Language of document : ECLI:EU:C:2024:33

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 11 janvier 2024 (1)

Affaire C563/22

SN,

LN, représentée par SN

contre

Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95/UE – Conditions à remplir par les ressortissants de pays tiers ou les apatrides sollicitant l’octroi du statut de réfugié – Apatrides d’origine palestinienne ayant eu recours à l’assistance de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – Article 12, paragraphe 1, sous a) – Exclusion du statut de réfugié – Cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA – Conditions pour se prévaloir ipso facto de la directive 2011/95/CE – Signification de l’expression “si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit” – Importance des éléments relatifs aux conditions de vie générales prévalant dans la bande de Gaza – Article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Conditions de vie constitutives de “traitements inhumains et dégradants” – Seuil – Directive 2013/32/UE – Article 40 – Demande ultérieure de protection internationale – Obligation de réévaluer des éléments relatifs à cette situation générale déjà examinés – Article 19, paragraphe 2, de la Charte – Principe de non‑refoulement »






I.      Introduction

1.        L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a été créé à la suite du conflit israélo-arabe de 1948 en vue de mettre en œuvre des programmes de secours direct et de travaux pour les apatrides d’origine palestinienne enregistrés auprès de cet organisme (2). Sa zone d’opération a été définie comme comprenant la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza. Le mandat de l’UNRWA a été successivement renouvelé et expire actuellement le 30 juin 2026 (3).

2.        SN et LN, les requérantes au principal, sont des apatrides d’origine palestinienne qui vivaient dans la bande de Gaza et qui sont enregistrées auprès de l’UNRWA. Elles demandent l’asile pour la seconde fois en Bulgarie, après que leurs premières demandes de protection internationale ont été rejetées par les autorités de cet État membre. Elles font valoir qu’elles doivent se voir accorder le statut de réfugié en application de la lex specialis énoncée à l’article 12, paragraphe 1, sous a) de la directive 2011/95/UE (4). En vertu de cette disposition, les apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA sont exclus de ce statut. Cependant, cette exclusion ne s’applique plus si cette protection ou cette assistance « cesse ».

3.        La présente affaire soulève une question d’une importance et d’une sensibilité évidentes — notamment à la lumière des événements qui se sont produits dans la bande de Gaza depuis les attaques du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 : la protection ou l’assistance de l’UNRWA peut-elle être considérée comme ayant « cessé », compte tenu des conditions de vie générales prévalant dans cette zone, sans nécessité pour les personnes concernées de démontrer qu’elles sont spécifiquement visées ou affectées par ces conditions en raison d’éléments propres à leur situation particulière ?

4.        Le litige au principal est né antérieurement à ces événements. En effet, la demande de SN et de LN, ainsi que les éléments sur lesquels s’appuie l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) dans sa demande de décision préjudicielle portent sur la situation dans la bande de Gaza telle qu’elle se présentait préalablement à ou au moment de l’introduction de cette demande, datée du 9 août 2022. Cependant, comme je l’expliquerai dans les présentes conclusions, toute appréciation à laquelle cette juridiction ou les autorités nationales compétentes seront tenues de se livrer devra tenir compte de la situation prévalant actuellement dans cette région, à propos de laquelle plusieurs organes et représentants des Nations unies ont exprimé de graves préoccupations (5).

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit international public

1.      La convention de Genèv(6)

5.        L’article 1er, section D, de la convention de Genève dispose :

« Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.

Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention. »

6.        Compte tenu de la nature de ses opérations, l’UNRWA doit être considéré comme « un organisme ou [...] une institution des Nations Unies autre que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés » au sens de l’article 1er, section D, de la convention de Genève.

2.      Résolutions pertinentes de lAssemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies

a)      Résolutions adoptées avant le 7 octobre 2023

7.        Différentes résolutions été adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies et le Conseil de sécurité concernant l’UNRWA ou la situation dans sa zone d’opération depuis la création de cet organisme. Conformément à la résolution n° 74/83 de l’Assemblée générale des Nations unies du 13 décembre 2019 :

« L’Assemblée générale,

[...]

Consciente que les besoins des réfugiés de Palestine ne cessent de croître dans toutes les zones d’opérations de l’Office, à savoir la Jordanie, le Liban, la République arabe syrienne et le Territoire palestinien occupé,

Se déclarant vivement préoccupée par la situation particulièrement difficile des réfugiés de Palestine vivant sous occupation, notamment pour ce qui est de leur sécurité, de leur bien-être et de leurs conditions d’existence sur le plan socioéconomique,

Se déclarant vivement préoccupée en particulier par la gravité de la situation humanitaire et socioéconomique des réfugiés de Palestine dans la bande de Gaza, et soulignant l’importance d’une aide humanitaire d’urgence ainsi que le caractère urgent des travaux de reconstruction,

[...]

3. Souligne la nécessité de poursuivre l’œuvre de l’[UNWRA], ainsi que l’importance de ses opérations, lesquelles doivent être menées sans entrave, et de ses services, y compris l’aide d’urgence, au regard du bien-être, de la protection et du développement humain des réfugiés de Palestine et de la stabilité de la région, en attendant le règlement équitable de la question des réfugiés de Palestine ;

4. Exhorte tous les donateurs à continuer d’intensifier leurs efforts afin de répondre aux besoins prévus de l’Office, notamment ceux qui résultent de l’augmentation des dépenses ou qui découlent des conflits et de l’instabilité dans la région et de la gravité de la situation socioéconomique et humanitaire, en particulier dans le Territoire palestinien occupé, ainsi qu’aux besoins dont il est fait état dans les récents appels de contributions et dans les plans relatifs à la bande de Gaza [...]

[...] »

b)      Résolutions adoptées depuis le 7 octobre 2023

8.        Les événements survenus dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 ont conduit l’Assemblée générale des Nations unies à voter, le 27 octobre 2023, une résolution intitulée « Protection des civils et respect des obligations juridiques et humanitaires », dans laquelle elle a appelé à « une trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue menant à la cessation des hostilités » dans la bande de Gaza (7). Elle a notamment relevé « la grave dégradation de la situation », déploré « les lourdes pertes civiles et les destructions généralisées » et s’est déclarée gravement préoccupée « par la situation humanitaire catastrophique qui règne dans la bande de Gaza et par ses vastes conséquences sur la population civile, largement constituée d’enfants ».

9.        Cette résolution a été suivie, le 15 novembre 2023, de la résolution 2712 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies réclamant notamment des pauses humanitaires urgentes et prolongées dans la bande de Gaza (8).

10.      Le 12 décembre 2023, l’Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution intitulée « Protection des civils et respect des obligations juridiques et humanitaires » (9). Dans cette résolution, elle a exigé un cessez-le-feu humanitaire immédiat dans la bande de Gaza et l’assurance d’un accès humanitaire. Elle a également réitéré son insistance pour que les parties en conflit respectent le droit international, notamment au regard de la protection des civils et sur la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages.

11.      Le 22 décembre 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2720 (2023) (10), rappelant l’ensemble de ses résolutions pertinentes, en particulier la résolution 2712 (2023). Il s’est notamment déclaré « gravement préoccupé par la situation humanitaire désastreuse qui se dégrade rapidement dans la bande de Gaza et par ses lourdes conséquences sur la population civile », il a insisté sur « la nécessité urgente de garantir un accès humanitaire complet, rapide, sûr et sans entrave à toute la bande de Gaza » et pris note des « informations inquiétantes émanant des fonctionnaires de haut rang de l’ONU et des organismes humanitaires à cet égard ». Il s’est également déclaré à nouveau « vivement inquiet des effets disproportionnés du conflit sur la vie et le bien-être des enfants, des femmes et des autres civils en situation de vulnérabilité ».

B.      Le droit de l’Union

a)      La directive 2011/95

12.      L’article 12 de la directive 2011/95, intitulé « Définitions », dispose :

« 1.      Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié :

a)      lorsqu’il relève du champ d’application de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l’assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé conformément aux résolutions pertinentes de l’assemblée générale des Nations unies, ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive ;

[...] »

b)      La directive 2013/32 (11)

13.      Aux termes de l’article 40 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes ultérieures » :

« 1. Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier examine ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

[...] »

C.      Le droit national

14.      La directive 2011/95 et la directive 2013/32 ont été transposées en droit bulgare par le Zakon za ubezhishteto i bezhantsite (loi sur l’asile et les réfugiés, ci-après le « ZUB »).

15.      Les articles 8 et 9 du ZUB reproduisent, en substance, les conditions d’octroi de la protection internationale énoncées dans la directive 2011/95. L’article 12, paragraphe 1, du ZUB reflète, en substance, l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive.

16.      En vertu de l’article 75, paragraphe 2, du ZUB :

« Afin de statuer sur la demande de protection internationale, sont appréciés tous les faits [...] relatifs à la situation personnelle du demandeur ou de son pays d’origine [...] »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

17.      SN, née en 1995, et son enfant, LN, sont des apatrides d’origine palestinienne. Elles ont quitté la bande de Gaza en juillet 2018 et ont séjourné en Égypte pendant 45 jours puis en Turquie pendant sept mois. Après avoir transité illégalement par la Grèce, elles sont entrées sur le territoire bulgare avec KN, qui est le mari de SN et le père de LN.

18.      Le 22 mars 2019, SN et LN ont introduit des demandes de protection internationale auprès de la Darzhavna agentsia za bezhantsite (Agence nationale pour les réfugiés, Bulgarie, ci-après la « DAB »). Elles ont fondé leur demande sur plusieurs éléments, notamment l’absence de conditions de vie décentes et l’instabilité dans la bande de Gaza, ainsi que la situation presque permanente de conflit armé causée par l’action militaire israélienne et les tensions entre le Fatah et le Hamas. SN a également indiqué que la vie de KN avait été menacée par de multiples bombardements lorsqu’il était à son travail et que leur maison était proche d’un commissariat de police souvent ciblé par des missiles.

19.      SN et LN n’ont pas mentionné dans leurs demandes leur enregistrement auprès de l’UNRWA.

20.      Par décision du 5 juillet 2019, le Predsedatel (président) de la DAB a rejeté les demandes de protection internationale de SN et de LN. Le président de la DAB a déclaré que SN et LN n’avaient pas été contraintes de quitter la bande de Gaza en raison d’un risque réel de torture, de traitement inhumain ou dégradant, de peine de mort ou d’exécution ou d’autres atteintes graves. SN et LN ne couraient pas non plus le risque de faire face à de telles menaces si elles devaient retourner dans la bande de Gaza dès lors qu’elles n’avaient pas apporté la preuve qu’elles seraient spécifiquement ciblées en raison d’éléments propres à leur situation personnelle. En outre, si, dans l’arrêt Elgafaji (12), la Cour avait reconnu que, dans certaines situations, le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé peut atteindre un niveau si élevé que les demandeurs de protection internationale ne sont pas tenus d’apporter la preuve qu’ils sont visés spécifiquement en raison d’éléments propres à leur situation personnelle, la situation dans cette région ne pouvait être considérée, au moment des faits, comme constitutive d’un conflit armé analogue à celui ayant donné lieu à cet arrêt. Enfin, le président de la DAB a indiqué que SN et LN auraient pu séjourner en Égypte ou en Turquie et qu ’elles n’étaient venues en Bulgarie que pour bénéficier de meilleures conditions économiques.

21.      Après épuisement des voies de recours disponibles, cette décision est devenue définitive.

22.      Le 21 août 2020, SN et LN ont introduit une nouvelle demande de protection internationale. Elles ont apporté la preuve de leur inscription auprès de l’UNRWA et elles ont fait valoir qu’elles relevaient par conséquent de la lex specialis énoncée à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95. Elles ont soutenu que, en vertu de cette disposition, elles pouvaient se prévaloir ipso facto du statut de réfugié parce que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à leur égard devait être considérée comme ayant « cessé ».

23.      L’Intervyuirasht organ na DAB (service des interrogatoires de la DAB) a déclaré recevables les demandes ultérieures de SN et LN.

24.      À l’appui de leur demande d’octroi du statut de réfugié, SN et LN ont produit plusieurs documents qui établissaient, selon eux, que les conditions dans lesquelles l’UNRWA opérait dans la bande de Gaza à l’époque des faits (en 2020) étaient très mauvaises.

25.      En particulier, SN a fait valoir que la situation dans la bande de Gaza s’était détériorée ces dernières années, notamment depuis la pandémie de COVID-19. Elle a soutenu que le chômage était particulièrement élevé et que les travailleurs n’étaient pas rémunérés. Elle a également indiqué qu’un couvre-feu avait été instauré, que les écoles restaient fermées et que le Hamas empêchait les gens de quitter leur domicile et lançait des attaques répétées contre Israël. Elle a expliqué que la moitié de la maison dans laquelle elle et LN vivaient avait été détruite par des missiles en raison de la proximité de ladite maison avec un commissariat de police, et que, en 2014, l’endommagement du toit les avait contraints à s’établir ailleurs pendant une période de deux ans.

26.      Par décision du 14 mai 2021, le Zamestnik-predsedatel de la DAB (vice-président de la DAB) a rejeté les demandes ultérieures de SN et LN. Le vice-président de la DAB a expliqué que, étant donné que ces demandes constituaient des « demandes ultérieures » au sens de l’article 2, sous q), de la directive 2013/32, il n’était pas nécessaire d’examiner tous les éléments les étayant. En conséquence, l’appréciation de la question de savoir si SN et LN devaient se voir octroyer le statut de réfugié pouvait se limiter, premièrement, à établir l’existence d’« éléments nouveaux », deuxièmement, à évaluer la pertinence de ces éléments par rapport à leur situation personnelle ou à la situation dans leur pays d’origine et, troisièmement, à déterminer si lesdits éléments étaient étayés par des éléments de preuve suffisants.

27.      Le vice-président de la DAB a indiqué que le fait que SN et LN aient été enregistrées auprès de l’UNRWA, bien que présenté en tant qu’« élément nouveau », n’était pas pertinent au regard de leur situation personnelle. Premièrement, SN et LN avaient effectivement bénéficié de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA par le passé et la seule raison pour laquelle elles n’en bénéficiaient plus était qu’elles avaient quitté volontairement la zone d’opération de cet organisme. Deuxièmement, il n’y avait aucune raison de penser que SN et LN ne bénéficieraient pas à nouveau de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA si elles devaient retourner dans la bande de Gaza. En outre, le vice-président de la DAB a indiqué que les arguments de SN et de LN relatifs à la situation générale dans la bande de Gaza ne démontraient pas qu’elles seraient personnellement exposées à des persécutions ou à d’autres menaces graves. L’absence de telles menaces impliquait qu’elles ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

28.      SN et LN ont formé un recours contre cette décision devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia), la juridiction de renvoi. En particulier, SN a fait valoir que son retour dans la bande de Gaza (conjointement avec LN) violerait le principe de non‑refoulement qui impose aux États membres de s’abstenir d’envoyer quiconque dans un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

29.      Cette juridiction souhaite savoir, premièrement, comment il convient d’interpréter, dans une telle situation, l’article 40, paragraphe 1, de la directive 2013/32, qui concerne les demandes ultérieures. Elle relève que, à l’appui de leurs demandes ultérieures, SN et LN ont apporté la preuve de leur enregistrement auprès de l’UNRWA, un élément qu’elles n’avaient pas révélé dans le cadre de leurs demandes antérieures. Cependant, elle indique qu’aucun des éléments mentionnés par SN et LN concernant les raisons pour lesquelles elles avaient quitté la bande de Gaza ne peut être considéré comme « nouveau », dès lors que tous ces éléments avaient déjà été examinés dans le cadre de la procédure relative à leurs demandes antérieures.

30.      Deuxièmement, elle se demande si la protection ou l’assistance de l’UNRWA doit être regardée comme ayant « cessé » au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 vis-à-vis de SN et LN compte tenu de la situation générale dans la bande de Gaza. À cet égard, elle relève que cette situation générale, qui s’est dégradée au cours des dernières années, a indéniablement affecté la capacité de l’UNRWA à fournir une protection ou une assistance effective aux apatrides d’origine palestinienne dans la bande de Gaza. En outre, l’UNRWA souffre de sous-financement et traverse des difficultés budgétaires.

31.      À cet égard, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) se réfère à la résolution du Parlement européen du 19 avril 2018 sur la situation dans la bande de Gaza (13), dans laquelle cette région est décrite comme étant affectée d’une « détérioration de la crise humanitaire sans précédent ». En outre, elle se réfère à un document intitulé « UNHCR Position on Returning to Gaza » de mars 2022 (14), dans lequel le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué que les civils fuyant la bande de Gaza ne devront pas être renvoyés de force dans cette région étant donné les preuves d’allégations sérieuses de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et d’instabilité continue.

32.      Au vu de ces éléments, la juridiction de renvoi se demande si elle doit considérer que SN et LN se trouveraient dans une situation de « dénuement matériel extrême », au sens de l’arrêt Jawo (15), si elles étaient contraintes de retourner dans la bande de Gaza. Selon cet arrêt, SN et LN devraient démontrer que leur retour dans la bande de Gaza les placerait dans une situation qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que se nourrir, se laver et se loger, ce qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine. Cette juridiction relève que si LN (qui est un enfant) était contrainte de retourner dans la bande de Gaza, son bien-être et sa sécurité seraient certainement menacés. Cependant, elle rappelle également que la raison pour laquelle SN et LN ont quitté la bande de Gaza n’est liée à aucune menace grave pour leur état personnel de sécurité, mais uniquement à la situation générale dans cette région.

33.      Dans ces conditions, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.      Lorsqu’est admise pour examen une demande ultérieure de protection internationale, présentée sur la base de son enregistrement auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) par un demandeur apatride d’origine palestinienne, découle-t-il de l’article 40, paragraphe 1, de la directive [2013/32] que l’obligation pesant en vertu de cette disposition sur les autorités compétentes de prendre en compte et d’examiner tous les éléments étayant les nouvelles affirmations figurant dans ladite demande – obligation lue en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive [2011/95] – inclut, dans les circonstances de l’espèce, une obligation de prendre également en considération, parmi les nouveaux éléments ou les nouvelles circonstances sur lesquels se fonde cette demande ultérieure, les raisons pour lesquelles la personne a quitté la zone d’opération de l’UNRWA ? L’exécution de ladite obligation dépend-elle du fait que les raisons pour lesquelles la personne a quitté la zone d’opération de l’UNRWA ont déjà été examinées dans le cadre de la procédure relative à la première demande de protection [internationale] qui a abouti à une décision de refus définitive, procédure dans laquelle le demandeur n’avait cependant pas invoqué ni prouvé son enregistrement auprès de l’UNRWA ?

2.      Découle-t-il de l’article 12, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive 2011/95 que l’expression “si cette protection ou cette assistance cesse pour quelque raison que ce soit” est applicable à un apatride d’origine palestinienne qui était enregistré auprès de l’UNRWA dont il percevait dans la ville de Gaza une assistance pour de la nourriture, des services de santé et d’éducation, sans qu’il n’y ait de données sur des menaces personnelles contre sa personne, et qui a quitté la ville de Gaza volontairement et légalement, si l’on prend en compte les circonstances de l’espèce, à savoir :

–      la situation générale au moment de son départ de cette zone, laquelle a été appréciée comme une crise humanitaire sans précédent, impliquant des pénuries de nourriture, d’eau potable, de services de santé et de médicaments, des problèmes dans la distribution d’eau et d’électricité, la destruction de bâtiments et d’infrastructures et du chômage ;

–      les difficultés rencontrées par l’UNRWA pour continuer à fournir de l’aide et des services à Gaza, notamment en matière d’alimentation et de santé, en raison d’un déficit important du budget de l’UNRWA et d’une augmentation constante des personnes dépendantes de l’organisme, ainsi que le fait que la situation générale dans la ville de Gaza compromet l’activité de l’UNRWA ?

Cette question doit-elle recevoir une réponse différente au seul motif que le demandeur est une personne vulnérable au sens de l’article 20, paragraphe 3, de cette directive, à savoir un enfant mineur ?

3.      L’article 12, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive [2011/95] doit-il être interprété en ce sens qu’un demandeur de protection internationale, réfugié palestinien enregistré auprès de l’UNRWA, peut retourner dans la zone d’opération de l’UNRWA qu’il a quittée – plus précisément dans la ville de Gaza – alors même que, au moment de l’examen par le tribunal de son recours contre une décision de refus :

–      il n’existe aucune information fiable permettant d’affirmer que cette personne pourrait obtenir de l’UNRWA l’aide dont elle a besoin en termes de nourriture, de services de santé, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que d’éducation,

–      les données fournies, en ce qui concerne la situation générale dans la ville de Gaza et à l’UNRWA, par le document de prise de position du HCR de mars 2022 sur le retour à Gaza, sont jugées comme des éléments poussant à quitter la zone d’opérations de l’UNRWA et comme des motifs de non‑retour,

[–]      y compris quant au point de savoir si, en cas de retour, le demandeur de protection résidera dans des conditions décentes ?

Au vu de la situation dans la bande de Gaza à l’époque en question, et dans la mesure où le demandeur de protection internationale dépend de l’assistance de l’UNRWA pour la nourriture, les services de santé, les médicaments et les fournitures médicales, sa situation personnelle relève-t-elle de la notion de “situation de dénuement matériel extrême” au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la “Charte”] donnée par l’arrêt du 19 mars 2019, Jawo (С-163/17, EU:C:2019:218 [...]), aux fins de l’application et du respect à l’égard de ce demandeur de l’interdiction de refoulement prévue à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE, lu en combinaison avec l’article 19 de la Charte ?

Au vu des informations sur la situation générale dans la ville de Gaza et à l’UNRWA, la question du retour dans la ville de Gaza devrait-elle recevoir une réponse différente au seul motif que le demandeur de protection est un enfant mineur, afin de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant et d’assurer son bien-être et son développement social, sa sûreté et sa sécurité ?

4.      En fonction de la réponse à la question 3 :

Convient-il en l’espèce d’interpréter l’article 12, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive 2011/95/UE, et en particulier l’expression “ces personnes pourront ipso facto se prévaloir de la présente directive” :

A)      en ce sens que le demandeur de protection – un Palestinien apatride enregistré auprès de l’UNRWA – relève de l’interdiction de refoulement prévue par l’article 21, paragraphe 1, de la directive [2011/95] lu en combinaison avec l’article 19 de la Charte car, s’il était renvoyé dans la ville de Gaza, il serait exposé à un risque de traitement inhumain et dégradant du fait de la probabilité qu’il tombe dans un dénuement extrême, [et] qu’il entre dans le champ d’application de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2011/95/UE relatif à l’octroi de la protection subsidiaire,

ou

B)      en ce sens que, par analogie avec le point 2 du dispositif de l’arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott e.a. (C‑364/11, EU:C:2012:826), l’État membre reconnaîtra au demandeur de protection – un Palestinien apatride enregistré auprès de l’UNRWA – le statut de réfugié au sens de l’article 2, sous c), de cette directive et lui octroiera de plein droit ce statut dès lors que l’intéressé ne relève pas de l’article 12, paragraphe 1, sous b) [, de de l’article 12,] paragraphe 2, et de l’article 12, paragraphe 3, de cette directive, sans qu’il soit tenu compte des circonstances propres audit demandeur qui sont pertinentes pour l’application de l’article 15, [sous b)], de la directive [2011/95] ? »

34.      La demande de décision préjudicielle, datée du 9 août 2022, a été enregistrée au greffe de la Cour le 22 août 2022. Des observations écrites ont été présentées par le gouvernement bulgare et la Commission européenne. Il n’y a pas eu d’audience.

IV.    Analyse

35.      La directive 2011/95 énonce les conditions que les demandeurs d’asile doivent remplir pour bénéficier d’une protection internationale dans l’Union. Son interprétation doit être effectuée à la lumière de son économie générale et de sa finalité, qui est, notamment, de faire en sorte que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin de protection internationale, ainsi que dans le respect de la convention de Genève et des autres traités pertinents visés à l’article 78, paragraphe 1, TFUE. L’interprétation des dispositions de la directive 2011/95 doit également se faire, ainsi qu’il ressort de son considérant 16, dans le respect des droits reconnus par la Charte (16).

36.      L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, qui reflète le contenu de l’article 1er, section D), de la convention de Genève, détaille le régime juridique spécifique applicable aux apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA. Comme je l’ai expliqué dans mes conclusions dans l’affaire SW (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (17), cette disposition contient à la fois une clause d’exclusion et une clause d’inclusion.

37.      En effet, d’une part, l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 prévoit que, si une personne relève du champ d’application de l’article 1er, section D), de la convention de Genève, elle ne peut se voir reconnaître le statut de réfugié en application de la cette directive, tout comme elle n’est pas considérée comme réfugiée en application de cette convention. Bien que ni l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 ni l’article 1er, section D), de la convention de Genève ne l’indiquent expressément, la clause d’exclusion qu’ils contiennent ne s’applique, en pratique, qu’aux apatrides d’origine palestinienne et, plus spécifiquement, seulement à ceux qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA (18).

38.      D’autre part, si cette protection ou cette assistance peut être considérée comme ayant « cessé », cette clause d’exclusion ne s’applique plus et ces personnes « pourront ipso facto se prévaloir » de la directive 2011/95 (tout comme elles bénéficieront de plein droit du régime de la convention de Genève). Ces avantages peuvent être invoqués « de plein droit » (19) – sans qu’il soit nécessaire de remplir les conditions qui s’appliquent aux autres demandeurs d’asile. Cependant, le statut de réfugié n’est pas octroyé automatiquement ni inconditionnel dès lors que, même dans ce cas, les autorités compétentes nationales doivent, par exemple, vérifier au cas par cas que les personnes concernées ne relèvent pas de l’un ou l’autre des motifs d’exclusion énoncés à l’article 12, paragraphe 1, sous b), à l’article 12, paragraphe 2, et à l’article 12, paragraphe 3, de cette directive (20), dispositions qui s’appliquent lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis certains crimes ou bien qu’elles en sont les instigatrices ou qu’elles y ont participé de quelque autre manière.

39.      Comme l’a indiqué Mme l’avocate générale Sharpston dans ses conclusions dans l’affaire Bolbol (21), l’article 1er, section D), de la convention de Genève s’inscrit dans un contexte particulier. Il a été rédigé peu de temps après le conflit israélo-arabe de 1948, en vue, notamment, d’éviter un afflux massif en provenance de la zone géographique qui constituait antérieurement la Palestine tout en faisant en sorte que les apatrides d’origine palestinienne, reconnus comme réfugiés par la communauté internationale (22), continuent à bénéficier d’une protection ou d’une assistance effective jusqu’à ce que leur sort ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions pertinentes de l’Assemblée générale des Nations unies (23).

40.      En conséquence, la Cour a expliqué que l’objectif de article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 repose sur la logique selon laquelle les apatrides d’origine palestinienne doivent pouvoir bénéficier d’une protection ou d’une assistance effective de la part de l’UNRWA, et non pas seulement se voir garantir l’existence d’un organisme ou d’une institution chargé de fournir cette assistance ou cette protection (24).

41.      Dans ce contexte, la première question de la juridiction de renvoi porte sur une question spécifique de procédure liée au fait que, dans la procédure au principal, SN et LN demandent le statut de réfugié pour la seconde fois. Elle invite la Cour à déterminer si, lorsqu’un apatride d’origine palestinienne présente une telle « demande ultérieure », à la suite du rejet de sa première demande, les autorités nationales compétentes doivent réévaluer les éléments de fait relatifs aux raisons pour lesquelles l’intéressé a quitté la zone d’opération de l’UNRWA, même lorsque ces éléments ont déjà été examinés par ces autorités dans le cadre de la procédure relative à cette première demande. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, au cours de cette procédure, les autorités nationales compétentes ont examiné ces éléments pour déterminer si cette personne remplissait les critères généraux d’octroi du statut de réfugié, et non pas la question de l’application à ladite personne de la lex specialis énoncée à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 (parce que cette personne n’avait pas fait valoir son enregistrement auprès de l’UNRWA) (section A).

42.      Les deuxième et troisième questions préjudicielles sont d’une nature plus large et plus sensible. Comme je l’ai déjà relevé dans l’introduction des présentes conclusions, elles invitent la Cour à préciser, en substance, si la protection ou l’assistance de l’UNRWA peut être considérée comme ayant « cessé », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, à l’égard des demandeurs qui ont eu recours à cette protection ou à cette assistance et qui vivaient dans la bande de Gaza, eu égard aux conditions de vie générales prévalant dans cette région, sans qu’ils soient tenus de démontrer qu’ils sont spécifiquement visés ou affectés par ces conditions en raison d’éléments propres à leur situation particulière (section B).

43.      La quatrième question porte sur l’articulation (et l’éventuelle superposition) entre les conditions qui doivent être remplies pour qu’une personne puisse bénéficier ipso facto du statut de réfugié en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 et celles qui doivent être remplies pour que cette personne bénéficie de la protection subsidiaire (section C).

A.      Sur la première question préjudicielle : la nécessité de réévaluer des éléments de fait déjà examinés lors d’une procédure antérieure reposant sur une base juridique différente

44.      Comme je l’ai déjà indiqué, les demandes de protection internationale de SN et LN dans la procédure au principal sont des « demandes ultérieures ». L’article 2, sous q), de la directive 2013/32, définit de telles demandes comme des « nouvelle[s] demande[s] de protection internationale présentée[s] après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure ».

45.      La juridiction de renvoi n’a pas soulevé la question de savoir si la directive 2013/32, qui contient les règles de procédure que les autorités nationales compétentes doivent respecter de manière générale lors du traitement des demandes de protection internationale, s’applique aux apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA. Étant donné que ces personnes sont, en principe, exclues du statut de réfugié, en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, on pourrait se demander si elles sont également exclues des règles de procédure de la directive 2013/32 (ou du moins de certaines d’entre elles). À cet égard, je relève cependant que cette directive ne contient aucune disposition en ce sens. En outre, il me semble logique que les règles de procédure contenues dans cette directive s’appliquent à de telles personnes. En effet, bien qu’elles n’aient pas droit au statut de réfugié dans les mêmes conditions de fond que les autres demandeurs d’asile [en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95], je ne vois pas pourquoi ces conditions de fond différentes devraient conduire à ce que leurs demandes soient soumises à des règles de procédure différentes au titre de la directive 2013/32.

46.      Dans leurs premières demandes de protection internationale (qui ont été rejetées par la DAB), SN et LN n’avaient pas mentionné leur enregistrement auprès de l’UNRWA ni l’application à leur égard de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95. Il ressort des informations fournies dans le dossier de la Cour que la DAB a rejeté leurs premières demandes parce qu’elles ne remplissaient pas les critères généraux nécessaires à l’obtention du statut de réfugié, tels qu’énoncés dans cette directive et, notamment, à l’article 5, paragraphe 1 et à l’article 6 de celle-ci. Ce rejet n’était donc pas fondé sur la lex specialis contenue dans cet article 12, paragraphe 1, sous a).

47.      Les demandes ultérieures de SN et LN diffèrent de leurs premières demandes en ce que, dans le cadre de ces demandes ultérieures, elles invoquent leur enregistrement auprès de l’UNRWA et leur droit au statut de réfugié en application de cette disposition. À cet égard, il importe de relever que l’enregistrement de SN et LN auprès de l’UNRWA est un « élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2 et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32. En vertu de ces dispositions, un élément peut être considéré comme « nouveau » lorsqu’il se manifeste après l’adoption de la décision statuant sur la demande antérieure du demandeur ou lorsque le demandeur l’a présenté pour la première fois dans le cadre de sa demande ultérieure (25). A insi que la Cour l’a itérativement jugé, un « élément nouveau » ne doit donc pas nécessairement être postérieur à la décision finale statuant sur les demandes antérieures des intéressés (26). Même si SN et LN étaient déjà enregistrées auprès de l’UNRWA au moment de la première demande de protection internationale, cet élément n’a pas été divulgué ou communiqué à la DAB avant qu’elles présentent leurs demandes ultérieures. Cet « élément nouveau » déclenche l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 et il permet donc à SN et LN de faire valoir leur droit au statut de réfugié sur une base juridique différente.

48.      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si la DAB était tenue de prendre en considération, lors de l’examen au fond des demandes ultérieures de SN et de LN, non seulement leur enregistrement auprès de l’UNRWA (ci-après l’« élément nouveau »), mais également les autres éléments de fait contenus dans leur dossier, notamment ceux relatifs aux raisons pour lesquelles elles avaient quitté la bande de Gaza, déjà analysés lors de cette précédente procédure. Ces raisons ont trait aux conditions de vie générales qui prévalaient dans la bande de Gaza avant le départ de LN et de SN de cette région.

49.      Cette juridiction se réfère à l’article 40, paragraphe 1, de la directive 2013/32, qui prévoit, selon elle, l’obligation pour les autorités nationales compétentes d’examiner dans tous les cas l’ensemble des éléments étayant la demande ultérieure.

50.      Il est vrai que cette disposition se réfère à une telle obligation. Cependant, tel que je le comprends, l’article 40, paragraphe 1 ne concerne que deux situations particulières. La première se présente lorsque, avant l’adoption d’une décision définitive sur sa première demande de protection internationale, le demandeur soit fait de nouvelles déclarations, soit présente une demande ultérieure dans le même État membre. Tel pourrait être le cas, par exemple, lorsqu’un recours est pendant contre la décision prise par les autorités nationales compétentes. La seconde situation est celle où une décision définitive a déjà été prise, mais où le droit national applicable permet la réouverture de la procédure à la lumière d’un « élément nouveau » (27).

51.      Comme la Commission l’a souligné à juste titre, aucune de ces situations ne semble correspondre à celle en cause dans l’affaire au principal, où la demande ultérieure aboutit à ce que les autorités nationales compétentes mènent une nouvelle procédure d’asile sur une base juridique différente [en l’occurrence l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95]. Je ne suis donc pas convaincu par l’argument selon lequel une obligation générale d’examiner l’ensemble des éléments étayant une demande ultérieure puisse être inférée de cette disposition spécifique.

52.      Cela étant dit, je relève que le gouvernement bulgare invite la Cour à concentrer son analyse sur l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 plutôt que sur son article 40, paragraphe 1. Il soutient que, contrairement au paragraphe 1 de l’article 40 (28), les paragraphes 2 et 3 de cette disposition s’appliquent à des situations, telles que celle de la présente affaire, où une telle nouvelle procédure d’asile est engagée. Ce gouvernement estime que, en vertu de ces paragraphes, les éléments déjà évalués lors de la procédure d’asile antérieure ne doivent pas être réexaminés au cours de cette nouvelle procédure. Selon lui, seul l’« élément nouveau » doit être analysé dans le cadre de la seconde procédure de demande.

53.      Tout en partageant le point de vue du gouvernement bulgare sur la pertinence de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 pour la question en cause dans l’affaire au principal, je ne souscris pas à l’interprétation proposée par ce gouvernement. À mon avis, les autorités nationales compétentes ne sauraient se limiter à évaluer le seul « élément nouveau ».

54.      À cet égard, il est vrai que l ’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, lu conjointement avec l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive (29)indique que seule l’existence d’« éléments nouveaux » est susceptible de faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure. Ainsi, en principe (30), les « éléments nouveaux » sont les seuls éléments pertinents au stade de la recevabilité de telles demandes. Cependant, il n’en va pas de même dans le cadre de l’examen au fond d’une demande ultérieure (après qu’elle a été jugée recevable). Ces deux étapes doivent être clairement distinguées.

55.      En effet, une fois que les autorités nationales compétentes en arrivent à l ’examen au fond d’une demande ultérieure, l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32 indique clairement que ces autorités ne sauraient traiter différemment une telle demande au seul motif qu’elle n’a pas été introduite par un primo-demandeur. Cette disposition indique que, au stade de l’examen au fond de la procédure, les principes de base et les garanties fondamentales énumérés au chapitre II de cette directive s’appliquent. Ce chapitre requiert, notamment, qu’une décision sur le point de savoir si une personne remplit les conditions pour bénéficier du statut de réfugié soit prise individuellement, objectivement et impartialement et uniquement « à l’issue d’un examen approprié » (31).

56.      J’admets bien volontiers que certains des éléments de fait que les autorités nationales compétentes ont déjà évalués dans le cadre d’une procédure d’asile antérieure puissent être identiques à ceux qu’elles doivent prendre en considération lors de l’examen de demandes ultérieures des personnes concernées, même lorsque les deux procédures reposent sur des bases juridiques différentes. Par exemple, ces personnes peuvent — comme cela semble être le cas dans la présente affaire — invoquer les mêmes raisons pour quitter leur pays ou leur région d’origine. Cependant, selon moi, cela ne dispense pas ces autorités de l’obligation de réévaluer la pertinence et la justesse (32) de ces éléments de fait. Cette obligation doit être respectée dans une situation où, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, la base juridique en vertu de laquelle est effectuée l’appréciation de la demande ultérieure [l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95] n’est pas la même que celle sur la base de laquelle la procédure antérieure s’est déroulée. Dans une telle situation, les éléments pertinents — même s’ils ont déjà été examinés au cours de cette procédure antérieure — doivent être réévalués sous l’angle des critères spécifiques énoncés à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95.

57.      Comme je l’ai expliqué aux points 36 à 38 des présentes conclusions, cette disposition contient une règle spécifique relative au droit au statut de réfugié, distincte des critères généraux énoncés, notamment, à l’article 5, paragraphe 1 et à l’article 6 de la directive 2011/95. Lorsqu’elles appliquent l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, les autorités nationales compétentes ne sont pas tenues de déterminer si, au regard des motifs qui l’ont amené à quitter sa région d’origine, l’intéressé craint avec raison d’être persécuté, comme elles devraient le faire en vertu des critères généraux d’obtention du statut de réfugié prévus, notamment, à l’article 5, paragraphe 1, et à l’article 6 de cet instrument. Cette exigence d’une « crainte fondée d’être persécuté » n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation à laquelle doivent procéder les autorités nationales compétentes au titre de l’article 12, paragraphe 1, sous a), dont l’élément central est le point de savoir si la protection ou l’assistance de l’UNRWA a « cessé ». Tout motif susceptible d’avoir poussé la personne à quitter sa région d’origine doit, dans ce contexte, être évalué au regard de cette seule exigence.

58.      Je peux aisément concevoir que la preuve qu’une personne vivait dans de mauvaises conditions matérielles dans la zone d’opération de l’UNRWA et qu’elle a quitté cette zone en raison de ces conditions (comme cela semble être le cas de SN et LN dans la procédure au principal) peut constituer un facteur déterminant s’agissant à la fois de la question de savoir si la protection ou l’assistance de l’UNRWA a « cessé » à son égard, de sorte qu’elle peut ipso facto bénéficier du statut de réfugié au titre de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 et de celle de savoir si ce statut doit lui être accordé en application des critères généraux figurant, notamment, à l’article 5, paragraphe 1 et à l’article 6 de cette directive. Cependant, cette preuve ne saurait être appréciée sous le même angle par les autorités nationales compétentes, selon celle de ces deux bases juridiques qui trouverait à s’appliquer. Au cours d’une procédure fondée sur les critères généraux d’octroi du statut de réfugié énoncés dans la directive 2011/95 [et non sur l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive], les autorités nationales compétentes envisagent la preuve du fait que l’intéressé vivait dans de mauvaises conditions matérielles sous un angle différent de celui de l’article 12, paragraphe 1, sous a), dès lors qu’elles doivent, notamment, se concentrer sur la question de savoir si la détérioration des conditions de vie auxquelles ces personnes étaient exposées peut être considérée comme un « acte de persécution » (33) et non sur celle de savoir si elle contribue à établir la cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA.

59.      À la lumière de ces considérations, j’estime que, lors de l’examen d’une demande ultérieure sur la base de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, les autorités nationales compétentes doivent réévaluer, au regard des critères juridiques propres à cette disposition, les éléments de fait qu’elles ont déjà analysés dans le cadre d’une procédure antérieure qui était fondée non pas sur cette disposition, mais sur les critères généraux que les personnes ne relevant pas de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive doivent remplir pour se voir octroyer le statut de réfugié.

B.      Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles : la cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA au regard des conditions de vie générales prévalant dans une partie de sa zone d’opération

60.      Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser, en substance, si la protection ou l’assistance de l’UNRWA doit être considérée comme ayant « cessé », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, à l’égard de personnes qui ont eu recours à cette protection ou à cette assistance, au regard des conditions de vie générales prévalant dans la bande de Gaza et sans que de telles personnes soient tenues de démontrer qu’elles sont spécifiquement visées ou affectées par ces conditions en raison d’éléments propres à leur situation particulière. Elle se demande également si la réponse à cette question pourrait être différente lorsque les demandeurs sont des enfants.

61.      Je rappelle que, pour que la clause d’inclusion figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 s’applique, il suffit, comme l’indique expressément cette disposition, que la cessation de la protection ou de l’assistance d’un organisme ou d’une institution telle que l’UNRWA se produise pour « quelque raison que ce soit ».

62.      Précisant la signification de ces termes, la Cour a jugé que la cessation de la protection ou de l’assistance de l’UNRWA se produit non seulement si cet organisme cesse d’exister, mais également si la personne concernée a été contrainte de quitter la zone d’opération de l’UNRWA pour des raisons indépendantes de sa volonté (34). Tel est le cas si l’intéressé se trouve dans un état personnel d’insécurité grave (première exigence) (35) et s’il est impossible pour cet organisme de garantir que les conditions de vie de cette personne dans sa zone d’opération sont conformes à la mission qui lui a été confiée, qui est d’assurer des conditions de vie « dignes » (36) (seconde exigence).

63.      Afin de vérifier s’il est satisfait à ces exigences et si les personnes concernées peuvent par conséquent se prévaloir « ipso facto » du statut de réfugié au titre de la directive 2011/95, les autorités nationales compétentes doivent examiner non seulement les raisons qui ont conduit les demandeurs à quitter la zone d’opération de l’UNRWA, mais également s’il leur est actuellement possible d’y retourner. La Cour a très clairement précisé cette exigence dans son arrêt dans l’affaire Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (37), dans lequel elle a jugé que ces autorités devaient vérifier s’il est actuellement possible de retourner dans la zone d’opération de l’UNRWA. Elle a expliqué qu’il convient de prendre en compte les circonstances pertinentes telles qu’elles se présentent non seulement au moment du départ de cette personne de la zone d’opération de l’UNRWA, mais également au moment de l’examen de sa demande (38).

64.      Il s’ensuit que, pour les personnes résidant dans la bande de Gaza, où le niveau d’insécurité et les conditions de vie ont évolué rapidement, surtout depuis les événements qui s’y sont produits depuis le 7 octobre 2023, il convient de prendre en compte des informations précises et actualisées sur la situation générale prévalant actuellement dans cette région, en plus des raisons qui ont conduit ces personnes à la quitter initialement.

65.      La juridiction de renvoi indique que l’état personnel de sécurité de SN et LN n’a pas été menacé avant leur départ de la bande de Gaza et qu’elles ont quitté volontairement cette région. Cependant, cette juridiction explique que, en 2018, lorsque SN et LN ont quitté la bande de Gaza, cette région connaissait déjà « une crise humanitaire sans précédent, impliquant des pénuries de nourriture, d’eau potable, de services de santé et de médicaments, des problèmes dans la distribution d’eau et d’électricité, la destruction de bâtiments et d’infrastructures, du chômage ».

66.      En ce qui concerne la période postérieure au départ de SN et LN de cette région, la juridiction de renvoi insiste sur les difficultés rencontrées par l’UNRWA pour maintenir la prestation de services dans la bande de Gaza (y compris sous la forme de services alimentaires et de santé). Cette juridiction suggère également que, même avant la survenance des événements du 7 octobre 2023 dans cette région, il n’était pas certain que SN et LN puissent, en cas de retour dans la bande de Gaza, être en mesure d’obtenir de la part de l’UNRWA la prise en charge de leurs besoins en matière d’alimentation, de médicaments, de services de santé ou d’éducation. Au vu de ces éléments, elle doute qu’un quelconque apatride d’origine palestinienne puisse être contraint de retourner dans cette région.

67.      Je suis d’accord avec la Commission qu’il n’appartient pas à la Cour de procéder à sa propre appréciation factuelle des conditions de vie générales qui prévalent dans la bande de Gaza ou de la situation personnelle des requérants au principal. En effet, il importe de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Dans la présente affaire, c’est à la juridiction de renvoi (ou, le cas échéant, aux autorités nationales compétentes) qu’il appartient donc de vérifier, à la lumière, notamment, des conditions générales de vie prévalant actuellement dans la bande de Gaza, si SN et LN peuvent bénéficier du statut de réfugié en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95. Cependant, la Cour est habilitée à préciser les critères juridiques que la juridiction de renvoi ou ces autorités doivent appliquer à cet égard et les circonstances pertinentes aux fins de cette appréciation.

68.      À ce propos, il convient de répondre à la question fondamentale de savoir si, pour constater que la protection ou l’assistance de l’UNRWA a « cessé » à l’égard d’une personne qui a eu recours à cette protection ou à cette assistance dans la zone d’opération de cet organisme ou une partie de celle-ci, il suffit que cette personne invoque les conditions de vie générales qui y prévalent.

1.      Limportance relative des éléments concernant les conditions de vie générales

69.      Il convient de relever que, dans les cas où l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 ne s’applique pas et où les autorités nationales compétentes se fondent par conséquent sur les critères généraux pour décider s’il y a lieu d’accorder le statut de réfugié prévu par cette directive (critères qui sont détaillés, notamment, à l’article 5, paragraphe 1 et à l’article 6 de cet instrument), le fait qu’une personne court un risque sérieux d’atteintes graves en raison de conditions de vie indignes, de mauvais traitements, de violences aveugles ou d’autres atteintes graves en cas de retour dans son pays ou sa région d’origine n’a pas pour effet, en soi, de lui conférer de facto le droit au statut de réfugié.

70.      En vertu de ces critères généraux, le statut de réfugié n’est accordé que si le demandeur d’asile a une « crainte fondée d’être persécuté », au sens de l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6 de la directive 2011/95. Il n’existe de « crainte fondée d’être persécuté » que si les actes en cause sont des « actes de persécution » (définis à l’article 9 de cette directive), s’ils sont perpétrés par certains auteurs (énumérés à l’article 6 de ladite directive) et s’ils sont liés à un motif particulier (tel que décrit à l’article 10 de la même directive).

71.      Cependant, un risque d’atteintes graves peut, même sans atteindre le niveau de « crainte fondée d’être persécuté » permettre aux personnes concernées de bénéficier de la protection subsidiaire, qui est une autre forme de protection internationale (39) (dont les conditions sont détaillées à l’article 15 de cette directive). Il peut également créer, plus généralement, l’obligation pour les États membres de ne pas renvoyer ces personnes dans leur pays ou leur zone d’origine, en application du principe de non‑refoulement. Ce principe est consacré, notamment, à l’article 3 de la CEDH (40) et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. En particulier, cette dernière disposition exige que nul ne puisse être « éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

72.      Une analyse différente s’impose lorsque l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 est applicable.

73.      Comme je l’ai expliqué, cette disposition subordonne le droit des apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA au statut de réfugié à l’exigence que cette protection ou cette assistance « cesse ». Comme je l’ai indiqué au point 62 des présentes conclusions, la mission de l’UNRWA est d’assurer des « conditions de vie dignes » aux personnes placées sous sa protection ou son assistance, en subvenant à leurs besoins élémentaires (notamment en matière d’alimentation, d’hygiène personnelle et de logement). Étant donné que l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte (qui dispose que « [n]ul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » et qui est équivalent à l’article 3 de la CEDH) est étroitement liée aux obligations positives de protection de la dignité humaine (41), il me semble évident, à tout le moins, que la mission de l’UNRWA doit être considérée comme ayant « cessé » s’il existe un risque sérieux que ces personnes, si elles sont renvoyées dans la zone d’opération de l’UNRWA (ou une partie de celle-ci), soient exposées à des traitements incompatibles avec l’article 4 de la Charte, parce que leurs besoins fondamentaux (auxquels l’UNRWA est tenu de subvenir) ne pourraient pas être satisfaits. Cela inclut les conditions de vie indignes, les mauvais traitements et la violence aveugle, ainsi que les autres atteintes graves, qui supposent l’infliction de douleurs physiques ou mentales ou de souffrances d’une intensité ou d’une durée suffisante pour atteindre le seuil fixé par cette disposition (42), qui est identique à celui prévu à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte (43). Il importe de relever qu’il n’est pas nécessaire à cet égard de démontrer que l’atteinte grave est perpétrée par certains auteurs ni qu’elle est liée à des motifs particuliers et, donc, qu’elle consiste en une « persécution ».

74.      Par conséquent, si une personne qui a eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA est, en raison de l’échec de ce dernier à assurer la satisfaction des besoins essentiels de cette personne (44), exposée à des mauvais traitements atteignant ce seuil, les deux exigences que j’ai exposées au point 62 des présentes conclusions doivent d’emblée être considérées comme remplies. Concrètement, la personne concernée doit être considérée comme ayant été « contrainte de quitter » la zone d’opération de l’UNRWA et comme bénéficiant, de ce fait, ipso facto du statut de réfugié au titre de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95.

75.      Pour être clair, comme je viens de l’expliquer, un risque d’exposition à un traitement incompatible avec l’article 4 de la Charte ne confère, en soi, à personne le statut de réfugié dans l’Union. Cependant, cette disposition a un rôle spécifique à jouer à l’égard des apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA et quant à la question de savoir s’ils ont droit au statut de réfugié dans l’Union en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95. À cet égard, je rappelle que, comme je l’ai expliqué au point 39 des présentes conclusions, les apatrides d’origine palestinienne sont déjà reconnus comme réfugiés par la communauté internationale. La raison pour laquelle ils sont exclus du statut de réfugié au titre de la directive 2011/95 est qu’ils sont réputés bénéficier d’une protection ou d’une assistance effective de la part de l’UNRWA, qui est censée répondre à leurs besoins élémentaires (en matière, notamment, de nourriture, d’hygiène personnelle et de logement) et garantir qu’ils bénéficient de conditions de vie dignes. Cette exclusion ne peut plus être justifiée si l’échec de l’UNRWA à subvenir à ces besoins élémentaires aboutit à les exposer à un traitement incompatible avec l’article 4 de la Charte.

76.      Cela dit, j’estime que la question de savoir si la preuve d’une détérioration des conditions de vie générales prévalant dans la zone d’opération de l’UNRWA ou dans une partie de celle-ci peut suffire à établir que la personne concernée sera exposée à un traitement incompatible avec l’article 4 de la Charte si elle y retourne, et, partant, que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à son égard a « cessé », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 dépend précisément du degré de cette détérioration.

77.      D ’une part, je conviens que le seul fait que les conditions de vie générales dans la zone d’opération de l’UNRWA ou une partie de celle‑ci se situent à un niveau inférieur à celles dont une personne pourrait bénéficier si elle se voyait octroyer le statut de réfugié dans un État membre ne suffit pas pour conclure que cette personne a été contrainte de quitter cette région (45). D’autre part, il me semble qu’il ne saurait être exclu que, dans certaines situations, ces conditions de vie générales puissent devenir à ce point insupportables qu’elles pourraient être considérées comme « indignes » pour tout apatride d’origine palestinienne y vivant [sous-section a)]. Entre ces deux extrémités du spectre, la question de savoir si la personne concernée peut être considérée, en raison des mêmes (quoique moins sévères) conditions de vie générales, comme ayant été « forcée » de quitter la zone d’opération de l’UNRWA dépend, comme je l’expliquerai, de son appartenance à un groupe particulièrement vulnérable [sous-section b)] ou de sa qualification en tant que personne particulièrement affectée en raison de sa situation personnelle [sous-section c)].

a)      Situations dans lesquelles les co nditions de vie générales sont « indignes » pour toute personne

78.      Je rappelle que, notamment dans son arrêt Elgafaji, la Cour a déjà jugé, s’agissant de la question de savoir si la protection subsidiaire peut être accordée en raison d’une violence aveugle causée par un conflit armé interne ou international, qu’il existe des situations dans lesquelles le degré de violence aveugle atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de considérer qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir des menaces pour sa vie (46).

79.      En outre, dans son arrêt dans l’affaire Jawo, la Cour a déjà reconnu [bien que toujours dans un contexte autre que celui de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95] que certaines régions géographiques peuvent rencontrer, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement ou défaillances systémiques telles qu’il existe un risque sérieux que tout demandeur d’une protection internationale soit, en cas de transfert ou de retour vers cet État membre, traité d’une manière incompatible avec l’article 4 de la Charte (47). Dans de telles circonstances, les transferts ou le retour de tout demandeur d’asile vers ces régions géographiques sont, tout simplement, exclus (48), sur la base des conditions générales de vie qui y prévalent, sans qu’il soit nécessaire que ces personnes démontrent leur appartenance à un groupe particulièrement vulnérable de demandeurs d’asile (par exemple parce qu’elles sont des enfants), ni leur vulnérabilité particulière en raison de leur situation personnelle (par exemple à cause d’une maladie), ni la probabilité particulière d’être affectées par ces conditions générales, toujours en raison de leur situation personnelle (par exemple, parce que leur maison est située dans une zone particulièrement susceptible d’être la cible d’actes de violence).

80.      Seule une situation particulièrement grave peut entraîner une telle interdiction générale. La Cour a jugé que ce niveau de gravité particulièrement élevé ne sera pas atteint dans des situations simplement caractérisées par un degré élevé d’insécurité ou une dégradation importante des conditions de vie générales (49). L’exigence est celle d’un risque sérieux que les personnes renvoyées vers cette région se trouvent, en raison de ces difficultés majeures de fonctionnement ou défaillances systémiques, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine (50).

81.      Je considère que cette logique peut être transposée dans le cadre de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95. Premièrement, l’article 4 de la Charte est une disposition d’application transversale, de sorte que toute interprétation de cette disposition par la Cour n’est pas limitée à un instrument de droit dérivé particulier. Deuxièmement, il ne saurait – pour le moins – être exclu qu’une partie de la zone d’opération de l’UNRWA (en l’occurrence la bande de Gaza) puisse rencontrer des défaillances systémiques d’une gravité telle (par exemple, en raison d’un conflit armé ou d’un blocus militaire ou, pour reprendre les termes de la juridiction de renvoi, d’une « crise humanitaire sans précédent ») qu’il existe un risque sérieux que toute personne qui y serait renvoyée se trouve — du seul fait de sa présence sur ce territoire — dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine et, partant, avec l’article 4 de la Charte.

82.      Dans de telles situations, je suis d’avis que la preuve de telles conditions de vie générales suffit, en ce sens qu’il ne saurait être exigé des demandeurs qu’ils démontrent que ces conditions générales sont « indignes » pour eux de manière individualisée (par exemple, en raison de leur vulnérabilité particulière), ou qu’ils sont spécifiquement affectés par ces conditions en raison d’éléments propres à leur situation personnelle (par exemple, le fait que leur maison se trouve dans une rue régulièrement ciblée par des missiles, comme cela semble être le cas s’agissant de SN et LN) (51).

83.      Cependant, il reste à établir que les conditions de vie générales peuvent effectivement être considérées comme « indignes » et donc incompatibles avec l’article 4 de la Charte pour, pour ainsi dire, toute personne, en ce sens qu’elles doivent être d’une gravité telle qu’elles sont susceptibles de concerner des personnes indépendamment de leur situation personnelle ou de leur identité. Pour autant que tel soit le cas, on peut considérer, premièrement, que l’état personnel de sécurité de tout demandeur qui serait tenu de retourner dans cette région serait exposé à un risque sérieux (la première exigence que j’ai mentionnée au point 62 des présentes conclusions) et, deuxièmement, que l’UNRWA n’est pas en mesure de garantir que les conditions de vie d’une telle personne soient conformes à la mission qui lui a été confiée, qui est d’assurer des conditions de vie « dignes » en assurant la satisfaction de ses besoins élémentaires (la seconde exigence). Par conséquent, la protection ou l’assistance de cet organisme doit être considérée comme ayant « cessé » à l’égard d’un tel demandeur, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95.

b)      Situations dans lesquelles le demandeur doit démontrer son appartenance à un groupe particulièrement vulnérable

84.      Une approche plus nuancée s’impose, à mon sens, dans des situations qui n’atteignent pas le niveau de gravité mentionné dans la section précédente des présentes conclusions. En effet, des situations qui ne sont pas affectées par des défaillances systémiques suffisamment graves pour que les conditions de vie générales soient jugées « indignes » et donc incompatibles avec l’article 4 de la Charte pour, pour ainsi dire, toute personne peuvent néanmoins entraîner des « conditions de vie indignes » pour certains groupes particulièrement vulnérables de personnes (ou certaines personnes particulièrement vulnérables, comme je l’expliquerai dans la section suivante des présentes conclusions) en ne leur permettant pas de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.

85.      À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en particulier, si le fait que le demandeur soit un enfant a une incidence sur le niveau de gravité requis pour que les conditions générales de vie dans la bande de Gaza puissent être considérées comme « indignes ».

86.      Je relève que la Cour a jugé que l’appréciation de l’existence d’un « risque réel de traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte » dépend effectivement de la vulnérabilité particulière du demandeur d’asile concerné (52). En outre, la Cour EDH a reconnu que l ’appréciation du niveau minimal de gravité que doit atteindre un mauvais traitement pour tomber sous le coup de l’article 3 de la CEDH est « nécessairement relative » (53).

87.      En ce qui concerne les enfants, la Cour européenne des droits de l ’homme a itérativement souligné, dans sa jurisprudence relative à l’interprétation de l’article 3 de la CEDH, qu’ils constituent un groupe particulièrement vulnérable ayant des besoins spécifiques, qui se distinguent, notamment en matière de sûreté et de sécurité, de ceux des adultes (54). Cette jurisprudence est reprise dans différents instruments du droit de l’Union en matière d’asile, dès lors que, par exemple, les États membres ont l’obligation de veiller à ce que les conditions de vie offertes aux enfants après qu’ils ont obtenu le statut de réfugié (55), ainsi que dans l’attente d’une décision sur la question de savoir s’ils doivent se voir accorder une protection internationale, soient conformes à leurs besoins et reflètent leur vulnérabilité particulière (56). Ainsi, il semble généralement admis que des conditions de vie qui ne peuvent pas être considérées comme « indignes » pour des adultes pourraient néanmoins être considérées comme telles pour des enfants en tant que groupe (57).

88.      Au vu de ces considérations, il me semble évident que, dans certaines situations, les conditions de vie générales — bien qu’elles ne se soient pas suffisamment détériorées pour créer un risque sérieux d’atteintes graves pour, pour ainsi dire, toute personne — peuvent néanmoins être considérées comme exposant tout enfant à un risque sérieux d’atteintes graves, incompatible avec l’article 4 de la Charte, en raison du fait que les enfants constituent un groupe particulièrement vulnérable de « demandeurs d’asile ».

89.      Dans de telles situations, je suis d’avis que les personnes appartenant à ce groupe particulièrement vulnérable (ou à n’importe quel autre groupe particulièrement vulnérable) ne doivent pas démontrer que les conditions de vie générales sont « indignes » pour elles, et donc incompatibles avec l’article 4 de la Charte d’une manière individualisée, pour autant qu’il puisse être constaté, d’une part, que ces conditions de vie générales sont suffisamment difficiles pour être considérées comme « indignes » pour toute personne appartenant à ce groupe et, d’autre part, que les caractéristiques personnelles pertinentes du demandeur (par exemple, son âge, son sexe ou son affectation ou handicap particulier) permettent de la considérer comme appartenant à ce groupe.

c)      Situations dans lesquelles la personne concernée doit démontrer qu’elle est particulièrement vulnérable ou spécifiquement affectée par les conditions de vie générales du fait de ses circonstances personnelles

90.      Comme je l’ai indiqué au point 84 des présentes conclusions, la jurisprudence de la Cour indique qu’il existe également certaines situations dans lesquelles les conditions de vie générales ne sauraient être considérées comme « indignes » et, partant, comme incompatibles avec l’article 4 de la Charte pour, pour ainsi dire, toute personne ou pour un ou plusieurs groupes particulièrement vulnérables de personnes. Cependant, ces situations peuvent néanmoins créer des « conditions de vie indignes » pour certaines personnes qui doivent être considérées comme particulièrement vulnérables en raison de leur situation personnelle (58) ou qui sont affectées spécifiquement par les mêmes conditions générales en raison d’éléments propres à leur situation personnelle (par exemple, le fait que leur maison se trouve dans une rue régulièrement ciblée par des missiles). En effet, comme M. l’avocat général Wathelet l’a expliqué, « il serait manifestement incompatible avec le caractère absolu [de l’article 4 de la Charte] que les États membres puissent méconnaître un risque réel et avéré de traitements inhumains ou dégradants affectant un demandeur d’asile sous prétexte qu’il ne résulte pas d’une défaillance systémique » (59).

91.      La Cour a déjà mis en œuvre ce raisonnement dans le cadre de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a) de la directive 2011/95. En effet, dans son arrêt dans l’affaire OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), qui concernait une personne souffrant d’une maladie particulièrement grave, elle a conclu que la protection ou l’assistance de l’UNRWA doit être regardée comme ayant « cessé » si cet organisme n’est pas en mesure d’assurer à une telle personne l’accès aux soins et aux traitements médicaux sans lesquels cette dernière court un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie (60).

92.      Dans des situations telles que celle ayant donné lieu à l’arrêt OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne), les conditions de vie générales prévalant dans une partie de la zone d’opération de l’UNRWA n’étaient pas, à elles seules, suffisamment difficiles pour constater l’existence d’un traitement incompatible avec l’article 4 de la Charte pour toute personne, voire pour un groupe particulier de personnes. Cependant, le demandeur était en mesure d’invoquer une situation personnelle propre la rendant particulièrement vulnérable et rendant ces conditions générales de vie insupportables et « indignes » (et donc incompatibles avec cette disposition) pour lui de manière individualisée.

2.      Mais la nécessité dune évaluation individuelle au cas par cas

93.      Je viens de détailler, dans les sections précédentes des présentes conclusions, trois scénarios dans lesquels la protection ou l’assistance de l’UNRWA peut être considérée comme ayant « cessé » en raison de l’incapacité de cet organisme à assurer des conditions de vie dignes aux apatrides d’origine palestinienne qui ont eu recours à sa protection ou à son assistance, en garantissant, en substance, la satisfaction de leurs besoins élémentaires tels que, notamment, ceux de se nourrir, de se laver et de se loger.

94.      Selon moi, le poids respectif qu’il convient d’accorder aux conditions de vie générales prévalant dans la zone d’opération de l’UNRWA ou dans une partie de celle-ci, d’une part, et à la situation personnelle ou aux circonstances particulières des personnes concernées, d’autre part, varie en fonction de celui de ces trois scénarios qui trouve à s’appliquer. Dans les deux premiers scénarios, il n’est pas nécessaire de démontrer que ces conditions générales de vie sont « indignes » pour la personne concernée de manière individualisée parce que ces conditions sont tellement difficiles qu’elles peuvent être considérées comme « indignes » et donc comme incompatibles avec l’article 4 de la Charte pour toute personne ou pour un groupe particulièrement vulnérable auquel cette personne appartient. Dans le troisième scénario, en revanche, la nature « indigne » des conditions de vie générales doit être démontrée de manière individualisée, en se fondant sur la vulnérabilité particulière ou d’autres circonstances propres à la personne concernée.

95.      Je souhaiterais formuler la remarque supplémentaire suivante. Si les conditions générales de vie prévalant dans une partie de la zone d’activité de l’UNRWA sont toujours pertinentes pour déterminer si la protection ou l’assistance de cet organisme a « cessé » au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, elles ne peuvent être prises en compte que dans le contexte d’une évaluation individuelle. La Cour a d’ailleurs déjà souligné cette exigence dans l’arrêt Abed El Karem El Kott e.a. (61). En effet, elle a jugé que, lorsqu’elles examinent si une personne, pour des raisons échappant à son contrôle et indépendantes de sa volonté, n’était plus en mesure de bénéficier de l’assistance qui lui était octroyée avant qu’elle ne quitte la zone d’opération de l’UNRWA, les autorités nationales compétentes doivent procéder à une évaluation individuelle de tous les éléments pertinents.

96.      À la lumière de cette jurisprudence, je partage donc l’avis de la Commission selon lequel les éléments de nature générale qui se rapportent aux conditions de vie générales dans la zone concernée dans laquelle l’UNRWA opère ou une partie de celle-ci (en l’occurrence la bande de Gaza) doivent toujours être intégrés dans une évaluation individuelle. Même dans le premier scénario, le statut de réfugié n’est pas automatiquement accordé à tous. Comme je l’ai déjà indiqué au point 83 des présentes conclusions, les personnes concernées doivent encore demander ce statut, et une analyse au cas par cas est requise pour constater non seulement qu’elles ont effectivement eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA dans la région concernée (ou une partie de celle-ci), mais également que, à l’époque de cet examen, les conditions générales de vie dans cette région géographique peuvent être considérées comme « indignes » pour, pour ainsi dire, toute personne, de sorte qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur, s’il devait y retourner, courrait un risque réel d’atteintes incompatibles avec l’article 4 de la Charte, du seul fait de sa présence et sans avoir à démontrer qu’il y serait spécifiquement exposé.

97.      Il importe d’insister sur la nécessité d’une telle évaluation individuelle. À défaut de cette exigence, le régime mis en place par l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 deviendrait, à certains égards, équivalent à celui institué par la directive 2001/55/CE (62), qui accorde une protection temporaire (une autre forme de protection, distincte et moins étendue que la protection accordée par le statut de réfugié ou la protection subsidiaire) en cas d’afflux massif de personnes déplacées, sans que ces personnes doivent présenter des demandes individuelles ni, partant, faire l’objet d’une évaluation individuelle. Or, cette directive n’a vocation à s’appliquer que dans certaines situations limitées et seulement à la suite d’une décision formelle du Conseil de l’Union européenne (une telle décision a, par exemple, été récemment adoptée pour les personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine à partir du 24 février 2022, à la suite de l’invasion militaire des forces armées russes) (63). Selon moi, le régime prévu par l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 ne saurait se substituer à celui institué par la directive 2001/55.

98.      En outre, je rappelle que, comme je l’ai déjà expliqué au point 38 des présentes conclusions, avant d’accorder le statut de réfugié en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, les autorités nationales compétentes doivent également vérifier au cas par cas que la personne concernée ne relèvent pas de l’un ou de l’autre des motifs d’exclusion énoncés à l’article 12, paragraphe 1, sous b), à l’article 12, paragraphe 2, et à l’article 12, paragraphe 3, de cette directive (64). Ces dispositions prévoient, en substance, que le statut de réfugié ne sera pas accordé à un apatride d’origine palestinienne (même s’il a eu recours à la protection ou à l’assistance de l’UNRWA) s’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a commis certains crimes (crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes graves de droit commun en dehors du pays de refuge ou autres agissements contraires aux principes des Nations unies) ou qu’elles en sont les instigatrices ou qu’elles y ont participé de quelque autre manière. Cela inclurait, selon moi, la commission d’actes de terrorisme et toute forme de participation ou d’incitation à commettre de tels actes (par exemple, pour prendre l’exemple le plus récent, les actes commis par le Hamas à l’encontre d’Israël).

99.      Il s’ensuit, comme l’a déjà jugé la Cour, que le fait que les apatrides d’origine palestinienne puissent se prévaloir ipso facto de ladite directive, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cet instrument n’entraîne pas un droit inconditionnel de se voir reconnaître le statut de réfugié (65).

C.      Sur la quatrième question préjudicielle : l’articulation entre l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive et les dispositions relatives à la protection subsidiaire

100. Telle que je la comprends, la quatrième question – dont l’objet et le sens sont, je dois l’admettre, assez difficiles à comprendre à première vue – porte sur l’articulation entre l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 (qui permet, sous certaines conditions, aux apatrides d’origine palestinienne de bénéficier ipso facto du statut de réfugié) avec les dispositions de cet instrument relatives à la « protection subsidiaire » – qui est, comme je l’ai déjà indiqué au point 71 des présentes conclusions, une forme de protection internationale différente (et moins étendue) (66) de celle conférée par le statut de réfugié.

101. En particulier, la juridiction de renvoi demande, premièrement, si le principe de non‑refoulement, consacré notamment à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, s’applique à une situation dans laquelle un apatride d’origine palestinienne, bien que n’ayant pas droit au statut de réfugié au titre de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, peut bénéficier de la protection subsidiaire en application de son article 15, sous b). Le droit d’une telle personne à la protection subsidiaire serait fondé sur le fait que, si elle devait retourner dans la zone d’opération de l’UNRWA, elle se trouverait dans une situation de « dénuement matériel extrême » analogue à celle décrite au point 81 des présentes conclusions.

102. Deuxièmement, cette juridiction demande à la Cour de préciser si, lorsqu’elle examine si une personne remplit les conditions d’obtention du statut de réfugié énumérées à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, les autorités nationales compétentes doivent tenir compte non seulement du principe de non-refoulement, mais également des éléments pertinents pour déterminer si elle pourrait bénéficier de la protection subsidiaire en application de l’article 15, sous b), de cette directive.

103. Comme je l’ai expliqué dans mes conclusions dans l’affaire SW (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (67), le régime unique auquel les apatrides d’origine palestinienne sont soumis en vertu de la directive 2011/95 concerne seulement la possibilité de se voir reconnaître le statut de réfugiés, non celle de bénéficier de la protection subsidiaire (68). Ces personnes, tout comme les autres demandeurs d’asile, peuvent donc demander le statut conféré par la protection subsidiaire en vertu de l’article 18 de cette directive, et elles ne sont pas exclues de ce statut.

104. Les conditions à remplir pour qu’une personne puisse prétendre à la protection subsidiaire sont détaillées aux chapitres II et V de la directive 2011/95. Il faut, en substance, démontrer que la personne concernée court un risque réel de subir des atteintes graves. Les « atteintes graves » sont définies à l’article 15 de cette directive et consistent en « la peine de mort ou l’exécution » [article 15, sous a)], « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés [...] dans [le] pays d’origine » [article 15, sous b)], ou en « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne [du demandeur] en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international » [article 15, sous c)].

105. Au vu de ces éléments, il me semble évident que le niveau d’atteinte auquel un apatride d’origine palestinienne serait exposé s’il devait retourner dans la zone concernée dans laquelle opère l’UNRWA, peut très bien atteindre le seuil des « atteintes graves » énumérées à l’article 15 de la directive 2011/95, par exemple parce qu’il équivaut à de « la torture ou [à] des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants » [article 15, sous b)], et, dans le même temps, être suffisamment grave pour pouvoir conclure que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à son égard a « cessé », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive. Les deux régimes [celui permettant d’obtenir le statut de « réfugié » en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), ou celui permettant d’obtenir le statut conféré par la « protection subsidiaire » en application de l’article 15, sous b)] permettent, en substance, de prendre en compte les mêmes niveaux d’atteinte, à savoir des « traitements inhumains ou dégradants » incompatibles avec l’article 4 de la Charte.

106. En outre, s’agissant de l’article 15, sous c), de la directive 2011/95, la Cour a précisé, dans son arrêt Elgafaji (69), que, si l’existence d’un risque lié à la situation générale d’un pays ne suffit pas, en principe, à établir que les conditions pour obtenir la protection subsidiaire sont remplies dans le chef d’une personne déterminée, certaines exceptions existent néanmoins. En effet, dans certaines situations, le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé peut atteindre un niveau si élevé que les demandeurs de protection internationale ne sont pas tenus de rapporter la preuve qu’ils sont visés spécifiquement en raison d’éléments propres à leur situation personnelle. À cet égard, la Cour a adopté, en substance, la même logique que celle que j ’ai exposée dans la section précédente des présentes conclusions. Plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire. Par conséquent, les deux régimes [celui permettant d’obtenir le statut de « réfugié » en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 ou celui permettant d’obtenir le statut conféré par la « protection subsidiaire » en application de l’article 15, sous b)] peuvent être invoqués pour protéger les apatrides d’origine palestinienne qui sont confrontés à une violence aveugle.

107. Cependant, nonobstant ces similitudes, les deux statuts s’excluent mutuellement. Non seulement une personne ne peut pas bénéficier simultanément des deux statuts, mais lesdits statuts doivent également toujours être attribués indépendamment l’un de l’autre. Il s’ensuit que, pour établir si une personne peut ipso facto se prévaloir du statut de réfugié en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, il n’est pas nécessaire que les autorités nationales compétentes examinent si la personne concernée remplit les conditions d’octroi de la « protection subsidiaire ».

108. À l’inverse, une personne qui ne remplit pas les conditions pour que la protection de l’UNRWA soit considérée comme ayant « cessé » au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, par exemple parce que le risque réel de traitements inhumains ou dégradants auxquels elle serait exposée en cas de retour dans la zone d’opération de l’UNRWA n’est pas lié à la mission de cet organisme (70), peut néanmoins demander et obtenir, si les conditions applicables sont remplies, le statut conféré par la « protection subsidiaire ».

109. En outre, si une personne admissible à la protection subsidiaire était tenue de retourner dans la zone d’opération de l’UNRWA et de faire face à des « conditions de vie indignes » ou à un « dénuement matériel extrême », il est évident qu’il y aurait violation du principe de non‑refoulement consacré à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. Je rappelle que l’application de ce principe n’est pas limitée aux ayant droit au statut de réfugié (71). Par conséquent, le principe de non‑refoulement s’applique — et doit être respecté — quel que soit le statut spécifique (statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire) auquel la personne concernée peut prétendre.

V.      Conclusion

110. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions posées à titre préjudiciel par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) :

1)      L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, lu conjointement avec l’article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale,

doit être interprété en ce sens que le fait que certains éléments invoqués par des apatrides d’origine palestinienne cherchant à obtenir le statut de réfugié en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95, ont déjà été analysés par les autorités nationales compétentes au cours de la procédure relative à des demandes antérieures des personnes concernées, fondées sur d’autres dispositions de cette directive, ne dispense pas ces autorités de les examiner à nouveau lorsqu’elles vérifient si la protection ou l’assistance a “cessé” au sens de cette disposition.

2)      L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95

doit être interprété en ce sens qu’il ne saurait être exclu que la zone d’opération de l’UNRWA, ou une partie de celle-ci, puisse rencontrer des défaillances systémiques d’une gravité telle qu’il existe un risque sérieux que toute personne qui y serait renvoyée se trouve dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humain et, partant, avec l’article 4 de la Charte. Dans une telle situation, il n’est pas nécessaire, pour constater que la protection ou l’assistance de l’UNRWA a « cessé » au sens de cette disposition, que la personne concernée démontre que les conditions de vie générales prévalant dans cette zone ou dans une partie de celle-ci sont indignes pour elle de manière individualisée, parce que les conditions de vie générales peuvent être considérées comme « indignes » pour, pour ainsi dire, toute personne. Cependant, le droit au statut de réfugié n’est pas inconditionnel, même dans une telle situation. La personne concernée doit demander la protection internationale. En outre, une évaluation individuelle demeure requise pour vérifier, notamment, qu’aucune des exclusions énoncées à l’article 12, paragraphe 1, sous b), à l’article 12, paragraphe 2, et à l’article 12, paragraphe 3, de cette directive, ne s’applique. La question de savoir si cette personne a droit à la protection subsidiaire au sens de l’article 2, sous g), de la même directive est dénuée de pertinence aux fins de cette évaluation.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Voir résolution n° 302 (IV) de l’Assemblée générale des Nations unies, du 8 décembre 1949. Selon les Consolidated Eligibility and Registration Instructions [instructions consolidées relatives à l’admissibilité et à l’enregistrement] (ci-après les « CERI ») de l’UNRWA (disponibles à l’adresse Internet suivante : https://www.unrwa.org/sites/default/files/2010011995652.pdf) une protection ou une assistance est accordée aux personnes remplissant les critères fixés par cet organisme pour pouvoir être considéré comme un réfugié de Palestine (à savoir toute personne dont la résidence habituelle se trouvait en Palestine pendant la période allant du 1er juin 1946 au 15 mai 1948 et qui a perdu à la fois son domicile et ses moyens de subsistance à la suite du conflit de 1948, ainsi que les descendants de ces personnes, y compris les enfants légalement adoptés, par l’intermédiaire de la ligne mâle) de même qu’à certaines autres catégories de personnes désignées comme « autres personnes enregistrées ». Ce document indique que « [t]outes les demandes d’enregistrement auprès de l’UNRWA font l’objet d’un examen approfondi par le personnel de l’UNRWA chargé de l’admissibilité et de l’enregistrement et [que] les décisions relatives à l’admissibilité aux services de l’UNRWA sont prises au cas par cas » [traduction libre].


3      Voir résolution no 77/123 de l’Assemblée générale des Nations unies du 12 décembre 2022.


4      Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).


5      Outre le nombre alarmant de décès parmi la population civile depuis le 7 octobre 2023, un grand nombre de victimes ont été signalées parmi les membres du personnel de l’UNRWA actifs dans cette région. Le 27 octobre 2023, António Guterres, secrétaire général des Nations unies, a déclaré que « [l]e système humanitaire de Gaza risque un effondrement total avec des conséquences inimaginables pour plus de 2 millions de civils » (voir « Déclaration du Secrétaire général — sur la situation humanitaire à Gaza », disponible sur le site Internet des Nations unies). Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, s’est exprimé devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 30 octobre 2023, en déclarant que « [l] e système mis en place pour permettre l’aide dans Gaza est voué à l’échec, à moins qu’il y ait une volonté politique de rendre le flux d’approvisionnement significatif, en adéquation avec les besoins humanitaires sans précédent » [traduction libre] (https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/un-security-council-emergency-briefing-situation-middle-east). Le 7 décembre 2023, M. Lazzarini a écrit à Dennis Francis, président de l’Assemblée générale des Nations unies, que « la capacité de l’UNRWA à mettre en œuvre son mandat de l’Assemblée générale à Gaza [était] sévèrement limitée avec des conséquences immédiates et désastreuses pour la réponse humanitaire des Nations unies et la vie des civils à Gaza » et que la situation humanitaire dans cette région était “intenable” » [traduction libre] (https://www.unrwa.org/resources/un-unrwa/letter-unrwa-commissioner-general-philippe-lazzarini-un-general-assembly). Le 29 décembre 2023, il a ajouté que « la quantité d’aide nécessaire et urgente acheminée continue d’être limitée et rencontre de obstacles logistiques » [traduction libre] (https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/gaza-strip-unrwa-calls-unimpeded-and-safe-access-deliver-much-needed). Les événements survenus dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023 ont également conduit l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations unies à adopter des résolutions. Le contenu de ces résolutions est détaillé aux points 8 à 11 des présentes conclusions.


6      La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, nº 2545 (1954), p. 150], est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été complétée et amendée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, qui est entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la « convention de Genève »).


7      A/RES/ES-10/21, disponible à l’adresse Internet suivante : https://digitallibrary.un.org/record/4025940?ln=fr.


8      S/RES/2712 (2023), disponible à l’adresse Internet suivante : http://unscr.com/en/resolutions/doc/2712.


9      A/RES/ES-10/22, disponible à l’adresse Internet suivante : https://digitallibrary.un.org/record/4031196?ln=fr.


10      S/RES/2720(2023), disponible à l’adresse Internet suivante : https://daccess-ods.un.org/tmp/6610222.45883942.html.


11      Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


12      Arrêt du 17 février 2009 (C‑465/07, EU:C:2009:94).


13      JO 2019, C 390, p. 108.


14      Disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.refworld.org/docid/6239805f4.html.


15      Arrêt du 19 mars 2019 (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 92).


16      Voir arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) (C‑238/19, EU:C:2020:945, point 20 et jurisprudence citée).


17      C‑294/22, EU:C:2023:388, points 19 à 21. Voir, également, arrêt du 5 octobre 2023, OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:733, points 30 et 31).


18      Elle ne vise donc pas les personnes qui sont ou ont été seulement éligibles à bénéficier d’une protection ou d’une assistance de cet organisme, mais sans avoir effectivement eu recours à cette aide ou à cette assistance (voir arrêt du 17 juin 2010, Bolbol, C‑31/09, EU:C:2010:351, point 51).


19      Voir arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott e.a. (C‑364/11, EU:C:2012:826, point 71, ci-après l’« arrêt Abed El Karem El Kott e.a. »).


20      Voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:584, point 86 et jurisprudence citée).


21      C‑31/09, EU:C:2010:119, points 41 et 43.


22      Voir HCR, Principes directeurs sur la protection internationale no 13, point 2. Selon ma compréhension, c’est précisément parce que les apatrides d’origine palestinienne sont déjà reconnus comme réfugiés par la communauté internationale qu’ils peuvent, dans certaines circonstances, bénéficier ipso facto du statut de réfugié en vertu de la convention de Genève (et de la directive 2011/95), à savoir sans devoir satisfaire aux critères généraux pour se voir octroyer ce statut.


23      Voir, également, arrêt Abed El Karem El Kott e.a., point 62. Aucune solution à cet égard n’a cependant été trouvée à ce jour.


24      Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2023, OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:733, point 37 et jurisprudence citée).


25      En outre, en vertu de l’article 40, paragraphe 4, de cette directive, les États membres peuvent prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les « éléments nouveaux ».


26      Voir arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, point 50) et mes conclusions dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure) (C‑216/22, EU:C:2023:646, point 34).


27      Concernant les deux types de situations couvertes par l’article 40, paragraphe 1, de la directive 2013/32, voir arrêts du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C‑652/16, EU:C:2018:801, point 98), et du 9 septembre 2021, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Demande ultérieure de protection internationale) (C‑18/20, EU:C:2021:710, point 23).


28      À cet égard, le gouvernement bulgare se réfère à l’arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, point 50).


29      En vertu de cette disposition, les demandes ultérieures ne peuvent être déclarées irrecevables que lorsque n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE. L’article 40, paragraphe 3, de cette directive indique également clairement que l’« élément nouveau » doit « augmente[r] de manière significative la probabilité » que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.


30      À cet égard, on ne saurait cependant exclure que la question de savoir si un « élément nouveau » « augment[e] de manière significative la probabilité » que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale ne puisse être analysée indépendamment des autres éléments du dossier, de sorte que les autorités devraient, en tout état de cause, également tenir compte d’autres éléments au stade de la recevabilité.


31      Voir article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2013/32.


32      Si un élément de fait a été considéré comme dénué de pertinence au cours de la procédure d’asile antérieure, les autorités nationales compétentes ont pu l’écarter sans examiner s’il était étayé par des éléments de preuve suffisants. Il se pourrait donc que la justesse de cet élément doive être réexaminée.


33      Les « actes de persécution » sont définis à l’article 9 de la directive 2011/95.


34      Voir arrêt du 5 octobre 2023, OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:733, points 34 et 36 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi que la Cour l’a expliqué, une simple absence de la zone d’opération de l’UNRWA sans aucune indication que la personne concernée a été contrainte de quitter cette zone, ou une décision volontaire de la quitter ne saurait être qualifiée de cessation de la protection ou de l’assistance.


35      À cet égard, j’ajoute que, comme je l’ai expliqué dans mes conclusions dans l’affaire SW (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:388, point 40), les termes « risque sérieux » renvoient au caractère réel du risque que ces menaces pour l’état personnel de sécurité se réalisent effectivement et que la sécurité de la personne concernée sera affectée si elle restait dans la zone d’opération de l’UNRWA. Pour être qualifiées de menaces pour l’« état personnel de sécurité », les menaces doivent être suffisamment graves (elles doivent, en d’autres termes, présupposer des atteintes graves).


36      Voir arrêt du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑349/20, EU:C:2022:151, point 82 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 13 janvier 2021, Bundesrepublik Deutschland (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑507/19, EU:C:2021:3, points 44 et 54 ainsi que jurisprudence citée).


37      Arrêt du 3 mars 2022, C‑349/20, EU:C:2022:151, points 56 et 57. Cet arrêt portait sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12), qui a été abrogée et remplacée par la directive 2011/95. Cependant, cette disposition est identique à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive.


38      Arrêt du 3 mars 2022, Secretary of State for the Home Department (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑349/20, EU:C:2022:151, point 58).


39      Voir article 2, sous a), e) et g), de la directive 2011/95.


40      Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la « CEDH »), signée à Rome le 4 novembre 1950. En vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le sens et la portée de son article 4 sont les mêmes que ceux de l’article 3 de la CEDH.


41      Voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 87 et jurisprudence citée). Je relève que le respect de la dignité humaine fait l’objet de l’article 1er de la Charte. Comme l’a expliqué Mme l’avocate générale Trstenjak, « l’article 1er de celle-ci dispose que la dignité humaine doit non seulement être “respectée”, mais également “protégée”. L’article 4 de la charte des droits fondamentaux comporte lui aussi une telle fonction de protection positive » (voir conclusions dans les affaires jointes N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:610, point 112).


42      Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), pour tomber sous le coup de l’article 3 de la CEDH (disposition équivalente à l’article 4 de la Charte), un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité (voir, notamment, Cour EDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, CE:ECHR:2010:0601JUD002297805, § 88 et jurisprudence citée).


43      L’article 19, paragraphe 2, de la Charte est fondé sur le même niveau d’atteinte que son article 4. Pour autant que de besoin, je relève que, dans la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi mentionne le principe de non‑refoulement en se référant expressément non seulement à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, mais aussi à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95. La Commission fait valoir que cette disposition n’est pas applicable lorsque les autorités nationales compétentes examinent si les conditions prévues à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive sont remplies parce qu’elle fait partie (et s’applique aux seules dispositions) du chapitre VII de la directive 2011/95, alors que l’article 12, paragraphe 1, sous a) relève du chapitre III de cet instrument. Cependant, il me semble évident que l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95 de la directive 2011/95 n’est rien d’autre qu’une expression concrète de ce principe général qui doit être respecté par les États membres chaque fois qu’ils appliquent cet instrument.


44      Quelle que puisse être la cause de l’échec de l’UNRWA.


45      Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2023, SW (Statut de réfugié d’un apatride palestinien) (C‑294/22, EU:C:2023:733, point 45).


46      Voir, à cet égard, arrêt du 17 février 2009 (C‑465/07, EU:C:2009:94, point 43). Voir, également, arrêt du 10 juin 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notion de « menaces graves et individuelles ») (C‑901/19, EU:C:2021:472, points 27 et 28), et, tout récemment, arrêt du 9 novembre 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Notion d’atteintes graves) (C‑125/22, EU:C:2023:843, points 40 et 41).


47      Arrêt du 19 mars 2019 (C‑163/17, EU:C:2019:218). Cet arrêt portait sur la question de savoir si l’article 4 de la Charte pouvait s’opposer au transfert d’un demandeur vers l’État membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale en raison de défaillances systémiques alléguées dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil dans cet État membre. Sur la même question, voir, également, arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 81 et 86 à 94)


48      Arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 85).


49      Arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 91).


50      Arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, points 92 et 93).


51      Voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Notion d’atteintes graves) (C‑125/22, EU:C:2023:843, point 41 et jurisprudence citée).


52      Voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a. (C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 73).


53      Voir, notamment, Cour EDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1978:0425JUD000585672, § 30).


54      Voir Cour EDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse (CE:ECHR:2014:1104JUD00292171, § 99). À cet égard, la Cour EDH a rappelé que les enfants ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et à leur dépendance mais aussi à leur statut de demandeur d’asile.


55      Voir article 20, paragraphe 3, de la directive 2011/95, qui dispose que les enfants (de même que les personnes handicapées, les personnes âgées et les femmes enceintes, entre autres) sont des « personnes vulnérables ». La Commission estime que cette disposition n’est pas applicable dans une situation telle que celle en cause au principal. En effet, elle relève que l’article 20, paragraphe 3, fait partie du chapitre VII de la directive 2011/95. Ce chapitre, intitulé « Contenu de la protection internationale » [et dont ne relève pas l’article 12, paragraphe 1, sous a)] porte sur les garanties que les États membres doivent mettre en place une fois qu’une personne s’est vu accorder le statut de réfugié, et non pas avant. Cependant, selon moi, il ne s’ensuit pas que cette disposition ne puisse pas être invoquée comme illustrant le fait que les mineurs sont généralement reconnus comme un groupe particulièrement vulnérable de demandeurs d’asile.


56      Voir, à cet égard, directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).


57      J’ajoute que le considérant 18 de la directive 2011/95 énonce que « l’“intérêt supérieur de l’enfant” devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, conformément à la convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant. Lorsqu’ils apprécient l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres devraient en particulier tenir dûment compte du principe de l’unité familiale, du bien-être et du développement social du mineur, de considérations tenant à la sûreté et à la sécurité et de l’avis du mineur en fonction de son âge et de sa maturité ». Ce considérant reflète le contenu de l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, qui doit être respecté dans tous les actes relatifs aux enfants.


58      La Cour a reconnu, en substance, qu’une situation qui ne constitue pas une situation de dénuement matériel extrême pour tous peut néanmoins être considérée comme telle à l’égard d’un demandeur en mesure de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres et attestant une vulnérabilité particulière (voir, à cet égard, arrêt du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 95). Voir, également, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a. (C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 73), qui portait sur un demandeur d’asile présentant une affection psychiatrique particulièrement grave, à savoir une dépression post-partum et des tendances suicidaires périodiques. À cet égard, je rappelle également que la Cour EDH a jugé, à propos de l’article 3 de la CEDH, que la question de savoir si les mauvais traitements subis ou que la personne risque de subir atteignent le niveau de gravité requis dépend « dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime » (voir Cour EDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, CE:ECHR:2014:1104JUD002921712, § 118).


59      Conclusions dans l’affaire Jawo (C‑163/17, EU:C:2018:613, point 86).


60      Voir arrêt du 5 octobre 2023, OFPRA (Statut de réfugié d’un apatride d’origine palestinienne) (C‑294/22, EU:C:2023:733, points 46 et 48 ainsi que dispositif).


61      Voir point 64 de cet arrêt.


62      Directive 2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (JO 2001, L 212, p. 12).


63      Voir décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil, du 4 mars 2022, constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire (JO 2022, L 71, p. 1).


64      Voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:584, point 86 et jurisprudence citée).


65      Voir arrêt Abed El Karem El Kott e.a., point 75.


66      Par exemple, la durée du titre de séjour peut être plus courte (voir article 24 de la directive 2011/95) Les États membres peuvent également limiter l’accès à la protection sociale (voir article 29 de cette directive).


67      C‑294/22, EU:C:2023:388, point 29.


68      Voir arrêt Abed El Karem El Kott e.a., point 68.


69      Arrêt du 17 février 2009 (C‑465/07, EU:C:2009:94, points 36, 37 et 39).


70      Comme je l’ai expliqué au point 62 des présentes conclusions, la seconde condition d’application de la clause d’inclusion figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95 est l’impossibilité pour l’UNRWA de garantir que les conditions de vie de la personne concernée dans sa zone d’opération soient conformes à la mission qui lui a été confiée. La mission de l’UNRWA est d’assurer des conditions de vie « dignes » en subvenant aux besoins élémentaires des personnes placées sous sa protection. Pour donner un exemple simple, si la personne concernée risquait la peine de mort pour avoir commis une infraction aux lois en vigueur dans la zone d’opération de l’UNRWA, cette atteinte ne serait pas en lien avec la mission de l’UNRWA, mais elle pourrait néanmoins permettre à la personne concernée de bénéficier d’une « protection subsidiaire » au titre de l’article 15, sous a), de cette directive.


71      Dès lors qu’il exige que « [n]ul ne [soit] éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » (soulignement par mes soins).