Language of document : ECLI:EU:C:2023:546

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

6 juillet 2023 (*)

« Pourvoi – Environnement – Convention d’Aarhus – Règlement (CE) no 1367/2006 – Article 2, paragraphe 1, sous f) – Notion de “droit de l’environnement” – Article 2, paragraphe 1, sous g) – Notion d’“acte administratif” – Article 10, paragraphe 1 – Réexamen interne d’actes administratifs – Délibération du conseil d’administration de la Banque européenne d’investissement (BEI) approuvant le financement d’un projet de centrale électrique biomasse – Rejet de la demande de réexamen interne de cette délibération comme étant irrecevable – Indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières – Article 271, sous c), TFUE – Portée »

Dans les affaires jointes C‑212/21 P et C‑223/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 2 avril 2021,

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes K. Carr, G. Faedo et M. T. Gilliams, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Bouckaert et G. Schaiko, avocats,

partie requérante dans l’affaire C‑212/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Mme S. Abram et M. J. Flynn, KC, ainsi que par M. H. Leith, barrister,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme F. Blanc et M. G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

et

Commission européenne, représentée par Mme F. Blanc et M. G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire C‑223/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

ClientEarth, établie à Londres, représentée par Mme S. Abram et M. J. Flynn, KC, ainsi que par M. H. Leith, barrister,

partie demanderesse en première instance,

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes K. Carr, G. Faedo et M. T. Gilliams, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Bouckaert et G. Schaiko, avocats,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan, N. Piçarra (rapporteur), N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocate générale : Mme J. Kokott,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2022,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois respectifs, la Banque européenne d’investissement (BEI) (affaire C‑212/21 P) et la Commission européenne (affaire C‑223/21 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 janvier 2021, ClientEarth/BEI (T‑9/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:42). Par cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision de la BEI, communiquée à ClientEarth par lettre du 30 octobre 2018, qui avait rejeté comme étant irrecevable la demande de réexamen interne de la délibération du conseil d’administration de la BEI, du 12 avril 2018, approuvant le financement d’un projet de centrale électrique biomasse en Galice (Espagne) (ci-après la « décision litigieuse »), introduite par ClientEarth le 9 août 2018, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), et de la décision 2008/50/CE de la Commission, du 13 décembre 2007, établissant les modalités d’application du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif à la convention d’Aarhus en ce qui concerne les demandes de réexamen interne d’actes administratifs (JO 2008, L 13, p. 24).

 Le cadre juridique

 Le droit international

2        L’article 2, paragraphe 2, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus (Danemark) le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci‑après la « convention d’Aarhus »), prévoit que, aux fins de cette convention :

« L’expression “autorité publique” désigne :

[...]

d)      les institutions de toute organisation d’intégration économique régionale visée à l’article 17 qui est partie à la présente convention.

La présente définition n’englobe pas les organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs. »

3        L’article 9 de la convention d’Aarhus, intitulé « Accès à la justice », stipule, à ses paragraphes 3 et 4, que chaque partie à cette convention doit veiller à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement, et que ces procédures doivent offrir des recours suffisants et effectifs et être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif.

 Le droit de l’Union

4        Les considérants 3, 7, 10, 11, 18 et 20 du règlement no 1367/2006 énoncent :

« (3)      [...] Les dispositions du droit [de l’Union] devraient être compatibles avec celles de la convention [d’Aarhus].

[...]

(7)      La convention d’Aarhus définit les autorités publiques de manière large, car l’idée de base est que, où que s’exerce l’autorité publique, des droits devraient être garantis aux personnes et à leurs organisations. Il convient donc que les institutions et organes [de l’Union] couverts par le présent règlement soient également définis de manière large et fonctionnelle. Aux termes de la convention d’Aarhus, les institutions et organes [de l’Union] peuvent être exclus du champ d’application de la convention lorsqu’ils agissent dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou de pouvoirs législatifs. [...]

[...]

(10)      Dans la mesure où le droit de l’environnement est en constante évolution, il conviendrait que la définition du droit de l’environnement renvoie aux objectifs de la politique [de l’Union] dans le domaine de l’environnement tels qu’ils sont définis dans le traité.

(11)      Les actes administratifs de portée individuelle devraient pouvoir faire l’objet d’un réexamen interne lorsqu’ils ont un effet juridiquement contraignant et extérieur. [...] Les actes adoptés par une institution ou un organe [de l’Union] qui agissent dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs pouvant être exclus, il devrait en être de même pour les autres procédures d’enquête dans le cadre desquelles l’institution ou l’organe [de l’Union] agit en qualité d’organisme de contrôle administratif en application du traité.

[...]

(18)      L’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus prévoit la possibilité d’engager des procédures judiciaires ou d’autres procédures de recours pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre du droit de l’environnement. Des dispositions relatives à l’accès à la justice devraient être conformes au traité. Il convient à cet égard que le présent règlement vise uniquement les actes et omissions des autorités publiques.

[...]

(20)      Les organisations non gouvernementales s’occupant de la protection de l’environnement qui satisfont à certains critères, permettant en particulier de s’assurer qu’il s’agit d’organisations indépendantes et responsables qui ont démontré que leur objectif premier est de promouvoir la protection de l’environnement, devraient être habilitées à demander, lorsqu’une institution ou un organe [de l’Union] adopte un acte au titre du droit de l’environnement ou omet d’agir à ce titre, le réexamen interne, au niveau [de l’Union], dudit acte ou de ladite omission par l’institution ou l’organe en cause. »

5        L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement définit son objet comme suit :

« Le présent règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la [convention d’Aarhus] en établissant des dispositions visant à appliquer aux institutions et organes [de l’Union] les dispositions de [cette] convention, notamment :

[...]

d)      en garantissant l’accès à la justice en matière d’environnement au niveau de la Communauté, dans les conditions prévues par le présent règlement. »

6        Aux termes de l’article 2 dudit règlement :

« 1.      Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

c)      “institutions et organes [de l’Union]”, toute institution, tout organe, toute agence ou tout office publics créés en vertu ou sur la base du traité, sauf lorsqu’elle/il agit dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs [...]

[...]

f)      “droit de l’environnement”, toute disposition législative [de l’Union] qui, indépendamment de sa base juridique, contribue à la poursuite des objectifs de la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement tels que prévus par le traité [...]

g)      “acte administratif”, toute mesure de portée individuelle au titre du droit de l’environnement arrêtée par une institution ou un organe [de l’Union] et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur ;

[...] »

7        L’article 10 du même règlement, intitulé « Demande de réexamen interne d’actes administratifs », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Toute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l’article 11 est habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution ou de l’organe [de l’Union] qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement [...] »

8        L’article 12 du règlement no 1367/2006, intitulé « Recours devant la Cour de justice », dispose, à son paragraphe 1 :

« L’organisation non gouvernementale ayant introduit la demande de réexamen interne en vertu de l’article 10 peut saisir la Cour de justice conformément aux dispositions pertinentes du traité. »

 Les antécédents du litige

9        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 37 à 62 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

10      Par une délibération du 12 avril 2018, publiée sur le site Internet de la BEI le 28 juin 2018, le conseil d’administration de la BEI a approuvé la proposition de financement du projet de construction, dans la commune de Curtis (Teixeiro), située dans la province de la Corogne, en Galice (Espagne), d’une centrale biomasse de production d’électricité d’une capacité d’environ 50 mégawatts électriques, alimentée par les déchets forestiers collectés dans un rayon de 100 km (ci-après le « projet Curtis »), sous la forme d’un prêt, qui devait être octroyé à une entité ad hoc, pour un montant maximal de 60 millions d’euros (ci-après la « délibération du 12 avril 2018 »).

11      Par lettre du 13 avril 2018, la BEI a informé le promoteur du projet Curtis de la délibération du 12 avril 2018, en mentionnant que l’approbation préliminaire du financement de ce projet ne créait aucune obligation pour la BEI d’octroyer le prêt, mais permettait à ce promoteur de prendre les mesures nécessaires en vue de la formalisation de ce prêt.

12      Le 23 juillet 2018, les services de la BEI ont signé un accord interne relatif aux modalités du contrat de financement du projet Curtis. La documentation y afférente a été signée le 25 juillet 2018. Le premier décaissement lié au financement de la BEI a été effectué le 29 août 2018.

13      Le 9 août 2018, ClientEarth, une organisation non gouvernementale qui se consacre à la protection de l’environnement, a introduit auprès de la BEI, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, une demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018.

14      Par la décision litigieuse, communiquée à ClientEarth par lettre du 30 octobre 2018 signée par la secrétaire générale ainsi que par la cheffe adjointe du service juridique de la BEI, cette demande a été rejetée comme étant irrecevable au motif que la délibération du 12 avril 2018 ne constituait pas un « acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, et partant ne pouvait pas faire l’objet d’un réexamen interne mené par la BEI.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 2019, ClientEarth a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, au soutien duquel elle a soulevé deux moyens. Le premier était tiré d’erreurs d’appréciation dans l’application de deux conditions que la délibération du 12 avril 2018 devait remplir pour pouvoir être qualifiée d’« acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, à savoir, d’une part, que l’acte soit adopté « au titre du droit de l’environnement » et, d’autre part, que cet acte produise un « effet juridiquement contraignant et extérieur ». Le second moyen était tiré d’une violation de l’obligation de motivation incombant à la BEI.

16      La BEI, soutenue par la Commission, a conclu à ce que le Tribunal rejette ce recours. À titre liminaire, la BEI a allégué que la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018 introduite par ClientEarth était incompatible avec l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières et, partant, irrecevable.

17      Le Tribunal a, tout d’abord, aux points 86 à 92 de l’arrêt attaqué, rejeté ce moyen de défense de la BEI comme étant irrecevable. Il a relevé que la décision litigieuse considérait uniquement que la délibération du 12 avril 2018 n’était pas un « acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, au motif qu’elle n’avait pas été adoptée « au titre du droit de l’environnement » et ne produisait aucun « effet juridiquement contraignant et extérieur ». Selon le Tribunal, la BEI avait évoqué, « uniquement dans le cadre de l’examen de ces deux sous-motifs, et non d’un motif autonome, [...] de manière vague et générale, le pouvoir commercial et politique discrétionnaire qui lui est reconnu par les traités et par ses statuts ainsi que son rôle institutionnel et la mission qui lui incombe en vertu desdits statuts ». Le Tribunal a ainsi jugé, au point 91 de cet arrêt, que l’appréciation de la prétendue incompatibilité de la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018 avec l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières reviendrait à substituer sa propre motivation à celle retenue par la BEI à l’appui de la décision litigieuse.

18      En outre, le Tribunal a renvoyé au point 92 de l’arrêt attaqué pour écarter comme étant irrecevable, au point 151 de cet arrêt, une argumentation prise de ce que, eu égard à l’article 271, sous c), TFUE et à l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières, la délibération du 12 avril 2018 ne pouvait pas être qualifiée d’« acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006.

19      Ensuite, le Tribunal a, aux points 102 à 104 de l’arrêt attaqué, examiné le second moyen invoqué par ClientEarth à l’appui de son recours et jugé que la décision litigieuse permettait à celle-ci de comprendre les motifs pour lesquels la BEI avait rejeté, comme étant irrecevable, sa demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018 ainsi que de contester le bien-fondé de ces motifs. Cette décision permettant également au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel, il a donc rejeté le second moyen comme étant non fondé.

20      Enfin, s’agissant du premier moyen invoqué par ClientEarth à l’appui de son recours, que le Tribunal a examiné en dernier lieu, il ressort du point 107 de l’arrêt attaqué que cette juridiction a relevé, à titre liminaire, que les deux conditions visées au point 15 du présent arrêt et figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006 devaient être interprétées, dans la mesure du possible, « à la lumière de l’article 9, paragraphes 3 et 4, de la convention d’Aarhus [...] et, partant, à l’aune de l’exigence consistant à assurer un accès effectif de [ClientEarth] à la justice ».

21      S’agissant, en premier lieu, de la seconde branche de ce moyen, tirée de l’application erronée de la condition tenant à ce que l’acte soit adopté « au titre du droit de l’environnement », le Tribunal a rappelé, au point 118 de l’arrêt attaqué, que le législateur de l’Union européenne a entendu donner à la notion de « droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, une « signification large, qui ne se limite pas à des questions liées à la protection de l’environnement naturel au sens strict ».

22      Au point 121 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la référence à « toute disposition législative [de l’Union]», figurant à cet article 2, paragraphe 1, sous f), devait être comprise comme visant « toute disposition de droit dérivé de l’Union ayant une portée générale », à la différence d’un « acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement. À cet égard, le Tribunal a relevé que, dès lors que, à la date de l’adoption dudit règlement, la distinction entre les actes législatifs, adoptés selon la procédure législative ordinaire ou spéciale, et les actes réglementaires, adoptés selon une autre procédure, n’était pas établie au niveau des traités de l’Union, la notion de « disposition législative », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), dudit règlement, ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle exclurait de prendre en compte, en tant que « droit de l’environnement », les dispositions d’un « acte réglementaire » adopté dans ce domaine.

23      Aux points 122 à 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que devaient être assimilées à des dispositions législatives de « droit de l’environnement », au sens de cet article 2, paragraphe 1, sous f), les règles de portée générale encadrant l’activité de la BEI en matière d’octroi de prêts aux fins de la réalisation des objectifs du traité FUE dans le domaine environnemental, en particulier celles découlant, d’une part, de la déclaration des principes et normes en matière sociale et environnementale, approuvée par le conseil d’administration de la BEI le 3 février 2009 (ci-après la « déclaration de 2009 »), et, d’autre part, de la stratégie en matière d’action pour le climat, visant à mobiliser des financements à l’appui de la transition vers une économie sobre en carbone et capable de résister aux changements climatiques, adoptée par la BEI le 22 septembre 2015 (ci-après la « stratégie climat »).

24      Au point 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la notion d’« acte administratif », prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, devait être interprétée en ce sens qu’elle englobe « toute mesure de portée individuelle soumise à des exigences du droit dérivé de l’Union qui, indépendamment de leur base juridique, visent directement à la réalisation des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement ».

25      Aux points 138 à 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la délibération du 12 avril 2018, en ce qu’elle considérait que le projet Curtis répond aux objectifs de l’activité de prêt de la BEI et aux critères de nature environnementale portant sur l’éligibilité des projets à un financement de cet organe, établis par la déclaration de 2009 et par la stratégie climat, était une mesure de portée individuelle adoptée « au titre du droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement. Il a donc accueilli la seconde branche du premier moyen de ce recours.

26      S’agissant, en second lieu, de la première branche du premier moyen, tirée de l’application erronée de la condition que l’acte produise un « effet juridiquement contraignant et extérieur », le Tribunal a constaté, aux points 167 à 170 de l’arrêt attaqué, que la délibération du 12 avril 2018 traduisait une prise de position définitive du conseil d’administration de la BEI à l’égard de l’éligibilité du projet Curtis à un financement, par cet organe, au regard de ses aspects environnementaux et sociaux, de telle sorte que « la décision subséquente du comité de direction d’octroyer le prêt, après avoir poursuivi l’audit du projet Curtis sur les autres aspects restant à examiner, ne pouvait, tout au plus, qu’être regardée comme une décision de simple exécution ».

27      Après avoir constaté que la demande de réexamen interne introduite par ClientEarth se rapportait, « au moins partiellement, aux effets juridiques définitifs produits à l’égard des tiers par la délibération [du 12 avril 2018] », le Tribunal a, aux points 171 et 172 de l’arrêt attaqué, accueilli la première branche du premier moyen du recours et a, ainsi, annulé la décision litigieuse.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

28      Par son pourvoi dans l’affaire C‑212/21 P, la BEI demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours en première instance, et

–        de condamner ClientEarth aux dépens de la procédure en première instance et du pourvoi.

29      Par son pourvoi dans l’affaire C‑223/21 P, la Commission demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours en première instance comme étant non fondé, et

–        de condamner ClientEarth aux dépens.

30      Dans son mémoire en réponse aux deux pourvois, ClientEarth demande à la Cour :

–        de rejeter ces pourvois et

–        de condamner la Commission ainsi que la BEI aux dépens.

31      Par décision du président de la Cour du 30 avril 2021, les affaires C‑212/21 P et C‑223/21 P ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

 Sur les pourvois

32      À l’appui de leurs pourvois respectifs, la Commission et la BEI invoquent, chacune, trois moyens par lesquels elles reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’appréciation de l’indépendance fonctionnelle invoquée par la BEI dans le domaine de ses opérations financières ainsi que dans l’interprétation et l’application de la convention d’Aarhus et de la notion d’« acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006.

 Sur le premier moyen et la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire C212/21 P ainsi que sur le troisième moyen dans l’affaire C223/21 P, tirés d’erreurs de droit dans l’appréciation de l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières

 Argumentation des parties

33      La BEI, par le premier moyen et par la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑212/21 P, et la Commission, par le troisième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, reprochent au Tribunal d’avoir, notamment aux points 89 à 92 et 151 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en ce qu’il a rejeté comme étant irrecevable le moyen de défense tiré de l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières. Selon elles, le Tribunal a jugé à tort que la décision litigieuse ne s’était pas fondée sur cette indépendance « dans le cadre d’un motif autonome » pour rejeter comme étant irrecevable la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018. En tout état de cause, selon la BEI, la question de savoir si la demande de réexamen interne de cette délibération portait atteinte à ladite indépendance, dès lors que celle-ci découle du droit primaire de l’Union, était d’ordre public et le Tribunal aurait dû l’examiner d’office.

34      À cet égard, la BEI reproche, en premier lieu, au Tribunal d’avoir, au point 90 de l’arrêt attaqué, dénaturé, de façon manifeste, le contenu de la décision litigieuse, dans la mesure où l’argument fondé sur l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières aurait été explicitement mentionné dans la motivation de cette décision. Contrairement au constat opéré au point 91 dudit arrêt, l’examen de cet argument n’aurait donc pas conduit le Tribunal à substituer sa propre motivation à celle de la BEI ni à un « déséquilibre entre les parties », au sens de l’arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo (C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 59), ClientEarth étant une organisation expérimentée et familiarisée avec le droit de l’Union.

35      En second lieu, la BEI et la Commission soutiennent qu’une demande de réexamen interne des délibérations du conseil d’administration de la BEI, introduite au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, porterait atteinte à l’indépendance dont jouirait cet organe sur les marchés financiers, laquelle serait indispensable à l’accomplissement de la mission d’intérêt général que lui confie l’article 309 TFUE. Une telle demande serait aussi susceptible de nuire à la réputation et à la crédibilité de la BEI sur ces marchés. En effet, pendant la période au cours de laquelle cette demande pourrait être introduite ainsi que pendant toute la durée de ce réexamen et des éventuelles procédures judiciaires ultérieures, la BEI se verrait dans l’impossibilité pratique de négocier et de signer la documentation contractuelle relative au financement des projets déjà approuvés par son conseil d’administration. L’incertitude en découlant serait accrue en raison du nombre imprévisible de demandes de réexamen interne pouvant être introduites.

36      Le Tribunal aurait dû examiner d’office la recevabilité de la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018, introduite au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, au regard de l’article 15, paragraphe 3, de l’article 271, sous c), et des articles 308 et 309 TFUE, ainsi que des dispositions pertinentes des statuts de la BEI. De plus, le Tribunal aurait dû se fonder d’office sur l’article 271, sous c), TFUE afin de rejeter le recours introduit par ClientEarth, cette disposition, lue en combinaison avec l’article 19 des statuts de la BEI, excluant les délibérations du conseil d’administration de cet organe de toute forme de contrôle juridictionnel sur le fond.

37      Dans ce contexte, tant la BEI que la Commission soulignent, d’une part, que le réexamen interne d’un acte administratif, au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, est indissociable du recours juridictionnel visé à l’article 12 de ce règlement et, d’autre part, que l’article 271, sous c), TFUE est l’une des « dispositions pertinentes du traité » qui, aux termes de cet article 12, doivent être prises en compte pour apprécier la capacité d’ester en justice que cette dernière disposition reconnaît aux organisations non gouvernementales de protection de l’environnement. Or, cet article 271, sous c), serait enfreint si une délibération du conseil d’administration de la BEI visée par une demande de réexamen interne faisait l’objet d’un recours introduit sur le fondement de l’article 12 du règlement no 1367/2006, au regard des préoccupations environnementales soulevées par l’organisation non gouvernementale ayant introduit cette demande.

38      ClientEarth conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.

 Appréciation de la Cour

39      Par leur argumentation, la BEI et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 89 à 92 et 151 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en ce qu’il a rejeté comme étant irrecevable l’argument tiré d’une atteinte à l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières, garantie par le droit primaire de l’Union, dès lors que cet argument n’aurait pas été invoqué en tant que motif autonome de la décision litigieuse. Or, ledit argument aurait dû, en tout état de cause, être examiné en tant que question d’ordre public susceptible d’entraîner le rejet du recours introduit par ClientEarth.

40      S’agissant, en premier lieu, de la prétendue dénaturation manifeste du contenu de la décision litigieuse, opérée aux points 89 à 91 de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières, il ressort des quatrième, cinquième et septième alinéas de cette décision que la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018 a été rejeté comme étant irrecevable au motif que cette délibération n’était pas un « acte administratif », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, à défaut d’avoir été adoptée « au titre du droit de l’environnement » et de produire un « effet juridiquement contraignant et extérieur », et non pas au motif que cette demande de réexamen interne portait atteinte à l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières.

41      En effet, la décision litigieuse indique, à son sixième alinéa, que « toute décision de la BEI de soutenir ou non un projet potentiellement éligible et, le cas échéant, la forme de ce soutien, relève du pouvoir commercial et politique discrétionnaire reconnu à la [BEI] par les traités et les statuts » et, à son huitième alinéa, que l’interprétation de la notion de « droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), dudit règlement, soutenue par ClientEarth, « ne serait plus compatible ni avec le rôle institutionnel de la BEI ni avec la mission qui lui incombe en vertu de ses [s]tatuts ».

42      Le Tribunal a ainsi pu juger sans commettre d’erreur de droit, aux points 89 et 90 de l’arrêt attaqué, que, dans la décision litigieuse, la BEI n’a évoqué que « de manière vague et générale, le pouvoir commercial et politique discrétionnaire qui lui est reconnu par les traités et par ses statuts ainsi que son rôle institutionnel et la mission qui lui incombe en vertu desdits statuts », non pas en tant que motif autonome d’irrecevabilité de la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018, mais uniquement dans le cadre de l’examen des deux sous-motifs évoqués au point 40 du présent arrêt. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir dénaturé de façon manifeste le contenu de ladite décision.

43      À cet égard, il convient d’ajouter que le juge de l’Union n’est pas tenu de prendre en compte les explications complémentaires fournies seulement en cours d’instance par l’auteur de l’acte en cause pour apprécier le respect de l’obligation de motivation, sous peine de porter atteinte à la répartition des compétences entre l’administration et le juge de l’Union et d’affaiblir le contrôle de légalité des actes de l’administration (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 58).

44      S’agissant, en second lieu, de l’obligation pour le Tribunal d’examiner d’office la prétendue atteinte, par la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018, à l’indépendance de la BEI dans le domaine de ses opérations financières, que cet organe fonde notamment sur l’article 15, paragraphe 3, l’article 271, sous c), les articles 308 et 309 TFUE ainsi que sur certaines dispositions des statuts de la BEI, il y a lieu de relever d’emblée qu’une prétendue violation du droit primaire de l’Union ne suffit pas pour faire naître une obligation d’examen d’office par le juge de l’Union.

45      En effet, si certains moyens peuvent, voire doivent, être relevés d’office, tels un défaut ou une insuffisance de motivation de la décision en cause, un moyen portant sur la légalité au fond de cette décision, qui relève de la violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, au sens de l’article 263 TFUE, ne peut, en revanche, être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par le requérant (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Italie, C‑467/15 P, EU:C:2017:799, points 14 et 15 ainsi que jurisprudence citée).

46      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal s’est abstenu d’examiner au fond l’argument de la BEI tiré d’une atteinte à son indépendance dans le domaine de ses opérations financières, qui découlerait de l’article 15, paragraphe 3, des articles 308 et 309 TFUE ainsi que de certaines dispositions des statuts de la BEI.

47      Néanmoins, l’invocation par la BEI de la préservation de son indépendance dans le domaine de ses opérations financières, en lien avec l’article 271, sous c), TFUE, ainsi que cela transparaît au point 110 du mémoire en défense qu’elle a déposé devant le Tribunal, pouvait être appréhendée comme une mise en cause de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour contrôler, fût-ce indirectement, une délibération du conseil d’administration de la BEI, à l’occasion d’un recours en annulation dirigé contre le refus de la BEI de procéder au réexamen interne de cette délibération. En outre, la BEI, soutenue sur ce point par la Commission, a allégué, notamment lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour, qu’il existe un lien indissociable entre le droit d’introduire une demande de réexamen interne d’une délibération du conseil d’administration de la BEI et le droit de former un recours en annulation contre la décision prise par la BEI à l’issue de ce réexamen. Partant, la préservation de l’indépendance de la BEI imposerait, selon elles, de priver les organisations non gouvernementales de protection de l’environnement, telles que ClientEarth, aussi bien du droit de solliciter le réexamen interne d’une telle délibération que du droit de former un recours en annulation contre une éventuelle décision de rejet.

48      Dans ce contexte, il appartenait au Tribunal de vérifier, d’office, la compétence du juge de l’Union pour se prononcer sur un recours en annulation dirigé contre une décision statuant sur une demande de réexamen interne d’une délibération du conseil d’administration de la BEI. En effet, la question de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour connaître d’un litige est d’ordre public, une telle question pouvant à tout moment de la procédure être examinée, même d’office, par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, point 25 et jurisprudence citée).

49      Conformément à l’article 271, sous c), TFUE, les recours contre les délibérations du conseil d’administration de la BEI ne peuvent être formés, dans les conditions fixées à l’article 263 TFUE, « que par les États membres ou la Commission, et seulement pour violation des formes prévues à l’article 19, paragraphes 2 et 5 à 7 inclus, des statuts de la [BEI] ».

50      Il ressort du libellé même de l’article 271, sous c), TFUE que cette disposition soumet la possibilité d’introduire un recours en annulation contre des délibérations du conseil d’administration de la BEI à des conditions plus strictes que celles qui sont imposées par l’article 263 TFUE. L’article 271, sous c), TFUE comporte, ainsi, une limitation à la compétence générale que ce traité confère à la Cour de justice de l’Union européenne pour contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union et doit, partant, être interprété de manière restrictive (voir, par analogie, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 31). Comme l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 63 et 64 de ses conclusions, cette limitation concerne, d’une part, le cercle des requérants potentiels et, d’autre part, les pouvoirs de contrôle au fond du juge de l’Union.

51      Il en découle que l’article 271, sous c), TFUE ne régit pas directement l’hypothèse d’un recours, formé au titre de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, contre une décision de la BEI statuant sur une demande de réexamen interne d’une délibération de son conseil d’administration. Il n’en demeure pas moins que l’article 271, sous c), TFUE constitue une disposition pertinente du traité, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, qui doit être prise en compte pour déterminer la possibilité de saisir le juge de l’Union.

52      Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 68 de ses conclusions, l’article 271, sous c), TFUE serait privé d’effet utile si, dans le cadre d’un recours contre une décision de la BEI statuant sur une demande de réexamen interne d’une délibération de son conseil d’administration, le juge de l’Union procédait, de manière indirecte, au contrôle du bien-fondé de cette délibération.

53      En revanche, compte tenu du point 50 du présent arrêt et contrairement aux allégations de la BEI et de la Commission, l’article 271, sous c), TFUE ne s’oppose pas, par principe, à ce qu’une organisation non gouvernementale demande, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, le réexamen interne d’une délibération du conseil d’administration de la BEI ni à ce que le juge de l’Union soit saisi, sur le fondement de l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement, d’un recours en annulation contre une décision déclarant irrecevable une demande de réexamen interne d’une délibération du conseil d’administration de la BEI.

54      En effet, dans ce dernier cas de figure, le recours vise à faire examiner, par le juge de l’Union, non pas la légalité ou le bien-fondé d’une délibération du conseil d’administration de la BEI, mais uniquement si la BEI était fondée à rejeter comme étant irrecevable une demande de réexamen interne d’une telle délibération. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale, au point 73 de ses conclusions, s’il était fait droit à un tel recours, cela aurait pour seule conséquence de conduire la BEI à procéder elle-même à un réexamen interne de ladite délibération.

55      En l’espèce, le recours introduit par ClientEarth devant le Tribunal avait pour objet l’annulation de la décision litigieuse, fondée sur les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous g), et de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, communiquée à ClientEarth par lettre du 30 octobre 2018, signée par la secrétaire générale et la cheffe adjointe du service juridique de la BEI, par laquelle la demande de réexamen interne de la délibération du 12 avril 2018 a été rejetée comme étant irrecevable.

56      Dès lors que ce recours, introduit sur le fondement de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, avait pour objet l’annulation de la décision litigieuse, sur le fondement d’une prétendue qualification juridique erronée, par la BEI, de la délibération du 12 avril 2018 au regard de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement, dans le cadre de son appréciation de la recevabilité de la demande de réexamen interne de cette délibération, et non pas le bien-fondé de ladite délibération, l’article 271, sous c), TFUE ne saurait faire obstacle à l’introduction d’un tel recours.

57      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal s’est considéré compétent pour connaître du recours introduit par ClientEarth contre la décision litigieuse. Dans ces conditions, la circonstance qu’il n’a pas examiné explicitement les arguments tirés de l’article 271, sous c), TFUE n’est pas de nature à justifier l’annulation de l’arrêt attaqué.

58      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter comme étant non fondés le premier moyen et la deuxième branche du deuxième moyen de la BEI dans l’affaire C‑212/21 P ainsi que le troisième moyen de la Commission dans l’affaire C‑223/21 P.

 Sur la troisième branche du troisième moyen et sur la première branche du deuxième moyen dans l’affaire C212/21 P ainsi que sur le premier moyen dans l’affaire C223/21 P, tirés d’erreurs de droit dans l’interprétation et l’application de la convention d’Aarhus

 Argumentation des parties

59      La BEI, par la troisième branche du troisième moyen dans l’affaire C‑212/21 P, et la Commission, par la première branche du premier moyen dans l’affaire C‑223/21 P, reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 107, 125 et 126 de l’arrêt attaqué, considéré à tort que les conditions énoncées à l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006 doivent être interprétées à la lumière de l’article 9 de la convention d’Aarhus.

60      Premièrement, la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts du 13 janvier 2015, Conseil et Commission/Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe (C‑404/12 P et C‑405/12 P, EU:C:2015:5), et du 3 septembre 2020, Mellifera/Commission (C‑784/18 P, non publié, EU:C:2020:630), exclurait l’obligation d’interpréter le règlement no 1367/2006 conformément aux dispositions de cette convention.

61      Deuxièmement, il ressortirait du point 40 de l’arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission (C‑612/13 P, EU:C:2015:486), que, dès lors que la convention d’Aarhus aurait été conçue en prenant en considération les ordres juridiques nationaux, et non pas les spécificités juridiques des organisations d’intégration économique régionale, telles que l’Union, aucune analogie ne pourrait être établie entre la mise en œuvre de cette convention par les États membres et la mise en œuvre de celle-ci au niveau de l’Union. Le Tribunal n’aurait donc pu se fonder, au point 107 de l’arrêt attaqué, sur des « motifs similaires », au demeurant non explicités, pour interpréter l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006 à la lumière de l’article 9, paragraphes 3 et 4, de cette convention.

62      Troisièmement, le Tribunal se serait fondé à tort, aux points 125 et 126 de l’arrêt attaqué, sur le principe d’interprétation conforme à la convention d’Aarhus pour apprécier si la délibération du 12 avril 2018 constituait une « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, alors que cette notion devrait être interprétée uniquement sur la base des critères découlant des articles 263 et 288 TFUE. À cet égard, il ressortirait du point 25 de l’arrêt du 3 décembre 2020, Région de BruxellesCapitale/Commission (C‑352/19 P, EU:C:2020:978), que la convention d’Aarhus ne peut pas dicter l’interprétation du droit primaire de l’Union.

63      Par la première branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑212/21 P et par la seconde branche du premier moyen dans l’affaire C‑223/21 P, la BEI et la Commission, respectivement, reprochent au Tribunal d’avoir, au surplus, commis une erreur de droit, au point 107 de l’arrêt attaqué, dans l’interprétation des articles 2 et 9 de la convention d’Aarhus. En effet, en adoptant la délibération du 12 avril 2018, le conseil d’administration de la BEI n’aurait pas agi en tant qu’« autorité publique », au sens de l’article 2, paragraphe 2, de cette convention, de telle sorte que l’article 9, paragraphe 3, de celle-ci ne serait pas applicable. Au contraire, l’adoption de cette délibération s’inscrirait dans l’activité financière de la BEI en tant que banque.

64      ClientEarth conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.

 Appréciation de la Cour

65      Par leur argumentation, la BEI et la Commission soutiennent que le Tribunal a commis, aux points 107, 125 et 126 de l’arrêt attaqué, plusieurs erreurs de droit dans l’interprétation et l’application de la convention d’Aarhus.

66      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que les textes du droit de l’Union doivent être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière du droit international, en particulier lorsque ces textes visent à mettre en œuvre un accord international conclu par l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C‑284/95, EU:C:1998:352, point 22, ainsi que du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 38).

67      Tel est le cas du règlement no 1367/2006 qui a pour objet de mettre en œuvre, en ce qui concerne les institutions de l’Union, les stipulations de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C‑240/09, EU:C:2011:125, point 41).

68      Si cet article 9, paragraphe 3, ne peut pas être invoqué aux fins d’apprécier la légalité de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 61, ainsi que du 13 janvier 2015, Conseil et Commission/Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe, C‑404/12 P et C‑405/12 P, EU:C:2015:5, point 53), un tel constat ne fait pas obstacle à ce que les dispositions de ce règlement soient, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 66 du présent arrêt, interprétées, dans la mesure du possible, à la lumière de la convention d’Aarhus (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Mellifera/Commission, C‑784/18 P, non publié, EU:C:2020:630, point 77).

69      En effet, une telle interprétation constitue un moyen essentiel pour garantir, conformément à la volonté du législateur de l’Union exprimée au considérant 3 dudit règlement, que les dispositions du droit de l’Union demeurent compatibles avec celles de cette convention.

70      S’agissant, en second lieu, de l’argument de la BEI et de la Commission selon lequel, en adoptant la délibération du 12 avril 2018, le conseil d’administration de la BEI n’a pas agi en tant qu’« autorité publique », au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de cette convention, les institutions de toute organisation d’intégration économique régionale qui, à l’instar de l’Union, est partie à cette convention doivent être considérées comme des autorités publiques aux fins de ladite convention, sauf lorsqu’elles agissent dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs.

71      D’autre part, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1367/2006, la notion d’« institutions et organes [de l’Union] », auxquels ce règlement s’applique conformément à son article 1er, paragraphe 1, couvre « toute institution, tout organe, toute agence ou tout office publics créés en vertu ou sur la base du traité, sauf lorsqu’elle/il agit dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs ». À cet égard, le considérant 7 dudit règlement précise que cette notion est définie « de manière large et fonctionnelle », en raison de la « manière large » dont la convention d’Aarhus définit les autorités publiques auxquelles elle s’applique, afin de garantir des droits aux personnes et à leurs organisations dès lors que l’autorité publique est exercée. En outre, le considérant 11 du même règlement énonce que devraient être également exclues « les autres procédures d’enquête dans le cadre desquelles l’institution ou l’organe [de l’Union] agit en qualité d’organisme de contrôle administratif en application du traité ».

72      Il s’ensuit que l’action des « institutions et organes [de l’Union] » ne peut être exclue du champ d’application du règlement no 1367/2006 et de la convention d’Aarhus que lorsque ces institutions et organes exercent des pouvoirs judiciaires ou législatifs, ou qu’ils agissent en qualité d’organisme de contrôle administratif en application du traité.

73      Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la délibération du 12 avril 2018, portant approbation de la proposition de financement du projet Curtis, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 19, paragraphe 3, des statuts de la BEI, ne résulte pas de l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs par le conseil d’administration de la BEI, laquelle n’a pas non plus agi en tant qu’« organisme de contrôle administratif en application du traité », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1367/2006, lu à la lumière de son considérant 11.

74      Ainsi que Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé aux points 92 à 94 de ses conclusions, la BEI exerce des compétences d’une double nature dans le cadre d’un financement organisé contractuellement. En effet, à cette occasion, elle agit certes en tant que partenaire privé du bénéficiaire, mais remplit également des missions d’intérêt général. Partant, l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de ce règlement en ce sens que, lorsque la BEI exerce son activité de financement, elle doit être qualifiée d’« organe [de l’Union] », assure une mise en œuvre dudit règlement compatible avec l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la convention d’Aarhus.

75      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter comme étant non fondés la première branche du deuxième moyen et la troisième branche du troisième moyen dans l’affaire C‑212/21 P ainsi que le premier moyen dans l’affaire C‑223/21 P.

 Sur les deuxième et troisième branches du deuxième moyen et les première et deuxième branches du troisième moyen dans l’affaire C212/21 P ainsi que sur le deuxième moyen dans l’affaire C223/21 P, tirés d’une violation de l’article 2, paragraphe 1, sous f) et g), du règlement no 1367/2006

 Sur la notion de « droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006

–       Argumentation des parties

76      La BEI, par les première et deuxième branches du troisième moyen dans l’affaire C‑212/21 P, et la Commission, par la première branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 120 à 124 et 138 à 140 de l’arrêt attaqué, assimilé à tort les critères de nature environnementale portant sur l’éligibilité des projets à un financement de la BEI, qui découlent de la déclaration de 2009 et de la stratégie climat, à des dispositions législatives du droit de l’environnement de l’Union, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, et, partant, d’avoir considéré que la délibération du 12 avril 2018 a été adoptée « au titre du droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement.

77      À cet égard, la BEI et la Commission font valoir, d’abord, que la notion de « disposition législative », figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous f), dudit règlement, est une notion formelle, définie par la procédure d’adoption de l’acte concerné. Ainsi, conformément à l’article 289 TFUE, seule pourrait être qualifiée de « disposition législative » une disposition figurant dans un acte de l’Union adopté sur le fondement d’une disposition des traités prévoyant l’adoption de cet acte soit par la procédure législative ordinaire, soit par la procédure législative spéciale. Le Tribunal aurait donc, aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, fait abstraction des exigences découlant de l’article 289 TFUE et procédé à une interprétation qui va au-delà des notions de « droit » et de « disposition législative », visées à l’article 2, paragraphe 1, sous f) et g), du règlement no 1367/2006. En particulier, le point 121 de l’arrêt attaqué serait entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal y aurait jugé que la distinction, introduite par le traité de Lisbonne, entre les actes législatifs et les actes réglementaires est dénuée de pertinence pour l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de ce règlement.

78      Ensuite, la BEI et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir considéré que la déclaration de 2009 et la stratégie climat ont un caractère contraignant. Ces deux instruments se borneraient à guider l’activité de la BEI dans les différentes étapes de l’évaluation des projets, sans pour autant limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont dispose cet organe. La circonstance qu’un projet réponde aux critères d’éligibilité pour un financement découlant desdits instruments n’entraînerait aucun droit à obtenir un financement de la BEI, aucune obligation pour son conseil d’administration d’approuver ce financement, ni aucune obligation pour la BEI de signer un contrat de prêt, y compris après l’approbation du conseil d’administration.

79      Même à supposer que la déclaration de 2009 et la stratégie climat limitent l’exercice du pouvoir d’appréciation de la BEI, une telle limitation ne saurait être considérée comme étant imposée par une règle de droit. En outre, une directive interne ayant pour seul effet de contraindre l’institution qui s’en écarte à motiver sa décision ne constituerait pas pour autant une source de droit. La notion de « disposition législative », visée à l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, couvrirait donc les seules règles ayant un effet juridique contraignant immédiat sur le citoyen. Tel ne serait cependant pas le cas des lignes directrices en vertu desquelles une institution limite l’exercice de son pouvoir d’appréciation pour l’avenir.

80      Enfin, la BEI et la Commission contestent l’analogie établie, au point 123 de l’arrêt attaqué, entre les politiques de prêt de la BEI en matière d’environnement et les règles internes de celle-ci en matière de personnel. Elles font valoir que, dans ce dernier domaine, la BEI agit en tant qu’autorité administrative, ses décisions étant susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, tandis que l’activité de prêt de la BEI en matière d’environnement relèverait de l’exercice de son rôle financier et ne se traduirait pas par des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel sur le fond.

81      ClientEarth conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.

–       Appréciation de la Cour

82      Par leur argumentation, la BEI et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 120 à 124 et 138 à 140 de l’arrêt attaqué, jugé à tort que tant la déclaration de 2009 que la stratégie climat relèvent de la notion de « droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, et, partant, que la délibération du 12 avril 2018 a été adoptée « au titre du droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement.

83      La notion de « droit de l’environnement » est définie à l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006 comme couvrant « toute disposition législative [de l’Union] qui, indépendamment de sa base juridique, contribue à la poursuite des objectifs de la politique de [l’Union] dans le domaine de l’environnement », visés à l’article 191, paragraphe 1, TFUE. Ainsi qu’il ressort du considérant 10 de ce règlement, le renvoi à ces objectifs se justifie dans la mesure où « le droit de l’environnement est en constante évolution ».

84      Il découle du libellé même de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, lu en combinaison avec le considérant 10 de ce règlement, que le législateur de l’Union a entendu donner une portée large à la notion de « droit de l’environnement ».

85      Dans ce contexte, la circonstance que, dans certaines versions linguistiques, telles les versions en langues espagnole, anglaise, française ou portugaise, l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006 se réfère à la « législation » ou à « toute disposition législative » ne saurait impliquer, contrairement à la position défendue par la BEI et par la Commission, que la notion de « droit de l’environnement » soit, aux fins de l’application de ce règlement, limitée à des actes législatifs, au sens de l’article 289, paragraphe 3, TFUE. En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 118 de ses conclusions, dans d’autres versions linguistiques, et notamment celle en langue allemande, l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006 emploie la notion plus large de « règles de droit », qui est susceptible d’inclure tout acte de portée générale juridiquement contraignant.

86      Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence de la Cour, cette disposition doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle relève (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Tiketa, C‑536/20, EU:C:2022:112, point 27 et jurisprudence citée).

87      Or, compte tenu du point 84 du présent arrêt ainsi que des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, une interprétation large de la notion de « droit de l’environnement » s’impose, en ce sens que celle-ci couvre tout acte de l’Union qui, indépendamment de sa base juridique, participe à la réalisation des objectifs de cette politique, tels que définis à l’article 191, paragraphe 1, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur), C‑873/19, EU:C:2022:857, point 53]. La circonstance que, selon la lettre même de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, la base juridique sur laquelle un acte est adopté n’est pas un critère pertinent aux fins de sa qualification de « droit de l’environnement » permet d’en déduire que la procédure d’adoption d’un tel acte, laquelle détermine, conformément à l’article 289 TFUE, sa nature législative ou non, n’est pas non plus un critère pertinent aux fins de cette qualification.

88      En l’espèce, le conseil d’administration de la BEI, lorsqu’il décide de l’octroi de financements sur le fondement de l’article 9, paragraphe 1, et de l’article 19, paragraphe 3, des statuts de la BEI, ne saurait se départir, sans justification, des critères de nature environnementale portant sur l’éligibilité des projets à un financement qui découlent de la déclaration de 2009 et de la stratégie climat, que la BEI s’est elle-même imposé de suivre dans son activité de prêt, sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 et 211).

89      C’est, donc, sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, aux points 122 à 124 de l’arrêt attaqué, considéré que tant la déclaration de 2009 que la stratégie climat relèvent de la notion de « droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1367/2006, dès lors qu’elles définissent les critères de nature environnementale portant sur l’éligibilité des projets à un financement de la BEI et, donc, encadrent l’activité de celle-ci en matière d’octroi de prêts aux fins de la réalisation des objectifs du traité FUE en matière environnementale.

90      C’est également sans commettre d’erreur de droit que, aux points 138 à 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, en ce qu’elle constatait que le projet Curtis satisfaisait aux critères de nature environnementale portant sur l’éligibilité des projets à un financement de la BEI découlant de ces deux actes, la délibération du 12 avril 2018 avait été prise « au titre du droit de l’environnement », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006.

91      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter les première et deuxième branches du troisième moyen dans l’affaire C‑212/21 P ainsi que la première branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, comme étant non fondées.

 Sur la notion de « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006

–       Argumentation des parties

92      Par la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 126 à 142 de l’arrêt attaqué, méconnu la jurisprudence selon laquelle la notion de « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, doit être interprétée conformément aux critères découlant des articles 263 et 288 TFUE. En effet, le Tribunal aurait jugé, en violation des principes qui se dégagent des points 65 à 67 et 84 à 86 de l’arrêt du 3 septembre 2020, Mellifera/Commission (C‑784/18 P, non publié, EU:C:2020:630), que, pour qualifier la délibération du 12 avril 2018 de « mesure de portée individuelle », il suffisait que, par cette délibération, le conseil d’administration de la BEI se soit prononcé de façon définitive sur la réalisation de certains objectifs environnementaux. Cette approche impliquerait ainsi que des actes non contraignants, tels que des recommandations et des avis, puissent faire l’objet d’une demande de réexamen interne, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement, puis d’un recours au titre de l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement.

93      Au soutien de la Commission, la BEI fait valoir que la délibération du 12 avril 2018 constitue un acte interne, dont le seul effet est de permettre aux services de cet organe de poursuivre les négociations contractuelles pour le financement approuvé, de telle sorte qu’elle ne concerne pas individuellement des sujets externes.

94      ClientEarth fait valoir que l’argument selon lequel l’acte faisant l’objet d’une demande de réexamen interne doit être considéré comme étant une « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, n’a été soulevé ni par la BEI ni par la Commission devant le Tribunal, de telle sorte que la Commission n’est pas recevable à invoquer cet argument au stade du pourvoi, eu égard à son caractère nouveau. En tout état de cause, la délibération du 12 avril 2018 serait une « mesure de portée individuelle », dès lors qu’elle s’applique à une demande spécifique concernant le financement du projet Curtis.

–       Appréciation de la Cour

95      Par son argumentation, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 126 à 142 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la notion de « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, en ayant attribué une telle portée à la délibération du 12 avril 2018.

96      S’agissant, en premier lieu, de la question, soulevée par ClientEarth, de savoir si la Commission est recevable à contester, au stade du pourvoi, l’arrêt attaqué en ce qu’il aurait qualifié à tort la délibération du 12 avril 2018 de « mesure de portée individuelle », il y a lieu de rappeler qu’un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et des arguments nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer le bien-fondé en droit (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17, et du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

97      La Commission est donc recevable à contester, au stade du pourvoi, la qualification de « mesure de portée individuelle », opérée par le Tribunal aux points 140 et 142 de l’arrêt attaqué, de la délibération du 12 avril 2018.

98      En deuxième lieu, s’agissant du bien-fondé de cette qualification, il convient de rappeler que, afin de déterminer la portée générale ou individuelle d’un acte, le juge de l’Union doit tenir compte, en premier lieu, de son objet et de son contenu. Un acte a une portée générale, au sens de l’article 288 TFUE, s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. S’agissant de ce second critère, la portée générale d’un acte n’est pas mise en cause par la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte, en relation avec la finalité de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Mellifera/Commission, C‑784/18 P, non publié, EU:C:2020:630, points 65 à 67 et jurisprudence citée).

99      En l’espèce, la délibération du 12 avril 2018, en ce qu’elle porte approbation de la proposition de financement du projet Curtis au regard de ses aspects environnementaux et sociaux, vise une situation spécifique, à savoir le financement de ce projet, et produit des effets juridiques à l’égard du promoteur dudit projet, en lui permettant de prendre les mesures nécessaires en vue de la formalisation du prêt.

100    C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 140 et 142 de l’arrêt attaqué, que cette délibération constitue une « mesure de portée individuelle », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006.

101    Partant, la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la notion d’« effet juridiquement contraignant et extérieur », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006

–       Argumentation des parties

102    La BEI, par les deuxième et troisième branches du deuxième moyen dans l’affaire C‑212/21 P, et la Commission, par la troisième branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, reprochent au Tribunal d’avoir jugé à tort que la délibération du 12 avril 2018 produit des effets juridiquement contraignants et extérieurs, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, en ce qu’elle traduit une position définitive du conseil d’administration de la BEI concernant l’éligibilité du projet Curtis à un financement de la BEI, au regard de ses aspects environnementaux et sociaux. En effet, une telle délibération n’octroierait pas un droit individuel à obtenir un financement de la part de la BEI, dès lors que la relation entre cet organe et l’emprunteur potentiel ne deviendrait juridiquement contraignante qu’à la signature du contrat pertinent. Aucun effet juridiquement contraignant ne saurait donc être rattaché à cette délibération.

103    L’arrêt attaqué serait, de plus, entaché d’une contradiction de motifs, dans la mesure où le Tribunal aurait constaté, à la fois, que la délibération du 12 avril 2018 produit des effets juridiques à l’égard du promoteur du projet Curtis et, aux points 167 à 170 de cet arrêt, que cette délibération ne valait pas « engagement juridique quant à l’octroi du prêt » et que la procédure s’est poursuivie à la suite de son adoption.

104    À cet égard, la BEI fait valoir qu’une délibération de son conseil d’administration, adoptée sur le fondement de l’article 19, paragraphe 3, des statuts de la BEI, constitue une décision unique de financement d’un projet, sans qu’il soit possible d’y dissocier un « volet financier », qui ne serait pas définitif et ne produirait pas d’effet contraignant et extérieur, et un « volet environnemental », qui serait définitif et juridiquement contraignant à l’égard de tiers.

105    En tout état de cause, l’existence d’effets juridiquement contraignants et extérieurs, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, aurait dû être établie à l’égard de la situation juridique de ClientEarth. Le Tribunal, après avoir examiné, au point 170 de l’arrêt attaqué, la situation juridique du promoteur du projet Curtis, aurait confirmé qu’aucun effet de ce type ne s’était produit à l’égard de ClientEarth.

106    ClientEarth conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.

–       Appréciation de la Cour

107    Par leur argumentation, la BEI et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 167 à 171 de l’arrêt attaqué, que la délibération du 12 avril 2018 est un acte ayant un « effet juridiquement contraignant et extérieur », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006.

108    À cet égard, il ressort du point 149 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a, dans un « souci de cohérence générale », interprété cette notion conformément à celle d’« actes [...] destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers », visée à l’article 263, premier alinéa, TFUE, laquelle exclut, en principe, les actes qui ne produisent des effets que dans la sphère interne de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union qui en est l’auteur, sans créer aucun droit ou obligation à l’égard des tiers (voir, en ce sens, arrêts du 25 février 1988, Les Verts/Parlement, 190/84, EU:C:1988:94, point 8, et du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

109    Or, aux points 167 à 171 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, en application de cette jurisprudence, que la délibération du 12 avril 2018 fixe de manière définitive la position du conseil d’administration de la BEI concernant l’éligibilité du projet Curtis à un financement de cet organe au regard des aspects environnementaux et sociaux de ce projet, et, partant, que cette délibération produit des effets juridiques à l’égard des tiers, en particulier du promoteur de ce projet, dans la mesure où elle constatait l’éligibilité dudit projet à un financement de la BEI au regard de ses aspects environnementaux et sociaux, permettant ainsi à ce promoteur de prendre les mesures nécessaires en vue de la formalisation du prêt.

110    Aucune contradiction ne saurait être décelée entre, d’une part, le constat que les aspects environnementaux du projet Curtis avaient fait l’objet d’une appréciation définitive et, d’autre part, les circonstances, également relevées auxdits points de l’arrêt attaqué, que la délibération du 12 avril 2018 ne valait pas « engagement juridique quant à l’octroi du prêt » et que la procédure d’octroi de ce financement s’est poursuivie, dès lors que restaient à auditer d’autres aspects techniques, économiques et financiers dudit projet.

111    En outre, l’argument avancé par la BEI selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 167 à 170 de l’arrêt attaqué, que la délibération du 12 avril 2018 contenait un « volet financier » dissociable d’un « volet environnemental » et que seul ce dernier était définitif et juridiquement contraignant à l’égard des tiers repose sur une lecture erronée de ces points. En effet, le Tribunal s’est limité à y relever que cette délibération constate de manière définitive l’éligibilité du projet Curtis à un financement de la BEI, au regard des aspects environnementaux et sociaux de ce projet, mais n’a aucunement jugé que ladite délibération repose sur une séparation formelle entre ces derniers aspects et les aspects financiers ou autres concernant ledit projet.

112    Par ailleurs, l’argument selon lequel le Tribunal aurait dû, au point 170 de l’arrêt attaqué, apprécier si la délibération du 12 avril 2018 a un « effet juridiquement contraignant et extérieur », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, à l’égard de ClientEarth ne trouve aucun fondement dans ce règlement. En effet, ni cette disposition ni l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement n’exigent que l’acte administratif faisant l’objet d’une demande de réexamen interne ait un effet juridiquement contraignant et extérieur à l’égard de l’organisation non gouvernementale qui introduit cette demande.

113    Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter les deuxième et troisième branches du deuxième moyen dans l’affaire C‑212/21 P ainsi que la troisième branche du deuxième moyen dans l’affaire C‑223/21 P, comme étant non fondées.

114    Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter les pourvois dans leur intégralité.

 Sur les dépens

115    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

116    ClientEarth ayant conclu à la condamnation de la BEI et de la Commission aux dépens et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par ClientEarth dans chacun des deux pourvois.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

1)      Les pourvois sont rejetés.

2)      La Banque européenne d’investissement (BEI) et la Commission européenne sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par ClientEarth.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.