Language of document : ECLI:EU:C:2017:801

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

25 octobre 2017 (*)

« Pourvoi – Ressources propres de l’Union européenne – Décision 2007/436/CE – Responsabilité financière des États membres – Perte de certains droits à l’importation – Obligation de verser à la Commission européenne le montant correspondant à la perte – Recours en annulation – Recevabilité – Lettre de la Commission européenne – Notion d’“acte attaquable” »

Dans l’affaire C‑599/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 16 novembre 2015,

Roumanie, représentée par M. R.‑H. Radu ainsi que par Mmes M. Chicu et A. Wellman, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, J. Vláčil et T. Müller, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Stranz, en qualité d’agents,

République slovaque, représentée par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

parties intervenantes au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. G.-D. Balan, A. Caeiros et A. Tokár ainsi que par Mme Z. Malůšková, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, E. Juhász, Mme K. Jürimäe (rapporteur) et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 mars 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juin 2017,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Roumanie demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 14 septembre 2015, Roumanie/Commission (T‑784/14, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2015:659), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable son recours visant l’annulation de la décision de la direction générale du budget de la Commission européenne prétendument contenue dans la lettre BUDG/B/03MV D(2014) 3079038, du 19 septembre 2014 (ci-après la « lettre litigieuse »).

 Le cadre juridique

 La réglementation relative aux ressources propres

2        La décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007,L 163, p. 17) abroge, avec effet au 1er janvier 2007, la décision 2000/597/CE, Euratom du Conseil, du 29 septembre 2000, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2000, L 253, p. 42).

3        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la décision 2000/597 et de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2007/436, constituent des ressources propres inscrites au budget général de l’Union européenne les recettes provenant, notamment, « des droits du tarif douanier commun et autres droits établis ou à établir par les institutions [de l’Union] sur les échanges avec les pays non membres » (ci-après les « ressources propres »).

4        En vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 1150/2000 du Conseil, du 22 mai 2000, portant application de la décision 2007/436 (JO 2000, L 130, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 105/2009 du Conseil, du 26 janvier 2009 (JO 2009, L 36, p. 1, ci-après le « règlement n° 1150/2000 »), un droit de l’Union sur les ressources propres est constaté dès que sont remplies les conditions prévues par la réglementation douanière en ce qui concerne la prise en compte du montant du droit et sa communication au redevable.

5        L’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 1150/2000 dispose :

« Selon les modalités définies à l’article 10, chaque État membre inscrit les ressources propres au crédit du compte ouvert à cet effet au nom de la Commission auprès de son trésor ou de l’organisme qu’il a désigné. »

6        Conformément à l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement, l’inscription des ressources propres intervient au plus tard le premier jour ouvrable après le 19 du deuxième mois suivant celui au cours duquel le droit a été constaté conformément à l’article 2 dudit règlement.

7        En vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1150/2000, tout retard dans les inscriptions au compte visé à l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement donne lieu au paiement, par l’État membre concerné, d’intérêts de retard.

 Le règlement de procédure du Tribunal

8        Conformément à l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal :

« 1.       Si le défendeur demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité ou l’incompétence, sans engager le débat au fond, il présente sa demande par acte séparé dans le délai visé à l’article 81.

[...]

7.       Le Tribunal statue dans les meilleurs délais sur la demande ou, si des circonstances particulières le justifient, joint l’examen de celle-ci au fond. [...]

8.       Si le Tribunal rejette la demande ou la joint au fond, le président fixe de nouveaux délais pour la poursuite de l’instance. »

 Les antécédents du litige

9        Par la lettre litigieuse, le directeur de la direction « Ressources propres et programmation financière » de la direction générale du budget de la Commission européenne (ci-après le « directeur ») a rappelé que, au mois d’avril 2010, les autorités allemandes avaient demandé à la Commission de décider, en application de l’article 239 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1), si une remise de droits à l’importation était justifiée en ce qui concerne une société allemande qui avait déposé, en qualité de principale obligée, plusieurs déclarations au nom de ses clients pour le transport, au cours des années 2006 et 2007, de marchandises sous le régime du transit externe à destination d’un autre État membre dans lequel une enquête avait révélé que des marchandises n’avaient pas été présentées au bureau de destination.

10      Le directeur a rappelé que, par la décision C (2011) 9750 final, du 5 janvier 2012 (dossier REM 03/2010), la Commission avait constaté le bien-fondé de la remise des droits à l’importation demandée. À cet égard, la Commission a souligné que la clôture irrégulière des opérations de transit relevait de manœuvres frauduleuses qui ne pouvaient raisonnablement s’expliquer que par la complicité active d’un agent des douanes du bureau de destination de l’État membre concerné ou par une organisation défaillante de ce bureau ayant permis à un tiers d’accéder au nouveau système de transit informatisé (NSTI).

11      Le directeur a également indiqué, en substance, que les autorités allemandes avaient, pour les mêmes motifs, accordé une remise des droits de douane dans une autre affaire.

12      Dans la lettre litigieuse, le directeur a expliqué que, de l’avis des services de la Commission, la Roumanie était considérée comme étant financièrement responsable dans la mesure où la confirmation de l’apurement sur les documents de transit retournés au bureau allemand de départ avait empêché les autorités allemandes de prélever ou de récupérer des droits de douane, qui sont des ressources propres traditionnelles. Il a précisé que, bien que la Roumanie ne fût pas chargée de prélever les droits de douane encourus pour l’importation au sein de l’Union, un État membre restait financièrement responsable pour les pertes de ressources propres si ses autorités ou leurs représentants commettaient des erreurs ou agissaient frauduleusement.

13      Le directeur a ensuite souligné que les autorités roumaines n’avaient pas pu garantir que les dispositions douanières de l’Union avaient été correctement appliquées. Le résultat de cette mauvaise application du droit de l’Union serait une perte de ressources propres traditionnelles dans la mesure où les autorités allemandes n’avaient pas pu collecter des droits de douane et les mettre à la disposition de la Commission. Le directeur en a déduit que la Roumanie devait compenser le budget de l’Union pour la perte ainsi occasionnée. À cet égard, il s’est référé, par analogie, au point 44 de l’arrêt du 8 juillet 2010, Commission/Italie (C‑334/08, EU:C:2010:414).

14      Le directeur a expliqué, en substance, qu’un éventuel refus de la Roumanie de mettre à disposition ces ressources propres traditionnelles serait contraire au principe de coopération loyale entre les États membres et au sein de l’Union et ferait obstacle au bon fonctionnement du système des ressources propres.

15      Par conséquent, il a invité les autorités roumaines à mettre à la disposition de la Commission un montant de ressources propres de 14 883,79 euros brut, dont il convient de déduire 25 % à titre de frais de perception, au plus tard le premier jour ouvrable qui suit le dix-neuvième jour du deuxième mois suivant l’envoi de la lettre litigieuse. Il a ajouté que tout retard donnerait lieu au paiement d’intérêts en application de l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 novembre 2014, la Roumanie a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre litigieuse.

17      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 mars 2015, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991. Cette exception était fondée sur l’absence d’acte susceptible de recours en annulation.

18      La Roumanie a déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité.

19      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 23 mars et le 10 avril 2015, la République slovaque et la République fédérale d’Allemagne ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Roumanie.

20      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a statué sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission en application de l’article 130 de son règlement de procédure.

21      Afin d’apprécier le caractère attaquable de la lettre litigieuse, le Tribunal a examiné, aux points 23 à 33 et 35 de l’ordonnance attaquée, la répartition des pouvoirs entre la Commission et les États membres en matière de constatation des ressources propres en vertu des dispositions de la décision 2007/436 et du règlement n° 1150/2000. Il a conclu, au point 37 de cette ordonnance, que, à défaut de disposition habilitant la Commission à adopter un acte enjoignant à un État membre de mettre à disposition des ressources propres, la lettre litigieuse devait être considérée comme ayant une valeur informative et comme une simple invitation adressée à la Roumanie.

22      À cet égard, le Tribunal a précisé, aux points 38 à 40 de l’ordonnance attaquée, qu’une opinion émise par la Commission, telle que celle figurant dans la lettre litigieuse, ne lie pas les autorités nationales et, aux points 41 à 43 de cette ordonnance, qu’elle ne saurait, pas plus qu’un avis motivé émis dans le cadre de la phase précontentieuse d’une procédure en manquement, constituer un acte attaquable.

23      Enfin, le Tribunal a écarté les arguments soulevés par la Roumanie. En particulier, aux points 50 et 51 de l’ordonnance attaquée, il a rejeté comme étant inopérants les arguments tirés de ce que la lettre litigieuse serait dépourvue de fondement juridique, au motif que ces arguments portaient sur le bien-fondé du contenu de cette lettre. Aux points 52 à 56 de cette ordonnance, le Tribunal a en outre répondu à des arguments tirés de la situation d’incertitude juridique dans laquelle cet État membre se trouverait quant aux obligations qui lui incombent et au risque pécuniaire, de la protection juridictionnelle effective et du risque d’avoir à payer des intérêts de retard considérables.

24      Eu égard à ces éléments, le Tribunal a accueilli l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et rejeté le recours de la Roumanie comme étant irrecevable, dans la mesure où il était dirigé contre un acte qui n’était pas susceptible de faire l’objet de recours, sans statuer sur les demandes en intervention de la République fédérale d’Allemagne et de la République slovaque.

 Les conclusions des parties au pourvoi

25      Par son pourvoi, la Roumanie demande à la Cour :

–        de déclarer le pourvoi recevable, d’annuler l’ordonnance attaquée dans son intégralité et de se prononcer sur le recours en annulation en le déclarant recevable et en annulant la lettre litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, de déclarer le pourvoi recevable, d’annuler l’ordonnance attaquée dans son intégralité et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci déclare le recours recevable et annule la lettre litigieuse, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

26      Dans son mémoire en réponse, la Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la Roumanie aux dépens.

27      Dans leurs mémoires en intervention, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne et la République slovaque demandent en substance à la Cour d’accueillir le pourvoi.

 Sur le pourvoi

 Argumentation des parties

28      À l’appui de son pourvoi, la Roumanie soulève deux moyens.

29      Par son premier moyen, la Roumanie reproche au Tribunal d’avoir méconnu les dispositions de l’article 130, paragraphes 7 et 8, de son règlement de procédure, en ce qu’il a statué sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission sans engager le débat au fond.

30      D’une part, la Roumanie relève qu’elle avait demandé, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la jonction au fond de l’examen de celle-ci. Or, le Tribunal, qui serait tenu, en vertu desdites dispositions, d’examiner si des circonstances particulières justifient une telle jonction et, dans l’affirmative, d’y procéder, aurait omis de motiver en l’espèce sa décision de ne pas joindre l’examen de l’exception au fond.

31      D’autre part, la Roumanie considère que, bien qu’ayant refusé de joindre au fond l’examen de l’exception d’irrecevabilité, le Tribunal a en réalité, aux points 29 à 51 de l’ordonnance attaquée, procédé à des appréciations relevant du fond. Il se serait, en effet, prononcé sur la nature et le fondement de l’obligation pécuniaire visée dans la lettre litigieuse en partant de la prémisse erronée selon laquelle la réglementation relative aux ressources propres traditionnelles trouvait à s’appliquer. Or, devant le Tribunal, la Roumanie aurait fait valoir que c’était précisément en raison du fait que le droit de l’Union n’attribuait pas de responsabilité financière à un État membre pour la perte de ressources propres traditionnelles subie dans un autre État membre que la lettre litigieuse produisait des effets juridiques. Le Tribunal aurait erronément refusé de tenir compte de ces arguments en les rejetant, au point 51 de l’ordonnance attaquée, comme étant inopérants dans la mesure où ils portaient sur le bien-fondé du contenu de cette lettre.

32      La Roumanie ajoute que cette irrégularité de procédure a porté atteinte à ses intérêts en ce que son droit à un procès équitable a été méconnu à défaut de débat contradictoire et en ce que l’appréciation du Tribunal est fondée sur plusieurs erreurs de droit qui auraient pu être évitées en organisant un débat au fond.

33      Par son second moyen, la Roumanie fait, en substance, valoir que l’analyse de la nature du montant réclamé et des obligations faisant l’objet de la lettre litigieuse est entachée d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a erronément qualifié ce montant de « ressources propres traditionnelles » et a fait application de la réglementation et de la jurisprudence y afférentes. En effet, cette réglementation viserait exclusivement la responsabilité financière directe des autorités douanières d’un État membre. En revanche, elle ne concernerait pas l’hypothèse, en cause en l’espèce, d’une éventuelle responsabilité financière d’un autre État membre, qui n’a jamais eu la responsabilité d’évaluer et de percevoir les droits de douane en cause. Ladite lettre mettrait ainsi à la charge de la Roumanie une obligation nouvelle qui ne découlerait pas du droit de l’Union. En se référant exclusivement à la réglementation des ressources propres traditionnelles et à la jurisprudence y afférente, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, ignoré les circonstances spécifiques de l’espèce et omis de répondre aux arguments tirés du caractère nouveau de ladite obligation.

34      Cette erreur de droit se serait répercutée sur l’analyse tant de la compétence de la Commission que de la nature de la lettre litigieuse que le Tribunal a effectuée au regard de la réglementation relative aux ressources propres traditionnelles. En outre, le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence constante en matière de recours en annulation en ce qu’il aurait omis de se prononcer sur le contenu et le contexte de l’adoption de la lettre litigieuse et se serait fondé exclusivement sur une analyse de la compétence de la Commission. Ce faisant, il aurait porté atteinte au principe de protection juridictionnelle effective.

35      À titre subsidiaire, d’une part, la Roumanie se prévaut d’une contradiction des motifs de l’ordonnance attaquée dans la mesure où le Tribunal a, au point 29 de cette ordonnance, reconnu aux États membres une marge d’appréciation pour établir l’existence d’une perte de ressources propres traditionnelles et d’une obligation de verser de telles ressources, alors qu’il ressort notamment des points 24 et 25 de ladite ordonnance que les États membres sont tenus de constater ces ressources dès que les conditions prévues par la décision 2007/436 et le règlement n° 1150/2000 sont remplies.

36      D’autre part, la Roumanie fait valoir que le mécanisme de mise à disposition conditionnelle n’est pas applicable en l’espèce. En effet, il aurait été élaboré en matière de ressources propres traditionnelles. En toute hypothèse, il présupposerait l’existence d’une obligation dont les autorités d’un État membre sont susceptibles d’être exonérées et ne concerne que les situations dans lesquelles il existe un différend relatif aux justifications de la dette invoquée. Elle insiste, dans ce contexte, sur le risque pour un État membre de devoir payer des intérêts de retard en cas de non-paiement et souligne le risque qu’un paiement conditionnel devienne définitif dans l’hypothèse où le fond du litige ne serait pas tranché dans le cadre d’un recours en annulation ou dans celle où la Commission n’intenterait pas de recours en manquement.

37      La Commission conteste le bien-fondé de l’ensemble de ces arguments.

38      En réponse au premier moyen soulevé par la Roumanie, la Commission fait valoir que, eu égard au contenu de la lettre litigieuse, par laquelle la Roumanie a été considérée comme étant financièrement responsable de la perte de ressources propres traditionnelles, le Tribunal a, à juste titre, examiné les compétences de la Commission à la lumière des règles relatives aux ressources propres traditionnelles. Il aurait examiné le contenu de cette lettre ainsi que le contexte du cadre législatif en la matière au regard de la seule recevabilité du recours, sans examiner le fond de l’affaire. Or, ni le contenu de ladite lettre, par laquelle la Commission se serait bornée à mentionner certains faits et à exposer son avis sur leurs conséquences en matière de ressources propres en invitant les autorités roumaines à mettre à disposition une certaine somme, ni les pouvoirs conférés à la Commission ne permettraient de constater que cette même lettre produit des effets de droit obligatoires. Enfin, contrairement à ce que fait valoir la Roumanie, le Tribunal n’a pas « qualifié la nature des obligations attribuées à la Roumanie par la lettre [litigieuse] » dès lors qu’il a clairement jugé que cette lettre constituait une simple invitation adressée à cet État membre et ne visait pas à produire d’effets de droit.

39      En réponse au second moyen, en substance, la Commission fait observer que c’est à juste titre que, au regard de l’absence de compétence à son profit en matière de ressources propres traditionnelles et après analyse tant du contenu que du contexte de la lettre litigieuse, le Tribunal a jugé que cette lettre ne relevait pas de la catégorie des actes attaquables. Le Tribunal n’aurait ni qualifié le montant dû au titre des ressources propres traditionnelles et les obligations qui auraient été imposées à la Roumanie par la lettre litigieuse ni examiné la question de savoir si cet État membre était tenu de mettre à disposition la somme en cause ni, partant, procédé à une appréciation du fond de l’affaire.

40      L’absence de compétence pour adopter des décisions contraignantes en matière de ressources propres serait par ailleurs confirmée par le rejet, par le Conseil, d’une proposition de modification de l’article 17 du règlement n° 1150/2000, qui aurait investi la Commission du pouvoir d’examiner l’affaire et d’adopter une décision dûment motivée si le montant des droits constatés était supérieur à 50 000 euros.

41      Par ailleurs, même à supposer – quod non – que la lettre litigieuse ne portait pas sur la mise à disposition de ressources propres, elle ne produirait pas d’effets juridiques obligatoires, faute de fondement juridique en ce sens.

42      S’agissant du point 29 de l’ordonnance attaquée, la Commission est d’avis que ce point doit être compris, à la lumière de la jurisprudence constante, rappelée par le Tribunal aux points 24 à 28 de cette ordonnance, comme signifiant que, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, du règlement n° 1150/2000, les États membres ont le droit de déclarer que certains montants de droits constatés sont irrécouvrables. L’article 17 de ce règlement prévoirait un mécanisme d’échange d’informations entre les États membres et la Commission en cas d’impossibilité de recouvrer des ressources propres. Si elle peut présenter des observations à un État membre, elle n’est investie d’aucun pouvoir de prendre des actes contraignants établissant les montants de ressources propres dus, étant précisé que, en cas de divergence de points de vue entre elle et un État membre, il revient à la Cour de trancher la question dans le cadre d’un recours en manquement.

43      S’agissant de la protection juridictionnelle effective, du risque pour l’État concerné de devoir payer des intérêts de retard et du paiement conditionnel, la Commission considère, en substance, que les points 54 à 56 de l’ordonnance attaquée ne sont entachés d’aucune erreur de droit. En particulier, elle relève que la possibilité de procéder à un paiement conditionnel permet d’écarter le risque pour l’État membre de devoir payer des intérêts de retard, que les États membres ont la possibilité de récupérer les fonds mis à disposition au titre du paiement conditionnel eu égard à l’article 2, paragraphe 4, et à l’article 8 du règlement n° 1150/2000 et que le paiement conditionnel n’est pas destiné à garantir le droit à une protection juridictionnelle effective. En outre, le risque de naissance d’intérêts de retard serait lié au manquement à l’obligation de mettre les ressources propres à sa disposition et non à la lettre litigieuse contenant une invitation en ce sens. L’obligation de verser des intérêts de retard découlerait directement de l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

44      La République tchèque, la République fédérale d’Allemagne et la République slovaque sont d’avis que le second moyen doit être accueilli. Ces États membres n’ont pas présenté d’argumentation concernant le premier moyen soulevé par la Roumanie.

 Appréciation de la Cour

45      Par ses deux moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, la Roumanie reproche, en substance, au Tribunal d’avoir procédé à l’appréciation du caractère attaquable de la lettre litigieuse à la lumière du seul critère des pouvoirs de la Commission en vertu de la décision 2007/436 et du règlement n° 1150/2000, alors même que cette décision et ce règlement étaient inapplicables, et ce sans joindre au fond l’examen de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

46      En premier lieu, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il appartient au Tribunal d’apprécier si une bonne administration de la justice justifie ou non qu’une exception d’irrecevabilité soit jugée immédiatement ou que son examen soit joint au fond (voir, en ce sens, ordonnance du 27 février 1991, Bocos Viciano/Commission, C‑126/90 P, EU:C:1991:83, point 6). Une jonction au fond n’est pas requise lorsque l’appréciation de l’exception ne dépend pas de l’appréciation des moyens de fond invoqués par le requérant (arrêt du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 95).

47      En second lieu, il ressort d’une jurisprudence constante que sont considérées comme des « actes attaquables » au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions de l’Union, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (arrêt du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 54 et jurisprudence citée).

48      Pour déterminer si un acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à sa substance (arrêt du 22 juin 2000, Pays-Bas/Commission, C‑147/96, EU:C:2000:335, point 27 et jurisprudence citée). Ces effets doivent être appréciés en fonction de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier, ainsi que des pouvoirs de l’institution auteur (arrêt du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 55 et jurisprudence citée).

49      Dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal a statué sur l’exception d’irrecevabilité de la Commission sans engager le débat au fond. Comme cela a été exposé aux points 21 et 22 du présent arrêt, au terme d’un examen de la répartition des pouvoirs entre la Commission et les États membres en matière de constatation des ressources propres en vertu des dispositions de la décision 2007/436 et du règlement n° 1150/2000, le Tribunal a conclu, au point 37 de ladite ordonnance, que, à défaut de disposition habilitant la Commission à adopter un acte enjoignant à un État membre de mettre à disposition des ressources propres, la lettre litigieuse devait être considérée comme ayant une valeur informative et comme une simple invitation adressée à la Roumanie.

50      À cet égard, le Tribunal a précisé qu’une opinion émise par la Commission, telle que celle figurant dans cette lettre, ne lie pas les autorités nationales et qu’elle ne saurait, pas plus qu’un avis motivé émis dans le cadre de la phase précontentieuse d’une procédure en manquement, constituer un acte attaquable.

51      Tout d’abord, il apparaît, certes, que le Tribunal a, pour l’essentiel, fondé son appréciation du caractère attaquable de la lettre litigieuse sur un examen des pouvoirs de la Commission sur le fondement des dispositions de la décision 2007/436 et du règlement n° 1150/2000. Ce faisant, contrairement à ce qu’allègue la Roumanie, il n’a cependant ni apprécié la nature des fonds réclamés ni qualifié ces fonds de « ressources propres ».

52      En effet, le Tribunal s’est limité, dans l’ordonnance attaquée, à expliciter, d’une manière abstraite, les obligations et les pouvoirs incombant respectivement aux États membres et à la Commission dans le domaine des ressources propres de l’Union. Or, dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 1 à 7 de l’ordonnance attaquée, la Commission avait émis la lettre litigieuse dans ce domaine, le Tribunal pouvait, sans commettre d’erreur de droit, apprécier lesdits obligations et pouvoirs au regard de la réglementation relative aux ressources propres, aux seules fins de l’examen du caractère attaquable de cette lettre et sans préjudice de la question, de fond, de son applicabilité aux circonstances de l’espèce et de la qualification du montant en cause.

53      Ensuite, il y a lieu de considérer que, dans ces conditions, c’est également à bon droit que, sans joindre l’examen de l’exception d’irrecevabilité de la Commission au fond, le Tribunal a rejeté, au point 51 de l’ordonnance attaquée, comme étant inopérants les arguments soulevés par la Roumanie et tirés du bien-fondé du contenu de la lettre litigieuse.

54      Eu égard aux considérations qui figurent aux points 59 à 66 du présent arrêt et, en particulier, au contexte dans lequel la lettre litigieuse a été émise, lesdits arguments de la Roumanie qui tendaient à démontrer que la lettre litigieuse aurait imposé à cet État membre une nouvelle obligation, non prévue dans la réglementation relative aux ressources propres, doivent être rejetés comme étant inopérants.

55      Enfin, il convient, en revanche, d’observer que, ainsi que la Roumanie le fait valoir à juste titre, le Tribunal s’est contenté d’examiner les pouvoirs de l’auteur de l’acte, sans même procéder à une analyse du contenu même de la lettre litigieuse, contrairement aux exigences de la jurisprudence rappelée au point 48 du présent arrêt.

56      En conséquence, le Tribunal a commis une erreur de droit.

57      Toutefois, il y a lieu de rappeler que, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 150, ainsi que du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 102 et jurisprudence citée).

58      Tel est le cas en l’espèce.

59      Eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 47 et 48 du présent arrêt, il ressort, en effet, d’une analyse du contenu de la lettre litigieuse, en tenant compte du contexte de son émission ainsi que des pouvoirs de la Commission, que cette lettre ne saurait être qualifiée d’« acte attaquable ».

60      Premièrement, s’agissant du contenu de ladite lettre, il convient de relever que, après un rappel des faits en cause, le directeur y a exprimé le point de vue de cette direction selon lequel la Roumanie était considérée comme étant responsable des pertes de ressources propres occasionnées en Allemagne. Il a estimé que la Roumanie devait compenser ces pertes et que, en cas de refus de mise à disposition du montant en cause, cette dernière méconnaîtrait le principe de coopération loyale et mettrait en danger le bon fonctionnement du système des ressources propres. Au regard de ces éléments, il l’a invitée à mettre à sa disposition le montant correspondant aux pertes en cause et a précisé que le non-paiement dans le délai fixé par cette même lettre donnerait lieu au paiement d’intérêts de retard en application de l’article 11 du règlement n° 1150/2000.

61      Il ressort de ce rappel que, par la lettre litigieuse, la Commission a, pour l’essentiel, exposé à la Roumanie son avis quant aux conséquences juridiques des pertes de ressources propres occasionnées en Allemagne et aux obligations qui, selon elle, en résulteraient pour la Roumanie. Au regard de cet avis, elle a invité cet État membre à mettre à disposition le montant en cause.

62      Or, il y a lieu de considérer que ni l’exposé d’un simple avis juridique ni une simple invitation de mettre à disposition le montant en cause ne sauraient être de nature à produire des effets de droit.

63      Le seul fait que la lettre litigieuse fixe un délai pour la mise à disposition dudit montant tout en indiquant qu’un retard est susceptible de donner lieu à des intérêts de retard ne permet pas, eu égard au contenu global de cette lettre, de considérer que la Commission aurait entendu, au lieu d’exprimer son avis, adopter un acte produisant des effets de droit obligatoires ni, partant, de conférer à ladite lettre la nature d’un acte attaquable.

64      Deuxièmement, s’agissant du contexte, il convient de préciser que, au cours de l’audience, la Commission, sans avoir été contredite sur ce point ni par la Roumanie ni par les États membres intervenants, a fait observer que l’envoi de lettres telles que la lettre litigieuse constituait une pratique courante de cette institution destinée à entamer des discussions informelles sur le respect du droit de l’Union par un État membre, qui pourraient être suivies du lancement de la phase précontentieuse d’une procédure en manquement. Ce contexte est reflété dans la lettre litigieuse qui expose clairement les raisons pour lesquelles la Commission estime que la Roumanie pourrait être en situation de manquement au droit de l’Union. En outre, il ressort sans équivoque de la requête déposée par cette dernière devant le Tribunal que ce contexte était connu d’elle et que l’intention de la Commission d’entamer des contacts informels a bien été comprise.

65      Or, il ressort de la jurisprudence que, compte tenu du pouvoir discrétionnaire de la Commission pour entamer une procédure en manquement, un avis motivé n’est pas susceptible de produire des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C‑191/95, EU:C:1998:441, point 46 et jurisprudence citée). Il en va a fortiori ainsi de lettres qui, à l’instar de la lettre litigieuse, peuvent s’analyser comme de simples prises de contact informelles préalables à l’ouverture de la phase précontentieuse d’un recours en manquement.

66      Troisièmement, s’agissant des pouvoirs de la Commission, il est constant entre les parties que, en toute hypothèse, cette institution ne dispose d’aucune compétence pour adopter des actes contraignants enjoignant à un État membre de mettre à disposition un montant tel que celui en cause dans la présente affaire. En effet, d’une part, même à supposer que, comme le fait observer la Roumanie, ce montant ne puisse être qualifié de « ressources propres », la Commission a indiqué devant la Cour qu’aucune base juridique pour l’adoption d’un acte contraignant ne pouvait être déterminée. D’autre part, à supposer que ledit montant doive être qualifié de « ressources propres », il convient d’observer que l’argumentation de la Commission selon laquelle celle-ci n’est investie d’aucun pouvoir décisionnel ni par la décision 2007/436 ni par le règlement n° 1150/2000 n’a pas été contredite par la Roumanie.

67      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la lettre litigieuse ne constitue pas un « acte attaquable » au sens de l’article 263 TFUE, sans qu’il soit nécessaire de trancher la question de fond relative à l’applicabilité de la décision 2007/436 et du règlement n° 1150/2000 et à la qualification juridique du montant réclamé.

68      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments que la Roumanie tire du droit à une protection juridictionnelle effective, de la situation d’incertitude juridique et du risque financier supporté par cet État membre. En effet, bien que la condition relative aux effets de droit obligatoires doive être interprétée à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective tel que garanti à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il suffit de rappeler que ce droit n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article 47, lesquelles doivent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de cette charte, être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 ainsi que jurisprudence citée). Partant, l’interprétation de la notion d’« acte attaquable » à la lumière dudit article 47 ne saurait aboutir à écarter cette condition sans excéder les compétences attribuées par le traité aux juridictions de l’Union [voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 81, ainsi que ordonnance du 14 mai 2012, Sepracor Pharmaceuticals (Ireland)/Commission, C‑477/11 P, non publiée, EU:C:2012:292, point 54].

69      Partant, le dispositif de l’ordonnance attaquée, en ce qu’il rejette le recours formé par la Roumanie comme étant irrecevable, est fondé, de telle sorte qu’il convient d’écarter les premier et second moyens, sans qu’il soit besoin d’apprécier les arguments relatifs à une prétendue contradiction des motifs contenus aux points 24 et 25 et au point 29 de l’ordonnance attaquée et à l’applicabilité du mécanisme de mise à disposition conditionnelle. Par conséquent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

71      La Commission ayant conclu à la condamnation de la Roumanie aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

72      L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

73      Partant, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne et la République slovaque supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      La Roumanie supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République tchèque, la République fédérale d’Allemagne et la République slovaque supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.