Language of document : ECLI:EU:T:2003:337

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
11 décembre 2003 (1)

«Concurrence – Règlement (CEE) n° 4056/86 – Vérifications de locaux d'une société distincte de celle destinataire de la décision de vérification – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) – Réglementation étatique sur le transport maritime et pratique des autorités publiques – Applicabilité de l'article 85 du traité – Imputabilité du comportement infractionnel – Amende – Application des lignes directrices pour le calcul des amendes»

Dans l'affaire T-66/99,

Minoan Lines SA, établie à Héraklion (Grèce), représentée par Me I. Soufleros, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal et D. Triantafyllou, en qualité d'agents, assistés de Me A. Oikonomou, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à l'annulation de la décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 1er juillet 2002,

rend le présent



Arrêt




Faits à l'origine du recours

1
La requérante, Minoan Lines SA, est une société grecque d’exploitation de transbordeurs qui assure des services de transport de passagers et de véhicules sur la ligne maritime entre Patras (Grèce) et Ancône (Italie).

2
À la suite d’une plainte adressée par un usager en 1992, selon laquelle les tarifs des transbordeurs étaient très semblables sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, la Commission, agissant en vertu de l’article 16 du règlement (CEE) n° 4056/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), a adressé des demandes de renseignements à certains exploitants de transbordeurs. Puis, conformément à l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 4056/86, elle a procédé à des vérifications dans les bureaux de six exploitants de transbordeurs, à raison de cinq en Grèce et de un en Italie.

3
En particulier, le 4 juillet 1994, la Commission a adopté la décision C (94) 1790/5 imposant à la société Minoan Lines de se soumettre à une vérification (ci-après la «décision de vérification»). Les 5 et 6 juillet 1994, les agents de la Commission ont procédé à l’inspection des locaux situés avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, lesquels se sont révélés par la suite appartenir à la société European Trust Agency (ci-après l’«ETA»), une entité juridique distincte de celle mentionnée dans la décision de vérification. Au cours de cette vérification, la Commission a obtenu copie d’un grand nombre de documents considérés par la suite comme pièces à l’égard des diverses entreprises visées par l’enquête.

4
Postérieurement, d’autres demandes de renseignements au titre de l’article 16 du règlement n° 4056/86 ont été adressées à la requérante ainsi qu’à d’autres compagnies maritimes afin que celles-ci fournissent un complément d’informations sur les documents découverts lors des vérifications.

5
Par décision du 21 février 1997, la Commission a ouvert une procédure formelle en envoyant une communication des griefs à neuf sociétés, dont la requérante.

6
Le 9 décembre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/271/CE relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24, ci-après la «Décision»).

7
La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

1. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Marlines et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les prix à appliquer aux services de transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines et Strintzis Lines, du 18 juillet 1987 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 18 juillet 1987 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas de Marlines SA, du 18 juillet 1987 au 8 décembre 1989;

d)
dans le cas d’Anek Lines, du 6 juillet 1989 à juillet 1994.

2. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Adriatica di Navigazione SpA, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes de Patras à Bari et Brindisi.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 8 décembre 1989 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas d’Anek Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

d)
dans le cas d’Adriatica di Navigazione SpA, du 30 octobre 1990 à juillet 1994.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour l’infraction constatée à l’article 1er:

Minoan Lines: une amende de 3,26 millions d’écus,

Strintzis Lines: une amende de 1,5 million d’écus,

Anek Lines: une amende de 1,11 million d’écus,

Marlines SA: une amende de 0,26 million d’écus,

Karageorgis Lines: une amende de 1 million d’écus,

Ventouris Group Enterprises SA: une amende de 1,01 million d’écus,

Adriatica di Navigazione SpA: une amende de 0,98 million d’écus.

[...]»

8
La Décision est adressée à sept entreprises: Minoan Lines, établie à Héraklion, Crète (Grèce) (ci-après la «requérante» ou «Minoan»), Strintzis Lines, établie au Pirée (Grèce) (ci-après «Strintzis»), Anek Lines, établie à Hania, Crète (ci-après «Anek»), Marlines SA, établie au Pirée (ci-après «Marlines»), Karageorgis Lines, établie au Pirée (ci-après «Karageorgis»), Ventouris Group Enterprises SA, établie au Pirée (ci-après «Ventouris Ferries»), et Adriatica di Navigazione SpA, établie à Venise (Italie) (ci-après «Adriatica»).


Procédure et conclusions des parties

9
Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 4 mars 1999, la requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre de la Décision.

10
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a demandé à la Commission de répondre par écrit à une question et de produire certains documents. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

11
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience qui s’est déroulée le 1er juillet 2002.

12
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

déclarer le recours recevable;

annuler la Décision en tant qu’elle concerne la requérante;

à titre subsidiaire, annuler l’amende infligée à la requérante ou, du moins, en diminuer le montant jusqu’à un niveau approprié; condamner la Commission aux dépens.

13
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours dans son intégralité;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

14
La requérante invoque trois moyens au soutien de ses conclusions en annulation de la Décision. Le premier moyen est pris de l’illégalité du contrôle effectué dans les bureaux de l’ETA. Le deuxième moyen est pris d’une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE), en ce que la Décision impute à la requérante des initiatives et actions de l’ETA. Le troisième moyen est pris d’une qualification erronée des faits de l’espèce d’accords interdits par l’article 85, paragraphe 1, du traité. Ce moyen est subdivisé en une première branche, prise d’une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que les entreprises en cause ne disposaient pas de l’autonomie exigée, leur comportement étant imposé par le cadre législatif et les incitations des autorités grecques, et, en une seconde branche, prise d’une qualification erronée des contacts entre les entreprises du secteur en cause d’accords interdits par l’article 85, paragraphe 1, du traité.

15
À l’appui de ses conclusions subsidiaires, tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui lui a été infligée, la requérante fait valoir un quatrième moyen qu’il convient de diviser en quatre branches tirées respectivement d’une appréciation erronée de la gravité de l’infraction, de la durée de l’infraction, des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes.

I –  Sur les conclusions tendant à l'annulation de la Décision

Sur le premier moyen, pris de l'illégalité du contrôle effectué dans les bureaux de l'ETA

Arguments des parties

16
La requérante fait valoir que la Décision s’appuie pour l’essentiel sur des documents illégalement collectés par la Commission, puisqu’elle les a obtenus au cours d’une vérification dans les bureaux de l’ETA, qui était l’agent de la requérante pour les lignes reliant la Grèce à l’Italie (ci-après les «lignes Grèce-Italie»), mais qui était une société différente de la société destinataire de la décision de vérification, à savoir la requérante elle-même.

17
À titre liminaire, la requérante tient à rappeler les circonstances dans lesquelles a eu lieu la vérification en question.

18
Elle fait observer que, lorsque, le 5 juillet 1994, les agents de la Commission se sont rendus dans les locaux de l’ETA, situés avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, et ont demandé aux employés de l’ETA d’accepter qu’il soit procédé à la vérification, ces derniers ont immédiatement attiré l’attention des agents de la Commission sur le fait que l’ETA est une personne juridique indépendante, qui n’a aucun rapport de société mère à société filiale avec Minoan, dont elle est simplement l’agent. La requérante ajoute que, en dépit de cet avertissement, les agents de la Commission ont insisté, après avoir téléphoné à leurs supérieurs hiérarchiques à Bruxelles, pour effectuer la vérification et ont menacé l’ETA, en cas de refus, des sanctions prévues à l’article 19, paragraphe 1, et à l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86. En outre, selon la requérante, ces agents de la Commission ont, parallèlement, demandé à la direction de la vérification du marché et de la concurrence du ministère du Commerce hellénique, en tant qu’autorité nationale compétente en matière de concurrence, d’envoyer l’un de ses agents aux bureaux de l’ETA, afin d’engager la procédure de l’article 26 de la loi hellénique n° 703/1977, sur le contrôle des monopoles et oligopoles et pour la protection de la libre concurrence, dont le paragraphe 6 prévoit que, en cas de refus ou d’entraves opposés au contrôle, le procureur compétent peut être saisi pour obtenir la coopération des autorités policières localement compétentes.

19
Selon la requérante, ce serait donc dans ces circonstances, et compte tenu de l’insistance des agents de la Commission, de la menace d’établissement d’un procès-verbal constatant l’opposition à la vérification, avec les sanctions qui pouvaient en découler, et de la menace de voir l’accès aux bureaux de l’ETA être forcé par les organes de police, que les employés de l’ETA ont décidé de se soumettre à la vérification.

20
La requérante fait valoir que c’est sans succès qu’après la vérification, l’ETA a, par lettre du 18 août 1994, demandé à la Commission de lui retourner tous les documents saisis dans ses bureaux au cours de la vérification, lesquels avaient été collectés dans le cadre d’une action étrangère au champ d’application personnel de la décision de vérification. La requérante se réfère ensuite aux abondantes discussions que cette lettre aurait engagées au sein de la Commission et demande au Tribunal qu’il invite la Commission à produire des notes internes (internal notes) datées des 21, 23, 24 et 25 août 1994, afin d’étayer son recours. Ensuite, la requérante se réfère à la lettre du 30 août 1994 de la Commission en réponse à l’ETA, considérant correcte la vérification. Elle rappelle que l’ETA a envoyé une deuxième lettre le 29 janvier 1995 par laquelle elle réfutait les arguments de la Commission au sujet de la légitimité de la vérification effectuée. La requérante estime probable qu’une deuxième note interne circonstanciée ait été rédigée en date du 3 février 1995, compte tenu du tableau synoptique contenant la liste des documents du dossier, à laquelle elle n’aurait pas eu accès, raison pour laquelle elle demande au Tribunal d’inviter également la Commission à verser ce document au dossier, afin qu’il puisse l’examiner et que la requérante puisse y accéder et mieux protéger ses intérêts juridiques.

21
La requérante expose ensuite les raisons pour lesquelles elle considère que Minoan et l’ETA sont des sociétés différentes et indépendantes tant du point de vue juridique qu’économique.

22
S’agissant de la légalité de la vérification, la requérante soutient que tant la décision de vérification que la vérification elle-même et le comportement des agents de la Commission, qui ont contraint l’ETA à accepter la vérification dans ses locaux constituent des violations manifestes de l’article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) et de l’article 18 du règlement n° 4056/86.

23
À cet égard, elle constate, en premier lieu, que, alors que l’article 189, quatrième alinéa, du traité dispose que «[l]a décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne», en l’espèce, la décision de vérification du 4 juillet 1994 désigne comme destinataire non pas l’ETA, mais Minoan. Partant, les agents de la Commission auraient procédé à des vérifications dans les locaux d’une société, à savoir l’ETA, sur la base d’une décision et de mandats de vérification concernant une autre société, à savoir la requérante.

24
En deuxième lieu, la requérante fait valoir qu’il résulte des dispositions combinées de l’article 18, paragraphes 1, 2 et 3, ainsi que de l’article 19, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4056/86 que les pouvoirs de vérification visés à l’article 18, paragraphe 1, qui ont trait au contrôle des livres et autres documents professionnels ainsi qu’à la prise de copies, à la demande d’explications orales et à l’accès «à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises», concernent uniquement les entreprises auxquelles s’adresse la décision visée à l’article 18, paragraphe 3, dudit règlement. La même approche s’imposerait en ce qui concerne la menace d’imposition des sanctions prévues à l’article 19, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4056/86 dans le cas où les entreprises refuseraient de se soumettre à la vérification et où les livres ou autres documents professionnels demandés seraient présentés de façon incomplète ainsi que pour la demande d’assistance adressée à l’autorité hellénique compétente au titre de l’article 18, paragraphe 5, du règlement n° 4056/86.

25
Par ailleurs, la requérante conteste les appréciations, contenues au considérant 139 de la Décision, sur la base desquelles la Commission a estimé que la vérification était légale.

26
S’agissant, en premier lieu, du fait que l’ETA, en tant que représentant de la requérante, se désignait elle-même comme «Minoan Athènes» et que, dans ses locaux athéniens, elle employait le logo et la marque de la requérante, cette dernière fait observer que, dans la pratique commerciale et économique contemporaine, il est très courant qu’une entreprise emploie le logo et les insignes commerciaux d’une autre entreprise lorsqu’elle lui est attachée par une relation contractuelle durable comme c’est le cas pour les agents commerciaux, les membres des réseaux de distribution et les franchisés d’un réseau de franchise. Dans ces cas, l’homogénéité du réseau imposerait le recours à un signe distinctif commun, à savoir celui du mandant ou du concédant du réseau de distribution ou encore du franchiseur. Or, pour la requérante, cette circonstance n’affecte nullement l’autonomie juridique et économique de l’entreprise qui, sur la base d’une concession, emploie la marque d’une autre entreprise dans ses opérations commerciales. Accepter le point de vue contenu dans la Décision signifierait que la Commission pourrait se fonder sur une décision adressée au propriétaire d’un réseau de distribution pour effectuer des vérifications dans les établissements de tous les membres du réseau, en dépit du fait que ces membres sont des entreprises juridiquement et économiquement indépendantes, ce qui entrerait en contradiction manifeste avec des principes fondamentaux et des dispositions fondamentales tant de l’ordre juridique communautaire que des ordres juridiques nationaux.

27
La requérante estime que cette conclusion n’est pas infirmée par le fait que, avant la vérification en question, le représentant légal de l’ETA, M. Sfinias, a répondu à une demande de renseignements de la Commission en signant, au nom de Minoan, un document sur lequel l’adresse des locaux de l’ETA figurait dans l’en-tête sous le logo et la marque de Minoan. Elle admet que cette réponse a effectivement été signée par M. Sfinias, mais souligne qu’il a agi sur instruction expresse de celle-ci.

28
Quant au fait que l’adresse de l’ETA figurait sous le logo et sous la marque de Minoan, la requérante tient à préciser que cette mention apparaît en bas de la page avec l’adresse de l’«International Lines Head Office» (avenue Kifissias 64 b) et celle du «Passengers Office» (avenue Vassileos Konstantinou 2) et fait valoir que ces adresses sont indiquées pour les clients et les autres intéressés afin qu’ils comprennent qu’ils doivent s’adresser pour tout ce qui se rapporte aux lignes internationales, à la délivrance de billets et au départ des passagers à partir d’Athènes aux bureaux correspondants de l’agent général de la société, qui est compétent pour les lignes internationales et pour les questions ayant trait aux passagers.

29
La requérante soutient par ailleurs que, si toutes les circonstances décrites ci-dessus ont pu créer la confusion dans les services de la Commission, cette confusion aurait en tout cas dû disparaître au plus tard au moment où ses agents sont arrivés dans les locaux de l’ETA, étant donné les protestations et réactions verbales qu’ils ont provoquées et les informations qui leur ont été présentées et qu’ils avaient eux-mêmes d’ailleurs demandées (contrat de location au nom de l’ETA et feuilles de salaires des employés de cette société).

30
Enfin, la requérante conteste la conclusion de la Commission (considérant 139 de la Décision) selon laquelle «indépendamment de l’occupation et de l’utilisation par l’ETA des locaux en question, Minoan a également autorisé l’ETA à se servir de ces locaux comme étant ceux de ‘Minoan Athènes’». Une telle conclusion serait arbitraire et ne saurait être déduite d’aucune clause des contrats conclus entre Minoan et l’ETA. La requérante tient à souligner que ces locaux étaient occupés et utilisés exclusivement par l’ETA, qui y exerçait ses activités avec son personnel, ses capitaux et son organisation, notamment en tant qu’agent de Minoan, sur la base d’obligations contractuelles qu’elle avait souscrites.

31
La requérante conteste également le bien-fondé de l’argument de la Commission selon lequel, à supposer que Minoan n’ait pas réellement exercé (in corpore) d’activité dans les locaux en question, dans la mesure où des documents lui appartenant s’y trouvaient, la Commission était en droit, pour ce motif, de rechercher les documents en cause. La requérante estime qu’une telle thèse est en contradiction évidente tant avec les dispositions du règlement n° 4056/86 qu’avec des principes fondamentaux du droit. En outre, elle la considère extrêmement dangereuse dans la mesure où, en l’invoquant, la Commission revendique pour elle-même le droit d’entrer, sur la base d’une décision de vérification adressée à une entreprise déterminée, dans les locaux de toute entreprise tierce, dès lors qu’elle pense pouvoir y trouver des documents de l’entreprise destinataire de la décision de vérification, et d’effectuer des vérifications dans ces locaux sur la base de ladite décision.

32
La requérante ajoute qu’une telle thèse est en contradiction manifeste avec le principe de la légalité de l’action des institutions communautaires et avec le principe de protection contre les interventions arbitraires de l’autorité publique dans la sphère de l’activité privée de toute personne physique ou morale (voir arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 19). Ainsi, elle rappelle que la Cour a itérativement reconnu que le principe général de respect des droits de la défense dans des procédures administratives qui peuvent aboutir à des sanctions impose également d’éviter toute atteinte irrémédiable à ces droits dans le cadre des procédures d’enquête préalable, telles que les vérifications (voir arrêt Hoechst/Commission, précité, point 15).

33
La requérante relève que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect et que, à cette fin, la Cour et le Tribunal s’inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Elle relève également que, aux termes de l’article F, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE), «l’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme [...] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire» et fait observer que l’article 9 de la Constitution hellénique, qui se réfère à l’inviolabilité du domicile, est interprété unanimement comme visant également les locaux commerciaux, même lorsque ceux-ci appartiennent à des personnes morales de droit privé, telles que des sociétés. Enfin, la requérante soutient que les principes rappelés ci-dessus sont valables a fortiori lorsque la vérification porte sur les locaux d’entreprises qui ne sont pas destinataires de la décision de vérification.

34
La requérante reproche aux agents de la Commission d’avoir invoqué de façon abusive et illégale la décision et les mandats de vérification et d’avoir menacé l’ETA de sanctions et de mesures d’entrée forcée dans ses locaux. Elle considère que, si ces agents avaient eu des raisons de croire qu’une vérification dans les locaux de cette société était nécessaire, ils auraient dû obtenir une nouvelle décision de la Commission, indiquant expressément que l’ETA était destinataire de la vérification et motivant dûment les raisons spécifiques pour lesquelles l’ETA devait faire l’objet d’une vérification.

35
Il s’ensuivrait que la Commission a agi en violation non seulement de sa décision de vérification et des mandats de vérification, mais également, plus généralement, en violation des dispositions et des principes fondamentaux du droit communautaire et, en particulier, du principe de la légalité de l’action des institutions de la Communauté.

36
La Commission conteste avoir effectué une enquête illégale dans les bureaux de l’ETA et avoir illégalement utilisé les documents rassemblés à l’occasion de cette enquête, dès lors que, lorsqu’elle a procédé à la vérification, elle a considéré que l’ETA faisait office d’organe auxiliaire intégré dans l’entreprise de Minoan et qu’elle agissait exclusivement pour le compte et au nom de cette dernière et non en tant que négociant indépendant, ainsi que l’indique le considérant 137 de la Décision. Dès lors, elle a estimé que l’ETA agissait en qualité de «bras droit» de Minoan.

37
À cet égard, elle fait observer que l’ETA se désignait elle-même comme étant «Minoan Linesᄏ et donnait la nette impression aux tiers que les bureaux sis avenue Kifissias 64 B, à Athènes, étaient ceux de Minoan. La Commission ajoute que, avant la vérification, M. Sfinias avait répondu à une demande de renseignements de la Commission en signant au nom de Minoan un document sur du papier à lettres comportant le logo et la marque de Minoan, avec l’adresse des bureaux de l’ETA, mais sans faire aucune référence à cette dernière société.

38
La Commission soutient que toutes les activités qui étaient exercées dans les bureaux inspectés, ou à tout le moins une partie d’entre elles, étaient des activités de Minoan, sans préjudice de la question de savoir qui était le locataire desdits bureaux. Elle estime que ce qui importe n’est pas le contrat de bail formel, mais la situation réelle, telle qu’elle découle des éléments susvisés. À supposer même que la requérante n’ait pas réellement (in corpore) exercé d’activité dans les locaux en question, il serait patent que des documents lui appartenant s’y trouvaient et que, par conséquent, elle était en droit, pour ce motif, de rechercher les documents en cause.

39
La Commission considère que, dans ces conditions, il ne saurait être question ni de preuves illicitement obtenues ni de contrôle exercé de façon arbitraire, puisque le contrôle a été opéré dans des bureaux où s’exerçaient des activités commerciales dont une part au moins, sinon toutes, étaient des activités commerciales de Minoan, c’est-à-dire de la société visée par la décision de vérification du 4 juillet 1994.

40
En tout état de cause, même à supposer qu’il y ait eu erreur de sa part sur l’identité de la société contrôlée, la Commission fait valoir, en premier lieu, qu’elle a déployé tous les efforts possibles pour savoir qui occupait les bureaux situés avenue Kifissias 64 B, dans lesquels Minoan, destinataire de la décision de vérification, exerçait ses activités à Athènes. En second lieu, la Commission juge simpliste l’argument de Minoan selon lequel les précisions qui lui ont été fournies auraient dissipé toute ambiguïté quant aux modalités et au lieu d’exercice de ses activités. La Commission rappelle que, jusqu’au moment du contrôle, il n’avait jamais été question de distinction entre deux personnes morales. Au contraire, l’ETA, qui se désignait elle-même comme étant «Minoan Lines», se présentait comme faisant partie intégrante de Minoan et fonctionnait effectivement comme telle. De plus, son gérant, M. Sfinias, aurait répondu à la correspondance adressée à Minoan en signant ses lettres sous le logo et la marque de Minoan et en mentionnant comme adresse celle de l’ETA, sans faire aucunement allusion à cette dernière. Au vu de cet ensemble d’éléments indiquant l’unité de comportement de Minoan et de l’ETA, qui estompe la distinction entre elles, la Commission soutient que les «précisions» des employés de l’ETA ne suffisaient ni à faire immédiatement la lumière sur la question de la distinction entre ces personnes morales, ni à empêcher le déroulement du contrôle, d’autant plus que la distinction en question aurait requis une appréciation sur le fond sans s’attacher à la forme.

Appréciation du Tribunal

41
Dans le cadre de ce moyen, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir recueilli illégalement les preuves sur lesquelles repose la Décision, en ce qu’elle les a obtenues au cours d’une vérification effectuée dans les bureaux d’une entreprise qui n’était pas le destinataire de la décision de vérification. La requérante fait valoir que, en agissant ainsi, la Commission a abusé de ses pouvoirs en matière de vérification et a violé l’article 189 du traité, l’article 18 du règlement n° 4056/86 et les principes généraux du droit.

42
Le Tribunal estime qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de ce moyen à la lumière des principes régissant les pouvoirs de la Commission en matière de vérification et du contexte factuel de l’espèce.

A – Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

43
Il ressort du seizième considérant du règlement n° 4056/86 que le législateur a estimé que ce règlement devait prévoir «les pouvoirs de décisions et les sanctions nécessaires pour assurer le respect des interdictions prévues à l’article 85, paragraphe 1, et à l’article 86 [du traité] ainsi que des conditions d’application de l’article 85, paragraphe 3».

44
Plus précisément, les pouvoirs accordés à la Commission en matière de vérification sur le terrain sont exposés à l’article 18 du règlement n° 4056/86, qui est libellé comme suit:

«Article 18

Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

1. Dans l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

À cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après:

a)
contrôler les livres et autres documents professionnels;

b)
prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;

c)
demander sur place des explications orales;

d)
accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.

2. Les agents mandatés par la Commission pour ces vérifications exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de la vérification, ainsi que la sanction prévue à l’article 19, paragraphe 1, [sous] c), au cas où les livres ou autres documents professionnels requis seraient présentés de façon incomplète. La Commission avise, en temps utile avant la vérification, l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée, de la mission de vérification et de l’identité des agents mandatés.

3. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de la vérification, fixe la date à laquelle elle commence, et indique les sanctions prévues à l’article 19, paragraphe 1, [sous] c), et à l’article 20, paragraphe 1, [sous] d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

4. La Commission prend les décisions visées au paragraphe 3 après avoir entendu l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée.

5. Les agents de l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée peuvent, sur la demande de cette autorité ou sur celle de la Commission, prêter assistance aux agents de la Commission dans l’accomplissement de leurs tâches.

6. Lorsqu’une entreprise s’oppose à une vérification ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé prête aux agents mandatés par la Commission l’assistance nécessaire pour leur permettre d’exécuter leur mission de vérification. À cette fin, les États membres prennent, avant le 1er janvier 1989 et après consultation de la Commission, les mesures nécessaires.»

45
Le libellé de l’article 18 du règlement n° 4056/86 étant identique à celui de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et ces deux règlements ayant été adoptés en application de l’article 87 du traité CE (devenu, après modification, article 83 CE) pour préciser les modalités d’application des articles 85 du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE), la jurisprudence relative à la portée des pouvoirs de la Commission en matière de vérifications au sens de l’article 14 du règlement n° 17 est également applicable au cas d’espèce.

46
Conformément à l’article 87, paragraphe 2, sous a) et b), du traité, le règlement n° 17 a pour objet d’assurer le respect des interdictions visées aux articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité et de déterminer les modalités d’application de l’article 85, paragraphe 3. Ce règlement est destiné ainsi à assurer la réalisation de l’objectif visé à l’article 3, sous f), du traité. À ces fins, il confère à la Commission un large pouvoir d’investigation et de vérification en précisant, dans son huitième considérant, que celle-ci doit disposer, dans toute l’étendue du marché commun, du pouvoir d’exiger les renseignements et de procéder aux vérifications «qui sont nécessaires» pour déceler les infractions aux articles 85 et 86 du traité (arrêts de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, point 20, et du 18 mai 1982, AM & S/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 15). Le seizième considérant du règlement n° 4056/86 se prononce également dans ce sens.

47
Le juge communautaire a de même souligné l’importance que revêt le respect des droits fondamentaux et, en particulier, des droits de la défense dans toutes les procédures d’application des règles de la concurrence du traité et a précisé dans ses arrêts la façon dont les droits de la défense doivent être conciliés avec les pouvoirs de la Commission au cours de la procédure administrative et également au cours des phases préalables d’enquête et d’obtention d’informations.

48
La Cour a, en effet, précisé que les droits de la défense doivent être respectés par la Commission tant pendant les procédures administratives susceptibles d’aboutir à des sanctions que pendant le déroulement des procédures d’enquête préalable, car il importe d’éviter que ces droits ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d’enquête préalable, dont notamment les vérifications, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement des preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 15).

49
S’agissant plus précisément des pouvoirs de vérification reconnus par l’article 14 du règlement n° 17 à la Commission et de la question de savoir dans quelle mesure les droits de la défense limitent leur portée, la Cour a reconnu que l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées constitue un principe général du droit communautaire (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 19, et arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94/00, Rec. p. I-9011, point 27). En effet, la Cour a jugé que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu’avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées.

50
La Cour a jugé que les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 14 du règlement n° 17 ont pour but de permettre à celle-ci d’accomplir la mission, qui lui est confiée par le traité CE, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun. Ces règles ont pour fonction, ainsi qu’il ressort du quatrième alinéa du préambule du traité, de l’article 3, sous f), et des articles 85 et 86, d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L’exercice de ces pouvoirs concourt ainsi au maintien du régime concurrentiel voulu par le traité dont le respect s’impose impérativement aux entreprises (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 25).

51
La Cour a de même estimé que tant la finalité du règlement n° 17 que l’énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. Plus précisément, la Cour a affirmé expressément que «le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présent[ait] une importance particulière dans la mesure où il [devait] permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises» (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 26).

52
La Cour a tenu à souligner également l’importance de sauvegarder l’effet utile des vérifications comme instrument nécessaire afin que la Commission puisse exercer ses fonctions de gardienne du traité en matière de concurrence, en indiquant ce qui suit (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 27) «[...] ce droit d’accès serait dépourvu d’utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu’ils seraient à même d’identifier au préalable de façon précise. Un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible à la Commission de recueillir les éléments d’information nécessaires à la vérification au cas où elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d’obstruction de la part des entreprises concernées.»

53
Toutefois, il convient de noter l’existence de diverses garanties résultant du droit communautaire, offertes aux entreprises concernées, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activités privées qui seraient arbitraires ou disproportionnées (arrêt Roquette Frères, précité, point 43).

54
L’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 impose à la Commission de motiver la décision ordonnant une vérification en indiquant l’objet et le but de cette dernière, ce qui, ainsi que la Cour l’a précisé, constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de la défense (arrêts Hoechst/Commission, précité, point 29, et Roquette Frères, précité, point 47).

55
De même, il incombe à la Commission d’indiquer dans ladite décision, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification (arrêt National Panasonic/Commission, précité, points 26 et 27). Ainsi que la Cour l’a jugé, une telle exigence est propre à préserver les droits de la défense des entreprises concernées, dans la mesure où de tels droits seraient gravement compromis si la Commission pouvait invoquer à l’égard des entreprises des preuves qui, obtenues au cours d’une vérification, seraient étrangères à l’objet et au but de celle-ci (arrêts de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, point 18, et Roquette Frères, précité, point 48).

56
En outre, il y a lieu de rappeler qu’une entreprise à l’encontre de laquelle la Commission a ordonné une vérification peut, conformément aux dispositions de l’article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), former un recours contre une telle décision devant le juge communautaire. Au cas où ladite décision serait annulée par ce dernier, la Commission se verrait empêchée, de ce fait, d’utiliser, à l’effet de la procédure d’infraction aux règles de concurrence communautaires, tous documents ou pièces probantes qu’elle aurait réunis dans le cadre de cette vérification, sous peine de s’exposer au risque de voir le juge communautaire annuler la décision relative à l’infraction dans la mesure où elle serait fondée sur de tels moyens de preuve (voir ordonnances du président de la Cour du 26 mars 1987, Hoechst/Commission, 46/87 R, Rec. p. 1549, point 34, et du 28 octobre 1987, Dow Chemical Nederland/Commission, 85/87 R, Rec. p. 4367, point 17; arrêt Roquette Frères, précité, point 49).

57
C’est à la lumière des considérations précédentes que l’examen du bien-fondé du moyen, tiré de la prétendue illégalité de la vérification, doit être effectué.

B – Sur le bien-fondé du moyen

58
L’examen du bien-fondé du présent moyen exige un exposé préalable des circonstances dans lesquelles la vérification a été effectuée en l’espèce.

1. Faits pertinents et non contestés par les parties

59
Le 12 octobre 1992, agissant en vertu du règlement n° 4056/86, à la suite d’une plainte dénonçant la similitude des tarifs des transbordeurs sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, la Commission a adressé une demande de renseignements à Minoan à l’adresse de son siège social (Agiou Titou 38, Héraklion, Crète).

60
Le 20 novembre 1992, la Commission a reçu une lettre, en réponse à sa demande de renseignements, signée par M. Sfinias, sur du papier à lettres de Minoan, sur lequel figurait, en haut à gauche, un seul logo commercial, à savoir «Minoan Lines», et au-dessous duquel était mentionnée une seule adresse: «2 Vas. Konstantinou Av. (Stadion); 11635, ATHENS».

61
Le 1er mars 1993, la Commission a adressé une deuxième demande de renseignements à Minoan toujours à son siège social à Héraklion.

62
Le 5 mai 1993, il a été répondu à la lettre de la Commission du 1er mars 1993 par une lettre signée également par M. Sfinias, rédigée sur du papier à lettres de Minoan, sur lequel figurait également, en haut de la page à gauche un seul logo commercial, à savoir «Minoan Lines», mais, cette fois-ci, sans qu’aucune adresse ne soit mentionnée au-dessous. Au bas de la page figuraient deux adresses: «INTERNATIONAL LINES HEAD OFFICES: 64 B Kifissias Ave. GR, 151 25, Maroussi, Athens» et, au-dessous, «PASSENGER OFFICE: 2 Vassileos Konstantinou Ave., GR, 116 35 Athens».

63
Le 5 juillet 1994, des agents de la Commission se sont rendus dans les locaux situés avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, et ont remis aux personnes les ayant reçus, lesquelles se sont révélées par la suite être des employés de l’ETA, d’une part, la décision de vérification et, d’autre part, les mandats D/06658 et D/06659, du 4 juillet 1994, signés par le directeur général de la direction générale de la concurrence et habilitant les agents de la Commission à procéder à la vérification.

64
S’appuyant sur lesdits documents, les agents de la Commission ont demandé aux employés de l’ETA d’accepter qu’il soit procédé à la vérification. Toutefois, ces derniers ont attiré leur attention sur le fait qu’ils se trouvaient dans les bureaux de l’ETA, qu’ils étaient des employés de l’ETA et que l’ETA était une personne juridique indépendante, sans autre rapport avec Minoan que celui d’être son agent. Les agents de la Commission ont insisté, après avoir téléphoné à leurs supérieurs hiérarchiques à Bruxelles, pour effectuer la vérification et ont rappelé aux employés de l’ETA que, en cas de refus, des sanctions au titre de l’article 19, paragraphe 1, et de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86 pourraient être prises, ces deux dispositions étant citées dans la décision de vérification et leur teneur littérale figurant dans son annexe. En outre, ces agents de la Commission ont demandé à la direction de la vérification du marché et de la concurrence du ministère du Commerce hellénique, en tant qu’autorité nationale compétente en matière de concurrence, d’envoyer l’un de ses agents aux bureaux de l’ETA.

65
Les agents de la Commission n’ont pas expressément indiqué aux employés de l’ETA qu’ils avaient la possibilité de se faire assister d’un avocat, mais leur ont remis une note de deux pages contenant des explications au sujet de la nature et du déroulement normal de la vérification.

66
Les employés de l’ETA, après avoir téléphoné à leur directeur, alors absent d’Athènes, ont finalement décidé de se soumettre à la vérification, tout en signalant qu’ils allaient exprimer leur désaccord dans le procès-verbal.

67
Les agents de la Commission ont entamé, ensuite, la vérification, qui s’est achevée à la fin du jour suivant, le 6 juillet 1994.

68
Enfin, il convient de relever que, comme la requérante l’a elle-même souligné (voir point 26 ci-dessus), l’ETA, en sa qualité de représentant de la requérante, était pleinement autorisée à agir et à se désigner dans le cadre de ses activités commerciales comme étant «Minoan Lines Athènes», ainsi qu’à faire usage de la marque et du logo de Minoan dans le cadre de ses activités d’agent.

69
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal constate qu’il ressort clairement du cadre factuel que:

en premier lieu, dans la poursuite et la gestion de ses activités d’agent et de représentant de Minoan, l’ETA était autorisée à se présenter auprès du public en général et de la Commission comme étant Minoan, de sorte que son identité en tant que gestionnaire des activités commerciales en question était en pratique entièrement assimilée à celle de Minoan;

en deuxième lieu, le fait que les lettres adressées par la Commission à Minoan ont été transmises à M. Sfinias pour réponse directe à la Commission indique que tant Minoan que l’ETA et M. Sfinias savaient dès le début de l’intervention de la Commission que cette dernière était en train de donner suite à une plainte; ils ont également pris connaissance de la nature de la plainte, de l’objet de la demande de renseignements et du fait que la Commission agissait sur la base du règlement n° 4056/86, cité dans les lettres en question; il s’ensuit que, en transmettant les lettres à M. Sfinias pour réponse, Minoan a, de facto, autorisé non seulement ce dernier, mais également l’ETA à se présenter auprès de la Commission comme l’interlocuteur dûment mandaté de Minoan dans le cadre de l’enquête en question;

en troisième lieu, il ressort de tout ce qui précède ainsi que du fait que Minoan avait délégué l’exercice de ses activités commerciales à l’ETA que les bureaux situés avenue Kifissias 64 B étaient, en pratique, le véritable centre des activités commerciales de «Minoan» et, de ce fait, l’endroit où les livres et documents professionnels relatifs aux activités en cause étaient détenus.

70
Il s’ensuit que les locaux en question étaient des locaux de Minoan en tant que destinataire de la décision de vérification au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 4056/86.

2. Sur le respect, en l'espèce, des principes régissant l'exercice par la Commission de ses pouvoirs en matière de vérification

71
Il ressort du dossier que tant les mandats que la décision de vérification présentés par les fonctionnaires de la Commission aux employés de l’ETA remplissaient l’exigence d’indiquer l’objet et le but de la vérification. En effet, la décision de vérification consacre une page et demie de ses considérants à exposer les raisons pour lesquelles la Commission estime qu’il pourrait y avoir une entente portant sur les tarifs des transbordeurs applicables aux passagers, aux véhicules et aux poids lourds entre les principales entreprises assurant les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie qui serait contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle expose les principaux traits du marché en cause, les principales compagnies actives sur ce marché, dont Minoan, les parts de marché des entreprises assurant les trois lignes différenciées et décrit en détail le type de comportement qu’elle considère pouvoir se révéler contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle indique clairement que l’entreprise destinataire, à savoir Minoan, est l’une des principales compagnies actives sur le marché en cause et souligne que cette entreprise connaît déjà l’existence de l’enquête sous objet.

72
Ensuite, dans le dispositif de la décision de vérification, l’article 1er indique expressément que le but de la vérification est de déterminer si les systèmes de formation des prix ou tarifs appliqués par les compagnies actives dans le secteur des transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie sont contraires à l’article 85, paragraphe 1, du traité. L’article 1er de la décision de vérification expose également l’obligation pour l’entreprise destinataire de se soumettre à la vérification et décrit les pouvoirs accordés aux agents de la Commission à l’occasion de ladite vérification. L’article 2 se réfère à la date à laquelle la vérification devait avoir lieu. L’article 3 fait mention du destinataire de la décision. Il est précisé que la décision de vérification s’adresse à Minoan. Trois adresses figurent comme lieux d’inspection possibles: en premier lieu, Quai Poseidon 28, au Pirée, en deuxième lieu, Quai Poseidon 24, au Pirée et, en troisième lieu, avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, lieu où les agents de la Commission se sont finalement rendus. Enfin, l’article 4 indique la possibilité de former un recours contre la décision de vérification devant le Tribunal tout en soulignant que ce recours n’a pas d’effet suspensif sauf si le Tribunal en décide autrement.

73
Pour ce qui est des mandats accordés aux agents de la Commission en vue de procéder à la vérification, ils indiquent explicitement qu’ils sont habilités à y procéder dans le sens et le but exposés dans la décision de vérification, rendue en annexe de façon simultanée.

74
Dans ces conditions, il ressortait clairement du contenu de ces actes, d’une part, que la Commission voulait obtenir des indices et des preuves de la participation de Minoan à l’entente présumée et, d’autre part, qu’elle pensait pouvoir en trouver, entre autres lieux, dans les locaux sis avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, locaux qu’elle considérait appartenir à Minoan. Il convient, à cet égard, de rappeler que cette adresse figurait imprimée sur le papier à lettres utilisé par Minoan pour répondre le 5 mai 1993 à la lettre de demande de renseignements de la Commission du 1er mars 1993, au bas duquel figure la mention suivante: «INTERNATIONAL LINES HEAD OFFICES: 64B Kifissias Ave. GR, 151 25, Maroussi, Athens».

75
Le Tribunal estime que la décision et les mandats de vérification contenaient tous les éléments pertinents pour permettre aux employés de l’ETA de juger si, compte tenu de la motivation de ladite décision et à la lumière de la connaissance qu’ils avaient de la nature et de la portée des relations existant entre l’ETA et Minoan, ils étaient obligés de permettre ou non la vérification envisagée par la Commission dans leurs locaux.

76
Il faut donc conclure que, pour ce qui est de la décision et des mandats de vérification, les exigences découlant de la jurisprudence ont été pleinement respectées, en ce qui concerne le titulaire des locaux inspectés, à savoir l’ETA, car, d’une part, en tant qu’entreprise gestionnaire des affaires de Minoan sur le marché des transbordeurs rouliers assurant les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, elle était en mesure de saisir la portée de son devoir de collaboration avec les agents de la Commission et, d’autre part, ses droits de la défense ont été pleinement préservés compte tenu du degré de motivation desdits actes et de la mention explicite de la possibilité d’introduire un recours contre la décision de vérification devant le Tribunal. Le fait qu’elle ne l’ait pas fait par la suite relève de son seul choix et n’est pas de nature à infirmer cette conclusion, mais plutôt à la confirmer.

77
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si l’ETA était du point de vue juridique une entité distincte de Minoan, toutefois, dans son rôle de représentant de cette dernière et de gestionnaire exclusif des activités qui faisaient l’objet de l’enquête de la Commission, sa personnalité était entièrement assimilée à celle de son commettant, de sorte qu’elle était soumise à la même obligation de coopération que celui-ci.

78
En outre, dans l’hypothèse où il serait permis à Minoan de se prévaloir des droits de la défense de l’ETA en tant qu’entité distincte, force est de constater que ces droits n’ont jamais été mis en question. En effet, ni les activités distinctes, à supposer qu’il en ait existé, ni les propres livres et documents professionnels de l’ETA ne faisaient l’objet de la vérification en cause.

79
La requérante reproche à la Commission d’avoir violé l’article 189, quatrième alinéa, du traité, selon lequel «la décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne», parce qu’elle a procédé à une vérification dans les locaux d’une société, à savoir l’ETA, sur la base d’une décision et des mandats de vérification concernant une autre société, à savoir Minoan.

80
Or, cet argument est dénué de pertinence. En premier lieu, l’invocation de l’article 189 du traité n’ajoute rien à l’argument essentiel de la requérante selon lequel l’illégalité essentielle consiste en une prétendue violation par la Commission de l’article 18 du règlement n° 4056/86 et des principes généraux du droit, ainsi qu’en un prétendu abus de ses pouvoirs en matière de vérification. L’article 189 du traité se limite à énoncer les mesures législatives et décisionnelles qui sont à la disposition des institutions et précise les effets juridiques de ces mesures. En second lieu, même à supposer que l’article 189 du traité soit pertinent en l’espèce, il n’aurait pour conséquence que de confirmer l’effet contraignant de la décision de vérification en ce sens qu’elle est «obligatoire dans tous ses éléments» pour Minoan, en tant que destinataire de la décision, et pour l’ETA, en tant que représentant et interlocuteur désigné par Minoan aux fins de l’enquête.

81
L’on ne saurait non plus reprocher à la Commission, dans les circonstances de l’espèce, ni d’avoir pensé que Minoan avait des locaux propres à l’adresse à laquelle les agents de la Commission se sont rendus, à Athènes, ni d’avoir, en conséquence, inclu ladite adresse dans sa décision de vérification comme étant l’adresse d’un des centres d’activités de Minoan.

82
Il convient ensuite d’aborder la question de savoir si, en insistant pour procéder à la vérification, la Commission a respecté le cadre de la légalité.

83
Il ressort de la jurisprudence, rappelée ci-dessus, que la Commission doit assurer dans ses activités de vérification le respect du principe de la légalité de l’action des institutions communautaires et du principe de protection contre les interventions arbitraires de l’autorité publique dans la sphère de l’activité privée de toute personne physique ou morale (voir arrêt Hoechst/Commission, précité, point 19). Il serait excessif et contraire aux dispositions du règlement n° 4056/86 et aux principes fondamentaux du droit de reconnaître à la Commission de façon générale un droit d’accès, sur la base d’une décision de vérification adressée à une entité juridique déterminée, aux locaux d’une entité juridique tierce sous le simple prétexte qu’elle est étroitement liée au destinataire de la décision de vérification ou que la Commission pense pouvoir y trouver des documents de cette dernière, et le droit d’effectuer des vérifications dans ces locaux sur la base de ladite décision.

84
Or, en l’espèce, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir tenté d’élargir ses pouvoirs de vérification en visitant les locaux d’une société autre que la société destinataire de la décision. Au contraire, il résulte du dossier que la Commission a agi diligemment et en respectant largement son devoir de s’assurer autant que possible, antérieurement à la vérification, que les locaux qu’elle envisageait d’inspecter étaient effectivement les locaux de l’entité juridique sur laquelle elle souhaitait enquêter. Il convient de rappeler, à cet égard, la préexistence d’une correspondance échangée entre la Commission et Minoan dans le cadre de laquelle cette société a répondu à deux courriers de la Commission au moyen de deux lettres signées par M. Sfinias, qui est finalement apparu comme étant l’administrateur de l’ETA, sans pour autant avoir fait la moindre mention de l’existence même de l’ETA ni du fait que Minoan agissait sur le marché via un agent exclusif.

85
En outre, il convient de constater que, comme la Commission l’a relevé dans son mémoire en défense, sans être contredite par la requérante, dans la liste des membres de l’Union des propriétaires grecs de transbordeurs est mentionné le nom de M. Sfinias, personne ayant signé les deux lettres au nom de Minoan, que, dans le barème des prix publié par Minoan, une agence générale est mentionnée à l’adresse Kifissias 64 B, Athènes, et, enfin, que dans l’annuaire téléphonique d’Athènes, il est fait mention de la société Minoan Lines à l’adresse à laquelle la Commission s’est rendue pour procéder à la vérification.

86
Il reste la question de savoir si, une fois que les agents de la Commission ont su que l’ETA était une autre société, pour laquelle ils ne disposaient pas de décision de vérification, ils auraient dû se retirer et revenir, le cas échéant, avec une décision adressée à l’ETA et dûment motivée en ce qui concerne les raisons justifiant une telle vérification dans le cadre de l’affaire en question.

87
Il convient de constater que, compte tenu des circonstances particulières exposées ci-dessus, la Commission a pu raisonnablement estimer que les «précisions» des employés de l’ETA ne suffisaient ni à faire immédiatement la lumière sur la question de la distinction entre les personnes morales ni à justifier la suspension du déroulement du contrôle, d’autant plus que, comme le souligne la Commission, décider s’il s’agissait ou non de la même entreprise aurait requis une appréciation sur le fond et notamment une interprétation de la portée du champ d’application de l’article 18 du règlement n° 4056/86.

88
Force est de constater que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission a estimé à bon droit, même après avoir su que les locaux situés à l’endroit visité appartenaient à l’ETA et non à Minoan, qu’ils devaient néanmoins être considérés comme des locaux utilisés par Minoan pour développer ses activités commerciales et, donc, qu’ils pouvaient être assimilés aux locaux commerciaux de l’entreprise destinataire de la décision de vérification. Il convient de rappeler à cet égard que la Cour a jugé que le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les «locaux commerciaux des entreprises» (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 26). Dès lors, la Commission pouvait tenir compte, dans l’exercice de ses pouvoirs de vérification, de la logique selon laquelle ses chances de trouver des preuves de l’infraction présumée sont plus élevées si elle enquête dans les locaux à partir desquels la société qui est sa cible développe habituellement et de facto son activité en tant qu’entreprise.

89
Enfin et en tout état de cause, il y a lieu d’ajouter qu’il n’y a pas eu d’opposition définitive à ce que la Commission procède à la vérification.

90
Il s’ensuit qu’en l’occurrence, en insistant pour procéder à la vérification dans un cas comme celui de l’espèce, la Commission n’a pas outrepassé les pouvoirs d’enquête que lui reconnait l’article 18, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86.

3. Sur le respect des droits de la défense et sur l'absence d'ingérence excessive de l'autorité publique dans la sphère d'activité de l'ETA

91
Comme il a été rappelé ci-dessus, la jurisprudence de la Cour et du Tribunal montre que, s’il y a lieu de préserver l’effet utile des vérifications de la Commission, celle-ci doit pour sa part s’assurer du respect des droits de la défense des entreprises concernées par la vérification et s’abstenir de toute intervention arbitraire ou disproportionnée dans leur sphère d’activités privées (arrêts Hoechst/Commission, précité, point 19; Dow Benelux/Commission, précité, point 30; arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 16, et arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit «PVC II»; T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 417).

92
Pour ce qui est du respect des droits de la défense, il convient de constater que ni la requérante ni l’entité juridique titulaire des locaux inspectés, à savoir l’ETA, n’ont estimé opportun d’introduire un recours contre la décision de vérification sur la base de laquelle la vérification a eu lieu, alors même qu’ils aurait pu le faire, comme l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 4056/86 le prévoit expressément.

93
En outre, s’agissant de la requérante, il suffit de constater qu’elle se prévaut de son droit de demander le contrôle de la légalité intrinsèque de la vérification dans le cadre du présent recours en annulation contre la décision finale adoptée par la Commission en application de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

94
Il est également constant que, dans la mesure où les employés de l’ETA ne se sont finalement pas opposés à ce que la Commission procède à la vérification, la Commission ne s’est pas vue obligée de demander un mandat judiciaire et/ou l’aide de la force publique pour procéder à la vérification. Il s’ensuit qu’une vérification comme celle de l’espèce doit être considérée comme une vérification effectuée avec la coopération de l’entreprise concernée. Le fait que l’autorité grecque de la concurrence ait été contactée et qu’un de ses agents se soit rendu sur les lieux de la vérification ne peut contredire la conclusion qui précède, car une telle mesure est prévue à l’article 18, paragraphe 5, du règlement n° 4056/86 pour les cas où l’entreprise ne s’oppose pas à la vérification. Dans ces conditions, il ne pourrait être question d’une ingérence excessive de l’autorité publique dans la sphère d’activité de l’ETA en l’absence d’un quelconque élément invoqué pour soutenir que la Commission serait allée au-delà de la coopération offerte par les employés de l’ETA (voir, en ce sens, arrêt PVC II, précité, point 422).

C – Conclusion

95
Il ressort de tout ce qui précède qu’en l’espèce la Commission a pleinement respecté la légalité tant en ce qui concerne les actes de vérification qu’elle a adoptés que dans la manière dont s’est déroulée postérieurement la vérification et qu’elle l’a fait en préservant les droits de la défense des entreprises concernées et en respectant pleinement le principe général du droit communautaire garantissant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activités privées de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient disproportionnées ou arbitraires.

96
Le Tribunal s’estime suffisamment éclairé sur les éléments de fait et de droit pertinents pour pouvoir examiner le présent moyen et considère, par conséquent, qu’il n’y a pas lieu de procéder à la demande de production de documents formulée par la requérante.

97
Dès lors, il y a lieu de déclarer ce moyen non fondé.

Sur le deuxième moyen, pris d'une imputation erronée à la requérante des actions et initiatives de l'ETA

Arguments des parties

98
La requérante estime injustifié le fait que la Commission lui ait imputé les actions et initiatives de l’ETA, qui, selon la Décision, constituent des infractions à l’article 85, paragraphe 1, du traité.

99
Elle fait valoir d’abord que plusieurs des actions reprochées relevaient d’initiatives personnelles de l’ETA non approuvées par Minoan, qui sortaient du cadre des contrats conclus entre l’ETA et Minoan et dont la responsabilité ne devrait pas être imputée à cette dernière. La requérante soutient que, contrairement à ce que la Commission prétend, il ne ressort pas de ces contrats que l’ETA agissait sur instruction et sous son contrôle. Au contraire, l’ETA jouirait d’une très large autonomie, puisqu’elle entretient son propre réseau de bureaux collaborateurs dans toute la Grèce (sauf en Crète) et qu’elle peut, sous sa propre responsabilité, nommer des agents en Grèce et à l’étranger. Il ne ressortirait pas non plus desdits contrats que l’ETA était habilitée à se lancer dans une coopération illégale avec d’autres sociétés et aucun document n’indiquerait que Minoan a demandé à l’ETA de le faire. La requérante soutient que la fixation par contrat de la commission versée aux agents ne démontre pas que l’ETA n’était pas une entreprise indépendante.

100
Ensuite, la requérante conteste l’affirmation de la Commission (voir Décision, point 137) selon laquelle l’ETA devrait être qualifiée de «bras droit» de Minoan faisant office de représentant et d’intermédiaire qui agit exclusivement au nom de Minoan et n’entreprend aucune activité pour son propre compte. Le fait que l’ETA soit l’agent de la requérante ne signifierait pas nécessairement que toutes les initiatives de l’ETA soient prises pour le compte de la requérante, en particulier lorsqu’elles sont étrangères à leur relation contractuelle et qu’il n’y a eu ni instructions ni approbation a posteriori de celles-ci par la requérante.

101
Elle ajoute que, contrairement à ce que la Commission affirme, ce n’est pas uniquement dans le cas où M. Sfinias s’adresse au siège de Minoan à Héraklion, qu’il fait mention de l’ETA. Au contraire, tous les télex évoqués par la Commission comportaient, tant dans l’en-tête (c’est-à-dire avant la mention de l’expéditeur et du ou des destinataires) qu’en bas de page (sous le nom de M. Sfinias), la mention «ETA» et le numéro de télex de l’ETA, en tant que véritable expéditeur. La requérante ajoute que l’indication «Minoan Lines» ou «Minoan Lines Athènes» s’explique par un souci de brièveté, pour éviter d’employer l’expression «ETA Worldwide General Agents for Minoan Lines».

102
La requérante soutient que Minoan n’a jamais invité le représentant légal de l’ETA, M. Sfinias, à conclure des accords illégaux, mais admet que, dans la mesure où elle était informée, elle ne lui interdisait pas non plus de discuter avec d’autres sociétés. Comme elle aurait été convaincue que ces discussions se déroulaient dans le cadre de la politique du ministère de la Marine marchande, elle n’y voyait rien de «particulièrement grave».

103
À l’appui de l’affirmation selon laquelle elle n’avait pas connaissance des activités engagées par l’ETA, la requérante soutient qu’elle n’avait pas concentré son attention sur les contacts et discussions engagés par M. Sfinias, mais sur les propositions de celui-ci en matière de politique tarifaire afin d’approuver, de rejeter ou de rectifier les prix proposés sur la base de différents paramètres économiques et en fonction de ses propres critères. Les déclarations de M. Sfinias, lors de l’audition des 13 et 14 mai 1997, confirmeraient ce qui précède. M. Sfinias aurait en particulier affirmé:

«Notre société est chargée par voie de contrat de créer les meilleures conditions d’exploitation possibles pour les navires de Minoan, sur la base de démarches et d’initiatives que cette dernière considère comme étant les meilleures, tandis que nous apprécions nous-mêmes le degré auquel nous informons Minoan. Certes, lorsque nous croyons beaucoup en nos actions et que nous considérons qu’elles auront un résultat positif pour les intérêts, au sens large, de notre mandant, alors il se peut que nous ne l’informions pas d’emblée, voire pas du tout – puisque c’est le résultat qui compte – ou que nous l’informions a posteriori pour demander son approbation, principalement parce que nous savons que, en tant que société pourvue d’un actionnariat populaire très large, l’administration de notre mandante qui approuvera ou rejettera nos initiatives est elle-même responsable devant un nombre considérable d’actionnaires.»

104
De plus, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle les documents visés par la fin du considérant 137 de la Décision prouvent qu’elle était au courant de la collusion. Elle fait valoir, au contraire, qu’il s’agissait toujours d’informations qu’elle recevait a posteriori.

105
Enfin, la requérante conteste les arguments exposés par la Commission au considérant 138 de la Décision l’ayant amenée à conclure que, aux fins de la Décision, l’ETA et Minoan doivent être considérées comme formant une seule et unique entité juridique et économique. Elle reproche à la Commission de lui avoir imputé sans exception toutes les actions et initiatives de l’ETA.

106
La requérante conteste qu’une telle imputation puisse être justifiée par référence à la jurisprudence concernant l’imputation du comportement de filiales aux sociétés mères (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission 48/69, Rec. p. 619, points 132 et 133, et du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 49), car cette jurisprudence se réfère à des filiales et non pas à des entreprises indépendantes ayant conclu des contrats de coopération. En outre, les arrêts cités par la Commission poseraient comme condition supplémentaire de l’imputation le fait que «la filiale, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère». Enfin, pour pouvoir procéder à une telle imputation de comportements, il ne suffirait pas de constater une possibilité d’influencer lesdits comportements, mais il faudrait prouver qu’il ait été effectivement fait usage de cette possibilité (voir arrêt AEG/Commission, précité, points 50 et suivants, et arrêt ICI/Commission, précité, points 135, 137, 138 et 141).

107
Or, selon la requérante, aucune des conditions rappelées ci-dessus n’est remplie en l’espèce, car l’ETA n’est pas une filiale de Minoan, laquelle, en conséquence, n’exerce aucune influence sur les organes d’administration de l’ETA, le seul lien existant entre ces deux sociétés découlant des stipulations des contrats qui délimitent clairement les droits et obligations de chacune des parties. En outre, même à supposer que les contrats correspondants lui ait fourni une possibilité d’exercer une certaine influence, la requérante n’aurait jamais fait usage de cette possibilité. Enfin, aucun élément du dossier ne ferait état du fait que Minoan ait influencé, par des actions positives concrètes, le comportement de l’ETA ou qu’elle lui ait donné des instructions, des directives ou des mandats précis. Au contraire, il montrerait que soit Minoan ignorait complètement certaines initiatives, soit elle était le destinataire passif d’informations partielles que l’ETA lui communiquait a posteriori.

108
La requérante en déduit que, dans ces conditions, la conclusion de la Commission selon laquelle «aux fins de la [...] Décision, ETA et Minoan sont considérées comme formant une seule et unique entité juridique et économique», pour justifier l’imputation de toutes les actions et initiatives de l’ETA à Minoan, est arbitraire, entachée d’une absence manifeste de motivation et ne trouve aucune base, ni dans les éléments du dossier ni dans la jurisprudence invoquée par la Commission.

109
La Commission ne met pas en doute le fait que l’ETA dispose d’une personnalité juridique autonome. Toutefois, elle fait valoir que, selon la jurisprudence, le fait qu’une société dispose d’une personnalité juridique distincte ne signifie pas qu’il soit impossible d’imputer son comportement à une autre société. Elle soutient que, en droit communautaire de la concurrence, il y a lieu d’appliquer une approche économique et non purement légale et que, en appliquant cette approche en l’espèce, elle a constaté que les actions et initiatives de l’ETA n’ont pas été engagées en son nom et pour son propre compte, mais au nom et pour le compte de Minoan.

110
En l’espèce, il ressortirait des clauses contenues dans les divers contrats régissant les relations entre l’ETA et la requérante ainsi que des déclarations de M. Sfinias sur lesdites relations que l’ETA disposait d’un pouvoir de représentation très étendu et qu’elle était mandatée et habilitée, non seulement aux fins d’organiser le réseau des agents locaux et de promouvoir la vente des billets pour les destinations étrangères, mais également, de manière plus générale, aux fins de gérer les navires sur les lignes internationales, de représenter la requérante et de veiller à toute question et à tout acte concernant les navires qu’elle gérait ainsi qu’aux fins de promouvoir leur exploitation au nom et pour le compte de la requérante. La Commission souligne qu’il ressort desdits contrats que l’ETA avait l’obligation contractuelle de recevoir des directives de la requérante [article IV, sous g, de ces contrats de gestion] et de s’efforcer, en collaborant systématiquement avec celle-ci, d’assurer la coopération entre cette dernière et d’autres sociétés, pour autant qu’elle en ait fait la demande [article II, sous 1, des contrats de gestion].

111
La Commission ajoute que, dans cet examen, il y a lieu d’établir une nette distinction entre l’obligation contractuelle de l’agent, qui permet à ce dernier d’agir pour le compte de la personne représentée selon ses instructions et sous son contrôle, et la capacité pratique de la personne représentée d’exercer le contrôle nécessaire du représentant. Ainsi, même s’il se vérifiait que la requérante était inexpérimentée dans le domaine de la navigation et que, par conséquent, elle n’était pas en mesure de donner à l’ETA certaines instructions techniques ou économiques spécialisées, cela n’enlèverait rien au fait que l’ETA remplissait son office en sa qualité de représentant et ce conformément à ses obligations découlant du contrat et de la loi, dans le cadre des instructions et des habilitations que lui donnait la requérante.

112
La Commission réfute l’allégation de la requérante selon laquelle l’ETA disposait d’une «autonomie étendue», dès lors qu’elle était tenue par contrat de ne pas assurer la représentation d’un autre armateur sur les mêmes lignes. Il ne résulterait pas des allégations de la requérante que l’ETA représentait une quelconque autre compagnie de navigation ou qu’elle faisait office d’agent sur le marché en question de cette dernière.

113
En outre, la Commission fait observer qu’il ne ressort pas des contrats – et que la requérante ne soutient pas – que l’ETA assumait quelque risque financier que ce soit lié à la prestation de services de transbordeurs rouliers (transports de passagers et de véhicules) entre la Grèce et l’Italie ou à l’exécution des contrats s’y rapportant conclus avec des tiers. Dès lors, en l’espèce, l’ETA ne devrait pas être considérée comme un négociant indépendant, mais comme un organe auxiliaire intégré dans l’entreprise de la requérante. En effet, il ressortirait des contrats passés entre la requérante et l’ETA que cette dernière s’était engagée, en tant qu’agent général exclusif de la requérante, à gérer les navires de cette dernière et, de manière plus générale, à veiller à toute question concernant ces navires en se faisant rémunérer pour ses services au moyen de pourcentages sur les ventes de billets.

114
Enfin, la Commission n’admet pas l’assertion de la requérante selon laquelle les initiatives prétendument prises «en dehors de la relation contractuelle» par l’ETA sont effectives, mais pas pour le compte de Minoan. Elle précise que le contrat conclu entre l’ETA et la requérante avait pour objet la gestion des navires de la requérante opérant sur les lignes internationales et que, dans ce contexte, l’énumération de certaines activités dans l’objet des contrats de gestion n’était pas limitative. Au contraire, il ressortirait des contrats conclus entre elles [article II, sous n)] que l’ETA était tenue, de manière plus générale, de veiller à toute question et à tout acte concernant les navires qu’elle gérait. Par conséquent, toute activité contribuant à atteindre l’objectif et à exécuter avec succès les contrats relevait bien du cadre de la relation contractuelle.

Appréciation du Tribunal

A – Considérations préalables

115
La question de l’imputabilité des agissements de l’ETA à la requérante est traitée aux considérants 136 à 138 de la Décision.

116
Au considérant 136 de la Décision, la Commission expose une série d’arguments pour réfuter l’allégation de la requérante selon laquelle plusieurs des agissements de l’ETA évoqués dans la Décision ne peuvent lui être imputés, car ils correspondent à des initiatives personnelles de l’ETA, qui débordaient du cadre des contrats conclus entre ces deux sociétés et qui n’avaient pas été approuvées par la requérante.

117
Au considérant 138 de la Décision, la Commission réfute l’argument de la requérante selon lequel l’ETA disposait d’un tel degré d’autonomie que sa conduite ne peut être imputée à son commettant et cite, en note en bas de page, la jurisprudence de la Cour concernant l’imputation des agissements de filiales à leurs sociétés mères (arrêts AEG/Commission, précité, point 49, et ICI/Commission, précité, points 132 et 133). Puis, la Commission conclut que, «aux fins de la [...] Décision, ETA et Minoan sont considérées comme formant une seule et unique entité juridique et économique».

118
La requérante fait valoir, dans sa requête, que la jurisprudence évoquée par la Commission n’est pas pertinente en l’espèce dans la mesure où l’ETA n’est pas une filiale de Minoan. La Commission, dans ses mémoires, se borne à indiquer les règles qu’elle considère applicables en l’espèce, citant notamment la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie/Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663) et la communication de la Commission relative aux contrats de représentation exclusive conclus avec des représentants de commerce (JO 1962, 139, p. 2921).

119
Or, il convient de préciser à titre liminaire que, en l’espèce, la Commission considère l’ETA comme étant le «bras droit» de la requérante, en tant que gestionnaire général des affaires de celle-ci sur les marchés en cause, et que, en réalité, elle ne soutient pas que les deux sociétés relevaient d’une même entité juridique, mais d’une même entité économique. Si les termes utilisés au considérant 138 sont ambigus en ce qu’ils semblent confondre les deux notions, il ressort d’une lecture d’ensemble des considérants 136 à 139 de la Décision et de la référence, dans la note de bas de page sous le considérant 138, à la jurisprudence concernant l’imputation des agissements de filiales à leurs sociétés mères que l’imputation des agissements de l’ETA à la requérante repose sur les principes régissant les rapports entre un intermédiaire et son «commettant» et sur la responsabilité de ce dernier pour les agissements du premier, interprétés à la lumière de la notion d’entité économique unique, généralement utilisée lorsqu’il s’agit d’analyser les comportements des entreprises sous l’optique du droit de la concurrence. Les arguments présentés par la Commission dans ses mémoires confirment cette interprétation.

120
C’est à la lumière de ces précisions qu’il y a lieu d’examiner si c’est à juste titre que la Décision a retenu que les agissements de l’ETA pouvaient être imputés à la requérante aux fins de l’application de l’article 85 du traité.

B – Sur l'imputation de responsabilités dans les rapports entre commettant et agent

121
Il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et arrêt du Tribunal du 29 juin 2000, DSG/Commission, T-234/95, Rec. p. II-2603, point 124).

122
Il a également été jugé qu’une telle entité économique consiste en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à commettre une infraction visée par l’article 85, paragraphe 1. C’est donc à bon droit que, lorsqu’un groupe de sociétés constitue une seule et même entreprise, la Commission impute la responsabilité d’une infraction commise par ladite entreprise et inflige une amende à la société responsable de l’action du groupe dans le cadre de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11/89, Rec. p. II-757, point 311).

123
La Cour a souligné que, aux fins de l’application des règles de concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, n’est pas déterminante, ce qui s’impose étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché (voir, en ce sens, arrêt ICI/Commission, précité, point 140).

124
Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise ou entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché.

125
La jurisprudence montre qu’une telle situation ne se limite pas à des cas où les sociétés entretiennent des relations de société mère à société filiale, mais vise, également, dans certains circonstances, les relations entre une société et son représentant de commerce ou entre un commettant et son commis. En effet, s’agissant d’appliquer les articles 85 et 86 du traité, la question de savoir si un commettant et son intermédiaire ou «représentant de commerce» forment une unité économique, le deuxième étant un organe auxiliaire intégré dans l’entreprise du premier, est importante aux fins de déterminer si un comportement relève du champ d’application d’un des deux articles. Ainsi, il a été jugé que «si un [...] intermédiaire exerce une activité au profit de son commettant, il peut en principe être considéré comme organe auxiliaire intégré dans l’entreprise de celui-ci, tenu de suivre les instructions du commettant et formant ainsi avec cette entreprise, à l’instar de l’employé de commerce, une unité économique» (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 480).

126
S’agissant de sociétés entretenant une relation verticale, comme celle existant entre un commettant et son agent ou intermédiaire, deux éléments ont été retenus comme paramètres de référence principaux dans la détermination de l’existence d’une unité économique: d’une part, la prise en charge ou non par l’intermédiaire d’un risque économique et, d’autre part, le caractère exclusif ou non des services fournis par l’intermédiaire.

127
S’agissant de la prise en charge du risque économique, la Cour a jugé, dans l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité (point 482), qu’un intermédiaire ne peut pas être considéré comme un organe auxiliaire intégré dans l’entreprise du commettant lorsque la convention passée avec ce dernier lui confère ou lui laisse des fonctions se rapprochant économiquement de celles d’un négociant indépendant, du fait qu’elle prévoit la prise en charge, par l’intermédiaire, des risques financiers liés à la vente ou à l’exécution des contrats conclus avec les tiers.

128
En ce qui concerne le caractère exclusif des services fournis par l’intermédiaire, la Cour a estimé que ne plaide pas en faveur de l’idée d’unité économique le fait que, parallèlement aux activités exercées pour le compte du commettant, l’intermédiaire se livre, en tant que négociant indépendant, à des transactions d’une ampleur considérable sur le marché du produit ou du service en cause (voir, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 544).

129
En l’espèce, il ressort des pièces figurant au dossier que les critères retenus par la jurisprudence pour considérer qu’un commis et son commettant forment une seule entité économique sont réunis, car l’ETA n’agissait sur le marché qu’au nom et pour le compte de Minoan et n’assumait pas les risques financiers liés à son activité économique. Enfin, il ressort également du dossier que les deux sociétés étaient perçues par les tiers et sur le marché en cause comme relevant d’une même et unique entité économique, à savoir Minoan.

130
Ces conclusions ressortent en particulier d’un examen des contrats de gestion conclus entre la requérante et l’ETA.

C – Sur les contrats de gestion

131
Le contrat de gestion de navires conclu entre la requérante et l’ETA le 24 juin 1991, qui reprend les termes des contrats antérieurs expose, dans son article II, les obligations assumées par le gérant, l’ETA. Cet article se lit comme suit:

«Pour atteindre l’objectif visé ci-dessus et en exécution du présent contrat, le gérant accepte les obligations suivantes:

a)
Il entretient un réseau étendu de bureaux collaborateurs organisés dans toute la Grèce (sauf en Crète, où le travail d’agence a été organisé par le propriétaire, mais avec un suivi comptable par le centre informatique du gérant); le gérant a le droit de désigner sous sa responsabilité des agents tant en Grèce qu’à l’étranger, d’une part, pour fournir les services portuaires au navire précité du propriétaire dans les ports de relâche et d’escale et pour tout le travail d’établissement et de délivrance des billets et connaissements et, d’autre part, pour fournir des services portuaires et autres pendant le transport de passagers et de véhicules.

b)
Il met à la disposition exclusive du propriétaire, et uniquement de ce dernier, le réseau de vente dont il dispose et il s’engage à ne représenter aucun autre propriétaire sur la ligne Ancône-Corfou-Céphalonie-Le Pirée-Paros-Héraklion.

c)
Il assure la perception en temps utile et le versement au propriétaire des recettes de fret sous toutes leurs formes et provenant de tout agent, à l’intérieur du pays ou à l’étranger; les frets en question sont versés dans un délai d’un mois à partir de l’exécution du trajet pour lequel ils ont été perçus.

Il est souligné que le produit net des frets est déposé au nom et sur le compte bancaire du propriétaire, qui a un droit exclusif à la fois sur les frets réalisés à l’étranger, en devises, et sur les frets réalisés à l’intérieur du pays, en drachmes.

Dans les deux cas, les dépôts sont effectués dans une banque indiquée par le propriétaire.

d)
Il assure l’organisation d’un service spécial de contrôle et d’une comptabilité générale afin d’assurer un bon déroulement des travaux, à partir de la délivrance et de la distribution des billets, connaissements, etc. jusqu’à l’apurement, de façon à garantir pleinement les intérêts du propriétaire, auxquels il remet une fois par mois les liquidations des billets et connaissements, pour que ce dernier puisse les contrôler.

e)
Il tient un service organisé de réservations (CRO) tant en Grèce qu’à Ancône en Italie; ce service est ouvert à la clientèle du propriétaire, tant en passagers qu’en véhicules (utilitaires et de tourisme), vers l’étranger comme vers la Grèce; il prend également soin de fournir tout service douanier ou portuaire ainsi que l’autorisation de transit pour Ancône-Corfou-Céphalonie-Le Pirée-Paros-Héraklion.

f)
Il organise des bureaux pour la prestation de services d’agences portuaires dans les ports d’Ancône, de Corfou, de Céphalonie, du Pirée et de Paros, en faisant en sorte de satisfaire les nécessités courantes et de répondre à tout besoin fonctionnel du navire.

g)
Il représente le propriétaire à l’intérieur et à l’étranger vis-à-vis des autorités portuaires et autres autorités étatiques, avec lesquelles il entretient les meilleures relations possibles afin de répondre de façon normale et constante aux besoins du navire.

h)
Il met tout en oeuvre pour l’embarquement et le débarquement des passagers et des véhicules ainsi que pour le chargement et le déchargement des marchandises, avec paiement de frais de transport ou pour l’utilisation du navire.

i)
Il prend en charge et répond de façon efficace à tout besoin du navire dans les ports d’Ancône, Corfou, Céphalonie, Le Pirée et Paros.

j)
Il représente également (si le propriétaire le lui demande sur la même ligne ou sur une autre ligne Grèce-Italie-Grèce) d’autres navires du propriétaire, à des conditions et suivant des modalités à préciser dans un contrat séparé.

k)
Il désigne sous sa responsabilité des agents (portuaires ou non) tant en Grèce qu’à l’étranger; il est responsable, vis-à-vis du propriétaire, pour le respect par les agents de l’étranger et de l’intérieur des obligations qui découlent de la gestion des frets du navire et il est tenu de mettre fin aux activités desdits agents en cas de raison grave ainsi que, bien entendu, si le propriétaire le lui demande par écrit.

l)
Il met tout en oeuvre en vue d’assurer (si le propriétaire le lui demande) la collaboration avec d’autres sociétés, en agissant toujours dans l’intérêt du propriétaire et en préservant les intérêts de ce dernier par une collaboration systématique avec lui; il suit, aux frais du propriétaire, les expositions et congrès touristiques et maritimes dans les pays et ports de relâche ou d’escale des navires (pour s’informer sur les développements en général dans le transport et la production de frets) et il se charge de l’organisation occasionnelle, à l’étranger et en Grèce, de congrès et séminaires d’agents généraux de l’étranger et d’autres producteurs adéquats, sous la supervision de l’administration du propriétaire, pour actualiser la politique générale et le planning d’exploitation, en vue de la protection et de la promotion de la société Minoan Lines.

Il est à observer que le produit des frets réalisés dans les bureaux établis en Crète ou sur le navire est porté au débit du propriétaire avec compensation à chaque apurement des comptes.

m)
Il veille à la production de toute sorte de frets en transports intérieurs ou vers l’étranger; il prend soin de toute question et opération concernant le navire qu’il gère; il prend en charge et liquide les opérations de perception et de paiement qui concernent le navire tant à l’étranger qu’à l’intérieur; il contrôle les comptes des agents en Grèce et à l’étranger ainsi que les mouvements sur les comptes de recettes en devises du navire.»

132
En premier lieu, il ressort du contenu de cet article II que c’est à juste titre que la Commission a estimé que la relation contractuelle existant entre l’ETA et la requérante remplissait la condition relative à l’exclusivité de la représentation. En outre, il n’est pas contesté que l’ETA n’assurait, dans la pratique, la représentation d’aucune autre société, tout au moins sur les lignes maritimes visées par la Décision. Le fait que l’ETA ait conclu un accord avec Strintzis afin d’assurer la représentation des navires de cette société, conformément au partenariat que ladite société et la requérante avaient décidé de mettre en oeuvre, n’est pas de nature à infirmer cette conclusion. En outre, la requérante n’a pas contesté l’affirmation de la Commission selon laquelle cette collaboration n’a pas été mise en pratique.

133
En second lieu, cet article du contrat confirme la thèse de la Commission selon laquelle l’ETA agissait pour le compte de la requérante sans assumer aucun risque économique, sa rémunération étant fixée en fonction du nombre de billets qu’elle vendait. À cet égard, il convient de souligner que la requérante n’a pas répondu à l’argument de la Commission, avancé dans son mémoire en défense, selon lequel il ne ressortirait pas des contrats que l’ETA assumait quelque risque financier que ce soit, qui aurait été lié à la prestation de services de transbordeurs rouliers entre la Grèce ou l’Italie ou à l’exécution des contrats s’y rapportant conclus avec les tiers.

134
En outre, comme l’a souligné la Commission au considérant 137 de la Décision, toutes les preuves écrites mettent en évidence le fait que M. Sfinias, représentant légal et directeur de l’ETA, a représenté la requérante en signant tous les télex et télécopies adressés aux autres sociétés au nom de la requérante. Ces pièces démontrent que c’est uniquement dans le cas où il s’adressait à la requérante en sa qualité d’agent que M. Sfinias faisait mention de l’ETA dans ses courriers.

135
De même, lorsque les autres sociétés répondaient à leur tour aux télécopies ou télex envoyés par M. Sfinias, elles n’adressaient pas leurs réponses à l’ETA, mais à «Minoan» ou à «Minoan Athènes», bien qu’elles adressaient leur documents destinés à Minoan à M. Sfinias, au numéro de télex de l’ETA. En outre, il résulte du contenu des télex et télécopies que les compagnies maritimes concurrentes de la requérante considéraient que les déclarations faites par M. Sfinias correspondaient bien à l’avis de leur concurrente, la requérante, circonstance qui n’est pas étonnante dans la mesure où M. Sfinias lui-même avait nourri cette idée en indiquant le nom de Minoan comme expéditeur des courriers qu’il envoyait depuis le bureau de l’ETA.

136
Dans ces circonstances, le fait que, dans les télex en question, le sigle ETA apparaît toujours (au début ou à la fin du document) n’est pas pertinent en l’espèce aux fins de déterminer l’expéditeur et le destinataire réel des courriers, contrairement à ce que prétend la requérante. En effet, les impressions du sigle ETA sur les télex auxquels la requérante fait référence sont faites automatiquement par les appareils de télex et n’indiquent que l’identité du propriétaire de la ligne téléphonique. Le fait que les autres entreprises participant à l’infraction considéraient le numéro de télex de l’ETA comme étant le numéro de contact de Minoan montre clairement que, pour ces entreprises, l’ETA n’était qu’un organe de Minoan. Ceci met en évidence le fait que les autres compagnies maritimes étaient persuadées du fait que l’ETA agissait pour le compte de la requérante et avec son autorisation, ce qui vient à l’appui de la conclusion selon laquelle l’ETA s’est comportée sur le marché comme un auxiliaire intégré dans l’entreprise de la requérante.

137
Enfin, le fait que la réponse du 20 novembre 1992 à une demande de renseignements adressée à la requérante par la Commission a été faite sur un papier à lettres indiquant comme adresse de Minoan une adresse qui, par la suite, s’est révélée être celle de l’ETA et que ladite lettre était signée par M. Sfinias, sous le logo de Minoan et sans indiquer que le signataire n’était pas un dirigeant de l’entreprise, mais son agent, confirme cette conclusion. En agissant de la sorte, la requérante a confirmé que l’ETA n’était qu’un organe auxiliaire en lui ordonnant de répondre aux demandes de renseignements que la Commission lui avait adressées à l’adresse qu’elle pensait être la sienne et qui, pourtant, s’est révélée être celle de l’ETA. Ceci est, par ailleurs, confirmé par le fait que la requérante, dans sa lettre de réponse à la Commission, n’a pas fait mention de la circonstance que c’était une autre société qui avait répondu aux demandes de renseignements ni des raisons pour lesquelles une société qui n’était pas le destinataire de la lettre de la Commission avait répondu à celle-ci. L’argument de la requérante selon lequel elle a ordonné à M. Sfinias de répondre en raison de la nature technique des renseignements demandés ne peut pas être accueilli dans la mesure où cette circonstance n’était pas de nature à empêcher la requérante de répondre personnellement. En tout état de cause, si la requérante avait eu des difficultés à comprendre les questions posées par la Commission ou à rassembler les données pour y répondre, la requérante aurait pu répondre personnellement à la demande de renseignements après avoir demandé à l’ETA de lui fournir les informations nécessaires.

138
Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a estimé que l’ETA devait être qualifiée de «bras droit» de la requérante et que les deux sociétés relevaient d’une même entité économique aux fins de l’application du droit de la concurrence et de l’imputation à la requérante des agissements de l’ETA retenus dans la Décision.

139
À l’encontre de cette constatation, la requérante ne saurait se prévaloir d’une prétendue méconnaissance des activités entreprises par l’ETA ni d’une absence d’autorisation ou d’approbation de sa part à l’ETA pour se lancer dans une coopération illégale.

140
Tout d’abord, il découle des clauses de l’article II du contrat de gestion de navires que l’ETA disposait d’un large pouvoir de représentation et qu’elle était habilitée à gérer les navires de la requérante sur les lignes internationales et obligée de veiller à toute question concernant ces navires, ce qui incluait, certainement, la détermination des tarifs à appliquer par la requérante sur les lignes internationales. Comme la requérante l’a elle-même souligné, l’ETA, en tant qu’agent général de la requérante, était compétente pour les questions ayant trait aux lignes internationales et aux passagers. Il s’ensuit que la matière qui fait l’objet des accords illégaux visés par la Décision, à savoir la détermination des tarifs internationaux, relevait bel et bien du domaine du mandat reçu par l’ETA et du cadre de sa relation contractuelle avec la requérante.

141
La requérante invoque la lettre du 14 septembre 1993, envoyée par l’ETA, pour tenter de démontrer qu’un certain nombre d’agissements de cette société ne découlaient pas du cadre contractuel existant entre les deux sociétés et en déduit que ces agissements ne peuvent pas lui être valablement imputés. Dans cette lettre, l’ETA distinguait les services fournis dans le cadre de la relation contractuelle et les prestations allant au-delà des obligations contractuelles. Toutefois, ce qui importe, c’est que lesdites prestations étaient bel et bien fournies pour la requérante et au nom de celle-ci. Or, parmi ces prestations, il y a lieu de noter ce que l’auteur de la lettre qualifie de «services» qu’elle aurait fournis à la requérante parmi lesquels figure «la paix tarifaire» qu’elle aurait réussi à instaurer avec une vingtaine de sociétés ou «[l]es tarifs [qu’elle a] toujours réussi à établir au plus grand avantage de Minoan». Il s’ensuit que cette lettre confirme le fait que l’ETA agissait dans tous les cas pour le compte de la requérante et notamment pour tout ce qui concerne les accords illégaux sur les tarifs.

142
En outre, il convient de constater que les arguments tirés de l’absence de connaissance et d’approbation des agissements de l’ETA sont contredits par les éléments de preuve figurant au dossier. L’argument selon lequel la requérante n’était pas au courant des collusions est démenti par le télex du 21 mai 1992, mentionné au considérant 30 de la Décision, et par les télex des 25 février et 27 mai 1992, lesquels montrent clairement que la requérante était informée des entretiens concernant les tarifs que l’ETA maintenait avec d’autres sociétés. Si, comme le fait valoir la requérante, le télex du 25 février 1992 ne démontre pas qu’elle avait ordonné à l’ETA d’ouvrir des négociations en matière tarifaire, il n’en reste pas moins qu’il met en évidence le fait que la requérante était au courant desdites négociations.

143
Pour ce qui est du télex du 21 mai 1992, il suffit de rappeler les termes employés par son auteur, l’ETA, pour s’adresser à la requérante:

«Nous vous informons qu’une conférence des représentants des compagnies maritimes de la ligne Patras-Ancône doit être organisée pour discuter de l’élaboration du nouveau tarif pour 1993.

Les principaux points de l’ordre du jour sont les suivants:

barème de la ligne de Triest

barème pour les véhicules de camping

rabais de groupe

révision des prix de la restauration 1992/1993

politique en matière de passage à la catégorie supérieure (upgrading)

commissions des agences de voyages et des agents centraux.

Nous vous informerons des développements à venir.»

144
S’agissant, ensuite, du télex du 27 mai 1992, l’ETA a informé la requérante du déroulement de la réunion, s’exprimant comme suit:

«Nous vous informons des propositions que nous avons faites à la réunion des quatre compagnies maritimes et qui ont été acceptées, hormis quelques distinctions mineures apportées par Karageorgis et Strintzis. Anek réserve sa position et nous fera parvenir sa réponse d’ici dix jours.

Augmentation générale de 3 % par rapport au barème de 1992 en marks allemands.

Le barème en drachmes sera établi sur la base du cours actuel du mark en drachmes tandis que les barèmes dans les autres devises européennes seront établis sur la base du taux de change de la drachme par rapport auxdites devises.

Augmentation de 6 % pour le tarif ‘pont’.

Augmentation de 30 % pour les véhicules de catégorie 4 et de 50 % pour les véhicules de catégorie 5 (ces augmentations intéressent particulièrement la société Minoan pour le navire Erotokritos).

Intégration des taxes portuaires, qui passent de 15 à 18 DM (pour compenser le versement de la commission), dans le prix du billet, afin d’éviter les problèmes qui se sont présentés à Igoumenitsa.

Adaptation immédiate du tarif pour les restaurants de 2 600 drachmes à 3 000 drachmes.

Augmentation immédiate de 5 % du tarif des véhicules utilitaires sur la ligne d’Ancône.

Augmentation immédiate de 20 % du tarif pour les véhicules utilitaires sur la ligne de Trieste par rapport au tarif applicable sur la ligne d’Ancône (les sociétés Karageorgis et Strintzis se limitent à 15 %).

Suppression immédiate du rabais de 20 % sur le tarif passagers qui était annoncé par Anek pour son navire Kydon II.

Fixation du tarif passagers et véhicules de tourisme sur la ligne de Trieste pour 1993 à un niveau supérieur de 20 % au tarif de la ligne d’Ancône (proposition de Minoan; les sociétés Karageorgis et Strintzis proposent 15 %).

Rabais de groupe: identiques à ceux de 1992.

Haute saison: Italie-Grèce: 26 juin-14 août 1993

Grèce-Italie: 29 juillet-9 septembre 1993.

Nous vous demandons de bien vouloir examiner les positions prises ci-dessus pour votre compte et nous donner votre approbation.

Nous vous informerons de tout nouveau développement, dès que nous aurons des nouvelles.»

145
Ces deux documents mettent en évidence le fait que l’ETA entretenait une politique d’information avec la requérante et, donc, que cette dernière était régulièrement mise au courant des agissements de l’ETA retenus dans la Décision, lesquels lui étaient manifestement favorables. Ceci est encore confirmé, par exemple, par le télex du 24 novembre 1993, par lequel l’ETA a informé la requérante de la conclusion d’un accord concernant le tarif pour les véhicules utilitaires, s’exprimant dans les termes suivants: «[...] à la réunion de ce jour, nous sommes parvenus à un accord.». La Commission pouvait déduire des termes de ce télex que la requérante savait que la réunion allait avoir lieu, puisque aucune explication n’est donnée à cet égard et qu’elle ne s’est pas opposée ni à la tenue de la réunion ni à la conclusion de l’accord. Enfin, et par ailleurs, il convient de rappeler que la requérante a reconnu avoir eu connaissance d’un certain nombre, au moins, de ces contacts, tout en soulignant que si elle ne s’y était pas opposée c’est parce qu’elle pensait que ces contacts étaient pris dans le cadre de la réglementation grecque et donc qu’elle n’y voyait rien de «particulièrement grave».

146
S’agissant, ensuite de l’argument de la requérante tiré d’une absence d’approbation de sa part des actes de l’ETA, ce qui empêcherait toute imputation de responsabilité, il suffit de rappeler que, dans le télex du 27 mai 1992, dont le contenu est exposé ci-dessus, l’ETA a demandé à la requérante de donner son approbation aux actes conclus pour son compte. La requérante ne saurait se prévaloir du fait que la Décision n’indique pas qu’elle ait effectivement donné son approbation, car, dans ces circonstances, il incombe à la requérante d’apporter la preuve qu’elle s’est opposée à ces contacts ou qu’elle a ordonné à l’ETA de revenir sur l’accord litigieux, preuve qu’elle n’a pas fournie. En réalité, il ressort du dossier que c’est seulement à l’issue des vérifications opérées par la Commission que la requérante a averti expressément l’ETA qu’il convenait d’éviter toute action qui ne serait entièrement légale et qui pourrait exposer la requérante à des sanctions.

147
Il résulte de ces considérations que la détermination des tarifs et des conditions applicables sur les navires de la requérante assurant les lignes internationales appartenait à la sphère d’activités de son agent, l’ETA, que la requérante était régulièrement informée des activités entreprises par son agent, y compris les contacts maintenus avec les autres sociétés pour lesquels son agent cherchait à obtenir une autorisation préalable ou a posteriori, et, enfin, que la requérante avait la possibilité et le pouvoir d’interdire que son agent entreprenne des actions déterminées, même si elle ne lesa exercés qu’après les vérifications de la Commission.

D – Conclusion

148
Il ressort de l’examen des télex échangés entre l’ETA et la requérante et entre l’ETA et les autres sociétés ayant participé à l’infraction, des réponses de la requérante aux demandes de renseignements de la Commission et des autres circonstances examinées ci-dessus que l’ETA agissait sur le marché vis-à-vis des tiers, clients, sous-agents et concurrents de la requérante en tant qu’organe auxiliaire de celle-ci et que ces deux sociétés formaient dès lors une seule et même unité économique ou entreprise aux fins de l’application de l’article 85 du traité. Dans ces circonstances, la Commission était en droit d’imputer à la requérante les comportements contraires à l’article 85 du traité sanctionnés dans la Décision et dans lesquels l’ETA a joué un rôle important.

149
Cette conclusion n’est pas affectée par le fait, invoqué par la requérante, que les deux sociétés avaient des intérêts divergents comme le montrerait le télex que l’ETA lui a envoyé le 26 mai 1994. Dans ce télex, l’ETA reprochait à Minoan le fait que, en continuant d’accorder des crédits à son bureau d’Héraklion, elle minait l’initiative de l’ETA visant à la conclusion d’un accord sur la ligne à destination de l’Italie. Le fait que les deux sociétés avaient des intérêts différents, voire opposés, concernant la question des commissions perçues par l’ETA sur les ventes des billets, tient aux rapports internes entre ces deux sociétés et ne modifie pas le fait que, dans les relations avec les tiers, l’ETA agissait toujours, pour ce qui est des accords en cause, au nom et pour le compte de la requérante. Comme la Commission l’a souligné, le fait constant que des oppositions portant sur le montant de la rémunération ou sur divers aspects de la coopération se manifestent au sein d’une entité économique n’est pas de nature à mettre en cause l’existence d’une telle entité aux fins de l’application de l’article 85 du traité.

150
Il résulte de tout ce qui précède que les griefs de la requérante relatifs à l’application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que les initiatives et actions de l’ETA lui ont été erronément imputées ne sont pas fondés.

151
Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son intégralité.

Sur le troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire et tiré d'une qualification erronée des faits de l'espèce d'accords interdits au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité

A – Sur la première branche, prise d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que les entreprises ne disposaient pas de l'autonomie exigée, leur comportement étant imposé par le cadre législatif et les incitations des autorités grecques

Arguments des parties

152
La requérante évoque les circonstances juridiques et géopolitiques très particulières entourant les faits de l’espèce qu’elle considère déterminantes pour expliquer le comportement des entreprises impliquées.

153
En premier lieu, la requérante souligne l’importance vitale que la Grèce accorde à la route maritime située entre la Grèce et l’Italie, en tant que seul lien direct avec les pays de l’Union européenne, et soutient que, pour cette raison, les services de transport fournis sur les lignes Grèce-Italie constituent des services d’intérêt public aux yeux des autorités grecques. En effet, la garantie du fonctionnement de ces lignes, sur une base permanente et régulière, aurait constitué et constituerait encore une priorité pour le gouvernement grec, comme cela ressortirait, par ailleurs, de la lettre du 17 mars 1995, envoyée à la Commission par le représentant permanent adjoint de la Grèce auprès des Communautés européennes.

154
En second lieu, la requérante expose les traits essentiels de la législation nationale applicable à la marine marchande en Grèce et de la politique suivie par le ministère de la Marine marchande grec.

155
Ainsi, elle rappelle que le transport maritime en Grèce est régi par le code de droit public maritime, le code de droit privé maritime et par d’autres réglementations particulières contenant des dispositions relatives à la concurrence déloyale dans les transports maritimes, dont en particulier la loi n° 4195/1929. En vertu de ces dispositions, l’activité des sociétés de transport maritime serait régie par un cadre législatif et réglementaire très strict, incluant une interdiction de toute concurrence déloyale. Enfin, la requérante tient à souligner que la loi n° 4195/1929 sur la concurrence déloyale ne concerne pas seulement le comportement des sociétés maritimes sur les lignes intérieures, mais vise également leur comportement sur les lignes à destination de l’étranger.

156
Ensuite, la requérante expose les traits principaux de la politique suivie par le ministère de la Marine marchande qu’elle estime pertinents pour comprendre le comportement des entreprises en l’espèce. Elle soutient que ce ministère prend toutes les mesures requises sur la base de la législation précitée en faisant usage de tous les pouvoirs que celle-ci lui confère. Ces mesures incluraient notamment: a) l’octroi de «licences d’exploitation» pour les lignes nationales, y compris pour la partie nationale des trajets internationaux; b) la ratification de tarifs uniformes et obligatoires pour les liaisons nationales ou pour la partie nationale des liaisons internationales, comme la section Patras-Igomenitsa-Corfou, ce qui se répercuterait forcément sur les tarifs applicables à la partie internationale du trajet; c) l’approbation annuelle des liaisons par décision ministérielle relevant des pouvoirs discrétionnaires du ministre compétent, qui, lorsque elle est accordée, entraînerait pour les sociétés l’obligation de respecter les liaisons approuvées, ce qui reviendrait à une répartition périodique des marchés par l’État; d) le contrôle de l’immobilisation des bateaux, afin de garantir la réalisation des liaisons obligatoires précitées, qui pourrait aller jusqu’à interdire l’immobilisation; l’éventuel dépassement de la période d’immobilisation accordée serait passible d’amendes; e) l’imposition de négociations obligatoires entre les sociétés maritimes afin de programmer et de coordonner les liaisons avant que les plans de route ne soient approuvés par le ministère de la Marine marchande pour l’année suivante, dans le cadre de nouvelles négociations entre ce ministère et les sociétés.

157
S’agissant plus particulièrement des lignes Grèce-Italie, l’importance vitale de ces voies de transport pour la Grèce et le besoin de favoriser le développement du tourisme vers ce pays auraient amené tous les gouvernements grecs à vouloir en garantir le fonctionnement sans entraves, sur une base régulière et permanente, avec des services d’une qualité aussi élevée que possible et à un coût aussi faible que possible.

158
La requérante soutient que ce cadre législatif et cette politique du ministère de la Marine marchande ont conduit à la création d’un climat qui non seulement favorisait, mais également imposait en substance des contacts, des concertations et des négociations relatives aux paramètres fondamentaux de la politique commerciale entre les sociétés maritimes. La requérante expose la manière dont, dans la pratique, les tarifs pour les lignes nationales étaient fixés par le ministère de la Marine marchande.

159
La requérante soutient que, compte tenu de cette pratique, les sociétés devaient se mettre d’accord non seulement sur les liaisons, mais également sur les tarifs applicables sur lignes nationales, afin de soumettre une proposition au ministère en vue de l’approbation desdits tarifs. Ceci expliquerait les contacts, concertations, échanges d’informations et «accords» sur les tarifs qui s’étendaient aux éventuels réajustements de ces tarifs, découlant de l’inflation et des constantes fluctuations du cours de la drachme grecque par rapport aux devises étrangères. Dans ce cadre, les échanges d’informations entre les sociétés maritimes seraient presque naturels et inéluctables, y compris s’agissant des tarifs appliqués sur l’ensemble du trajet, qui, dans le cas de la ligne Patras-Igoumenitsa-Corfou-Italie, concernaient tant la fraction purement nationale (Patras-Igoumenitsa-Corfou) que la partie internationale de la ligne, étant donné que les autres paramètres pour la fixation des tarifs nationaux sont également calculés non pas sur la base de la partie nationale des lignes, mais sur la ligne complète, ce qui répondrait d’ailleurs à la logique économique normale.

160
L’exactitude des affirmations précédentes serait confirmée par le contenu de la lettre du 17 mars 1995 du représentant permanent adjoint de la Grèce auprès des Communautés européennes, M. Vassilakis, à la Commission, de laquelle il ressortirait que la fixation administrative des tarifs pour la partie nationale des lignes correspondantes est un facteur ayant un impact sur les tarifs de la partie internationale des lignes Grèce-Italie, en ce que lesdits prix remplissent une fonction correspondant à celle de prix indicatifs. Un deuxième facteur serait constitué, aux termes de cette lettre, par les incitations que le ministère de la Marine marchande adresse aux sociétés maritimes pour que les tarifs appliqués à la partie internationale des lignes soient maintenus à un niveau peu élevé et pour que les augmentations annuelles ne dépassent pas le taux d’inflation. Le troisième facteur mentionné dans ladite lettre serait constitué par la législation grecque en matière de concurrence déloyale, en particulier par la loi n° 4195/1929, qui interdit l’application sur les lignes internationales de tarifs dérisoires et disproportionnés par rapport aux exigences de sécurité et de confort des passagers ainsi que toute réduction des prix par rapport aux tarifs généralement appliqués dans le port, tout en permettant au ministère de la Marine marchande d’intervenir en imposant des prix planchers et des prix plafonds. Enfin, la requérante fait valoir que le ministère de la Marine marchande peut en permanence inciter les sociétés maritimes à éviter toute forme de guerre commerciale entre elles, pour qu’il ne soit pas obligé d’intervenir et de faire usage des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi n° 4195/1929.

161
Par ailleurs, la requérante se réfère plus précisément à la façon dont la Décision (considérants 98 à 108) évoque le rôle joué par les pouvoirs publics grecs. Elle critique le fait que la Décision se limite à exposer les arguments des entreprises à ce sujet sans les examiner au fond. La Décision serait entachée d’une erreur grave en ce qui concerne l’appréciation des circonstances de fait, car la Commission aurait dû donner une importance particulière au concours simultané de l’ensemble des paramètres pertinents, à savoir le caractère d’intérêt public des services de transport fournis sur les lignes Grèce-Italie, l’établissement de tarifs uniformes et obligatoires pour les lignes internationales ou pour la partie intérieure des lignes internationales, la limitation des augmentations de tarifs sur les lignes internationales, l’interdiction de la concurrence déloyale par les prix résultant de la loi n° 4195/1929, les coûts fixes dus à la limitation de l’immobilisation des navires à deux mois, sauf cas de force majeure, ainsi que l’obligation d’employer des équipages composés exclusivement de ressortissants grecs, ou communautaires, qui sont protégés par les dispositions très strictes de la législation hellénique relative aux gens de mer, l’obligation de réserver un espace minimal aux véhicules utilitaires transportant des produits sensibles, comme les fruits et légumes frais, cette obligation se traduisant, en particulier en haute saison, par la perte des gains qui pourraient être obtenus si le même espace était affecté au transport de véhicules de tourisme, lesquels entraîneraient la présence d’un plus grand nombre de passagers et donc de recettes supplémentaires [voir point 18, sous d), du mémorandum confidentiel du 6 octobre 1994 adressé par Minoan à la Commission des Communautés européennes]. Or, d’une appréciation correcte de la lettre émanant de la Représentation permanente, la Commission aurait dû conclure que le cumul de l’ensemble des paramètres, expressément cités dans cette lettre, a un impact décisif sur l’autonomie des sociétés maritimes grecques dans la planification et la formation de leur politique de prix.

162
La requérante fait valoir que, compte tenu de ce cadre, en l’espèce, l’article 85, paragraphe 1, du traité n’est pas applicable, car l’«effet cumulatif» précité était la conséquence de mesures législatives et réglementaires qui, prises dans leur ensemble, limitent de façon décisive l’autonomie des sociétés maritimes, en particulier en ce qui concerne la formation de leurs tarifs sur la partie internationale des lignes Grèce-Italie. À cet égard, la requérante invoque en particulier l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, ainsi que l’arrêt de la Cour du 1er octobre 1987, Vlaamse Reisbureaus (311/85, Rec. p. 3801), dans lesquels la Cour aurait reconnu que certaines réglementations étatiques, et en particulier les dispositions en matière de concurrence déloyale, peuvent restreindre dans les faits la liberté d’entreprise des opérateurs soumis à ces réglementations.

163
La requérante ajoute qu’une autre conséquence importante de l’effet cumulatif des dispositions précitées est constituée par les distorsions de concurrence qu’il provoque, compte tenu du fait que seules certaines des sociétés opérant sur les lignes Grèce-Italie sont soumises à ce cadre réglementaire, à savoir les sociétés dont les navires battent pavillon grec et qui doivent dès lors être détentrices de la licence d’exploitation requise, dont l’octroi s’accompagne, comme dans le cas des navires de Minoan, de l’imposition d’une série d’obligations très lourdes. En revanche, les autres sociétés maritimes opérant également sur les lignes Grèce-Italie ne seraient pas soumises au cadre réglementaire précité et seraient, dès lors, absolument libres de programmer leur activité commerciale en se fondant sur le seul critère du gain.

164
Dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait que la requérante a participé directement aux contacts et négociations en cause, elle fait valoir que son comportement visait simplement à se conformer ou à créer l’impression de se conformer au cadre réglementaire existant en Grèce, caractérisé par l’imposition d’obligations positives aux entreprises, comme l’obligation de négocier en vue de la fixation des itinéraires et des tarifs intérieurs et d’obligations de ne pas faire, comme celle d’éviter tout acte de concurrence déloyale portant sur les prix. La requérante fait observer que le non-respect du cadre législatif et réglementaire était passible d’une série d’interventions étatiques, comme l’imposition par le ministère de la Marine marchande de prix planchers et de prix plafonds en cas de concurrence déloyale et de lourdes sanctions, alors que le non-respect des «accords» visés par la Décision ne pouvait aboutir à aucune sanction, car aucun mécanisme de contrainte n’avait été convenu entre les entreprises concernées.

165
Enfin, la requérante conteste que cette attitude de mise en conformité avec la réglementation en matière de concurrence déloyale puisse être considérée comme restrictive de la concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

166
Dans ces conditions, la requérante conclut que son comportement en l’espèce ne relève pas du champ d’application de l’article 85 du traité et que, en tout état de cause, si certains aspects accessoires de son comportement devaient être considérés comme relevant du champ d’application de cette disposition, l’infraction commise n’est pas grave, compte tenu du contexte juridique et économique dans lequel elle se trouve ainsi que de l’effet cumulatif des différents paramètres qui ont eu une incidence décisive sur son comportement.

167
La Commission conteste l’argument de la requérante selon lequel le cadre législatif et réglementaire découlant de la politique du ministère de la Marine marchande grec a eu pour effet cumulatif de limiter l’autonomie des entreprises visées par la Décision.

168
S’agissant, en premier lieu, du cadre législatif et réglementaire régissant le fonctionnement de la Marine marchande en Grèce, la Commission conteste certaines affirmations de la requérante sur sa portée et sur son influence sur le trafic international et estime nécessaire d’apporter quelques précisions importantes.

169
Tout d’abord, elle fait remarquer que l’octroi d’une licence d’exploitation, la fixation de tarifs obligatoires, l’approbation annuelle des trajets et le contrôle de l’immobilisation des navires par le ministère de la Marine marchande grec concernent les lignes nationales et non les lignes internationales.

170
Ensuite, la Commission fait valoir que ni la conclusion, entre les entreprises incriminées, d’accords visant à fixer les tarifs des lignes nationales ni la tenue de consultations et l’échange de données confidentielles entre les sociétés en cause au sujet des lignes nationales ne sont prévues par une disposition légale et que, en tout état de cause, même si le ministère de la Marine marchande grec favorisait, dans les faits, une telle pratique, celle-ci ne concernait que les lignes nationales.

171
La Commission se réfère par ailleurs à la nature des services de transports fournis sur les lignes Grèce-Italie et à leur qualification de «services d’intérêt public». Elle doute que la lettre du 17 mars 1995 du représentant permanent adjoint de la Grèce auprès des Communautés européennes puisse être analysée comme démontrant que les services de transports fournis sur les lignes Grèce-Italie doivent être qualifiés de «services d’intérêt public». Dans la mesure où, par une telle affirmation, la requérante prétendrait qu’elle aurait dû être considérée comme une entreprise «chargée de la gestion de services d’intérêt économique général» et, par conséquent, qu’elle ne serait soumise aux règles de la concurrence que dans la mesure où l’application de ces règles ne l’empêche pas, ni en droit ni en fait, de remplir la mission qui lui a été confiée, la Commission fait valoir que, dans les circonstances de l’espèce, les conditions d’application du concept d’«entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général» ne sont pas réunies. La Commission indique que ce concept doit être interprété de manière étroite, étant donné qu’il touche à une disposition permettant, dans certaines circonstances, de déroger aux règles du traité.

172
En outre, la Commission conteste l’argument selon lequel le concours cumulatif des paramètres évoqués, lesquels auraient prétendument influencé les tarifs applicables à la partie internationale des lignes Grèce-Italie, a limité l’autonomie des entreprises pour planifier et déterminer leur politique tarifaire. La Commission ajoute que, à supposer que l’influence des paramètres invoqués sur la fixation des tarifs en question soit avérée, elle serait, en tout état de cause, indirecte et partielle et ne permettrait pas de considérer que les entreprises étaient, en l’espèce, privées d’une certaine marge d’autonomie dans la définition de leur politique tarifaire. Elle invoque, à cet égard, la jurisprudence en vertu de laquelle les articles 85 et 86 du traité peuvent être appliqués s’il apparaît que la législation nationale laisse la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, limitée ou faussée par le comportement volontaire des entreprises (arrêt de la Cour du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, Rec. p. I-6265, point 34).

173
Il en découlerait que, pour pouvoir considérer qu’un comportement donné échappe à l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, les conditions suivantes devraient être réunies selon la jurisprudence: a) il doit y avoir une disposition réglementaire coercitive, susceptible d’affecter le fonctionnement de la concurrence à l’intérieur du marché commun et dans les échanges entre les États membres; b) la disposition réglementaire susvisée ne doit pas être liée à un comportement d’entreprises relevant de l’article 85, paragraphe 1, du traité; c) les entreprises doivent simplement observer ladite disposition réglementaire.

174
Or, la Commission estime que les conditions susmentionnées ne sont pas réunies en l’occurrence.

175
La Commission considère qu’il est établi que les entreprises visées par la Décision, dont la requérante, agissant de manière autonome en arrêtant les options de leur politique commerciale, avaient pour habitude de conclure entre elles des accords interdits ayant pour objet la fixation des tarifs applicables sur les lignes internationales, indépendamment du fait qu’elles aient pu tenir compte de la loi et des incitations du ministère de la Marine marchande grec.

Appréciation du Tribunal

176
Il ressort de la jurisprudence que les articles 85 et 86 du traité ne visent que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41/83, Rec. p. 873, points 18 à 20; du 19 mars 1991, France/Commission, C-202/88, Rec. p. I-1223, point 55; du 13 décembre 1991, GB-INNO-BM, C-18/88, Rec. I-5941, point 20, et Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 33). Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui, lui-même, élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, les articles 85 et 86 ne sont pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de la concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises (arrêt Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 33; arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, point 130, et du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, Rec. p. II-1807, point 58).

177
En revanche, les articles 85 et 86 du traité peuvent s’appliquer s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 126, et Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 34; arrêts du Tribunal Irish Sugar/Commission, précité, point 130, et Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, précité, point 59).

178
En outre, il convient de rappeler que la possibilité d’exclure un comportement anticoncurrentiel déterminé du champ d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, en raison du fait qu’il a été imposé aux entreprises en question par la législation nationale existante ou que celle-ci a éliminé toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, a été appliquée de manière restrictive par les juridictions communautaires (arrêts Van Landewyck e.a./Commission, précité, points 130 et 133; Italie/Commission, précité, point 19; arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, points 27 à 29; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, Rec. p. II-961, points 60 et 65, et Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, précité, point 60).

179
Ainsi, en l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d’autonomie dans le chef des opérateurs mis en cause que s’il apparaît sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l’exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 65).

180
En l’espèce, la thèse de la requérante consiste à soutenir que le cadre législatif et réglementaire existant en Grèce ainsi que la politique menée par le ministère de la Marine marchande grec ont limité de façon décisive l’autonomie des sociétés maritimes, en particulier en ce qui concerne la fixation des tarifs applicables tant sur les lignes nationales que sur la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie. Il en résulterait que les sociétés maritimes se sont vues obligées d’établir entre elles des contacts, des concertations et des négociations relatives aux paramètres fondamentaux de leur politique commerciale tels que les prix.

181
Dès lors, il convient de déterminer si les comportements reprochés en l’espèce trouvent leur origine dans la législation nationale ou dans la pratique des autorités nationales grecques ou s’ils relèvent, en revanche, au moins pour une part, de la volonté de la requérante et des autres entreprises ayant pris part aux accords. Il convient donc de déterminer si le cadre législatif et réglementaire ainsi que la politique du ministère de la Marine marchande grec ont eu pour effet cumulatif d’éliminer l’autonomie des entreprises quant à l’adoption de leur politique tarifaire sur les lignes Grèce-Italie et donc d’anéantir toute possibilité de se concurrencer entre elles.

182
La marine marchande en Grèce est régie par le code de droit public maritime, par le code de droit privé maritime et par d’autres réglementations particulières contenant des dispositions relatives à la concurrence déloyale dans les transports maritimes, dont en particulier la loi n° 4195/1929 sur la concurrence déloyale et la loi n° 703/1977, sur la libre concurrence, entrée en vigueur le 1er janvier 1979 dans la perspective de l’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes.

183
Exerçant les pouvoirs que la législation précitée lui confère, le ministère de la Marine marchande grec prend, notamment, les mesures suivantes: a) l’octroi de «licences d’exploitation» pour les lignes nationales, y compris pour la partie nationale des trajets internationaux; b) la ratification de tarifs uniformes et obligatoires pour les liaisons nationales ou pour la partie nationale des liaisons internationales, comme la section Patras-Igomenitsa-Corfou; c) l’approbation annuelle des liaisons; d) le contrôle de l’immobilisation des bateaux, afin de garantir la réalisation des liaisons obligatoires précitées; e) l’imposition de négociations obligatoires entre les sociétés maritimes afin de programmer et de coordonner les liaisons avant que les plans de route ne soient approuvés par le ministère de la Marine marchande pour l’année suivante, dans le cadre de nouvelles négociations entre ce ministère et les sociétés.

184
Il est constant entre les parties que l’octroi de licences d’exploitation, la fixation de tarifs obligatoires, l’approbation annuelle de trajets et le contrôle de l’immobilisation des navires par le ministère de la Marine marchande grec concernent les lignes maritimes nationales et non les lignes internationales. En outre, la Commission a précisé dans ses mémoires, sans être contredite par la requérante, que l’obligation d’effectuer des trajets réguliers, qui est liée à la licence d’exploitation, affecte uniquement les navires battant pavillon grec, qui assurent exclusivement des lignes nationales ou qui assurent des lignes internationales, mais alors uniquement pour ce qui concerne la partie nationale des trajets. De même, la Commission a signalé, sans être contredite sur ce point, que les entreprises étaient libres de choisir d’assurer des lignes internationales comprenant ou non une partie nationale, ou même seulement des lignes exclusivement nationales. Partant, si une entreprise avait choisi d’assurer des lignes internationales sans partie nationale elle n’avait pas besoin d’obtenir de licence d’exploitation ni de respecter les engagements qui l’accompagnent.

185
De même, aux fins de la fixation des tarifs pour les lignes nationales, le ministère de la Marine marchande demandait aux sociétés maritimes de lui faire des propositions globales pour chaque ligne nationale, en justifiant les montants proposés sur la base des coûts d’exploitation, de l’inflation, de la rentabilité des lignes, de la fréquence des trajets, etc. Ensuite, sur la base des tarifs proposés, de leur justification et d’autres critères plus généraux tenant à la politique gouvernementale globale, le ministère approuvait ou modifiait les propositions, après avis de la commission des prix et revenus près le ministère des Finances grec, approbation ou modification qui prenait, en fait, la forme d’une fixation des tarifs en question. La fixation administrative des tarifs pour la partie nationale des liaisons correspondantes aurait donc un impact sur les tarifs de la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie, en ce que lesdits tarifs remplissent une fonction correspondant à celle de prix indicatifs.

186
La législation grecque en matière de concurrence déloyale et en particulier l’article 2 de la loi n° 4195/1929 interdit, «pour les lignes à destination de l’étranger, toute réduction des tarifs de transport de passagers et de marchandises qui, opérée à des fins de concurrence déloyale, ramène les prix à des niveaux dérisoires et disproportionnés au regard d’une rétribution raisonnable et juste des services fournis et des exigences de la sécurité et du confort des passagers, ou à des niveaux inférieurs à ceux généralement appliqués dans le port en question». L’article 4 de la loi n° 4195/1929 dispose ce qui suit:

«Lorsque la liberté de fixation des tarifs sur les lignes à destination de l’étranger mène à une concurrence déloyale, le ministère de la Marine (direction de la marine marchande) peut, outre l’application des dispositions des articles précédents, fixer, après avis du conseil de la marine marchande, des limites inférieures et supérieures aux tarifs de transport de passagers et de marchandises pour les liaisons assurées entre les ports grecs et ceux de l’étranger sur des bateaux de transport de passagers grecs. Le dépassement de ces limites est interdit; les contrevenants sont passibles des sanctions fixées à l’article 3.»

187
En outre, il a été allégué que le ministère de la Marine marchande incitait les sociétés maritimes à fixer les tarifs applicables à la partie internationale des lignes à un niveau peu élevé et à éviter que les augmentations annuelles ne dépassent le taux d’inflation ainsi que toute forme de guerre commerciale entre elles, pour qu’il ne soit pas obligé d’intervenir et de faire usage des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi n° 4195/1929.

188
Dans sa lettre du 23 décembre 1994, évoquée au point 101 de la Décision, en réponse à la lettre de la Commission du 28 octobre 1994, le ministère de la Marine marchande s’est exprimé comme suit:

«[...]

En ce qui concerne le mémorandum présenté par Strintzis Lines, je n’ai pas de commentaires particuliers sauf une précision, à savoir que le ministère n’intervient pas dans la politique de fixation des tarifs suivie par les sociétés sur les liaisons internationales. Nous n’intervenons que dans la fixation des prix sur les liaisons entre ports grecs.

Comme je vous l’ai déjà expliqué lors de notre réunion de septembre, la Grèce considère le corridor maritime entre les ports de sa côte occidentale et les ports de la côte orientale de l’Italie comme étant de toute première importance à la fois pour notre pays et pour la Communauté, puisque c’est la seule liaison directe importante entre la Grèce et le reste de l’Union européenne.

Il est donc de notre intérêt national et de l’intérêt communautaire que les navires opèrent pendant toute l’année entre la Grèce et l’Italie, pour faciliter nos importations et nos exportations ainsi que le trafic de passagers. D’autre part, vous comprendrez qu’il est de notre intérêt que les tarifs appliqués soient compétitifs, mais également fixés de telle sorte que le prix du transport reste peu élevé, pour que nos importations et nos exportations restent compétitives sur les marchés européens.

Pour en venir à la question spécifique que vous m’avez posée, je dois dire que je n’ai rien vu dans le mémorandum de Strintzis qui pourrait m’amener à cette conclusion.

Je suis sûr qu’il y a un malentendu. Il est impensable et il est absolument hors de question que le ministère menace de retirer des licences d’exploitation pour des liaisons entre ports nationaux lorsque des sociétés refusent de se mettre d’accord sur les prix pour les liaisons internationales.

Comme la législation pertinente ci-jointe vous le montrera, la licence d’exploitation accordée par le ministère pour les liaisons intérieures entraîne l’imposition de certaines obligations (dessertes pendant toute l’année, fréquence des trajets, etc.); si ces obligations ne sont pas respectées, le ministère a le droit de retirer la licence. De surcroît, les tarifs sont déterminés par une décision ministérielle prise à intervalles périodiques. Cette législation spécifique affecte les navires des sociétés pourvues de licences d’exploitation pour la partie nationale du trajet entre la Grèce et l’Italie (Patras-Igoumenitsa-Corfou) [...]»

189
De même, par lettre du 17 mars 1995, évoquée au point 103 de la Décision, en réponse à une lettre de la Commission du 13 janvier 1995, le représentant permanent adjoint de la République hellénique auprès des Communautés européennes s’est exprimé comme suit:

«1. Le gouvernement hellénique accorde une grande importance à un développement sans heurts de la route maritime qui lie les ports de la Grèce occidentale (principalement Patras, Igoumenitsa et Corfou) aux ports italiens d’Ancône, de Bari, de Brindisi et de Trieste.

[...]

Les liaisons régulières et ininterrompues, pendant toute l’année, à partir des ports grecs vers les ports italiens et inversement, sont un facteur d’importance décisive pour faciliter et assurer le développement des importations et des exportations grecques, qui par extension affecte également le commerce communautaire dans son ensemble.

L’intérêt du gouvernement hellénique, et plus particulièrement du ministère de la Marine marchande, chargé de l’élaboration de la politique nationale pour les transports maritimes, est donc orienté vers la préservation du fonctionnement normal de la ligne Grèce-Italie.

Ainsi, les services offerts sur cette ligne sont qualifiés par nous de services d’intérêt public pour notre pays. Dans ces conditions, vous comprendrez qu’une préoccupation fondamentale du gouvernement grec est d’assurer la viabilité de cette ligne en évitant par tous les moyens une guerre des prix qui pourrait entraver la marche normale de notre commerce d’importation et d’exportation, mais également le trafic normal en véhicules et en passagers. Nous répétons que notre principal souci est d’assurer la circulation sur cette ligne maritime pendant toute l’année et d’éviter que le flux ne se tarisse à cause d’une guerre des prix.

2. Partant de ces constatations et des positions adoptées en conséquence, les directions compétentes du ministère grec de la Marine marchande ont adopté des décisions afin de réglementer de la façon la plus adéquate le problème du trafic normal des véhicules, en fonction de la période correspondante de l’année. Des mesures ont donc été prises pour qu’un certain nombre de places soit toujours réservé sur les navires de transport de passagers et de véhicules aux véhicules utilitaires de transport de marchandises et que le garage des navires ne soit pas rempli uniquement de véhicules de tourisme, en particulier pendant les mois d’été où le trafic de passagers est plus élevé. Il a été rendu ainsi possible de maintenir le flux des marchandises et d’assurer un approvisionnement normal des marchés.

Il est également pris soin de respecter très strictement les plans de route des navires, afin d’éviter les retards, mais également pour pouvoir réglementer des questions comme la présence de sites appropriés d’accueil des navires dans les ports de destination, afin de garantir leur sécurité et d’améliorer le service des passagers et des véhicules transportés.

3. Concernant les frets appliqués par les sociétés d’armement, nous précisons que l’implication du ministère de la Marine marchande, en tant qu’administration responsable du contrôle de la marine, en ce qui concerne les frets des liaisons côtières, se limite à la fixation des prix pour les seules opérations de cabotage interne. Nous précisons que, sur les lignes internationales, même dans les cas où le trajet comporte des escales dans des ports grecs (par exemple Patras-Corfou-Ancône), si la portion de trajet comprise entre les ports grecs est soumise à un barème agréé, les prix sur le trajet entre la Grèce et l’Italie sont fixés librement par les sociétés qui exploitent la ligne. Dans ce cas, il est vrai que le prix total du billet à destination finale de l’Italie est influencé – indirectement et partiellement, cela va de soi – par le tarif fixé par l’État pour la partie du transport qui est interne à la Grèce.

Par ailleurs, en ce qui concerne les tarifs des voyages vers l’étranger – qui sont libres, comme nous l’avons dit – le ministère de la Marine marchande incite les sociétés maritimes à se maintenir à un niveau peu élevé et concurrentiel et à éviter en tout état de cause que les augmentations annuelles ne dépassent les limites de l’inflation. En effet, nos intérêts nationaux imposent que notre commerce à l’exportation se maintienne à un niveau concurrentiel, et que nos importations restent aussi bon marché que possible. À partir de là, les sociétés ont le droit de fixer leurs tarifs suivant leurs propres critères commerciaux et économiques.

Cette liberté est limitée par la législation hellénique si elle conduit à une concurrence déloyale. Plus concrètement, la loi n° 4195/1929 (copie ci-jointe) vise à éviter la concurrence déloyale entre sociétés d’armement qui exploitent des lignes entre la Grèce et l’étranger en interdisant notamment les tarifs dérisoires, le départ simultané à partir du même port de deux ou plusieurs navires desservant la même ligne et le non-respect de la desserte annoncée (à l’exception de certains cas de force majeure – article 3). Lorsqu’il y a concurrence déloyale, le ministère de la Marine marchande a la possibilité de fixer des tarifs planchers et des tarifs plafonds (article 4). Dans ce cadre, il incite informellement les sociétés à maintenir leurs tarifs à des niveaux peu élevés et à éviter que les augmentations annuelles ne dépassent le niveau de l’inflation.

4. Les observations ci-dessus nous ont semblé nécessaires pour montrer que la ligne maritime Patras-Italie, créée par l’initiative privée sans aucune aide de l’État, doit continuer de fonctionner sans interruption pour que les navires qui y opèrent fournissent les services d’intérêt public, comme nous les appelons pour notre pays, car cette liaison maritime est le seul lien direct avec les pays de l’Union européenne.

5. Enfin, nous observons que le cadre juridique relatif à l’octroi et au retrait des licences d’exploitation qui, relevons-le, ne s’appliquent qu’aux liaisons internes à la Grèce, prévoit que, lorsque la société ne respecte pas les obligations indiquées dans la licence d’exploitation qui lui a été accordée (par exemple, exécution sans faille des liaisons annoncées, période annuelle d’immobilisation, respect de la fréquence des trajets), le ministère de la Marine marchande a la possibilité de retirer cette licence d’exploitation.»

190
Si ces deux courriers des autorités grecques soulignent que le bon fonctionnement et la régularité des lignes maritimes reliant la Grèce à l’Italie est une question d’importance nationale, ils confirment le fait que la conclusion d’accords visant à fixer les tarifs applicables sur les lignes internationales n’est imposée ni par la législation applicable en Grèce ni par la politique mise en oeuvre par les autorités grecques.

191
Certes, il ressort des précisions faites à la Commission par les autorités grecques qu’une de leurs préoccupations principales était d’assurer la régularité des liaisons maritimes avec l’Italie pendant toute l’année et qu’elles craignaient les effets nuisibles que des actes de concurrence déloyale pouvaient déclencher, telle une éventuelle guerre de prix. Il est également constant que, pour éviter de tels actes, la loi offre au ministère de la Marine marchande les pouvoirs de fixer des tarifs planchers et des tarifs plafonds. Mais, il n’en reste pas moins qu’aucune concertation sur les prix ne serait légitime, même dans un tel cas de figure, car chaque entreprise resterait libre de décider ses prix, de manière autonome, dans les limites des planchers supérieur et inférieur en question. En outre, les précisions contenues dans les lettres examinées ci-dessus confirment que les prix sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie sont fixés librement par les sociétés qui exploitent lesdites lignes. En outre, il ressort également de manière incontestable de ces déclarations que, afin d’assurer la compétitivité des exportations helléniques et le caractère raisonnable des prix des importations dans ce pays, le ministère de la Marine marchande a incité les sociétés maritimes non pas à augmenter les prix en concertation avec elles, mais uniquement à maintenir leurs prix à un niveau peu élevé et concurrentiel et à éviter, en tout état de cause, que les augmentations annuelles ne dépassent les limites de l’inflation.

192
Il s’ensuit que chacune des sociétés maritimes assurant lesdites lignes jouissait d’une autonomie notoire dans la détermination de sa politique de prix et que, dès lors, ces sociétés ont toujours été soumises aux règles de la concurrence. Ces lettres mettent en évidence le fait que, pour les autorités grecques, la pleine application des règles de concurrence et, donc, de l’interdiction des accords sur les prix découlant de l’article 85, paragraphe 1, du traité n’empêchait pas les compagnies maritimes, ni en droit ni en fait, de remplir la mission qui leur avait été confiée par le gouvernement grec. Dès lors, le fait que, dans sa lettre du 17 mars 1995, la représentation permanente de la République hellénique qualifie la liaison entre la Grèce et l’Italie de «services d’intérêt public» est sans pertinence aux fins de l’application de l’article 85 du traité. Pour des raisons identiques, il n’est pas nécessaire d’examiner si c’est à juste titre que la Commission conteste l’argument selon lequel les entreprises concernées par la Décision doivent être considérées en droit communautaire comme des «entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général», au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE).

193
Les informations contenues dans les lettres en question confirment que la requérante ne saurait se prévaloir d’un prétendu concours cumulatif de paramètres ayant influencé les tarifs applicables à la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie et qui aurait eu pour effet de limiter l’autonomie des entreprises pour planifier et déterminer leur politique tarifaire. Elles confirment que le ministère de la Marine marchande grec ne s’immisçait dans la politique de fixation des tarifs, appliquée par les compagnies sur les lignes internationales, que pour les inciter informellement à maintenir leurs tarifs à des niveaux peu élevés et à éviter que les augmentations annuelles des tarifs ne dépassent le niveau de l’inflation. Face à une telle attitude des autorités grecques, la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises subsistait de manière évidente sur le marché.

194
Il y a lieu d’ajouter que la loi n° 4195/1929 ne comporte pas d’interdiction de réduction des tarifs applicables sur les lignes internationales. Si cette loi, qui a pour but d’éviter toute concurrence déloyale entre les sociétés d’armateurs qui opèrent sur des lignes reliant des ports grecs à des ports étrangers, interdit notamment la réduction des tarifs à des niveaux dérisoires, l’appareillage simultané au départ d’un même port de deux navires ou plus effectuant la même liaison et la non-exécution du trajet annoncé, à l’exception des cas de force majeure (article 2), elle ne prive pas les entreprises incriminées de «toute marge d’autonomie». Au contraire, elle confirme que chaque entreprise est, en principe, libre de déterminer sa politique tarifaire comme elle le souhaite, pour autant qu’elle n’adopte aucun acte de concurrence déloyale. L’interdiction d’actes de concurrence déloyale ne saurait nullement être interprétée comme imposant aux entreprises en question de conclure des accords ayant pour objet la fixation des tarifs applicables sur les lignes internationales. En l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la requérante ne saurait se prévaloir d’une absence d’autonomie dans son chef qu’en invoquant des indices objectifs, pertinents et concordants établissant que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités grecques par l’exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes.

195
Or, les indications contenues dans les lettres des autorités grecques, mentionnées ci-dessus, démontrent que celles-ci n’ont nullement adopté de mesure ou mis en oeuvre une pratique qualifiable de «pression irrésistible» sur les entreprises maritimes pour qu’elles concluent des accords portant sur les tarifs. Il s’ensuit que la requérante ne saurait prétendre que les entreprises en cause étaient privées de tout marge d’autonomie lors de la définition de leur politique tarifaire et que le comportement anticoncurrentiel reproché par la Commission leur a été imposé par la législation nationale existante ou par la politique mise en oeuvre par les autorités grecques.

196
S’agissant de l’incitation du ministère de la Marine marchande visant à maintenir des tarifs peu élevés sur les lignes internationales et à ne pas dépasser les limites de l’inflation à l’occasion des augmentations annuelles desdits tarifs, si la lettre du ministère de la Marine marchande se réfère à une «incitation» informelle, elle n’évoque aucunement une «imposition unilatérale» de sa part. Partant, les sociétés avaient la possibilité de contester l’incitation informelle en question, sans s’exposer, pour cette raison, à la menace de l’adoption de quelque mesure étatique que ce soit. Au demeurant, le ministère grec exclut formellement qu’il puisse menacer de retirer les licences d’exploitation pour les lignes nationales si les sociétés n’arrivaient pas à un accord sur les tarifs applicables aux lignes internationales, comme cela ressortirait de sa lettre datée du 23 décembre 1994.

197
S’agissant du paramètre pris de la capacité du ministère de la Marine marchande grec, en vertu des dispositions de la loi n° 4195/1929, de fixer, en cas de concurrence déloyale, des prix planchers et des prix plafonds aux fins d’éviter une guerre des prix, il y a lieu de constater que ladite loi ne prive pas les entreprises incriminées de «toute marge d’autonomie», mais qu’elle leur donne une certaine liberté dans la détermination de leur politique tarifaire pour autant qu’elles ne commettent pas d’actes de concurrence déloyale. En effet, selon l’article 4 de cette loi, le ministère de la Marine marchande n’a le droit de fixer les limites inférieure et supérieure des tarifs en question que dans le cas où la liberté dont jouissent les entreprises pour fixer de manière autonome les tarifs des lignes à destination de l’étranger aboutit à des actes de concurrence déloyale.

198
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche de ce moyen comme non fondée.

B – Sur la deuxième branche, prise d'une qualification erronée des contacts entre les entreprises incriminées d'accords interdits par l'article 85, paragraphe 1, du traité

Arguments des parties

199
La requérante conteste la qualification juridique faite par la Commission des contacts entretenus par les entreprises en cause. Elle fait valoir que, si les auteurs des documents invoqués par la Commission emploient souvent les termes «accord», «convenu» ou «nous sommes d’accord», il ne s’agirait cependant ni d’accords au sens strict ni d’accords au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, car ils n’avaient en aucun cas d’effet obligatoire et n’étaient pas accompagnés de mécanismes de contrainte. Ces «accords» viseraient plutôt à confirmer l’existence d’un cadre général de comportements qui, selon la requérante, était en tout état de cause imposé aux entreprises par la réglementation applicable à la navigation maritime et par la politique du ministère de la Marine marchande. Or, la requérante tient à préciser que la décision de chaque société maritime de s’écarter ou non de ce cadre était de sa responsabilité exclusive et dépendait de ses choix et appréciations générales quant aux conséquences d’un éventuel écart. La sanction éventuelle d’un tel écart ne pouvant provenir que des autorités étatiques compétentes, le risque était, selon la requérante, que les autres sociétés dénoncent la violation de ce cadre aux autorités compétentes ou qu’elles s’en écartent elles-mêmes, ce qui aurait probablement entraîné une guerre commerciale, en raison du cercle vicieux découlant des baisses de prix successives, susceptible de déclencher l’intervention de l’autorité de tutelle, à savoir le ministère de la Marine marchande, traditionnellement opposée à de telles pratiques.

200
La requérante tient à préciser l’objet et l’étendue des «accords» susmentionnés. Elle souligne qu’ils n’avaient pour objet que les tarifs publiés des lignes internationales. En particulier, lesdits accords n’auraient pas visé l’organisation du réseau commercial, les commissions dues aux agents et aux bureaux de voyage, la politique de crédit des sociétés à l’égard de leurs clients, la politique publicitaire, les prix des services et biens offerts sur les navires (nourriture, boissons, duty free etc.), la politique en matière de surclassements, les remises accordées ad hoc sur les tarifs publiés, car les autres sociétés et le ministère de la Marine marchande grec avaient assez difficilement connaissance de ces remises, ainsi que les remises sur les tarifs appliqués aux véhicules utilitaires, car ces tarifs ne sont pas publiés. Enfin, la requérante soutient que ces facteurs essentiels affaiblissaient encore plus les «accords» sur les tarifs, dont la portée était de toute façon limitée.

201
La requérante ajoute que les «accords» visés dans la Décision n’étaient pas appliqués dans la pratique. Elle soutient s’être efforcée d’utiliser dans la mesure du possible les faibles marges de manoeuvre qui lui étaient offertes dans la fixation de ses tarifs et, à cette fin, d’avoir appliqué, en particulier sur les lignes Grèce-Italie, des remises significatives sur les tarifs publiés, lorsque les circonstances économiques le lui permettaient et dans le cadre d’accords spécifiques conclus avec ses clients, directement ou par l’intermédiaire de ses agents, mais en évitant cependant toute publicité, afin de ne pas être exposée à des plaintes de la part de ses concurrents ou à des pressions directes ou indirectes de l’autorité de tutelle, à savoir le ministère de la Marine marchande.

202
La requérante se réfère plus particulièrement aux différentes «infractions» évoquées dans la Décision, année par année, invoquant une série de considérations en vue de démontrer que la Commission a mal qualifié les faits en considérant à tort qu’ils relevaient de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

203
La Commission soutient que les éléments de preuve qu’elle expose en détail aux considérants 8 à 42 de la Décision démontrent que le comportement des entreprises incriminées, parmi lesquelles figure la requérante, relève bien d’un «accord entre entreprises» au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité (voir considérants 97 à 174 de la Décision).

Appréciation du Tribunal

1. Considérations générales

204
Tout d’abord, il convient de rappeler que, comme il a été jugé dans le cadre de l’examen du moyen précédent, dans les circonstances de l’espèce, la requérante ne saurait se prévaloir du cadre législatif et réglementaire existant dans le secteur de la marine marchande en Grèce pour tenter d’éviter l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité aux comportements visés dans la Décision.

205
Il y a donc lieu d’examiner si c’est à juste titre que la Commission a qualifié les comportements visés dans la Décision d’accords interdits par cette disposition.

206
Les éléments de preuve relatifs à l’existence et à l’étendue des ententes sur les tarifs internationaux entre les entreprises incriminées sont exposés en détail aux considérants 8 à 42 de la Décision. Il convient de noter, tout d’abord, qu’il ressort du considérant 169 de la Décision que l’existence même des contacts, discussions et réunions repérés dans lesdits considérants de la Décision aurait été admise par la requérante, qui, comme les autres entreprises incriminées, n’aurait pas contesté les éléments de fait exposés par la Commission dans sa communication des griefs lors de la procédure administrative, circonstance qui a justifié une réduction substantielle de l’amende infligée.

207
Ensuite, il y a lieu de constater que la qualification de ces comportements d’accords au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité ne saurait être mise en question par l’allégation selon laquelle les accords n’avaient pas d’effet obligatoire et n’étaient pas accompagnés de mécanismes de contrainte en vue de leur application. En effet, pour qu’il y ait accord au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises concernées aient manifesté leur volonté commune de se comporter d’une manière déterminée sur le marché (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 65, et jurisprudence citée). Comme le rappelle la Commission, même un «gentlemen’s agreement» est constitutif d’un accord au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, points 95 et 96, et jurisprudence citée).

208
Il en va de même pour ce qui est de l’argument de la requérante selon lequel les accords n’étaient pas appliqués dans la pratique. En effet, le fait qu’un accord ayant pour objet la limitation de la concurrence n’ait pas été appliqué ou suivi ne suffit pas, selon une jurisprudence constante, pour considérer qu’il échappe à l’interdiction visée à l’article 85, paragraphe 1, du traité, puisque c’est la participation à des négociations visant à limiter la concurrence qui est constitutive d’infraction et ce même si les termes de l’accord ne sont pas exécutés (voir, en ce sens, arrêt Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 135). En outre, il y a lieu d’observer que, dans la détermination du montant de l’amende, la Commission a accepté le fait que l’infraction n’a eu qu’un effet réel limité sur le marché et a retenu l’argument des entreprises concernées selon lequel elles n’ont pas appliqué intégralement tous les accords spécifiques sur les prix (considérant 148 de la Décision). Dès lors, l’argument invoqué par la requérante pour tenter de démontrer que les accords ne relevaient pas de l’article 85, paragraphe 1, du traité, tiré d’un prétendu défaut d’application effective des accords, doit être rejeté, sans qu’il soit besoin d’examiner si, comme le soutient la Commission, ils ont été en réalité largement mis en oeuvre par elle.

209
Enfin, le fait que les compagnies maritimes en cause se faisaient une certaine concurrence sur d’autres paramètres, tels que les remises, la politique de crédit, les services fournis à bord des navires, etc., n’est pas pertinent quant à la question de savoir si l’article 85, paragraphe 1, du traité est applicable aux faits de l’espèce, car il est évident que ladite concurrence était conditionnée et donc limitée par l’accord portant sur le niveau des tarifs publiés ou sur l’objectif à partir duquel les réductions et remises pouvaient être accordées. Dans ces circonstances, le fait que les sociétés incriminées se concurrençaient sur d’autres paramètres que les tarifs ne saurait être pertinent que dans le cadre de la détermination du montant de l’amende. Or, comme la Commission l’a souligné, il ressort des considérants 148 et 162 de la Décision que la Commission a tenu compte d’une telle circonstance lors de l’évaluation de la gravité de l’infraction, de l’appréciation des circonstances atténuantes et, en définitive, de la réduction de l’amende.

210
Eu égard à tout ce qui précède, cette branche doit être rejetée.

211
Cette conclusion ne saurait être infirmée par les nombreuses considérations évoquées par la requérante pour expliquer ou nuancer la manière dont, d’après elle, les comportements signalés dans la Décision doivent être compris et interprétés. Si, par ces considérations, elle ne conteste pas de manière explicite la réalité desdits comportements, il convient toutefois de les examiner dans la mesure où elles visent à mettre en doute la qualification des faits d’entente interdite et, donc, les preuves recueillies par la Commission à l’égard de la requérante.

212
L’examen de ces considérations implique une analyse approfondie des éléments de preuve retenus dans la Décision (considérants 8 à 42).

2. Sur la preuve de l'entente sanctionnée en l'espèce

213
Le dispositif de la Décision indique que la Commission a sanctionné deux infractions: d’une part, la requérante, Anek, Karageorgis, Marlines et Strintzis auraient enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité en s’accordant sur les prix à appliquer aux services de transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône; d’autre part, la requérante, Anek, Karageorgis, Adriatica, Ventouris et Strintzis auraient enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité en s’accordant sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes de Patras à Bari et à Brindisi.

214
En l’espèce, il ressort de façon évidente du libellé des passages des documents figurant au dossier et reproduits dans la Décision qu’un concours de volontés sur la mise en oeuvre d’une politique commune de prix pour les divers services fournis s’est produit entre les compagnies maritimes assurant la ligne Patras-Ancône, depuis juillet 1987 au moins.

215
Ces pièces montrent que ces compagnies ont entrepris des négociations directes et régulières visant à fixer les tarifs «passagers» et «fret» qui avaient lieu chaque année en vue de définir les niveaux tarifaires pour l’année suivante et de manière ponctuelle dans le but de réagir à des problèmes survenant en cours d’année.

216
Un tel concours de volontés constitue un accord au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, comme interprété par le juge communautaire, puisque, pour qu’un accord au sens de cette disposition existe, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112; Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86; du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 130; arrêts du Tribunal Tréfileurope/Commission, précité, point 95, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, point 958).

217
Il convient à cet égard d’examiner la portée littérale des passages suivants de quelques documents figurant dans le dossier.

218
Dans un télex envoyé le 15 mars 1989 à Anek, la requérante s’est exprimée comme suit:

«Nous regrettons que votre refus d’accepter entièrement les propositions que nous avons faites dans notre (message) précédent, pour le moment en tout cas, empêche la conclusion d’un accord plus vaste qui serait extrêmement avantageux pour nos compagnies [...] Nous parlons, bien entendu, de votre refus d’accepter nos propositions concernant la définition d’une politique tarifaire commune pour la ligne Patras-Ancône, et nous vous prions de bien vouloir comprendre les remarques exposées ci-après qui constituent une réponse à votre point de vue selon lequel vous ne pouvez accepter le tarif 1989 en vigueur pour les véhicules utilitaires et que la politique tarifaire pour l’année 1990 qui approche ne peut être définie dans l’immédiat.

[...]

Ces trois derniers mois, sur cette ligne-là, deux réajustements des tarifs concernant les véhicules utilitaires ont été convenus d’un commun accord par tous les armateurs exploitant la ligne Patras-Ancône, soit un total de 40 %, et n’ont assurément causé aucune agitation ni difficulté avec nos collègues routiers.

[...]

[L]a politique tarifaire pour 1988, établie d’un commun accord avec les autres intéressés, a été décidée le 18 juillet 1987. Il s’agit en fait d’une pratique habituelle.»

219
Dans un télex envoyé le 22 octobre 1991 à Anek, la requérante s’est exprimée comme suit:

«Nous prenons note de ce que vous voulez appliquer à la ligne Patras -Trieste le même tarif que celui que nous avons tous convenu pour la ligne Patras-Ancône.

Vous comprendrez que la formulation obscure nous préoccupe beaucoup, car elle fait naître la perspective d’une rupture de l’équilibre tarifaire que nous avons réussi, à grand-peine, à établir pour tous les ports italiens.

Permettez-nous de vous rappeler que grâce à un effort conjoint – auquel vous avez pris part – nous avons réorganisé les tarifs du mieux que nous avons pu et que nous avons fixé les différences sur la base des distances en milles nautiques jusqu’aux ports de Brindisi, de Bari et d’Ancône.

Nous précisons que, même à l’époque des navires bulgares Trapezitsa et Tsarevits (qui étaient représentés par votre agent, M. Kallitsis), un règlement analogue des barèmes avait été institué d’un commun accord, y compris pour le port de Trieste.

En conséquence, nous insistons pour que vous vous en teniez – comme vous le devriez – à l’accord conclu entre les 11 compagnies et les 36 navires assurant la traversée entre la Grèce et l’Italie, car, compte tenu des fortes différences qui se dessinent sous la surface, l’accord actuel pourrait très bien voler en éclats.

Nous vous proposons de fixer le prix pour la traversée Patras-Trieste à 20 % au-dessus de celui de la ligne Patras-Ancône (comme ce fut, du reste, le cas dans le passé), afin d’être en totale harmonie avec les différences entre Ancône et les ports méridionaux.

Nos compagnies se voient dans l’obligation de vous notifier que si vous persistez à appliquer les mêmes tarifs au départ de Trieste et d’Ancône à destination de la Grèce, notre accord relatif à une politique tarifaire commune pour la ligne d’Ancône prendra fin et chaque compagnie déterminera alors sa propre politique tarifaire.»

220
Enfin, dans un télex adressé le 5 septembre 1990 à Anek, à Karageorgis et à Minoan, Strintzis aurait déclaré que l’une des conditions d’application de l’augmentation envisagée était «une augmentation proportionnelle des tarifs pour les lignes de Bari et Brindisi». Elle avait poursuivi: «[Il] faut cependant que nos quatre compagnies parviennent à un accord de principe.»

221
Ces documents, corroborés par tous les autres évoqués dans la Décision, démontrent clairement l’existence d’une entente sur les prix applicables à la ligne Patras-Ancône.

222
De même, la Commission disposait de quelques pièces prouvant l’existence de comportements similaires interdits par l’article 85, paragraphe 1, du traité concernant les prix applicables aux lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi. Il s’agit, notamment, du barème de prix à appliquer sur les diverses lignes à partir du 10 décembre 1989 figurant dans un télex du 8 décembre 1989 ainsi que du télex du 24 novembre 1993 se référant à la réunion du même jour, à laquelle auraient participé des entreprises assurant les diverses lignes. Confirment cette appréciation d’autres documents évoquant des événements intervenus entre ces deux dates: une télécopie le 30 octobre 1990, un télex du 22 octobre 1991, un document daté du 25 février 1992, envoyé par ETA à Minoan, et un télex du 7 janvier 1993.

223
Il en découle que c’est à juste titre que la Commission a estimé avoir des éléments de preuve suffisants pour établir l’existence des deux infractions sanctionnées: d’une part, les accords sur les prix des services applicables aux transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône et, d’autre part, un accord sur les prix à appliquer sur les lignes de Patras à Bari et à Brindisi en ce qui concerne le transport des véhicules utilitaires.

224
À la force probante des documents en question, il y a lieu d’ajouter le fait que ni l’existence ni l’authenticité de ces documents n’ont été contestées par les entreprises incriminées. En fait, au moins Anek et Strintzis semblent avoir admis expressément la matérialité des faits et les autres sociétés en cause ne semblent pas la mettre en doute (considérant 169 de la Décision).

225
Il convient d’examiner les éléments de preuve de la participation de la requérante auxdites infractions.

3. Sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l'encontre de la requérante

a) Éléments de preuve concernant les années 1987, 1988 et 1989 (considérants 9 à 12 de la Décision)

226
Selon la requérante, la position des autres sociétés vis-à-vis d’Anek devrait être appréciée à la lumière du fait que, dans le régime existant, une pratique directe et ouvertement déclarée d’application de prix publiés et de prix nettement inférieurs pour les véhicules utilitaires aurait été contraire à la fois à la législation grecque – en particulier à l’article 2 de la loi n° 4195/1929 – et à la politique déclarée du ministère de la Marine marchande, qui était clairement opposé à toute guerre commerciale entre les sociétés maritimes. La requérante fait observer que le comportement d’Anek s’explique par le fait qu’elle exploitait pour la première fois des bateaux sur les lignes internationales et qu’elle n’était pas suffisamment informée de l’incidence de la législation applicable en Grèce et de l’impact de la politique du ministère de la Marine marchande sur le comportement des sociétés grecques opérant sur la partie internationale des lignes Grèce-Italie.

227
En ce qui concerne les réajustements de tarifs visés au considérant 11 de la Décision, réalisés en l’espace de trois mois sur la ligne Patras-Ancône pour un total de 40 %, la requérante soutient que la déclaration dont il est question avait pour seul but d’impressionner Anek et ne correspondait nullement à la réalité. Elle ajoute que, en toute hypothèse, ces réajustements n’étaient pas inspirés par des intentions lucratives, mais par d’autres facteurs, comme l’inflation, l’augmentation du prix des combustibles, due principalement à la hausse du dollar des États-Unis et la dépréciation de la drachme grecque par rapport à d’autres monnaies, en particulier la lire italienne.

228
Le Tribunal estime qu’il ressort de la description des faits exposés aux considérants 9 à 12 de la Décision, non contestée par la requérante, et notamment des éléments de preuve qui y sont évoqués, que la requérante a essayé de persuader Anek, par un télex envoyé le 15 mars 1989, de prendre part à l’accord qui avait été conclu le 18 juillet 1987 et que, face aux hésitations d’Anek, les autres entreprises, à savoir la requérante et les sociétés Karageorgis, Marlines et Strintzis, ont décidé d’appliquer collectivement, à compter du 26 juin 1989, les tarifs appliqués par Anek aux véhicules utilitaires – voir le télex daté du 22 juin 1989, lequel démontre, en outre, que la requérante a notifié à Anek une telle décision.

229
Il s’ensuit que la Commission pouvait estimer que le contenu de ces télex démontrait que non seulement un accord existait, mais que la requérante y avait joué un rôle de premier plan. La requérante ne saurait donc prétendre qu’elle avait voulu informer Anek de l’incidence de la législation applicable en Grèce et de l’impact de la politique du ministère de la Marine marchande sur le comportement des sociétés grecques opérant sur la partie internationale des lignes Grèce-Italie. Elle ne saurait non plus prétendre qu’un tel accord était nécessaire pour éviter d’entrer dans une situation de concurrence déloyale ou de prix dérisoires et disproportionnés contraire à la politique du ministère de la Marine marchande, qui était opposé à toute guerre commerciale entre sociétés. La preuve qu’il n’était question d’aucune guerre commerciale ressort des affirmations de la requérante dans le télex du 15 mars 1989 adressé à Anek, dans lequel elle indique que, au cours des trois mois précédents, les autres compagnies exploitant la ligne Patras-Ancône étaient convenues de deux réajustements d’un montant global de 40 % de ces tarifs sans que cela ne crée de problème avec les transporteurs routiers.

b) Éléments de preuve concernant l’année 1990 (considérants 13 à 20 de la Décision)

230
La requérante soutient que les négociations et les «accords» auxquels les considérants 13 à 20 de la Décision se réfèrent s’inscrivent eux aussi dans la tactique de chacune des sociétés consistant à se montrer respectueuse de la réglementation nationale afin de ne pas provoquer l’intervention du ministère de la Marine marchande. En outre, la requérante fait observer que les tarifs applicables aux passagers et aux véhicules de tourisme sont en tout état de cause publiés et ajoute que les tarifs de référence pour les véhicules utilitaires, employés par chaque société pour appliquer les remises, qui ne sont pas publiés, pouvaient être facilement connus des concurrents en raison de la transparence du marché.

231
S’agissant du considérant 16 de la Décision, la requérante affirme que l’envoi de la télécopie de Strintzis, le 8 décembre 1989, était postérieur aux négociations obligatoires entre les sociétés qui avaient lieu à la fin de chaque année civile, et souligne que les prix indiqués dans ces barèmes visaient la fraction purement nationale des trajets, dont le ministère de la Marine marchande fixe le prix par voie administrative et ce à un niveau qui peut atteindre 90 % du prix total, comme c’est le cas pour les lignes à destination de Bari et de Brindisi. Pour la requérante, la signature des représentants des sociétés en cause ne doit pas être analysée comme un «accord» écrit formel. Cette signature s’expliquerait par le fait que les documents en question, qui mentionnaient les écarts raisonnables selon les sociétés entre les tarifs de la ligne à destination d’Ancône et ceux des lignes à destination de Bari et de Brindisi, ont été portés à l’attention de Ventouris Ferries, qui opérait sur les liaisons méridionales. Cette signature signifiait simplement que la société en question acceptait le principe d’un rapport raisonnable entre la distance en milles marins des trajets et les tarifs appliqués. La mention d’un prix «idéal» pour chaque catégorie de véhicules utilitaires, tant pour la ligne à destination d’Ancône que pour celle à destination de Bari ou de Brindisi, aurait été jugée utile pour disposer d’une base de calcul plus ou moins sûre de la fluctuation des tarifs pour chaque catégorie de véhicules utilitaires en fonction de la distance en milles marins afin d’éviter toute concurrence déloyale, qui, comme cela a été indiqué, était interdite par la législation en vigueur et contraire à la politique menée par le ministère de la Marine marchande. En d’autres termes, la fixation de prix «idéaux» pour les différentes catégories de véhicules utilitaires aurait visé à fournir un modèle de calcul des variations des tarifs en fonction de la distance en milles marins des trajets et non pas à appliquer un prix défini pour chaque ligne et pour chaque catégorie de véhicules utilitaires. C’est ainsi que s’expliquerait, d’une part, la signature des deux tarifs par M. Sfinias, représentant légal de l’ETA, en dépit du fait que la requérante n’exploitait pas de navire sur les lignes à destination de Bari ou de Brindisi, et, d’autre part, le fait que les deux tarifs ont été cosignés par Ventouris Ferries, qui opérait uniquement sur les lignes à destination de Bari et de Brindisi.

232
La requérante estime incorrecte l’affirmation selon laquelle le télex du 11 avril 1990 envoyé par Anek aux sociétés Karageorgis, Minoan et Strintzis «rappelle la politique tarifaire commune en vigueur en 1990» (voir considérant 17 de la Décision), car ce télex se réfère simplement à un «accord» sur certains paramètres précis de la politique tarifaire qui, en tout état de cause, pouvaient être facilement connus des concurrents, tels que «les tarifs passagers, voitures particulières et voitures utilitaires», mais il ne concerne pas les commissions des agents ni les réductions consenties aux groupes. Ce libellé ne permettrait pas de conclure à une politique tarifaire commune «en vigueur» comme l’indique la Décision.

233
Pour ce qui est des considérants 18 à 21 de la Décision, relatifs aux négociations en vue de l’augmentation en commun des tarifs pour les véhicules utilitaires, la requérante fait observer que, comme le montrent le télex de Strintzis du 5 septembre 1990 et le télex de Karageorgis du 10 octobre 1990, il y a eu à cette époque une forte augmentation des prix des combustibles qui a conduit au réajustement par le ministère de la Marine marchande des tarifs de la partie nationale de la ligne, c’est-à-dire de la section Patras-Igoumenitsa-Corfou. Selon la requérante, les quatre sociétés mentionnées dans les télex précités s’étaient probablement interrogées sur la nécessité d’un réajustement des tarifs pour le restant de la ligne, c’est-à-dire pour la section allant de Corfou jusqu’à Ancône, afin d’atténuer les conséquences défavorables de l’augmentation du coût du transport et pour que les sociétés puissent exploiter leurs navires sur la ligne même pendant les mois d’hiver au cours desquels le trafic touristique est inexistant. Elle rappelle à cet égard que l’octroi des «licences d’exploitation» par le ministère de la Marine marchande est lié à l’obligation d’assurer une desserte régulière pendant toute l’année, sous peine de retrait de la licence d’exploitation en cas de non-respect de ces conditions et d’autres sanctions administratives et pénales en vertu de la législation en vigueur.

234
Enfin, la requérante soutient que les télex et documents cités dans la Décision concernant l’année 1990 démontrent que l’augmentation des prix en question, dans la mesure où elle a effectivement été annoncée par un certain nombre de sociétés, n’avait pas un but lucratif et était imposée par la simple logique économique résultant de l’augmentation très importante du coût de la prestation des services de transport.

235
Le Tribunal a jugé, dans le cadre de l’examen de la première branche du présent moyen, qu’il convient de rejeter l’argument tiré du prétendu manque d’autonomie dans le chef des compagnies maritimes concernées pour déterminer leur politique commerciale. Il a par ailleurs estimé qu’il était établi que les accords n’étaient pas imposés par la législation nationale en vigueur et que le ministère de la Marine marchande grec ne s’est en rien immiscé dans la tenue de concertations portant sur les tarifs applicables aux lignes internationales. Dans ces conditions, la requérante ne saurait soutenir que les négociations auxquelles ces points se réfèrent s’inscrivent dans la tactique de chacune des sociétés consistant à se montrer respectueuse de la réglementation afin de ne pas provoquer l’intervention du ministère de la Marine marchande. Elle ne saurait non plus invoquer des prétendues négociations obligatoires imposées par les autorités grecques et portant sur les tarifs internationaux. Enfin, dans la mesure où la requérante ne conteste pas qu’elle a participé aux négociations et contacts évoqués dans les documents cités aux considérants 13 à 20 de la Décision, il n’y pas lieu d’examiner les autres arguments tirés d’une prétendue transparence du marché qui aurait permis aux concurrents de connaître en tout état de cause les tarifs applicables aux passagers et aux véhicules de tourisme.

236
S’agissant de la télécopie de Strintzis du 8 décembre 1989 (considérant 16 de la Décision), adressée à la requérante et à Anek, à Karageorgis et à Mediterranean Lines et à laquelle étaient jointes des listes ou barèmes de prix applicables aux véhicules utilitaires à partir du 10 décembre 1989 sur les lignes Patras-Ancône et Patras-Bari/Brindisi, la requérante ne saurait prétendre qu’elle ne constitue pas la preuve d’un accord sur les prix. L’explication alternative tirée d’un prétendu besoin d’éviter de tomber dans une situation de concurrence déloyale ne peut manifestement pas être retenue. L’argument de la requérante selon lequel l’indication de prix «idéaux» pour les différentes catégories de véhicules utilitaires aurait visé à fournir un modèle de calcul des variations des tarifs en fonction de la distance en milles marins des trajets et non pas à appliquer un prix défini pour chaque ligne et pour chaque catégorie de véhicules utilitaires ne peut pas être retenu, car il n’explique nullement les raisons pour lesquelles les entreprises ont estimé nécessaire d’apposer leur signature sur le document en cause dont le but prétendu était purement de fournir une référence.

c) Éléments de preuve concernant l'année 1991

237
La requérante fait observer que l’augmentation des tarifs de 10 %, évoquée au considérant 21, était imposée par le taux d’inflation qui était alors très important en Grèce – il avait atteint 25 % en 1990 – et souligne que, en toute hypothèse, le taux d’augmentation des prix était inférieur au taux d’inflation.

238
Ensuite, elle se réfère au télex du 22 octobre 1991 et tient à souligner que la proposition d’Anek de fixer les tarifs de la ligne Patras-Trieste au même niveau que celui des tarifs de la ligne Patras-Ancône constituait une pratique de concurrence déloyale au sens de l’article 2, sous a), de la loi n° 4195/1929. Il s’ensuivrait que les «accords» évoqués par la Commission ne constituaient rien d’autre qu’une reconnaissance de principe de la règle du rapport de proportionnalité entre la distance en milles marins des trajets et les tarifs ainsi qu’une énonciation de la nécessité d’éviter toute concurrence déloyale.

239
La requérante se réfère ensuite au télex d’Anek du 18 novembre 1991 (considérant 23 de la Décision) et souligne que la première raison invoquée par Anek pour ne pas fixer les tarifs Patras-Trieste à un niveau supérieur à celui des tarifs de la ligne Patras-Ancône est que «l’année [précédente] l’une des quatre sociétés [avait] exploité un navire sur la ligne Ancône-Le Pirée-Héraklion et [qu’]Anek non seulement n’[avait] pas été consultée, mais n’[avait] même pas été informée au sujet des nouveaux tarifs, en dépit du fait que les lignes avaient pour point de départ le port d’Ancône et étaient en conséquence particulièrement concurrentielles», un passage du télex que la requérante reproche à la Commission d’avoir passé sous silence dans la Décision. Or, ce passage montrerait que l’attitude d’Anek était assimilable à des «représailles» pour l’exploitation du bateau précité, contre quatre entreprises, dont la requérante. En outre, la réponse d’Anek confirmerait qu’une éventuelle déclaration de guerre commerciale ouverte aurait des conséquences particulièrement graves pour toutes les entreprises car, étant contraire à la politique itérativement proclamée du ministère de la Marine marchande, elle aurait inévitablement entraîné l’intervention de ce dernier, par la fixation administrative des prix planchers et des prix plafonds au titre de l’article 4 de la loi n° 4195/1929.

240
Toutefois, le Tribunal estime que les éléments de preuve concernant l’année 1991, évoqués aux considérants 21 à 23 de la Décision, sont également concluants. L’existence d’un accord ayant pour objet une liste de tarifs commune pour la ligne Patras-Ancône ressort de manière particulièrement claire des propos contenus dans la lettre du 10 août 1990 envoyée par Karageorgis à la requérante ainsi qu’à Anek et à Strintzis, dans laquelle on peut lire (considérant 21 de la Décison): «Suite à l’accord conclu par les quatre compagnies, aux termes duquel les premiers 5 % devraient être majorés de 5 %, veuillez trouver ci-joint les nouveaux barèmes de prix intégrant la majoration définitive de 10 %.»

241
De même, dans le télex envoyé par la requérante, Karageorgis et Strintzis le 22 octobre 1991 à Anek, on peut lire (considérant 22 de la Décision):

«Permettez-nous de vous rappeler que grâce à un effort conjoint – auquel vous avez pris part – nous avons réorganisé les tarifs du mieux que nous avons pu et que nous avons fixé les différences sur la base des distances en milles nautiques jusqu’aux ports de Brindisi, de Bari et d’Ancône. [...] En conséquence, nous insistons pour que vous vous en teniez – comme vous le devriez – à l’accord conclu entre les 11 compagnies et les 36 navires assurant la traversée entre la Grèce et l’Italie, car, compte tenu des fortes différences qui se dessinent sous la surface, l’accord actuel pourrait très bien voler en éclats [...] Nos compagnies se voient dans l’obligation de vous notifier que si vous persistez à appliquer les mêmes tarifs au départ de Trieste et d’Ancône à destination de la Grèce, notre accord relatif à une politique tarifaire commune pour la ligne d’Ancône prendra fin et chaque compagnie déterminera alors sa propre politique tarifaire.»

242
Face à des preuves directes si claires et compte tenu des considérations exposées dans le cadre de l’examen de la première branche du troisième moyen, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante.

d) Éléments de preuve concernant l’année 1992 (considérants 24 à 29 de la Décision)

243
La requérante fait observer que, s’agissant des tarifs applicables aux passagers et véhicules de tourisme, leur uniformité s’explique par le fait qu’ils sont de toute manière publiés dans les prospectus imprimés par les sociétés. À cet égard, elle ajoute que la nature oligopolistique du marché, combinée à la politique déclarée du ministère de la Marine marchande de n’admettre que les augmentations de tarifs inférieures au taux d’inflation et d’éviter toute concurrence déloyale par les prix, conduisait avec une précision mathématique à une convergence des prix publiés et, partant, qu’aucune société n’avait intérêt à publier des tarifs différents sous peine de perdre d’emblée le contact avec les éventuels clients, si ses prix étaient plus élevés ou d’être immédiatement suivie par les autres sociétés, si ses prix étaient moins élevés. S’agissant du cas de la société Calberson, visé au considérant 27 de la Décision, le télex de l’ETA s’expliquerait par le fait que la société Calberson avait choisi d’approcher chaque société en déclarant mensongèrement que les autres sociétés lui avaient offert une réduction, qui, contraire à toute logique économique, constituait un acte manifeste de concurrence déloyale par les prix, interdite par la législation. Dans ces conditions, selon la requérante, les sociétés ont réagi et se sont efforcées de savoir si leurs concurrents avaient effectivement offert des réductions aussi irréalistes.

244
En ce qui concerne le document du 25 février 1992 (considérant 28 de la Décision), relatif à la ligne d’Ortona, et non pas d’Otrante comme l’indique la Décision, la requérante soutient qu’il ne constitue pas la preuve de l’existence d’un «accord», au sens strict, concernant les différences de tarifs sur les différentes lignes, entre les sociétés opérant sur ces lignes. S’agissant plus précisément du barème de prix qui se trouve à la fin de ce document, la requérante soutient que, dans la mesure où ce barème se réfère au «tarif actuel», il ne constitue qu’une présentation simplifiée des prix pour les différents ports, fournie par son agent, l’ETA, pour une «meilleure compréhension», c’est-à-dire pour donner à la requérante un moyen de comparaison approximatif. Ce barème ne saurait constituer une preuve de ce que les prix en question auraient été appliqués dans la pratique par les différentes sociétés. En ce qui concerne le réajustement des tarifs applicables aux véhicules sur les lignes Grèce-Italie-Grèce, la requérante fait observer que la mention, figurant au considérant 29 de la Décision, du télex du 7 janvier 1993 mène à des conclusions erronées quant au contenu effectif de ce télex, car, comme le montre l’ensemble du texte, le «dernier ajustement» invoqué concernait le taux de change entre la drachme grecque et la lire italienne et non l’augmentation des prix dans les deux monnaies. En conséquence, cette mention – qui se rapporte uniquement au taux de change, lequel s’était modifié de 15 % au détriment de la drachme grecque – ne permettrait pas de conclure à l’existence, pendant l’année 1992, d’un accord selon lequel les sociétés devaient appliquer les mêmes prix.

245
La requérante fait observer enfin que les considérants 24 à 29 de la Décision ne permettent pas d’affirmer qu’elle aurait conclu un accord quelconque avec quelque société que ce soit pour les lignes à destination de Bari et de Brindisi pour l’année 1992.

246
Comme le signale la Commission, l’argument selon lequel la concurrence effective ne se faisait pas au niveau des tarifs publiés, mais au niveau des réductions ne saurait s’imposer. L’existence d’accords sur les prix ayant été prouvée, le fait allégué que les sociétés incriminées se concurrençaient sur d’autres paramètres que les tarifs n’entraînerait pas l’inapplication de l’article 85, paragraphe 1, du traité. Les passages de documents exposés aux considérants 24 et 25 de la Décision démontrent que des rencontres entre la requérante et les sociétés Strintzis, Karageorgis et Anek, au cours desquelles des accords ont été conclus quant à la politique tarifaire que ces sociétés allaient appliquer en 1992, ont eu lieu en juillet en en octobre 1991. Comme il est signalé au considérant 28 de la Décision, le document daté du 25 février 1992, par lequel l’ETA informe le siège de Minoan des «derniers développements concernant les lignes italiennes », constitue un indice clair de la poursuite en 1992 de l’accord consistant à maintenir des différences entre les tarifs appliqués sur les différentes lignes entre le Grèce et l’Italie. Enfin, les éléments évoqués aux considérants 27 à 29 de la Décision et, notamment, les télex du 7 janvier 1992 et du 7 janvier 1993, confirment le fait que la requérante a joué un rôle de premier plan dans la collusion litigieuse.

247
Enfin, il convient de rappeler le libellé du télex du 7 janvier 1993, envoyé par Minoan à Anek, à Karageorgis et à Strintzis, lequel montre que les deux ententes imputées à la requérante, respectivement, sur les lignes de Patras à Ancône et de Patras à Bari et à Brindisi, ont continué en 1992:

«Nous vous signalons que deux années se sont écoulées depuis le dernier ajustement des tarifs véhicules.

Ce fait impose une nouvelle adaptation des tarifs en drachmes ou une réduction des tarifs en lires.

Comme vous pouvez le voir, les deux tarifs s’écartent d’ores et déjà de 15 % l’un de l’autre.

C’est pourquoi nous proposons une adaptation du tarif en drachmes de 15 % (voir le tableau ci-après) à partir du 1er février 1993.

Notre décision de parvenir à un accord avec vous sur le réajustement, sans consultation préalable des compagnies qui exploitent les autres lignes italiennes, est motivée par le désir d’éviter les discussions interminables qui ne manqueraient pas d’avoir lieu si nous entamions cette consultation.

Nous sommes convaincus que cet accord conjoint sera regardé d’un oeil favorable par ces compagnies. Dans le cas contraire, nous estimons que la perte en trafic vers des ports meilleur marché ne dépassera pas les 15 % correspondant à la réadaptation de nos tarifs.

À cet égard, nous proposons que les tarifs de la catégorie 5, correspondant à des véhicules de 12 à 15 mètres, s’appliquent désormais aux véhicules de 12 à 16,5 mètres (puisque c’est un fait que la plupart des véhicules frigorifiques, et progressivement tous, ont ou auront une longueur de 16,5 mètres) et que l’augmentation soit de 5 % en lires (de 910 000 à 950 000 lires italiennes) pour 15 % à 23 % en drachmes. [...]»

248
Face à des preuves directes si claires de la participation de la requérante aux ententes, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante.

e) Éléments de preuve concernant l'année 1993

249
La requérante soutient que les propositions que l’ETA aurait faites lors de la conférence du 21 mai 1992, évoquées dans un télex du 27 mai 1992, n’étaient en réalité que des discussions (voir les distinctions apportées par les sociétés Karageorgis et Strintzis ainsi qu’une réserve d’Anek), qui n’étaient pas contraignantes pour la requérante comme cela ressortirait du fait que dans le télex en question l’ETA lui demandait d’évaluer lesdites propositions et de donner son approbation. Quant à la réunion du 4 août 1992, visée au considérant 31 de la Décision, concernant la question des billets «no-show», c’est-à-dire les billets envoyés à crédit par les agents à des personnes de leur connaissance qui ne se présentaient finalement pas au moment du départ et refusaient de payer les billets qu’ils n’avaient pas utilisés alors que les cabines avaient pourtant été réservées, la requérante soutient qu’elle n’a donné aucun résultat concret, les autres sociétés étant peu enclines à accepter l’approche proposée pour traiter ledit phénomène. Elle fait valoir que la simple information qui lui a été communiquée par l’ETA à ce propos ne peut constituer une violation de l’article 85 du traité.

250
En ce qui concerne plus précisément le télex du 6 novembre 1992, envoyé par l’ETA aux autres sociétés de la ligne d’Ancône, la requérante insiste sur le fait que ce télex a été envoyé à l’initiative exclusive de l’ETA, à l’insu et sans l’approbation de la requérante.

251
Quant aux tarifs applicables aux véhicules utilitaires mentionnés aux considérants 36 et 37 de la Décision, la requérante précise que, contrairement à ce que la Commission prétend, le réajustement se réfère exclusivement au taux de change drachme grecque /lire italienne et non pas à l’augmentation simultanée des tarifs dans les deux monnaies, le réajustement de 15 % envisagé correspondant pleinement à la dépréciation de la drachme par rapport à la lire. S’agissant de la réunion du 24 novembre 1993 et, en particulier, de l’expression «échec de l’accord précédent», la requérante fait valoir qu’il n’est pas dit ce que cet accord prévoyait, ni quand il a été conclu ni combien de temps il a duré, ni ce sur quoi il a porté. En fait, «l’accord précédent» ne serait rien d’autre qu’une déclaration non contraignante, faite par différentes sociétés, de respecter le principe de proportionnalité entre la distance en milles marins des trajets et les tarifs et de lutter contre toute concurrence déloyale par les prix. La requérante souligne que dans le télex du 7 janvier 1993, mentionné au considérant 36 de la Décision, l’allusion faite au désir d’éviter des «discussions interminables» avec les sociétés des autres lignes vers l’Italie montre qu’il n’y avait aucun terrain d’entente, même sur des questions, telles que celle d’une adaptation raisonnable à l’évolution des taux de change.

252
Le Tribunal considère que les documents cités aux considérants 30 à 37 de la Décision, qui ont été exposés ci-dessus, constituent des indices objectifs et concordants de la persistance au cours de l’année 1993 de l’entente entre les armateurs assurant les lignes de Patras à Ancône et de Patras à Bari et à Brindisi. En outre, plusieurs documents constituent des indices de la volonté de la requérante et des autres compagnies assurant la ligne Patras-Ancône d’inviter les compagnies assurant les autres lignes à adhérer au mouvement de réajustement des prix décidé pour ce qui est de la ligne Patras-Ancône.

253
Ainsi, par exemple, dans le télex du 7 janvier 1993 envoyé par Minoan à Strintzis, à Anek et à Karageorgis en vue de proposer une révision des tarifs applicables aux véhicules sur les lignes Grèce-Italie-Grèce, l’auteur signalait que «deux années se sont écoulées depuis le dernier ajustement des tarifs véhicules». Il y a lieu d’en déduire que, pendant la période comprise entre la réunion du 25 octobre 1990 et le 7 janvier 1993, les membres de l’entente n’ont procédé à aucun ajustement des tarifs entrés en vigueur le 5 novembre 1990 et que les tarifs fixés pour 1991 sont restés applicables également en 1992.

254
Confirme également l’idée d’une continuation de l’entente le télex du 24 novembre 1993, dans lequel l’auteur s’exprime comme suit: «Nous en sommes très heureux, car nous avions commencé avec le problème de l’échec de l’accord précédent du fait de l’opposition des compagnies Kosma-Giannatou et Ventouris A. Nous avons rétabli la situation petit à petit, passant d’abord de 5 à 10 % (positions de Strintzis, Ventouris G et Adriatica), pour obtenir finalement le pourcentage indiqué ci-dessus». Cette affirmation démontre qu’il y a eu des négociations au cours de cette année dans le cadre desquelles des différences sont intervenues entre des entreprises dont certaines faisaient aussi partie de l’ancien accord (Ventouris, Adriatica, etc...) L’expression «petit à petit» démontre qu’il y a eu une série de négociations au cours de l’année entre les sociétés, y compris la requérante, ce qui revient à démontrer la continuation de la participation de celle-ci pendant la période comprise entre janvier et novembre 1993.

255
Face à des preuves directes si claires de la continuation des ententes et de la participation de la requérante à celles-ci en 1993, les arguments de la requérante ne sauraient être retenus.

f) Éléments de preuve concernant l'année 1994

256
La requérante soutient que l’accord évoqué par l’ETA dans le télex que celle-ci lui a envoyé le 24 novembre 1993 n’était rien d’autre qu’une déclaration non contraignante admettant la nécessité d’une proportionnalité raisonnable entre la distance en milles marins des trajets et les tarifs et celle d’éviter toute concurrence déloyale par des prix dérisoires, comme ceux pratiqués par les sociétés des lignes dites méridionales. En ce qui concerne l’«accord sur le réajustement du tarif ‘véhicules’ de l’ordre de 15 %», mentionné dans ce télex, la requérante doute qu’un tel accord ait véritablement été conclu et encore plus qu’il ait été respecté dans la pratique. Les termes employés dans ce télex seraient dus à la volonté de son agent, l’ETA, de se targuer d’un succès significatif grâce aux efforts personnels de son représentant légal, M. Sfinias. Elle ajoute que l’objectif de ce télex était probablement de la convaincre de donner son approbation à une augmentation de 15 %, qui aurait également augmenté les recettes perçues par l’ETA sous forme de commission. La requérante ajoute que la proposition de l’ETA d’établir un nouveau tarif incitant au paiement en liquide grâce à une réduction de 30 % pour ces paiements n’a pas été suivie et n’a conduit à aucun résultat, car la situation s’est normalisée dès le début du mois de juillet 1994, lorsque tous les intéressés ont acquis la conviction que la dépréciation attendue de la drachme n’interviendrait pas, notamment grâce aux mesures gouvernementales prises pour soutenir la monnaie. En tout état de cause, la requérante considère erronée l’idée de lui imputer cette initiative, de la considérer comme une infraction et, plus généralement, de conclure à l’existence d’un accord pour établir des tarifs communs applicables aux véhicules utilitaires en 1994. Enfin, la requérante aurait continué, même en 1994, à accorder des réductions importantes à ses clients, sur la base d’accords particuliers.

257
C’est aux considérants 38 à 42 de la Décision que la Commission expose les éléments de preuve l’ayant amenée à conclure que l’entente persistait en 1994, au moins jusqu’à la date des vérifications.

258
Au considérant 38 de la Décision, la Commission s’appuie sur le télex du 24 novembre 1993 de l’ETA à la requérante pour démontrer qu’en 1994 l’entente s’est poursuivie car l’accord devait prendre effet le 16 décembre 1993. Ce télex indiquerait également que quatorze compagnies étaient présentes à la réunion du même jour. Puis, la Décision fait état d’un télex adressé le 13 mai 1994 par la requérante à Anek et à Strintzis, lequel mentionnait qu’un nouveau type de remorque devenait courant sur la ligne d’Ancône et proposait la création d’une nouvelle catégorie tarifaire ainsi qu’une date de mise en application commune. Ce télex a été suivi d’autres télex datés des 25 mai et 3 juin 1994 relatifs au même sujet et sollicitant un accord. La Décision évoque ensuite un télex envoyé par l’ETA au siège de Minoan le 26 mai 1994 et, le fait que les vérifications de la Commission auprès des entreprises ont eu lieu en juillet 1994. Enfin, la Commission estime au considérant 42 de la Décision qu’il n’y a aucune preuve que les compagnies ont poursuivi l’entente après cette date.

259
Le télex du 24 novembre 1993, envoyé par l’ETA au siège de Minoan montre que ce même jour a eu lieu une réunion à laquelle ont assisté quatorze compagnies de navigation. Selon la Décision (considérant 37), cette réunion avait pour objet le réajustement des prix à pratiquer en 1994 sur les lignes de Patras à Ancône, à Brindisi et à Bari. L’auteur du télex indique:

«Nous avons le plaisir de vous informer quà la réunion de ce jour, nous sommes parvenus à un accord sur le réajustement du tarif ‘véhicules’ de l’ordre de 15 % [...] avec effet immédiat, à compter du 16 décembre 1993.

Nous en sommes très heureux, car nous avions commencé avec le problème de l’échec de l’accord précédent du fait de l’opposition des compagnies Kosma-Giannatou et Ventouris A. Nous avons rétabli la situation petit à petit, passant d’abord de 5 à 10 % (positions de Strintzis, Ventouris G et Adriatica), pour obtenir finalement le pourcentage indiqué ci-dessus.

[...]»

260
Ce document démontre que la requérante a pris part à un accord avec certaines compagnies sur la manière de se comporter sur le marché à partir du 16 décembre 1993 et, donc, en 1994.

261
De même, les télex du 13 mai 1994, du 25 mai 1994 et du 3 juin 1994 constituent des indices objectifs et concordants de la persistance au cours de l’année 1994 de l’entente entre les armateurs assurant la ligne Patras-Ancône et de la participation principale de la requérante par le biais de son agent exclusif.

262
Face à des preuves directes si claires de la participation de la requérante à l’entente en 1994 jusqu’au moment de la vérification effectuée par la Commission en juillet, les arguments de la requérante doivent être écartés.

263
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la deuxième branche de ce moyen et de déclarer le troisième moyen non fondé dans son intégralité.

II –  Sur les conclusions tendant à l'annulation ou à la réduction de l'amende

264
À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende infligée, la requérante invoque un moyen tiré de la violation de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86 et des lignes directrices pour le calcul des amendes.

A –  Sur la première branche, tirée d'une appréciation erronée de la gravité de l'infraction

Arguments des parties

265
La requérante soutient, en premier lieu, que, en qualifiant l’infraction qui lui est reprochée de grave (considérant 150 de la Décision), la Commission se met en contradiction avec les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), applicables également aux amendes imposées au titre de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86. Elle considère que les conditions qui permettraient de qualifier l’infraction de grave ne sont pas réunies en l’espèce, puisque les restrictions reprochées n’ont pas été appliquées de façon stricte et n’étaient pas susceptibles d’avoir un impact sur des zones étendues du marché commun, circonstance reconnue dans la Décision elle-même (considérants 148 et 149). En conséquence, dans le cadre de la détermination du montant de base de l’amende, l’infraction reprochée aux entreprises impliquées aurait dû, dans le pire des cas, être qualifiée d’infraction peu grave, car cette catégorie d’infractions inclut les restrictions visant à limiter les échanges, mais dont l’impact sur le marché reste limité et qui ne concernent en outre qu’une partie substantielle, mais relativement étroite, du marché communautaire. En conséquence, selon la requérante, le montant de base de l’amende ne devrait pas dépasser celui prévu pour la catégorie des infractions peu graves, soit 1 million d’écus.

266
En second lieu, la requérante considère que la distinction entre les divers types de transporteurs opérée par la Commission lors du calcul de l’amende, à savoir entre les grands exploitants, les exploitants de taille moyenne et les petits exploitants (considérants 151 et 152 de la Décision), est arbitraire et aboutit à placer la requérante dans une situation plus défavorable que ses concurrents. Elle estime, de plus, qu’elle ne peut être considérée à l’échelle européenne comme un grand transporteur maritime ni comme un point de référence pour tous ses concurrents. Enfin, la requérante fait valoir que, dans la détermination du montant de l’amende, le critère le plus raisonnable est celui de la part de marché détenue par chaque entreprise sur l’ensemble des lignes Grèce-Italie (marché des services), car ce critère rendrait également compte de la véritable faculté de chaque entreprise à «créer un dommage important» sur l’ensemble du marché, comme l’énonce la Décision au considérant 151.

267
La Commission fait valoir que les ententes qui relèvent des catégories décrites à l’article 85, paragraphe 1, du traité, parmi lesquelles figurent les accords passés entre des entreprises dans le but de fixer les prix, sont considérées comme étant particulièrement graves, ainsi qu’en témoigne le fait que cet article les mentionne explicitement à titre d’exemple d’actions constitutives d’infractions. En outre, elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, un accord visant à fixer les prix restreint, de par sa nature, la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Chemiefarma/Commission, précité, point 133). Enfin, une infraction commise dans le cadre d’un cartel auquel participe la plupart des producteurs actifs sur le marché en question, comme ce serait le cas en l’espèce, constituerait une infraction grave.

268
La Commission fait également observer que les lignes directrices classent elles aussi, en principe, les cartels au rang des infractions très graves. Toutefois, elle précise que, en l’espèce, aux considérants 146 à 150 de la Décision, elle a tenu compte des éléments avancés par la requérante (voir, en particulier, considérant 148), mais aussi des facteurs relatifs à l’incidence limitée que les accords ont eue sur le marché ainsi qu’au segment limité du marché que ceux-ci ont affecté. Elle serait arrivée à la conclusion qu’il s’agit en l’espèce d’une infraction grave et non d’une infraction très grave.

269
Enfin, la Commission fait valoir que, aux fins de fixer le montant des amendes, il y a lieu de prendre en compte, ainsi que les lignes directrices le prévoient, tous les éléments susceptibles d’influencer l’évaluation de la gravité des infractions, l’un d’entre eux étant la taille des entreprises ayant pris part à la pratique interdite. Étant donné qu’il existe des différences de taille notables entre les entreprises, en l’espèce, leur taille constituerait la base adéquate permettant d’évaluer le poids et l’importance que chacune d’elles avait sur le marché ainsi que l’incidence réelle de leur comportement sur la concurrence.

Appréciation du Tribunal

1. Considérations générales

270
En l’espèce, il est constant que la Commission a déterminé le montant de l’amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes exposée dans les lignes directrices, lesquelles sont également applicables aux amendes imposées au titre de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86. Il convient également de constater que la requérante ne conteste pas l’applicabilité au cas d’espèce desdites lignes directrices.

271
Aux termes de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 85, paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci».

272
Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86.

273
Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 euros et 1 million d’euros, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables peut varier entre 1 million et 20 millions d’euros et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, premier à troisième tiret).

274
Ensuite, dans le cadre du traitement différencié qu’il convient d’appliquer aux entreprises, les lignes directrices énoncent que, à l’intérieur de chacune des catégories d’infractions précitées, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). De plus, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridiques et économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

275
À l’intérieur de chacune des trois catégories définies ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature, et d’adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).

276
Quant au facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré d’un montant pouvant atteindre 50 % de sa valeur, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, paragraphe 1, premier à troisième tiret).

277
Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d’exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition ou la réduction du montant des amendes (JO C 207, p. 4).

278
À titre de remarque générale, les lignes directrices précisent que le résultat final du calcul de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises, conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives, telles que le contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].

279
Il s’ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d’être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition. Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, points 231 et 232).

2. Sur le bien-fondé de la branche

280
Comme il vient d’être rappelé, dans les lignes directrices, les cartels sont classés, en principe, au rang des infractions très graves, une qualification qui s’inscrit parfaitement dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, selon laquelle ce type d’infraction figure parmi les restrictions à la concurrence les plus graves, notamment lorsque l’entente vise à la fixation des prix.

281
Or, s’agissant du cas d’espèce et de la situation de la requérante, il ressort des considérants 147 à 150 de la Décision que, bien que la Commission ait signalé (considérant 147 de la Décision) qu’un «accord conclu par certains des plus grands exploitants de transbordeurs rouliers sur le marché en cause afin de s’entendre sur les prix des services de transport de passagers et de véhicules constituait, par nature, une infraction très grave au droit communautaire», en réalité, elle n’a considéré l’infraction en question que comme une infraction grave (considérant 150 de la Décision). Elle est parvenue à cette diminution du degré de gravité après avoir constaté que «l’infraction n’[avait] eu toutefois qu’un effet réel limité sur le marché» et que le gouvernement grec ayant «encouragé les entreprises, au cours de cette même période, à contenir leurs hausses de tarifs dans les limites de l’inflation», «les prix [avaient] ainsi été maintenus à l’un des niveaux les plus bas du marché commun en matière de transport maritime entre deux États membres» (considérant 148 de la Décision). De surcroît, la Commission a tenu compte du fait que l’infraction «n’[avait] produit ses effets que dans une partie limitée du marché commun, à savoir trois des lignes maritimes de l’Adriatique», un marché considéré comme étant restreint par rapport à d’autres marchés de l’Union européenne (considérant 149 de la Décision).

282
Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a qualifié l’infraction de grave dans la Décision.

283
En ce qui concerne l’argument tiré de la taille des entreprises, il ressort des considérants 151 et 152 de la Décision que la Commission a estimé opportun en l’espèce de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infractions à créer un dommage important et qu’elle a voulu déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif. Ainsi, elle a estimé pertinent d’infliger aux grandes entreprises des amendes plus élevées que celles dont sont passibles les petites entreprises en raison de la très forte disparité de dimension. Le tableau 1 (considérant 151 de la Décision) expose une comparaison des tailles des entreprises concernées par la Décision. Ce tableau montre que la requérante est le plus grand exploitant du marché, suivi en tant que grand exploitant, seulement par Anek, et que sa taille équivaut à plus du double de celle des exploitants considérés de taille moyenne et est dix fois plus importante que celle des petits exploitants. Cette comparaison porte sur le chiffre d’affaires réalisé en 1993 pour les services de transport par transbordeurs rouliers sur les lignes adriatiques, année de référence permettant à la Commission d’évaluer le poids et l’importance de chaque compagnie sur le marché en cause et, partant, l’effet réel de l’infraction commise sur la concurrence. Le considérant 152 de la Décision montre que c’est sur la base de cette comparaison que les amendes infligées aux exploitants de taille moyenne en raison de la gravité de l’infraction équivalent à 65 % du montant des amendes supportées par les grands exploitants, dont la requérante.

284
Or, il ressort de la jurisprudence que la Commission peut imposer des amendes plus lourdes à une entreprise dont, eu égard au fait qu’elle occupe une place déterminante au sein du marché, les actes sur le marché ont eu un impact plus important que ceux d’autres entreprises ayant commis la même infraction, sans pour autant violer le principe d’égalité de traitement. Une telle manière de calculer le montant de l’amende répond également aux besoins que celle-ci soit suffisamment dissuasive (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 235).

285
En outre, la taille des entreprises ayant pris part à la pratique interdite figure parmi les éléments de référence prévus dans les lignes directrices pour la détermination du montant de l’amende. Il s’ensuit que, contrairement à ce que la requérante prétend, la distinction entre grands exploitants, exploitants de taille moyenne et petits exploitants faite aux fins de la détermination du montant de l’amende aux considérants 151 et 152 de la Décision respecte pleinement la teneur littérale et les objectifs des lignes directrices. En outre, la requérante ne conteste pas les pourcentages utilisés dans l’examen comparé exposé au considérant 151 de la Décision ni le fait que des différences de taille notables entre les entreprises mises en cause existaient en l’espèce. Dès lors, l’argument tiré de ce que la Commission aurait commis une erreur en faisant la distinction entre les divers types de transporteurs ne saurait être retenu et la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir estimé que la taille constituait une base adéquate permettant d’évaluer le poids particulier et l’importance que chaque entreprise avait sur le marché ainsi que l’incidence réelle de son comportement sur la concurrence.

286
Partant, cette branche doit donc être rejetée.

B – Sur la deuxième branche, tirée d'une appréciation erronée de la durée de l'infraction

Arguments des parties

287
La requérante fait valoir que ce que la Décision qualifie d’«accord» était en réalité une pratique de négociations entre les sociétés opérant sur les lignes Grèce-Italie qui remonte à plusieurs décennies et qui s’est simplement poursuivie après le 1er juillet 1987, date d’entrée en vigueur du règlement n° 4056/86. Elle reproche à la Commission de ne pas avoir considéré l’existence d’une telle pratique pendant les décennies antérieures comme une circonstance atténuante, mais, au contraire, d’avoir qualifié la poursuite et l’application de cette «pratique habituelle» comme une circonstance aggravante particulièrement lourde. En effet, d’une part, la Commission aurait considéré que cette «pratique habituelle» a été de «longue durée» (considérant 155 de la Décision) et, d’autre part, elle se serait montrée extrêmement sévère en imposant à la requérante, pour chaque année d’infraction, la plus haute majoration permise (10 %), en dépit du fait que les lignes directrices prévoient, pour les infractions de longue durée (plus de cinq ans), un montant additionnel pouvant aller jusqu’à 10 % (voir les lignes directrices, point 1 B, paragraphe 1, troisième tiret). Ainsi, l’amende infligée à la requérante aurait subi une majoration très importante de 70 % (voir considérant 156 de la Décision) sur le montant de base déjà élevé (2 millions d’écus), de sorte que le montant de base total de l’amende aurait ainsi été porté injustement à 3,4 millions d’écus (considérant 158 de la Décision).

288
La Commission constate que la requérante ne met pas en cause le terminus a quo (1er juillet 1987) ni le terminus ad quem (juillet 1994) de l’accord et rappelle que, comme le prévoient les lignes directrices, les infractions d’une durée supérieure à cinq ans sont considérées comme des infractions de longue durée. En outre, la Commission fait valoir qu’elle peut infliger une majoration maximale de 10 % pour chaque année ayant fait l’objet d’une infraction et estime que, en l’espèce, elle a agi dans le cadre des limites fixées.

Appréciation du Tribunal

289
Il ressort des lignes directrices qu’un montant correspondant à la durée de l’infraction pour chaque entreprise peut être calculé et additionné au montant de base général (celui calculé en fonction de la gravité) et que, à cette fin, la Commission doit distinguer entre trois types d’infractions: de courte durée (infractions en général inférieures à un an), de moyenne durée (en général de un à cinq ans) et de longue durée (en général au-delà de cinq ans).

290
Il est prévu qu’aucun montant additionnel ne peut être retenu pour les infractions de courte durée. En revanche, pour les infractions de moyenne durée, il est prévu que la Commission peut retenir un montant additionnel pouvant aller jusqu’à 50 % du montant de base général (celui retenu pour la gravité de l’infraction). S’agissant d’infractions de longue durée, ce montant additionnel peut être fixé pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction. Il est indiqué dans les lignes directrices que la Commission a voulu ainsi renforcer considérablement, par rapport à la pratique antérieure, la majoration pour les infractions de longue durée, en vue de sanctionner réellement les restrictions qui ont produit durablement leurs effets nocifs à l’égard des consommateurs.

291
Il ressort du considérant 153 de la Décision que la Commission a estimé que, pour ce qui est de Strintzis et de la requérante, l’infraction a débuté le 18 juillet 1987 au plus tard et a duré jusqu’en juillet 1994 (date à laquelle la Commission a effectué ses vérifications). Une telle infraction a été qualifiée par la Commission «de longue durée» pour ce qui est de la requérante, de Strintzis et de Karageorgis (considérant 155 de la Décision). La Commission a considéré que ces éléments justifiaient «une majoration des amendes de 10 % par année, sur toute la durée de l’infraction», pour ce qui est de la requérante et de Strintzis, c’est-à-dire une majoration de 70 % (considérant 156 de la Décision). Le tableau 2 indique les pourcentages de majoration appliqués aux différentes compagnies.

292
Il convient de noter que la requérante n’a contesté ni la date de début de la période d’infraction estimée, à savoir 1er juillet 1987 – elle souligne, en fait, que les accords ont existé même avant cette date – ni celle de sa fin (juillet 1994), et donc le fait que l’infraction a duré sept ans. Dès lors et dans la mesure où les lignes directrices prévoient que les infractions d’une durée supérieure à cinq ans sont à considérer comme des infractions de longue durée et que des telles infractions justifient d’appliquer une majoration pouvant être fixée pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction, la requérante ne saurait invoquer une méconnaissance des critères établis par les lignes directrices.

293
L’argument de la requérante consistant à reprocher à la Commission d’avoir estimé que l’infraction était de longue durée au lieu d’avoir appliqué une circonstance atténuante compte tenu du fait qu’il s’agissait d’une pratique de négociations remontant à plusieurs décennies ne saurait être retenu. La date retenue comme point de départ de la période d’infraction dans la Décision relève uniquement de l’appréciation de la Commission en fonction des preuves dont elle dispose pour établir ses conclusions sur l’existence et la portée d’une infraction. Dès lors, contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que les comportements sanctionnés aient débuté réellement à une date très antérieure à la date retenue dans la Décision ne saurait nullement constituer une circonstance atténuante.

294
Enfin, il y a lieu de rappeler que, alors même que les arguments de la requérante tirés du caractère traditionnel des contacts entretenus entre les opérateurs des lignes maritimes en Grèce, prétendument incités par les autorités grecques, ne sauraient être retenus pour soutenir que lesdits contacts ne relevaient pas de l’interdiction des accords restrictifs de la concurrence prévue à l’article 85, paragraphe 1, du traité, ils ont cependant été retenus en tant que circonstances atténuantes. En effet, au considérant 163 de la Décision, la Commission a admis que «la pratique habituelle – qui n’est pas imposée directement par le cadre légal ou réglementaire – consistant à fixer les tarifs intérieurs, en Grèce, par le biais de consultations entre tous les exploitants nationaux (qui étaient alors censés présenter une proposition commune) et la décision prise ultérieurement par le ministère de la Marine marchande peuvent avoir créé une certaine confusion parmi les compagnies grecques qui exploitent aussi des lignes intérieures quant à la question de savoir si les consultations sur les tarifs applicables à la partie internationale des lignes maritimes constituaient ou non une infraction». Compte tenu de ces éléments, la Commission a appliqué une réduction des amendes de 15 % pour toutes les compagnies (considérant 163 de la Décision).

295
Dès lors, cette branche doit donc également être rejetée.

C – Sur la troisième branche, tirée d'une appréciation erronée des circonstances aggravantes

Arguments des parties

296
La requérante considère que les circonstances aggravantes que la Décision a retenues à son égard aux considérants 159 à 161 sont dépourvues de fondement, inexactes, partiales et partielles. Elle affirme que la Décision viole les principes fondamentaux de proportionnalité, d’interdiction de discrimination et de bonne administration.

297
En premier lieu, elle conteste avoir joué le rôle d’incitateur de l’entente, tout en rappelant qu’il s’agissait d’une «pratique habituelle» antérieure de plusieurs décennies, comme la Décision le reconnaît. Elle ajoute à cet égard que, de 1981 jusqu’au milieu de l’année 1987, elle n’a exploité les lignes Grèce-Italie qu’avec un seul navire, ces lignes étant dominées par d’autres sociétés, telles que Karageorgis, Strintzis, HML Adriatica et Ventouris, des compagnies exploitant un nombre plus élevé de bateaux.

298
En deuxième lieu, la requérante soutient que le télex du 15 mars 1989 ne suffit pas pour la considérer comme l’«incitateur» d’une «entente», compte tenu de l’existence antérieure de la «pratique habituelle».

299
En troisième lieu, ce serait à tort que la Décision reproche à la requérante d’avoir «organisé [...] des réunions ‘avec les compagnies impliquées dans l’infraction’». En effet, les télex de l’ETA du 21 mai 1992 et du 24 novembre 1993, sur lesquels repose l’accusation de la Commission (voir considérants 30, 37 et 38 de la Décision), contiendraient une simple information a posteriori adressée à Minoan par l’ETA à propos d’une réunion qui avait déjà été décidée (télex du 21 mai 1992) et à propos d’une autre rencontre qui avait déjà eu lieu (télex du 24 novembre 1993). Partant, il ne pourrait être question que la requérante ait «organisé» (pour reprendre la formulation retenue dans la Décision) les deux réunions en question à propos desquelles elle a simplement été informée a posteriori. Enfin, l’«organisation» desdites réunions ne pouvant être reprochée à l’ETA, elle ne pourrait a fortiori pas non plus être reprochée à la requérante.

300
En quatrième lieu, la requérante conteste avoir «‘contrôlé’ les activités de l’entente». L’information partiale, partielle, incomplète et, en tout cas, a posteriori qu’elle a reçue de l’ETA ne lui aurait pas permis de «contrôler» les actions de l’entente en question. À cet égard, la requérante considère particulièrement illustratif le télex du 24 novembre 1993, que l’ETA lui a envoyé et qu’elle estime délibérément exagéré, en raison de la volonté de M. Sfinias de se targuer d’un succès significatif.

301
En cinquième lieu, la requérante nie avoir «essayé d’étendre la collaboration des entreprises» et conteste l’interprétation de chacun des télex auxquels la Commission se réfère dans le cadre de l’appréciation de cette circonstance aggravante.

302
En sixième lieu, la requérante conteste avoir tenté de «faire obstacle aux vérifications menées par la Commission». Elle soutient que c’est à tort que la Décision indique que «Minoan a proposé que chaque compagnie applique des prix différenciés en opérant une diminution de son barème de 1 % pour quatre catégories de cabines», car l’auteur de l’action en question n’était pas la requérante mais l’ETA. À cet égard, elle précise qu’elle n’a donné ni directives ni instructions et qu’elle n’a pas été informée de cette action ni ne l’a approuvée.

303
La requérante en conclut que c’est à tort et en dépassant les limites de la sévérité que la Décision augmente de 10 % le montant de base de l’amende, en la considérant comme prétendu instigateur de l’entente.

304
Ensuite, la requérante invoque une violation du principe d’égalité dans l’appréciation faite par la Commission des circonstances aggravantes.

305
La requérante soutient que d’autres sociétés impliquées ont lancé des actions et initiatives analogues à celles de l’ETA que la Commission lui impute. Dans ces conditions, en qualifiant la requérante d’«incitateur de l’entente», la Décision violerait le principe de l’égalité de traitement, car elle la placerait dans une position plus défavorable que celle de ses concurrents.

306
La requérante compare tout d’abord sa situation avec celle de Strintzis. Elle fait valoir qu’il ressort clairement d’une lecture d’ensemble des considérants 13, 14, 16, 18, 19, 24, 25 et 35 de la Décision que cette compagnie a eu un rôle dans le déroulement des faits tout au moins semblable, sinon plus important, que celui retenu pour l’ETA et imputé à Minoan, sans que pour autant ses initiatives ait été considérées comme des circonstances aggravantes contrairement à ce qui a été décidé pour la requérante. En agissant ainsi, la Commission aurait commis une violation manifeste du principe d’égalité de traitement. Ensuite, la requérante critique la Commission pour avoir ignoré dans sa Décision le fait que Strintzis a également exploité un navire sur la ligne à destination de Brindisi au cours des années 1989, 1990 et 1991 et lui reproche le fait que la Décision la qualifie d’«incitateur» de l’extension de la collaboration avec les sociétés des lignes méridionales en dépit du fait qu’elle n’a jamais été présente sur ces lignes, contrairement à Strintzis à laquelle une telle circonstance aggravante n’est pas imputée. En outre, elle se réfère au traitement accordé à Karageorgis, société à laquelle des initiatives analogues sont reprochées aux considérants 18, 21 et 33 de la Décision sans que la Commission les considère comme des circonstances aggravantes.

307
La Commission conteste l’allégation de la requérante selon laquelle la Décision la qualifie à tort de protagoniste dans la création du cartel et selon laquelle elle a violé le principe de l’égalité de traitement ainsi que le principe de la proportionnalité lors de la détermination des circonstances aggravantes. Elle se réfère aux considérants 159 à 161 de la Décision dans lesquels seraient exposés de nombreux éléments de preuve faisant ressortir tant le rôle de premier plan joué par la requérante dans la création du cartel et dans le suivi de ses actes que les efforts qu’elle a déployés dans le but d’entraver les enquêtes de la Commission.

308
Par ailleurs, la Commission soutient avoir tenu compte dans la détermination du montant des amendes du comportement global des entreprises incriminées et du rôle de chacune d’elles, ainsi que l’exige la jurisprudence. Elle soutient que, au vu des éléments existants, la requérante a clairement pris davantage d’initiatives que les autres sociétés impliquées non seulement en soumettant des propositions, mais également en organisant des rencontres, en informant les autres sociétés des réponses qu’elle avait apportées à la demande de renseignements de la Commission ainsi qu’en s’efforçant d’entraver les vérifications de la Commission.

Appréciation du Tribunal

309
Il ressort des lignes directrices (point 2) que la Commission peut augmenter le montant de base de l’amende infligée pour tenir compte des circonstances aggravantes. Les lignes directrices exposent une liste de circonstances aggravantes pouvant être retenues, telles que le fait que les entreprises soient récidivistes pour une infraction de même type, le refus de toute coopération, voire les tentatives d’obstruction pendant le déroulement de l’enquête, le fait que l’entreprise en question ait joué un rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction ou encore les mesures de rétorsion sur d’autres entreprises en vue de faire «respecter» les décisions ou pratiques infractionnelles éventuellement mises en oeuvre. Les lignes directrices font également état du besoin éventuel de la Commission d’appliquer des majorations aux montants de base des amendes afin de dépasser le montant des gains illicites réalisés grâce à l’infraction lorsqu’une telle estimation est objectivement possible.

310
La Commission a exposé aux considérants 159 à 161 de la Décision les éléments qu’elle a retenus comme circonstances aggravantes à l’encontre de chacune des entreprises destinataires.

1. Sur le rôle d'incitateur de l'entente

311
S’agissant de la requérante, la Commission a considéré (considérant 159 de la Décision) opportun de majorer de 25 % le montant de son amende compte tenu du fait qu’elle a joué un rôle d’incitateur de l’entente.

312
La Commission est parvenue à cette conclusion après avoir tenu compte d’une série de circonstances.

313
En premier lieu, elle a estimé que la requérante a tenté de convaincre Anek de se rallier à l’entente. À cet égard, il suffit de lire le télex de Minoan du 15 mars 1989 pour constater que tel a été le cas.

314
En deuxième lieu, la Commission a considéré que la requérante a discuté avec Ventouris de la politique tarifaire pratiquée par cette dernière sur la ligne d’Ortona (voir le document de l’ETA du 25 février 1992) et a organisé et dirigé des réunions avec les compagnies impliquées dans l’infraction (voir les télex de l’ETA des 21 mai 1992 et 24 novembre 1993).

315
Il convient de souligner que c’est à juste titre que la Décision reproche à la requérante d’avoir organisé et dirigé des réunions avec les compagnies impliquées dans l’infraction (voir les télex de l’ETA des 21 mai 1992 et 24 novembre 1993.

316
Ainsi, s’agissant de la réunion du 21 mai 1992, il ressort effectivement du télex du même jour de l’ETA à la requérante que celle-ci a été informée du fait qu’une «conférence des représentants des compagnies maritimes de la ligne Patras-Ancône [devait] être organisée pour discuter de l’élaboration du nouveau tarif pour 1993» ainsi que de l’ordre du jour de cette réunion. De même, il résulte d’un télex du 27 mai 1992 que l’ETA a informé la requérante des propositions que la première a faites à la réunion des compagnies maritimes du 21 mai 1992 et qui auraient été globalement acceptées.

317
En ce qui concerne la réunion du 24 novembre 1993, un télex envoyé à la même date par l’ETA au siège de la requérante indique:

«Nous avons le plaisir de vous informer quà la réunion de ce jour, nous sommes parvenus à un accord sur le réajustement du tarif ‘véhicules’ de l’ordre de 15 % [...] avec effet immédiat, à compter du 16 décembre 1993.

Nous en sommes très heureux, car nous avions commencé avec le problème de l’échec de l’accord précédent du fait de l’opposition des compagnies Kosma-Giannatou et Ventouris A. Nous avons rétabli la situation petit à petit, passant d’abord de 5 à 10 % (positions de Strintzis, Ventouris G et Adriatica), pour obtenir finalement le pourcentage indiqué ci-dessus [...]»

318
Ce document démontre que, le 24 novembre 1993, a eu lieu une réunion à laquelle ont assisté quatorze compagnies maritimes et dont l’objet était le réajustement des prix à pratiquer en 1994 sur les lignes de Patras à Ancône, à Brindisi et à Bari. Il met en évidence le fait que l’agent de la requérante a eu un rôle important dans le développement des négociations.

319
En troisième lieu, la Commission a tenu compte du fait que la requérante non seulement a contrôlé les activités de l’entente, mais qu’elle a également essayé d’étendre la collaboration des entreprises (voir télex des 15 mars 1989, 7 janvier 1992, 25 février 1992, 7 janvier, 24 septembre 1993 et 26 mai 1994).

320
Les télex du 15 mars 1989, du 25 février 1992 et du 24 septembre 1993 ont été examinés ci-dessus et le caractère probant des circonstances retenues comme aggravantes par la Commission à l’encontre de la requérante a été considéré comme établi.

321
En ce qui concerne le télex du 7 janvier 1992, envoyé par la requérante à Anek, à Strintzis et à Karageorgis, tel qu’évoqué au considérant 27 de la Décision sans contestation de la part de la requérante, il prévient ces compagnies que plusieurs importateurs d’automobiles «s’efforcent d’attirer [les] compagnies dans une lutte sur les prix». Il poursuit ainsi: «Nous vous proposons de nous en tenir à une politique commune qui nous évitera de nous trouver sur ce terrain glissant.» La requérante aurait proposé qu’une offre de prix soit faite par toutes les compagnies et aurait demandé leur accord «afin de répondre à la société Calberson qui [...], [avait] pris contact avec toutes les compagnies».

322
Quant au télex du 7 janvier 1993, il s’agit d’un document adressé par la requérante à Strintzis, à Anek et à Karageorgis, aux fins de proposer un ajustement des tarifs «véhicules» sur les lignes Grèce-Italie. Il indique:

«Notre décision de parvenir à un accord avec vous sur le réajustement, sans consultation préalable des compagnies qui exploitent les autres lignes italiennes, est motivée par le désir d’éviter les discussions interminables qui ne manqueraient pas d’avoir lieu si nous entamions cette consultation. Nous sommes convaincus que cet accord conjoint sera regardé d’un oeil favorable par ces compagnies. Dans le cas contraire, nous estimons que la perte de trafic de véhicules vers des ports meilleur marché ne dépassera pas les 15 % correspondant à la réadaptation de nos tarifs [...] Nous restons dans l’attente de votre accord.»

323
Il ressort de ce télex que la requérante a décidé de négocier directement avec ses principaux concurrents sur la ligne Patras-Ancône, à savoir Strintzis, Anek et Karageorgis, et de laisser en suspens les négociations avec les compagnies qui exploitaient les autres lignes, ce qui démontre l’importance du rôle de la requérante dans le fonctionnement et le développement des ententes. Enfin, l’évocation du besoin de procéder au réajustement «sans consultation préalable des compagnies qui exploitent les autres lignes italiennes», mentionné dans ce télex, doit être comprise comme illustrant la volonté de la requérante de démontrer les possibilités réelles d’aboutir à un réajustement des prix et, donc, comme un élément d’incitation des autres compagnies de la ligne Patras-Ancône à l’adopter. Dès lors, contrairement à ce que prétend la requérante, cette affirmation constitue bien une preuve de la tentative de celle-ci «d’étendre la collaboration des entreprises».

324
S’agissant du télex du 26 mai 1994, envoyé par l’ETA au siège de la requérante, il indique:

«Par suite des conditions qui se sont développées sur le marché en raison des taux d’intérêt très élevés sur les rémérés, le très court terme et les financements, personne ne paie au comptant, mais tous payent avec des chèques établis à terme.

Pour faire face à ce phénomène, nous avons donné instruction au bureau du Pirée de limiter les crédits.

Vous savez que notre clientèle a réagi en nous dénonçant auprès de vous et en cherchant une issue par le biais de la délivrance de billets par l’intermédiaire d’Héraklion, où vous continuez d’accorder des crédits.

Nous avons pris une initiative visant à obtenir l’application d’un nouveau tarif sur les lignes à destination de l’Italie, avec des prix différents en cas de paiement comptant et de paiement par chèque à 60 jours.

Le problème, c’est qu’il nous faut obtenir l’accord de seize compagnies. Nous sommes optimistes malgré tout. [...]»

325
Ce document évoque une problématique particulière causée par le fait de plus en plus généralisé que les clients des compagnies payaient avec des chèques établis à terme et non au comptant, ainsi qu’une initiative visant à obtenir l’application d’un nouveau barème sur les lignes à destination de l’Italie avec des tarifs différents en cas de paiement comptant et de paiement par chèque à 60 jours. L’expression «nous avons pris une initiative» démontre le rôle assumé par l’agent de la requérante en tant que chef de file des initiatives ou meneur, bien que le document ne précise pas suffisamment quelles autres compagnies avaient été visées par les initiatives de l’ETA.

326
Il résulte de ces considérations que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a joué un rôle important dans le déroulement des faits sanctionnés et correctement qualifiés d’entente.

327
Enfin, eu égard à la force probante des preuves documentaires directes, les arguments invoqués par la requérante ne peuvent être retenus. En premier lieu, le fait que, avant 1987, l’exploitation des lignes Grèce-Italie était dominée par d’autres sociétés, telles que Karageorgis, Strintzis, HML Adriatica ou Ventouris, se révèle inopérant dans la mesure où l’infraction retenue n’a débuté qu’en 1987. En deuxième lieu, le fait qu’il existait en Grèce une pratique habituelle consistant à fixer les tarifs intérieurs par le biais de consultations entre tous les exploitants nationaux est sans importance aux fins de démontrer quel était le rôle réellement exercé par la requérante. Cette affirmation se comprendrait plutôt dans le sens inverse de celui voulu par la requérante s’il s’avérait que celle-ci figurait parmi les entreprises les plus importantes assurant les lignes nationales en Grèce.

328
Les arguments pris de l’attribution erronée des comportements de l’ETA à la requérante ne sauraient être retenus, comme il a été relevé ci-dessus lors de l’examen du deuxième moyen.

329
Dans ces circonstances, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir estimé que la requérante était l’incitateur de l’entente et que son rôle a été très accentué par rapport à celui des autres entreprises, y compris Strintzis et Karageorgis.

330
Enfin, la requérante ne saurait non plus soutenir que la Commission a violé le principe d’égalité dans la détermination du montant des amendes.

331
Tout d’abord, c’est à tort que la requérante prétend que la Commission a ignoré complètement le fait que d’autres entreprises, à savoir Strintzis et Karageorgis, avaient également pris diverses initiatives dans le cadre de l’accord visant à fixer les prix. Il suffit de constater que ces deux entreprises ne figurent pas parmi celles ayant bénéficié (considérant 164 de la Décision) d’une réduction des amendes de 15 % compte tenu de leur rôle exclusivement «suiviste» dans l’infraction.

332
Ensuite, le rôle principal joué par la requérante dans l’infraction ayant été établi, il convient de rejeter l’argument pris du fait que la Décision lui reproche d’avoir enté d’étendre la collaboration avec les sociétés des lignes méridionales, en dépit du fait qu’elle n’a jamais été présente sur ces lignes, contrairement à Strintzis, alors qu’elle aurait également exploité un navire sur la ligne de Brindisi pendant les années 1989, 1990 et 1991. Il convient, à cet égard, de préciser que la Commission ne lui a pas reproché de façon isolée le fait d’avoir cherché la collaboration avec les compagnies assurant les lignes méridionales, mais a pris en compte, de manière plus générale, la circonstance que plusieurs documents démontraient que la requérante avait tenté à plusieurs reprises, dans des contextes et lignes distinctes et à des moments différents, d’étendre la collaboration des entreprises.

333
La requérante ne saurait non plus prétendre avoir été discriminée dans l’appréciation des circonstances aggravantes par rapport à Karageorgis. Si les considérants 18, 21 et 33 de la Décision évoqués par la requérante mettent certes en évidence le fait que Karageorgis a pris part à l’entente et qu’elle y a participé d’une façon active en répondant aux télex envoyés par la requérante aux fins de confirmer son accord sur les nouveaux tarifs, ils ne démontrent nullement qu’elle a eu un rôle d’incitateur et de promoteur des initiatives, tel que celui joué par la requérante.

334
Enfin, il convient de relever que, comme le soutient la Commission, à supposer même que Strintzis et Karageorgis aient elles aussi joué un rôle de premier plan dans les ententes et que, par conséquent, ce serait à tort que la Commission se serait abstenue de leur infliger la même majoration d’amende, le respect du principe d’égalité doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt Mayr-Melnhof/Commission, précité, points 334 et 335).

2. Sur la tentative de faire obstacle aux vérifications menées par la Commission

335
Il ressort des considérants 160 et 161 de la Décision que la Commission a majoré l’amende de la requérante de 10 % en tenant compte du fait que celle-ci aurait tenté de faire obstacle aux vérifications menées par la Commission. Après que les parties ont reçu les demandes de renseignements de la Commission, la requérante aurait proposé, en novembre 1992, que chaque compagnie applique des prix différenciés en opérant une diminution de son barème de 1 % pour quatre catégories de cabines, fait qui constituerait, selon la Commission, une tentative de faire obstacle à ses vérifications.

336
Au considérant 34 de la Décision, la Commission expose qu’au mois de novembre 1992, après avoir reçu une demande de renseignements de la Commission au sujet des prix appliqués sur les lignes entre la Grèce et l’Italie, la requérante a envoyé à Anek, à Karageorgis et à Strintzis un télex indiquant: «Compte tenu de la situation délicate créée par la question de la Commission au sujet de nos barèmes de prix sur la ligne Grèce-Italie et après notre échange de vues verbal, nous vous proposons ce qui suit: sur les 17 catégories de notre barème, il faudrait laisser de côté la catégorie ‘pont’, car il s’agit de celle où aucun de nous ne veut que quiconque soit moins cher; quant aux 16 autres catégories, chaque compagnie devrait en prendre quatre (à choisir par M. Sakellis) [Strintzis] et diminuer son barème de 1 %.» En outre, il y est dit que la requérante a fait parvenir à Anek une copie de sa réponse à la demande de renseignements susmentionnée.

337
Ce considérant de la Décision évoque un télex envoyé le 6 novembre 1992 par Minoan à Anek, à Karageorgis et à Strintzis et signé par M. Sfinias, qui figure en annexe 31 à la défense, et dont l’existence et la véracité ne sont pas contestées par la requérante. Toutefois, elle soutient que l’auteur de l’action en question n’était pas la requérante mais l’ETA et précise qu’elle n’a donné ni directives ni instructions et qu’elle n’a pas été informée de cette action ni ne l’a approuvée. Le contenu de ce télex démontre clairement que c’est à juste titre que la Commission a estimé que la requérante a déployé des efforts dans le but d’entraver les enquêtes de la Commission.

338
De même, la requérante ne conteste pas avoir informé les autres sociétés des réponses qu’elle avait apportées à la demande de renseignements de la Commission, initiative qui, dans le contexte de l’espèce et notamment à la lumière du télex du 6 novembre 1992, pouvait être interprétée comme ayant pour but d’entraver les vérifications de la Commission.

339
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la troisième branche dans son intégralité.

D – Sur la quatrième branche, prise d'une appréciation erronée des circonstances atténuantes

Arguments des parties

340
La requérante reproche à la Commission de lui avoir uniquement reconnu les circonstances atténuantes évoquées aux considérants 162, 163 et 169 de la Décision, alors qu’elle estime pouvoir légitimement faire valoir l’ensemble des circonstances atténuantes mentionnées dans les lignes directrices.

341
Plus précisément, elle soutient avoir joué un rôle passif, dès lors qu’aucune des initiatives de l’ETA ne peut lui être imputée, et n’avoir pas réellement appliqué les accords, comme le reconnaît la Décision. En outre, la requérante fait valoir que, aussitôt après la vérification des 5 et 6 juillet 1994, elle a adressé à l’ETA des instructions et avertissements très stricts en ce qui concerne les actions de cette dernière. Elle aurait été convaincue que son comportement n’était pas illégal et qu’il visait au contraire à se mettre en conformité avec le cadre législatif et réglementaire ainsi qu’avec la politique du ministère de la Marine marchande, un élément qui irait au-delà de l’existence d’un doute justifié quant au caractère illégal de la pratique restrictive. Elle soutient que toute infraction qui pourrait éventuellement lui être reprochée s’explique non pas par la négligence mais tout simplement par l’ignorance complète de l’illégalité de son comportement. Enfin, la requérante prétend avoir collaboré de façon effective avec la Commission dès les premiers instants et avoir fourni toutes les informations et précisions nécessaires sur tous les aspects de la présente affaire.

342
Enfin, la non-reconnaissance de ces circonstances atténuantes constituerait une infraction au principe de proportionnalité et une discrimination par rapport aux autres entreprises qui ont bénéficié d’un plus grand nombre de circonstances atténuantes. En particulier, elle soutient que le comportement d’Anek n’a rien apporté à la clarification de l’affaire, étant donné que bien avant l’envoi des mémorandums d’Anek à la Commission, la requérante (ainsi que d’autres sociétés) avait informé la Commission et expliqué toutes les négociations entre les sociétés et s’était mise à sa disposition pour toute information complémentaire.

343
La requérante en conclut que, dans ces conditions, le taux de réduction de l’amende qui lui a été appliqué (35 %) est particulièrement bas comparé à celui qui a été appliqué à Marlines, à Adriatica et à Ventouris (45 %) ainsi qu’à Anek (70 %) et compte tenu du fait que cette réduction a été en substance annulée par l’augmentation antérieure de 35 % du montant de base qui lui a été appliquée pour de prétendues circonstances aggravantes.

344
La Commission conteste les allégations de la requérante selon lesquelles d’autres circonstances atténuantes sont également réunies en sa faveur et rappelle que les circonstances atténuantes dont elle a tenu compte sont détaillées aux considérants 162 à 169 de la Décision.

Appréciation du Tribunal

345
Il ressort des lignes directrices (point 3) que la Commission peut diminuer le montant de base pour tenir compte, notamment, des circonstances atténuantes suivantes: le fait que l’entreprise ait eu un rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction; la non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles; la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment les vérifications); l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif; le fait que les infractions aient été commises par négligence et non de propos délibéré et le fait que l’entreprise ait assuré une collaboration effective au cours de la procédure en dehors du champ d’application de la communication concernant la non-imposition ou la réduction du montant des amendes.

346
Il ressort des considérants 162 à 164 de la Décision que la Commission a tenu compte de plusieurs circonstances atténuantes à l’égard des entreprises destinataires.

347
En premier lieu (considérant 163 de la Décision), la Commission a considéré que la pratique habituelle consistant à fixer les tarifs intérieurs, en Grèce, par le biais de consultations entre tous les exploitants nationaux et la décision prise ultérieurement par le ministère de la Marine marchande ont pu créer une certaine confusion parmi les compagnies grecques qui exploitent aussi des lignes nationales quant à la question de savoir si les consultations sur les tarifs applicables à la partie internationale des lignes maritimes constituaient ou non une infraction. Ces circonstances ont justifié une réduction des amendes de 15 % pour toutes les compagnies.

348
En second lieu (considérant 164 de la Décision), la Commission a tenu compte du fait que Marlines, Adriatica, Anek et Ventouris Ferries ont eu un rôle exclusivement «suiviste» dans l’infraction et a estimé que cette circonstance justifiait une réduction des amendes de 15 % pour ces quatre compagnies.

349
Enfin, il y a lieu de rappeler qu’au considérant 169 de la Décision la Commission a signalé qu’une réduction des amendes de 20 % a été appliquée à toutes les compagnies, dont la requérante, eu égard au fait qu’elles n’ont pas contesté les éléments de fait exposés par la Commission dans sa communication des griefs. Cette réduction a été de 45 % dans le cas d’Anek, qui, en outre, avait produit des documents avant que la Commission n’ait envoyé sa communication des griefs, lesquels ont confirmé, dans une très large mesure, l’existence de l’infraction en cause.

350
La requérante ne saurait reprocher à la Commission de ne pas lui avoir reconnu l’ensemble des circonstances atténuantes mentionnées dans les lignes directrices.

351
En premier lieu, comme il a été relevé, c’est sans aucun fondement qu’elle prétend avoir joué un rôle passif, les comportements de l’ETA lui ayant été correctement imputés.

352
En second lieu, s’agissant de la non-application des accords, il suffit de rappeler que cette circonstance a été prise en compte par la Commission dans le cadre de la détermination de la gravité de l’infraction, c’est à dire dans la détermination du montant de base principal tel qu’il est indiqué expressément au considérant 162 de la Décision.

353
Elle ne saurait non plus reprocher à la Commission de ne pas avoir appliqué une diminution additionnelle tirée d’une prétendue ignorance complète de l’illégalité de son comportement, dans la mesure où la confusion créée par le cadre législatif et la politique des autorités grecques concernant le trafic intérieur a bien été prise en compte et où les entreprises ont bénéficié d’une réduction de 15 % (considérant 163 de la Décision).

354
En ce qui concerne la prétendue collaboration effective avec la Commission dès les premiers instants et le fait d’avoir fourni toutes les informations et précisions nécessaires, sur tous les aspects de la présente affaire, la Commission ne saurait être critiquée pour ne pas avoir reconnu plus explicitement une telle coopération dans la mesure où elle a également accordé une réduction de 20 % pour non-contestation de la matérialité des faits.

355
Enfin, la requérante ne peut prétendre qu’elle a été discriminée par rapport à Anek et qu’elle méritait la même réduction que celle accordée à cette entreprise. Il appartient à la seule Commission de décider dans quelle mesure la coopération des entreprises lui a été utile dans l’accomplissement de ses tâches. La requérante ne conteste pas le fait qu’Anek a produit des documents spécifiques prouvant qu’elle admettait expressément les faits. Un tel degré de coopération ne saurait être comparé au seul fait de ne pas avoir contesté les faits tels qu’exposés dans la communication des griefs. Or, il y a lieu de rappeler que la requérante a bien eu droit à la réduction de 20 % pour ne pas avoir contesté la matérialité des faits.

356
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la quatrième branche de ce moyen.

III – Sur la demande de révision à la hausse de l'amende infligée à la requérante

357
La Commission fait remarquer que, dans son recours, la requérante met en doute, à plusieurs reprises, des faits sur lesquels repose la Décision et demande au Tribunal de faire usage de la compétence de pleine juridiction dont il dispose en vertu de l’article 229 CE en majorant de 20 % l’amende infligée à la requérante (c’est-à-dire de la priver de la réduction de 20 % dont elle a bénéficié au titre de la coopération).

358
Toutefois, cette demande ne saurait être accueillie. En effet, le Tribunal a jugé dans son arrêt du 28 février 2002, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (T-354/94, Rec. p. II-843), sur renvoi de la Cour après un pourvoi, que «le risque qu’une entreprise ayant bénéficié d’une réduction du montant de l’amende, en contrepartie de sa coopération, forme ultérieurement un recours en annulation contre la décision constatant l’infraction aux règles de la concurrence et sanctionnant l’entreprise responsable à ce titre et obtienne gain de cause devant le Tribunal en première instance ou devant la Cour en cassation est une conséquence normale de l’exercice des voies de recours prévues par le traité et le statut [de la Cour de justice]. Dès lors, le seul fait que l’entreprise ayant coopéré avec la Commission et bénéficié d’une réduction du montant de son amende à ce titre ait obtenu judiciairement gain de cause ne saurait justifier une nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction qui lui a été accordée» (point 85).

359
Il en découle que le seul fait que l’entreprise ayant coopéré avec la Commission en ne contestant pas la matérialité des faits et ayant bénéficié d’une réduction du montant de son amende à ce titre ait saisi le Tribunal afin d’obtenir gain de cause ne saurait justifier une nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction qui lui a été accordée.

360
Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité.


Sur les dépens

361
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens exposés par la Commission.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Cooke

García-Valdecasas

Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh

Table des matières

Faits à l'origine du recours

Procédure et conclusions des parties

En droit

    I –  Sur les conclusions tendant à l'annulation de la Décision

        Sur le premier moyen, pris de l'illégalité du contrôle effectué dans les bureaux de l'ETA

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                A – Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

                B – Sur le bien-fondé du moyen

                    1. Faits pertinents et non contestés par les parties

                    2. Sur le respect, en l'espèce, des principes régissant l'exercice par la Commission de ses pouvoirs en matière de vérification

                    3. Sur le respect des droits de la défense et sur l'absence d'ingérence excessive de l'autorité publique dans la sphère d'activité de l'ETA

                C – Conclusion

        Sur le deuxième moyen, pris d'une imputation erronée à la requérante des actions et initiatives de l'ETA

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                A – Considérations préalables

                B – Sur l'imputation de responsabilités dans les rapports entre commettant et agent

                C – Sur les contrats de gestion

                D – Conclusion

        Sur le troisième moyen, soulevé à titre subsidiaire et tiré d'une qualification erronée des faits de l'espèce d'accords interdits au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité

            A – Sur la première branche, prise d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en ce que les entreprises ne disposaient pas de l'autonomie exigée, leur comportement étant imposé par le cadre législatif et les incitations des autorités grecques

                Arguments des parties

                Appréciation du Tribunal

            B – Sur la deuxième branche, prise d'une qualification erronée des contacts entre les entreprises incriminées d'accords interdits par l'article 85, paragraphe 1, du traité

                Arguments des parties

                Appréciation du Tribunal

                    1. Considérations générales

                    2. Sur la preuve de l'entente sanctionnée en l'espèce

                    3. Sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l'encontre de la requérante

                    a) Éléments de preuve concernant les années 1987, 1988 et 1989 (considérants 9 à 12 de la Décision)

                    b) Éléments de preuve concernant l’année 1990 (considérants 13 à 20 de la Décision)

                    c) Éléments de preuve concernant l'année 1991

                    d) Éléments de preuve concernant l’année 1992 (considérants 24 à 29 de la Décision)

                    e) Éléments de preuve concernant l'année 1993

                    f) Éléments de preuve concernant l'année 1994

    II –  Sur les conclusions tendant à l'annulation ou à la réduction de l'amende

        A –  Sur la première branche, tirée d'une appréciation erronée de la gravité de l'infraction

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                1. Considérations générales

                2. Sur le bien-fondé de la branche

        B –  Sur la deuxième branche, tirée d'une appréciation erronée de la durée de l'infraction

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

        C –  Sur la troisième branche, tirée d'une appréciation erronée des circonstances aggravantes

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                1. Sur le rôle d'incitateur de l'entente

                2. Sur la tentative de faire obstacle aux vérifications menées par la Commission

        D –  Sur la quatrième branche, prise d'une appréciation erronée des circonstances atténuantes

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

    III –  Sur la demande de révision à la hausse de l'amende infligée à la requérante

Sur les dépens



1
Langue de procédure: le grec.