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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

5 janvier 2024 (*)

« Référé – Fonction publique – Fonctionnaires – Mise à la retraite – Rejet de la demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑1123/23 R,

Paolo Meucci, demeurant à Addis-Abeba (Éthiopie), représenté par Mes L. Levi et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme S. Seyr et M. R. Schiano, en qualité d’agents,

et

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par M. R. Coesme et Mme S. Falek, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 1er décembre 2023, Paolo Meucci/Parlement et SEAE (T‑1123/23 R, non publiée),

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, M. Paolo Meucci, sollicite, d’une part, le sursis à l’exécution des décisions du Parlement européen du 24 octobre 2023 l’autorisant à poursuivre son activité jusqu’au 30 novembre 2023 (ci-après la « première décision attaquée du 24 octobre 2023 ») et autorisant son détachement auprès du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) jusqu’à cette même date (ci-après la « seconde décision attaquée du 24 octobre 2023 ») ainsi que de la décision du Parlement du 9 novembre 2023 le réintégrant au sein de ses services et le mettant à la retraite avec effet au 30 novembre 2023 (ci-après la « décision attaquée du 9 novembre 2023 ») et de la décision du SEAE du 13 novembre 2023 mettant fin à son affectation au sein de la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de la délégation auprès de l’Union africaine au 30 novembre 2023 (ci-après la « décision attaquée du 13 novembre 2023 ») et, d’autre part, la prolongation de son autorisation de travailler jusqu’au 31 août 2024 à la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de ladite délégation et, si besoin, l’injonction au Parlement de le détacher auprès du SEAE et au SEAE de l’affecter au sein de la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de ladite délégation.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le requérant est fonctionnaire du Parlement.

3        Le 10 mars 2022, le requérant a soumis au Parlement une demande de rester en activité au-delà de l’âge de la retraite conformément à l’article 52 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), soit au-delà du 30 septembre 2022.

4        Par une décision du 10 juin 2022, le requérant a été détaché dans l’intérêt du service auprès du SEAE du 1er septembre 2022 au 31 août 2024.

5        Par une décision du 20 juin 2022, le Parlement a autorisé le requérant à poursuivre son activité au-delà de l’âge de la retraite jusqu’au 30 septembre 2023.

6        Par une décision du 23 août 2022, le SEAE a affecté le requérant à la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de la délégation auprès de l’Union africaine du 1er septembre 2022 au 31 août 2024.

7        Le 7 février 2023, le requérant a interrogé la responsable des ressources humaines de la direction générale (DG) « Politiques internes de l’Union » du Parlement sur le besoin d’introduire une demande de prolongation de l’autorisation de poursuivre son activité compte tenu de la durée de son détachement prévu jusqu’au 31 août 2024.

8        Le 8 février 2023, la responsable des ressources humaines de la DG « Politiques internes de l’Union » du Parlement lui a répondu qu’elle avait vérifié son statut sur le portail « HRM Portal » et que sa mise à la retraite était officiellement prévue le 1er septembre 2024. Selon elle, la prolongation jusqu’en septembre 2024 découlerait directement de la décision de détachement. Elle a indiqué au requérant qu’il pourrait vérifier cela auprès de la cheffe d’unité des ressources humaines de la DG « Partenariats pour la démocratie parlementaire » du Parlement, mais que, selon elle, une demande additionnelle ne serait pas nécessaire.

9        Le 26 septembre 2023, le requérant a reçu un courriel de la directrice des ressources humaines de la DG « Partenariats pour la démocratie parlementaire » du Parlement l’informant que l’autorisation de poursuivre son activité au-delà de l’âge de la retraite expirait le 30 septembre 2023 et lui demandant s’il avait introduit une demande de prorogation.

10      Le 29 septembre 2023, le requérant a introduit une demande de prolongation de l’autorisation de rester en activité jusqu’au 31 août 2024.

11      Par la première décision attaquée du 24 octobre 2023, le Parlement a autorisé le requérant à poursuivre son activité jusqu’au 30 novembre 2023. Par la deuxième décision attaquée du 24 octobre 2023, le Parlement a annulé et remplacé la décision du 10 juin 2022 relative au détachement du requérant auprès du SEAE et a mis fin à son détachement avec effet au 30 novembre 2023.

12      Par la décision attaquée du 9 novembre 2023, le Parlement a réintégré le requérant et l’a mis à la retraite avec effet au 30 novembre 2023.

13      Par la décision attaquée du 13 novembre 2023, le SEAE a décidé de mettre fin à l’affectation du requérant avec effet au 30 novembre 2023.

14      Le 29 novembre 2023, le requérant a introduit une réclamation contre ces quatre décisions.

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 novembre 2023, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de ces quatre décisions.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 novembre 2023, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        prononcer le sursis à l’exécution de la première décision attaquée du 24 octobre 2023, de la deuxième décision attaquée du 24 octobre 2023, de la décision attaquée du 9 novembre 2023 et de la décision attaquée du 13 novembre 2023 ;

–        ordonner la prolongation de son autorisation de travailler jusqu’au 31 août 2024 à la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de la délégation auprès de l’Union africaine et, si besoin, ordonner au Parlement de le détacher auprès du SEAE et au SEAE de l’affecter au sein de la section Politique, sous-section Affaires parlementaires, de la délégation auprès de l’Union africaine ;

–        réserver les entiers dépens.

17      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 11 décembre 2023, le Parlement conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        réserver la décision sur les dépens ou, si le Président du Tribunal estime nécessaire de statuer sur les dépens en application de l’article 158, paragraphe 5, deuxième phrase, du règlement de procédure du Tribunal, condamner le requérant à ceux-ci.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 13 décembre 2023, le SEAE conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        réserver les dépens.

 En droit

 Conditions générales

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce dans le respect des règles de recevabilité prévues par l’article 156 du règlement de procédure. L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

20      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

21      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

22      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

23      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union européenne. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

24      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à démontrer l’urgence.

25      En l’espèce, afin de démontrer le risque imminent d’un préjudice grave et irréparable, en premier lieu, le requérant soutient que, en l’absence de mesures provisoires, il serait privé de son droit de continuer à exercer ses fonctions en tant que fonctionnaire. Cette privation serait définitive et se produirait jour après jour jusqu’à l’annulation éventuelle des décisions qui sont attaquées. À l’appui de son argumentation, le requérant se réfère aux points 81 à 89 de l’ordonnance du 18 mai 2017, RW/Commission (T‑170/17 R, non publiée, EU:T:2017:351). En outre, le requérant fait valoir qu’il perdrait son statut de fonctionnaire et le statut diplomatique qui lui a été octroyé en tant que fonctionnaire. En second lieu, le requérant allègue qu’un déménagement au 1er décembre 2023 serait impossible à organiser.

26      Le Parlement et le SEAE contestent les arguments du requérant.

27      S’agissant, en premier lieu, du dommage qui résulterait du fait que le requérant serait privé de son droit de continuer à exercer ses fonctions en tant que fonctionnaire, il convient de relever, premièrement, qu’il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un tel préjudice dans son cas particulier (voir ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil C-541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 19). Or, en l’espèce le requérant se limite à invoquer la violation de son droit de continuer à exercer ses fonctions en tant que fonctionnaire sans fournir des arguments concrets visant à démontrer l’existence d’un préjudice grave qui en découlerait. Le requérant reste notamment en défaut d’expliquer en quoi l’impossibilité de travailler onze mois supplémentaires serait constitutive d’un préjudice grave.

28      Deuxièmement, à supposer qu’un argument juridique tiré de la violation du droit de continuer à exercer ses fonctions serait susceptible de démontrer l’existence d’un préjudice grave et irréparable, il convient de constater que, en l’espèce, le requérant ne saurait invoquer un droit statutaire de continuer à exercer ses fonctions en tant que fonctionnaire.

29      L’article 52 du statut dispose ce qui suit :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 50, le fonctionnaire est mis à la retraite :

a) soit d’office, le dernier jour du mois durant lequel il atteint l’âge de 66 ans,

[…]

Toutefois, à sa demande et lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination considère que l’intérêt du service le justifie, un fonctionnaire peut rester en activité jusqu’à l’âge de 67 ans, voire, à titre exceptionnel, jusqu’à l’âge de 70 ans, auquel cas il est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint cet âge.

Lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination décide d’autoriser un fonctionnaire à rester en activité au-delà de l’âge de 66 ans, cette autorisation est octroyée pour une durée maximale d’un an. Elle peut être renouvelée à la demande du fonctionnaire. »

30      Il ressort de l’article 52 du statut que le principe établi par le statut est le départ à la retraite d’office lorsque le fonctionnaire atteint l’âge légal de la retraite et que la possibilité de rester en activité au-delà de cet âge peut être octroyée à titre exceptionnel si l’intérêt du service le justifie. Il s’ensuit que, sans préjudice de l’appréciation du juge dans l’affaire principale en ce qui concerne le respect de l’article 52 du statut et notamment du devoir de sollicitude, le requérant ne saurait invoquer un droit statutaire de continuer à exercer ses fonctions en tant que fonctionnaire afin de démontrer l’urgence d’adopter des mesures provisoires.

31      Troisièmement, il convient de distinguer le cas d’espèce de l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 18 mai 2017, RW/Commission (T‑170/17 R, non publiée, EU:T:2017:351). Dans cette dernière affaire, le président du Tribunal, statuant en tant que juge des référés, a ordonné le sursis à l’exécution de la décision de la Commission européenne de mettre la partie requérante en congé dans l’intérêt du service et, simultanément, à la retraite d’office conformément à l’article 42 quater, cinquième alinéa, du statut. En effet, cette dernière disposition prévoit la possibilité de mettre en congé dans l’intérêt du service un fonctionnaire pour une période qui correspond en principe à la durée restant à courir jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite, alors que le cas d’espèce concerne une prolongation de la période de travail au-delà de cet âge.

32      En second lieu, concernant le dommage qui résulterait de la nécessité de déménager, premièrement, il convient de constater que le requérant fait uniquement valoir qu’un déménagement au 1er décembre 2023 serait impossible à organiser sans étayer cette argumentation par des éléments concrets visant à démontrer le risque d’un préjudice grave et irréparable. Deuxièmement, il ressort du dossier que le requérant a pris connaissance de l’incertitude quant à la prolongation de l’autorisation de rester en activité au moment de la réception du courriel de la directrice des ressources humaines de la DG « Partenariats pour la démocratie parlementaire » du Parlement le 26 septembre 2023. Troisièmement, le dommage résultant des éventuelles dépenses encourues en lien avec le déménagement serait de nature pécuniaire et pourrait faire l’objet d’une indemnisation.

33      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, à défaut pour le requérant d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

34      Par ailleurs, quand bien même le comportement du Parlement aurait pu justifier à ce qu’il soit statué sur les dépens dans la présente ordonnance, il est décidé de ne pas déroger à la règle de base prévue à l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure et de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      L’ordonnance du 1er décembre 2023, Paolo Meucci/Parlement et SEAE (T1123/23 R, non publiée), est rapportée.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 5 janvier 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.