dispositions de cette directive, devenue définitive, a un effet contraignant dans une procédure de sanction administrative ultérieure pour violation de ces dispositions, à l’égard non seulement d’une personne physique ayant la qualité de partie à ces deux procédures, mais aussi d’une personne physique qui n’était pas partie à la procédure de constatation de cette infraction, mais agissait seulement en tant que titulaire d’un organe de représentation d’une personne morale partie à ladite procédure.

32      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le paragraphe 1 de l’article 4 de la directive 2004/25, lu à la lumière du considérant 5 de celle-ci, impose aux États membres de désigner une autorité ou des autorités compétentes pour le contrôle d’une offre en ce qui concerne les règles adoptées ou introduites en application de cette directive, qui soient à même d’exercer leurs fonctions de manière impartiale et indépendante par rapport à toutes les parties à l’offre. Il ressort du considérant 7 de ladite directive qu’un tel contrôle devrait pouvoir être exercé par des organismes d’auto-régulation. Par ailleurs, conformément au paragraphe 5, premier alinéa, de cet article, les autorités de contrôle sont investies de tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.

33      L’article 4, paragraphe 6, de la directive 2004/25 reconnaît aux États membres la compétence, notamment, pour désigner les autorités, judiciaires ou autres, chargées de connaître des litiges et de se prononcer sur les irrégularités commises lors de l’offre, ainsi que pour arrêter des dispositions précisant si et dans quelles circonstances les parties à l’offre ont le droit d’entamer une procédure administrative ou judiciaire. Cette disposition doit être lue à la lumière du considérant 8 de la directive 2004/25, selon lequel, en vertu notamment du droit à un procès équitable, les décisions d’une autorité de contrôle devraient pouvoir, dans des conditions appropriées, faire l’objet d’un contrôle par une juridiction indépendante.

34      Quant à l’article 17 de la directive 2004/25, il confie aux États membres le soin de déterminer les sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de cette directive et de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci, en précisant que les sanctions prévues à cette fin doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

35      Cependant, la directive 2004/25 ne prévoit pas de règles régissant la structure ou le déroulement des procédures menées par les autorités compétentes en cas d’infractions aux dispositions relatives aux offres publiques d’acquisition obligatoires, ni de règles régissant les effets que les décisions administratives définitives adoptées en application de cette directive produisent dans des procédures ultérieures.

36      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 10 mars 2021, Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N., C‑949/19, EU:C:2021:186, point 43 et jurisprudence citée).

37      Sous réserve de ces deux principes, la directive 2004/25 ne s’oppose pas, en tant que telle, à l’établissement, par les États membres, d’une procédure administrative visant à garantir l’application correcte des règles matérielles prévues par cette directive, relatives aux offres publiques d’acquisition, scindée en deux phases distinctes, conduisant, la première, à une décision administrative tendant à établir objectivement une violation de l’obligation de soumettre une offre publique d’acquisition et, la seconde, à l’établissement d’une responsabilité individuelle et à l’infliction d’une sanction administrative pour l’infraction commise.

38      Par ailleurs, ladite directive ne s’oppose pas, en principe, à une pratique des autorités compétentes des États membres, qui confère un effet contraignant à des décisions administratives, devenues définitives, dans des procédures ultérieures. À cet égard, la Cour a jugé que la reconnaissance d’un caractère définitif à une décision administrative, acquis à l’expiration des délais de recours raisonnables ou par l’épuisement des voies de recours, contribue à la sécurité juridique, qui est un principe fondamental du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, C‑453/00, EU:C:2004:17, point 24, ainsi que du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 45).

39      En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 83 de ses conclusions, la reconnaissance d’un effet contraignant à une décision administrative, devenue définitive, dans des procédures ultérieures connexes peut contribuer à assurer l’efficacité des procédures administratives menées par les autorités compétentes et tendant à établir ainsi qu’à sanctionner le non-respect des règles du droit de l’Union relatives aux offres publiques d’acquisition obligatoires, et donc à assurer l’effet utile de la directive 2004/25.

40      Cependant, il importe de s’assurer que les droits garantis aux parties concernées par le droit de l’Union et, en particulier, par la Charte, sont respectés dans les deux phases procédurales mentionnées au point 37 du présent arrêt. En effet, toute procédure nationale menée dans le cadre de la directive 2004/25 doit être compatible avec ces droits (voir, par analogie, arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 66, ainsi que du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 47).

41      À cet égard, le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Cette disposition confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci [arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, points 17 et 19, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78].

42      Tel est le cas d’une procédure qui, à l’instar de celle en cause au principal, est menée en application des dispositions du droit national transposant la directive 2004/25.

43      Parmi les droits garantis par le droit de l’Union figure, premièrement, le respect des droits de la défense, lequel, selon une jurisprudence constante, constitue un principe général du droit de l’Union, dont fait partie intégrante le droit d’être entendu, et qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre, à l’égard d’une personne, un acte qui fait grief à cette dernière. En vertu de ce principe, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend se fonder. Cette obligation pèse sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des mesures entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, alors même que la législation de l’Union applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 39 et jurisprudence citée).

44      Deuxièmement, parmi les garanties qui découlent de l’article 47, deuxième alinéa, et de l’article 48 de la Charte, figure le droit au silence d’une personne physique « accusée », au sens du second de ces articles. Ces dispositions s’appliquent dans les procédures susceptibles d’aboutir à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal. Trois critères sont pertinents pour apprécier ledit caractère. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième concerne la nature même de l’infraction et le troisième est relatif au degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2021, Consob, C‑481/19, EU:C:2021:84, point 42).

45      Il ressort de cette jurisprudence que le droit au silence, qui constitue une règle du droit international généralement reconnue, est au cœur de la notion de procès équitable. Un tel droit ne saurait se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques mettant directement en cause la personne interrogée, mais couvre également des informations sur des questions de fait susceptibles d’être ultérieurement utilisées à l’appui de l’accusation et d’avoir ainsi un impact sur la condamnation ou la sanction infligée à cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2021, Consob, C‑481/19, EU:C:2021:84, points 38 à 40 et jurisprudence citée).

46      Troisièmement, il y a lieu de mentionner le principe de la présomption d’innocence, qui est énoncé à l’article 48 de la Charte. Ce principe trouve à s’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer des éléments objectifs constitutifs d’une infraction prévue par le droit de l’Union, susceptible de conduire à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck, C‑45/08, EU:C:2009:806, points 42 et 44).

47      Selon la jurisprudence de la Cour, si tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit, l’article 48 de la Charte oblige les États membres à ne pas dépasser, en matière pénale, un certain seuil. Plus concrètement, le principe de la présomption d’innocence, consacré à cette disposition, impose aux États membres d’enserrer les présomptions de fait ou de droit qui figurent dans les lois répressives dans des limites raisonnables, en prenant en compte la gravité de l’enjeu et en préservant les droits de la défense (arrêt du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck, C‑45/08, EU:C:2009:806, point 43).

48      Quatrièmement, l’article 47, premier alinéa, de la Charte, qui consacre le droit à un recours effectif, énonce que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un tel recours devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article. L’article 47, deuxième alinéa, de la Charte garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial.

49      Selon une jurisprudence constante, les garanties d’indépendance et d’impartialité d’un tribunal postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 53 et jurisprudence citée).

50      L’exigence d’indépendance, qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours (arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 49, et du 21 janvier 2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 62), et comporte deux aspects.

51      Le premier aspect exige qu’une telle instance soit protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l’indépendance de jugement de ses membres quant aux litiges qui leur sont soumis [arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 51, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 125].

52      Le second aspect rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit (arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 61).

53      Si une décision entrant dans le champ d’application du droit de l’Union a été prise par une autorité qui ne remplit pas elle-même ces conditions d’indépendance et d’impartialité et, partant, ne peut être qualifiée de tribunal, au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, cette disposition exige que la décision en cause puisse faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un organe juridictionnel, lequel doit avoir compétence pour examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, points 46, 47 et 49, ainsi que du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 55).

54      C’est à la lumière de ces rappels qu’il convient d’apprécier si ces droits garantis par le droit de l’Union s’opposent à la reconnaissance, dans le cadre d’une procédure de sanction administrative pour une infraction aux dispositions de la directive 2004/25, d’un effet contraignant à une décision administrative, prise au terme d’une procédure antérieure, constatant cette infraction et devenue définitive. Aux fins de cette appréciation, il convient de distinguer entre les deux hypothèses mentionnées au point 31 du présent arrêt, à savoir celle dans laquelle la procédure de sanction administrative concerne des personnes qui étaient déjà parties à la procédure de constatation ayant donné lieu à l’adoption de cette décision et celle dans laquelle la procédure de sanction administrative concerne des personnes physiques qui, sans avoir été parties à cette procédure de constatation, ont seulement agi en tant que titulaires d’un organe de représentation d’une personne morale partie à ladite procédure.

55      À titre liminaire, il convient de relever que, selon les indications figurant dans la décision de renvoi et les réponses des parties au principal à une question posée par la Cour, les sanctions administratives pécuniaires prévues par le droit autrichien contre des personnes responsables d’une violation des dispositions de l’ÜbG relatives aux offres publiques d’acquisition vont de 5 000 à 50 000 euros et peuvent se traduire par une peine privative de liberté de substitution en cas d’impossibilité de recouvrer la sanction pécuniaire infligée. Ces sanctions revêtent de prime abord un caractère pénal, au sens de la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt. Sous réserve de l’appréciation définitive, par la juridiction de renvoi, de ce caractère, le droit au silence et à la présomption d’innocence, garantis à l’article 47, deuxième alinéa, et à l’article 48 de la Charte trouvent ainsi à s’appliquer dans l’affaire au principal.

56      S’agissant de la première hypothèse visée au point 54 du présent arrêt, afin d’assurer l’efficacité des procédures administratives menées par les autorités compétentes et tendant à établir ainsi qu’à sanctionner le non-respect des règles du droit de l’Union relatives aux offres publiques d’acquisition obligatoires, il est loisible aux États membres de reconnaître à une décision constatant la commission d’une infraction par des personnes un effet contraignant se déployant à l’occasion d’une procédure ultérieure visant à infliger à ces personnes une sanction administrative en raison de la commission de cette infraction. Ces procédures doivent cependant être organisées de telle sorte que lesdites personnes aient pu faire valoir leurs droits fondamentaux au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption d’une telle décision de constatation.

57      Cela implique, notamment, que, au cours de cette procédure, les mêmes personnes aient pu concrètement et effectivement faire valoir, d’une part, les droits de la défense, y compris le droit d’être entendues, et, d’autre part, le droit au silence et la présomption d’innocence à l’égard des éléments de fait qui seront ultérieurement utilisés à l’appui de l’accusation et auront ainsi une incidence sur la condamnation ou la sanction infligée.

58      Il en va autrement, s’agissant de la seconde hypothèse visée au point 54 du présent arrêt, même si la personne physique en cause au principal, qui n’a pas participé, en tant que partie, à la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision de constatation devenue définitive, a pu participer à cette procédure en tant que titulaire d’un organe de représentation d’une personne morale faisant l’objet de ladite procédure.

59      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 58 de ses conclusions, les droits de la défense ont un caractère subjectif, si bien que ce sont les parties concernées elles-mêmes qui doivent être en mesure de les exercer effectivement, indépendamment de la nature de la procédure dont elles font l’objet. Il en va a fortiori ainsi dès lors que, dans le cadre d’une procédure administrative susceptible de conduire à l’engagement de la responsabilité personnelle des dirigeants ou des titulaires des organes d’une société pour violation des règles relatives aux offres publiques d’acquisition, imputable à cette société, et à l’infliction de sanctions de nature pénale à ces dirigeants ou titulaires, l’existence d’une divergence entre les intérêts personnels de ceux-ci et les intérêts de ladite société ne peut être exclue.

60      Il s’ensuit que l’autorité administrative doit écarter, dans le cadre d’une procédure de sanction administrative visant une personne physique, l’effet contraignant qui s’attache aux appréciations figurant dans une décision constatant l’infraction reprochée à cette personne et devenue définitive, sans que ladite personne ait pu contester à titre personnel ces appréciations dans l’exercice de ses propres droits de la défense.

61      De même, compte tenu de la jurisprudence visée au point 45 du présent arrêt, le droit au silence s’oppose à ce qu’une personne physique, dont la responsabilité personnelle pour une infraction passible de sanctions administratives à caractère pénal est susceptible d’être engagée dans le cadre d’une procédure de sanction administrative ultérieure, n’ait pas pu faire valoir ce droit à l’égard des éléments de fait qui seront ultérieurement utilisés à l’appui de l’accusation et auront ainsi une incidence sur la condamnation ou la sanction infligée.

62      Au surplus, la présomption d’innocence s’oppose à ce qu’une personne physique soit tenue pour responsable, dans le cadre d’une procédure de sanction administrative, du fait de la commission d’une infraction constatée par une décision, adoptée au terme d’une procédure à laquelle cette personne n’a pas pu participer en tant que partie jouissant des droits de la défense et du droit à un procès équitable, qui est devenue définitive, sans que ladite personne ait pu la contester, et qui ne peut plus être contestée par elle devant un tribunal indépendant et impartial.

63      Enfin, en ce qui concerne l’accès à un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, il ressort, certes, de la décision de renvoi que la Commission des OPA est qualifiée, par la jurisprudence constitutionnelle nationale, d’autorité indépendante, impartiale et préalablement établie par la loi, réunissant elle-même les caractéristiques d’un tribunal, compétent pour statuer tant en fait qu’en droit, au sens de cette disposition.

64      Au vu des éléments figurant dans le dossier dont dispose la Cour et les réponses à une question posée par la Cour, et sous réserve des appréciations et vérifications incombant à la juridiction de renvoi, il n’apparaît cependant pas que la Commission des OPA offre des garanties d’impartialité propre à un tribunal, visées au point 52 du présent arrêt.

65      En effet, en vertu de l’article 33 de l’ÜbG, la Commission des OPA est compétente pour mener des enquêtes ayant pour objet un éventuel manquement à l’obligation de soumettre une offre publique d’acquisition, pour engager des procédures de constatation et de sanction administrative, et, dans ce cadre, pour décider de l’existence d’une infraction et de l’application des sanctions. Dans la mise en œuvre de l’ÜbG, la Commission des OPA dispose de pouvoirs d’office étendus, parmi lesquels figure celui de prouver et de constater les faits pertinents aux fins de la décision à rendre, et d’adopter toutes les mesures d’instruction nécessaires à cet égard.

66      En outre, l’existence d’une séparation fonctionnelle, au sein de la Commission des OPA, entre, d’une part, les services chargés de l’enquête et de l’accusation, et, d’autre part, les services chargés de la prise de décision sur l’existence d’une infraction et de l’application des sanctions ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour. Par ailleurs, il apparaît que, en cas d’introduction d’un recours contre les décisions par lesquelles la Commission des OPA a constaté une infraction ou a infligé une sanction, celle-ci a la qualité de partie défenderesse devant la juridiction nationale saisie d’un tel recours.

67      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 68 et 69 de ses conclusions, de tels éléments, sous réserve des appréciations définitives revenant, à cet égard, à la juridiction de renvoi, ne permettent pas de considérer que la Commission des OPA intervient comme un tiers impartial entre l’auteur présumé de l’infraction, d’une part, et l’autorité administrative chargée de contrôler le respect des règles relatives aux offres publiques d’acquisition, d’autre part, et que, par suite, cette commission remplit les critères auxquels doit satisfaire un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 47, second alinéa, de la Charte.

68      Il s’ensuit que, pour satisfaire aux exigences de la jurisprudence visée au point 53 du présent arrêt, les décisions de la Commission des OPA devraient pouvoir faire l’objet d’un contrôle par une juridiction nationale dotée, à cette fin, d’une compétence pour examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes.

69      À cet égard, il résulte du dossier dont dispose la Cour qu’une décision prise par la Commission des OPA à l’issue de la procédure de constatation d’une infraction peut faire l’objet d’un recours devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême), mais que, dans ce cas, le contrôle effectué par cette juridiction est limité au seules questions de droit. Ainsi, il apparaît qu’une telle décision, une fois devenue définitive, produit des effets contraignants dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles ultérieures, en cas d’identité des parties ou à l’égard de tout participant à la procédure administrative antérieure en tant que représentant d’une partie, pour autant que les situations de fait et de droit soient identiques, sans que cette décision ait pu, auparavant, être contestée devant un tribunal disposant d’une compétence pour statuer tant en fait qu’en droit.

70      Or, la limitation de la compétence de la juridiction nationale chargée de contrôler la légalité des décisions d’une autorité administrative en matière d’infractions aux règles relatives aux offres publiques d’acquisition obligatoires à la seule appréciation des questions de droit ne satisfait pas aux exigences fixées à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, rappelées au point 53 du présent arrêt. Par conséquent, si la décision constatant une infraction, devenue définitive, n’a pas pu être soumise au contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel compétent pour statuer en droit et en fait, le respect des exigences découlant de cette disposition de la Charte devrait conduire l’autorité administrative à écarter, dans le cadre d’une procédure de sanction ultérieure, l’effet contraignant qui s’attache aux appréciations figurant dans cette décision.

71      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 4 et 17 de la directive 2004/25, lus à la lumière des droits de la défense garantis par le droit de l’Union, en particulier du droit d’être entendu, ainsi que des articles 47 et 48 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique d’un État membre, en vertu de laquelle une décision constatant une infraction à cette directive, devenue définitive, a un effet contraignant dans une procédure ultérieure tendant à l’infliction d’une sanction administrative à caractère pénal pour violation des dispositions de ladite directive, dans la mesure où les parties concernées par cette procédure n’ont pu, au cours de la procédure antérieure de constatation de cette infraction, exercer pleinement les droits de la défense, notamment le droit d’être entendu, ni faire valoir le droit au silence ni bénéficier de la présomption d’innocence à l’égard des éléments de fait qui seront utilisés ultérieurement à l’appui de l’accusation, ou ne peuvent bénéficier du droit à un recours effectif contre une telle décision devant un tribunal compétent pour trancher les questions tant de fait que de droit.

 Sur les dépens

72      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

Les articles 4 et 17 de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition, telle que modifiée par la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, lus à la lumière des droits de la défense garantis par le droit de l’Union, en particulier du droit d’être entendu, ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique d’un État membre, en vertu de laquelle une décision constatant une infraction à cette directive, devenue définitive, a un effet contraignant dans une procédure ultérieure tendant à l’infliction d’une sanction administrative à caractère pénal pour violation des dispositions de ladite directive, dans la mesure où les parties concernées par cette procédure n’ont pu, au cours de la procédure antérieure de constatation de cette infraction, exercer pleinement les droits de la défense, notamment le droit d’être entendu, ni faire valoir le droit au silence ni bénéficier de la présomption d’innocence à l’égard des éléments de fait qui seront utilisés ultérieurement à l’appui de l’accusation, ou ne peuvent bénéficier du droit à un recours effectif contre une telle décision devant un tribunal compétent pour trancher les questions tant de fait que de droit.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.