Language of document : ECLI:EU:T:2005:109

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

17 mars 2005 (*)

« Agriculture – Organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes – Aide à la production pour les produits transformés à base de tomates – Méthode de calcul du montant – Campagne 2000/2001 »

Dans l'affaire T‑285/03,

Agraz, SA, établie à Madrid (Espagne),

Agrícola Conservera de Malpica, SA, établie à Tolède (Espagne),

Agridoro Soc. coop. rl, établie à Pontenure (Italie),

Alfonso Sellitto SpA, établie à Mercato S. Severino (Italie),

Alimentos Españoles, Alsat, SL, établie à Don Benito, Badajoz (Espagne),

AR Industrie Alimentari SpA, établie à Angri (Italie),

Argo Food – Packaging & Innovation Co. SA, établie à Serres (Grèce),

Asteris Industrial Commercial SA, établie à Athènes (Grèce),

Attianese Srl, établie à Nocera Superiore (Italie),

Audecoop distillerie Arzens – Techniques séparatives (AUDIA), établie à Montréal (France),

Benincasa Srl, établie à Angri,

Boschi Luigi & Figli SpA, établie à Fontanellato (Italie),

CAS SpA, établie à Castagnaro (Italie),

Calispa SpA, établie à Castel San Giorgio (Italie),

Campil – Agro Industrial do Campo do Tejo, Lda, établie à Cartaxo (Portugal),

Campoverde Srl, établie à Carinola (Italie),

Carlo Manzella & C. Sas, établie à Castel San Giovanni (Italie),

Carmine Tagliamonte & C. Srl, établie à Sant'Egidio del Monte Albino (Italie),

Carnes y Conservas Españolas, SA, établie à Mérida (Espagne),

Cbcotti Srl, établie à Nocera Inferiore (Italie),

Cirio del Monte Italia SpA, établie à Rome (Italie),

Consorzio Ortofrutticoli Trasformati Polesano (Cotrapo) Soc. coop. rl, établie à Fiesso Umbertiano (Italie),

Columbus Srl, établie à Parme (Italie),

Compal – Companhia produtora de Conservas Alimentares, SA, établie à Almeirim (Portugal),

Conditalia Srl, établie à Nocera Superiore,

Conservas El Cidacos, SA, établie à Autol (Espagne),

Conservas Elagón, SA, établie à Coria (Espagne),

Conservas Martinete, SA, établie à Puebla de la Calzada (Espagne),

Conservas Vegetales de Extremadura, SA, établie à Bajadoz,

Conserve Italia Soc. coop. rl, établie à San Lazzaro di Savena (Italie),

Conserves France SA, établie à Nîmes (France),

Conserves Guintrand SA, établie à Carpentras (France),

Conservificio Cooperativo Valbiferno Soc. coop. rl, établie à Guglionesi (Italie),

Consorzio Casalasco del Pomodoro Soc. coop. rl, établie à Rivarolo del Re ed Uniti (Italie),

Consorzio Padano Ortofrutticolo (Copador) Soc. coop. rl, établie à Collecchio (Italie),

Copais Food and Beverage Company SA, établie à Nea Ionia (Grèce),

Tin Industry D. Nomikos SA, établie à Marousi (Grèce),

Davia Srl, établie à Gragnano (Italie),

De Clemente Conserve Srl, établie à Fisciano (Italie),

DE. CON Srl, établie à Scafati (Italie),

Desco SpA, établie à Terracina (Italie),

« Di Lallo » –  Di Teodoro di Lallo & C. Snc, établie à Scafati,

Di Leo Nobile – SpA Industria Conserve Alimentari, établie à Castel San Giorgio,

Marotta Emilio, établie à Sant'Antonio Abate (Italie),

E. & O. von Felten SpA, établie à Fontanini (Italie),

Egacoop, S. Coop., Lda, établie à Andosilla (Espagne),

Elais SA, établie à Athènes,

Emiliana Conserve Srl, établie à Busseto (Italie),

Perano Enrico & Figli Spa, établie à San Valentino Torio (Italie),

FIT – Fomento da Indústria do Tomate, SA, établie à Águas de Moura (Portugal),

Faiella & C. Srl, établie à Scafati,

« Feger » di Gerardo Ferraioli SpA, établie à Angri,

Fratelli D'Acunzi Srl, établie à Nocera Superiore,

Fratelli Longobardi Srl, établie à Scafati,

Fruttagel Soc. coop. rl, établie à Alfonsine (Italie),

G3 Srl, établie à Nocera Superiore,

Giaguaro SpA, établie à Sarno (Italie),

Giulio Franzese Srl, établie à Carbonara di Nola (Italie),

Greci Geremia & Figli SpA, établie à Parme,

Greci – Industria Alimentare SpA, établie à Parme,

Greek Canning Co. SA Kyknos, établie à Nauplie (Grèce),

Grilli Paolo & Figli – Sas di Grilli Enzo e Togni Selvino, établie à Gambettola (Italie),

Heinz Iberica, SA, établie à Alfaro (Espagne),

IAN – Industrias Alimentarias de Navarra, SA, établie à Vilafranca (Espagne),

Industria Conserve Alimentari Aniello Longobardi – Di Gaetano, Enrico & Carlo Longobardi Srl, établie à Scafati,

Industrias de Alimentação Idal, Lda, établie à Benavente (Portugal),

Industrias y Promociones Alimentícias, SA, établie à Miajadas (Espagne),

Industrie Rolli Alimentari SpA, établie à Roseto degli Abruzzi (Italie),

Italagro – Indústria de Transformação de Produtos Alimentares, SA, établie à Castanheira do Ribatejo (Portugal),

La Cesenate Conserve Alimentari SpA, établie à Cesena (Italie),

La Dispensa di Campagna Srl, établie à Castagneto Carducei (Italie),

La Doria SpA, établie à Angri,

La Dorotea di Giuseppe Alfano & C. Srl, établie à Sant'Antonio Abate,

La Regina del Pomodoro Srl, établie à Sant'Egidio del Monte Albino,

« La Regina di San Marzano » di Antonio, Felice e Luigi Romano Snc, établie à Scafati,

La Rosina Srl, établie à Angri,

Le Quattro Stelle Srl, établie à Angri,

Lodato Gennaro & C. SpA, établie à Castel San Giorgio,

Louis Martin production SAS, établie à Monteux (France),

Menú Srl, établie à Medolla (Italie),

Mutti SpA, établie à Montechiarugolo (Italie),

National Conserve Srl, établie à Sant'Egidio del Monte Albino,

Nestlé España, SA, établie à Miajadas,

Nuova Agricast Srl, établie à Verignola (Italie),

Pancrazio SpA, établie à Cava De'Tirreni (Italie),

Pecos SpA, établie à Castel San Giorgio,

Pelati Sud di De Stefano Catello Sas, établie à Sant'Antonio Abate,

Pomagro Srl, établie à Fisciano,

Pomilia Srl, établie à Nocera Superiore,

Prodakta SA, établie à Athènes,

Raffaele Viscardi Srl, établie à Scafati,

Rispoli Luigi & C. Srl, établie à Altavilla Silentina (Italie),

Rodolfi Mansueto SpA, établie à Collecchio,

Riberal de Navarra S. en C., établie à Castejon (Espagne),

Salvati Mario & C. SpA, établie à Mercato San Severino,

Saviano Pasquale Srl, établie à San Valentino Torio,

Sefa Srl, établie à Nocera Superiore,

Serraiki Konservopia Oporokipeftikon Serko SA, établie à Serres,

Sevath SA, établie à Xanthi (Grèce),

Silaro Conserve Srl, établie à Nocera Superiore,

ARP – Agricoltori Riuniti Piacentini Soc. coop. rl, établie à Gariga di Podenzano (Italie),

Société coopérative agricole de transformations et de ventes (SCATV), établie à Camaret-sur-Aigues (France),

Sociedade de Industrialização de Produtos Agrícolas – Sopragol, SA, établie à Mora (Portugal),

Spineta SpA, établie à Pontecagnano Faiano (Italie),

Star Stabilimento Alimentare SpA, établie à Agrate Brianza (Italie),

Steriltom Aseptic – System Srl, établie à Plaisance (Italie),

Sugal Alimentos, SA, établie à Azambuja (Portugal),

Sutol – Indústrias Alimentares,  Lda, établie à Alcácer do Sal (Portugal),

Tomsil – Sociedade Industrial de Concentrado de Tomate, SA, établie à Ferreira do Alentejo (Portugal),

Transformaciones Agrícolas de Badajoz, SA, établie à Villanueva de la Serena (Espagne),

Zanae – Nicoglou levures de boulangerie industrie commerce alimentaire SA, établie à Thessalonique (Grèce),

parties requérantes,

représentées par Mes J. da Cruz Vilaça, R. Oliveira, M. Melícias et D. Choussy, avocats,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. Nolin, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par les requérantes en raison de la méthode adoptée pour le calcul du montant de l'aide à la production prévue par le règlement (CE) nº 1519/2000 de la Commission, du 12 juillet 2000, fixant, pour la campagne 2000/2001, le prix minimal et le montant de l'aide pour les produits transformés à base de tomates (JO L 174, p. 29),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, F. Dehousse et Mme E. Cremona, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 8 septembre 2004,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 33, paragraphe 1, CE dispose :

« La politique agricole commune a pour but :

a)      d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre ;

b)      d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ;

c)      de stabiliser les marchés ;

d)      de garantir la sécurité des approvisionnements ;

e)      d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. »

2        L’article 2 du règlement (CE) nº 2201/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (JO L 297, p. 29, ci-après le « règlement de base ») prévoit, dans sa rédaction applicable à la présente espèce :

« 1. Un régime d’aide à la production est appliqué aux produits figurant à l’annexe I qui sont obtenus à partir de fruits et légumes récoltés dans la Communauté.

2. L’aide à la production est accordée au transformateur qui a payé au producteur pour la matière première un prix au moins égal au prix minimal en vertu de contrats liant, d’une part, les organisations de producteurs reconnues ou préreconnues au titre du règlement (CE) n° 2200/96, et, d’autre part, les transformateurs […] »

3        L’article 4 du règlement de base précise, dans sa rédaction applicable à la présente espèce :

« 1. L’aide à la production ne peut être supérieure à la différence existant entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs.

2. Le montant de l’aide à la production est fixé de manière à permettre l’écoulement du produit communautaire, dans la limite des dispositions du paragraphe 1. Pour établir ce montant, sans préjudice de l’application de l’article 5, il est tenu compte notamment :

de la différence entre le coût de la matière première retenu dans la Communauté et celui de la matière première des principaux pays tiers concurrents ;

du montant de l’aide fixé, ou calculé avant la réduction prévue au paragraphe 10 si celle-ci s’applique, pour la campagne de commercialisation précédente

et

pour les produits pour lesquels la production communautaire représente une partie substantielle du marché, de l’évolution du volume des échanges extérieurs et de leur prix, lorsque ce dernier critère conduit à une diminution du montant de l’aide.

3. L’aide à la production est fixée en fonction du poids net du produit transformé. Les coefficients exprimant le rapport entre le poids de la matière première mise en œuvre et le poids net du produit transformé sont établis de manière forfaitaire. Ils sont mis à jour régulièrement sur la base de l’expérience acquise.

 […]

5. Le prix de la matière première des principaux pays tiers concurrents est déterminé principalement sur la base des prix réellement pratiqués au stade de la sortie exploitation agricole en ce qui concerne les produits frais de qualité comparable utilisés pour la transformation, pondérés en fonction des quantités de produits finis exportés par ces pays tiers.

6. En ce qui concerne les produits pour lesquels la production communautaire représente au moins 50 % du marché de la consommation communautaire, l’évolution des prix et du volume des importations et des exportations est appréciée sur la base des données de l’année civile qui précède le début de la campagne par rapport aux données de l’année civile antérieure.

7. En ce qui concerne les produits transformés à base de tomates, l’aide à la production est calculée pour :

a) les concentrés de tomates relevant du code NC 2002 90 ;

[…]

9. La Commission fixe […], avant le début de chaque campagne, le montant de l’aide à la production. Selon la même procédure, elle arrête les coefficients visés au paragraphe 3, les exigences minimales de qualité ainsi que les autres modalités d’application du présent article.

10. En ce qui concerne les produits transformés à base de tomates, les dépenses globales ne doivent pas dépasser, pour chaque campagne de commercialisation, le montant qui aurait été atteint si les quotas français et portugais applicables aux concentrés pour la campagne 1997/1998 avaient été fixés comme suit :

–        France : 24 323 tonnes,

–        Portugal : 670 451 tonnes.

À cette fin, l’aide fixée pour les concentrés de tomates et leurs dérivés conformément au paragraphe 9 est diminuée de 5,37 %. Un complément éventuel est versé après la campagne si l’augmentation des quotas français et portugais n’est pas entièrement utilisée. »

4        Enfin, le règlement (CE) nº 1519/2000 de la Commission, du 12 juillet 2000, fixant, pour la campagne 2000/2001, le prix minimal et le montant de l’aide pour les produits transformés à base de tomates (JO L 174, p. 29), prévoit, dans son article 2, paragraphe 1, que, « [p]our la campagne 2000/2001, l’aide à la production visée à l’article 4 [du règlement de base] est fixée à l’annexe II ». Le montant de l’aide à la production a été fixé à 17,178 euros pour 100 kg de concentrés de tomates d’une teneur en extrait sec égale ou supérieure à 28 % mais inférieure à 30 %.

 Faits et procédure

5        Par lettre du 4 février 2000, la Commission a demandé aux autorités chinoises de lui fournir le plus rapidement possible les éléments d’information nécessaires en vue de la fixation des aides pour la campagne 2000/2001 dans le secteur des fruits et légumes transformés, en remplissant le questionnaire joint. Cette lettre est restée sans réponse.

6        À la suite de l’adoption du règlement n° 1519/2000, des délégations et associations représentatives de producteurs de produits transformés à base de tomates d’Espagne, de France, de Grèce, d’Italie et du Portugal ont fait part de leurs objections à la Commission et ont contesté l’absence de prise en compte du prix des tomates chinoises dans la fixation du montant de l’aide accordée.

7        L’organisation européenne des industries de la conserve de tomates (ci-après l’« OEICT ») et l’Associação Portuguesa dos Industriais de Tomate ont adressé à la Commission plusieurs demandes de modification du montant de l’aide accordée. L’une de ces demandes a été accompagnée d’une copie d’un contrat contenant le prix du produit payé au producteur chinois.

8        Par lettre du 5 mars 2001, adressée au ministre de l’Agriculture portugais, en réponse à sa demande de révision du calcul du montant de l’aide, la Commission a indiqué que la fixation du montant des aides à la transformation de tomates pour la campagne 2000/2001 a été effectué dans le strict respect des articles 3 et 4 du règlement de base. Elle confirmait en outre la réception, le 13 décembre 2000, d’une lettre de l’OEICT lui transmettant le prix d’un contrat conclu en Chine, mais ajoutait qu’il lui était impossible de modifier sa décision au vu du prix stipulé par un unique contrat, non confirmé par les autorités nationales concernées.

9        En septembre 2001, les services diplomatiques espagnols à Pékin ont obtenu un certificat émanant des autorités chinoises indiquant, pour les campagnes 1999 et 2000, le prix moyen des tomates payé aux producteurs de la province de Xinjiang, laquelle représente environ 88 % de la production totale chinoise de tomates transformées. Ce document a été transmis au membre de la Commission responsable, M. Fischler, le 9 novembre 2001, par le ministre de l’Agriculture portugais, et également, le 7 décembre 2001, par l’OEICT.

10      Le 31 janvier 2002, la Commission a répondu à cette dernière organisation en soulignant une nouvelle fois la conformité de la fixation du montant de l’aide avec les articles 3 et 4 du règlement de base. S’appuyant, en outre, sur l’absence de pénalisation de l’industrie communautaire de la tomate, qui, selon elle, avait atteint un niveau record de transformation, la Commission n’estimait donc pas nécessaire de réviser le règlement n° 1519/2000.

11      Après une réunion, qui s’est tenue le 6 novembre 2002, et différents courriers adressés par les requérantes à la Commission, cette dernière a déclaré, par lettre du 7 janvier 2003, qu’elle n’avait aucune raison de revenir sur le règlement n° 1519/2000.

12      C’est dans ces circonstances que, le 18 août 2003, les requérantes ont introduit le présent recours.

 Conclusions des parties

13      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission au paiement à chaque société requérante du solde de l’aide à la production (tel que détaillé à l’annexe A.27 de la requête), assorti d’intérêts aux taux à fixer par le Tribunal, à compter du 12 juillet 2000 – ou, à titre subsidiaire, à compter du 13 juillet 2000, ou, à titre encore plus subsidiaire, à compter du 16 juillet 2000 – et jusqu’au jour du paiement effectif ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 Sur le fond

15      Les parties invoquent la jurisprudence bien établie de la Cour et du Tribunal selon laquelle la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne peut être engagée que si un ensemble de conditions, en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché à l’institution communautaire, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué, est réuni (arrêt de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmuehle e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T‑168/94, Rec. p. II‑2627, point 38, et du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T‑481/93 et T‑484/93, Rec. p. II‑2941, point 80).

16      Il y a lieu de vérifier si ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

 En ce qui concerne la légalité du comportement de la Commission

17      Pour établir l’illégalité du comportement de la Commission, les requérantes se prévalent, à titre principal, de la violation du règlement de base et de l’article 33 CE ainsi que de la violation des principes de sollicitude et de bonne administration. À titre subsidiaire, elles font valoir la violation du principe de confiance légitime.

 Arguments des parties

–       Violation du règlement de base et de l’article 33 CE

18      Les requérantes allèguent que la Commission a commis une illégalité susceptible d’engager la responsabilité de la Communauté en adoptant le règlement n° 1519/2000 en violation des dispositions du règlement de base.

19      Il serait, en effet, constant que la Commission a pris en compte, pour le calcul du montant de l’aide en cause, les États-Unis, Israël et la Turquie. Or, selon les requérantes, les termes du règlement de base se réfèrent aux « principaux pays tiers producteurs et exportateurs » (article 4, paragraphe 1) et aux « principaux pays tiers concurrents » (article 4, paragraphes 2 et 5). Ces dispositions privent donc, à leur avis, la Commission de toute marge d’appréciation en l’obligeant à tenir compte des pays dont la production et l’exportation de tomates sont les plus importantes. Même s’il est possible pour la Commission de prendre en considération d’autres facteurs, elle doit, en tout état de cause, nécessairement, tenir compte de ceux expressément mentionnés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement de base, dont le premier est le prix des principaux pays tiers. Une interprétation différente signifierait que la Commission disposerait d’un pouvoir arbitraire dans le choix des pays exportateurs de référence, ce qui pourrait, à la limite, l’amener à ne prévoir aucune aide en fonction du choix des pays de référence.

20      Or, affirment les requérantes, depuis 1998, la Chine est le deuxième plus important producteur mondial de tomates. En 1999, elle aurait exporté plus de 108 246 tonnes de tomates, soit moins que la Turquie (168 691 tonnes), mais plus que les États-Unis (92 913 tonnes) et qu’Israël (9 557 tonnes). Par ailleurs, les exportations chinoises vers les pays de la Communauté européenne se seraient élevées à environ 24 171 tonnes, représentant 22,30 % des exportations mondiales totales de la Chine. Celle-ci devrait, dès lors, être considérée comme un pays concurrent.

21      En omettant d’inclure les prix chinois dans le calcul de l’aide à la production, la Commission aurait donc violé le règlement de base, dont les dispositions seraient claires et non ambiguës. Les requérantes allèguent que, au sens de lajurisprudence Bergaderm (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291), il s’agirait d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et dont la violation serait suffisamment caractérisée. Comme les pouvoirs de la Commission auraient été limités de façon très précise lors de l’adoption du règlement n° 1519/2000, une simple illégalité de la part de l’institution suffirait, à leur avis, à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

22      Par ailleurs, la Commission aurait elle-même demandé que les données relatives aux prix chinois lui soient communiquées, mais elle aurait refusé d’en tenir compte lorsqu’elles lui ont été fournies.

23      Selon les requérantes, l’attitude de la Commission a également méconnu les objectifs politiques du système de subventions prévu par le règlement de base. En effet, ceux-ci viseraient à favoriser les agriculteurs et les industriels européens en garantissant un niveau de revenu minimal à l’agriculteur et en permettant au transformateur de produits dérivés des tomates de faire face à la concurrence des pays tiers dont la matière première s’achète à un prix plus bas que celui du marché européen. En ne respectant pas ces objectifs, le règlement n° 1519/2000 violerait aussi l’article 33 CE.

24      La Commission estime, pour sa part, qu’elle disposait d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer le montant de l’aide en cause. Sa responsabilité ne pourrait donc être engagée que si elle avait méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 21 supra.

25      La Commission rappelle que l’article 4 du règlement de base permet de fixer une aide maximale à la production et que cette aide « ne peut être supérieure à la différence entre le coût de la matière première retenu dans la Communauté et celui de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs ». Il n’existait dès lors, selon elle, aucune garantie que le montant de l’aide soit égal à cette différence.

26      La Commission souligne, en outre, que les critères d’établissement de l’aide ne sont pas déterminés de manière exhaustive. En effet, l’article 4, paragraphe 2, du règlement de base énonce : « Pour établir ce montant […], il est tenu compte notamment […] » Cet article évoque, sous c), la possibilité d’une diminution de l’aide pour tenir compte de l’évolution du volume des échanges extérieurs et de leur prix. Or, comme la production communautaire représente une partie substantielle du marché communautaire, à savoir plus ou moins 90 %, la Commission était en droit de prendre en compte ces données.

27      La Commission reproche également aux requérantes de ne jamais mentionner l’objectif de l’aide, à savoir « permettre l’écoulement du produit communautaire ». Elle considère que c’est de manière tout à fait légitime, au regard de cet objectif et des données économiques dont elle disposait, qu’elle a pu faire abstraction du prix des tomates chinoises.

28      Des données sur la production de tomates auraient été fournies par les États-Unis, par Israël et par la Turquie, les autorités chinoises n’ayant pas répondu à la demande de la Commission. Celle-ci en a conclu qu’il y avait lieu de réduire l’aide au transformateur pour la production de concentrés de tomates de 20,54 % en raison de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar américain (- 12,2 %) et de l’augmentation du coût de la matière première dans les pays tiers concurrents, notamment les États-Unis (+ 8,4 %) et la Turquie (+ 4,4 %).

29      Selon la Commission, les données disponibles sur le marché communautaire pour les concentrés de tomates montraient un recul des importations totales et la stabilité des importations de Chine entre 1997 et 1999, des prix pour l’origine « Chine » en forte hausse et une progression régulière des exportations communautaires. Ces éléments confirmeraient une nette amélioration de la conjoncture internationale pour la production communautaire et une concurrence encore limitée de la Chine. Une modification des règles de calcul de l’aide ne se serait donc pas imposée.

30      La Commission est d’avis que, si la prise en compte du prix de la matière première chinoise pouvait effectivement conduire à une diminution du prix estimé de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs, une telle diminution n’aurait pas nécessairement conduit à une augmentation de l’aide à la production.

31      En tout état de cause, malgré l’absence de réponse de la part des autorités chinoises, la Commission devait fixer le montant de l’aide à la production avant le début de la campagne 2000/2001. Elle souligne qu’elle n’avait jusque-là jamais pris en considération le prix des tomates chinoises et que rien ne justifiait de l’intégrer soudainement pour la première fois dans le calcul de l’aide.

32      Quant à la violation de l’article 33 CE, la Commission rappelle que l’aide à la production a pour objectif de permettre l’écoulement du produit communautaire. Selon elle, les requérantes n’ont aucunement démontré qu’elle aurait violé cet objectif.

–       Violation des principes de sollicitude et de bonne administration

33      Concernant la violation du devoir de sollicitude et de bonne administration, les requérantes font valoir que la Commission ne s’est pas attachée à obtenir les prix chinois, comme l’aurait fait une administration diligente et prudente. La Commission n’aurait ensuite pas rectifié son erreur en violation de l’engagement qu’elle avait pris, alors que cette rectification n’aurait posé aucune difficulté particulière.

34      La Commission estime, quant à elle, qu’elle pouvait, tout en respectant les objectifs et les dispositions du règlement de base, fixer le montant de l’aide à la production en l’absence des données relatives aux prix des tomates chinoises. Il aurait donc été inutile qu’elle poursuive ses démarches auprès des autorités chinoises, démarches qui étaient toujours restées sans réponse en ce qui concernait d’autres productions.

35      Quant au grief qui lui est fait de s’être abstenue de modifier le calcul de l’aide malgré sa connaissance du prix de la tomate versé aux producteurs chinois, la Commission rappelle que les premières informations lui ont été communiquées par lettre du 13 novembre 2000, soit quatre mois après l’adoption du règlement n° 1519/2000. Comme il ne s’agissait que du prix d’un contrat, la Commission a estimé qu’il ne pouvait en aucun cas être considéré comme représentatif de celui de la production chinoise.

36      La Commission fait ensuite valoir que ce n’est que le 9 novembre 2001, soit seize mois après l’adoption du règlement n° 1519/2000, que des chiffres peut-être plus probants lui ont été communiqués. Selon elle, il était inimaginable de modifier ce règlement après un délai aussi long et, d’ailleurs, aucune disposition législative ne lui permettait de procéder rétroactivement à une telle modification. Elle n’aurait pu le faire que s’il s’était agi d’une erreur technique. La Commission ajoute que la campagne 2000/2001 était terminée depuis plusieurs mois et qu’un nouveau mécanisme avait été mis en place.

 Appréciation du Tribunal

37      Les parties sont en désaccord sur l’interprétation des dispositions du règlement de base et sur l’étendue du pouvoir d’appréciation qu’il confère à la Commission en matière de fixation du montant de l’aide à la production.

38      Il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir : l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

39      S’agissant de la première des conditions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 21 supra, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134). 

40      En particulier, la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet de conclure que le comportement de l’institution a constitué une illégalité de nature à engager la responsabilité de la Communauté au titre de l’article 288 CE (arrêt Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, point 39 supra, point 134).

41      Il convient donc d’examiner d’abord les dispositions du règlement de base pour déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation de la Commission et de vérifier ensuite si, dans ce cadre, elle a ou non commis une violation de ce règlement de nature à engager sa responsabilité.

–        Pouvoir d’appréciation de la Commission en vertu du règlement de base

42      Il convient de rappeler, en premier lieu, qu’il est de jurisprudence constante que le législateur communautaire jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans les situations impliquant la nécessité d’évaluer une situation économique complexe, comme c’est le cas en matière de politique agricole commune et de pêche. Ce pouvoir ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Dès lors, lorsqu’il est saisi de la question de savoir si la violation alléguée d’une règle de droit est suffisamment caractérisée, le juge doit se limiter à examiner si l’institution à laquelle ladite violation est reprochée n’a pas entaché l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 27 juin 1989, Leukhardt, 113/88, Rec. p. 1991, point 20 ; du 19 février 1998, NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation, C‑4/96, Rec. p. I‑681, points 41 et 42 ; du 5 octobre 1999, Espagne/Conseil, C‑179/95, Rec. p. I‑6475, point 29 ; du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C‑120/99, Rec. p. I‑7997, point 44 ; arrêt du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, Rec. p. II‑3305, points 166 et 168).

43      En second lieu, la Commission dispose, également en application du règlement de base, d’une large marge d’appréciation quant à la fixation de l’aide à la production.

44      Certes, le considérant 2 du règlement de base expose que « certains produits transformés revêtent une importance particulière dans les régions méditerranéennes de la Communauté où les prix à la production sont sensiblement supérieurs à ceux des pays tiers » et le considérant 4 de ce règlement énonce que « le montant de l’aide doit compenser la différence entre les prix payés aux producteurs dans la Communauté et les prix payés dans les pays tiers ». Toutefois, ce dernier considérant ajoute « qu’il convient, en conséquence, de prévoir un calcul qui tienne compte notamment de cette différence et de l’incidence de l’évolution du prix minimal, sans préjudice de l’application de certains éléments techniques ». L’ajout de l’adverbe « notamment » indique que, pour la fixation du montant de l’aide à la production, il faut tenir compte, en tout état de cause, de la différence entre les prix payés aux producteurs au sein de la Communauté et les prix payés dans les pays tiers, de l’incidence de l’évolution du prix minimal, et que, outre ces facteurs, d’autres éléments peuvent également être pris en compte, lesquels sont laissés à la libre appréciation de la Commission.

45      Les modalités de l’aide à la production sont prévues par l’article 4 du règlement de base. Celui-ci dispose, dans son paragraphe 1, que l’aide à la production « ne peut être supérieure à la différence existant entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs ». Cette disposition ne saurait être interprétée comme signifiant que l’aide à la production doit être égale à cette différence, ce qui ne laisserait aucune marge d’appréciation à la Commission.

46      L’article 4, paragraphe 2, du règlement de base oblige ensuite la Commission à fixer le montant de l’aide à la production « de manière à permettre l’écoulement du produit communautaire, dans la limite des dispositions du paragraphe 1 ». Après avoir précisé cet objectif, cette disposition énumère certains éléments à prendre en compte pour établir ce montant. La présence, dans ce cadre, de l’adverbe « notamment » et de la conjonction « et » entre b) et c) implique que l’appréciation par la Commission de ces trois critères présuppose la réunion, de façon cumulative, de certains éléments factuels et de données chiffrées indispensables, tels que notamment le coût de la matière première retenu dans la Communauté et celui de la matière première des principaux pays tiers concurrents ainsi que le montant de l’aide fixé pour la campagne de commercialisation précédente. Il en résulte également que cette liste de critères impératifs ne saurait être exhaustive, ce qui constitue un indice d’une marge d’appréciation conférée à la Commission dans les limites prévues à l’article 4, paragraphe 1, et sous condition du respect des contraintes procédurales qui régissent son application.

47      Il s’ensuit que la Commission dispose, en principe, d’une large marge d’appréciation dans la fixation de l’aide. Cette marge d’appréciation ne s’étend pas pour autant à la réunion des éléments factuels et chiffrés correspondant aux critères dont elle doit impérativement tenir compte, tels que les prix de la matière première des principaux pays tiers au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement de base.

48      C’est à la lumière des principes énoncés ci-dessus qu’il convient de vérifier le bien-fondé des arguments des requérantes quant aux illégalités commises par la Commission. Dans ce contexte, le Tribunal estime nécessaire d’apprécier en premier lieu le bien-fondé du moyen tiré de la violation des principes de sollicitude et de bonne administration.

–       Violation des principes de sollicitude et de bonne administration

49      La Commission dispose d’une marge d’appréciation, tout en étant tenue, de par les principes  de sollicitude et de bonne administration, de rassembler les éléments factuels indispensables à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En effet, selon une jurisprudence constante, au cas où une institution communautaire dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties procédurales conférées par l’ordre juridique communautaire revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce. C’est seulement ainsi que le juge communautaire peut vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469,point 14 ; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T‑167/94, Rec. p. II‑2589, points 73 et suivants ; du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, Rec. p. II‑401, point 165 ; du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission, T‑231/97, Rec. p. II‑2403, points 37 et suivants, et arrêt Pfizer Animal Health/Conseil, point 42 supra, point 171).

50      Dans le contexte de l’application du règlement de base, l’obligation de diligence impliquait, notamment, le devoir de réunir tous les éléments factuels indispensables prévus à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement et susceptibles d’avoir une incidence significative sur le résultat du processus décisionnel, afin de permettre à la Commission l’exercice complet et correct de son pouvoir d’appréciation. Au regard de cette disposition, il est constant que, en l’espèce, le coût de la matière première en provenance de la Chine était un des éléments indispensables dont la Commission devait tenir compte pour le calcul du montant de l’aide à la production, la Chine étant considérée, au moment de la fixation de l’aide, comme un des principaux pays tiers concurrents de la production communautaire.

51      À cet égard, il est constant que la Commission s’est contentée d’envoyer à la délégation chinoise auprès de l’Union européenne une seule lettre, en date du 4 février 2000, afin de demander les informations requises, celle-ci étant restée sans réponse, sans pour autant avoir engagé des démarches supplémentaires à cet effet durant la période allant jusqu’à juillet 2000.

52      En revanche, le respect des principes de sollicitude et de bonne administration aurait requis, compte tenu du caractère indispensable des informations concernant le coût de la matière première en provenance de la Chine pour l’appréciation de la Commission, que celle-ci entreprenne des démarches supplémentaires afin d’obtenir les informations nécessaires auprès des autorités chinoises, par exemple par l’envoi de courriers de rappel ou par le biais de contacts téléphoniques auprès du représentant permanent de la République populaire de Chine auprès de l’Union européenne. À cet égard, le silence des autorités chinoises, qui, selon la Commission, « s’inscrit dans une longue tradition de refus ou d’impossibilité de répondre à toute information sur des questions similaires », ne saurait justifier l’inertie de la Commission au motif qu’il existerait une présomption irréfragable selon laquelle les informations requises ne seraient pas disponibles ou que toute autre requête se serait heurtée au même silence. Au contraire, étant donné le caractère indispensable des informations en cause pour la légalité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de fixation du montant de l’aide, ce silence aurait dû davantage inciter les services de la Commission à faire, en temps utile, des efforts supplémentaires pour obtenir lesdites informations plutôt que de rester complètement inactifs.

53      S’agissant du contrat chinois communiqué le 13 novembre 2000 à M. Fischler, il est vrai que la Commission n’était pas en mesure de prendre en considération les données figurant dans ce contrat, entré en vigueur le 15 mars 2000, étant donné que, en application de l’article 4, paragraphe 6, du règlement de base, la Commission devait se fonder sur les prix pratiqués en 1999. Cependant, eu égard aux principes de sollicitude et de bonne administration et compte tenu du silence des autorités chinoises ayant suivi l’envoi de la lettre de la Commission du 4 février 2000, l’effort minimal que l’on devait attendre d’une institution diligente en l’espèce aurait consisté, à tout le moins, à demander auxdites autorités si ces prix étaient représentatifs des prix pratiqués en 1999, et ce notamment eu égard à la circonstance que le contrat concernait la région de Xinxiang représentant, selon les requérantes une part importante de la production chinoise de tomates transformées. Une telle obligation s’imposait d’autant plus à la Commission que M. Fischler avait lui-même relevé que « la Commission ne pouvait pas considérer que le prix mentionné dans un contrat privé était représentatif du prix moyen national de la production de tomate pour la campagne 2000/2001 si ce prix n’était pas confirmé officiellement par le gouvernement chinois ».

54      Il ressort de ce qui précède que l’inactivité de la Commission à la suite de l’envoi de la lettre du 4 février 2000 constitue une violation suffisamment caractérisée, au sens de la jurisprudence, des principes de sollicitude et de bonne administration.

–       Violation du règlement de base

55      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement de base, l’aide à la production ne peut être supérieure à la différence existant entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs. Selon l’article 4, paragraphe 2, de ce même règlement, pour établir ce montant, il est tenu compte notamment de la différence entre le coût de la matière première retenu dans la Communauté et celui de la matière première des principaux pays tiers concurrents.

56      Les requérantes font valoir que ces dispositions imposaient à la Commission de tenir compte du prix de la matière première chinoise, la Chine étant le deuxième exportateur mondial de tomates.

57      Force est de constater que le règlement de base impose la prise en compte du prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs ou concurrents. Or, la Chine en faisait partie. La Commission devait donc prendre en considération le prix chinois dès que la Chine est devenue l’un de ces pays.

58      La Commission ne nie d’ailleurs pas que la Chine constituait un des principaux pays producteurs de tomates. Ses services avaient, du reste, pour la première fois, interrogé les autorités chinoises au début de l’année 2000, mais ces dernières n’ont pas répondu à cette demande.

59      La Commission affirme que la question à laquelle elle s’est trouvée confrontée était de savoir si, en l’absence de ces informations, elle pouvait néanmoins fixer le montant de l’aide à la production en vertu de son pouvoir discrétionnaire, tout en respectant les objectifs de cette aide, à savoir « permettre l’écoulement des produits communautaires ». Elle souligne qu’elle n’avait jamais jusque-là pris en considération le prix des tomates chinoises et qu’une modification des règles de calcul de l’aide ne s’imposait pas, d’autant plus qu’il s’agissait de la dernière fixation de l’aide avant la réforme du régime des aides à la production.

60      Ces arguments ne sauraient convaincre. Le fait que la Commission n’avait auparavant jamais pris en compte le prix des tomates chinoises ne saurait justifier qu’elle ait continué à s’abstenir de le faire si, comme il n’est pas contesté que c’était le cas, les conditions du marché l’y obligeaient. De même, le fait qu’il s’agissait de la dernière fixation avant la réforme du régime des aides à la production ne saurait justifier que celle-ci intervienne dans des conditions non conformes au règlement de base. Par ailleurs, ce règlement permettait, certes, à la Commission de prendre en compte d’autres critères et de moduler le montant de l’aide en fonction de ces critères supplémentaires. En revanche, ainsi que cela est exposé aux points 50 et suivants ci-dessus, il ne l’autorisait pas à écarter le prix de la matière première de l’un des principaux pays tiers concurrents, puisqu’il prévoit expressément le recours à cette donnée.

61      Dès lors, en ce que le contenu du règlement n° 1519/2000 ne tient aucunement compte du prix de la matière première de l’un des principaux pays producteurs et exportateurs, à savoir la Chine, ce règlement méconnaît les conditions impératives établies à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement de base. Une telle illégalité, laquelle constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, est susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté à raison de ses conséquences dommageables.

62      Le moyen tiré par les requérantes de la violation du règlement de base devant être accueilli, il n’est pas nécessaire d’examiner le moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime, dont les requérantes se prévalent à titre subsidiaire.

 En ce qui concerne le préjudice

 Arguments des parties

63      Les requérantes font valoir que leur préjudice correspond à la différence précise entre le montant de l’aide qui a été fixé dans le règlement n° 1519/2000 et celui qui aurait été retenu si la Commission avait pris en considération les prix chinois.

64      À partir des données relatives au prix chinois, contenues dans le certificat obtenu auprès des autorités chinoises en septembre 2001, les requérantes ont calculé le montant de l’aide qui aurait dû être versé pour la campagne 2000/2001. La prise en considération de la Chine dans le calcul du prix moyen des principaux pays tiers producteurs de tomates fait, à leur avis, nettement baisser ce prix et rend donc la différence entre le prix payé à l’agriculteur et le prix des principaux pays tiers exportateurs nettement plus importante que celle calculée par la Commission. Selon les requérantes, pour chaque quintal de concentrés de tomates 28/30, l’industrie a obtenu 4,031 euros de moins que ce qu’elle aurait dû recevoir si le prix chinois avait été pris en compte. Cela signifie que l’industrie aurait reçu une aide de 23 % inférieure à celle qu’elle aurait dû recevoir. Il s’agit donc du pourcentage que les sociétés requérantes seraient en droit de réclamer à la Commission.

65      Par ailleurs, les requérantes estiment qu’elles ont subi et subissent encore un préjudice patrimonial important lié non seulement à l’abstention de la Communauté de leur payer les sommes dues, mais aussi à l’érosion monétaire ainsi qu’au fait que les sommes qu’elles auraient reçues si la Commission avait justement calculé le montant des aides à verser leur auraient permis de recevoir au moins le rendement provenant de leur placement sur des comptes bancaires.

66      Les requérantes font valoir que, en raison de l’application d’une méthode de calcul erronée et illégale, l’aide qui leur a été octroyée a été inférieure à ce qu’elle aurait dû être. L’erreur commise par la Commission et le refus de la rectifier auraient causé un préjudice certain aux requérantes. Comme leur préjudice a pour origine les comportements illégaux de la Commission, le lien de causalité est, selon elles, établi.

67      La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain. Or, si la prise en compte du prix de la matière première chinoise pouvait, dans un premier temps, amener à une diminution sensible du prix estimé de la matière première des principaux pays producteurs et exportateurs, cette diminution n’aurait pas nécessairement induit, compte tenu du pouvoir discrétionnaire dont la Commission disposait, une augmentation de l’aide à la production.

68      À plus forte raison, selon elle, cette augmentation de l’aide ne pouvait, avec certitude, être équivalente à la différence fondée sur le calcul du prix de la matière première des principaux pays producteurs et exportateurs avec et sans la prise en compte du prix des tomates chinoises.

69      Dès lors, la Commission considère que le montant du préjudice avancé par les requérantes est hypothétique et ne saurait être retenu par le Tribunal. La même conclusion s’imposerait pour le préjudice patrimonial qu’elles invoquent.

 Appréciation du Tribunal

70      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence (arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, Rec. p. 117, point 9, et Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9 ; arrêt du Tribunal du 18 mai 1995, Wafer Zoo/Commission, T‑478/93, Rec. p. II‑1479, point 49), le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain.

71      Il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge communautaire afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (arrêt de la Cour du 21 mai 1976, Roquette Frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 à 24 ; arrêts du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T‑575/93, Rec. p. II‑1, point 97, et du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T‑184/95, Rec. p. II‑667, point 60).

72      Les requérantes évaluent leur préjudice à la différence précise entre le montant de l’aide qui a été fixé dans le règlement n° 1519/2000 et celui qui aurait été retenu si la Commission avait pris en considération les prix chinois.

73      En premier lieu, il convient de souligner que les prix chinois sur lesquels elles se basent sont ceux qu’elles ont obtenus par l’intermédiaire des services diplomatiques espagnols à Pékin. Il s’agit du prix moyen des tomates payé aux producteurs de la province de Xinjiang, représentant, selon les requérantes, environ 88 % de la production chinoise de tomates transformées. Ces chiffres sont contestés par la Commission, en ce qu’ils représenteraient une moyenne basse. La Commission n’aurait, du reste, pas été en mesure d’apprécier s’ils étaient conformes aux dispositions du règlement de base. Or, dans l’évaluation d’une situation économique complexe, son pouvoir d’appréciation s’applique aussi à la constatation des données de base (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Roquette/Conseil, 138/79, Rec. p. 3333, point 25).

74      En effet, comme le règlement de base confère à la Commission une certaine marge d’appréciation dans la fixation du montant de l’aide, il est impossible de déterminer avec certitude l’incidence de la prise en compte du prix versé aux producteurs de tomates chinois sur le montant de l’aide. L’article 4, paragraphe 1, ne prévoit pas que l’aide à la production doit être égale à la différence entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs. Il se contente de fixer une limite maximale.

75      À cet égard, il y a lieu de relever que le fait que la Commission ait pu dans le passé fixer le montant de l’aide à un niveau reflétant exactement la différence entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers producteurs et exportateurs ne l’obligeait nullement à maintenir l’aide à ce niveau. Il serait même contraire à la lettre et à la finalité du règlement de base que la Commission ne tienne pas compte de l’évolution de la situation des marchés internationaux et rende en cela éventuellement plus difficile l’écoulement du produit communautaire.

76      Les requérantes ne sauraient donc invoquer un droit à une aide maximale équivalant à la différence entre le prix minimal payé au producteur dans la Communauté et le prix de la matière première des principaux pays tiers après prise en compte des prix chinois.

77      Dès lors, le préjudice calculé par les requérantes et détaillé dans le tableau de l’annexe A.27 à la requête ne saurait avoir un caractère certain.

78      L’ensemble des conditions qui doivent être réunies pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’étant pas remplies, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

79      En application de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal peut répartir les dépens pour des motifs exceptionnels. Bien que les requérantes aient succombé, il convient toutefois de tenir compte, pour le règlement des dépens, du comportement de la défenderesse, non conforme à la réglementation communautaire.

80      Le Tribunal fera dès lors une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront cinq sixièmes de leurs dépens et que la Commission supportera, outre ses propres dépens, un sixième des dépens des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes supporteront cinq sixièmes de leurs dépens et la Commission supportera, outre ses propres dépens, un sixième des dépens des requérantes.

Azizi

Dehousse

Cremona

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 mars 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Azizi


* Langue de procédure : le français.