Language of document : ECLI:EU:T:2015:796

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre des pourvois)

22 octobre 2015 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Avancement de grade – Classement en grade – Décision de ne pas accorder à l’intéressé le grade AD 9 après sa réussite à un concours général de grade AD 9 – Dénaturation des éléments de preuve »

Dans l’affaire T‑130/14 P,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 12 décembre 2013, Simpson/Conseil (F‑142/11, RecFP, EU:F:2013:201), et tendant à l’annulation partielle de cet arrêt,

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. M. Bauer et A. Bisch, puis par MM. Bauer et E. Rebasti, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant

Erik Simpson, fonctionnaire du Conseil, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me M. Velardo, avocat,

partie demanderesse en première instance,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois),

composé de MM. M. Jaeger, président, S. Papasavvas et G. Berardis (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi introduit au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 12 décembre 2013, Simpson/Conseil (F‑142/11, RecFP, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:F:2013:201), par lequel celui-ci a notamment annulé la décision du Conseil du 9 décembre 2010 rejetant la demande de M. Erik Simpson, qui visait à obtenir un avancement au grade AD 9 au motif qu’il avait réussi le concours EPSO/AD/113/07 en invoquant des décisions antérieures similaires prises dans d’autres dossiers (ci-après la « décision litigieuse »).

 Faits à l’origine du litige

2        Les faits à l’origine du litige sont énoncés aux points 4 à 12 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants :

« 4      [M. Simpson], agent auxiliaire au sein de l’unité de traduction estonienne du Conseil depuis le 1er juin 2004, a été recruté le 1er janvier 2005 en tant que fonctionnaire stagiaire au grade AD 5, après avoir réussi le concours général EPSO/A/3/03 destiné à la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’administrateurs adjoints de grade [LA] 8 dans le domaine de l’administration publique européenne. Il a été promu au grade AD 6 le 1er janvier 2008 et au grade AD 7 le 1er janvier 2011.

5      En 2009, [M. Simpson] a réussi le concours EPSO/AD/113/07 destiné à la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement de chefs d’unité de grade AD 9 de langues tchèque, estonienne, lettone, lituanienne, hongroise, maltaise, polonaise, slovaque et slovène dans le domaine de la traduction. La liste de réserve de ce concours a été publiée le 28 avril 2009.

6      Le 25 juin 2010, [M. Simpson] a demandé, en vertu de l’article 90, paragraphe 1, du statut, une promotion au grade AD 9, invoquant le fait qu’il avait réussi le concours EPSO/AD/113/07 correspondant à ce grade et que trois fonctionnaires des unités polonaise et slovaque se trouvant dans une situation comparable avaient bénéficié d’une promotion, respectivement en 2006 et 2007.

7      Par une lettre du 9 décembre 2010, le Conseil, rejetant cette demande, a indiqué que, en l’absence de disposition statutaire conférant un droit aux fonctionnaires d’être automatiquement promus sur le fondement d’une réussite à un concours d’un grade plus élevé que le leur, une telle décision ne pouvait être accordée qu’à la lumière de l’intérêt du service et qu’en l’occurrence cet intérêt faisait défaut concernant l’unité de traduction de langue estonienne (ci-après la ‘décision [litigieuse]’).

8      Le 8 mars 2011, [M. Simpson] a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut en vue du retrait de la décision [litigieuse].

9      Dans sa décision du 7 octobre 2011, le Conseil, rejetant la réclamation, a fait valoir que, d’une part, les différences établies entre la situation [de M. Simpson] et celle des trois fonctionnaires des unités polonaise et slovaque étaient telles que la comparaison ne pouvait être faite, la violation du principe de l’égalité de traitement eu égard aux promotions antérieures étant de ce fait infondée, et que, d’autre part, être lauréat d’un concours ne conférait ni le droit d’être recruté ni, par analogie à ce principe, le droit pour un fonctionnaire d’être promu sur le même poste.

10      Par une note du 11 novembre 2011, [M. Simpson] a demandé, sur le fondement du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), la communication des décisions de promotion des trois fonctionnaires des unités polonaise et slovaque.

11      Par une lettre du 1er décembre 2011, le Conseil a refusé de divulguer ces décisions, en invoquant, d’une part, le règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO L 8, p. 1), et, d’autre part, l’article 26 du statut, relatif au caractère confidentiel du dossier individuel.

12      Le 14 décembre 2011, [M. Simpson] a envoyé, invoquant l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, une demande confirmative tendant à ce que le Conseil révise sa décision de refus. Dans cette demande, [M. Simpson] a argué que l’accès aux documents demandés était nécessaire pour comprendre la base légale du classement de ses collègues, ainsi que la motivation fondée sur l’intérêt du service invoquée par le Conseil, afin d’apprécier l’opportunité d’introduire un recours contre la décision du 7 octobre 2011 rejetant sa réclamation du 8 mars 2011. Cette demande confirmative est restée sans réponse. »

 Procédure en première instance et arrêt attaqué

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 27 décembre 2011, M. Simpson a introduit un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse ainsi que, pour autant que de besoin, de la décision du Conseil du 7 octobre 2011 rejetant sa réclamation (ci-après la « décision de rejet de la réclamation ») et, d’autre part, à la condamnation du Conseil à réparer le préjudice subi.

4        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a annulé la décision litigieuse, tout en rejetant le recours pour le surplus, et a condamné le Conseil aux dépens.

5        En premier lieu, s’agissant des conclusions en annulation, le Tribunal de la fonction publique a rappelé, aux points 22 et 23 de l’arrêt attaqué, que, selon le Conseil, en l’absence d’une disposition statutaire conférant un droit aux fonctionnaires d’être automatiquement promus du seul fait d’être lauréats d’un concours d’un grade plus élevé que le leur, une telle décision ne pouvait être prise que dans l’intérêt du service et que le Conseil disposait d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard. En l’espèce, le Conseil avait considéré que la situation de l’unité linguistique de M. Simpson n’exigeait pas, au regard de l’intérêt du service, un recrutement au grade AD 9, et qu’il en allait différemment pour les trois fonctionnaires par rapport auxquels M. Simpson estimait avoir subi une discrimination.

6        Au point 24 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a considéré que, dans la décision litigieuse et dans la décision de rejet de la réclamation, « le Conseil n’a[vait] pas évoqué ou expliqué [à M. Simpson] que, dans le cas des trois fonctionnaires cités dans sa demande, il ne s’agissait ni d’une promotion au sens de l’article 45 du statut, ni d’un recrutement, mais d’un ‘avancement [de] grade dans l’intérêt du service’, tel que décrit dans son mémoire en défense » et qu’un tel « manque de clarté quant à la base juridique des décisions relatives à la situation de ces trois fonctionnaires par rapport à celle [de M. Simpson était] corroboré par le fait que [ce dernier avait] observé, dans sa requête, qu’il lui était encore difficile de comprendre en quoi l’intérêt du service, dans le cas des trois fonctionnaires en question, justifiait de les promouvoir et quel contexte factuel [étayait] une telle promotion ».

7        Au point 26 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a ensuite considéré que la motivation du rejet de la demande et de la réclamation de M. Simpson se fondait sur une simple référence à l’intérêt du service sans aucune autre explication. En particulier, le fait que le Conseil se soit abstenu d’expliquer que, dans les cas de trois fonctionnaires en question, il ne s’agissait pas d’une promotion, mais d’une mesure que le statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») ne prévoyait pas, aurait empêché le Tribunal de la fonction publique d’exercer son contrôle.

8        En outre, au regard des principes jurisprudentiels régissant l’obligation de motivation, rappelés aux points 27 à 30 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a relevé que, dans la décision litigieuse, le Conseil indiquait qu’aucune disposition statutaire ne permettait d’être automatiquement promu à la suite d’un concours, tandis que, lors de l’audience, il aurait expliqué que l’article 31, paragraphe 2, du statut était la base légale d’une telle décision. De plus, pour la première fois en cours d’instance, le Conseil aurait expliqué, d’une part, que les trois fonctionnaires, par rapport auxquels M. Simpson estimait avoir subi une discrimination, avaient bénéficié d’un « avancement de grade dans l’intérêt du service », mesure non prévue par le statut et distincte de la promotion fondée sur l’évaluation des mérites du fonctionnaire en application de l’article 45 du statut, et, d’autre part, que M. Simpson « avait été le premier à faire l’objet [d’une] nouvelle politique, plus restrictive, en matière ‘d’avancement [de] grade dans l’intérêt du service’ ».

9        En conséquence, le Tribunal de la fonction publique a conclu, aux points 31 et 32 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait, sans qu’il ait été besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, d’annuler la décision litigieuse, motif pris de la violation de l’obligation de motivation.

10      En second lieu, s’agissant des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice, le Tribunal de la fonction publique a jugé, aux points 36 à 39 de l’arrêt attaqué, d’une part, que la demande en réparation du préjudice matériel devait être rejetée et, d’autre part, que l’annulation de la décision litigieuse constituait, en l’espèce, une réparation adéquate du préjudice moral subi.

 Procédure devant le Tribunal et conclusions des parties

11      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2014, le Conseil a formé le présent pourvoi. Le 10 juin 2014, M. Simpson a déposé son mémoire en réponse.

12      La procédure écrite a été clôturée le 7 juillet 2014.

13      Par lettre motivée déposée au greffe du Tribunal le 15 juillet 2014, le Conseil a demandé, en vertu de l’article 146 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, à être entendu dans le cadre de la phase orale de la procédure.

14      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (chambre des pourvois) a fait droit à cette demande et a ouvert la procédure orale.

15      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 avril 2015.

16      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’arrêt attaqué, en ce qu’il a annulé la décision litigieuse et l’a condamné à supporter ses propres dépens et ceux exposés par M. Simpson ;

–        renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique ;

–        condamner M. Simpson aux dépens de la présente instance.

17      M. Simpson conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le pourvoi comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner le Conseil au paiement des dépens des deux instances.

 Sur le pourvoi

18      À l’appui du pourvoi, le Conseil invoque un moyen unique tiré, en substance, d’une dénaturation des éléments de preuve de la part du Tribunal de la fonction publique.

19      À titre liminaire, il fait observer que l’exposé des faits dans certains points de l’arrêt attaqué est partiellement inexact, dans la mesure où le Tribunal de la fonction publique fait référence à la notion de « promotion », alors que la décision litigieuse et la décision de rejet de la réclamation utilisent constamment l’expression « avancement de grade », qui est la même que celle utilisée par M. Simpson dans sa demande. Une telle inexactitude aurait eu une incidence sur les conclusions du Tribunal de la fonction publique.

20      Le Conseil soutient qu’il ne s’est pas contenté d’expliquer le rejet de la demande de M. Simpson par une simple référence à l’intérêt du service, mais qu’il a suffisamment motivé sa décision. En effet, dans la décision de rejet de la réclamation, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’« AIPN ») aurait exposé les raisons concrètes ayant justifié le fait qu’elle a apprécié le dossier de M. Simpson différemment de celui des trois fonctionnaires ayant précédemment obtenu un avancement de grade. En outre, il allègue ne pas avoir modifié les motifs de la décision litigieuse en justifiant celle-ci au regard d’autres dispositions que celles initialement invoquées. Ces dernières ne seraient pas remises en cause par l’argumentation développée devant le Tribunal de la fonction publique.

21      En définitive, le Conseil estime que les conclusions énoncées par le Tribunal de la fonction publique dénaturent les éléments de preuve. Dès lors, la conclusion de l’illégalité de la décision litigieuse pour violation de l’obligation de motivation devrait être annulée.

22      M. Simpson excipe, à titre principal, de l’irrecevabilité du pourvoi, en ce qu’il constituerait une tentative du Conseil d’obtenir une nouvelle appréciation des questions de fait par le Tribunal. Selon lui, le Conseil a omis d’établir l’existence d’une inexactitude matérielle des constatations du Tribunal de la fonction publique ou d’une dénaturation des éléments de preuve soumis à celui‑ci. Lors de l’audience, il a, en outre, précisé que l’on ne saurait pas invoquer une dénaturation des éléments de preuve qui n’ont jamais fait l’objet d’une appréciation par le Tribunal de la fonction publique, dès lors que celui-ci s’est borné, en l’espèce, à constater le défaut de motivation, qui est une question de droit, sur le fondement duquel il a annulé la décision litigieuse.

23      À titre subsidiaire, il soutient que le pourvoi n’est pas fondé. Tout en tentant de remettre en cause l’arrêt attaqué par la question de la dénaturation des faits, le Conseil axerait, en effet, son pourvoi sur un aspect, substantiel, de la motivation de la décision de l’AIPN. Selon M. Simpson, la décision litigieuse était dépourvue d’une motivation permettant de comprendre quel aurait été l’intérêt du service ayant déterminé l’avancement des trois fonctionnaires en question et les raisons d’un défaut d’un tel intérêt, en ce qui le concerne, compte tenu des éléments de preuve qu’il a apportés.

24      Or, l’obligation de motivation aurait dû être plus approfondie puisque la décision litigieuse était fondée sur une notion qui n’était pas prévue expressément par le statut et dont la mise en œuvre impliquait un vaste pouvoir d’appréciation de la part du Conseil. En outre, il aurait fallu détailler les conditions de l’application de la nouvelle politique plus restrictive en matière d’avancement de grade dans l’intérêt du service.

25      De plus, la référence à l’article 31, paragraphe 2, du statut serait non seulement tardive, mais également contradictoire, dans la mesure où la notion d’« avancement dans l’intérêt du service » ne pourrait, à la fois, être fondée sur cet article et ne pas être prévue expressément par la législation.

26      Enfin, M. Simpson regrette qu’il n’ait pas été possible d’avoir accès aux décisions d’avancement des autres fonctionnaires pour comprendre si elles étaient fondées sur l’intérêt du service ou sur d’autres dispositions spécifiques.

27      En premier lieu, s’agissant de l’exception d’irrecevabilité soulevée par M. Simpson, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que le Tribunal de la fonction publique est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal de la fonction publique, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle du Tribunal (voir arrêt du 24 octobre 2011, P/Parlement, T‑213/10 P, RecFP, EU:T:2011:617, point 47 et jurisprudence citée ; arrêt du 8 octobre 2013, Conseil/AY, T‑167/12 P, RecFP, EU:T:2013:524, point 25).

28      En l’espèce, contrairement à ce que soutient M. Simpson, le pourvoi du Conseil est exclusivement axé sur la dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal de la fonction publique et ne vise pas à remettre en cause, de manière générale, les appréciations factuelles faites par ce dernier. En effet, le Conseil se limite à identifier les parties de l’arrêt attaqué dans lesquelles le Tribunal de la fonction publique aurait opéré une dénaturation des éléments de preuve qui aurait conduit celui-ci à conclure erronément à une annulation pour défaut de motivation, tout en s’abstenant de demander au juge du pourvoi de réapprécier les conclusions du juge de première instance.

29      En outre, s’agissant de l’argument de M. Simpson selon lequel l’on ne saurait invoquer une dénaturation des éléments de preuve qui n’ont pas été appréciés par le Tribunal de la fonction publique, il convient de préciser que le contrôle de la légalité exercé dans le cadre d’un pourvoi par le Tribunal doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal de la fonction publique s’est fondé pour aboutir à sa conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 1997, Commission/V, C‑188/96 P, Rec, EU:C:1997:554, point 24 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, Rec, EU:C:2008:392, point 30).

30      Il convient donc de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par M. Simpson.

31      En second lieu, s’agissant du bien-fondé de l’argumentation selon laquelle le Tribunal de la fonction publique aurait commis une dénaturation des éléments de preuve, il importe de rappeler qu’une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves, voire d’avoir recours à de nouveaux éléments de preuve (arrêts du 28 mai 1998, New Holland Ford/Commission, C‑8/95 P, Rec, EU:C:1998:257, point 72, et du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, Rec, EU:C:2006:229, point 54 ; voir, également, arrêt P/Parlement, point 27 supra, EU:T:2011:617, point 48 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, à titre liminaire, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que, tant dans la partie de l’arrêt attaqué (voir les points 6, 7 et 9 de celui‑ci) consacrée à la description des antécédents du litige que dans la partie consacrée à l’appréciation du Tribunal de la fonction publique (voir les points 22 à 24 de l’arrêt attaqué), celui‑ci fait toujours référence, s’agissant des écrits des parties durant la procédure administrative, à la notion de « promotion » alors qu’il ressort clairement du dossier administratif que l’expression utilisée tant par M. Simpson, dans sa demande du 25 juin 2010 et dans sa réclamation datée du 8 mars 2011, que par le Conseil, dans la décision litigieuse et dans sa décision rejetant la réclamation, est celle d’« avancement de grade ». À cet égard, le fait que le Conseil n’ait pas soulevé d’objections à l’égard du rapport préparatoire d’audience rédigé par le juge rapporteur du Tribunal de la fonction publique ‒ qui aurait déjà présenté, vraisemblablement à cause d’erreurs de traduction, une telle confusion dans l’utilisation de ces deux expressions ‒ ne saurait justifier a posteriori les erreurs commises par le Tribunal de la fonction publique lors de l’établissement de l’arrêt.

33      Or, ainsi que le fait valoir à bon droit le Conseil, dans tous les échanges qui ont eu lieu entre M. Simpson et l’AIPN durant la procédure administrative, la discussion a toujours porté sur la question de savoir si une comparaison pouvait être établie entre la situation juridique de M. Simpson et la situation des trois fonctionnaires, mentionnés par M. Simpson dans sa demande du 25 juin 2010, ayant conduit le Conseil à considérer que l’avancement de grade leur avait été accordé dans l’intérêt du service. En revanche, il doit être relevé que la notion de « promotion », à laquelle se réfère le Tribunal de la fonction publique, en rappelant par ailleurs, dans la section de l’arrêt attaqué consacrée au cadre juridique, le libellé de l’article 45 du statut qui précise la portée de ladite notion, n’a jamais été évoquée durant la procédure administrative.

34      Au point 24 de l’arrêt attaqué (voir point 6 ci‑dessus), le Tribunal de la fonction publique a affirmé qu’il était constant que, dans la décision litigieuse et dans la décision de rejet de la réclamation, « le Conseil n’a[vait] pas évoqué ou expliqué [à M. Simpson] que, dans le cas des trois fonctionnaires cités dans sa demande, il ne s’agissait ni d’une promotion au sens de l’article 45 du statut, ni d’un recrutement, mais d’un ‘avancement [de] grade dans l’intérêt du service’, tel que décrit dans son mémoire en défense ». Ensuite, il a ajouté qu’un tel manque de clarté, quant à la base juridique des décisions relatives à la situation des trois fonctionnaires en question par rapport à celle de M. Simpson, était confirmé par le fait que celui-ci avait observé dans la requête qu’il lui était encore difficile de comprendre en quoi l’intérêt du service aurait justifié la promotion desdits fonctionnaires. Enfin, le Tribunal de la fonction publique a constaté, au point 25 de l’arrêt attaqué, que, nonobstant l’explication fournie dans la décision litigieuse et dans la décision de rejet de la réclamation sur la nature non comparable des situations des trois fonctionnaires avec celle de M. Simpson, le Conseil a affirmé, dans son mémoire en défense, que l’avancement de grade dans l’intérêt du service n’équivalait pas à une promotion et donc qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation comparative des mérites en application de l’article 45 du statut.

35      Force est de constater que les considérations énoncées aux points 24 et 25 de l’arrêt attaqué constituent une dénaturation de la décision litigieuse et de la décision de rejet de la réclamation produites en annexes à la requête de première instance. Il ressort, en effet, de manière manifeste de la version originale de ces documents, dont la langue correspond à celle de la procédure, que le Conseil, en réponse à une demande précise de M. Simpson, visant explicitement à ce que lui soit accordé un avancement de grade à l’instar de ce qu’il aurait été précédemment fait dans le cas des fonctionnaires susmentionnés, a d’abord rappelé, dans la décision litigieuse, qu’il n’existait aucune disposition statutaire conférant le droit à un fonctionnaire lauréat d’un concours d’un grade plus élevé que le sien d’obtenir automatiquement un avancement de grade et a ensuite précisé qu’une telle décision pourrait être prise par l’AIPN exclusivement dans l’intérêt du service, les institutions disposant d’un large pouvoir d’appréciation en la matière. Finalement, le Conseil a clairement affirmé que, au vu de la situation de l’unité linguistique à laquelle appartenait M. Simpson, qui était différente de celle des unités respectives auxquelles appartenaient les trois lauréats de concours en question lorsqu’ils avaient bénéficié d’un avancement de grade, il n’aurait pas été dans l’intérêt du service de lui accorder un tel avancement.

36      Dans la décision de rejet de la réclamation, le Conseil, en réitérant en substance ces mêmes considérations, a répondu explicitement au grief de M. Simpson tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement. Dans ce contexte, le Conseil a d’abord rappelé que, selon la jurisprudence, il y avait violation du principe d’égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelle et juridique ne présentaient pas de différences essentielles, se voyaient appliquer un traitement différent et qu’un tel traitement n’était pas objectivement justifié. Ensuite, il a examiné la situation des trois fonctionnaires par rapport auxquels M. Simpson estimait avoir subi une discrimination, en concluant, d’une part, que les situations en cause n’étaient pas comparables, dans la mesure où les concours généraux et les services concernés étaient différents et où l’avancement de grade avait été accordé à ces fonctionnaires bien avant la demande de M. Simpson, et, d’autre part, qu’il n’y avait donc pas eu violation du principe d’égalité de traitement. Par ailleurs, le Conseil a également indiqué que l’intérêt du service pouvait varier au fil du temps et qu’il pouvait, par exemple, avoir une influence sur le niveau de recrutement. Il a ensuite rappelé que, conformément à la jurisprudence, l’AIPN n’était pas obligée de donner suite à une procédure de recrutement entamée sur le fondement de l’article 29 du statut. Il s’ensuit, selon le Conseil, que le lauréat d’un concours n’a pas un droit à être recruté et que, par analogie, un fonctionnaire se trouvant dans la même situation n’a pas le droit d’avoir un avancement de grade en restant affecté au même poste. Enfin, le Conseil a précisé que, en l’occurrence, à défaut d’une disposition statutaire, l’AIPN s’est fondée sur l’intérêt du service en considérant que la situation de l’unité linguistique dans laquelle travaillait M. Simpson ne nécessitait pas de recrutement au grade AD 9.

37      Dès lors, contrairement à ce que relève le Tribunal de la fonction publique au point 24 de l’arrêt attaqué ‒ peut-être à cause d’erreurs de traduction (voir point 32 ci-dessus) ayant pu entraîner une ambiguïté dans l’appréhension de la décision litigieuse et de la décision de rejet de la réclamation ‒, le Conseil a explicitement indiqué que, dans le cas des trois fonctionnaires mentionnés dans la demande de M. Simpson, il s’agissait d’un avancement de grade dans l’intérêt du service. Au demeurant, la demande initiale de M. Simpson et l’échange entre celui‑ci et le Conseil ayant toujours porté sur la question de l’« avancement de grade » (upgrade), il n’y avait aucune raison pour le Conseil d’expliquer que, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une promotion au sens de l’article 45 du statut et d’autant moins d’un recrutement.

38      De même, la décision litigieuse et la décision de rejet de la réclamation font clairement état de la raison pour laquelle le Conseil a considéré que les situations des trois fonctionnaires en cause et celle de M. Simpson n’étaient pas comparables. Par ailleurs, une telle comparaison, qui visait tout simplement à établir, en réponse au grief de M. Simpson, s’il y avait eu ou non violation du principe d’égalité de traitement, ne pouvait aucunement correspondre à l’évaluation comparative des mérites en ce qui concerne les promotions en application de l’article 45 du statut, disposition qui n’a pas été évoquée lors de la procédure administrative.

39      Il en est de même en ce qui concerne la conclusion du Tribunal de la fonction publique figurant au point 26, deuxième phrase, de l’arrêt attaqué, selon laquelle le Conseil se serait « notamment abstenu d’expliquer que, dans le cas des trois fonctionnaires des unités de traduction de langues polonaise et slovaque promus en 2006 et 2007, il ne s’agissait pas d’une promotion, mais d’une mesure que le statut ne prévo[yait] pas ». Un tel constat dénature manifestement lui aussi les éléments de preuve versés au dossier.

40      En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 35 à 38 ci-dessus, le Conseil, d’une part, a clairement indiqué, à la fois dans la décision litigieuse et dans la décision de rejet de la réclamation, qu’il n’existait aucune disposition statutaire conférant au fonctionnaire lauréat d’un concours d’un grade plus élevé que le sien un droit à un avancement automatique de grade sur le même poste et, d’autre part, que, précisément pour cette raison, une décision accordant un tel avancement ne pouvait être prise que dans l’intérêt du service, intérêt qui aurait existé dans le cas des trois fonctionnaires en cause, mais pas dans celui de M. Simpson.

41      Enfin, s’agissant de la conclusion du Tribunal de la fonction publique figurant au point 29, deuxième phrase, de l’arrêt attaqué, selon laquelle « en l’espèce, la motivation de la décision [litigieuse] se limit[ait] à évoquer une absence de l’intérêt du service de recruter [M. Simpson] au grade AD 9, tandis que, dans le mémoire en défense, le Conseil expliqu[ait] que, dans le cas des trois fonctionnaires cités par [M. Simpson] dans sa demande, il s’agissait d’un ‘avancement [de] grade dans l’intérêt du service’ », force est de constater qu’elle aussi procède d’une dénaturation des éléments de preuve.

42      En effet, il convient de relever que, dans la décision litigieuse, le Conseil a clairement énoncé que, étant donné la situation de l’unité linguistique estonienne à l’époque de la demande, qui différait de celles des unités auxquelles appartenaient, respectivement, les trois fonctionnaires en cause à l’époque de leur avancement de grade, il n’était pas dans l’intérêt du service d’accorder à M. Simpson un tel avancement. Une référence à la situation de l’unité linguistique dans laquelle travaillait ce dernier, laquelle n’aurait pas nécessité d’effectuer un recrutement au grade AD 9, est faite par l’AIPN au point 17 de la décision de rejet de la réclamation, après avoir expliqué l’analogie entre le droit du lauréat d’un concours à être recruté et celui du fonctionnaire également lauréat d’un concours d’un grade supérieur au sien à se voir accorder un avancement au grade du concours. Donc, contrairement à ce que constate le Tribunal de la fonction publique, le Conseil ne s’est pas contenté d’évoquer dans la décision litigieuse « une absence de l’intérêt du service de recruter [M. Simpson] au grade AD 9 ».

43      Pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal de la fonction publique a entaché son raisonnement d’une inexactitude matérielle lorsqu’il a constaté que ce n’était que dans le mémoire en défense que le Conseil avait expliqué que, dans le cas des trois fonctionnaires en cause, il s’agissait d’un avancement de grade dans l’intérêt du service, dès lors qu’une telle explication ressortait clairement à la fois de la décision litigieuse et de la décision de rejet de la réclamation.

44      Dans ces conditions, le constat d’une violation de l’obligation de motivation, au point 31 de l’arrêt attaqué, apparaît fondé sur une prémisse erronée, résultant d’une dénaturation de certains éléments de preuve.

45      Dans la mesure où les points 27 à 30 de l’arrêt attaqué visent tout simplement à établir, d’une part, que le Conseil ne pouvait pas couvrir l’absence de motivation par des explications fournies après l’introduction du recours et, d’autre part, que l’on ne saurait admettre qu’une institution puisse ultérieurement modifier les motifs d’une décision qu’elle a adoptée ou encore substituer une motivation en cours d’instance, il y a lieu de constater que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal de la fonction publique a pris en compte la manière dont la motivation a prétendument été développée au cours de l’instance.

46      En tout état de cause, il doit être relevé, à l’instar du Conseil, que ce dernier n’a pas modifié les motifs de sa décision initiale en justifiant celle‑ci au regard d’autres dispositions que celles initialement invoquées. En effet, même si l’article 31, paragraphe 2, du statut n’a pas été cité expressément dans la décision de rejet de la réclamation, il ressort clairement du point 16 de celle-ci que la demande de M. Simpson n’a pas été examinée au regard des règles et critères applicables à la promotion, mais de ceux applicables au recrutement. Ainsi, le fait que, lors de l’audience et en réponse à une question précise du Tribunal de la fonction publique à ce sujet (voir point 28 de l’arrêt attaqué), l’agent du Conseil a cité ladite disposition ne constitue pas une modification des motifs au soutien de la décision litigieuse, mais s’inscrit dans la droite ligne des motifs énoncés tout au long de la procédure administrative.

47      Il en va de même, ainsi qu’il a été précisé aux points 41 et 42 ci-dessus, pour les prétendues contradictions dans la motivation du Conseil que le Tribunal de la fonction publique identifie au point 29 de l’arrêt attaqué. En effet, les arguments que le Conseil aurait prétendument développés au cours de l’instance allaient dans le sens de la motivation qu’il avait donnée tout au long de la procédure administrative.

48      Enfin, s’agissant de l’argument évoqué par l’agent du Conseil lors de l’audience, selon lequel, depuis mars 2012, la pratique de l’institution concernant l’appréciation de l’intérêt du service pour accorder un avancement aurait changé (voir point 30 de l’arrêt attaqué), il convient de constater qu’il ne s’agit pas non plus d’une modification de la motivation de la décision litigieuse, mais d’un élément qui s’inscrit dans l’argumentation déjà exposée, selon laquelle l’intérêt du service peut varier avec le temps et influer sur le niveau auquel les fonctionnaires sont recrutés.

49      Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi doit être accueilli, dès lors que le Tribunal de la fonction publique a commis une dénaturation des éléments de preuve en ce qu’il a annulé la décision litigieuse, motif pris de la violation de l’obligation de motivation.

50      Il y a donc lieu d’annuler partiellement l’arrêt attaqué, dans la mesure où le Tribunal de la fonction publique a annulé la décision litigieuse (point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué).

 Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

51      Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe I du statut de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, le Tribunal annule la décision du Tribunal de la fonction publique et statue lui-même sur le litige. Toutefois, lorsque le litige n’est pas en état d’être jugé, il renvoie l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique pour que celui-ci statue.

52      En l’espèce, il doit être relevé que le litige n’est pas en état d’être jugé, dans la mesure où le Tribunal de la fonction publique n’a statué que sur un des trois moyens avancés par M. Simpson, à savoir celui tiré de la motivation insuffisante de la décision litigieuse (voir points 31 et 32 de l’arrêt attaqué).

53      Il convient donc de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique pour qu’il statue sur les trois moyens soulevés par M. Simpson à l’encontre de la décision litigieuse. 

 Sur les dépens

54      Le pourvoi étant accueilli dans son intégralité en raison de l’annulation du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, il y a également lieu d’annuler le point 3 du dispositif de cet arrêt, qui condamnait le Conseil à l’ensemble des dépens.

55      L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois)

déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 12 décembre 2013, Simpson/Conseil (F‑142/11, RecFP, EU:F:2013:201), est annulé dans la mesure où le Tribunal de la fonction publique a annulé la décision par laquelle le Conseil de l’Union européenne a rejeté la demande de M. Erik Simpson visant à obtenir un avancement au grade AD 9 au motif qu’il avait réussi le concours EPSO/AD/113/07 et dans la mesure où il a condamné le Conseil à l’ensemble des dépens (points 1 et 3 du dispositif de cet arrêt).

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique.

3)      Les dépens sont réservés.

Jaeger

Papasavvas

Berardis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 octobre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.