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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE DE LA DIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

17 avril 2024 (*)

« Accès aux documents – Protection des données à caractère personnel – Plainte – Règlement des litiges par le Comité européen de la protection des données (CEPD) conformément à l’article 65 du règlement général sur la protection des données RGPD – Refus d’accès au dossier du CEPD au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne opposé au plaignant – Recours en annulation – Intervention – Intérêt à la solution du litige – Entreprise objet de la plainte – Confidentialité »

Dans l’affaire T‑183/23,

Lisa Ballmann, demeurant à Innsbruck (Autriche), représentée par Me F. Mikolasch, avocat,

partie requérante,

contre

Comité européen de la protection des données, représenté par Mmes I. Vereecken, M. Gufflet et N. Peris Brines, en qualité d’agents, assistées de Mes G. Ryelandt, E. de Lophem et P. Vernet, avocats,

partie défenderesse,

LA PRÉSIDENTE DE LA DIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Procédure

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 avril 2023, Mme Lisa Ballmann a introduit un recours en annulation, fondé sur l’article 263 TFUE, de la décision du Comité européen de la protection des données (ci-après le « CEPD ») qui serait contenue dans un courriel du 7 février 2023, lui indiquant qu’elle ne disposait pas, au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), d’un droit d’accès au dossier sur la base duquel le CEPD a adopté la décision contraignante 3/2022 relative au litige, soumis par l’autorité de contrôle irlandaise en matière de protection des données personnelles, concernant Meta Platforms Ireland Limited (ci-après « Meta ») et son service Facebook. Mme Ballmann avait antérieurement déposé une réclamation à l’encontre de Meta pour son service Facebook et est à l’origine de la procédure ayant conduit à l’adoption de cette décision contraignante du CEPD, adoptée sur le fondement de l’article 65, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

2        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 août 2023, Meta a demandé à intervenir au soutien des conclusions du CEPD. Celles-ci visent au rejet du recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé.

3        La demande d’intervention a été signifiée aux parties principales. Par actes déposés respectivement les 13 et 14 septembre 2023, le CEPD et Mme Ballmann se sont déclarés opposés à ce que Meta soit admise à intervenir. Le CEPD a en outre demandé, dans l’hypothèse où l’intervention serait admise, à ce que certaines informations figurant dans le dossier du Tribunal ne soient pas communiquées à la partie intervenante en raison de leur confidentialité.

 Sur la demande d’intervention

4        À l’appui de sa demande d’intervention, Meta fait valoir qu’elle remplit les exigences auxquelles est soumis le droit à intervenir au litige, prévu à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne tel qu’applicable aux entreprises. Elle aurait en effet un intérêt direct et certain à la solution du présent litige. L’accès de Mme Ballmann au dossier sur la base duquel le CEPD a adopté la décision contraignante 3/2022, relative au service Facebook, donnerait à cette personne accès à des informations confidentielles et à des pièces utilisées dans une procédure quasi pénale. Les droits de la défense et à l’égalité des armes de Meta en seraient défavorablement affectés, notamment dans le cadre du recours en annulation que cette dernière a déposé devant le Tribunal à l’encontre de ladite décision contraignante (affaire T‑129/23). Or, le succès du présent recours de Mme Ballmann pourrait conduire à cette situation. Inversement, son rejet conforterait la position juridique de Meta quant au non accès de tiers au dossier dans les procédures la concernant, non seulement pour le cas relatif à Facebook, mais aussi pour de futures procédures. Les informations confidentielles et les pièces utilisées dans ces procédures ne seraient pas divulguées aux tiers. L’intérêt direct et certain de Meta à la solution du litige aurait aussi une nature économique.

5        Mme Ballmann et le CEPD contestent que ces arguments établissent un intérêt direct et certain de Meta à la solution du présent litige. Ils soulignent que l’éventuelle annulation de la prise de position attaquée ne conduirait pas d’emblée le CEPD à donner à Mme Ballmann l’accès au dossier sur la base duquel la décision contraignante 3/2022 a été adoptée, mais qu’elle donnerait lieu à une décision du CEPD statuant sur la demande d’accès aux différents documents, en tenant compte de la protection des éléments confidentiels. Ainsi, d’une part, l’intérêt de Meta serait relatif aux moyens avancés dans le litige, mais non à sa solution ; d’autre part, les informations confidentielles ou commercialement sensibles ne seraient en tout état de cause pas transmises à Mme Ballmann en cas de succès de son recours. La position juridique de Meta ne serait donc pas affectée. Mme Ballmann et le CEPD ajoutent que Meta n’explique pas en quoi la solution du présent litige pourrait affecter ses droits de la défense ou à l’égalité des armes. Mme Ballmann estime que c’est elle, comme plaignante, qui est à ce stade désavantagée en la matière, puisqu’elle n’a pas eu un accès au dossier comparable à celui de Meta. Elle ajoute que cette dernière n’explique pas non plus en quoi ses intérêts économiques seraient directement et certainement affectés par la solution donnée au présent litige.

6        L’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, prévoit que toute personne peut intervenir dans un litige soumis au juge de l’Union, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, si elle peut justifier d’un intérêt à la solution du litige.

7        Il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés [ordonnances du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 53, et du 8 juin 2012, Schenker/Air France et Commission, C‑589/11 P(I), non publiée, EU:C:2012:332, point 10].

8        En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt [ordonnance du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 57, et ordonnance du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 11].

9        S’agissant d’une demande d’intervention émanant d’une entreprise, il convient, notamment, de vérifier que celle-ci est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir, en ce sens, ordonnances du 25 novembre 1964, Lemmerz-Werke/Haute Autorité, 111/63, EU:C:1964:82 et du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, EU:T:2003:38, point 26).

10      Il a déjà été jugé que dans les litiges relatifs à l’accès à des documents détenus par les entités de l’Union, un intérêt direct et actuel d’une entreprise à la solution du litige peut être reconnu si l’annulation du refus d’accès à des documents concernant cette entreprise opposé au requérant peut conduire l’entité de l’Union concernée, dans le cadre de l’exécution de l’arrêt d’annulation, à communiquer certains documents dont la divulgation porterait préjudice aux intérêts commerciaux de cette entreprise (voir, en ce sens, ordonnances du 6 décembre 2007, Agrofert Holding/Commission, T‑111/07, non publiée, EU:T:2007:368, points 27 à 30, du 6 mars 2009, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑237/05, non publiée, EU:T:2009:58, point 14, du 30 août 2022, Hahn Rechtsanwälte/Commission, T‑87/22, non publiée, EU:T:2022:502, points 17 et 18, et du 28 juillet 2023, SD/EMA, T‑623/22, non publiée, EU:T:2023:471, points 9 à 13).

11      En l’espèce Mme Ballmann invoque l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, pour accéder au dossier en possession du CEPD. Même si cette disposition, prévoyant au titre du droit à une bonne administration le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, énonce que ce droit est soumis au respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires, il n’est pas exclu, de manière analogue à ce qui était le cas dans les situations ayant donné lieu à l’analyse mentionnée au point 10 ci-dessus, qu’en cas de succès du recours de Mme Ballmann, le CEPD donne à cette dernière accès à des informations concernant les traitements de données opérés par Meta pour son service Facebook dont l’utilisation pourrait porter préjudice aux intérêts commerciaux de Meta.

12      En outre, il est jugé de façon constante qu’un demandeur en intervention a un intérêt direct à la solution du litige si celle-ci peut modifier sa position juridique [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 61 et du 6 octobre 2015, Metalleftiki kai Metallourgiki Etairia Larymnis Larko/Commission, C‑362/15 P(I), EU:C:2015:682, point 7].

13      En l’occurrence, le courriel du 7 février 2023, indiquant à Mme Ballmann qu’elle ne dispose pas, au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, de l’accès au dossier qu’elle réclame, contient aussi d’autres éléments montrant en substance que le CEPD examinait cependant dans quelle mesure un accès à ce dossier pouvait lui être accordé en appliquant les principes du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

14      Or, sans préjuger de l’issue du présent litige, l’étendue du droit d’accès de Mme Ballmann aux documents dans la présente affaire, qui pourrait relever soit de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, soit du règlement n° 1049/2001, lequel s’inscrit dans le cadre de l’application de l’article 42 de la Charte, pourrait affecter la position de Meta qui se trouve engagée dans la procédure initiée par Mme Ballmann avec sa réclamation déposée au titre de l’article 77 du règlement 2016/679 concernant le service Facebook. Dans ce cadre, la position juridique de Meta au cours des différentes étapes procédurales ou contentieuses subséquentes à l’adoption de la décision contraignante 3/2022 du CEPD est susceptible d’être affectée par l’étendue de l’accès des documents et informations qui pourrait découler de la présente affaire.

15      Au demeurant, Meta souligne dans sa demande d’intervention qu’elle a elle-même engagé devant le Tribunal un recours contre la décision contraignante 3/2022 du CEPD (affaire T‑129/23), affaire dans laquelle Mme Ballmann a demandé à intervenir au soutien du CEPD.

16      Dans ces conditions, Meta justifie d’un intérêt direct et actuel à la solution du présent litige et doit être admise à y intervenir au soutien des conclusions du CEPD.

 Sur la demande de traitement confidentiel

17      Le CEPD demande le traitement confidentiel à l’égard de Meta de données personnelles figurant dans le dossier du Tribunal. À ce stade, la communication des pièces de procédure à l’intervenante doit être limitée aux versions non confidentielles produites. Une décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel sera, le cas échéant, prise ultérieurement au vu des objections ou observations qui pourraient être présentées à ce sujet.

Par ces motifs,

LA PRÉSIDENTE DE LA DIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Meta Ireland Limited est admise à intervenir dans l’affaire T183/23 au soutien du Comité européen de la protection des données.

2)      Le greffier communiquera à Meta Ireland Limited la version non confidentielle de tous les actes de procédure signifiés aux parties principales.

3)      Un délai sera fixé à Meta Ireland Limited pour présenter ses objections éventuelles sur la demande de traitement confidentiel. La décision sur le bien-fondé de cette demande est réservée.

4)      Un délai sera fixé à Meta Ireland Limited pour présenter un mémoire en intervention, sans préjudice de la possibilité de le compléter le cas échéant ultérieurement, à la suite d’une décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 avril 2024.

Le greffier

 

La présidente

V. Di Bucci

 

O. Porchia


*      Langue de procédure : l’anglais.