Language of document : ECLI:EU:C:2021:856

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

14 octobre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Article 325 TFUE – Lutte contre la fraude et d’autres activités illégales – Convention relative à la protection des intérêts financiers de l’Union – Notion de “fraude” – Comportement infractionnel au cours de la période de durabilité d’un projet »

Dans l’affaire C‑360/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Argeş (tribunal de grande instance d’Argeş, Roumanie), par décision du 4 août 2020, parvenue à la Cour le 4 août 2020, dans la procédure

Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei, anciennement Ministerul Dezvoltării Regionale şi Administraţiei Publice

contre

NE,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. J. Passer, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la huitième chambre, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl (rapporteur), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei, anciennement Ministerul Dezvoltării Regionale şi Administraţiei Publice, par M. I. Ştefan, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz, L. Mantl et I. Rogalski, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, lu en combinaison avec l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE, de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 49, ci-après la « convention PIF »), ainsi que de l’article 57, paragraphes 1 et 3, et de l’article 98 du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25), tel que modifié par le règlement (UE) no 539/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 16 juin 2010 (JO 2010, L 158, p. 1, ci-après le « règlement no 1083/2006 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours introduit par le Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei (ministère des Travaux publics, du Développement et de l’Administration, Roumanie), anciennement dénommé le Ministerul Dezvoltării Regionale şi Administraţiei Publice (ministère du Développement régional et de l’Administration publique, Roumanie) (ci-après le « Ministère ») contre une ordonnance par laquelle le parquet a prononcé un classement sans suite de la procédure pénale engagée contre NE au sujet d’infractions relatives à la perception indue de fonds provenant du budget général de l’Union européenne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La convention PIF

3        L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF prévoit :

« 1.      Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes :

a)      en matière de dépenses, tout acte ou omission intentionnel relatif :

–        à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

–        à la non-communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,

–        au détournement de tels fonds à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés ;

[...] »

 Le règlement no 1083/2006

4        Aux termes de l’article 2, point 7, du règlement no 1083/2006, intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

7)      “irrégularité” : toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union européenne par l’imputation au budget général d’une dépense indue. »

5        L’article 57, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Pérennité des opérations », dispose :

« 1.      L’État membre ou l’autorité de gestion s’assure que la contribution des Fonds reste acquise à l’opération comprenant un investissement dans une infrastructure ou un investissement productif uniquement si, dans un délai de cinq ans à compter de son achèvement, l’opération cofinancée ne connaît pas de modification importante causée par un changement dans la nature de la propriété d’un élément d’infrastructure ou l’arrêt d’une activité de production et affectant sa nature ou les conditions de sa mise en œuvre ou procurant un avantage indu à une entreprise ou à un organisme public.

Les actions relevant du champ d’intervention du FSE sont considérées comme n’étant pas pérennes si et seulement si elles sont sujettes à une obligation de maintien de l’investissement selon les règles applicables en matière d’aide d’État selon l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et qu’elles connaissent une modification importante par suite de l’arrêt d’une activité de production au cours de la période établie par ces règles.

Les États membres peuvent réduire le délai établi au premier alinéa à trois ans dans les cas concernant le maintien d’investissements par des petites et moyennes entreprises. »

6        L’article 98 dudit règlement, intitulé « Corrections financières par les États membres », est ainsi libellé :

« 1.      Il incombe en premier lieu aux États membres de rechercher les irrégularités, d’agir lorsqu’est constaté un changement important affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre ou de contrôle des opérations ou des programmes opérationnels, et de procéder aux corrections financières nécessaires.

2.      Les États membres procèdent aux corrections financières requises en rapport avec les irrégularités individuelles ou systémiques détectées dans les opérations ou les programmes opérationnels. Les corrections auxquelles procèdent les États membres consistent à annuler tout ou partie de la participation publique pour le programme opérationnel. Les États membres tiennent compte de la nature et de la gravité des irrégularités et de la perte financière qui en résulte pour le Fonds.

Les ressources des fonds ainsi libérées peuvent être réutilisées par l’État membre jusqu’au 31 décembre 2015 pour le programme opérationnel concerné conformément aux dispositions du paragraphe 3.

[...]

3.      La participation qui est annulée en application du paragraphe 2 ne peut être réutilisée pour l’opération ou les opérations qui ont fait l’objet de la correction, ni, dans le cas d’une correction financière appliquée par suite d’une irrégularité systémique, pour les opérations existantes relevant en tout ou en partie de l’axe prioritaire dans lequel cette irrégularité systémique s’est produite.

4.      En cas d’irrégularité systémique, l’État membre étend ses investigations à toutes les opérations susceptibles d’être affectées. »

 Le droit roumain

7        L’article 181, paragraphe 1, de la legea nr. 78/2000 pentru prevenirea, descoperirea și sancționarea faptelor de corupție (loi no 78/2000 sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption), du 8 mai 2000, telle que modifiée par la legea nr. 187/2012 pentru punerea în aplicare a Legii nr. 286/2009 privind Codul penal (loi no 187/2012 relative à la mise en œuvre de la loi no 286/2009 sur le code pénal) (ci-après l’« article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000 »), dispose :

« L’utilisation ou la présentation de mauvaise foi des déclarations ou documents faux, inexacts ou incomplets ayant pour effet la perception indue de fonds provenant du budget général de l’Union européenne ou des budgets gérés par celle-ci ou pour son compte, est punie d’une peine d’emprisonnement allant de deux à sept ans et par l’interdiction de certains droits. »

8        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’Ordonanța de urgență nr. 66/2011 privind prevenirea, constatarea şi sancţionarea neregulilor apărute în obţinerea şi utilizarea fondurilor europene şi/sau a fondurilor publice naţionale aferente acestora (ordonnance d’urgence du gouvernement no 66/2011 concernant la prévention, la constatation et la sanction des irrégularités apparues dans l’obtention et l’utilisation des Fonds européens et/ou de Fonds publics nationaux afférents), du 29 juin 2011 :

« Aux fins de la présente ordonnance d’urgence, [on entend par “fraude”] l’infraction commise en lien avec l’obtention ou l’utilisation de fonds européens et/ou de fonds nationaux y afférents, punie par le code pénal ou par d’autres lois spéciales. »

9        L’article 26 de cette ordonnance dispose :

« À l’exception des cas dans lesquels les règles établies par le donateur public international en disposent autrement, l’autorité compétente pour gérer les fonds européens se charge d’établir les procès-verbaux de constatation des irrégularités et de détermination des créances budgétaires en appliquant les articles 20 et 21, lorsque :

a)      au cours de la période de suivi, elle constate que le projet ne respecte pas les exigences de pérennité/durabilité prévues par la réglementation applicable ;

b)      à l’issue de la période de suivi, elle constate que les indicateurs/objectifs des projets financés par des fonds européens ou des fonds publics nationaux y afférents n’ont pas été entièrement réalisés ou ont été réalisés partiellement. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      L’affaire au principal porte sur les conditions de mise en œuvre d’un projet intitulé « Mănăstirea Cetățuia Negru Vodă – Legendă și tradiție » (monastère Cetățuia, Negru Vodă – Légende et tradition). Ce projet a été cofinancé par des fonds européens, en vertu d’un contrat de financement dont le bénéficiaire est l’Unitatea Administrativ Teritorială C. (unité administrative territoriale C., Roumanie), représentée par le maire, NE.

11      Ce contrat prévoyait, notamment, que le bénéficiaire procéderait, sur ses fonds propres, au cours de la période postérieure à l’exécution du projet, à savoir la période de durabilité du projet, à l’impression et à la distribution de matériel promotionnel tel que des dépliants, des cartes postales, des brochures, des albums photos et des guides touristiques, afin d’assurer la publicité du projet.

12      Le bénéficiaire a présenté, d’une part, un rapport sur la durabilité de l’investissement et, d’autre part, un rapport sur la distribution du matériel promotionnel.

13      Le Ministère a estimé qu’il existait des incohérences entre le contenu de ces rapports et les preuves présentées par le bénéficiaire lors d’un contrôle sur place. Bien que ce dernier ait déclaré avoir réalisé et distribué le matériel promotionnel conformément au contrat, il ne serait pas en mesure de le justifier à suffisance, faisant dès lors naître, selon le Ministère, un soupçon raisonnable quant à l’exactitude des documents remis. Ainsi, le Ministère soutient disposer d’indices solides relatifs à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets.

14      À la suite d’une saisine par le Ministère, le Parchetul de le pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Direcția Națională Anticorupție – Serviciul teritorial Pitești (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – direction nationale anticorruption – service territorial de Pitești, Roumanie) a ouvert une procédure pénale le 14 février 2017 en raison d’une possible infraction visée à l’article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, à savoir l’utilisation ou la présentation de mauvaise foi de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet l’obtention indue de fonds provenant du budget général de l’Union européenne.

15      Par une ordonnance du 12 mai 2017, la Direcția Națională Anticorupție – Serviciul teritorial Pitești (direction nationale anticorruption – service territorial de Pitești, Roumanie) a engagé des poursuites pénales in rem pour l’infraction visée à l’article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000.

16      Le 1er août 2019, le procureur a rendu une ordonnance prononçant le classement sans suite de l’affaire, estimant que l’existence des faits visés à l’article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000 n’était pas établie. Pour motiver cette décision, il a, tout d’abord, retenu que, selon les dispositions du contrat de financement, les activités prévues pour assurer le maintien et la poursuite de l’activité de promotion touristique au cours des cinq années postérieures à la mise en œuvre du projet, en ce compris l’impression et la distribution de matériel promotionnel, étaient financées sur le propre budget du bénéficiaire et non à l’aide du budget de l’Union.

17      Il a ensuite indiqué que les rapports, dont l’exactitude du contenu est contestée par le Ministère, ont été transmis par le bénéficiaire après la clôture du projet, dans le cadre du contrôle ex-post. Or, selon le procureur, les éléments objectifs constitutifs de l’infraction visée à l’article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000 ne sont pas réunis, puisque le lien de causalité entre la présentation ou l’utilisation des pièces et l’obtention indue de fonds européens fait défaut en l’espèce. Le procureur estime donc que l’obtention de fonds européens a eu lieu pendant la période de mise en œuvre du projet et n’a pas été subordonnée à la présentation des pièces relevant de la période de durabilité du projet, de sorte qu’il ne pouvait être considéré qu’il a été porté atteinte au budget de l’Union.

18      Le 29 août 2019, le Ministère a saisi le procureur en chef de la section du parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție – Direcția Națională Anticorupție (Haute Cour de cassation et de justice – direction nationale anticorruption, Roumanie) d’une réclamation contre ladite décision de classement sans suite, faisant valoir que celle-ci était illégale et infondée. Cette réclamation a été rejetée comme étant non fondée.

19      Dans ces circonstances, le Ministère a saisi le Tribunalul Argeș (tribunal de grande instance d’Argeș, Roumanie) d’un recours contre l’ordonnance de classement sans suite du 1er août 2019.

20      À l’appui de son recours, le Ministère soutient que la présentation, postérieurement à la période de mise en œuvre du projet, de documents contenant des informations inexactes peut constituer une infraction au titre de l’article 181, paragraphe 1, de la loi no 78/2000. Il estime que la perception indue de fonds du budget de l’Union, qui résulte de la présentation de ces documents, doit être appréciée à la lumière des conditions prévues par le contrat de financement, de sorte que les activités afférentes à la période de durabilité, même si elles sont postérieures à la réalisation effective du projet, s’inscrivent dans le cadre du contrat et pendant la période de validité de celui-ci.

21      Dans ces conditions, le Tribunalul Argeş (tribunal de grande instance d’Argeş) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La notion de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de [l’Union européenne] visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la [convention PIF], inclut-elle l’infraction commise pour créer l’illusion du respect de l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006 afin d’éviter l’application par l’État membre de l’article 57, paragraphe 3, lu en combinaison avec l’article 98 du même règlement, ou bien couvre-t-elle uniquement l’infraction commise jusqu’à la fin de la période de mise en œuvre, les faits commis pendant la période de durabilité étant exclus ?

2)      Le droit de l’Union – et notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE, lu en combinaison avec l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE et avec l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la [convention PIF] – peut-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale qui exclut de sanctionner le prévenu pour l’infraction commise après la fin de la période de mise en œuvre, à savoir pendant la période de durabilité, au regard des obligations que celui-ci a prises dans le contrat de financement, et à une interprétation de la règle nationale en ce sens que la notion de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de [l’Union] ne couvre pas le comportement infractionnel du bénéficiaire du financement pendant la période de durabilité du projet, au regard des obligations découlant du contrat de financement, indépendamment de la provenance des fonds ou des dépenses engagées par le bénéficiaire pour la durabilité du projet, c’est-à-dire que les fonds proviennent du propre budget du bénéficiaire ou des fonds de [l’Union] ? »

 La procédure devant la Cour

22      Dans sa décision de renvoi, le Tribunalul Argeş (tribunal de grande instance d’Argeş) a demandé que le renvoi préjudiciel à l’origine du présent arrêt soit soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait valoir, en substance, qu’il existe un risque d’expiration du délai de prescription de la responsabilité pénale dans le litige au principal.

23      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

24      Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

25      En l’occurrence, le 14 septembre 2020, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de procédure accélérée, dans la mesure où la décision de renvoi ne comportait pas d’élément suffisant aux fins d’établir des circonstances exceptionnelles qui soient propres à justifier qu’il soit statué dans de brefs délais sur la demande de décision préjudicielle. En effet, la juridiction de renvoi s’est limitée à fournir, à l’appui de sa demande, la date des faits et de citer les règles nationales applicables en matière de prescription de la responsabilité pénale, sans pour autant se prononcer sur l’application de ces règles au litige au principal.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut l’utilisation de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet bénéficiant d’un financement pour créer l’illusion du respect des obligations prévues lors de la période de durabilité du projet.

27      Conformément au libellé de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, constitue une « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union, en matière de dépenses, tout acte ou omission intentionnel relatif à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget de l’Union.

28      Ainsi, la « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, couvre non seulement l’obtention, mais également la rétention indue de fonds provenant du budget de l’Union. Dès lors, une fraude dont l’objectif viserait la rétention indue de fonds est susceptible de prendre la forme d’un manquement aux obligations déclaratives postérieurement à l’obtention desdits fonds.

29      Par conséquent, la notion de « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, doit nécessairement être interprétée comme incluant l’utilisation intentionnelle de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet bénéficiant d’un financement, pour créer l’illusion du respect des obligations prévues lors de la période de durabilité du projet par le contrat de financement, afin de retenir, de manière indue, des fonds provenant du budget de l’Union. Elle couvre ainsi l’ensemble de la période au cours de laquelle le contrat de financement impose des obligations aux bénéficiaires, en ce compris la période de durabilité.

30      Par ailleurs, la provenance des fonds servant à satisfaire à une obligation attachée au contrat de financement est sans importance, dès lors que le respect de ladite obligation conditionne l’octroi et le maintien de fonds provenant du budget de l’Union.

31      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la première question que la notion de « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut l’utilisation de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet bénéficiant d’un financement pour créer l’illusion du respect des obligations prévues lors de la période de durabilité du projet.

 Sur la seconde question préjudicielle

32      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose à une juridiction nationale d’interpréter les dispositions du droit national de manière conforme aux obligations découlant de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu à la lumière de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF. 

33      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler, tout d’abord, que le principe de primauté du droit de l’Union impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 54 et jurisprudence citée).

34      À cet égard, il y a lieu de relever que le principe d’interprétation conforme du droit interne, en vertu duquel la juridiction nationale est tenue de donner au droit interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union, est inhérent au système des traités, en ce qu’il permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle tranche le litige dont elle est saisie (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 55 et jurisprudence citée).

35      Il incombera, par conséquent, à la juridiction de renvoi d’apprécier, en l’occurrence, si le droit national peut être interprété en ce sens qu’il vise non seulement l’obtention, mais également la rétention indue de fonds lorsque celle-ci est susceptible de constituer une fraude aux intérêts financiers de l’Union telle que définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF.

36      Dans ce contexte, il convient, ensuite, de relever que l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE met à la charge des États membres une obligation de résultat précise, s’agissant de l’adoption de mesures dissuasives et effectives ainsi que de leur obligation de prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers, et qui n’est assortie d’aucune condition. Cette disposition a, dès lors, pour effet, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans son rapport avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de son entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C‑105/14, EU:C:2015:555, points 51 et 52).

37      Par conséquent, eu égard à la réponse fournie à la première question préjudicielle, une interprétation du droit national au terme de laquelle les déclarations susceptibles d’être qualifiées de « fraude », au sens du droit de l’Union, ne pourraient être poursuivies que lorsqu’elles ont eu lieu lors de l’exécution du projet et non pas lors de la période de durabilité est, indépendamment de la provenance des fonds utilisés, insuffisante, et dès lors contraire aux obligations découlant du droit de l’Union, puisqu’elle risque de prévenir l’adoption de sanctions effectives et dissuasives pour les cas de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

38      Enfin, en procédant à une interprétation conforme des dispositions nationales, la juridiction de renvoi devra également veiller à ce que les droits fondamentaux des personnes concernées soient respectés et éviter que ces dernières se voient infliger des sanctions auxquelles elles auraient échappé si ces dispositions de droit national avaient été appliquées, conformément aux obligations découlant du principe de légalité des délits et des peines en droit pénal (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a., C‑105/14, EU:C:2015:555, point 53).

39      Ainsi, si le juge national était amené à considérer qu’une interprétation conforme des dispositions nationales se heurte au principe de légalité des délits et des peines, il ne serait pas tenu de se conformer à cette obligation, et ce même si le respect de celle-ci permettait de remédier à une situation nationale incompatible avec le droit de l’Union. Il incombe alors au législateur national de prendre les mesures nécessaires (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

40      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la seconde question que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose à une juridiction nationale d’interpréter les dispositions du droit national de manière conforme aux obligations découlant de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu à la lumière de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention PIF, pour autant qu’une telle interprétation n’entraîne pas une violation du principe de légalité des délits et des peines.

 Sur les dépens

41      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1)      La notion de « fraude portant atteinte aux intérêts financiers » de l’Union européenne, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995, doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut l’utilisation de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet bénéficiant d’un financement pour créer l’illusion du respect des obligations prévues lors de la période de durabilité du projet.

2)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose à une juridiction nationale d’interpréter les dispositions du droit national de manière conforme aux obligations découlant de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu à la lumière de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995, pour autant qu’une telle interprétation n’entraîne pas une violation du principe de légalité des délits et des peines.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.