Language of document : ECLI:EU:T:2021:671

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

1er octobre 2021 (*)

« Fonction publique – Article 100 du RAA – Réserve médicale d’une durée de cinq ans – Plainte auprès du Médiateur – Délai de recours – Tardiveté – Absence de faits nouveaux et substantiels – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑74/20,

IJ, représentée par Mes L. Levi, M. Vandenbussche et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. T. Lazian et Mme C. González Argüelles, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et M. Alver, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr, L. Vernier et Mme M. Brauhoff, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du Parlement du 10 octobre 2018, appliquant à la requérante la réserve médicale prévue à l’article 100, premier alinéa, du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne et, pour autant que de besoin, de la décision du 29 octobre 2019 rejetant la réclamation du 8 janvier 2019 dirigée contre ladite décision,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, L. Truchot et M. Sampol Pucurull (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le [confidentiel] (1), IJ, la requérante a été recrutée par le Parlement européen, sur le fondement de l’article 5 bis du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci‑après le « RAA »), en tant qu’[confidentiel].

2        Dans la perspective de son engagement, la requérante s’est soumise, le [confidentiel], à un examen médical auprès du service médical de l’institution. Au vu de cet examen, le médecin-conseil a émis un rapport médical selon lequel la requérante possédait les aptitudes physiques requises pour l’exercice de ses fonctions. Toutefois, compte tenu de la maladie de la requérante révélée lors dudit examen médical, le médecin‑conseil a proposé l’application de la réserve médicale mentionnée à l’article 100, premier alinéa, du RAA pour les suites et conséquences de cette maladie.

3        Par décision du 10 octobre 2018, l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci‑après l’« AHCC ») du Parlement a informé la requérante que, conformément à la recommandation de son médecin-conseil, elle avait décidé d’appliquer la réserve médicale mentionnée à l’article 100, premier alinéa, du RAA. À cet égard, l’AHCC a décidé de n’admettre la requérante au bénéfice des garanties prévues en matière d’invalidité ou de décès qu’à l’issue d’une période de cinq ans, à compter de la date de son entrée au service du Parlement, pour les suites et conséquences de la maladie en cause.

4        Le 8 janvier 2019, la requérante a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), contre la décision de l’AHCC du 10 octobre 2018. Ladite réclamation a été introduite par courrier électronique adressé à la directrice du département des ressources humaines du Parlement ainsi que par courrier interne au sein du Parlement. La réclamation par courrier interne n’est parvenue au Parlement que le 23 janvier 2019. Le service juridique du Parlement a envoyé à la requérante un accusé de réception de sa réclamation le 25 janvier 2019.

5        Par décision du 20 mai 2019, l’AHCC a rejeté la réclamation au motif qu’elle était tardive et donc irrecevable.

6        Le 16 juillet 2019, la requérante a déposé une plainte auprès du Médiateur européen.

7        Par courrier électronique du 19 septembre 2019, le service juridique du Parlement a informé la requérante que, suite au dépôt de sa plainte auprès du Médiateur et des preuves apportées à l’appui de celle-ci, il avait décidé d’analyser le fond de la réclamation introduite le 8 janvier 2019, sans préjudice de la décision finale.

8        Le 7 octobre 2019, le Médiateur a adopté une décision mettant fin à la procédure devant lui au motif que le Parlement avait accepté d’examiner le bien-fondé de la réclamation de la requérante introduite le 8 janvier 2019.

9        Par décision du 29 octobre 2019, notifiée à la requérante le 2 novembre 2019, l’AHCC a reconnu que la réclamation avait été introduite dans le délai prescrit à l’article 90 du statut et a rejeté ladite réclamation.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 février 2020, la requérante a introduit le présent recours.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 février 2020, la requérante a demandé que l’anonymat lui soit accordé en application de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 7 avril 2020, le Tribunal a fait droit à cette demande.

12      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 13 et le 20 mai 2020, la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne ont demandé à intervenir au soutien des conclusions du Parlement. Par actes déposés au greffe du Tribunal le 9 juillet 2020, la requérante a demandé au Tribunal que, conformément à l’article 144, paragraphes 5 et 7, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication aux demandeurs d’intervention et a produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des actes de procédure en question.

13      Par ordonnance du 31 juillet 2020, le président de la septième chambre du Tribunal a admis les interventions de la Commission et du Conseil au soutien des conclusions du Parlement. La décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel déposée par la requérante a été réservée.

14      Sur la base des versions non confidentielles des pièces de procédure, la Commission et le Conseil ont déposé leurs mémoires en intervention respectivement les 2 et 5 octobre 2020. Les parties principales ont déposé leurs observations sur ces mémoires en intervention dans les délais impartis.

15      Le 6 mai 2021, le Tribunal a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, invité les parties principales à se prononcer sur la recevabilité du recours et, plus précisément, sur le respect du délai prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut. Les parties principales ont déféré à cette demande dans le délai qui leur était imparti.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 10 octobre 2018 en ce qu’elle lui applique la réserve médicale prévue à l’article 100 du RAA ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision du 29 octobre 2019 ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

17      Le Parlement, soutenu par la Commission et le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter les demandes d’annulation de la décision du 10 octobre 2018 appliquant à la requérante la réserve médicale prévue à l’article 100 du RAA ainsi que de la décision du 29 octobre 2019 ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      En vertu de l’article 129 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non‑recevoir d’ordre public.

19      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier ainsi que par les réponses des parties principales à la mesure d’organisation de la procédure et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

20      À titre liminaire, il convient de rappeler que les délais de réclamation et de recours, visés aux articles 90 et 91 du statut, sont d’ordre public et ne sauraient être laissés à la disposition des parties et du juge à qui il appartient de vérifier, même d’office, s’ils ont été respectés. Ces délais répondent à l’exigence de la sécurité juridique, en empêchant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit, et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir arrêts du 29 juin 2000, Politi/ETF, C‑154/99 P, EU:C:2000:354, point 15 et jurisprudence citée, et du 9 avril 2019, Aldridge e.a./Commission, T‑319/17, non publié, EU:T:2019:231, point 27 et jurisprudence citée).

21      Aux termes de l’article 91, paragraphe 3, du statut, le recours devant le Tribunal doit être formé dans un délai de trois mois à compter de la date d’expiration du délai de réponse, lorsque le recours porte sur une décision implicite de rejet d’une réclamation présentée en application de l’article 90, paragraphe 2. Néanmoins, lorsqu’une décision explicite de rejet d’une réclamation intervient après la décision implicite de rejet mais dans le délai de recours, elle fait à nouveau courir le délai de recours. Ainsi, le législateur de l’Union n’a prévu la possibilité que d’une seule prorogation du délai prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut. En outre, selon l’article 60 du règlement de procédure, « [l]es délais de procédure sont augmentés d’un délai de distance forfaitaire de dix jours ».

22      En l’espèce, il ressort du dossier que le 10 octobre 2018, l’AHCC a adopté la décision appliquant la réserve médicale à la requérante (voir point 3 ci-dessus). Le 8 janvier 2019, la requérante a introduit une réclamation contre ladite décision (voir point 4 ci-dessus). La réclamation a été introduite par voie électronique ainsi que par courrier interne au sein du Parlement. Toutefois, la réclamation adressée par courrier interne n’est parvenue que le 23 janvier 2019 au Parlement, qui a envoyé à la requérante un accusé de réception de sa réclamation le 25 janvier 2019.

23      Une décision implicite de rejet de cette réclamation a donc été adoptée le 8 mai 2019. Toutefois, par décision du 20 mai 2019, l’AHCC a rejeté explicitement la réclamation de la requérante au motif qu’elle était tardive et donc irrecevable. Cette décision a été notifiée à la requérante, en mains propres, le 28 juin 2019.

24      La requérante disposait alors, selon l’article 91, paragraphe 3, du statut, d’un délai de trois mois, augmenté du délai de distance, à compter de la date de notification de la décision explicite de rejet de sa réclamation pour présenter un recours contre la décision du 10 octobre 2018. Or, il convient de constater que le recours de la requérante a été introduit le 7 février 2020, soit plus de trois mois et dix jours après la notification, le 28 juin 2019, de la décision de rejet de la réclamation du 20 mai 2019.

25      Certes, ainsi qu’il ressort du dossier, par courrier électronique du 19 septembre 2019, le service juridique du Parlement a informé la requérante que, suite au dépôt de sa plainte auprès du Médiateur et des preuves apportées à l’appui de celle-ci, il avait décidé d’analyser le fond de la réclamation introduite le 8 janvier 2019 par courrier électronique. Le Parlement a adopté, le 29 octobre 2019, une seconde décision de rejet de la réclamation, sans procéder à un retrait avec effet rétroactif de la décision de rejet de la réclamation du 20 mai 2019.

26      La requérante fait valoir que c’est à partir de la seconde décision de rejet de sa réclamation, adoptée le 29 octobre 2019, que le délai de trois mois prévu par l’article 91, paragraphe 3, du statut a commencé à courir. Or, un tel argument doit être écarté en vertu du libellé même de cette disposition (voir point 21 ci-dessus).

27      Par ailleurs, la requérante soutient que, suite à la décision de l’AHCC du 20 mai 2019, elle a saisi le Médiateur d’une plainte qui, par décision du 7 octobre 2019, aurait enjoint au Parlement à revoir sa position et à évaluer le bien-fondé de la réclamation introduite le 8 janvier 2019. Ainsi, selon la requérante, la décision du Médiateur constitue un fait nouveau susceptible de modifier substantiellement sa situation dans la mesure où le réexamen de sa réclamation était susceptible d’aboutir à une annulation de la décision du 10 octobre 2018.

28      Il ressort de la jurisprudence que l’existence de faits nouveaux et substantiels peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une décision qui n’a pas été contestée dans les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut (voir arrêts du 6 juillet 2004, Huygens/Commission, T‑281/01, EU:T:2004:207, point 126 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, ZF/Commission, T‑605/18, EU:T:2020:51, point 71 et jurisprudence citée).

29      Selon la jurisprudence, pour avoir un caractère « nouveau », il est nécessaire que ni le requérant ni l’administration n’aient eu ou n’aient été en mesure d’avoir connaissance du fait concerné au moment de l’adoption de la décision antérieure devenue définitive. Quant au caractère « substantiel », il est nécessaire que le fait concerné soit susceptible de modifier de façon substantielle la situation du requérant qui est à la base de la demande initiale ayant donné lieu à la décision antérieure devenue définitive (voir arrêt du 29 mai 2018, Fedtke/CESE, T‑801/16 RENV, non publié, EU:T:2018:312, points 78 et 79 et jurisprudence citée).

30      Toutefois, il convient de relever que, en vertu des dispositions de l’article 2, paragraphe 6, de la décision 94/262/CECA, CE, Euratom du Parlement européen, du 9 mars 1994, concernant le statut et les conditions générales d’exercice des fonctions de médiateur (JO 1994, L 113, p. 15), les plaintes présentées auprès du Médiateur n’interrompent pas les délais de recours dans les procédures juridictionnelles. Il résulte de ces dispositions que, a fortiori, une plainte présentée auprès du Médiateur ne saurait avoir pour effet de rouvrir un délai de recours, une fois celui-ci expiré. Dans ce contexte, une plainte déposée auprès du Médiateur ne peut, en aucun cas, être regardée comme un fait nouveau et substantiel. Il en va nécessairement de même s’agissant des éventuelles recommandations émises par le Médiateur à l’issue d’une enquête consécutive à une plainte. En effet, quel que soit leur sens, de telles recommandations ne sont que la conséquence de ladite plainte [voir arrêt du 25 juin 2020, XH/Commission, T‑511/18, EU:T:2020:291, point 83 (non publié) et jurisprudence citée].

31      Dès lors, la plainte déposée auprès du Médiateur et la décision de ce dernier du 7 octobre 2019 ne sauraient être regardées comme des faits nouveaux et substantiels susceptibles de rouvrir les délais de recours.

32      Par ailleurs, la décision du 29 octobre 2019 ne contient pas un examen de la situation de la requérante comportant des éléments de droit ou de faits nouveaux. Certes, les motifs de rejet de la réclamation qui figurent dans ces deux décisions de rejet de la réclamation divergent. Toutefois, aucun doute n’existe sur le maintien de la position de l’administration qui figure dans la décision du 10 octobre 2018 d’appliquer la réserve médicale à la requérante. En effet, aucune des deux décisions de rejet de la réclamation n’a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée. Dès lors, la décision du 29 octobre 2019 ne fait que confirmer la décision du 10 octobre 2018, en répondant aux arguments invoqués dans la réclamation de la requérante du 8 janvier 2019, sans qu’il soit procédé à un nouvel examen de la situation de la requérante en fonction d’éléments de fait ou de droit nouveaux qui seraient susceptibles de rouvrir les délais de recours.

33      En outre, le simple fait que l’AHCC ait décidé, dans la décision de rejet de la réclamation du 29 octobre 2019, d’examiner le fond de la réclamation ne saurait suffire pour considérer que le délai prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut a été respecté. En effet, il découle d’une jurisprudence constante que le fait qu’une institution réponde sur le fond à une réclamation administrative tardive, et donc irrecevable, ne peut avoir pour effet de déroger au système des délais impératifs institués par les articles 90 et 91 du statut, ni de priver l’administration de la faculté de soulever, au stade de la procédure juridictionnelle, une exception d’irrecevabilité tirée de la tardiveté de la réclamation et encore moins de dispenser le Tribunal de l’obligation qui lui incombe de vérifier, même d’office, le respect des délais statutaires (voir ordonnance du 30 octobre 2020, Gáspár/Commission, T‑827/19, non publiée, EU:T:2020:517, point 19 et jurisprudence citée).

34      Partant, l’argumentation de la requérante tirée de l’existence de faits nouveaux et substantiels qui justifieraient la réouverture du délai de recours doit être écartée. Dès lors, la décision du 29 octobre 2019, qui ne comporte pas un réexamen de la situation de la requérante suite à des faits nouveaux et substantiels, n’a qu’un caractère confirmatif et n’est donc pas susceptible de rouvrir le délai prévu à l’article 91 du statut.

35      Il résulte de tout ce qui précède que le recours introduit par la requérante est tardif et, partant, doit être rejeté dans son ensemble comme irrecevable.

 Sur les dépens

36      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.

37      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Conseil et la Commission supporteront donc leurs propres dépens.

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      IJ supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement européen.

3)      Le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 1er octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

R. da Silva Passos


*      Langue de procédure : le français.


1 Données confidentielles occultées.