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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

12 juillet 2024 (*)

« Référé – Services numériques – Règlement (UE) 2022/2065 – Très grandes plateformes en ligne – Demande de sursis à exécution – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑139/24 R,

WebGroup Czech Republic, a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes M. Pinto de Lemos Fermiano Rato et A. Kontosakou, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P.-J. Loewenthal et J. Szczodrowski, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, WebGroup Czech Republic, a.s., sollicite le sursis à l’exécution de la décision C(2023) 8850 final de la Commission, du 20 décembre 2023, désignant XVideos comme étant une très grande plateforme en ligne conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil (ci‑après la « décision attaquée »), dans la mesure où celle‑ci lui impose de mettre à la disposition du public le registre prévu à l’article 39, paragraphes 1 et 2, dudit règlement.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La requérante détient et exploite la plateforme en ligne XVideos, à savoir un service d’hébergement de contenus pour adultes.

3        L’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1) prévoit que la Commission européenne désigne, par décision, comme étant une très grande plateforme en ligne ou un très grand moteur de recherche en ligne, la plateforme en ligne ou le moteur de recherche en ligne dont le nombre mensuel moyen de destinataires actifs du service dans l’Union européenne est égal ou supérieur à 45 millions.

4        L’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ou de très grands moteurs de recherche en ligne présentant de la publicité sur leurs interfaces en ligne tiennent et mettent à la disposition du public, dans une section spécifique de leur interface en ligne, à l’aide d’un outil de recherche fiable permettant d’effectuer des recherches multicritères et par l’intermédiaire d’interfaces de programme d’application, un registre contenant les informations visées au paragraphe 2 de cet article, pour toute la période pendant laquelle ils présentent une publicité et jusqu’à un an après la dernière présentation de la publicité sur leurs interfaces en ligne.

5        Le 20 décembre 2023, par la décision attaquée, la Commission a désigné la plateforme en ligne XVideos comme étant une très grande plateforme en ligne, conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mars 2024, la requérante a introduit un recours tendant notamment à l’annulation de la décision attaquée.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut en substance à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, dans la mesure où celle‑ci lui impose de mettre à la disposition du public le registre prévu à l’article 39, paragraphes 1 et 2, du règlement 2022/2065 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 mars 2024, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens de la présente instance.

9        Par une mesure d’organisation de la procédure du 2 avril 2024, le président du Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs observations sur les conséquences à tirer, pour la présente affaire, de l’ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe [C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277].

10      Les 15 et 16 avril 2024, la requérante et la Commission ont respectivement déféré à cette demande.

 En droit

 Considérations générales

11      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

12      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

13      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

14      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

15      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

16      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

 Sur le fumus boni juris

17      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas lorsque l’un de ces moyens révèle l’existence de questions de droit complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties dévoile l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas à l’évidence [voir ordonnance du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 188 et jurisprudence citée].

18      Aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la requérante invoque un moyen unique à l’appui du recours en annulation.

19      À l’appui du moyen unique, la requérante soutient que les informations et les données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 sont couvertes par le secret professionnel, car celles-ci ne sont connues que par un nombre restreint de personnes, que leur divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers et que les intérêts susceptibles d’être lésées par leur divulgation sont nécessairement dignes de protection.

20      En particulier, la requérante allègue que la plupart des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 ne sont accessibles qu’à un nombre restreint de personnes. Elle affirme être la seule à pouvoir accéder à ces informations et à ces données sous leur forme consolidée et ordonnées de façon complète et systématique comme l’exige le registre.

21      En outre, la requérante fait valoir que l’obligation de mettre à la disposition du public le registre en vertu de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 porte atteinte au droit à la protection de la confidentialité de ses secrets d’affaires d’elle‑même et de ses annonceurs, ainsi qu’à la confiance légitime que ces informations et ces données demeurent confidentielles. Or, la protection des informations confidentielles serait un corollaire du droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

22      De plus, selon la requérante, l’obligation de mettre à la disposition du public le registre en vertu de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole son droit d’exercer une activité économique consacré à l’article 16 de la Charte. La divulgation de ce registre l’empêche d’exercer librement ses activités en disposant des ressources économiques et financières dont elle dispose. Elle fait également valoir que l’obligation de mettre à la disposition du public les informations et les données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, dudit règlement, notamment de manière consolidée, complète et systématique et sur une longue période, risque de la priver de ses ressources financières. Selon elle, ladite divulgation permet à d’autres acteurs du marché d’obtenir un aperçu du marché concernant sa stratégie et ses activités publicitaires, ce qui leur donne un avantage concurrentiel déloyal et immérité et affaiblit sa position. Elle fait observer que la perte des recettes publicitaires, qui constituent son unique source de revenus, au mieux, entrave le libre développement de son activité commerciale et, au pire, met en danger son existence même, portant ainsi atteinte à la substance même de son droit à la liberté d’entreprise.

23      De surcroît, la requérante soutient que l’obligation de mettre à la disposition du public le registre en vertu de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 empiète sur son droit de propriété, consacré à l’article 17 de la Charte. Selon elle, ses droits de propriété incluent sa clientèle et les revenus qu’elle tire de l’exploitation de la plateforme en ligne XVideos. Elle estime que le respect des exigences de divulgation prévues à l’article 39, paragraphes 1 et 2, dudit règlement porte atteinte à son droit de propriété. En outre, elle fait valoir que pareille divulgation risque de lui faire perdre la clientèle qu’elle avait réussi à se constituer grâce à son propre travail et, de ce fait, des recettes publicitaires. Elle ajoute que les conditions de ses activités professionnelles sont profondément altérées, dans la mesure où cette divulgation permet à ses concurrents et à ceux de ses annonceurs d’obtenir des informations sur le marché concernant sa stratégie publicitaire et leur procure un avantage concurrentiel injuste. Selon elle, le champ d’application de ses activités serait, par la suite, inévitablement réduit en raison d’une perte de parts de marché, tout comme la valeur de sa clientèle et, plus généralement, de son entreprise.

24      Enfin, la requérante soutient que l’obligation de mettre à la disposition du public le registre en vertu de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 viole le principe de proportionnalité et, partant, restreint illégalement non seulement son droit à confidentialité et celui de ses annonceurs, mais également sa liberté d’entreprise et son droit à la propriété, dans la mesure où l’obligation en cause dépasse les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par ledit règlement. Cette obligation serait en outre disproportionnée, car il existerait des alternatives moins contraignantes permettant d’atteindre ces objectifs. Enfin, les inconvénients causés par la nécessité de respecter l’obligation en question seraient démesurés par rapport auxdits objectifs.

25      La Commission considère que la requérante n’a pas démontré que le moyen unique avait des chances raisonnables de prospérer.

26      En premier lieu, la Commission estime que le moyen unique est manifestement irrecevable. Selon elle, une disposition d’un acte de portée générale ne peut faire l’objet d’une exception d’illégalité basée sur l’article 277 TFUE que lorsqu’elle constitue la base dudit acte ou qu’elle entretient un lien juridique direct avec cet acte. En l’espèce, cela ne serait pas la décision attaquée qui imposerait à la requérante les obligations découlant de l’article 39 du règlement 2022/2065 en ce qui concerne la plateforme en ligne XVideos. Cette décision ne ferait que désigner ladite plateforme en ligne comme une très grande plateforme en ligne au sens de l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement. Dès lors, ladite décision ne serait pas une mesure d’exécution par laquelle l’article 39 de ce règlement est appliqué. Le fait que la décision en question ait pour conséquence l’applicabilité des obligations de diligence renforcées prévues au chapitre III, section 5 du même règlement ne suffit pas à rendre recevable l’exception d’illégalité soulevée par la requérante à l’encontre de l’une de ces dispositions. Admettre une exception d’illégalité dans de telles circonstances donnerait lieu à une action popularis, ce qui va au‑delà de l’objectif de l’article 277 TFUE.

27      En deuxième lieu, la Commission fait valoir l’absence, à première vue, d’une atteinte injustifiée à l’article 7 de la Charte. Selon elle, la requérante n’a pas démontré que les informations qu’elle est tenue de mettre à la disposition du public en vertu de l’article 39 du règlement 2022/2065 sont à première vue de nature confidentielle, que la divulgation de ces informations causerait un préjudice grave à elle‑même ou à ses partenaires publicitaires et que les intérêts susceptibles d’être lésés sont dignes de protection. En tout état de cause, la requérante serait déjà tenue de divulguer la plupart de ces informations en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union. En outre, la Commission soutient que des informations analogues à celles qui sont visées à l’article 39, paragraphe 2, dudit règlement peuvent être obtenues, en ce qui concerne la requérante, à partir d’offres commerciales.

28      Dans ce cadre, la Commission allègue que toute restriction à la vie privée serait en tout état de cause justifiée. En l’espèce, l’ingérence est prévue par la loi, à savoir par l’article 39 du règlement 2022/2065. Elle n’affecte pas le contenu essentiel du droit en cause, étant donné que la divulgation ne fait intervenir aucune donnée à caractère personnel. Cette ingérence répond également à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union.

29      En ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, la Commission rappelle que le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Par conséquent, en l’espèce, la légalité de l’article 39 du règlement 2022/2065 ne peut être appréciée à la lumière de l’existence potentielle de mesures moins intrusives, telles que l’article 26 dudit règlement, comme le suggère la requérante.

30      En troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle l’article 39 du règlement 2022/2065 porte atteinte à sa liberté d’entreprise en vertu de l’article 16 de la Charte, la Commission fait observer que la requérante n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle la mise en conformité avec l’article 39 dudit règlement permet à d’autres acteurs du marché d’obtenir un avantage concurrentiel déloyal et non mérité et affaiblit la position de celle-ci sur le marché.

31      En tout état de cause, la Commission rappelle que la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue. Les intérêts que le législateur de l’Union cherche à protéger au moyen du registre visant à garantir une transparence renforcée de la publicité en ligne revêtent une importance capitale pour atteindre les objectifs du règlement 2022/2065, à savoir garantir un espace numérique sûr pour les destinataires de services intermédiaires, tout en veillant au respect des droits fondamentaux.

32      En l’espèce, la Commission avance qu’une éventuelle ingérence dans la liberté d’entreprise est prévue par la loi, à savoir par l’article 39 du règlement 2022/2065. Elle fait observer en outre que l’obligation imposée par cette disposition n’affecte pas l’essence de la liberté d’entreprise de la requérante, puisque cette dernière peut continuer à exploiter la plateforme en ligne XVideos dans l’Union. Ladite obligation répondrait à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union et serait nécessaire et proportionnée pour atteindre cet objectif.

33      En ce qui concerne la proportionnalité d’une éventuelle ingérence dans la liberté d’entreprise de la requérante, la Commission fait valoir que la requérante n’a même pas tenté de démontrer que l’obligation qui lui est imposée par l’article 39 du règlement 2022/2065 était manifestement inappropriée. En tout état de cause, selon elle, la requérante n’a pas non plus démontré que ladite obligation était, à première vue, disproportionnée.

34      En quatrième lieu, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle l’article 39 du règlement 2022/2065 porte atteinte de manière injustifiée à son droit de propriété en vertu de l’article 17 de la Charte, la Commission allègue qu’un opérateur économique ne peut pas revendiquer un tel droit sur une part de marché, même s’il la détenait à un moment antérieur à l’instauration d’une mesure affectant ledit marché, une telle part de marché ne constituant qu’une position économique momentanée exposée aux aléas d’un changement de circonstances. Par conséquent, selon elle, la requérante n’a pas démontré l’existence, à première vue, d’une ingérence dans ce droit.

35      En toute hypothèse, la Commission rappelle que la protection du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte n’est pas absolue. En l’espèce, toute ingérence dans l’exercice dudit droit que la requérante détient sur les informations en cause, quand bien même elle serait établie, serait prévue par la loi. Cette ingérence ne saurait non plus être considérée comme portant atteinte au contenu essentiel de ce droit, étant donné que la requérante peut continuer à exploiter la plateforme en ligne XVideos dans l’Union. Enfin, comme cela a été observé en ce qui concerne l’atteinte alléguée aux articles 7 et 16 de la Charte, toute ingérence répond à un objectif d’intérêt général reconnu par le législateur de l’Union et n’est pas manifestement inappropriée pour atteindre cet objectif. Par conséquent, la requérante n’aurait pas démontré qu’une éventuelle atteinte à l’article 17 de la Charte due à l’article 39 du règlement 2022/2065 était, à première vue, injustifiée.

36      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de la recevabilité du moyen unique invoqué par la requérante, tiré de l’illégalité de l’article 39 du règlement 2022/2065, il y a lieu de rappeler que le vice‑président de la Cour a décidé, dans son ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe [C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 91], que l’appréciation, aux fins de l’application de l’article 277 TFUE, de la nature du lien juridique existant entre l’article 39 du règlement 2022/2065 et une décision de désignation au titre de l’article 33 de ce règlement, telle que la décision attaquée, apparaît constituer une question de droit complexe dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi.

37      En second lieu, si la recevabilité du moyen unique devait être admise, l’examen de ce moyen impliquerait que le juge du fond détermine si l’article 39 du règlement 2022/2065 est conforme aux articles 7, 16 et 17 de la Charte [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 92].

38      Aux fins d’apprécier la condition relative au fumus boni juris, il y a lieu d’examiner d’emblée le moyen unique en tant qu’il se rapporte à une violation alléguée du droit à confidentialité de la requérante et de ses annonceurs ainsi que des articles 16 et 17 de la Charte.

39      L’article 16 de la Charte prévoit que la liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union ainsi qu’aux législations et aux pratiques nationales.

40      L’article 17 de la Charte prévoit que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer.

41      Il ressort de l’article 39, paragraphes 1 et 2, du règlement 2022/2065 que l’application de ces dispositions à la requérante l’obligerait à mettre à la disposition du public un registre comportant diverses informations relatives aux publicités présentées sur les très grandes plateformes en ligne. Parmi ces informations figurent, notamment, le contenu de la publicité, la personne pour le compte de laquelle la publicité est présentée, la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, les principaux paramètres utilisés pour le ciblage de certains destinataires, les communications commerciales publiées sur les très grandes plateformes en ligne ou encore le nombre total de destinataires du service atteint.

42      Ces informations, prises ensemble, fournissant des indications détaillées sur l’ensemble des activités de la requérante dans le domaine de la publicité en ligne, y compris sur ses relations avec ses clients ou les modalités précises des campagnes de communications commerciales menées, il ne saurait a priori être exclu que les obligations imposées par l’article 39 du règlement 2022/2065 puissent être regardées comme limitant les droits que la requérante tire des articles 16 et 17 de la Charte, sans qu’il soit nécessaire, en vue de parvenir à une telle conclusion préliminaire, que la requérante présente des arguments supplémentaires destinés à établir le caractère confidentiel desdites informations [voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 97].

43      Certes, il en irait différemment s’il devait être considéré que, comme le fait valoir la Commission, les informations que l’article 39 du règlement 2022/2065 impose à la requérante de divulguer sont, en réalité, déjà à la disposition du public, indépendamment de l’application de cet article [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 98].

44      À cet égard, il semble effectivement que certaines de ces informations doivent être divulguées en vertu de l’article 26 du règlement 2022/2065, de l’article 6 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), de l’article 5 du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57) et de l’article 15 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

45      Pour autant, il ne ressort pas de l’argumentation de la Commission que l’ensemble des informations visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065, et, en particulier, la période au cours de laquelle la publicité est diffusée ou le nombre total de destinataires du service atteint, doivent être divulguées indépendamment de l’application de cet article. Force est d’ailleurs de constater que la Commission soutient uniquement que la plupart de ces informations sont couvertes par de telles obligations de divulgation et qu’elle ne prétend donc pas qu’il en irait ainsi pour l’ensemble desdites informations.

46      De plus, le caractère équivalent, aux fins de l’application des articles 16 et 17 de la Charte, d’une divulgation d’une information au seul utilisateur concerné ou à l’ensemble du public constitue une question largement nouvelle présentant une certaine complexité [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 102].

47      En outre, si la Commission soutient que des informations analogues à celles qui sont visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 peuvent être obtenues, en ce qui concerne la requérante, à partir d’offres commerciales, elle ne précise pas les coûts et difficultés qu’impliqueraient l’accès à ces informations analogues. Par ailleurs, elle ne produit pas de preuves à l’appui de son affirmation.

48      S’agissant des arguments de la Commission selon lesquels la requérante était tenue de démontrer que la divulgation des informations en cause est susceptible de causer un préjudice grave à elle‑même ou à ses partenaires publicitaires et que les intérêts susceptibles d’être lésés ne sont pas dignes de protection, ceux‑ci se fondent sur une interprétation des dispositions pertinentes de la Charte qui ne ressort, à première vue, ni du texte de ces dispositions ni de la jurisprudence de la Cour. Le bien-fondé d’un tel argument doit, en conséquence, être apprécié par le juge du fond [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 105].

49      Dans ces conditions, le juge des référés ne saurait constater qu’il est établi, avec une évidence suffisante, que les informations que l’article 39 du règlement 2022/2065 impose à la requérante de divulguer sont dépourvues de caractère confidentiel et, par voie de conséquence, que l’application de cet article 39 à la requérante ne conduirait pas à limiter les droits qu’elle peut tirer des articles 16 et 17 de la Charte [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 106].

50      Une telle limitation de ces droits ne serait toutefois de nature à établir l’illégalité de l’article 39 du règlement 2022/2065 que si cette limitation n’était pas conforme aux conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 107].

51      Cette disposition prévoit que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits, tels que ceux consacrés aux articles 16 et 17 de la Charte, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 108].

52      Or, l’appréciation devant être menée pour déterminer si ces conditions sont satisfaites en l’espèce suppose de prendre en compte divers facteurs, tels que le degré de contribution de la publication de l’ensemble des informations visées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 à la réalisation des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union, le niveau de gravité de la limitation des droits prévus aux articles 16 et 17 de la Charte ou encore l’existence éventuelle de solutions alternatives moins attentatoires à ces droits [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 109].

53      Partant, même si une large marge d’appréciation devait être reconnue à cet égard au législateur de l’Union, la question de savoir s’il a outrepassé les limites de cette marge d’appréciation en adoptant l’article 39 du règlement 2022/2065 constitue, en l’absence de précédents clairs, une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas avec évidence [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 110].

54      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que le moyen unique apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux et mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

55      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris, dans la mesure où le moyen unique apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux.

 Sur la condition relative à l’urgence

56      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe, e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

57      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

58      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, en premier lieu, la requérante fait valoir que la divulgation des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 causerait un préjudice grave à elle‑même et à ses annonceurs et risque d’affecter la structure concurrentielle du marché.

59      En particulier, premièrement, la requérante soutient que la divulgation au grand public des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 lui causerait un préjudice grave dans la mesure où une telle divulgation non seulement revêtirait une importance commerciale stratégique, mais en outre présenterait une utilité significative pour les autres acteurs du marché qui pourraient exploiter ces informations à leur propre avantage et à son détriment.

60      Deuxièmement, la requérante allègue que la divulgation au grand public des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 révélerait non seulement ses stratégies publicitaires et celles employées par ses clients que sont les annonceurs, mais également l’efficacité réelle de ces stratégies.

61      Troisièmement, la requérante soutient que l’accès au registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 permettrait à toute personne intéressée de reconstituer la façon dont ses activités commerciales et publicitaires sont organisées et de s’engager dans la collecte systématique de renseignements commerciaux qui dévoileraient ses stratégies et celles de ses annonceurs.

62      Quatrièmement, la requérante avance que le fait d’autoriser l’accès au registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 sur une période aussi longue donnerait aux concurrents amplement l’occasion d’examiner attentivement les informations précieuses qui y sont contenues, de les analyser, de les corréler aux évolutions en cours du marché et de les revoir à tout moment. Ces concurrents seraient ainsi en mesure de tirer continuellement des enseignements des stratégies employées par elle‑même et par ses annonceurs et d’en étudier l’efficacité.

63      Cinquièmement, selon la requérante, le respect des obligations imposées par l’article 39 du règlement 2022/2065 risquerait d’entraîner la migration des annonceurs vers des concurrents plus petits qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations onéreuses. Ce risque serait d’autant plus grand que le marché des services d’hébergement de contenus pour adultes est très fragmenté et concurrentiel, avec des millions de concurrents. Si cela devait se produire, la viabilité de la plateforme en ligne XVideos serait en jeu étant donné que les recettes publicitaires constituent sa seule source de revenus.

64      En particulier, la requérante fait valoir qu’il est impossible de quantifier en termes uniquement financiers le préjudice causé à ses intérêts commerciaux et l’impact sur ses revenus qui résulteraient de la divulgation des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065. Selon elle, bien que le risque d’utilisation des informations confidentielles en question et de la perte des avantages stratégiques dont bénéficiaient elle‑même et ses annonceurs du fait de ses investissements et de son expérience soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il ne peut être quantifié. D’une manière générale, les informations confidentielles seraient par nature intangibles et la quantification du montant des dommages qui pourraient découler de leur utilisation, sous la forme d’un manque à gagner, serait par nature très difficile, voire impossible, à entreprendre.

65      Sixièmement, la requérante soutient qu’il est probable que le respect de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, en modifiant la dynamique du marché et en augmentant la transparence non seulement concernant les stratégies commerciales et publicitaires utilisées par elle‑même et ses annonceurs, mais également concernant l’efficacité et la performance de ces stratégies, affecte la structure concurrentielle du marché.

66      En second lieu, la requérante fait valoir que la divulgation des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 causerait un préjudice irréparable à elle‑même et à ses annonceurs. Selon elle, une fois que les informations confidentielles et commercialement sensibles incluses dans le registre devant être mis à la disposition du public conformément audit article sont divulguées, aucun retour en arrière n’est possible.

67      En outre, la requérante fait valoir que, à moins que la décision attaquée ne soit suspendue dans la mesure où celle-ci lui impose l’obligation de mettre à la disposition du public le registre conformément à l’article 39, paragraphes 1 et 2, du règlement 2022/2065, elle se trouverait placée dans une situation intenable. D’une part, si elle le fait, elle fournit inévitablement un accès illimité à ses informations confidentielles et commercialement sensibles à un nombre illimité de personnes, nuisant ainsi à son activité et à ses annonceurs. D’autre part, si elle s’abstient de le faire, elle manque à ses obligations au titre dudit règlement et s’expose à une amende.

68      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

69      En premier lieu, la Commission fait valoir qu’il est impossible pour la requérante de démontrer qu’un préjudice est grave et irréparable sans préciser quelles informations confidentielles sont en cause et sans étayer précisément les raisons pour lesquelles celle-ci estime que leur confidentialité est violée du fait de l’application de l’article 39 du règlement 2022/2065.

70      En deuxième lieu, les allégations de la requérante selon lesquelles des informations confidentielles pourraient être utilisées par ses concurrents pour cibler les annonceurs de la plateforme en ligne XVideos sont vagues et peu convaincantes. La requérante se contenterait d’affirmer que la divulgation de ces informations aurait de graves conséquences économiques pour son activité, étant donné que son modèle commercial est centré sur la publicité. Elle ne fournirait absolument aucune justification ou preuve, encore moins les documents détaillés exigés par la jurisprudence, quant aux raisons pour lesquelles un tel préjudice serait grave et irréparable.

71      En troisième lieu, la Commission souligne que, pour qu’il y ait urgence, il faut que la survenance du préjudice allégué puisse être prévue avec un degré de probabilité suffisant. Or, le préjudice que la requérante subirait, selon ses allégations, en se conformant à l’article 39 du règlement 2022/2065 reposerait sur un certain nombre de prémisses qui seraient purement spéculatives et fondées sur des événements futurs et incertains.

72      Ainsi, la requérante suggérerait que les annonceurs se tourneraient vers des concurrents de taille plus modeste qui ne seraient pas soumis aux mêmes obligations, en sous‑entendant que cela affecterait sa viabilité, mais elle ne démontrerait pas, comme l’exigerait la jurisprudence, l’existence d’obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchant de reconquérir une fraction appréciable de sa part de marché.

73      En quatrième lieu, la Commission fait valoir que, pour démontrer que la condition relative à l’urgence est remplie, la requérante doit également prouver que le préjudice grave et irréparable qu’elle allègue est tant probable qu’imminent.

74      En cinquième lieu, la Commission soutient que le préjudice allégué est purement financier, puisqu’il consiste essentiellement en la perte de recettes publicitaires.

75      Dans ce cadre, la Commission rappelle que la requérante tente plutôt de s’affranchir des exigences relatives à la quantification du préjudice en cause en tentant de présenter celui‑ci comme étant le type de préjudice qui ne peut être quantifié. Pourtant, la plupart des allégations de la requérante sont en substance liées à des caractéristiques très concrètes et tangibles du marché, telles que le nombre d’annonceurs concernés, l’avantage commercial que constitue l’obtention de l’accès à certaines données et informations prétendument inconnues auparavant ou la prétendue perte de parts de marché.

76      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la viabilité de la plateforme en ligne XVideos est en jeu étant donné que les recettes publicitaires constituent sa seule source de revenus, il y a lieu de constater que le préjudice allégué est purement financier.

77      Or, selon la jurisprudence, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée). L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît justifiée dans une telle hypothèse (ordonnance du 9 juin 2010, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10 R, non publiée, EU:T:2010:228, point 37).

78      En outre, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme étant irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait, notamment, être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

79      Si, dans la jurisprudence, il a également été tenu compte du fait que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, les parts de marché de la partie requérante seraient modifiées de manière irrémédiable, il doit être précisé que ce cas de figure ne saurait être mis sur un pied d’égalité avec celui du risque de la disparition du marché et justifier l’adoption de la mesure provisoire demandée que si la modification irrémédiable des parts de marché présente aussi un caractère grave. Il ne suffit donc pas qu’une part de marché risque d’être irrémédiablement perdue par une entreprise, mais il importe que cette part de marché soit suffisamment importante au regard, notamment, de la taille de cette entreprise, compte tenu des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat. Une partie sollicitant des mesures provisoires qui se prévaut de la perte d’une telle part de marché doit démontrer, en outre, que des obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchent de reconquérir une fraction appréciable de cette part de marché (voir ordonnance du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée, EU:T:2009:124, point 35 et jurisprudence citée).

80      Il est également de jurisprudence constante que, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de l’acte en cause, le juge des référés doit, dans tous les cas, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 10 juillet 2018, Synergy Hellas/Commission, T‑244/18 R, non publiée, EU:T:2018:422, point 27 et jurisprudence citée).

81      En l’espèce, il y a lieu de constater que, bien que la requérante allègue que la viabilité de la plateforme en ligne XVideos est en jeu étant donné que les recettes publicitaires constituent sa seule source de revenus, elle n’apporte aucun élément chiffré, comptable ou autre, sur la situation financière du groupe auquel elle appartient de nature à étayer l’existence d’un préjudice grave et irréparable. Certes, elle fournit des explications sur les effets en cascade de la perte de revenus publicitaires, mais elle n’en précise pas son incidence sur sa viabilité financière.

82      En deuxième lieu, la demande en référé manque également de détails sur la prétendue perte de recettes ou de parts de marché pour la requérante.

83      En effet, bien que la requérante soutienne qu’il est probable que le respect de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 affecte la structure concurrentielle du marché, elle ne fait pas état, dans la demande en référé, d’obstacles spécifiques qui l’empêcheraient de reconquérir une fraction appréciable de ses parts de marché dans le cas où elle ne serait ultérieurement plus tenue de maintenir en ligne le registre prévu audit article, en raison de l’annulation de la décision attaquée.

84      Il ne saurait dès lors être considéré que la requérante a établi l’existence d’obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchant, en cas d’annulation de la décision attaquée, de reconquérir une fraction appréciable des parts de marché éventuellement perdues à la suite de la mise à la disposition du public du registre exigée par l’article 39 du règlement 2022/2065. Il s’ensuit qu’elle n’a pas démontré, en tout état de cause, que les pertes de marché qui résulteraient de la mise à disposition de ce registre lui causeraient un préjudice irréparable.

85      S’agissant, en troisième lieu, de l’argument de la requérante selon lequel le préjudice causé par l’application de l’article 39 du règlement 2022/2065 est irréparable, car, une fois que les informations confidentielles et commercialement sensibles incluses dans le registre dont la mise à la disposition du public est exigée par ledit article sont divulguées, aucun retour en arrière n’est possible, il ressort de la jurisprudence que, lorsque, d’une part, le demandeur en référé allègue que les informations dont il vise à empêcher, à titre provisoire, la publication constituent des secrets d’affaires et lorsque, d’autre part, cette allégation remplit la condition relative au fumus boni juris, le juge des référés est, en principe, tenu, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, de présumer que ces informations sont des secrets d’affaires [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 126].

86      Dès lors qu’il ressort des points 41 à 53 ci‑dessus que l’allégation de la requérante selon laquelle une partie au moins des informations et des données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 sont confidentielles remplit la condition relative au fumus boni juris, il y a lieu de présumer, aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence, que l’application de cette disposition conduira à la divulgation d’informations confidentielles.

87      Dans ce cadre, il y a lieu de relever que la question de savoir dans quelle mesure la divulgation d’informations confidentielles causerait un préjudice grave et irréparable dépend d’une combinaison de circonstances, telles que l’importance sur les plans professionnel et commercial des informations pour l’entreprise qui réclame leur protection et l’utilité de celles-ci pour d’autres entreprises présentes sur le marché qui sont susceptibles d’en prendre connaissance et de les utiliser par la suite [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 42].

88      En l’espèce, la requérante se prévaut d’un préjudice d’ordre financier, bien que non chiffré, consécutif à la mise à la disposition du public d’un registre de tous les partenaires publicitaires de la plateforme en ligne XVideos, qui entraînerait un risque sérieux de dissuader les annonceurs existants et potentiels de faire de la publicité sur ladite plateforme et ne manquerait pas de conférer aux concurrents de cette plateforme un avantage concurrentiel déloyal et immérité et, simultanément, d’affaiblir la position de la plateforme en question sur le marché.

89      Au regard de la diversité des informations commerciales précises qui ont vocation à figurer dans le registre dont la mise à disposition du public est exigée par l’article 39 du règlement 2022/2065, de l’intérêt des annonceurs à pouvoir mettre en œuvre des pratiques publicitaires ne pouvant être aisément reproduites par leurs concurrents et de l’avantage que pourraient retirer les concurrents de la requérante d’un accès complet à de telles informations commerciales, le préjudice résultant de la mise à la disposition du public de ce registre doit être regardé comme présentant le caractère de gravité auquel est subordonné le prononcé de mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 131 et jurisprudence citée].

90      Les éléments avancés par la requérante permettent donc d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave.

91      Quant au caractère irréparable de ce préjudice, il convient de rappeler que, certes, un préjudice d’ordre financier ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme étant irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Toutefois, il en va autrement, et un tel préjudice peut alors être considéré comme étant irréparable, s’il ne peut pas être chiffré (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 92 et jurisprudence citée).

92      Toutefois, l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice d’ordre financier dans le cadre d’un éventuel recours en dommages-intérêts ne saurait être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice, au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement la réparation d’un préjudice d’ordre financier dans le cadre d’un éventuel recours en dommages-intérêts, qui pourrait être intenté à la suite de l’annulation de l’acte attaqué, est nécessairement incertaine. Or, la procédure en référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en dommages-intérêts pour éliminer cette incertitude, sa finalité étant seulement de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive à intervenir dans la procédure au fond sur laquelle le référé se greffe, à savoir, en l’espèce, un recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 93 et jurisprudence citée).

93      En revanche, il en va autrement lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice allégué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité ne saurait par conséquent permettre de le réparer. Tel peut notamment être le cas s’agissant de la publication d’informations commerciales spécifiques et confidentielles (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 94 et jurisprudence citée).

94      À cet égard, il convient de constater que le préjudice susceptible d’être subi par la requérante en raison de la publication de ses secrets d’affaires serait différent, tant en ce qui concerne sa nature que son étendue, selon que les personnes qui prendraient connaissance de ces secrets d’affaires sont ses clients, ses concurrents, des analystes financiers ou encore des personnes relevant du grand public. En effet, il serait impossible d’identifier le nombre et la qualité de toutes les personnes ayant effectivement eu connaissance des informations publiées et d’apprécier ainsi les conséquences que la publication de celles-ci aurait pu avoir sur les intérêts commerciaux et économiques de la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 95 et jurisprudence citée).

95      Or, cette incertitude, qui est également présente en l’espèce, est de nature à démontrer le caractère irréparable du préjudice financier invoqué [voir, en ce sens, ordonnances du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 96, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, points 113 à 118].

96      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, la survenance probable, pour la requérante, d’un préjudice grave et irréparable étant établie à suffisance de droit.

 Sur la mise en balance des intérêts

97      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, EU:C:2003:385, point 142 et jurisprudence citée).

98      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de relever que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 65 et jurisprudence citée).

99      Il convient donc d’examiner si les intérêts de la requérante à obtenir la suspension immédiate de la décision attaquée prévalent sur ceux poursuivis par la Commission par l’adoption de cette décision.

100    S’agissant des intérêts poursuivis par la requérante, premièrement, celle‑ci allègue que l’annulation de la décision attaquée s’avérerait insuffisante pour inverser et réparer le préjudice grave et irréparable que l’exécution immédiate de ladite décision lui causerait. Selon la requérante, si la présente demande de référé est rejetée, elle sera tenue de mettre à la disposition du public le registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 et, de ce fait, contrainte de divulguer des informations confidentielles et commercialement sensibles dans les quatre mois à compter de sa désignation comme une très grande plateforme en ligne. Si, par la suite, elle devait obtenir gain de cause dans le cadre de son recours contre de cette décision, il serait impossible d’inverser la situation qui aurait été créée entre‑temps. Le préjudice grave causé par ladite divulgation serait irréparable.

101    Deuxièmement, la requérante précise que le sursis à l’exécution d’une partie de la décision attaquée n’empêcherait pas l’article 39 du règlement 2022/2065 de prendre pleinement effet à son égard si, à un stade ultérieur, le recours principal en annulation est rejeté. En d’autres termes, si la présente demande de référé est accueillie, cela ne serait pas de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par ladite décision et par le règlement 2022/2065.

102    Troisièmement, la requérante fait valoir que, étant donné qu’elle conteste uniquement l’obligation de mettre à la disposition du public un registre en vertu de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065, le sursis à l’exécution d’une partie de la décision attaquée n’empêcherait pas la réalisation des objectifs de surveillance et de recherche identifiés au considérant 95 dudit règlement. En effet, les autorités de surveillance compétentes et les chercheurs agréés au sens de ce règlement pourraient toujours, en tant que de besoin, accéder audit registre.

103    Quatrièmement, la requérante allègue que l’intérêt public d’avoir accès aux informations et aux données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, du règlement 2022/2065 et la poursuite des objectifs de transparence prétendument poursuivis par ledit règlement ne seraient pas affectés par le maintien du statu quo sur une période limitée.

104    Cinquièmement, la requérante soutient qu’il faudrait tenir compte d’autres intérêts de tiers qui devraient, en fin de compte, faire pencher la balance en sa faveur. Il s’agit des intérêts juridiques des hommes d’affaires et des entreprises qui ont compté sur le fait que leurs secrets d’affaires soient protégés de toute divulgation.

105    Sixièmement, la requérante précise, dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure visée au point 10 ci‑dessus, que l’intérêt d’une mise en œuvre immédiate et intégrale du règlement 2022/2065 devait être mis en balance avec le risque que la divulgation des informations dans un registre affecte la totalité des revenus de la plateforme en ligne concernée et puisse, à terme, menacer sa viabilité. Selon elle, même si elle devait obtenir gain de cause dans la procédure principale, l’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où elle lui impose l’obligation de mettre à la disposition du public ce registre, serait susceptible d’être sans effet dès lors que, à ce moment‑là, la plateforme en ligne XVideos pourrait déjà avoir cessé d’exister.

106    S’agissant des intérêts poursuivis par la Commission, premièrement, celle-ci soutient, en substance, que la requérante n’a en aucune façon démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable une fois que les obligations découlant de l’article 39 du règlement 2022/2065 commenceront à lui être applicables.

107    Deuxièmement, la Commission allègue que la suspension aurait des effets immédiats qui ne devraient pas être négligés et qui ne sauraient être éclipsés par le fait que l’article 39 du règlement 2022/2065 pourrait devenir pleinement applicable à la requérante à un stade ultérieur en cas de rejet du recours principal en annulation.

108    En outre, la Commission fait valoir que la rapidité sans précédent, à savoir seize mois seulement, avec laquelle un accord politique a été trouvé au sujet du règlement 2022/2065 démontrerait l’urgence que le législateur de l’Union a attachée à la poursuite de cet objectif. Tel serait le cas, en particulier, des obligations de diligence renforcées que ce règlement impose aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, notamment son article 39, que ledit législateur aurait spécifiquement décidé d’appliquer avant l’entrée en application générale du règlement compte tenu des risques sociétaux systémiques associés à ces types de services, y compris les fournisseurs de contenus en ligne tels que la plateforme en ligne XVideos, et de leur incidence potentielle sur une grande partie de la population de l’Union.

109    Troisièmement, la Commission soutient que, accorder uniquement l’accès au registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 aux autorités de surveillance compétentes ou aux chercheurs agréés selon le principe du besoin d’en connaître ne suffirait pas à compenser le manque de transparence.

110    Quatrièmement, la Commission précise que les risques systémiques que la plateforme en ligne XVideos continuerait de présenter pour la société et l’incapacité de remédier aux éventuels préjudices résultant de ces risques si les mesures provisoires étaient octroyées et que le recours en annulation de la requérante était ultérieurement rejeté pèsent lourdement en faveur d’une application uniforme et aussi rapide que possible de l’article 39 du règlement 2022/2065.

111    Cinquièmement, la Commission fait valoir que la requérante n’ayant pas démontré que les informations en cause constituaient des secrets d’affaires de tiers, elle ne saurait se prévaloir utilement des prétendus intérêts juridiques que des tiers auraient pu avoir à ce que les informations ne soient pas divulguées. Au contraire, les utilisateurs professionnels peuvent également avoir un intérêt commercial à avoir accès à des informations générales sur les publicités et, en particulier, sur la période au cours de laquelle la publicité a été présentée et sur le nombre d’utilisateurs qu’elle a atteint. En consultant le registre dont la mise à la disposition du public est exigée par l’article 39 du règlement 2022/2065, une société utilisatrice légitime serait en mesure de déceler les fraudes et arnaques consistant à proposer des biens ou des services sous leur marque ou produit, ou les atteintes à la propriété intellectuelle.

112    En ce qui concerne, en premier lieu, l’intérêt s’attachant à l’octroi des mesures provisoires sollicitées, il importe de souligner qu’une éventuelle décision annulant la décision attaquée ne serait pas privée d’effet si la demande en référé était rejetée et si, en conséquence, la requérante était tenue de mettre immédiatement à la disposition du public le registre exigé par l’article 39 du règlement 2022/2065 [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 144].

113    Certes, les informations publiées dans le registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 dans l’attente d’une décision annulant la décision attaquée seraient, en pratique, privées de manière définitive de leur caractère confidentiel, dès lors qu’elles ne pourraient plus être soustraites à la connaissance des tiers [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 145].

114    Cependant, il résulte de l’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 que le registre doit être mis à jour en permanence, dans la mesure où il doit comporter les informations visées à l’article 39, paragraphe 2, dudit règlement pour toute la période durant laquelle le fournisseur de la très grande plateforme en ligne concernée présente une publicité et jusqu’à un an après la dernière présentation de la publicité sur ses interfaces en ligne [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 146].

115    Il s’ensuit que, en cas d’annulation de la décision attaquée, la requérante ne sera plus obligée de tenir le registre visant à garantir une transparence renforcée de la publicité en ligne conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065. Partant, elle ne sera plus tenue de conserver en ligne des informations relatives aux publicités présentées sur la plateforme en ligne XVideos ni de divulguer des informations relatives aux évolutions de ses campagnes publicitaires ou à de nouvelles campagnes publicitaires. Ladite annulation serait donc de nature à assurer aux annonceurs le retour d’un environnement commercial plus attractif et à permettre à la requérante de développer de nouvelles stratégies dans la conduite de son activité publicitaire sans que ses concurrents puissent en prendre connaissance au moyen de ce registre [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 147].

116    L’annulation de la décision attaquée conserverait, en conséquence, un intérêt pour la requérante et une effectivité réelle, même en l’absence d’octroi de mesures provisoires. Une telle situation distingue la présente affaire de celles dans lesquelles la Cour s’est fondée de manière décisive, lors de son appréciation de la mise en balance des intérêts en présence, sur la circonstance que la divulgation d’informations figurant dans une décision ou dans un rapport priverait définitivement de tout effet une éventuelle annulation de la décision ayant ordonné la divulgation de ces informations [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 148 et jurisprudence citée].

117    Cela étant, ainsi que le fait valoir la requérante et qu’il ressort des points 85 à 96 ci‑dessus, en l’absence de l’octroi de mesures provisoires, il est probable qu’elle subira un préjudice grave et irréparable avant le prononcé éventuel d’une décision d’annulation de la décision attaquée.

118    Cette circonstance ne saurait, toutefois, être regardée comme étant, à elle seule, décisive, puisque l’objet même de la mise en balance des intérêts en présence est d’apprécier si, malgré l’atteinte portée aux intérêts du demandeur que constitue le risque pour lui de subir un préjudice grave et irréparable, la prise en compte des intérêts liés à l’exécution immédiate de la décision attaquée, est de nature à justifier le refus d’accorder les mesures provisoires demandées [voir ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 150 et jurisprudence citée].

119    Aux fins de cette appréciation, il convient de relever que, s’il résulte de l’examen de la condition relative à l’urgence que la requérante est effectivement susceptible, en l’absence d’octroi de mesures provisoires, de subir un préjudice grave et irréparable d’ordre financier, il ne ressort pas des éléments avancés par celle-ci que l’application à la plateforme en ligne XVideos de l’article 39 du règlement 2022/2065, dans l’attente de la décision du juge du fond, aurait pour conséquence de compromettre l’existence ou le développement à long terme de la requérante.

120    Premièrement, comme mentionné au point 81 ci‑dessus, la requérante n’a pas démontré qu’elle serait exposée à un risque de cessation de ses activités en l’absence d’octroi de mesures provisoires, au regard de sa taille, de son chiffre d’affaires et des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

121    En outre, il ressort des points 82 à 84 ci‑dessus que la requérante n’a pas établi l’existence d’un risque de perte de parts de marché significatif et durable dans l’hypothèse où l’article 39 du règlement 2022/2065 serait applicable à la plateforme en ligne XVideos au cours de la période comprise entre le jour de l’examen de sa demande en référé et celui de la décision statuant au fond.

122    Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il faudrait tenir compte d’autres intérêts de tiers, des hommes d’affaires et des entreprises qui ont compté sur le fait que leurs secrets d’affaires soient protégés de toute divulgation, qui devraient, en fin de compte, faire pencher la balance en sa faveur, il importe de rappeler que le législateur de l’Union prévoit précisément, à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065, que le registre en question contient au moins des informations sur la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée et sur la personne physique ou morale qui a payé la publicité.

123    Or, même si une large marge d’appréciation devait être reconnue au législateur de l’Union, la mise à la disposition du public du registre prévu à l’article 39 du règlement 2022/2065 est susceptible d’affecter directement l’intérêt des tiers, des hommes d’affaires et des entreprises qui ont compté sur le fait que leurs informations soient protégées de toute divulgation, et, de ce fait, d’affecter les intérêts de la requérante. En effet, s’il est vrai qu’il s’agit de l’intérêt de tiers, il n’en reste pas moins que la requérante a une responsabilité vis‑à‑vis d’eux.

124    Néanmoins, il convient d’observer que la requérante ne précise pas si les données visées à l’article 39, paragraphe 2, sous b) et c), du règlement 2022/2065 suffisent pour identifier ces tiers, ces hommes d’affaires et ces entreprises avec suffisamment de précision.

125    Par ailleurs, il convient d’observer que le moyen unique avancé par la requérante à l’appui du fumus boni juris de la présente demande en référé ne se fonde pas sur une atteinte à la vie privée des tiers, des hommes d’affaires, voire des entreprises. La requérante n’invoque l’article 7 de la Charte que pour appuyer ses arguments tirés de la nécessité de préserver la confidentialité de ses secrets d’affaires.

126    S’agissant, en second lieu, de l’intérêt s’attachant à l’application immédiate de la décision attaquée, il importe de souligner que le règlement 2022/2065 constitue un élément central de la politique développée par le législateur de l’Union dans le secteur numérique. Ce règlement poursuit, dans le cadre de cette politique, des objectifs d’une grande importance, dès lors qu’il vise, ainsi qu’il résulte de son considérant 155, à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et à garantir un environnement en ligne sûr, prévisible et fiable dans lequel les droits fondamentaux consacrés par la Charte sont dûment protégés [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 155].

127    Certes, la Commission n’a pas allégué ni a fortiori démontré que l’octroi de mesures provisoires ayant pour effet d’exclure l’application à la plateforme en ligne XVideos de l’article 39 du règlement 2022/2065 jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours au fond serait de nature à faire définitivement obstacle à la réalisation de ces objectifs.

128    Il convient néanmoins de relever que la non‑application de certaines obligations prévues par le règlement 2022/2065 conduira à différer, potentiellement de plusieurs années, la réalisation complète desdits objectifs. Cette non‑application générera donc un risque de laisser potentiellement persister ou se développer un environnement en ligne menaçant les droits fondamentaux prévus par la Charte [ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 157].

129    Ce constat ne saurait être remis en cause par l’argument de la requérante selon lequel les objectifs de l’article 39 du règlement 2022/2065 pourraient être atteints au moyen de l’article 40 de ce règlement, qui protège les informations confidentielles en ne mettant pas à la disposition du grand public, notamment des concurrents, les informations et les données énumérées à l’article 39, paragraphe 2, dudit règlement.

130    En effet, il ressort du considérant 95 du règlement 2022/2065 que le législateur de l’Union a considéré, au terme d’une appréciation qu’il n’appartient pas au juge des référés de remettre en question, que les systèmes publicitaires utilisés par les très grandes plateformes en ligne présentent des risques particuliers et nécessitent un contrôle public et réglementaire plus poussé [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 160].

131    Il ne saurait donc être considéré, sauf à outrepasser l’office du juge des référés en écartant des appréciations du législateur de l’Union dont le caractère erroné n’a pas été démontré, que l’application à la plateforme en ligne XVideos des seules obligations imposées par l’article 40 du règlement 2022/2065 serait de nature à atteindre de manière satisfaisante les objectifs de l’article 39 de ce règlement [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 161].

132    Il convient encore de relever que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne conduirait pas uniquement à maintenir le statu quo. Le sursis à l’exécution de la décision attaquée serait de nature à modifier la situation concurrentielle dans le secteur numérique d’une manière qui n’a pas été prévue par le législateur de l’Union, en soumettant la requérante à un régime différent de celui applicable aux autres acteurs de ce secteur présentant, au regard des critères définis par ce législateur, des caractéristiques comparables à cette société [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 163].

133    Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que les intérêts défendus par le législateur de l’Union prévalent, en l’espèce, sur les intérêts de la requérante et des tiers, de sorte que la mise en balance des intérêts penche en faveur du rejet de la demande en référé [voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2024, Commission/Amazon Services Europe, C‑639/23 P(R), EU:C:2024:277, point 164].

134    Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée.

135    En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 juillet 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.