Language of document : ECLI:EU:T:2021:196

Affaire T388/20

Ryanair DAC

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (dixième chambre élargie) du 14 avril 2021

« Aides d’État – Marché finlandais du transport aérien – Aide accordée par la Finlande à Finnair dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Garantie de l’État associée à un prêt – Décision de ne pas soulever d’objections – Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État – Mesure destinée à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Absence de mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée – Égalité de traitement – Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Obligation de motivation »

1.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Appréciation – Mesure d’aide en faveur d’une compagnie aérienne importante pour l’économie finlandaise dans le cadre de la Pandémie de COVID-19 – Inclusion

[Art. 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 31-34, 38-63)

2.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Appréciation au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE – Critères – Mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée – Critère non nécessaire

[Art. 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 65-71)

3.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Garantie de prêt visant à soutenir une compagnie aérienne importante pour l’économie finlandaise dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Aide compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE – Violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité – Absence

[Art. 18, 1er al., et 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 77, 81, 82, 92)

4.      Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché intérieur – Aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre – Garantie de prêt visant à soutenir une compagnie aérienne importante pour l’économie finlandaise dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur – Critères – Objectif de la mesure d’aide – Proportionnalité de la mesure d’aide

[Art. 107, § 3, b), TFUE]

(voir points 83-92)

5.      Libre prestation des services – Dispositions du traité – Champ d’application – Services dans le domaine des transports au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE – Services de transports aériens – Régime juridique particulier

(Art. 56, 58, § 1, et 100, § 2, TFUE)

(voir points 99-104)

6.      Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Décision de la Commission constatant la compatibilité d’une aide étatique avec le marché intérieur sans ouverture de la procédure formelle d’examen – Recours des intéressés au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Identification de l’objet du recours – Recours visant à sauvegarder les droits procéduraux des intéressés – Moyens pouvant être invoqués – Absence de contenu autonome d’un tel moyen en l’espèce

(Art. 108, § 2, et 263, § 4, TFUE)

(voir points 105-109)

7.      Aides accordées par les États – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure nationale – Obligation de motivation – Portée – Prise en compte du contexte et de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière

[Art. 107, § 3, b), et 296 TFUE]

(voir points 112-125)

Résumé

La garantie de la Finlande en faveur de la compagnie aérienne Finnair visant à aider à obtenir, auprès d’un fonds de pension, un prêt de 600 millions d’euros destiné à couvrir ses besoins en fond de roulement à la suite de la pandémie de COVID-19 est conforme au droit de l’Union

La garantie était nécessaire pour remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise, compte tenu de l’importance de Finnair pour cette économie

Le 13 mai 2020, la République de Finlande a notifié à la Commission européenne une mesure d’aide sous la forme d’une garantie de l’État en faveur de la compagnie aérienne finnoise Finnair Plc (ci-après « Finnair »), visant à aider cette dernière à obtenir, auprès d’un fonds de pension, un prêt de 600 millions d’euros destiné à couvrir ses besoins en fond de roulement. La garantie, censée couvrir 90 % dudit prêt, était limitée à une durée maximale de trois ans et pouvait être invoquée en cas de défaillance de Finnair à l’égard du fonds de pension.

En se référant à sa communication sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (1), la Commission a qualifié la garantie accordée à Finnair d’aide d’État compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (2). En vertu de cette disposition, les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre peuvent, sous certaines conditions, être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.

La compagnie aérienne Ryanair a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission, lequel est néanmoins rejeté par la dixième chambre élargie du Tribunal. Dans ce contexte, celle-ci examine, pour la première fois, la légalité d’une aide d’État individuelle adoptée en vue d’apporter une réponse aux conséquences de la pandémie de COVID-19 au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (3).

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal procède, en premier lieu, à l’analyse de la légalité de la décision attaquée au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

D’une part, s’agissant des griefs tirés de ce qu’une aide bénéficiant à une seule entreprise individuelle ne pourrait remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, le Tribunal rappelle d’abord que cette disposition s’applique tant aux régimes d’aides qu’aux aides individuelles. Ainsi, une aide individuelle peut être déclarée compatible avec le marché intérieur dès lors qu’elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné.

Ensuite, le Tribunal précise qu’une éventuelle défaillance de Finnair aurait eu de graves conséquences pour l’économie finlandaise, de sorte que la garantie de l’État, en ce qu’elle vise à maintenir les activités de Finnair et à éviter que son éventuelle faillite perturbe davantage l’économie finlandaise, est appropriée pour contribuer à remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise causée par la pandémie COVID-19.

Cette conclusion du Tribunal se fonde sur le fait que Finnair :

i)      est le principal transporteur aérien en Finlande, avec près de 15 millions de passagers transportés en 2019, soit 67 % de l’ensemble de passagers transportés vers, depuis et au sein de la Finlande ;

ii)      est le principal opérateur de fret aérien en Finlande, répond aux besoin de plusieurs entreprises situées sur le territoire finlandais, tant pour l’exportation que pour l’importation de produits, et dispose d’un réseau asiatique étendu ;

iii)      compte 6 800 employés, ses achats auprès des fournisseurs, pour la plupart finlandais, s’élevant à 1,9 milliard d’euros en 2019 ;

iv)      effectue des efforts importants dans la recherche en Finlande et représente la seizième société la plus importante en Finlande au titre de sa contribution au PIB de ce pays.

D’autre part, s’agissant des griefs tirés du fait que la Commission aurait omis d’effectuer une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs, le Tribunal statue que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, n’impose pas une telle analyse, contrairement à ce qui est prescrit par l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Une telle mise en balance n’est pas non plus requise sur le fondement de la communication sur l’encadrement temporaire.

En deuxième lieu, le Tribunal examine la prétendue violation du principe de non-discrimination. À cet égard, le Tribunal observe, tout d’abord, que, de par sa nature, une aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est inhérente au caractère individuel de la mesure. Soutenir qu’une telle aide est contraire au principe de non-discrimination reviendrait, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle alors que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des telles aides dans le respect des conditions prévues à l’article 107 TFUE.

En outre, à supposer que la différence de traitement instituée par la garantie accordée à Finnair puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre.

Selon le Tribunal, les modalités d’octroi de la garantie accordée à Finnair sont de nature à atteindre l’objectif envisagé, l’existence d’une perturbation grave de l’économie finlandaise du fait de la pandémie de COVID-19 et les effets négatifs majeurs de cette dernière sur le marché finlandais du transport aérien ayant été établis à suffisance de droit. La mesure d’aide est, en outre, nécessaire, Finnair risquant la faillite en raison de l’érosion soudaine de son activité causée par la pandémie et de l’impossibilité de couvrir ses besoins de liquidités en ayant recours aux marchés de crédit. Enfin, compte tenu de l’importance de Finnair pour l’économie finlandaise, l’octroi de la garantie de l’État uniquement à cette dernière ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la République de Finlande.

S’agissant, en troisième lieu, des griefs tirés de la violation de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le Tribunal constate que Ryanair n’a pas établi en quoi le caractère exclusif de l’octroi de la garantie de l’État serait de nature à la dissuader de s’établir en Finlande ou d’effectuer des prestations de services depuis ce pays et à destination de celui-ci. Le Tribunal précise que Ryanair est restée en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que l’aide individuelle en cause produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui seraient néanmoins nécessaires et proportionnés pour remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise causée par la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

Le Tribunal rejette, enfin, comme non fondés le moyens tirés d’une prétendue violation de l’obligation de motivation et constate qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé du moyen tiré d’une violation des droits procéduraux dérivés de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.


1      Communication de la Commission sur l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (JO 2020, C 91 I, p. 1), modifiée le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1) (ci-après la « communication sur l’encadrement temporaire »).


2      Décision C(2020) 3387 final de la Commission, du 18 mai 2020, relative à l’aide d’État SA.56809 (2020/N) - Finlande - COVID-19 : garantie de l’État accordée à Finnair (ci-après la « décision attaquée »).


3      Dans son arrêt du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑238/20, EU:T:2021:91), le Tribunal a procédé à un examen analogue de la légalité d’un régime d’aide d’État adopté par le Royaume de Suède en vue d’apporter une réponse aux conséquences de la pandémie de COVID-19 sur le marché suédois du transport aérien. Dans ses arrêts du 14 avril 2021 Ryanair/Commission (T‑378/20) et Ryanair/Commission (T‑379/20), le Tribunal procède, en outre, à l’examen de deux mesures distinctes d’aide individuelle sur la base de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.