Language of document : ECLI:EU:T:2013:239

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 mai 2013 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la France en faveur de l’expression radiophonique – Décision de ne pas soulever d’objections – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑273/11,

Régie Networks, établie à Lyon (France),

NRJ Global, établie à Paris (France),

représentées par Mes B. Geneste et C. Vannini, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et S. Thomas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 6483 final de la Commission, du 29 septembre 2010, concernant le régime d’aides C 4/09 (ex N 679/97) que la [République française] a mis à exécution en faveur de l’expression radiophonique et déclarant ledit régime compatible avec le marché intérieur, sous réserve du respect de certaines conditions,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, Régie Networks et NRJ Global, sociétés de droit français, sont les régies publicitaires qui commercialisent l’espace publicitaire des fréquences locales du groupe NRJ GROUP.

2        La République française a institué à partir de 1982 un régime d’aides à l’expression radiophonique locale, financé par une taxe parafiscale sur les recettes publicitaires.

3        Le produit net de la taxe sur les régies publicitaires est versé au Fonds de soutien à l’expression radiophonique qui finance, au profit des stations de radio locales dont les ressources commerciales provenant de messages diffusés à l’antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d’affaires total, trois types d’aides, à savoir une subvention d’installation aux stations de radio locales nouvellement autorisées, une aide à l’équipement et une subvention annuelle de fonctionnement.

4        Le régime des aides, régulièrement revu, adapté et prolongé, a été approuvé par la Commission européenne à plusieurs reprises.

5        Ainsi, par la décision du 10 novembre 1997, dont une communication succincte a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 1er mai 1999 (JO C 120, p. 2, ci-après la « la décision du 10 novembre 1997 »), la Commission a informé les autorités françaises qu’elle n’entendait pas soulever d’objections au projet de décret visant à modifier le régime d’aides à l’expression radiophonique précédemment admis, que lesdites autorités lui avaient notifié conformément à l’article 93, paragraphe 3, du traité CE. Selon l’article 2 du décret n° 97-1263, du 29 décembre 1997, portant application de l'article 80 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (JORF du 30 décembre 1997, p. 19194), ce régime d’aides était financé par une taxe sur les messages publicitaires émis à destination du territoire français.

6        Postérieurement, par lettre du 8 mai 2003, la Commission a informé les autorités françaises que la perception de la taxe en cause auprès des régies publicitaires implantées dans les États membres autres que la République française violait le principe général selon lequel les produits ou services importés devaient être exonérés de toute taxe parafiscale destinée à financer un régime d’aide dont seules bénéficiaient des entreprises nationales.

7        À la suite de la modification du régime d’aides afin qu’il soit financé uniquement par des taxes sur les messages publicitaires diffusés à partir du territoire français, la Commission, par une décision du 28 juillet 2003 relative à la mesure d’aide NN 42/03, n’a pas soulevé d’objections au projet de loi visant à modifier le régime d’aides à l’expression radiophonique ayant été précédemment approuvé, dans ses modalités successives.

8        À ce stade, les requérantes ont engagé des procédures au niveau national pour récupérer les sommes relatives aux taxes acquittées pour l’année 2001. Compte tenu du refus des autorités fiscales françaises de réserver une suite favorable à ces procédures,, Régie Networks a formé un recours en 2003 devant le tribunal administratif de Lyon (France) en invoquant l’incompatibilité du régime d’aides avec le droit de l’Union. Son recours ayant été rejeté, elle a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Lyon qui, en 2007, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle relative à la compatibilité de la taxe sur les régies publicitaires avec le droit de l’Union. Pendant la même période, NRJ Global a intenté des recours identiques à ceux de Régie Networks afin d’obtenir le remboursement de la taxe sur les régies publicitaires.

9        Saisie d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour a invalidé la décision du 10 novembre 1997, dans la mesure où la Commission, pour apprécier la conformité du régime d’aides en cause avec les règles du traité en matière d’aides d’État, n’avait pas pris en considération le mode de financement de ces aides, alors que celui-ci faisait partie intégrante de ce régime (arrêt de la Cour du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, Rec. p. I−10807, ci-après l’« arrêt de la Cour », points 112, 113, 116 et 117).

10      Toutefois, la Cour a suspendu les effets de son constat d’invalidité jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission en vertu de l’article 88 CE, une telle suspension étant cependant exclue pour les entreprises ayant introduit avant la date du prononcé de l’arrêt de la Cour un recours en justice ou une réclamation équivalente quant à la perception de la taxe litigieuse instituée par l’article 1er du décret n° 97−1263.

11      À la suite de l’arrêt de la Cour, la Commission a adopté la décision C (2010) 6483 final, du 29 septembre 2010, concernant le régime d’aide C 4/2009 (ex N 679/97) que la [République française] a mis à exécution en faveur de l’expression radiophonique et déclarant ledit régime compatible avec le marché intérieur, sous réserve du respect de certaines conditions (ci-après « la décision attaquée »).

12      Dans la décision attaquée, la Commission a dissocié le régime des aides et son mode de financement. Ainsi, elle a considéré que le régime des aides était compatible avec le marché intérieur, notamment à l’aune des critères énoncés à l’article 107, paragraphe 3, point c), TFUE. En revanche, la Commission n’a pas approuvé le mode de financement dudit régime.

13      Dans la décision attaquée, la Commission a enjoint à la France de faire appel aux opérateurs étrangers concernés, individuellement ou au moyen d’une publicité adéquate et dans des délais impartis, afin de leur rembourser le montant des taxes indûment prélevées durant la période 1997-2002.

14      Il convient de rappeler que ni l’arrêt de la Cour, ni la décision attaquée, ni l’instruction du 27 décembre 2010 de la Direction générale des finances publiques française faisant suite à l’arrêt de la Cour et à la décision attaquée ne concernent la période postérieure aux modifications apportées au régime d’aide en 2003 (voir point 7 ci-dessus).

15      Au terme des procédures engagées au niveau national, les requérantes ont obtenu le remboursement des sommes prélevées au titre de la taxe litigieuse, et ce depuis l’année 2001 incluse.

16      Elles estiment toutefois que, à la suite de l’arrêt de la Cour, la Commission aurait dû déclarer le régime d’aides en cause incompatible, au lieu d’adopter une décision de compatibilité conditionnelle selon laquelle ledit régime était compatible avec le marché intérieur, seul son mode de financement ne pouvant être approuvé.

 Procédure

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

18      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours manifestement irrecevable ;

–        subsidiairement, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

20      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la demande sans poursuivre la procédure.

 Sur l’intérêt à agir des requérantes

22      La Commission conteste l’intérêt à agir des requérantes. Elle considère que celles-ci n’ont pas d’intérêt à agir contre la décision attaquée, dès lors que l’arrêt de la Cour leur permet d’obtenir le remboursement des taxes litigieuses devant les juridictions nationales, indépendamment d’une déclaration ultérieure de compatibilité conditionnelle de la Commission, laquelle ne saurait remettre en cause l’illégalité des taxes perçues et le droit au remboursement de ces dernières.

23      Les requérantes répondent qu’il existe une incertitude quant à la portée de la déclaration d’invalidité de la décision du 10 novembre 1997 et quant à son articulation avec les règles nationales de prescription. Elles relèvent que, fortes de la déclaration d’invalidité de cette dernière décision, elles ont engagé immédiatement après l’arrêt de la Cour des actions en restitution portant sur la taxe relative à la période antérieure à 2001. Ces contentieux seraient toujours pendants devant les juridictions nationales et elles se verraient actuellement opposer, nonobstant l’arrêt de la Cour, les règles nationales de prescription. Par conséquent, l’argument de la Commission résumé au point 22 ci-dessus s'avérerait inexact.

24      Elles soutiennent que la décision attaquée risque d’affecter de manière négative l’étendue de leur droit à remboursement et font valoir que, si l’arrêt de la Cour leur ouvre une voie de recours pour l’intégralité de la période couverte par la décision du 10 novembre 1997, la question n’en demeure pas moins de savoir si ce droit à remboursement est définitivement acquis à leur profit.

25      Or, les requérantes prétendent que la décision attaquée, en ce qu’elle déclare le régime d’aide en cause compatible, y compris à leur égard, fournit rétroactivement une base légale à l’imposition déjà recouvrée.

26      Partant, outre qu’elle irait à l’encontre du dispositif de l’arrêt de la Cour, la décision attaquée rendrait plus difficiles et plus incertaines les actions en restitution engagées par les requérantes et encore pendantes devant les juridictions nationales.

27      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la notion d’intérêt à agir renvoie à la nécessité pour toute personne physique ou morale ayant introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt né et actuel à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 11 mars 2009, TF1/Commission, T‑354/05, Rec. p. II‑471, points 84 et 85, et la jurisprudence citée). Il suit de là qu’un recours formé contre un acte qui n’a pas lui-même de portée défavorable pour le requérant et ne lui fait donc pas grief, doit être rejeté comme étant irrecevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 juin 2002, Allemagne/Commission, C−242/00, Rec. p. I−5603, point 46).

28      En l’espèce, il convient de constater que la suspension des effets de l’arrêt de la Cour, mentionnée au point 10 ci-dessus, ne concerne pas les requérantes, dès lors que celles-ci avaient, avant la date du prononcé de l’arrêt de la Cour, introduit un recours en justice. Il s’ensuit que, pour autant que les requérantes aient été concernées, la perception de la taxe litigieuse par la République française pour la période 1997-2002 était censée avoir été effectuée avant que la procédure d’examen de l’aide litigieuse ait abouti à une décision finale de la Commission, puisque la décision du 10 novembre 1997, qui constituait une telle décision finale, a été déclarée invalide par la Cour.

29      Or, il ressort de l’article 108, paragraphe 3, troisième phrase, TFUE, que l’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures d’aides projetées avant que la procédure d’examen desdites mesures, prévue au paragraphe 2 du même article, ait abouti à une décision finale. À cet égard, comme le fait valoir à juste titre la Commission, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la décision finale de la Commission n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cet article. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, du paragraphe 3, dernière phrase, de l’article 108 TFUE et le priverait de son effet utile (voir arrêt de la Cour du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C−199/06, Rec. p. I−469, point 40, et la jurisprudence citée). Il ressort de ces considérations que la décision finale de la Commission ne peut pas avoir pour effet l’approbation rétroactive de taxes ou de cotisations destinées à financer une mesure d’aide et perçues avant l’adoption de la décision (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 octobre 2003, van Calster e.a., C−261/01 et C‑262/01, Rec. p. I−12249, points 73 à 77).

30      Par conséquent, la décision attaquée n’a pas eu et ne pouvait pas avoir pour effet de valider rétroactivement la perception des taxes destinées à financer la mesure d’aide litigieuse dont les requérantes se sont acquittées durant la période 1997-2002. Partant, elle ne fait pas obstacle à ce que les requérantes obtiennent le remboursement des sommes indûment prélevées.

31      Sans directement contester cette conclusion, les requérantes font toutefois valoir qu’elles se voient opposer les règles nationales de prescription, qui pourraient faire échec à leur tentative de remboursement des sommes indûment prélevées.

32      À cet égard, il convient de rappeler que, en l’absence de règles harmonisées régissant le remboursement de taxes imposées en violation du droit de l’Union, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à la sauvegarde des droits des justiciables (arrêts de la Cour du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, 33/76, Rec. p. 1989, point 5 ; Comet, 45/76, Rec. p. 2043, points 13 et 16 ; du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 25, et du 29 juin 1988, Deville, 240/87, Rec. p. 3513, point 12).

33      Ces modalités procédurales doivent respecter le principe d’équivalence, selon lequel les modalités ne peuvent être moins favorables que celles régissant des recours similaires en droit interne, et le principe d’effectivité, selon lequel ces modalités ne doivent pas être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice de droit que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 juillet 1997, Palmisani, C−261/95, Rec. p. I−4025, point 27).

34      Il convient, toutefois, de préciser que le principe d’équivalence ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre à l’ensemble des actions en restitution de taxes ou de redevance perçues en violation du droit de l’Union son régime de prescription le plus favorable (arrêts de la Cour du 15 septembre 1998, Edis, C−231/96, Rec. p. I−4951, point 36 ; Spac, C−260/96, Rec. p. I−4997, point 20, et du 17 novembre 1998, Aprile, C−228/96, Rec. p. I−7141, point 20).

35      Il ressort des considérations qui précèdent que, sous condition du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’application des règles nationales de prescription à des actions en recouvrement de sommes indûment payées, destinées à financer une mesure d’aide dont la mise en œuvre n’était pas compatible avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C−88/99, Rec. p. I−10465, point 25).

36      Cependant, il appartient, le cas échéant, à la Cour de statuer, en application de l’article 267 TFUE et sur demande de la juridiction nationale compétente, sur la conformité des règles nationales de prescription que les requérantes se voient opposer avec lesdits principes et, plus généralement, avec le droit de l’Union. En l’espèce, la décision attaquée ne comporte cependant aucune référence à cette question et ne se prononce pas sur celle-ci. Par conséquent, une éventuelle décision du Tribunal, statuant sur la validité de ladite décision, serait également dépourvue de pertinence par rapport à la question de la compatibilité des règles nationales de prescription en question avec le droit de l’Union.

37      Il ressort des considérations qui précèdent et en tenant compte du fait que les requérantes n’ont avancé aucun autre argument pour justifier leur intérêt à obtenir l’annulation de la décision attaquée, qu’elles ne retireraient aucun bénéfice d’une telle annulation. Par conséquent, et en application de la jurisprudence mentionnée au point 29 ci-dessus, le présent recours doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir des requérantes.

 Sur les dépens

38      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Régie Networks et NRJ Global sont condamnées aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 14 mai 2013.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       O. Czúcz


* Langue de procédure : le français.