Language of document : ECLI:EU:C:2021:269

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 avril 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique – Directive 2000/43/CE – Article 7 – Défense des droits – Article 15 – Sanctions – Recours en indemnité fondé sur une allégation de discrimination – Acquiescement du défendeur à la demande d’indemnité, sans reconnaissance de sa part de l’existence de la discrimination alléguée – Lien entre l’indemnité versée et la discrimination alléguée – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à une protection juridictionnelle effective – Règles procédurales nationales empêchant la juridiction saisie du recours de se prononcer sur l’existence de la discrimination alléguée malgré la demande expresse du requérant »

Dans l’affaire C‑30/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède), par décision du 20 décembre 2018, parvenue à la Cour le 10 janvier 2019, dans la procédure

Diskrimineringsombudsmannen

contre

Braathens Regional Aviation AB,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan et N. Piçarra, présidents de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur), Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 février 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour le Diskrimineringsombudsmannen, par MM. M. Mörk et T. A. Qureshi ainsi que par Mme A. Rosenmüller Nordlander,

–        pour Braathens Regional Aviation AB, par Mes J. Josjö et C. Gullikson Dock, advokater, ainsi que par M. J. Hettne,

–        pour le gouvernement suédois, initialement par Mmes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, H. Shev et J. Lundberg, puis par Mmes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz et H. Shev, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. K. Simonsson ainsi que par Mmes E. Ljung Rasmussen, G. Tolstoy et C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 mai 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 7 et 15 de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO 2000, L 180, p. 22), lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours introduit par le Diskrimineringsombudsmannen (Médiateur des discriminations, Suède), agissant pour le compte d’un passager aérien s’estimant victime d’une discrimination, à l’encontre de Braathens Regional Aviation AB (ci-après « Braathens »), une compagnie aérienne suédoise, laquelle a acquiescé à la demande d’indemnisation de ce passager sans pour autant reconnaître l’existence de la discrimination alléguée.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 19 et 26 de la directive 2000/43 énoncent :

« (19)      Les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doivent disposer de moyens de protection juridique adéquats. Pour assurer un niveau de protection plus efficace, les associations ou les personnes morales doivent aussi être habilitées à engager une procédure, selon des modalités fixées par les États membres, pour le compte ou à l’appui d’une victime, sans préjudice des règles de procédure nationales relatives à la représentation et à la défense devant les juridictions.

[...]

(26)      Les États membres doivent mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables en cas de non-respect des obligations découlant de la présente directive. »

4        Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet » :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Concept de discrimination », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement”, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique. »

6        Sous l’intitulé « Champ d’application », l’article 3 de la même directive prévoit, à son paragraphe 1, sous h) :

« Dans les limites des compétences conférées à [l’Union européenne], la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[...]

h)      l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services, à la disposition du public, y compris en matière de logement. »

7        L’article 7 de la directive 2000/43, intitulé « Défense des droits », énonce :

« 1.      Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées. 

2.      Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l’appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive. 

[...] »

8        L’article 8 de cette directive, intitulé « Charge de la preuve », prévoit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

[...]

3.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales.

[...] »

9        L’article 15 de ladite directive, intitulé « Sanctions », dispose :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. [...] »

 Le droit suédois

10      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du chapitre 1er de la diskrimineringslagen (2008:567) [loi relative aux discriminations (2008:567)], constitue notamment une discrimination la situation dans laquelle une personne subit un désavantage parce qu’elle est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est ou ne le serait dans une situation comparable, lorsque la différence de traitement est liée au sexe, à l’identité ou à l’expression de genre, à l’appartenance ethnique, à la religion ou aux opinions, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’âge.

11      Selon l’article 12 du chapitre 2 de cette loi, l’exercice d’une discrimination est en particulier interdit à quiconque fournit, en dehors de sa sphère privée ou familiale, des biens, des services ou des logements au public.

12      Le chapitre 5 de ladite loi prévoit les sanctions encourues par quiconque exerce une discrimination, à savoir l’indemnisation de la victime, par le versement d’une « indemnité pour discrimination », la révision et l’annulation des contrats et autres actes juridiques.

13      Il ressort de l’article 1er, deuxième alinéa, du chapitre 6 de la loi relative aux discriminations que les litiges portant sur l’application de l’article 12 du chapitre 2 de cette loi sont examinés par les juridictions ordinaires selon les dispositions du rättegångsbalken (code de procédure judiciaire) relatives aux procédures civiles dans le cadre desquelles un règlement amiable du litige est autorisé.

14      En vertu de l’article 1er du chapitre 13 de ce code, le requérant peut, dans les conditions énumérées à cette disposition, exercer une action en exécution aux fins d’obtenir la condamnation du défendeur à exécuter une obligation de faire, telle que l’obligation de lui verser une somme d’argent.

15      L’article 2 du même chapitre dudit code régit l’action déclaratoire. Le premier alinéa de cet article dispose, à cet égard, qu’une telle action, qui tend à la constatation de l’existence ou de l’absence d’un rapport juridique donné, peut être examinée par le juge s’il existe, sur le rapport juridique en question, une incertitude préjudiciable au requérant.

16      L’article 7 du chapitre 42 de ce même code prévoit que le défendeur doit, lors de l’audience, présenter immédiatement sa défense. À défaut, le défendeur peut, à ce stade, décider d’acquiescer à la demande du requérant.

17      Conformément à l’article 18 de ce même chapitre du code de procédure judiciaire, à la suite de l’acquiescement du défendeur aux prétentions du requérant, le juge rend un jugement sur la base de cet acquiescement.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

18      Au mois de juillet 2015, un passager d’origine chilienne résidant à Stockholm (Suède) et disposant d’une réservation pour un vol intérieur suédois (ci-après le « passager en cause au principal »), opéré par la compagnie aérienne Braathens, a été soumis, par décision du commandant de bord, à un contrôle de sécurité supplémentaire.

19      Le Médiateur des discriminations a saisi le Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm, Suède) d’un recours tendant à obtenir la condamnation de Braathens à verser au passager en cause au principal une indemnité d’un montant de 10 000 couronnes suédoises (SEK) (environ 1 000 euros) en raison du comportement discriminatoire de cette compagnie aérienne à l’égard de ce passager.

20      À l’appui de son recours, le Médiateur des discriminations a fait valoir, en substance, que ledit passager avait fait l’objet d’une discrimination directe en violation de l’article 12 du chapitre 2 et de l’article 4 du chapitre 1er de la loi relative aux discriminations, de la part de Braathens, qui l’aurait associé à une personne arabe et l’aurait ainsi soumis à un contrôle de sécurité supplémentaire pour ce motif. Braathens aurait, partant, fait subir au passager en cause au principal un désavantage pour des raisons liées à l’apparence physique et à l’appartenance ethnique, en le traitant d’une manière moins favorable que d’autres passagers placés dans une situation comparable.

21      Devant le Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm), Braathens a accepté de verser la somme réclamée à titre d’indemnité pour discrimination sans pour autant reconnaître l’existence d’une quelconque discrimination. Le Médiateur des discriminations s’est opposé, devant cette juridiction, à ce qu’il soit statué sur la base de l’acquiescement de Braathens, sans examen au fond de la discrimination alléguée.

22      Dans son jugement, ladite juridiction a condamné Braathens à verser la somme réclamée, majorée des intérêts, ainsi qu’à supporter les dépens. Elle a estimé que les litiges portant sur des obligations civiles et des droits dont les parties disposent librement, tels que le litige en cause au principal, devaient, en cas d’acquiescement à la demande d’indemnité du requérant, être tranchés sans examen au fond et qu’elle était liée par l’acquiescement de Braathens. Par ailleurs, cette même juridiction a, en raison de cet acquiescement, déclaré irrecevables les conclusions du Médiateur des discriminations tendant à obtenir un jugement déclaratoire constatant, à titre principal, que cette compagnie aérienne était tenue de verser ladite somme en raison de son comportement discriminatoire ou, à titre subsidiaire, que le passager en cause au principal avait fait l’objet d’une discrimination de la part de Braathens.

23      Après avoir, sans succès, interjeté appel du jugement du Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) devant le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm, Suède), le Médiateur des discriminations a formé un pourvoi contre l’arrêt de cette dernière juridiction devant la juridiction de renvoi, le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède). Dans le cadre de ce pourvoi, il a demandé que cette juridiction annule cet arrêt, infirme le jugement du Stockholms tingsrätt (tribunal de première instance de Stockholm) et renvoie l’affaire à ce tribunal pour examen au fond d’au moins un des deux chefs de conclusions tendant à obtenir un jugement déclaratoire. Braathens a conclu au rejet des demandes du Médiateur des discriminations.

24      La juridiction de renvoi expose que la loi relative aux discriminations a pour objectif, notamment, de transposer différents actes de l’Union, dont la directive 2000/43, et vise à permettre, ainsi qu’il ressort de ses travaux préparatoires, l’infliction de sanctions fortes et dissuasives en cas de discrimination. En particulier, l’indemnité pour discrimination correspondrait à une sanction, au sens de l’article 15 de cette directive, et devrait, dans chaque cas particulier, être fixée de manière à constituer une indemnisation raisonnable pour la victime et à participer à la lutte contre les discriminations dans la société. Elle assumerait ainsi une double fonction de réparation et de prévention.

25      La juridiction de renvoi ajoute que, en vertu des dispositions du code de procédure judiciaire, le défendeur peut décider d’acquiescer à la demande d’indemnisation du requérant sans être tenu d’indiquer les motifs de cet acquiescement ni de se fonder sur un moyen invoqué par ce dernier, ni de reconnaître l’existence de la discrimination alléguée. Un tel acquiescement viserait, en pratique, à emporter l’extinction de l’instance sans qu’il soit nécessaire de poursuivre l’examen de l’affaire, le juge devant rendre un jugement motivé par ce seul acquiescement. Quant à l’action déclaratoire, elle ne pourrait porter que sur l’existence ou l’absence d’un rapport juridique entre les parties au litige, à l’exclusion, notamment, d’éléments purement factuels. Il reviendrait par ailleurs au juge d’apprécier si son examen est opportun.

26      La juridiction de renvoi indique que, dans l’affaire au principal, les juridictions de première instance et d’appel ont rendu des décisions condamnant Braathens au paiement de l’indemnité réclamée par le passager en cause au principal sur le fondement de l’acquiescement de Braathens à la demande de ce passager. Du fait de cet acquiescement, la question de l’existence de la discrimination invoquée ne pouvait pas non plus, selon ces dernières juridictions, être examinée dans le cadre de conclusions tendant à obtenir un jugement déclaratoire.

27      Or, le Högsta domstolen (Cour suprême) s’interroge sur la conformité de la législation nationale en cause au principal aux exigences de l’article 15 de la directive 2000/43, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte garantissant à toute personne un droit à un recours juridictionnel effectif. Cette juridiction se demande, à cet égard, si, en cas d’acquiescement du défendeur à la demande d’indemnité du requérant, le juge doit néanmoins pouvoir examiner, afin d’assurer, conformément à l’article 7 de cette directive, la protection des droits découlant de cette dernière, la question de l’existence de la discrimination à la demande de la partie qui estime en avoir fait l’objet et si la réponse à cette interrogation dépend de la reconnaissance, ou non, par l’auteur présumé de la discrimination de l’existence de celle-ci.

28      Dans ces conditions, le Högsta domstolen (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans une affaire relative à la violation d’une interdiction prévue par la directive [2000/43], dans laquelle la victime réclame une indemnité pour discrimination, un État membre doit-il, si cela est demandé par la victime, toujours examiner si une discrimination a eu lieu – et, le cas échéant, constater l’existence de la discrimination – indépendamment du fait que la partie accusée de discrimination admet ou non l’existence de la discrimination, afin que l’exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives visée à l’article 15 [de cette directive] puisse être considérée comme remplie ? »

 Sur la question préjudicielle

29      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 7 et 15 de la directive 2000/43, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui empêche une juridiction saisie d’un recours en indemnité fondé sur une allégation de discrimination prohibée par cette directive d’examiner la demande tendant à faire constater l’existence de cette discrimination, lorsque le défendeur accepte de verser l’indemnité réclamée sans pour autant reconnaître l’existence de ladite discrimination. 

30      À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 2000/43 a pour objet, ainsi que l’énonce son article 1er, d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. Cette directive constitue l’expression concrète, dans les domaines matériels qu’elle couvre, du principe de non-discrimination en fonction de la race et des origines ethniques consacré par l’article 21 de la Charte (arrêt du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C‑83/14, EU:C:2015:480, point 72 et jurisprudence citée).

31      Il est constant que le litige au principal relève du champ d’application matériel de la directive 2000/43, puisqu’il concerne un comportement supposément discriminatoire, en raison de l’origine ethnique ou de la race, adopté dans le cadre de l’accès à un service à la disposition du public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous h), de cette directive.

32      Ainsi qu’il ressort du considérant 19 de la directive 2000/43, les personnes qui ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique doivent disposer de moyens de protection juridique adéquats et, pour assurer un niveau de protection plus efficace, les associations ou les personnes morales doivent aussi être habilitées à engager une procédure, selon des modalités fixées par les États membres, pour le compte ou à l’appui d’une victime. Par ailleurs, aux termes du considérant 26 de cette directive, les États membres doivent mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables en cas de non-respect des obligations découlant de ladite directive.

33      À cet égard, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/43 prévoit que les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives visant à faire respecter le principe de l’égalité de traitement consacré par cette directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard de ce principe. Ce faisant, cette disposition réaffirme le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte.

34      Il découle, par ailleurs, de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2000/43 que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de cette directive sont respectées doivent, notamment, pouvoir engager, pour le compte de la victime et avec son approbation, toute procédure judiciaire afin de faire respecter les obligations découlant de ladite directive. Cet article 7, paragraphe 2, constitue, dès lors, une spécification, dans le domaine considéré, du droit à une protection juridictionnelle effective, garanti à l’article 47 de la Charte.

35      Le respect du principe d’égalité requiert ainsi, en ce qui concerne les personnes qui estiment avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, qu’une protection juridictionnelle effective de leur droit à l’égalité de traitement soit garantie, que ces personnes agissent directement ou par l’intermédiaire d’une association, d’une organisation ou d’une personne morale telle que visée au point précédent (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2019, Leitner, C‑396/17, EU:C:2019:375, point 62).

36      L’article 15 de la directive 2000/43 prévoit que les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de cette directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de telles sanctions. Sans imposer de sanctions déterminées, cet article précise que les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

37      Ledit article 15 impose ainsi aux États membres l’obligation d’introduire dans leur ordre juridique interne des mesures suffisamment efficaces pour atteindre l’objectif de la directive 2000/43 et de faire en sorte que ces mesures puissent être effectivement invoquées devant les juridictions nationales, y compris par une association, une organisation ou une personne morale telle que visée à l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, afin que la protection juridictionnelle soit effective et efficace, tout en les laissant libres de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn, C‑54/07, EU:C:2008:397, points 37 et 38).

38      À cet égard, le régime de sanctions mis en place en vue de transposer l’article 15 de la directive 2000/43 dans l’ordre juridique d’un État membre doit notamment assurer, parallèlement aux mesures prises pour mettre en œuvre l’article 7 de cette directive, une protection juridique effective et efficace des droits tirés de celle-ci. La rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe général de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept, C‑81/12, EU:C:2013:275, point 63).

39      Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue en cas de constatation de l’existence d’une discrimination, elle doit être adéquate en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait de la discrimination en cause, selon les règles nationales applicables (voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C‑407/14, EU:C:2015:831, point 33 et jurisprudence citée). En revanche, une sanction purement symbolique ne saurait être considérée comme étant compatible avec la mise en œuvre correcte et efficace de la directive 2000/43 (voir, par analogie, arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept, C‑81/12, EU:C:2013:275, point 64).

40      En l’occurrence, il résulte des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle que, en vertu du droit national transposant notamment la directive 2000/43, toute personne s’estimant victime d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique peut intenter une action tendant à l’exécution de la sanction que constitue l’« indemnité pour discrimination ». La législation nationale en cause au principal prévoit que, lorsque le défendeur décide d’acquiescer à la demande d’indemnité du requérant, le juge saisi de cette action enjoint à ce défendeur de verser la somme réclamée par ce requérant à titre d’indemnisation.

41      Il ressort toutefois également de la demande de décision préjudicielle qu’un tel acquiescement – qui, en vertu de cette législation nationale, est juridiquement contraignant pour le juge et emporte l’extinction de l’instance – peut intervenir sans que le défendeur reconnaisse pour autant l’existence de la discrimination alléguée, voire même lorsque, comme dans l’affaire au principal, il la conteste explicitement. Dans une telle situation, le juge national rend un jugement fondé sur cet acquiescement sans toutefois qu’aucun constat ne puisse être tiré de ce jugement quant à l’existence de la discrimination alléguée.

42      Il s’ensuit que, en pareille situation, l’acquiescement du défendeur a pour effet que l’obligation de ce dernier de verser l’indemnité demandée par le requérant n’est pas liée à la reconnaissance, par le défendeur, de l’existence de la discrimination alléguée ou à la constatation de celle-ci par la juridiction compétente. En outre et surtout, un tel acquiescement a pour conséquence d’empêcher la juridiction saisie du recours de se prononcer sur la réalité de la discrimination alléguée, alors que celle-ci constitue la cause de la demande d’indemnité et fait, à ce titre, partie intégrante de ce recours.

43      Quant à l’action déclaratoire prévue par la législation nationale en cause au principal, il ressort des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle qu’elle ne permet pas d’assurer à la personne qui s’estime victime d’une discrimination prohibée par la directive 2000/43 le droit de faire examiner et, le cas échéant, constater par un juge l’existence de la discrimination alléguée. En effet, conformément à cette législation, l’action déclaratoire ne peut porter sur des éléments purement factuels et sa recevabilité est soumise à une décision en opportunité du juge saisi qui repose sur une mise en balance des intérêts en cause, à savoir, notamment, l’intérêt à agir du requérant ainsi que les désagréments que cette action peut causer au défendeur.

44      Il s’ensuit que, en vertu de la législation nationale en cause au principal, en cas d’acquiescement du défendeur au versement de l’indemnité réclamée sans que celui-ci reconnaisse pour autant la discrimination alléguée, le requérant ne peut obtenir qu’une juridiction civile se prononce sur l’existence de ladite discrimination.

45      Force est de constater qu’une telle législation nationale porte atteinte aux exigences posées par les articles 7 et 15 de la directive 2000/43, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte.

46      En effet, en premier lieu, ainsi qu’il ressort des points 33 à 35 du présent arrêt, les procédures visées à l’article 7 de cette directive ont pour objet de permettre de faire valoir les droits tirés du principe de l’égalité de traitement de toute personne qui s’estime victime d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique ainsi que d’en garantir le respect. Il en découle, donc, nécessairement que, à défaut pour le défendeur de reconnaître la discrimination alléguée, cette personne doit pouvoir obtenir du juge qu’il se prononce sur une éventuelle atteinte aux droits que de telles procédures visent à faire respecter.

47      Par conséquent, le seul versement d’un montant pécuniaire, fût-il celui réclamé par le requérant, n’est pas de nature à assurer la protection juridictionnelle effective d’une personne qui demande à ce que soit constatée l’existence d’une atteinte à son droit à l’égalité de traitement tiré de ladite directive, notamment lorsque l’intérêt premier de cette personne n’est pas économique mais que celle-ci cherche à faire établir la réalité des faits reprochés au défendeur ainsi que leur qualification juridique.

48      En deuxième lieu, une législation nationale telle que celle en cause au principal se heurte tant à la fonction réparatrice qu’à la fonction dissuasive que doivent revêtir les sanctions prévues par les États membres, en vertu de l’article 15 de la directive 2000/43, en cas de violation des dispositions nationales transposant cette directive.

49      À cet égard, et ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 83 et 84 de ses conclusions, le versement d’un montant pécuniaire ne suffit pas à rencontrer les prétentions d’une personne qui entend en priorité faire reconnaître, à titre de réparation du préjudice moral encouru, qu’elle a été victime d’une discrimination, de sorte que ce versement ne saurait, à cette fin, être considéré comme ayant une fonction réparatrice satisfaisante. De même, l’obligation de verser une somme d’argent ne saurait assurer un effet réellement dissuasif à l’égard de l’auteur d’une discrimination en l’incitant à ne pas reproduire son comportement discriminatoire, et en prévenant ainsi de nouvelles discriminations de sa part, lorsque, comme en l’occurrence, le défendeur conteste l’existence d’une quelconque discrimination mais considère plus avantageux, en termes de coûts et d’image, de verser l’indemnité demandée par le requérant, tout en évitant de la sorte que le juge national constate l’existence d’une discrimination.

50      L’analyse qui précède ne saurait être remise en cause par la faculté, invoquée par le gouvernement suédois, d’introduire une action pénale, qui permettrait à la personne qui s’estime victime d’une discrimination prohibée par la directive 2000/43 de faire constater et sanctionner cette discrimination par une juridiction pénale. En effet, une telle action pénale, en raison des finalités propres qu’elle poursuit ainsi que des contraintes inhérentes à celle-ci, ne permet pas de pallier un défaut de conformité des voies de recours en matière civile aux exigences de cette directive.

51      En particulier, il y a lieu de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 118 à 120 de ses conclusions, qu’une telle action pénale repose sur des règles en matière de charge et d’administration de la preuve qui ne correspondent pas à celles, plus favorables à cette personne, que consacre l’article 8 de la directive 2000/43. Ledit article 8 prévoit ainsi, à son paragraphe 1, que, lorsque ladite personne établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe d’égalité de traitement. En revanche, à son paragraphe 3, ce même article 8 dispose que son paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales.

52      En troisième lieu, et contrairement à ce que Braathens fait valoir, des principes ou considérations de droit procédural tels que le principe dispositif, le principe d’économie de la procédure et le souci de favoriser le règlement amiable des litiges, ne sont pas non plus de nature à justifier une interprétation différente de celle retenue aux points qui précèdent.

53      En effet, d’une part, à la différence d’un règlement amiable d’un litige, tel que visé à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/43, qui permet à chaque partie de conserver la libre disposition de ses prétentions, une législation nationale telle que celle en cause au principal a pour effet de transférer la maîtrise du litige au défendeur en permettant à celui-ci d’acquiescer à la demande d’indemnité formulée par le requérant sans pour autant reconnaître l’existence de la discrimination alléguée, voire même en la contestant explicitement, auquel cas le requérant ne peut plus obtenir de la juridiction saisie qu’elle statue sur la cause de la demande ni s’opposer à l’extinction de l’instance engagée à son initiative.

54      D’autre part, une juridiction saisie d’un tel recours n’enfreindrait aucunement le principe dispositif si, en dépit de l’acquiescement du défendeur au versement de l’indemnité réclamée par le requérant, elle examinait, eu égard à l’allégation de ce dernier sur laquelle est fondé ce recours, l’existence, ou non, de cette discrimination, lorsque ce défendeur ne reconnaît pas celle-ci, voire même la conteste. Un tel examen portera alors sur la cause de la prétention indemnitaire du requérant, laquelle relève de l’objet du litige tel que défini par ce recours, d’autant plus lorsque, comme en l’occurrence, ce requérant a expressément soumis, dans le cadre dudit recours, une demande de constatation d’une telle discrimination.

55      En quatrième lieu, il convient de rappeler que, certes, ainsi que le fait valoir Braathens, le droit de l’Union ne contraint pas, en principe, les États membres à instituer devant leurs juridictions nationales, en vue d’assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, des voies de droit autres que celles établies par le droit national (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 40, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 51).

56      Cela étant, il suffit de constater que, en l’occurrence, le respect du droit de l’Union ne va pas jusqu’à imposer que soit instituée une nouvelle voie de droit, mais se limite à exiger de la juridiction de renvoi qu’elle refuse d’appliquer la règle procédurale selon laquelle la juridiction saisie, conformément au droit interne, d’une demande d’indemnité par une personne qui s’estime victime d’une discrimination, ne peut statuer sur l’existence de cette discrimination au seul motif que le défendeur a accepté de verser au requérant le montant de l’indemnité réclamée sans pour autant reconnaître l’existence de ladite discrimination, et ce, en raison de l’incompatibilité de cette règle, non seulement avec les articles 7 et 15 de la directive 2000/43, mais aussi avec l’article 47 de la Charte.

57      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, comme il a été établi au point 38 du présent arrêt, les articles 7 et 15 de la directive 2000/43 visent à garantir une protection juridictionnelle effective et efficace du droit à l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, découlant de cette directive. Il s’ensuit que ces articles ne font que concrétiser le droit au recours juridictionnel effectif, tel qu’il est garanti par l’article 47 de la Charte, qui se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, points 76 à 78).

58      D’autre part, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’hypothèse où il lui est impossible de procéder à une interprétation de la législation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de ce droit qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 53 et 61 ainsi que jurisprudence citée).

59      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 7 et 15 de la directive 2000/43, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui empêche une juridiction saisie d’un recours en indemnité fondé sur une allégation de discrimination prohibée par cette directive d’examiner la demande tendant à faire constater l’existence de cette discrimination, lorsque le défendeur accepte de verser l’indemnité réclamée sans pour autant reconnaître l’existence de ladite discrimination. Il incombe à la juridiction nationale, saisie d’un litige entre particuliers, d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant pour les justiciables de l’article 47 de la Charte en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale.

 Sur les dépens

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Les articles 7 et 15 de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui empêche une juridiction saisie d’un recours en indemnité fondé sur une allégation de discrimination prohibée par cette directive d’examiner la demande tendant à faire constater l’existence de cette discrimination, lorsque le défendeur accepte de verser l’indemnité réclamée sans pour autant reconnaître l’existence de ladite discrimination. Il incombe à la juridiction nationale, saisie d’un litige entre particuliers, d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant pour les justiciables de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale.

Signatures


*      Langue de procédure : le suédois.