Language of document : ECLI:EU:C:2021:221

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 18 mars 2021 (1)

Affaire C8/20

L.R.

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (tribunal administratif de Schleswig-Holstein, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Demande de protection internationale – Article 33, paragraphe 2, sous d) – Irrecevabilité en cas de décision finale prise sur une demande antérieure – Décision finale prise par la Norvège – Article 2, sous q) – Notion de “demande ultérieure” – Règlement (UE) no 604/2013 – Article 19, paragraphe 3 – Demande de protection internationale présentée après l’éloignement effectif du demandeur vers son pays d’origine »






1.        La présente demande de décision préjudicielle, relative à une demande de protection internationale, porte sur l’interprétation du motif d’irrecevabilité prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 (2). Ce motif vise les « demandes ultérieures » (3) dans lesquelles n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour bénéficier d’une telle protection.

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant un ressortissant iranien, L. R., à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) au sujet de la légalité d’une décision du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge – Außenstelle Boostedt (Office fédéral pour les migrations et les réfugiés, antenne de Boostedt, Allemagne) (ci‑après l’« Office ») ayant rejeté comme étant irrecevable la demande de protection internationale de l’intéressé. Cette décision reposait sur le fait que L. R. avait, plusieurs années auparavant, présenté une première demande auprès du Royaume de Norvège, laquelle avait fait l’objet d’une décision finale négative.

3.        Telle que formulée, la question posée par la juridiction de renvoi vise à obtenir des éclaircissements sur la participation du Royaume de Norvège au régime d’asile européen commun aux fins de savoir, en substance, si une décision finale négative de cet État tiers concernant une demande de protection internationale peut être traitée comme si elle avait été prise par un « État membre » et permettre à l’Office de déclarer irrecevable, au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, une « demande ultérieure » du même demandeur.

4.        Avant de pouvoir répondre à cette question, j’estime cependant qu’il convient de clarifier le point de savoir si, dans le contexte de l’application du règlement Dublin III, le fait que le demandeur a regagné son pays d’origine entre sa première et sa seconde demande fait, à lui seul, obstacle à la qualification de cette dernière en tant que « demande ultérieure ».

5.        À l’issue de mon exposé, je proposerai à la Cour de juger que, puisque L. R. a été éloigné par le Royaume de Norvège vers son pays d’origine au terme de l’examen de sa première demande, la demande en cause au principal doit être traitée comme une nouvelle demande. À titre subsidiaire, dans le cas où la Cour ne se rallierait pas à cette proposition, j’indiquerai les raisons pour lesquelles j’estime que la circonstance que la décision a été prise par un autre État membre ou, comme en l’espèce, par le Royaume de Norvège, n’empêche pas l’État membre auprès duquel une demande est introduite de la déclarer irrecevable en tant que « demande ultérieure ».

I.      Le cadre juridique

A.      L’accord entre l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège

6.        L’accord entre [l’Union] européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans un État membre, en Islande ou en Norvège (JO 2001, L 93, p. 40, ci‑après l’« accord entre l’Union, la République d’Islande et le Royaume de Norvège ») a été approuvé au nom de l’Union européenne par la décision 2001/258/CE (4).

7.        Aux termes de l’article 1er de cet accord :

« 1.      Les dispositions de la convention de Dublin, énumérées à la partie 1 de l’annexe du présent accord et les décisions du comité institué par l’article 18 de la convention de Dublin énumérées à la partie 2 de ladite annexe, sont mises en œuvre par l’Islande et la Norvège et appliquées dans leurs relations mutuelles et dans leurs relations avec les États membres, sous réserve du paragraphe 4.

2.      Les États membres appliquent, sous réserve du paragraphe 4, les règles visées au paragraphe 1, à l’Islande et à la Norvège.

[...]

4.      Aux fins des paragraphes 1 et 2, les références aux “États membres” contenues dans les dispositions visées à l’annexe, sont réputées englober l’Islande et la Norvège.

[...] »

8.        Ni la directive 2011/95 (5) ni la directive 2013/32 ne sont visées à l’annexe dudit accord.

B.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement Dublin III

9.        L’article 18, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit :

« 1.      L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de :

[...]

d)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. »

10.      L’article 19, paragraphe 3, de ce règlement dispose :

« Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande.

Toute demande introduite après qu’un éloignement effectif a eu lieu est considérée comme une nouvelle demande et donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable. »

2.      La directive 2013/32

11.      Le considérant 13 de la directive 2013/32 est libellé comme suit :

« Le rapprochement des règles relatives aux procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale devrait contribuer à limiter les mouvements secondaires des demandeurs d’une protection internationale entre les États membres dans les cas où ces mouvements seraient dus aux différences qui existent entre les cadres juridiques des États membres, et à créer des conditions équivalentes pour l’application de la directive [2011/95] dans les États membres. »

12.      Le considérant 36 de cette directive dispose :

« Lorsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, il serait disproportionné d’obliger les États membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet. Les États membres devraient, en l’espèce, pouvoir rejeter une demande comme étant irrecevable conformément au principe de l’autorité de la chose jugée. »

13.      L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

q)      “demande ultérieure”, une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1. »

14.      Aux termes de l’article 33, paragraphe 2, de cette même directive, intitulé « Demandes irrecevables » :

« 2.      Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

[...]

d)      la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95[...]

[...] »

15.      L’article 40 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes ultérieures », dispose :

« 1.      Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier examine ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

2.      Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

[...]

5.      Lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi en vertu du présent article, ladite demande est considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, point d).

[...]

7.      Lorsqu’une personne à l’égard de laquelle une décision de transfert doit être exécutée en vertu du règlement [Dublin III] fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans l’État membre procédant au transfert, ces déclarations ou demandes ultérieures sont examinées par l’État membre responsable au sens dudit règlement, conformément à la présente directive. »

C.      Le droit allemand

16.      L’article 29 de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), dans sa version applicable aux faits en cause au principal (ci‑après l’« AsylG »), intitulé « Demandes irrecevables », est ainsi libellé :

« (1)      Une demande d’asile est irrecevable lorsque :

[...]

5.      Dans le cas d’une demande ultérieure au sens de l’article 71 ou d’une deuxième demande au sens de l’article 71 bis, il n’y a pas lieu de conduire une autre procédure d’asile. [...] »

17.      L’article 71 bis de l’AsylG, intitulé « Deuxième demande », prévoit :

« (1)      Si un étranger, après qu’une procédure d’asile a été clôturée par un rejet dans un pays tiers sûr (article 26 bis) pour lequel s’appliquent des dispositions juridiques de [l’Union] européenne portant sur la responsabilité du traitement des procédures d’asile ou avec lequel la République fédérale d’Allemagne a conclu à ce sujet un traité international, présente sur le territoire fédéral une demande d’asile (deuxième demande), il n’y a lieu de conduire une autre procédure d’asile que lorsque la République fédérale d’Allemagne est responsable du traitement de la procédure d’asile et que les conditions de l’article 51, paragraphes 1 à 3, du [Verwaltungsverfahrensgesetz (loi sur la procédure administrative)] sont réunies ; l’examen incombe à l’[Office]. [...] »

18.      Selon les indications de la juridiction de renvoi, dans le cas d’une deuxième demande d’asile, l’article 51, paragraphe 1, de la loi sur la procédure administrative exige un exposé des faits concluant, qui ne doit pas être inapte dès le départ, après tout examen défendable, à faire obtenir le droit sollicité.

II.    Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

19.      Le 22 décembre 2014, L. R., ressortissant iranien, a introduit auprès de l’Office une demande de protection internationale.

20.      Lors de l’examen de la demande, il s’est avéré que L. R. avait auparavant demandé l’asile en Norvège. La République fédérale d’Allemagne a donc demandé au Royaume de Norvège de reprendre en charge L. R., conformément aux obligations qui découlent du règlement Dublin III et qui sont applicables à cet État tiers.

21.      Par courrier du 26 février 2015, le Royaume de Norvège a refusé d’accéder à cette demande, au motif que sa responsabilité avait cessé, conformément à l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement. Dans sa réponse à l’Office, le Royaume de Norvège a précisé que L. R. avait présenté une demande de protection internationale auprès de l’autorité compétente norvégienne le 1er octobre 2008, que celle‑ci avait été rejetée le 15 juin 2009 et que, le 19 juin 2013, L. R. avait été remis aux autorités iraniennes.

22.      Au cours de la procédure d’examen par l’Office, L. R. a indiqué avoir quitté l’Iran dix-huit mois avant le dépôt de sa demande en Allemagne et avoir vécu en Irak jusqu’à trois mois avant son arrivée sur le territoire allemand.

23.      Par décision du 13 mars 2017, l’Office a rejeté la demande de protection internationale de L. R. comme étant irrecevable, en application de l’article 29, paragraphe 1, point 5, de l’AsylG. L’Office a estimé qu’il s’agissait d’une deuxième demande, au sens de l’article 71 bis de l’AsylG et que les conditions énoncées à l’article 51, paragraphe 1, de la loi sur la procédure administrative pour justifier une nouvelle procédure d’asile n’étaient pas réunies, les faits présentés par L. R. à l’appui de sa demande n’apparaissant pas crédibles dans leur ensemble.

24.      L. R. a saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre cette décision. Il cherche, à titre principal, à obtenir l’octroi du statut de réfugié et, à titre subsidiaire, la protection subsidiaire (6). À titre encore plus subsidiaire, il demande la constatation d’une interdiction d’éloignement en vertu du droit allemand.

25.      La juridiction de renvoi estime que, pour statuer sur le litige pendant devant elle, elle a besoin de savoir si une demande de protection internationale peut être qualifiée de « demande ultérieure », au sens de la directive 2013/32, lorsque la procédure ayant abouti au rejet, par décision finale, d’une demande antérieure de l’intéressé a eu lieu non pas dans un autre État membre de l’Union, mais en Norvège.

26.      À cet égard, elle indique, en premier lieu, que, selon elle, le motif d’irrecevabilité visé à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive peut aussi bien trouver à s’appliquer lorsque cette procédure a été conduite dans le même État membre que lorsqu’elle a été menée dans un autre État membre. Le fait que le demandeur, après avoir obtenu une décision finale négative concernant une demande antérieure dans un premier État membre, sollicite à nouveau la protection internationale auprès d’un autre État membre que ce dernier ne ferait pas obstacle à ce que sa demande puisse être déclarée irrecevable en tant que « demande ultérieure ».

27.      En second lieu, cette juridiction reconnaît qu’il ressort du libellé de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 2, sous b), e) et q), de la directive 2013/32, que la notion de « demande ultérieure » présuppose que la « décision finale » ayant rejeté une demande antérieure du même demandeur a été adoptée par un État membre, et non par un État tiers. Toutefois, elle est encline à penser que cette directive doit être interprétée de manière plus large dans le contexte de l’association du Royaume de Norvège au régime d’asile européen commun, telle qu’elle résulterait de l’accord entre l’Union, la République d’Islande et le Royaume de Norvège.

28.      Dans ces conditions, le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (tribunal administratif de Schleswig-Holstein, Allemagne) a, par décision du 30 décembre 2019, parvenue à la Cour le 9 janvier 2020, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une règle nationale en vertu de laquelle une demande de protection internationale peut être rejetée en tant que celle‑ci constitue une demande ultérieure irrecevable lorsqu’une première procédure d’asile ayant abouti à un rejet a été conduite non pas dans un État membre de l’Union, mais en Norvège, est-elle compatible avec l’article 33, paragraphe 2, sous d), et avec l’article 2, sous q), de la directive 2013/32 [...] ? »

29.      La République fédérale d’Allemagne et la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Une audience de plaidoirie, à laquelle ont participé la Commission et le gouvernement allemand, s’est tenue le 3 décembre 2020.

III. Analyse

30.      Comme je l’ai indiqué en introduction des présentes conclusions, la particularité de l’affaire au principal réside, selon moi, dans le fait que L. R. a, en raison de mesures d’éloignement, quitté le territoire norvégien à l’issue de la première procédure d’asile dont il a fait l’objet et qu’il a regagné son pays d’origine avant d’introduire une seconde demande de protection internationale en Allemagne.

31.      Contrairement à ce qu’a laissé entendre le gouvernement allemand en réponse à une question de la Cour lors de l’audience, cet éloignement effectif de L. R. entre sa première et sa seconde demande a d’importantes conséquences en ce qui concerne l’interprétation de la notion de « demande ultérieure ». Je les expliquerai dans la section A des présentes conclusions. J’indiquerai que, sous l’empire du règlement Dublin III, les demandes présentées par des ressortissants de pays tiers tels que L. R. qui, après avoir été éloignés vers leur pays d’origine, sollicitent à nouveau la protection internationale ne relèvent, à mon avis, pas de cette notion. Ainsi, dans une affaire telle que celle en cause au principal, la demande de l’intéressé ne peut tout simplement pas être déclarée irrecevable au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

32.      À titre subsidiaire (section B), j’examinerai le bien‑fondé de la prémisse dont part la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, à savoir que cette disposition ne s’oppose pas à ce qu’une demande de protection internationale soit qualifiée de « demande ultérieure » par un autre État membre que celui ayant adopté la décision finale négative antérieure si son droit national le permet. J’exposerai que le motif d’irrecevabilité prévu à ladite disposition peut trouver à s’appliquer non seulement lorsque des demandes successives sont introduites auprès du même État membre, mais également dans des cas de mouvements secondaires, lorsque l’État membre auprès duquel le demandeur dépose une seconde demande devient l’État membre responsable.

33.      Pour finir, je formulerai quelques remarques sur la situation particulière du Royaume de Norvège, en tant qu’État tiers qui n’a adhéré ni à la directive 2013/32, ni à la directive 2011/95, mais auquel les dispositions du règlement Dublin III s’appliquent (section C).

A.      Sur l’applicabilité de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 dans le cas où le demandeur a été éloigné vers son pays d’origine avant de solliciter à nouveau la protection internationale

34.      D’emblée, il me paraît utile de préciser que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2), sous d), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 2, sous q), de celle‑ci, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions (7).

35.      En l’occurrence, les éléments fournis dans la décision de renvoi font, selon moi, justement apparaître que, compte tenu de l’objet du litige au principal, il y a lieu, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, d’interpréter également d’autres dispositions du droit de l’Union, à savoir celles prévues par le règlement Dublin III.

36.      À cet égard, je rappelle que, ainsi qu’il ressort de son article 3, paragraphe 1, seconde phrase, ce règlement repose sur la logique selon laquelle il n’existe qu’un seul État membre responsable pour chaque ressortissant de pays tiers ou apatride qui introduit une demande de protection internationale. Conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous d), dudit règlement, l’État membre responsable est tenu de reprendre en charge le demandeur si ce dernier, après que sa demande a été rejetée, introduit une demande dans un autre État membre.

37.      Ainsi qu’il ressort du point 21 des présentes conclusions, l’affaire au principal concerne la situation bien particulière où une telle reprise en charge n’est pas possible car la responsabilité de l’État ayant analysé la demande antérieure de L. R. (en l’occurrence, le Royaume de Norvège) a cessé. Il est constant entre les parties que les obligations de ce dernier à l’égard de L. R. ont pris fin en vertu de l’article 19, paragraphe 3, premier alinéa, de ce même règlement. Cette disposition vise le cas où le demandeur a quitté le territoire de l’État membre responsable en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de sa demande.

38.      Or, dans ce cas, l’article 19, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Dublin III prévoit que toute demande introduite par le demandeur après que son éloignement effectif a eu lieu doit être considérée comme une nouvelle demande, donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable.

39.      Faut-il en déduire que, compte tenu de l’éloignement effectif dont L. R. a fait l’objet, la demande en cause au principal doit, contrairement à ce qu’a laissé entendre le gouvernement allemand en réponse à une question de la Cour lors de l’audience, être considérée comme une « nouvelle demande », sans qu’il soit possible, pour la République fédérale d’Allemagne, de la qualifier de « demande ultérieure » et de la déclarer irrecevable au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 ?

40.      Je pense que oui.

41.      À cet égard, je précise qu’une demande présentée à la suite de l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine ne relève ni de l’article 18, paragraphe 1, sous d), de ce règlement, ni des dispositions y mentionnées, lesquelles sont relatives à la « reprise en charge » par l’État membre responsable. Il convient, dès lors, à mon sens, de bien distinguer, sur le plan juridique, une telle demande de celles présentées dans le cadre de mouvements secondaires (c’est‑à‑dire lorsque le demandeur se déplace d’un État membre vers un autre sans quitter le territoire de l’Union) qui sont couvertes par ces dispositions et qui peuvent, ainsi que je l’expliquerai dans la suite des présentes conclusions, être déclarées irrecevables en tant que « demandes ultérieures », sous certaines conditions (8).

42.      La finalité de ce règlement et de la directive 2013/32 ne me paraît pas requérir une interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive autre que celle que je propose à la lumière de l’article 19, paragraphe 3, second alinéa, dudit règlement.

43.      À cet égard, je souligne que, en adoptant le règlement Dublin III, le législateur entendait notamment accélérer le traitement des demandes de protection internationale en garantissant aux demandeurs l’examen de leur demande au fond par un seul État membre clairement déterminé, ce qui permettrait d’éviter le forum shopping (9) et l’engorgement du système par l’obligation qu’auraient des États membres de traiter de multiples demandes introduites par un même demandeur (10).

44.      De tels objectifs ressortent également, en substance, du considérant 13 de la directive 2013/32.

45.      Or, dans un cas tel que celui en cause au principal, et comme je l’ai indiqué au point 41 des présentes conclusions, il est question non pas d’un mouvement secondaire depuis un État membre (ou depuis un État tiers qui participe à ce règlement) vers un autre, mais d’un ressortissant de pays tiers qui quitte, pour la seconde fois, son pays d’origine.

46.      Qui plus est, le ressortissant se trouve dans une situation qui n’est, en réalité, pas bien différente de celle d’un premier demandeur (11). Plus précisément, au moment du dépôt de la seconde demande de protection internationale de L. R., il n’existait plus d’État membre responsable à son égard. Le fait que la République fédérale d’Allemagne soit contrainte de soumettre cette seconde demande à un examen complet ne porte donc nullement préjudice à la réalisation de l’objectif dudit règlement de centraliser les demandes, afin d’empêcher que l’intéressé dépose de multiples demandes dans d’autres États membres, alors même qu’il existe déjà, en ce qui le concerne, un État membre responsable.

47.      Il résulte de ce qui précède que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 2, sous q), de celle‑ci, doit, d’après moi, être interprété en ce sens qu’une demande de protection internationale telle que celle déposée par L. R., dans les circonstances de l’affaire en cause au principal, ne saurait être déclarée irrecevable en tant que « demande ultérieure ». Cette solution s’impose en vertu de l’article 19, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Dublin III, dont il découle que les demandes présentées par des ressortissants qui ont déjà fait l’objet d’une procédure d’asile à l’issue de laquelle une décision finale négative a été adoptée et qui ont, entre-temps, été éloignés vers leurs pays d’origine ne sauraient relever de cette notion (12).

48.      Dans la section suivante, que je développerai ci‑après à titre subsidiaire, dans le cas où la Cour considérerait, contrairement à ce que je propose, que cette disposition n’est pas pertinente pour la résolution de la présente affaire ou qu’il convient de l’interpréter en ce sens que l’éloignement effectif de L. R. avant le dépôt de sa demande n’a pas d’incidence sur la qualification de celle‑ci en tant que « demande ultérieure », j’examinerai le bien‑fondé de la prémisse dont part la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, à savoir qu’il est possible pour un État membre, pour autant que son droit national le permette, de déclarer irrecevables en tant que « demandes ultérieures » les demandes de protection internationale qui lui sont adressées aussi bien après qu’un autre État membre a adopté une décision finale négative concernant une demande antérieure du demandeur que lorsqu’il a lui-même adopté une telle décision.

B.      À titre subsidiaire, sur l’applicabilité de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 dans le cas où le demandeur sollicite la protection internationale auprès d’un autre État membre que celui ayant adopté la décision finale négative antérieure

49.      Je rappelle que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32 énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme étant irrecevable (13). Le caractère exhaustif de l’énumération figurant à cette disposition repose tant sur son libellé (14) que sur sa finalité qui consiste, précisément, ainsi que la Cour l’a déjà constaté, à assouplir l’obligation de l’État membre responsable d’examiner une demande de protection internationale en définissant les cas dans lesquels une telle demande est considérée comme étant irrecevable (15).

50.      À cet égard, j’observe que ladite disposition opère une distinction entre les cas où une demande de protection internationale antérieure a été rejetée par une décision finale [article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 2, sous q) de celle‑ci] et ceux où une protection internationale a déjà été accordée [article 33, paragraphe 2, sous a), de cette directive].

51.      Cette dernière disposition fait explicitement référence à la situation où un « autre État membre » (16) répond favorablement à une première demande de la personne concernée (17). En revanche, ni l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, ni son article 2, sous q), portant définition de la notion de « demande ultérieure », ne précisent si, dans le cas où la décision finale concernant une demande antérieure de la personne concernée est négative, celle‑ci doit systématiquement avoir été prise par le même État membre que celui auquel est adressée la demande ultérieure ou peut, au contraire, avoir été prise par un autre État membre (18).

52.      Comme je l’ai indiqué au point 48 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle la notion de « demande ultérieure » peut aussi bien être appliquée à une demande de protection internationale présentée auprès d’un autre État membre que celui ayant adopté la décision finale négative antérieure qu’à une demande adressée au même État membre.

53.      La République fédérale d’Allemagne et le gouvernement allemand partagent cette analyse. La Commission considère, au contraire, que le motif d’irrecevabilité prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 ne peut être appliqué que dans ce dernier cas de figure.

54.      J’exposerai ci‑après les raisons pour lesquelles j’estime que, après qu’une décision finale négative a été prise sur une demande antérieure, toute demande présentée par le même demandeur dans un État membre, quel qu’il soit, peut être considérée comme une « demande ultérieure » (19). Au préalable, il me paraît utile d’effectuer quelques rappels sur le mécanisme de « reprise en charge » prévu par le règlement Dublin III, afin de clarifier le contexte dans lequel un État membre qui n’est pas celui ayant adopté la décision finale négative antérieure, peut, le cas échéant, être amené à se prononcer sur la recevabilité d’une telle demande.

1.      Rappels sur le mécanisme de « reprise en charge » du règlement Dublin III

55.      Ainsi que je l’ai déjà indiqué au point 36 des présentes conclusions, le mécanisme de « reprise en charge » vise, dans le cadre de l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement Dublin III, notamment, à éviter qu’une demande de protection internationale soit examinée par un autre État membre que celui ayant pris la décision finale négative concernant une demande antérieure du ressortissant (20).

56.      Plus précisément, lorsqu’une personne relève de cette disposition, l’État membre auprès duquel la demande est introduite (que je désignerai par souci de clarté comme étant l’« État membre B ») peut requérir celui ayant adopté la décision finale négative (c’est‑à‑dire l’« État membre responsable » ou l’« État membre A ») aux fins de reprise en charge de l’intéressé (21).

57.      À la suite de l’acceptation de la requête par l’État membre A, l’État membre B notifie à la personne concernée la décision de procéder à son transfert et, le cas échéant, de ne pas examiner sa demande de protection internationale (22). Il adopte, en d’autres termes, une décision de transfert et de non‑examen.

58.      À cet égard, il convient de rappeler que, dans sa jurisprudence, la Cour a clairement distingué les décisions de transfert et de non‑examen des décisions d’irrecevabilité prises en application de la directive 2013/32. Elle a, en particulier, indiqué qu’il résulte du libellé de l’article 33, paragraphe 1, de cette directive, notamment de l’emploi des termes « [o]utre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement [Dublin III] », ainsi que de l’objectif d’économie de procédure poursuivi par cette disposition que, dans les situations énumérées à l’article 33, paragraphe 2, de ladite directive, celle‑ci permet aux États membres de rejeter une demande de protection internationale comme étant irrecevable sans que ces derniers doivent ou puissent recourir prioritairement aux procédures de prise ou de reprise en charge prévues par ce règlement (23).

59.      Il s’ensuit qu’une demande de protection internationale ne saurait à la fois faire l’objet d’une décision de transfert et de non‑examen, et être déclarée irrecevable.

60.      Cette conclusion est corroborée par l’article 40, paragraphe 7, de la directive 2013/32, lequel prévoit que les demandes ultérieures d’une personne à l’égard de laquelle une décision de transfert doit être exécutée sont examinées par l’État membre responsable (c’est‑à‑dire par l’État membre A), de sorte qu’il n’est pas question, pour un autre État membre que celui‑ci (c’est‑à‑dire pour l’État membre B), de se prononcer sur leur éventuelle irrecevabilité (24).

61.      À cet égard, la Commission soutient que toute demande introduite auprès d’un autre État membre que celui ayant adopté une décision finale négative concernant une demande antérieure du demandeur doit, conformément à l’article 18, paragraphe 1), sous d), du règlement Dublin III, être soumise, en priorité, au mécanisme de « reprise en charge ». Selon elle, ce ne serait qu’en cas de cessation de responsabilité de l’État membre A, lorsque la reprise en charge n’est pas possible en vertu de l’article 19, paragraphe 3, du règlement Dublin III, que la question de l’applicabilité de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 à une telle demande pourrait éventuellement se poser dans un contexte impliquant plusieurs États membres.

62.      Or, en premier lieu, comme je l’ai exposé dans la section précédente des présentes conclusions, lorsque la reprise en charge n’est pas possible en vertu de l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement, toute demande introduite par le demandeur après qu’il a été éloigné vers son pays d’origine, doit, selon moi, être considérée comme une « nouvelle demande ».

63.      En second lieu, il me paraît clair que la question de l’applicabilité de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 s’inscrit, en réalité, dans un contexte plus large que celui envisagé par la Commission, les modalités de mise en œuvre du mécanisme de « reprise en charge » ayant été clairement circonscrites par le législateur de l’Union.

64.      À cet égard, d’une part, il ressort de l’expression « peut requérir » employée par celui‑ci à l’article 23, paragraphe 1, du règlement Dublin III que la procédure de « reprise en charge » engagée sur le fondement de cette disposition est mise en œuvre à la discrétion des États membres (25). Ainsi, au lieu d’adopter une décision de transfert et de non‑examen, l’État membre B peut tout à fait considérer qu’il est l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’un ressortissant de pays tiers à l’égard duquel l’État membre A a déjà adopté une décision finale négative (26).

65.      D’autre part, cet examen lui incombe, en tout état de cause, s’il ne formule pas de requête de reprise en charge auprès de l’État membre A dans un délai de deux mois à compter de la réception d’un résultat positif de la base de données Eurodac (27). Il en va de même si le transfert n’est pas exécuté dans un délai de six mois à compter de l’acceptation de la requête de reprise en charge par l’État membre A (28).

66.      Il en découle que, même si, lorsqu’une demande ultérieure est introduite auprès de l’État membre B après qu’une décision finale négative concernant une demande antérieure du demandeur a été prise par l’État membre A, le mécanisme de « reprise en charge » constitue l’issue privilégiée par le règlement Dublin III, il n’est pas obligatoire, ni même toujours possible, pour l’État membre B d’y recourir (29). Ces conséquences découlent des choix opérés par le législateur de l’Union, dans la mesure où celui‑ci a prévu un transfert de responsabilité entre l’État membre A et l’État membre B dans certaines situations couvertes par l’article 18, paragraphe 1, sous d), de ce règlement.

67.      C’est dans ce contexte, qui dépasse celui envisagé par la Commission, qu’il convient de répondre à la question de savoir si, comme le proposent la République fédérale d’Allemagne et le gouvernement allemand, dans le cas où un demandeur présente, à la suite d’une décision finale négative d’un État membre A, une seconde demande de protection internationale dans un État membre B, celui‑ci peut se fonder sur le motif d’irrecevabilité prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 et prévoir, dans son droit national, qu’une telle demande est irrecevable en tant que « demande ultérieure ».

68.      Pour les raisons que j’exposerai dans la sous-section suivante, je considère que, pour autant que l’État membre B devienne l’État membre responsable à la place de l’État membre A, conformément aux critères uniformes établis par le règlement Dublin III (c’est‑à‑dire parce qu’il le décide ou parce que les délais pour l’introduction de la requête de reprise en charge ou le transfert ne sont pas respectés (30)), il y a lieu de répondre à cette question par l’affirmative.

2.      Sur la possibilité pour l’État membre B de déclarer la demande irrecevable en tant que « demande ultérieure »

69.      Dans sa jurisprudence, la Cour a, à plusieurs reprises, indiqué que le principe de confiance mutuelle entre les États membres, sur lequel est fondé le régime d’asile européen commun, a, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures (31). En particulier, elle a expressément reconnu que l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 constituait une expression de ce principe (32).

70.      La Commission fait valoir que, en l’absence d’une intention expresse du législateur, il ne saurait être déduit de cette seule disposition que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive trouverait, lui aussi, à s’appliquer dans un contexte transfrontière au sein de l’Union. L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 serait une exception au fait que le droit de l’Union ne prévoit actuellement pas, entre les États membres, la reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière d’asile.

71.      Cet avis de la Commission provient notamment du fait que le considérant 36 de la directive 2013/32 lie l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive au principe de l’autorité de la chose jugée (33). Selon elle, dès lors que, au sein des États membres, seules les décisions nationales pourraient acquérir force de chose jugée, cette disposition ne pourrait viser que les situations où la décision finale négative concernant une demande antérieure du demandeur est issue du même État membre que celui auprès duquel la demande ultérieure est introduite.

72.      Je partage sans difficulté l’appréciation de la Commission selon laquelle, dans le cas où un demandeur présente des demandes successives auprès d’un même État membre, ladite disposition permet, en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée (34), de déclarer irrecevable une « demande ultérieure » dans laquelle n’apparaîtraient ou ne seraient présentés aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si les conditions requises pour bénéficier d’une protection internationale sont remplies.

73.      En revanche, je n’adhère pas à sa thèse selon laquelle le caractère définitif d’une décision négative prise sur une demande antérieure ne pourrait être reconnu qu’au sein de l’État membre de l’autorité administrative l’ayant adoptée, et non également par d’autres États membres. En effet, il ne ressort ni de la jurisprudence de la Cour, ni de l’économie générale et de la finalité du règlement Dublin III et de la directive 2013/32 que tel devrait être le cas.

74.      À cet égard, je relève, tout d’abord, que dans son arrêt Ibrahim (35), la Cour a indiqué que l’article 33, paragraphe 2), sous a), de cette directive visait à permettre de rejeter une nouvelle demande comme étant irrecevable également dans les situations où le demandeur ne s’était vu accorder qu’une protection subsidiaire dans un autre État membre, et non uniquement lorsqu’il avait obtenu le statut de réfugié. L’octroi de la protection subsidiaire emportant nécessairement rejet de la demande en ce qu’elle vise à obtenir le statut de réfugié, il convient, à mes yeux, de considérer, à l’instar du gouvernement allemand, que la Cour a, en substance, déjà étendu le principe de confiance mutuelle aux décisions partiellement négatives prises par les États membres (36).

75.      Ensuite, le fait d’interpréter l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 en ce sens qu’il permet à l’État membre B, en vertu dudit principe et sous réserve que son droit national le prévoie, de déclarer irrecevable une demande de protection internationale en tant que « demande ultérieure » lorsqu’il devient l’État membre responsable de son examen, me paraît compatible avec la définition de la notion de « demande ultérieure » donnée à l’article 2, sous q), de cette directive, laquelle est suffisamment large pour admettre cette interprétation.

76.      Enfin, cette solution s’inscrit dans la continuité des objectifs de cette directive et du règlement Dublin III.

77.      En premier lieu, elle permet de répondre au besoin d’empêcher efficacement les mouvements secondaires entre les États membres que ce règlement et ladite directive visent précisément à prévenir (37).

78.      Sur ce point, je rappelle que, si une demande ultérieure n’est pas rejetée comme étant irrecevable au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 (38), l’État membre responsable peut décider de soumettre celle‑ci à une procédure d’examen accélérée (39). Le cas échéant, il peut, au terme de cette procédure, considérer la demande comme étant « manifestement non fondée » (40). Il a également la faculté de déroger, sous certaines conditions, au droit, pour le demandeur, de rester sur son territoire (41).

79.      Qu’adviendrait-il alors si, lorsque le demandeur introduit une demande ultérieure, seul l’État membre ayant adopté la décision finale négative antérieure (c’est‑à‑dire l’État membre A) pouvait appliquer les dispositions susmentionnées, tandis que tout autre État membre que ce dernier serait contraint de procéder à un nouvel examen complet de la demande sans pouvoir traiter celle‑ci comme une « demande ultérieure » ? Le résultat serait certainement, ainsi que l’a exposé le gouvernement allemand, que, après avoir fait l’objet d’une décision finale négative dans l’État membre A, les ressortissants seraient incités à multiplier des demandes similaires auprès d’autres États membres afin d’obtenir un nouvel examen complet de leur situation, ce qui engendrerait des mouvements secondaires contraires aux objectifs poursuivis à la fois par le règlement Dublin III et la directive 2013/32.

80.      À cet égard, je précise que la Cour s’est récemment fondée sur ces mêmes objectifs du règlement Dublin III dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Demande de protection internationale en Irlande) (42), aux fins de permettre à un État membre auquel s’applique ce règlement mais qui n’est pas lié par la directive 2013/32 de considérer comme étant irrecevable une demande de protection internationale lorsque le demandeur bénéficie du statut conféré par la protection subsidiaire dans un autre État membre.

81.      En second lieu, l’obligation de réaliser un nouvel examen complet des demandes ultérieures introduites auprès d’autres États membres que celui ayant analysé une demande antérieure du demandeur affecterait de manière significative la durée des procédures, alors même que la directive 2013/32 admet pour principe essentiel qu’il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs que, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif, les demandes fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible (43).

82.      C’est en lien avec ces objectifs que, afin de prendre une décision sur leur recevabilité en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, les demandes ultérieures sont tout d’abord soumises, conformément à l’article 40, paragraphe 2, de cette directive, à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur.

83.      À cet égard, je souligne que le fait que l’État membre B, qui n’a pas adopté la décision finale négative concernant une demande antérieure du même demandeur, procède à cet examen préliminaire ne soulève, en soi, aucune difficulté particulière en ce qui concerne l’accès effectif du demandeur à un examen approprié de sa situation.

84.      En effet, comme l’a souligné le gouvernement allemand, les échanges d’informations établis dans le cadre du règlement Dublin III et, en particulier, à l’article 34 de ce règlement, rendent cet exercice parfaitement faisable par tout État membre. Cette disposition permet d’obtenir toutes les données adéquates, pertinentes et raisonnables pour l’examen d’une demande de protection internationale (notamment concernant la date et le lieu d’introduction d’une éventuelle demande antérieure, l’état d’avancement de la procédure, la teneur et la date de la décision prise) (44).

85.      Au vu de ces considérations, j’estime que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 2, sous q), de celle‑ci, ne s’oppose pas à une règle nationale permettant à l’État membre B de déclarer une demande de protection internationale irrecevable en tant que « demande ultérieure » lorsqu’un autre État membre a adopté la décision finale négative concernant une demande antérieure du même demandeur. Une telle règle doit cependant clairement faire apparaître que l’État membre B n’est en mesure de déclarer une telle demande irrecevable qu’à la condition que, comme je l’ai indiqué au point 68 des présentes conclusions, il soit devenu l’État membre responsable conformément aux critères uniformes établis par le règlement Dublin III (45).

86.      La conséquence pratique de l’approche que je préconise est simplement de permettre à cet État membre, lorsqu’il devient l’État membre responsable, de se fonder sur la décision finale négative antérieure de l’autre État membre et d’appliquer les mêmes règles que cet autre État membre pourrait appliquer si la demande avait été introduite devant lui (46).

3.      Conclusion intermédiaire

87.      Il découle de l’ensemble de ce qui précède que, dans le contexte d’une application combinée du règlement Dublin III et de la directive 2013/32, il est possible, pour un État membre, en vertu du principe de confiance mutuelle, d’adopter, dans son droit national, une règle permettant de déclarer irrecevable une demande de protection internationale en tant que « demande ultérieure », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous q), de celle‑ci, lorsqu’il n’a pas lui‑même adopté la décision finale portant rejet d’une demande antérieure du même demandeur mais est devenu l’État membre responsable de l’examen de la demande.

88.      En revanche, comme je l’ai indiqué dans la section précédente des présentes conclusions, ledit État membre ne dispose pas de cette faculté lorsque le demandeur a fait l’objet d’un éloignement effectif entre l’adoption de la décision finale antérieure de rejet et sa nouvelle demande.

C.      Sur l’applicabilité de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 dans le cas où la première procédure d’asile s’est déroulée en Norvège

89.      Je rappelle que le Royaume de Norvège est lié à la politique d’asile et d’immigration de l’Union au moyen, notamment, de l’accord de Schengen (47). Cet État est également rattaché au système de Dublin et à Eurodac (48), le règlement Dublin III ayant été incorporé en droit norvégien (49), conformément à l’accord entre l’Union, la République d’Islande et le Royaume de Norvège.

90.      L’adhésion du Royaume de Norvège à ce règlement est complète, sans régimes particuliers ni exceptions.

91.      À cet égard, il importe de relever que ledit règlement a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des États y participant, qu’ils soient États membres ou États tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la convention de Genève et le protocole de 1967 (50), à savoir le principe de non‑refoulement, ainsi que dans la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (51) et, partant, que ces États peuvent s’accorder une confiance mutuelle en ce qui concerne le respect de ces droits fondamentaux, l’ensemble de ces mêmes États étant, par ailleurs, tous parties aussi bien à la convention de Genève et à ce protocole qu’à la CEDH (52).

92.      Il en résulte que la participation du Royaume de Norvège au système de Dublin repose, ainsi que l’a souligné le gouvernement allemand, sur la présomption selon laquelle le traitement réservé par cet État tiers aux demandeurs de protection internationale est conforme à l’ensemble des exigences auxquelles sont soumis les États membres, en vertu de ces instruments.

93.      Cependant, il convient également de constater que le Royaume de Norvège n’a adhéré ni à la directive 2013/32, ni à la directive 2011/95, laquelle régit, dans le cadre du concept de « protection internationale », deux régimes distincts de protection, à savoir, d’une part, le statut de réfugié et, d’autre part, celui conféré par la protection subsidiaire.

94.      À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort des considérants 6 et 33 de la directive 2011/95, la protection subsidiaire a pour objet de compléter la protection des réfugiés consacrée par la convention de Genève (53), dont le système d’asile européen commun vise, par ailleurs, l’application globale et intégrale (54).

95.      J’ajoute que l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2013/32 prévoit que, lors de l’examen d’une demande de protection internationale, l’autorité responsable de la détermination précise d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.

96.      Ainsi, lorsqu’un État membre rejette une demande de protection internationale, cela présuppose qu’il a non seulement examiné si l’intéressé pouvait obtenir le statut de réfugié, mais également s’il était susceptible de bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire.

97.      Un tel exercice ne s’impose, certes, pas aux autorités compétentes du Royaume de Norvège en vertu de ladite directive. Toutefois, le droit norvégien (55) prévoit que peuvent bénéficier du statut de « réfugié » non seulement les personnes définies par la convention de Genève, mais également celles « en danger réel d’être soumises à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants à leur retour dans leur pays d’origine », c’est‑à‑dire celles susceptibles de bénéficier de la protection subsidiaire au sein de l’Union.

98.      En outre, avant de rejeter définitivement une demande de protection internationale, l’autorité norvégienne compétente (56) examine, d’après ce que je comprends de la procédure prévue par le Royaume de Norvège, non seulement si la personne concernée relève de la convention de Genève, mais également si elle se trouve dans l’une de ces situations de danger réel (57).

99.      Dans ce contexte, et à supposer que l’examen auquel est soumis une demande de protection internationale dans cet État tiers garantisse à la personne concernée un niveau de protection au moins aussi élevé que celui qui s’impose aux États membres en vertu du double régime prévu par la directive 2011/95, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, j’estime que, le fait que la décision finale négative concernant une demande antérieure du demandeur ait été prise par ledit État tiers ne saurait, à lui seul, empêcher un État membre tel que la République fédérale d’Allemagne de déclarer irrecevable une « demande ultérieure » du même demandeur, en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

100. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argumentation de la Commission selon laquelle une interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive en ce sens serait impossible, compte tenu du fait que le libellé de cette disposition renverrait expressément à la directive 2011/95, ce dont il découlerait que seules les décisions finales prises sur la base de cette directive, c’est‑à‑dire celles prises par les États membres, seraient pertinentes aux fins de l’application de ladite disposition.

101. En effet, le règlement Dublin III fait, lui aussi, référence à la directive 2011/95 à son article 2, sous d), portant définition de la notion d’« examen d’une demande de protection internationale », sans que cela fasse aucunement obstacle à ce que le Royaume de Norvège soit assimilé à un « État membre » aux fins de l’application de ce règlement.

102. Je souligne, pour finir, que la question posée à la Cour par la juridiction de renvoi vise uniquement à clarifier le point de savoir si un État membre peut, en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 déclarer une demande irrecevable dans de telles circonstances, sans trancher la question de savoir si, dans une situation inverse, le même traitement pourrait être réservé aux demandes ultérieures introduites en Norvège, après qu’un État membre a adopté une décision finale négative.

IV.    Conclusion

103. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (tribunal administratif de Schleswig-Holstein, Allemagne) :

L’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu en combinaison avec l’article 2, sous q), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’une demande de protection internationale ne saurait être déclarée irrecevable en tant que « demande ultérieure » dès lors que le demandeur a été éloigné vers son pays d’origine avant de présenter celle‑ci.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60). Cette directive est associée au règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement Dublin III »).


3      La notion de « demande ultérieure » est définie à l’article 2, sous q), de la directive 2013/32. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, lu conjointement avec cette première disposition.


4      Décision du Conseil du 15 mars 2001 (JO 2001, L 93, p. 38)


5      Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).


6      Concernant la définition de la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », voir article 2, sous f), de la directive 2011/95.


7      Voir arrêt du 9 juillet 2020, Santen (C‑673/18, EU:C:2020:531, point 35 et jurisprudence citée).


8      Comme je l’expliquerai dans la section suivante des présentes conclusions, la possibilité, pour les États membres, de qualifier de « demandes ultérieures » les demandes présentées dans le cadre de mouvements secondaires vise, selon moi, précisément à leur permettre d’éviter, lorsqu’ils deviennent l’État membre responsable à la place d’un autre État membre, parce qu’ils le décident ou parce que la reprise en charge n’est pas possible, que l’examen de la demande soit soumis à des conditions plus favorables pour le demandeur que lorsque le même État membre examine successivement les deux demandes. Dans le cadre d’une demande présentée à la suite d’un éloignement effectif du demandeur, cette question ne se pose tout simplement pas puisque l’article 19, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Dublin III a pour conséquence qu’une telle demande est considérée comme une « nouvelle demande » même lorsqu’elle est introduite auprès du même État membre que celui ayant examiné la demande antérieure.


9      L’expression forum shopping désigne, en substance, les mouvements secondaires des demandeurs de protection internationale qui sont dus aux différences qui existent entre les cadres juridiques des États membres.


10      Voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2013, Abdullahi (C‑394/12, EU:C:2013:813, point 53 et jurisprudence citée).


11      En effet, conformément à l’article 19, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Dublin III, toute demande introduite après l’éloignement effectif du demandeur donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable.


12      À toutes fins utiles, je constate que, à l’article 3, paragraphe 5, de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [COM(2016) 270 final] (ci‑après la « proposition de réforme du règlement Dublin III », disponible à l’adresse internet suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM :2016 :0270 :FIN), la Commission suggère de supprimer l’article 19 de ce règlement dans son intégralité et d’insérer une disposition prévoyant que l’État membre responsable demeure responsable de l’examen de chacune des demandes du demandeur concerné, y compris de toute demande ultérieure, indépendamment du fait que le demandeur ait quitté le territoire des États membres ou non ou qu’il en ait été éloigné ou non (ce qui aurait, d’après moi, pour conséquence que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, le Royaume de Norvège serait tenu de reprendre en charge L. R.). Toutefois, ces propositions n’ont, à ce jour, pas été adoptées par le législateur de l’Union.


13      Voir arrêt du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2020:218, point 29 et jurisprudence citée).


14      Voir, en particulier, le terme « uniquement » précédant l’énumération des motifs d’irrecevabilité prévus à ladite disposition.


15      Voir arrêt du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2020:218, point 30 et jurisprudence citée).


16      Souligné par mes soins.


17      Concernant l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32, voir, notamment, arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219). Cet arrêt traite du cas où les intéressés ont quitté leur pays d’origine et se sont vu accorder une protection subsidiaire (respectivement en Bulgarie et en Pologne), avant d’introduire des demandes de protection internationale en Allemagne.


18      Quant à l’article 40, paragraphe 1, de la directive 2013/32, également mentionné par les parties à la présente affaire, il est vrai que celui‑ci est plus explicite que l’article 2, sous q), et l’article 33, paragraphe 2, sous d) de cette directive (puisqu’il vise les situations dans lesquelles une demande ultérieure est présentée ou de nouvelles déclarations sont faites dans le même État membre que celui où le ressortissant a préalablement demandé à bénéficier de la protection internationale). Pour autant, cette disposition n’exclut pas, d’après moi, le fait qu’un autre État membre que celui ayant adopté la décision finale négative antérieure puisse, lui aussi, déclarer irrecevable en tant que « demande ultérieure » une demande du même intéressé. À cet égard, je constate que ladite disposition ne contient, d’ailleurs, aucune référence à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de ladite directive, tandis que l’article 40, paragraphes 2 à 5, de cette même directive y renvoie explicitement.


19      J’ajoute, à toutes fins utiles, que l’interprétation que je propose va dans le sens de la clarification suggérée par la Commission dans le cadre de ses propositions de réforme du système d’asile européen commun [voir, à cet égard, article 42, paragraphe 1, de la proposition de règlement du Parlement et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32 [COM(2016) 467 final] (disponible à l’adresse internet suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX :52016PC0467)].


20      Au contraire, pour les demandes présentées après qu’un autre État membre a accueilli ou partiellement accueilli une demande antérieure de l’intéressé [c’est‑à‑dire celles couvertes par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32], le législateur de l’Union a considéré que le rejet devait être assuré par une décision d’irrecevabilité, plutôt qu’au moyen d’une  application du motif de non‑examen prévu à l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement Dublin III  [voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2020, Minister for Justice and Equality (Demande de protection internationale en Irlande, C‑616/19, EU:C:2020:1010, point 44 et jurisprudence citée].


21      Conformément à l’article 23 du règlement Dublin III.


22      Voir article 26 du règlement Dublin III.


23      Voir arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 77 et 80).


24      J’ajoute que le libellé de cette disposition corrobore, à mes yeux, une interprétation de la notion de « demande ultérieure » conforme à la prémisse dont part la juridiction de renvoi. En effet, ladite disposition utilise l’expression « demande ultérieure » pour désigner les demandes présentées dans un autre État membre que l’État membre responsable.


25      Voir, également, arrêt du 5 juillet 2018, X (C‑213/17, EU:C:2018:538, point 33), dans lequel la Cour indique que les autorités de l’État membre auprès duquel une nouvelle demande est introduite disposent de la faculté, en vertu de l’article 23, paragraphe 1, de ce règlement, de formuler une requête aux fins de la reprise en charge de la personne concernée.


26      Voir article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III, lequel prévoit que « chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [...] L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ».


27      Cette obligation ressort de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement Dublin III. Voir, également, arrêt du 5 juillet 2018, X (C‑213/17, EU:C:2018:538, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).


28      Voir article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III. En cas d’emprisonnement ou de fuite du demandeur, ce délai peut être porté, respectivement, à un an ou dix‑huit mois au maximum.


29      Le gouvernement allemand a, à mon sens, bien résumé l’un des problèmes inhérents au règlement Dublin III lorsqu’il a déclaré, au cours de l’audience de plaidoirie, qu’il existe bien, en théorie, une obligation de reprise en charge aux termes de l’article 18, paragraphe 1, sous d), de ce règlement, mais que, dans la pratique, le transfert est rarement mis en œuvre. À toutes fins utiles, je précise que, selon ce gouvernement, la République fédérale d’Allemagne aurait, en 2019, formulé quelques 50 000 requêtes aux fins de reprise en charge (parmi lesquelles 9 000 concernant des demandes ultérieures). Seuls environ 17 % de ces requêtes auraient abouti à un transfert de la personne concernée. J’ajoute que, dans sa proposition de réforme du règlement Dublin III (p. 11), la Commission a relevé que, en 2014, dans l’Union, seul environ un quart du nombre total des requêtes acceptées par l’État membre responsable aux fins de prise en charge ou de reprise en charge aurait effectivement abouti à un transfert (voir note en bas de page 12 des présentes conclusions pour la référence complète à ce document).


30      Voir points 64 à 65 des présentes conclusions.


31      Voir arrêt du 10 décembre 2020, Minister for Justice and Equality (Demande de protection internationale en Irlande) (C‑616/19, EU:C:2020:1010, point 48 et jurisprudence citée).


32      Arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 85) (voir, pour plus de détails sur les affaires ayant donné lieu à cet arrêt, note en bas de page 17 des présentes conclusions).


33      Ainsi qu’il ressort du point 12 des présentes conclusions, ce considérant prévoit, que « [l]orsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, [...] [l]es États membres devraient, [...] pouvoir rejeter une demande comme étant irrecevable conformément au principe de l’autorité de la chose jugée » (souligné par mes soins).


34      À cet égard, je précise que, si le principe de l’autorité de la chose jugée vise les décisions juridictionnelles, la Cour a, par ailleurs, clarifié le fait que, en matière de politique d’asile, le droit de l’Union n’exige pas non plus qu’une autorité administrative soit, en principe, obligée de revenir sur une décision administrative ayant acquis un caractère définitif à l’expiration de délais de recours raisonnables ou par l’épuisement des voies de recours (voir arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 186).


35      Arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 58).


36      Je souligne, du reste, que, dans ses conclusions dans l’affaire X (C‑213/17, EU:C:2018:434, point 107), l’avocat général Bot a indiqué que les États membres s’accordaient déjà à reconnaître les décisions relatives à l’asile émises par d’autres États membres lorsqu’elle sont négatives.


37      Voir points 43 et 44 des présentes conclusions.


38      Parce qu’il s’agit d’une demande dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95.


39      Voir article 31, paragraphe 8, sous f), de la directive 2013/32.


40      Voir article 32, paragraphe 2, de la directive 2013/32.


41      Voir article 41, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Je précise que, dans la mesure où les décisions d’éloignement font l’objet d’une reconnaissance mutuelle entre les États membres [voir directive 2001/40/CE du Conseil, du 28 mai 2001, relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers (JO 2001, L 149, p. 34)], il me semble que cette disposition peut être appliquée non seulement dans des situations internes à chaque État membre, mais également dans des situations transfrontières au sein de l’Union. À mes yeux, ladite disposition intervient donc au soutien de la thèse selon laquelle la notion de « demande ultérieure » devrait être interprétée de manière large et ne saurait être limitée aux seules demandes qui sont présentées dans le même État membre que celui ayant déjà adopté une décision finale négative.


42      Voir arrêt du 10 décembre 2020 (C‑616/19, EU:C:2020:1010, points 51 et 52, ainsi que jurisprudence citée). Je renvoie également à mes conclusions dans cette affaire (C‑616/19, EU:C:2020:648, point 62), dans lesquelles j’ai indiqué que, dans le contexte de l’adoption du règlement Dublin III, l’un des objectifs primordiaux et constants du législateur a été de limiter les mouvements secondaires des ressortissants de pays tiers.


43      Voir considérant 18 de cette directive. J’ajoute qu’il ressort du considérant 25 de ladite directive que chaque demandeur d’asile doit avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir sa demande à tous les stades de la procédure.


44      Pour ces mêmes raisons, j’estime que le fait que l’État membre B dispose alors de la possibilité, ainsi que l’article 42, paragraphe 2, sous b), de la directive 2013/32 le prévoit, de procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien personnel du demandeur (c’est‑à‑dire sans accorder un entretien personnel au demandeur), tout comme l’État membre A pourrait le faire si cet examen lui incombait, ne pose, en soi, pas de problème. J’ajoute, à cet égard, que, peu importe qu’il soit effectué par l’État membre A ou l’État membre B, l’examen préliminaire doit, en tout état de cause, respecter les garanties prévues à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive.


45      Pour être tout à fait clair, je souligne que, ainsi qu’il ressort de la sous-section précédente des présentes conclusions, l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 répond à une logique différente de celle sous‑tendant le mécanisme de « reprise en charge », lequel présuppose, à l’inverse, que l’État membre A continue d’être l’État membre responsable.


46      Je précise, à toutes fins utiles, que, si l’État membre le souhaite, il est bien entendu libre de procéder à un examen complet de la demande pour autant que son droit national le prévoie. À cet égard, je rappelle qu’il ressort de l’article 5 de la directive 2013/32 que les États membres disposent d’une autorité générale pour prévoir ou maintenir des normes plus favorables et que, en ce qui concerne les demandes ultérieures, les États membres peuvent, conformément à l’article 40, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive prévoir des raisons supplémentaires d’examiner une telle demande.


47      Conformément à l’article 6, premier alinéa, du protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam, un accord a été conclu, le 18 mai 1999, par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège, sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen (JO 1999, L 176, p. 36). Voir, également, décision 2000/777/CE du Conseil, du 1er décembre 2000, relative à la mise en application de l’acquis de Schengen, au Danemark, en Finlande et en Suède, ainsi qu’en Islande et en Norvège (JO 2000, L 309, p. 24).


48      En ce qui concerne l’adhésion du Royaume de Norvège à Eurodac, je renvoie à l’article premier, paragraphe 5, de l’accord entre l’Union, la République d’Islande et le Royaume de Norvège, dont j’ai cité les dispositions pertinentes dans la section I.A des présentes conclusions.


49      Lov av 17. desember 2013 nr. 132. om endringer i utlendingsloven (gjennomføring av Dublin III-forordningen) [loi modifiant la loi sur l’immigration (mise en œuvre du règlement Dublin III), du 17 décembre 2013], entrée en vigueur le 1er janvier 2014.


50      Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954), entrée en vigueur le 22 avril 1954]. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 (ci-après le « protocole de 1967 »), lui‑même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la « convention de Genève »).


51      Signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »).


52      Voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2019, M.A. e.a. (C‑661/17, EU:C:2019:53, point 83 et jurisprudence citée). Voir, également, considérants 32 et 39 du règlement Dublin III.


53      Voir arrêt du 13 septembre 2018, Ahmed (C‑369/17, EU:C:2018:713, point 39 et jurisprudence citée).


54      Conformément à l’article 78, paragraphe 1, TFUE et à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


55      Voir, plus précisément, article 28, paragraphe 1, sous a) et b), de la Lov av 15. Mai 2008 nr. 35 om utlendingers adgang til riket og deres opphold her (loi sur l’accès des étrangers au Royaume de Norvège et leur séjour), du 15 mai 2008.


56      L’autorité compétente est l’Utlendingsdirektoratet (Direction des étrangers) du Royaume de Norvège.


57      Ainsi qu’il ressort du point 97 des présentes conclusions, le droit norvégien prévoit que le statut de réfugié est accordé tant aux personnes visées par la convention de Genève qu’à celles en « danger réel d’être soumises à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants à leur retour dans leur pays d’origine ». Cela présuppose d’après moi que, pour chaque demande de protection internationale introduite en Norvège, l’autorité compétente examine si la personne concernée relève de l’une ou de l’autre de ces catégories (voir, également, à cet égard, points 3.2 et 3.3 du guide pratique de la Direction des étrangers disponible à l’adresse suivante : https://www.udiregelverk.no/en/documents/udi-guidelines/udi-2010071/udi-2010071v1/). J’ajoute que, dans le Prop 90 L « Endringer i utlendingsloven mv. (innstramninger II) » [projet de loi intitulé « Amendements à la loi sur les étrangers (durcissement II) » (2015‑2016), article 6.1], il a été proposé, afin d’aligner le droit norvégien sur le droit de l’Union, d’introduire une nouvelle disposition accordant une protection subsidiaire, plutôt que le statut de réfugié, aux personnes se trouvant en « danger réel ». Il ressort de cette proposition, qui n’a pas été adoptée par le législateur norvégien, que le niveau de protection accordé par la Norvège est, à l’heure actuelle, plus élevé que celui conféré en vertu du double régime prévu par la directive 2011/95.