Language of document : ECLI:EU:T:2002:192

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

11 juillet 2002 (1)

«Procédure de référé - Sursis à exécution -

Mesures provisoires - Article 88 CA»

Dans les affaires T-107/01 R et T-175/01 R,

Société des mines de Sacilor - Lormines, établie à Puteaux (France), représentée par Me R. Schmitt, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet et Mme L. Ström, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande, d'une part, de sursis à l'exécution des décisions de la Commission des 30 mars, 21 avril, 9 et 10 juillet 2001, et, d'autre part, de mesures provisoires tendant à ce qu'il soit enjoint à la Commission de faire droit aux plaintes que la requérante lui a adressées les 9 février et 9 mai 2001,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Cadre juridique

1.
    Aux termes de l'article 86, premier et deuxième alinéas, CA:

«Les États membres s'engagent à prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations résultant des décisions et recommandations des institutions de la Communauté et à faciliter à celle-ci l'accomplissement de sa mission.

Les États membres s'engagent à s'abstenir de toute mesure incompatible avec l'existence du marché commun visé aux articles 1er et 4.»

2.
    L'article 4 CA dispose:

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté:

[...]

b)    les mesures ou pratiques établissant une discrimination entre producteurs, entre acheteurs ou entre utilisateurs, notamment en ce qui concerne les conditions de prix ou de livraison et les tarifs de transport, ainsi que les mesures ou pratiques faisant obstacle au libre choix par l'acheteur de son fournisseur;

c)    les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit;

[...]»

Faits à l'origine du litige

3.
    La société des mines de Sacilor - Lormines (ci-après la «requérante») a été constituée en 1978 pour reprendre les concessions et amodiations de mines de fer de Sacilor en Lorraine. Compte tenu du déclin de l'activité d'extraction du minerai de fer dans cette région, le gouvernement français a décidé, en 1991, d'arrêter la production. Celle-ci a cessé en 1993.

4.
    En raison de la disparition de son objet social, la requérante avait vocation à être dissoute. Elle s'est, en conséquence, engagée dans les procédures d'abandon et de renonciation.

5.
    La procédure d'abandon vise à fermer et à mettre en sécurité les anciennes installations minières. Dans le cadre d'un abandon, la société minière est soumise au respect de la police spéciale des mines, dont l'objet consiste à garantir la sécurité des anciennes installations minières.

6.
    La procédure de renonciation a pour objet de mettre un terme, de manière anticipée, à la concession. Elle permet de soustraire le concessionnaire aux obligations découlant de l'application de la police spéciale des mines et le libère de la présomption de responsabilité pesant sur lui pour les dégâts qui surviennent à la surface.

7.
    Les mesures d'abandon ont été exécutées conformément aux dispositions du décret 80-330 du 7 mai 1980 relatif à la police des mines et des carrières (JORF du 10 mai 1980, p. 1179), tel que modifié, ainsi que l'administration nationale compétente l'a constaté dans le courant de l'année 1996. Nonobstant cette circonstance, l'État n'a pas mis fin aux concessions.

8.
    Les juridictions administratives françaises saisies par la requérante ont partiellement fait droit à ses requêtes visant à ce qu'il soit enjoint à la République française d'accepter la renonciation à ses concessions, de sorte qu'elle reste encore actuellement titulaire de 18 concessions et de deux amodiations.

9.
    Faute d'acceptation de la renonciation par le ministre compétent, l'administration a continué à exercer la police des mines en se fondant sur la loi 94-588 du 15 juillet 1994, modifiant certaines dispositions du code minier et l'article L. 711-12 du code du travail (JORF du 16 juillet 1994, p. 10239), faisant ainsi peser sur la requérante des charges liées à des mesures de surveillance et de travaux publics.

10.
    Par la loi 99-245 du 30 mars 1999 relative à la responsabilité en matière de dommages consécutifs à l'exploitation minière et à la prévention des risques miniers après la fin de l'exploitation (JORF du 31 mars 1999, p. 4767), la présomption de responsabilité en matière minière a été étendue dans la mesure où est désormais prévue une présomption de responsabilité perpétuelle de l'ancien concessionnaire. Cette loi prévoit également une obligation pour l'ancien exploitant de verser une soulte destinée au financement de dépenses publiques pendant dix ans.

11.
    Ayant considéré que le refus des autorités françaises de mettre fin à ses concessions, duquel découle l'assujettissement à des charges nouvelles, imprévisibles et exorbitantes, constitue une violation des articles 4 CA et 86 CA, la requérante a saisi la Commission d'une plainte, datée du 9 février 2001, enregistrée au secrétariat général de la Commission le 21 février suivant.

12.
    Dans sa plainte, la requérante a fait valoir que les autorités françaises ont violé l'article 4, sous c), CA en faisant peser sur elle des «charges spéciales». Elle concluait en demandant à la Commission de constater, sur le fondement de l'article 88 CA, le manquement de la République française aux obligations prévues par ce traité et à ce qu'il lui soit ordonné de:

«-    reconnaître que la société Lormines n'est plus titulaire de ses concessions et amodiations depuis le jour de leur abandon effectif;

-    reconnaître que, depuis l'abandon effectif de ses concessions et amodiations, la société Lormines ne peut être tenue d'une présomption de responsabilité;

-    cesser d'imposer à la société Lormines quelque charge que ce soit au titre desdites concessions et amodiations;

-    indemniser la société Lormines des charges qu'elle a dû supporter depuis l'abandon effectif de ses concessions et amodiations».

13.
    Elle formulait, à la fin de sa plainte, le souhait d'être tenue informée des démarches que la Commission «entreprendra auprès de la République française».

14.
    Dans sa lettre datée du 30 mars 2001, que le conseil de la requérante indique avoir reçue le 20 avril suivant, la Commission, sous la signature du directeur de la direction «Aides d'État II» au sein de la direction générale «Concurrence», a répondu en ces termes:

«Sur base des informations disponibles, les services de la Direction Générale de la Concurrence ont conclu que l'affaire ne relève pas du droit communautaire mais seulement du droit français. En effet, les mesures dénoncées, qui se rapportent aux conditions imposées par l'État français pour la renonciation par les sociétés exploitantes aux concessions minières, ne sont pas des mesures d'application spécifiques aux entreprises CECA. Elles relèvent du domaine de la sécurité et de la responsabilité civile, domaines qui relèvent de la compétence des États membres et non pas de la Communauté. Les entreprises CECA ne sont pas exclues des obligations imposées par les États qui sont dictées pour des raisons d'ordre général tels que la sécurité, la responsabilité civile ou l'environnement. Les frais financiers qui en découlent ne sauraient dès lors pas être considérés comme des charges spéciales grevant les entreprises CECA au titre de l'article 4, [sous] c), [CA].

Au cas où vous auriez de nouveaux éléments susceptibles de démontrer le contraire, je vous saurais gré de les faire connaître à mes services dans les meilleurs délais.»

15.
    Par lettre du 9 mai 2001, le conseil de la requérante a fait suite au courrier de la Commission. Après avoir abordé la notion de «charges spéciales» au sens de l'article 4, sous c), CA et l'imposition de charges aux seules entreprises visées par le traité CECA, il a fait valoir l'existence d'une discrimination contraire à l'article 4, sous b), CA. Il concluait ainsi: «Pour cette raison, en tant que de besoin et aux fins de l'article 35 [CA], je prie la Commission de constater le manquement de la République française aux obligations que lui imposent les articles 4, [sous] b), [CA] et 86 [CA]». Il demandait également à ce que soient ordonnées exactement les mêmes mesures que celles déjà mentionnées dans la plainte datée du 9 février 2001.

16.
    Par lettre du 10 juillet 2001, que le conseil de la requérante indique avoir reçue le 19 juillet suivant, la Commission, sous la signature du directeur de la direction «Politique des entreprises et environnement, exploitation des ressources naturelles et industries particulières» de la direction générale «Entreprises», a adressé la réponse suivante:

«Dans votre lettre du 14 mai 2001, vous faites état, à titre subsidiaire, d'une discrimination contraire à l'article 4, [sous] b), [CA], dont Lormines serait la victime. Cet aspect a été examiné par mes services, compétents en la matière. Or, il s'avère que l'article 4, [sous] b), [CA] concerne uniquement les ventes de produits CECA. L'application de la règle générale de non-discrimination a été précisée dans l'article 60 (prix de vente) et l'article 70 (frais de transport). Les charges spéciales suite à la renonciation par les sociétés exploitantes aux concessions minières ne tombent dès lors pas sous le champ d'application de l'article 4, [sous] b), [CA].

Pour les autres aspects de votre plainte, je me réfère à la réponse de la Direction Générale de la Concurrence, reprise dans sa lettre du 30 mars 2001.»

Procédure

17.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 mai 2001, enregistrée sous le numéro T-107/01, la requérante a formé un recours visant à l'annulation, d'une part, de la décision implicite en date du 21 avril 2001, par laquelle la Commission aurait refusé de faire droit à sa plainte datée du 9 février 2001, et, d'autre part, de la décision de la Commission du 30 mars 2001 par laquelle cette institution aurait refusé de faire droit à la même plainte.

18.
    Par acte séparé déposé le 19 juin 2001, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre dudit recours. L'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond par ordonnance du Tribunal du 11 octobre 2001.

19.
    La duplique dans l'affaire T-107/01 a été déposée le 23 mai 2002.

20.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 juillet 2001, enregistrée sous le numéro T-175/01, la requérante a formé un recours visant à l'annulation, d'une part, de la décision implicite en date du 9 juillet 2001, par laquelle la Commission aurait refusé de faire droit à sa plainte datée du 9 mai 2001, et, d'autre part, de la décision de la Commission du 10 juillet 2001 par laquelle cette institution aurait refusé de faire droit à la même plainte.

21.
    Par acte séparé déposé le 12 octobre 2001, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre dudit recours. L'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond par ordonnance du Tribunal du 12 mars 2002.

22.
    La Commission a déposé son mémoire en défense dans l'affaire T-175/01 le 23 mai 2002.

23.
    Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 mai 2002, enregistré sous les numéros T-107/01 R et T-175/01 R, la requérante a introduit une demande de mesures provisoires visant à:

«-    ordonner le sursis à l'exécution des décisions en date des 30 mars, 21 avril, 9 et 10 juillet 2001 par lesquelles la Commission a refusé de constater le manquement de la France aux articles 4, [sous] b) et c), [CA] et 86 [CA] et de lui prescrire d'y remédier conformément aux mesures indiquées par Lormines dans ses mises en demeure des 9 février et 9 mai 2001;

-    ordonner à la Commission de prendre une décision, en application de l'article 88 [CA], constatant le manquement de la France aux articles 4, [sous] b) et c), [CA] et 86 [CA], commis aux dépens de Lormines, dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir et, en tout état de cause, avant l'expiration du traité CECA, le 23 juillet 2002;

-    ordonner à la Commission de prendre une décision, en application de l'article 88 [CA] [...] dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir et, en tout état de cause, avant l'expiration du traité CECA, le 23 juillet 2002, enjoignant à la France de remédier à son manquement aux articles 4, [sous] b) et c), [CA] et 86 [CA] et notamment de:

    -    reconnaître que Lormines n'est plus titulaire de ses concessions et amodiations depuis le jour de leur abandon effectif;

    -    reconnaître que, depuis l'abandon effectif de ses concessions et amodiations, Lormines ne peut être tenue d'une présomption de responsabilité;

    -    cesser d'imposer à Lormines quelque charge que ce soit au titre desdites concessions et amodiations;

    -    indemniser Lormines des charges qu'elle a dû supporter depuis l'abandon effectif de ses concessions et amodiations».

24.
    La Commission a déposé ses observations écrites sur la demande en référé le 14 juin 2002.

25.
    En l'état du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu'il soit utile d'entendre les parties en leurs explications orales.

En droit

26.
    En vertu des dispositions combinées de l'article 39, deuxième et troisième alinéas, CA et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

27.
    En l'espèce, le juge des référés estime qu'il y a tout d'abord lieu d'examiner si la demande en référé est recevable.

Arguments des parties

Sur la recevabilité des recours au principal

28.
    La requérante se borne à relever que les conditions prescrites à l'article 104, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal sont réunies.

29.
    La Commission considère que la demande en référé doit être rejetée, dès lors que les recours sur lesquels elle se fonde sont manifestement irrecevables. Son argumentation est structurée autour de quatre fins de non-recevoir.

30.
    Premièrement, la requérante, qui n'exerce plus aucune activité relevant du traité CECA, ne serait pas une entreprise au sens de l'article 80 de ce traité. Elle n'aurait donc pas la qualité pour agir.

31.
    Deuxièmement, les recours fondés sur l'article 35 CA seraient irrecevables, dans la mesure où la demande de statuer n'aurait pas été adressée à la Commission dans un délai raisonnable. En l'espèce, la requérante aurait saisi la Commission longtemps après la survenance des événements ayant généré le prétendu manquement des autorités françaises aux obligations découlant du traité CECA.

32.
    Troisièmement, les recours fondés sur l'article 35 CA seraient également irrecevables en l'absence d'une mise en cause préalable de l'inaction de la Commission. Dans le cadre de cette argumentation, la Commission fait valoir que les lettres des 9 février et 9 mai 2001 ne sauraient être considérées comme comportant une mise en demeure d'agir. En tout état de cause, elle expose que, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, mettre en demeure la Commission d'agir sur le fondement de l'article 35 CA dans le cadre des pouvoirs qui lui conférés par l'article 88 CA reviendrait à l'obliger à adopter un «acte obligatoire», lequel ne pourrait être, compte tenu des délais nécessaires à l'accomplissement de la procédure imposée par ce dernier article, qu'un acte portant rejet de la prétention dont elle a été saisie. Une telle interprétation ne saurait être retenue.

33.
    Quatrièmement, les recours formés au titre de l'article 33 CA seraient irrecevables, dès lors que les lettres de la Commission des 30 mars et 10 juillet 2001 ne constituent pas des actes attaquables. À supposer même que la lettre du 10 juillet 2001 soit considérée comme une décision explicite de rejet de la plainte de la requérante, elle n'aurait qu'un caractère purement confirmatif d'un acte antérieur, à savoir la décision implicite, survenue le 9 juillet 2001, de refus de faire droit à la plainte de la requérante du 9 mai précédent.

Sur la recevabilité des conclusions de la demande en référé

34.
    La requérante rappelle que sa demande en référé vise à ce qu'il soit ordonné à la Commission de faire droit, avant la date d'expiration du traité CECA, soit le 23 juillet 2002, aux mises en demeure datées des 9 février et 9 mai 2001. Elle ajoute que si le Tribunal accueillait la présente demande, la Commission devrait constater le manquement de la République française aux articles 4, sous b) et c), CA et 86 CA et ordonner à cet État membre d'y remédier, conformément aux mesures sollicitées par la requérante dans ses deux mises en demeure.

35.
    Elle considère, ensuite, en se fondant sur les points 44 à 46 de l'ordonnance du président de la Cour du 3 mai 1996, Allemagne/Commission (C-399/95 R, Rec. p. I-2441), que l'article 39 CA n'exclut pas qu'il soit sursis à l'exécution de décisions de refus ni qu'il soit enjoint à l'institution défenderesse, dont le refus est attaqué, de faire droit à la demande qui lui est présentée (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T. Port, C-68/95, Rec. p. I-6065, points 59 et 60).

36.
    Enfin, elle fait valoir que la demande en référé constitue désormais l'unique moyen d'obtenir la protection juridictionnelle des droits qu'elle tient du traité CECA, celui-ci expirant le 23 juillet 2002, et que, compte tenu de cette expiration prochaine, la Commission ne pourra plus exécuter, dans l'exercice des pouvoirs propres que lui confère ce traité, un arrêt annulant les décisions attaquées. Au demeurant, accueillir la présente demande serait conforme à la jurisprudence selon laquelle le référé peut être utilisé pour faire cesser une action ou inaction dont la sanction est poursuivie par le biais d'un recours au principal (ordonnances de la Cour du 21 mai 1977, Commission/Royaume-Uni, 31/77 R et 53/77 R, Rec. p. 921; du 22 mai 1977, Commission/Irlande, 61/77 R, Rec. p. 937; du 13 juillet 1977, Commission/Irlande, 61/77 R II, Rec. p. 1411, et du 29 juin 1994, Commission/Grèce, C-120/94 R, Rec. p. I-3037). Cette jurisprudence caractériserait la relativité de l'exigence du caractère provisoire des mesures ordonnées par le juge des référés. Sur ce point, la requérante souligne que les mesures provisoires sollicitées prendraient fin en cas de rejet des recours au fond ou dans l'hypothèse d'une annulation ultérieure par la Cour de la décision de la Commission constatant le manquement de la République française.

37.
    La Commission fait observer, à titre liminaire, que la présente demande a été déposée respectivement plus de douze mois et près de dix mois après la saisine du Tribunal dans les affaires T-107/01 et T-175/01. Elle souligne à cet égard que l'intérêt de la procédure de référé et son utilité ne sauraient s'accommoder d'un délai excessif (ordonnance du président de la Cour du 11 avril 1960, Barbara Erzbergbau e.a./Haute Autorité, 3/58 à 18/58, 25/58 et 26/58, Rec. p. 459).

38.
    La Commission fait ensuite valoir que, si la possibilité d'ordonner des mesures provisoires n'est pas limitée par les textes au cadre de certaines voies de recours, l'octroi de telles mesures semble limité, en fait, aux hypothèses de recours directs. Ainsi, la possibilité d'ordonner des mesures provisoires accessoirement à un recours en manquement aurait été reconnue (ordonnance du 22 mai 1997, Commission/Irlande, précitée), conduisant à la suspension de mesures législatives nationales et/ou à la prescription de modalités précises de l'action de l'administration nationale. Cependant, si, selon la Commission, la possibilité d'ordonner des mesures provisoires accessoirement à un recours en carence a été reconnue en principe par la Cour (arrêt T. Port, précité) et le Tribunal (ordonnance du président du Tribunal du 21 mars 1997, Camar/Commission, T-79/96 R, Rec. p. II-403, point 44), la requérante n'a mentionné aucune affaire dans le cadre de laquelle cette possibilité aurait été exercée.

39.
    En l'espèce, l'objet des mesures sollicitées rendrait irrecevable la demande en référé.

40.
    En effet, la Commission constate que les décisions des 30 mars, 21 avril, 9 et 10 juillet 2001 sont des décisions portant refus de donner suite aux demandes qui lui ont été adressées. Ces différentes décisions, par leur nature même, ne comporteraient en elles-mêmes aucune injonction et n'appelleraient aucune exécution. En tout état de cause, le sursis à l'exécution de telles décisions ne pourrait équivaloir à l'octroi de l'acte refusé par la Commission (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 5 octobre 1969, Allemagne/Commission, 50/69 R, Rec. p. 449, 451). La Commission soutient, en conséquence, que ces décisions ne sont pas de nature à faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution et que la présente demande est irrecevable à cet égard.

41.
    S'agissant des autres mesures provisoires sollicitées (voir, ci-dessus, point 23), telles que précisées dans le texte de la demande (voir, ci-dessus, point 34), elles constitueraient des injonctions visant à imposer à la Commission, d'une part, de constater le manquement de la France à différentes obligations résultant du droit communautaire et, d'autre part, d'adresser à cet État membre des injonctions visant à imposer à ce dernier l'adoption de quatre mesures. Ces demandes correspondent exactement à celles que la requérante a adressées à la Commission dans ses lettres des 9 février et 9 mai 2001.

42.
    Or, estime la Commission, il ne serait pas conforme aux principes qui régissent la répartition des compétences entre les différentes institutions de la Communauté, telle qu'elle a été voulue par les auteurs du traité, que le juge communautaire puisse imposer à la Commission d'accueillir la demande de mesures provisoires qui lui a été soumise (ordonnances du président du Tribunal du 6 décembre 1989, Cosimex/Commission, T-131/89 R, Rec. p. II-1, points 11 et 12, et du 21 octobre 1996, Pantochim/Commission, T-107/96 R, Rec. p. II-1361, point 43).

43.
    En outre, l'adoption des mesures provisoires sollicitées préjugerait de la décision que le Tribunal rendra sur le fond. Quant aux effets produits par de telles mesures, ils ne seraient pas interrompus par le jugement, dès lors que le Tribunal est appelé à statuer sur la légalité de la décision de refus de faire droit aux demandes de la requérante et non pas sur la légalité de la décision dont l'adoption serait ainsi imposée à la Commission. Il s'ensuit que les mesures sollicitées ne sauraient être qualifiées de provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 3 mars 1998, Carlsen e.a./Conseil, T-610/97 R, Rec. p. II-485, point 56).

44.
    Pour ces motifs, il serait manifeste que les mesures provisoires sollicitées n'entrent pas dans la compétence du juge des référés. La Commission soutient, en conséquence, que la présente demande doit être rejetée comme étant irrecevable.

Appréciation du juge des référés

45.
    L'objet de la présente demande en référé est double.

46.
    Par cette demande, la requérante vise à obtenir, en premier lieu, le sursis à l'exécution de quatre «décisions», en date des 30 mars, 21 avril, 9 et 10 juillet 2001, par lesquelles la Commission a refusé de constater le manquement de la République française aux articles 4, sous b) et c), CA et 86 CA et de lui prescrire d'y remédier dans le sens indiqué par la requérante dans ses lettres des 9 février et 9 mai 2001.

47.
    Ainsi qu'il résulte de l'article 35 CA, les décisions implicites de refus en date des 21 avril et 9 juillet 2001 sont réputées résulter du silence gardé par la Commission à l'expiration du délai de deux mois suivant la mise en demeure d'agir préalable. Quant aux lettres des 30 mars et 10 juillet 2001, la requérante estime qu'elles sont l'expression d'un refus exprès de constater le manquement de la République française et revêtent le caractère d'actes décisionnels.

48.
    Il s'ensuit que, dans la mesure où l'effet commun aux quatre «décisions» réside dans le refus de la Commission de prendre les mesures que lui demandait la requérante pour mettre fin aux violations du traité CECA prétendument commises par la République française, le sursis à exécution sollicité concerne des actes négatifs. Or, il convient de rappeler que, en principe, une demande de sursis à exécution ne se conçoit pas contre une décision administrative négative, l'octroi d'un sursis ne pouvant avoir pour effet de modifier la situation du requérant [voir, notamment, ordonnance du président de la deuxième chambre de la Cour du 31 juillet 1989, S./Commission, C-206/89 R, Rec. p. 2841, point 14; ordonnances du président de la Cour du 30 avril 1997, Moccia Irme/Commission, C-89/97 P(R), Rec. p. I-2327, point 45, et du 21 février 2002, Front national et Martinez/Parlement, C-486/01 P(R) et C-488/01 P(R), Rec. p. I-1843, point 73].

49.
    En l'occurrence, le sursis à l'exécution des actes attaqués n'aurait pas pour conséquence d'obliger la Commission à constater le manquement allégué. Il ne présenterait ainsi aucun intérêt pour la requérante et ne peut donc être ordonné par le juge des référés.

50.
    En second lieu, la présente demande a pour objet d'obtenir des mesures provisoires visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission, d'une part, de constater, avant le 23 juillet 2002, le manquement de la République française aux obligations découlant du traité CECA et, d'autre part, d'enjoindre à cet État membre de remédier audit manquement par l'adoption de quatre mesures.

51.
    Tout d'abord, il y a lieu de constater que selon le système institué par l'article 88 CA, c'est seulement lorsque la Commission «estime» qu'un État a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu de ce traité qu'elle constate ledit manquement par une décision motivée, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.

52.
    En outre, la mesure provisoire sollicitée consistant à ordonner à la Commission de constater le manquement a exactement le même contenu et les mêmes effets que la mesure que, selon la requérante, la Commission a illégalement refusé d'adopter. La requérante entend donc manifestement obtenir du juge des référés ce qu'elle n'a pas obtenu de la Commission, les conclusions présentées dans l'instance en référé étant formulées dans les mêmes termes que celles exposées dans les lettres des 9 février et 9 mai 2001. Eu égard à ces circonstances, l'argumentation de la requérante revient à soutenir, en substance, que lorsque la Commission refuse de constater le manquement d'un État membre sur la base de l'article 88 CA et que le juge des référés est saisi d'une demande de mesures provisoires pour parer aux conséquences de ce refus, il doit se substituer à la Commission dans l'application dudit article 88.

53.
    Or, cette mesure, si elle devait être ordonnée, constituerait une intervention dans l'exercice du pouvoir qui incombe à cette institution, incompatible avec la répartition des compétences entre les différentes institutions telle que voulue par les auteurs du traité CECA. Elle ne saurait donc être envisagée (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 2 octobre 1997, Eurocoton e.a./Conseil, T-213/97 R, Rec. p. II-1609, point 40).

54.
    Dans ce contexte, il convient de souligner que l'argumentation de la requérante, en tant qu'elle se fonde sur l'arrêt T. Port, précité, ne saurait prospérer. Il ne saurait en effet être nécessairement déduit de cet arrêt que les mesures provisoires permettant de pallier la carence d'une institution consistent à ordonner à cette dernière de constater l'infraction au droit communautaire préalablement dénoncée par le requérant dans la plainte dont il l'a saisie.

55.
    Dans cet arrêt, la Cour a indiqué, en substance, que le droit à une protection juridictionnelle inclut, dans le cadre d'un recours en carence formé par un particulier au titre de l'article 232 CE contre une institution qui se serait abstenue d'adopter «un acte autre qu'une recommandation ou un avis», la possibilité de demander au juge communautaire de prendre des mesures provisoires au titre de l'article 243 CE.

56.
    Cette appréciation de la Cour est fondée sur le traité CE, traité dans le cadre duquel il a été reconnu qu'il n'existait pas de lien nécessaire entre le recours en annulation et le recours en carence (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302/87, Rec. p. 5615, point 16). En effet, le recours en carence peut permettre de faire constater l'abstention illégale d'une institution d'adopter un acte qui, selon une jurisprudence constante (notamment, arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10), ne peut pas être attaqué en vertu de l'article 230 CE du fait de son caractère préparatoire. Il s'ensuit que l'institution concernée peut mettre fin à la carence par la seule adoption d'un acte présentant un caractère préparatoire, et pas nécessairement par l'adoption de l'acte mettant un terme à la procédure administrative en cause dans le sens souhaité par le requérant (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282/95 P, Rec. p. I-1503).

57.
    De la même manière, des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés peuvent permettre de pallier la carence d'une institution sans que ces mesures consistent par principe, ainsi qu'il est suggéré, à ordonner à l'institution de faire droit à la plainte du requérant.

58.
    En l'espèce, la constatation de manquement qu'il est notamment demandé au juge des référés d'ordonner à la Commission mettrait définitivement un terme à la procédure de constatation de manquement prévue à l'article 88 CA et, partant, ne présenterait pas un caractère conservatoire.

59.
    Enfin, en ce qui concerne plus spécifiquement la mesure sollicitée consistant à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'enjoindre à la République française de remédier au prétendu manquement par l'adoption de quatre mesures, il faut également constater que si le juge des référés faisait droit à une telle demande, il s'adresserait, en réalité, à l'État membre concerné.

60.
    Or, il ne rentre pas dans la compétence du juge des référés d'ordonner de telles mesures provisoires lorsque, comme en l'espèce, le recours au principal sur lequel se greffe la demande vise à l'annulation de «décisions» de l'institution défenderesse. En effet, les mesures provisoires sollicitées ne sont recevables, par principe, que si elles se situent dans le cadre de la décision finale susceptible d'être prise par le Tribunal en vertu des dispositions combinées des articles 34 CA et 35 CA et concernent les rapports entre les parties, en l'espèce la requérante et la Commission.

61.
    En tout état de cause, le juge des référés ne saurait ordonner à la Commission d'adresser des injonctions à un État membre, dès lors que l'article 88 CA ne prévoit pas que la Commission soit compétente pour ordonner de telles mesures, même dans l'hypothèse où l'État membre concerné n'a pas pourvu à l'exécution de son obligation dans le délai fixé à cette fin par ladite institution.

62.
    Au vu des considérations qui précèdent, et expressément sans préjudice de l'appréciation relative aux fins de non-recevoir soulevées par la Commission dans le cadre des recours au principal, il y a lieu de rejeter comme irrecevable la présente demande en référé.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1)    La demande en référé est rejetée.

2)    Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 11 juillet 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.