Language of document : ECLI:EU:T:2024:437

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

3 juillet 2024 (*)

« Produits biocides – Autorisation par voie de reconnaissance mutuelle – Produit biocide Pat’Appât Souricide Canadien Foudroyant – Décision de la Commission relative à des objections non résolues – Articles 35, 36 et 48 du règlement (UE) no 528/2012 – Annulation ou modification d’autorisations de mise sur le marché – Recours en annulation – Affectation directe – Affectation individuelle – Recevabilité – Conditions d’octroi d’une autorisation – Article 19, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 – Article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012 – Compétence de la Commission – Notion d’“autorisation nationale” – Notion d’“État membre de référence” – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑667/22,

SBM Développement SAS, établie à Écully (France), représentée par Mes B. Arash et H. Lindström, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Escobar Gómez et M. R. Lindenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Finlande, représentée par Mmes H. Leppo et A. Laine, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, S. Gervasoni et Mme I. Reine (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, SBM Développement SAS, demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2022/1388 de la Commission, du 23 juin 2022, relative aux objections non résolues concernant les conditions de l’autorisation du produit biocide Pat’Appât Souricide Canadien Foudroyant communiquées par la France et par la Suède conformément au règlement (UE) no 528/2012 du Parlement européen et du Conseil (JO 2022, L 208, p. 7, ci-après la « décision attaquée »).

 Cadre juridique

2        L’article 19 du règlement (UE) no 528/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides (JO 2012, L 167, p. 1), énonce les conditions d’octroi d’une autorisation d’un produit biocide. Le paragraphe 1 de cet article prévoit, notamment, ce qui suit :

« Un produit biocide autre qu’un des produits admissibles à la procédure d’autorisation simplifiée conformément à l’article 25 est autorisé si les conditions suivantes sont réunies :

a)      les substances actives sont énumérées à l’annexe I ou approuvées pour le type de produits concerné et toutes les conditions spécifiées pour ces substances actives sont remplies ;

b)      il est établi, conformément aux principes communs d’évaluation des dossiers de produits biocides définis à l’annexe VI, que le produit biocide, lorsqu’il est utilisé comme le prévoit l’autorisation et en tenant compte des facteurs visés au paragraphe 2 du présent article, répond aux critères suivants :

[…]

iii) le produit biocide n’a pas, lui-même ou à cause de ses résidus, d’effet inacceptable immédiat ou différé […] sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable, des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, de l’air ou d’autres effets indirects ;

[…] »

3        Aux termes de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012 :

« Nonobstant les paragraphes 1 et 4, un produit biocide peut être autorisé lorsque les conditions établies au paragraphe 1, [sous b),] iii) et iv), ne sont pas totalement remplies, ou peut être autorisé en vue d’une mise à disposition sur le marché pour utilisation par le grand public lorsque les critères visés au paragraphe 4, [sous] c), sont remplis, si la non-autorisation du produit biocide devait avoir des conséquences négatives disproportionnées pour la société par rapport aux risques que son utilisation, dans les conditions fixées dans l’autorisation, représente pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement.

L’utilisation d’un produit biocide autorisé en vertu du présent paragraphe fait l’objet de mesures appropriées d’atténuation des risques afin de garantir que l’exposition des hommes et de l’environnement à ce produit biocide est la plus faible possible. L’utilisation d’un produit biocide autorisé en vertu du présent paragraphe est réservée aux États membres où la condition visée au premier alinéa est remplie. »

4        Le chapitre VII du règlement no 528/2012 concerne les procédures de reconnaissance mutuelle d’autorisations de produits biocides au sein de l’Union européenne. L’article 32 de ce règlement est rédigé comme suit :

« 1. Les demandes de reconnaissance mutuelle d’une autorisation nationale sont établies conformément aux procédures visées à l’article 33 (reconnaissance mutuelle séquentielle) ou à l’article 34 (reconnaissance mutuelle simultanée).

2. Sans préjudice de l’article 37, tous les États membres recevant des demandes de reconnaissance mutuelle d’une autorisation nationale d’un produit biocide autorisent le produit biocide dans les mêmes termes et dans les mêmes conditions, conformément aux procédures énoncées dans le présent chapitre et sous réserve de ces procédures. »

5        S’agissant de la reconnaissance mutuelle séquentielle, l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 prévoit, notamment, ce qui suit :

« Le demandeur souhaitant obtenir la reconnaissance mutuelle séquentielle, dans un ou plusieurs États membres (ci-après dénommés ‟États membres concernés”), de l’autorisation nationale d’un produit biocide déjà accordée dans un autre État membre conformément à l’article 17 (ci-après dénommé ‟État membre de référence”) soumet à chacune des autorités compétentes des États membres concernés une demande contenant, dans chaque cas, une traduction de l’autorisation nationale délivrée par l’État membre de référence dans les langues officielles exigées par l’État membre concerné.

[…] »

6        En outre, aux termes de l’article 35 du règlement no 528/2012 :

« 1. Un groupe de coordination est institué en vue d’examiner toute question, autre que celles visées à l’article 37, portant sur le fait de savoir si un produit biocide pour lequel une demande de reconnaissance mutuelle a été établie conformément à l’article 33 ou 34 répond aux conditions d’octroi d’une autorisation énoncées à l’article 19.

[…]

2. Si un des États membres concernés considère qu’un produit biocide évalué par l’État membre de référence ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 19, il transmet une explication détaillée des éléments du désaccord et les raisons de sa position à l’État membre de référence, aux autres États membres concernés, au demandeur et, le cas échéant, au titulaire de l’autorisation. Les éléments du désaccord sont communiqués sans tarder au groupe de coordination.

3. Au sein du groupe de coordination, tous les États membres visés au paragraphe 2 du présent article mettent tout en œuvre pour parvenir à un accord sur les mesures à prendre. Ils offrent au demandeur la possibilité de faire connaître son point de vue. S’ils parviennent à un accord dans un délai de [60] jours à compter de la communication des éléments du désaccord visée au paragraphe 2 du présent article, l’État membre de référence consigne l’accord dans le registre des produits biocides. La procédure est alors considérée comme close et l’État membre de référence et chacun des États membres concernés autorisent le produit biocide conformément à l’article 33, paragraphe 3, ou à l’article 34, paragraphe 6, selon le cas. »

7        Pour le cas où les États membres ne parviendraient pas à trouver un accord, l’article 36 du règlement no 528/2012 prévoit un mécanisme de communication des objections non résolues à la Commission européenne, dans les termes suivants :

« 1. Si, dans le délai de [60] jours fixé à l’article 35, paragraphe 3, les États membres visés à l’article 35, paragraphe 2, ne sont pas parvenus à un accord, l’État membre de référence en informe immédiatement la Commission et lui fournit une description détaillée des questions sur lesquelles les États membres n’ont pas pu trouver un accord, ainsi que les raisons de leur désaccord. Une copie de cette description est transmise aux États membres concernés, au demandeur et, le cas échéant, au titulaire de l’autorisation.

2. La Commission peut demander à l’Agence [européenne des produits chimiques] d’émettre un avis sur des questions scientifiques ou techniques soulevées par les États membres. Lorsque la Commission ne demande pas à l’Agence d’émettre un avis, elle donne au demandeur et, le cas échéant, au titulaire de l’autorisation la possibilité de présenter par écrit des observations dans un délai de [30] jours.

3. La Commission adopte, par voie d’actes d’exécution, une décision sur les questions dont elle a été saisie. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 82, paragraphe 3.

4. La décision visée au paragraphe 3 est adressée à tous les États membres et communiquée pour information au demandeur et, le cas échéant, au titulaire de l’autorisation. Dans les [30] jours suivant la notification de la décision, les États membres concernés et l’État membre de référence octroient, refusent d’octroyer ou annulent l’autorisation ou apportent aux conditions de cette autorisation toute modification qui peut être nécessaire pour la mettre en conformité avec la décision. »

8        L’article 37 du règlement no 528/2012 énonce les conditions dans lesquelles, par dérogation au mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu à l’article 32, paragraphe 2, de ce règlement, un État membre peut refuser l’octroi d’une autorisation ou adapter les conditions de l’autorisation à octroyer.

9        Par ailleurs, le chapitre IX du règlement no 528/2012 contient plusieurs dispositions relatives à l’annulation, au réexamen et à la modification des autorisations de produits biocides. En particulier, l’article 48 de ce règlement prévoit ce qui suit :

« 1. Sans préjudice de l’article 23, l’autorité compétente d’un État membre, ou la Commission dans le cas d’une autorisation de l’Union, annule ou modifie à tout moment une autorisation qu’elle a octroyée lorsqu’elle considère que :

a)      les conditions visées à l’article 19, ou, le cas échéant, à l’article 25, ne sont pas remplies ;

b)      l’autorisation a été accordée sur la base d’informations fausses ou trompeuses ; [...]

c)      le titulaire de l’autorisation n’a pas respecté les obligations qui lui incomb[ai]ent en vertu de l’autorisation ou du présent règlement.

2. Lorsque l’autorité compétente, ou la Commission dans le cas d’une autorisation de l’Union, a l’intention d’annuler ou de modifier une autorisation, elle en informe le titulaire et lui donne la possibilité de présenter des observations ou des informations complémentaires dans un délai déterminé. L’autorité compétente d’évaluation, ou la Commission dans le cas d’une autorisation de l’Union, tient dûment compte de ces observations lors de la finalisation de sa décision.

3. Lorsque l’autorité compétente, ou la Commission dans le cas d’une autorisation de l’Union, annule ou modifie une autorisation conformément au paragraphe 1, elle en informe sans délai le titulaire, les autorités compétentes des autres États membres et, s’il y a lieu, la Commission.

Les autorités compétentes qui ont délivré des autorisations en vertu de la procédure de reconnaissance mutuelle pour des produits biocides dont l’autorisation a été annulée ou modifiée, annulent ou modifient, dans un délai de 120 jours à compter de la notification, les autorisations, et en informent la Commission.

En cas de désaccord entre les autorités compétentes de certains États membres concernant des autorisations nationales soumises à la reconnaissance mutuelle, les procédures prévues aux articles 35 et 36 s’appliquent mutatis mutandis. »

 Antécédents du litige

10      La requérante est titulaire, dans plusieurs États membres, d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit biocide contenant la substance active alphachloralose, enregistrée sous le numéro CAS 15879‑93‑3 pour le type de produits 14 (à savoir les rodenticides). Ce produit, commercialisé sous diverses dénominations dans l’Union, est destiné à être utilisé pour lutter contre les souris en milieu intérieur (ci-après le « produit biocide en cause »).

11      La substance active alphachloralose a été approuvée par la Commission et a été inscrite à l’annexe I de la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, concernant la mise sur le marché des produits biocides (JO 1998, L 123, p. 1), par la directive 2009/93/CE de la Commission, du 31 juillet 2009, modifiant la directive 98/8 aux fins de l’inscription de l’alphachloralose en tant que substance active à l’annexe I de ladite directive (JO 2009, L 201, p. 46).

12      Le 17 juin 2013, le produit biocide en cause a été approuvé par l’autorité compétente du Royaume-Uni, conformément à la procédure d’autorisation nationale prévue par la directive 98/8. Cette autorisation a été maintenue à la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 528/2012.

13      Entre 2014 et 2019, la requérante a demandé la reconnaissance mutuelle séquentielle, dans plusieurs États membres, de l’autorisation nationale du produit biocide en cause déjà accordée au Royaume-Uni, en vertu de l’article 33 du règlement no 528/2012. Le 21 octobre 2015 et le 26 février 2019, respectivement, la République française et le Royaume de Suède ont ainsi autorisé le produit biocide en cause, dénommé « Pat’Appât Souricide canadien Foudroyant » en France et « Rodicum Express » en Suède.

14      Le 9 décembre 2019 et le 17 décembre 2019, respectivement, la République française et le Royaume de Suède ont modifié l’autorisation nationale du produit biocide en cause sur le fondement de l’article 48 du règlement no 528/2012, en réaction à la communication de plusieurs cas d’empoisonnement primaire chez le chien et d’empoisonnement secondaire chez le chat.

15      La République française a ainsi exigé l’apposition, sur le produit biocide en cause, d’un étiquetage supplémentaire qui soulignait clairement le risque pour l’homme et pour les organismes non ciblés et qui indiquait de façon très lisible sur l’emballage l’obligation d’utiliser le produit biocide en cause dans des caisses d’appâts uniquement.

16      Le Royaume de Suède a restreint l’utilisation du produit biocide en cause aux professionnels formés. Elle a également ajouté deux conditions, à savoir que le produit biocide en cause ne soit pas utilisé dans des environnements où la présence de chats était attendue et que, après utilisation du produit biocide en cause, les souris mortes soient collectées. La requérante a formé un recours contre ces modifications auprès des juridictions nationales suédoises, qui l’ont rejeté comme étant non fondé.

17      Le 24 décembre 2019, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, une demande de renouvellement de l’approbation de la substance active alphachloralose a été introduite. Le 15 octobre 2020, l’autorité compétente d’évaluation de Pologne a informé la Commission qu’elle avait décidé, en application de l’article 14, paragraphe 1, dudit règlement, qu’une évaluation complète de la demande de renouvellement était nécessaire.

18      Le 15 avril 2020, en application de l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, le Royaume de Danemark et la République fédérale d’Allemagne ont communiqué au groupe de coordination institué en vertu de l’article 35 de ce règlement des objections aux modifications apportées par la République française et par le Royaume de Suède à l’autorisation du produit biocide en cause.

19      Aucun accord n’ayant été trouvé au sein du groupe de coordination, le Royaume de Suède, le 7 août 2020, et la République française, le 21 octobre 2020, ont, en application de l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, communiqué à la Commission les objections non résolues et lui ont fourni une description détaillée des questions sur lesquelles les États membres n’avaient pu trouver un accord ainsi que les raisons de leur désaccord.

20      Le 8 décembre 2021, à la suite de la réception d’un avis de la Ruokavirasto (Autorité alimentaire, Finlande) et de la Finlands Veterinärförbund (Association vétérinaire, Finlande) sur les effets des produits à base d’alphachloralose sur les animaux de compagnie, la République de Finlande a également modifié les autorisations des produits rodenticides contenant de l’alphachloralose, afin de restreindre ceux-ci à un usage professionnel.

21      Le 23 juin 2022, la Commission a adopté la décision attaquée sur le fondement de l’article 36, paragraphe 3, du règlement no 528/2012. Aux termes de cette décision, après avoir examiné attentivement les informations soumises par les États membres et par la requérante, la Commission a estimé que le produit biocide en cause ne remplissait pas pleinement les conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012.

22      La Commission a dès lors considéré que, conformément à l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, le produit biocide en cause ne pouvait être autorisé que dans les États membres estimant que sa non-autorisation aurait des conséquences négatives disproportionnées pour la société par rapport aux risques que son utilisation, dans les conditions fixées par l’autorisation, représentait pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement. En outre, la Commission a estimé que, dans le cas d’une autorisation, l’utilisation du produit biocide en cause devait faire l’objet de mesures appropriées d’atténuation des risques afin de garantir que l’exposition des animaux et de l’environnement à ce produit biocide était la plus faible possible.

 Conclusions des parties

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission, soutenue par la République de Finlande, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal : 

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours

25      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, la Commission, soutenue par la République de Finlande, fait valoir que le recours est irrecevable au motif que la requérante ne satisferait à aucune des conditions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

26      Premièrement, la requérante ne serait pas la destinataire de la décision attaquée. Deuxièmement, cette décision ne constituerait pas un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution, dès lors que les États membres seraient amenés à prendre une décision annulant ou modifiant les autorisations existantes. Troisièmement, la requérante ne serait pas directement concernée par la décision attaquée, dès lors que, même si cette dernière a des effets juridiques obligatoires, elle nécessiterait des mesures d’exécution et laisserait un large pouvoir d’appréciation aux États membres. En effet, les États membres pourraient choisir de maintenir ou non l’autorisation du produit biocide en cause, sur la base de leurs propres appréciations discrétionnaires de la proportionnalité. Ils pourraient autoriser le produit dans des conditions qui respectent les dispositions de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, tout en conservant un large pouvoir d’appréciation quant à l’adoption des mesures d’atténuation des risques qu’ils estiment les plus adaptées.

27      De plus, il ne découlerait pas de l’article 36, paragraphe 4, du règlement no 528/2012 que les États membres doivent automatiquement annuler les autorisations accordées. Au contraire, la décision attaquée ne prescrirait pas de résultat. Elle n’exclurait pas davantage la commercialisation et l’utilisation du produit biocide en cause en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, dès lors que les États membres disposent d’un délai de 30 jours pour se conformer à la décision attaquée et procéder au réexamen de l’autorisation en cause, conformément à l’article 36, paragraphe 4, dudit règlement.

28      La requérante conteste les arguments de la Commission et de la République de Finlande.

29      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas dudit article, un recours contre les actes dont elle est la destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

30      En l’espèce, en premier lieu, il n’est pas contesté par les parties que la décision attaquée est adressée uniquement aux États membres. La requérante n’est donc pas destinataire de celle-ci.

31      En second lieu, il convient de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas la destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 59 et 91).

32      Selon la jurisprudence, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 43 ; voir, également, arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 57 et jurisprudence citée).

33      En outre, la condition selon laquelle la partie requérante doit être concernée directement par l’acte attaqué figurant, en des termes identiques, tant au deuxième membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE qu’au troisième membre de phrase de cette disposition, elle doit revêtir la même signification dans chacun de ces membres de phrase. En effet, l’appréciation de cette condition de nature objective ne saurait varier en fonction des différents membres de phrase de cette disposition (arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 73).

34      Par conséquent, tout acte, qu’il soit de nature réglementaire ou d’une autre nature, peut, en principe, concerner directement un particulier et ainsi produire directement des effets sur la situation juridique de celui-ci, indépendamment du fait de savoir s’il comporte des mesures d’exécution. Ainsi, dans le cas où l’acte attaqué produirait de tels effets, la circonstance selon laquelle des mesures d’exécution ont été adoptées ou doivent encore l’être n’est pas, en tant que telle, pertinente dès lors que celles-ci ne mettent pas en cause le caractère direct du lien existant entre l’acte attaqué et ces effets, à condition que cet acte ne laisse aux États membres aucun pouvoir d’appréciation quant à l’imposition desdits effets à ce particulier (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 74).

35      En l’espèce, selon l’article 1er de la décision attaquée, le produit biocide en cause ne remplit pas pleinement les conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012. En application de l’article 19, paragraphe 5, de ce règlement, la décision attaquée prévoit dès lors, d’une part, que ce produit ne peut être autorisé que dans les États membres estimant que sa non-autorisation aurait des conséquences négatives disproportionnées pour la société par rapport aux risques que son utilisation, dans les conditions fixées par l’autorisation, représente pour la santé humaine, pour la santé animale ou pour l’environnement et, d’autre part, que l’utilisation de ce produit biocide doit faire l’objet de mesures appropriées d’atténuation des risques, qui sont adoptées dans chaque État membre selon les circonstances particulières et les preuves disponibles de la survenue d’empoisonnements secondaires dans ledit État membre.

36      À cet égard, il convient de constater, d’abord, que les autorisations du produit biocide en cause octroyées avant l’adoption de la décision attaquée reposaient sur le constat selon lequel ce produit biocide respectait les conditions prévues par l’article 19, paragraphes 1 à 4, du règlement no 528/2012. C’est sur ce fondement que la requérante a présenté ses demandes de reconnaissance mutuelle séquentielle aux États membres concernés, au sens de l’article 33 dudit règlement, et que les autorisations dudit produit biocide ont été octroyées par ces États. Or, la décision attaquée infirme ce constat, puisqu’elle affirme désormais que ce produit biocide ne remplit pas pleinement les conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012.

37      En outre, il ressort de l’article 36, paragraphe 4, du règlement no 528/2012, applicable mutatis mutandis en l’espèce, que, dans les 30 jours suivant la notification de la décision de la Commission, telle que la décision attaquée, les États membres sont tenus de mettre leur autorisation en conformité avec cette décision. Ainsi, la décision attaquée impose à l’ensemble des États membres ayant délivré une autorisation pour le produit biocide en cause de réexaminer cette autorisation. À cet égard, conformément à l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, il leur incombe de vérifier si la non-autorisation dudit produit biocide aurait des conséquences négatives disproportionnées pour la société par rapport aux risques que son utilisation représente, notamment, pour la santé animale.

38      Par ailleurs, avant l’adoption de la décision attaquée, en vertu de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 528/2012, tous les États membres ayant reçu une demande de reconnaissance mutuelle de l’autorisation nationale du produit biocide en cause étaient tenus, en principe, d’autoriser ce produit dans les mêmes termes et dans les mêmes conditions.

39      Or, l’article 1er de la décision attaquée modifie le régime de la reconnaissance mutuelle applicable jusque-là au produit biocide en cause, tel qu’instauré par l’article 32 du règlement no 528/2012, puisqu’il contraint chaque État membre à réexaminer l’autorisation octroyée en opérant une mise en balance entre, d’une part, les conséquences négatives disproportionnées pour la société d’une éventuelle non-autorisation et, d’autre part, les risques que l’utilisation du produit représente. Une telle mise en balance, qui est propre à chaque État membre, peut conduire ceux-ci à retirer l’autorisation dudit produit biocide, alors même que d’autres États membres décideraient de maintenir cette autorisation moyennant, le cas échéant, certaines conditions.

40      La décision attaquée remet donc en cause les autorisations délivrées par les États membres pour le produit biocide en cause. En faisant application de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, elle modifie les critères auxquels ces autorisations sont subordonnées ainsi que le régime applicable en ce qui concerne la reconnaissance mutuelle de ce produit. Cette décision produit donc directement des effets sur la situation juridique de la requérante, au sens de la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus.

41      Quant à la question de savoir si la décision attaquée laisse un pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, il y a lieu d’observer que, certes, les États membres jouissent d’une marge d’appréciation dans le cadre de la mise en balance entre, d’une part, les conséquences négatives disproportionnées pour la société d’une éventuelle non-autorisation du produit biocide et, d’autre part, les risques que l’utilisation de ce produit représente, conformément à l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012.

42      Toutefois, la décision attaquée a pour effet de soumettre automatiquement le produit biocide en cause à la procédure d’évaluation comparative, prévue à l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, qui doit être effectuée pour toutes les autorisations, existantes ou futures, de ce produit. Les États membres sont donc tenus de réaliser ladite évaluation comparative lors du réexamen des autorisations existantes, ainsi que des éventuelles demandes d’autorisations futures, sans jouir d’aucune marge d’appréciation à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Probelte/Commission, T‑67/18, EU:T:2019:873, point 57).

43      En outre, ce qui importe dans le cadre de l’examen concernant l’affectation directe de la requérante par la décision attaquée, c’est que celle-ci prévoit désormais l’application de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, ce qui modifie automatiquement le régime juridique applicable en matière de reconnaissance mutuelle des autorisations du produit biocide en cause (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, Probelte/Commission, T‑67/18, EU:T:2019:873, point 59).

44      Pour ces motifs, il y a lieu de considérer que la décision attaquée produit directement des effets sur la situation juridique de la requérante, en tant que titulaire des autorisations nationales du produit biocide en cause, et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux États membres chargés de sa mise en œuvre, ceux-ci étant tenus d’effectuer un réexamen des autorisations existantes et d’appliquer la condition supplémentaire prévue par l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012, relative à la mise en balance rappelée au point 39 ci-dessus. La requérante est donc directement concernée par la décision attaquée.

45      La requérante étant directement concernée par la décision attaquée, il s’ensuit que, afin de se voir reconnaître la qualité pour agir au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, elle doit encore être individuellement concernée par cette décision.

46      À cet égard, il convient de rappeler qu’un sujet autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concerné individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si cet acte l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; voir, également, arrêt du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93 et jurisprudence citée).

47      En l’espèce, d’une part, la décision attaquée porte sur les conditions de l’autorisation du produit biocide en cause dont la requérante est la titulaire dans plusieurs États membres. À ce titre, la requérante est citée nommément au considérant 1 de la décision attaquée, en tant que titulaire actuelle de l’autorisation dudit produit biocide.

48      D’autre part, la saisine du groupe de coordination institué en application de l’article 35, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 découle des décisions adoptées par les autorités française et suédoise de modifier les conditions de l’autorisation du produit biocide en cause, ainsi qu’il ressort explicitement des considérants 4 et 5 de la décision attaquée. À ce titre, la requérante a participé à la procédure de conciliation au sein du groupe de coordination, prévue à l’article 35 du règlement no 528/2012, ainsi qu’il ressort du considérant 16 de la décision attaquée. Elle a également fourni des informations qui ont été prises en compte par la Commission aux fins de l’adoption de cette décision, ainsi qu’il ressort du considérant 16 de celle-ci.

49      Pour ces motifs, il convient de conclure que la décision attaquée atteint la requérante en raison de certaines qualités qui lui sont particulières et d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne, de sorte que la requérante est également individuellement concernée par la décision attaquée.

50      Partant, contrairement à ce que fait valoir la Commission, la requérante possède la qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, dès lors qu’elle est directement et individuellement concernée par celle-ci, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE.

51      Quant aux arguments de la requérante tirés de l’absence de communication, par la Commission, de certaines informations et du défaut d’accès aux documents contenant les données que celle-ci aurait prétendument analysées pour parvenir à la conclusion figurant dans la décision attaquée, il conviendra de les examiner dans le cadre de l’analyse du quatrième moyen ci-après.

 Sur le fond

52      À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, quatre moyens tirés, le premier, de la violation de l’article 32, paragraphe 2, et de l’article 48, paragraphes 1 et 3, du règlement no 528/2012, le deuxième, de la violation de l’article 48, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement no 528/2012, de vices de procédure substantiels résultant de la méconnaissance des articles 35 et 36 de ce règlement et d’un dépassement des compétences de la Commission, le troisième, de la violation de l’article 51 du règlement no 528/2012 et des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que d’un dépassement des compétences de la Commission et, le quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application des critères de l’article 19 du règlement no 528/2012, de la violation des principes de proportionnalité, de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique ainsi que du droit à la liberté d’entreprise.

 Observations liminaires

53      Ainsi qu’il ressort de son considérant 3, le règlement no 528/2012 a pour but d’améliorer la libre circulation des produits biocides dans l’Union, tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement. Afin de supprimer, autant que possible, les obstacles au commerce des produits biocides, le règlement établit des règles concernant la reconnaissance mutuelle des autorisations. À cet égard, le considérant 40 du règlement no 528/2012 précise que la reconnaissance mutuelle des autorisations d’un produit biocide doit permettre d’éviter la réitération des procédures d’évaluation et de garantir la libre circulation de ces produits dans l’Union.

54      Les règles en matière de reconnaissance mutuelle, qui sont prévues aux articles 32 à 40 du règlement no 528/2012, constituent donc l’une des pierres angulaires de ce règlement.

55      Cela étant, il ressort également du considérant 3 du règlement no 528/2012 que l’amélioration de la libre circulation des produits biocides dans l’Union, que le mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu par ce règlement tend à mettre en œuvre, doit être conciliée avec la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, ainsi qu’avec le principe de précaution. Comme cela est indiqué au considérant 28 du règlement no 528/2012, seuls les produits conformes aux dispositions de ce règlement, en particulier son article 19, peuvent être mis à disposition sur le marché.

56      Pour ces motifs, la règle de la reconnaissance mutuelle, telle qu’énoncée à l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 528/2012, ne constitue pas un principe absolu. Ainsi, dans ce règlement, le législateur a prévu des exceptions à cette règle, dans l’intérêt de la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, qui relèvent de l’intérêt général.

57      D’une part, ainsi qu’il ressort de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 528/2012, la règle de la reconnaissance mutuelle s’applique « sans préjudice de l’article 37 » de ce règlement, qui prévoit des dérogations à cette règle pour des motifs limitativement énumérés, qui ont trait à l’intérêt général.

58      D’autre part, en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, l’autorité d’un État membre peut annuler ou modifier une autorisation qu’elle a octroyée lorsqu’elle considère, notamment, que les conditions visées à l’article 19 de ce règlement ne sont pas ou plus remplies.

59      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner les moyens soulevés par la requérante.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 32, paragraphe 2, et de l’article 48, paragraphes 1 et 3, du règlement no 528/2012

60      La requérante fait valoir que l’article 48, paragraphes 1 et 3, du règlement no 528/2012 doit être interprété en ce sens que seule l’autorité compétente de l’État membre de référence, au sens de l’article 33 de ce règlement, a la possibilité d’annuler ou de modifier une autorisation d’un produit biocide qui a fait l’objet d’une procédure de reconnaissance mutuelle séquentielle. Or, ainsi qu’il ressortirait d’une note administrative adressée au groupe de coordination concernant l’application de l’article 48 de ce règlement, la Commission aurait considéré que cette disposition autorisait toute autorité compétente, et non uniquement celle de l’État membre de référence initial, à annuler ou à modifier les termes et conditions de l’autorisation d’un produit biocide qu’elle aurait accordée par voie de reconnaissance mutuelle. Dans ce contexte, la requérante, sans pour autant soulever d’exception d’illégalité, déplore le manque de clarté et de précision de l’article 48 dudit règlement.

61      La requérante soutient que le terme « autorisation » figurant à l’article 48, paragraphes 1 et 3, du règlement no 528/2012 est défini à l’article 3, paragraphe 1, sous o), de ce règlement et désigne une autorisation nationale, une autorisation de l’Union ou une autorisation au sens de l’article 26 dudit règlement. Selon la requérante, une telle définition exclurait les autorisations accordées par la voie d’une reconnaissance mutuelle en vertu du chapitre VII de ce même règlement.

62      En élargissant le champ d’application de l’article 48, paragraphes 1 et 3, du règlement no 528/2012 et en autorisant toute autorité compétente d’un État membre à annuler ou à modifier les conditions d’une autorisation accordée par la voie d’une reconnaissance mutuelle, la Commission aurait également violé l’article 32, paragraphe 2, de ce règlement, selon lequel les produits biocides placés sur le marché de l’Union sont censés être autorisés dans les mêmes termes et dans les mêmes conditions dans tous les États membres. En effet, une telle approche permettrait à n’importe quel État membre de contraindre tous les autres États membres à s’aligner sur de telles modifications, conduisant ainsi à une absence d’uniformité dans l’application du règlement no 528/2012 ainsi qu’à de nombreux désaccords entre les États membres. En tant que gardienne des traités, la Commission serait tenue, à cet égard, de veiller à une application harmonisée du règlement qui ne porte pas atteinte au principe de reconnaissance mutuelle.

63      La Commission, soutenue par la République de Finlande, répond que le premier moyen est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

64      En l’espèce, il convient de comprendre que, par son argumentation, la requérante reproche à la Commission, en substance, d’avoir adopté la décision attaquée alors même qu’elle n’était pas habilitée à le faire, dès lors que la procédure de discussion au sein du groupe de coordination, suivie de la communication des objections non résolues à la Commission, repose sur l’annulation ou la modification d’autorisations existantes du produit biocide en cause par des États membres qui n’étaient pas l’État membre de référence initial, au sens de l’article 33 du règlement no 528/2012.

65      À cet égard, s’il est vrai que, en l’espèce, les décisions de modification de l’autorisation du produit biocide en cause adoptées par la République française et par le Royaume de Suède en 2019 ne sont pas imputables à la Commission, il n’en demeure pas moins que la communication des objections non résolues à la Commission en vertu de l’article 36 du règlement no 528/2012 présuppose nécessairement que de telles objections aient été constatées conformément à l’article 48, paragraphe 3, dudit règlement, dont le troisième alinéa renvoie, mutatis mutandis, aux articles 35 et 36 de ce même règlement. Or, il ne saurait être question de désaccord entre les autorités compétentes des États membres, au sens de l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, qu’en présence d’une annulation ou d’une modification d’une autorisation existante par un État membre visé à l’article 48, paragraphe 1, de ce règlement. En l’absence d’un tel désaccord, la Commission ne saurait être considérée comme étant régulièrement habilitée pour trancher celui-ci dans le cadre de la procédure prévue aux articles 35 et 36 dudit règlement.

66      Dans ce contexte, l’argumentation de la Commission, selon laquelle le moyen de la requérante tiré de la violation de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 est irrecevable au motif que les décisions de modification de l’autorisation du produit biocide ne lui sont pas imputables, doit en tout état de cause être écarté.

67      Sur le fond, il convient de constater que l’article 48 du règlement no 528/2012 prévoit un mécanisme d’annulation ou de modification des autorisations existantes. Le paragraphe 1 de cet article permet ainsi à l’autorité compétente d’un État membre d’annuler ou de modifier à tout moment une autorisation qu’elle a octroyée, dans les conditions prévues par cette disposition. Afin de répondre aux arguments de la requérante, il convient dès lors d’interpréter la notion d’« autorité compétente d’un État membre ».

68      À cet égard, il convient de relever que, eu égard au libellé de l’article 48 du règlement no 528/2012, celui-ci permet à l’autorité compétente d’un État membre de modifier « une autorisation qu’elle a octroyée », sans autre précision. Ainsi, il n’est nullement indiqué que cette disposition n’habiliterait, outre la Commission, que l’autorité compétente de l’« État membre de référence » au sens de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement.

69      Cela étant, il convient de rappeler que, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également de son contexte et des objectifs de la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a., C‑528/16, EU:C:2018:583, point 42 et jurisprudence citée).

70      À cet égard, il convient de constater que le terme « autorisation » figurant à l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 est défini à l’article 3, paragraphe 1, sous o), de ce règlement et désigne une autorisation nationale, une autorisation de l’Union ou une autorisation au sens de l’article 26 de ce règlement. Il ressort également de l’article 3, paragraphe 1, sous m), dudit règlement que l’expression « autorisation nationale » vise un acte administratif par lequel l’autorité compétente d’un État membre autorise la mise à disposition sur le marché et l’utilisation d’un produit biocide ou d’une famille de produits biocides sur son territoire ou sur une partie de celui-ci.

71      Ainsi, l’article 3, paragraphe 1, sous m), du règlement no 528/2012 ne fait pas davantage référence à l’État membre de référence au sens de l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement ni à une quelconque autorisation initiale ou première autorisation dans l’Union. Cette définition n’opère pas non plus de renvoi exclusif aux dispositions du chapitre VI dudit règlement, relatif aux autorisations nationales de produits biocides, à l’exclusion des autorisations qui seraient octroyées par voie de reconnaissance mutuelle, au sens du chapitre VII de ce règlement.

72      Au contraire, il convient de constater que l’article 32 du règlement no 528/2012, relatif à une « [a]utorisation par voie de reconnaissance mutuelle », utilise le verbe « autoriser » afin de désigner l’acte par lequel une autorité compétente accueille une demande de reconnaissance mutuelle d’une autorisation nationale.

73      La Commission a également indiqué, à bon droit, que l’expression « autorisation nationale » était utilisée dans d’autres articles du règlement no 528/2012, dans un sens plus large que celui des seules autorisations octroyées par l’État membre de référence. Tel est, notamment, le cas de l’article 39 du règlement no 528/2012, relatif à la demande de reconnaissance mutuelle par des organismes officiels ou scientifiques, qui prévoit la possibilité pour ceux-ci de demander l’autorisation nationale d’un produit biocide « en vertu de la procédure de reconnaissance mutuelle » lorsque aucune demande d’« autorisation nationale » n’a été présentée dans un État membre pour un produit biocide qui est déjà autorisé dans un autre État membre.

74      En outre, l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 relève du chapitre IX de ce règlement, relatif à l’annulation, au réexamen et à la modification des autorisations qui ont déjà été octroyées, y compris en application du mécanisme de reconnaissance mutuelle. Ainsi, contrairement aux articles 35 et 36 de ce règlement, qui concernent d’éventuelles objections soulevées par un ou plusieurs États membres en vue de l’octroi éventuel d’une autorisation, l’article 48 dudit règlement vise la situation dans laquelle l’autorité compétente d’un État membre constaterait, après avoir autorisé un produit biocide, qu’il y a lieu d’annuler ou de modifier cette autorisation, par dérogation aux obligations découlant du mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu à l’article 32 dudit règlement.

75      Aucune des autres dispositions du chapitre IX du règlement no 528/2012 ne mentionne davantage l’État membre de référence. Au contraire, il ressort des articles 47 et 49 de ce règlement que les demandes d’annulation ou de modification d’une autorisation doivent être adressées à « l’autorité compétente qui a octroyé l’autorisation nationale ».

76      En particulier, l’article 47, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 528/2012 prévoit que, en cas de notification d’effets inattendus ou nocifs par le titulaire d’une autorisation, les autorités compétentes des États membres qui ont délivré « une autorisation nationale pour le même produit biocide en vertu de la procédure de reconnaissance mutuelle » examinent s’il y a lieu d’annuler cette autorisation conformément à l’article 48 dudit règlement.

77      De même, il ressort de l’article 49 du règlement no 528/2012 que, sur demande motivée d’un titulaire d’autorisation, l’autorité compétente qui a octroyé l’autorisation nationale annule cette autorisation. Cet article ne saurait être interprété en ce sens qu’il viserait uniquement l’autorisation nationale octroyée par l’État membre de référence, à l’exclusion de toute autre autorisation octroyée en vertu du mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu par ledit règlement, sous peine d’interdire audit titulaire de demander l’annulation d’une autorisation dans l’État membre de son choix et de priver ainsi cette disposition de tout effet utile.

78      Quant à l’objectif de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, comme le souligne à bon droit la Commission, il ressort du considérant 47 de ce règlement que le chapitre IX de celui-ci, dont relève cet article 48, précise les conditions dans lesquelles les autorisations peuvent être annulées, réexaminées ou modifiées afin de tenir compte, notamment, des progrès scientifiques et techniques. Ce considérant indique, en outre, que la notification et l’échange d’informations qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur les autorisations sont également nécessaires afin de permettre aux autorités compétentes et à la Commission de prendre les mesures qui s’imposent. Il découle du point 56 ci-dessus que ces mécanismes trouvent leur raison d’être dans la nécessaire protection de la santé humaine et animale et de l’environnement.

79      À cet égard, l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 énumère, de façon exhaustive, les motifs pour lesquels un État membre peut annuler ou modifier une autorisation d’un produit biocide qu’il a octroyée. Or, il ne saurait être exclu qu’un ou plusieurs de ces motifs puissent être constatés dans un État membre, en raison, par exemple, de certaines caractéristiques locales, sans que cela soit également le cas dans d’autres États membres ayant autorisé ce même produit. Il serait contraire à l’objectif rappelé au point 78 ci-dessus qu’un tel État membre ayant autorisé un produit biocide ne soit pas en mesure de revoir cette autorisation lorsqu’il s’aperçoit, notamment en raison de progrès scientifiques et techniques, que l’autorisation de ce produit ne peut pas être maintenue en l’état.

80      De manière plus générale, limiter l’application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 au seul État membre de référence irait à l’encontre du principe de précaution, selon lequel il est nécessaire d’agir de manière préventive afin d’éviter les  risques pour la santé humaine ou pour l’environnement, et sur lequel les dispositions dudit règlement se fondent, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de celui-ci.

81      Aussi, contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’expression « autorisation nationale » ne saurait être interprétée comme se référant uniquement aux autorisations octroyées par l’État membre de référence au sens de l’article 33 du règlement no 528/2012. Au contraire, il ressort de l’utilisation de cette expression dans ce règlement que l’utilisation du terme « nationale » doit s’entendre comme désignant les produits biocides autorisés au niveau national, par opposition aux produits biocides qui feraient l’objet d’une autorisation de l’Union en application du chapitre VIII du règlement no 528/2012.

82      S’agissant des arguments de la requérante tirés de l’atteinte portée par une telle interprétation au principe de reconnaissance mutuelle, il convient de rappeler que, comme il a été indiqué aux points 55 et 56 ci-dessus, la libre circulation des produits biocides, que les règles relatives à la reconnaissance mutuelle prévues aux articles 32 à 40 du règlement no 528/2012 tendent à mettre en œuvre, doit être appliquée dans le respect de la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, ainsi que du principe de précaution.

83      Ainsi, la règle relative à la reconnaissance mutuelle, telle qu’énoncée à l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 528/2012, n’est pas absolue, dès lors que la procédure de reconnaissance mutuelle ne crée pas d’automatisme et laisse une marge d’appréciation à l’État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle, dans l’intérêt de la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, ainsi que du principe de précaution.

84      À cet égard, les articles 35 et 36 du règlement no 528/2012 mettent en place un mécanisme permettant de résoudre les éventuels désaccords qui peuvent surgir entre les États membres lors d’une demande de reconnaissance mutuelle au sujet du respect, par un produit biocide, des conditions prévues par l’article 19 de ce règlement. Ce mécanisme repose sur la recherche d’un accord entre les États membres. Compte tenu de ce mécanisme, la requérante ne saurait soutenir que, en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, n’importe quel État membre est en mesure de contraindre tous les autres États membres à s’aligner sur ses propres modifications.

85      Par conséquent, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel, en application du principe de reconnaissance mutuelle, seul l’État membre de référence qui a délivré l’autorisation nationale initiale dans l’Union est en droit d’annuler ou de modifier l’autorisation qu’il a octroyée sur le fondement de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012.

86      Enfin, à l’appui de sa demande d’annulation de la décision attaquée, la requérante ne saurait davantage se prévaloir du manque de clarté et de précision de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 ni, partant, de la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

87      En effet, le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations que la réglementation en cause leur impose et afin que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 17 novembre 2022, Avicarvil Farms, C‑443/21, EU:C:2022:899, point 46 et jurisprudence citée). Cependant, dès lors qu’un certain degré d’incertitude quant au sens et à la portée d’une règle de droit est inhérent à celle-ci, il convient d’examiner si la règle de droit en cause souffre d’une ambiguïté telle qu’elle ferait obstacle à ce que les justiciables puissent lever avec une certitude suffisante d’éventuels doutes sur la portée ou le sens de cette règle (arrêt du 14 avril 2005, Belgique/Commission, C‑110/03, EU:C:2005:223, point 31).

88      Or, ainsi qu’il ressort des points 68 à 81 ci-dessus, l’interprétation de la notion d’« autorité compétente » utilisée à l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, à savoir celle qui a octroyé l’autorisation nationale, découle de manière suffisamment claire, non seulement des termes de l’article 48 dudit règlement dans son ensemble, mais également du contexte et de l’objectif de ce règlement.

89      En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir de ce principe suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union (voir arrêt du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement, C‑566/14 P, EU:C:2016:437, point 77 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la requérante reste en défaut de démontrer que des assurances précises lui ont été fournies par la Commission quant à la limitation de la notion d’« autorité compétente », prévue à l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, aux seules autorités de l’État membre de référence d’origine.

90      Le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, de vices de procédure substantiels résultant de la méconnaissance des articles 35 et 36 de ce règlement et d’un dépassement des compétences de la Commission

91      La requérante fait valoir que, en cas de désaccords entre États membres, l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012 prévoit l’application « mutatis mutandis » des procédures prévues aux articles 35 et 36 de ce règlement. Une telle application « mutatis mutandis » autoriserait uniquement les modifications nécessaires, sans que l’on puisse toutefois s’écarter du principe légal de base. Or, en l’occurrence, dans l’interprétation de l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, la Commission aurait modifié les définitions des notions d’« État membre de référence » et d’« État membre concerné », employées à l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement, et aurait ainsi méconnu le principe de sécurité juridique.

92      Selon la requérante, l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 indique clairement que, si les États membres ne parviennent pas à un accord, l’« État membre de référence » en informe immédiatement la Commission. Il s’agirait de l’État qui a octroyé l’autorisation nationale initiale du produit biocide en application de l’article 17 de ce règlement. Or, la République française et le Royaume de Suède, qui ont communiqué les objections non résolues à la Commission en l’espèce, ne répondraient pas, s’agissant du produit biocide en cause, à cette définition. La décision de la Commission de ne pas rejeter leurs communications au sens de l’article 36 du règlement no 528/2012 constituerait une « erreur de forme substantielle ». En acceptant de telles objections, la Commission aurait commis des erreurs de droit et « de forme » et aurait outrepassé ses compétences.

93      La Commission, soutenue par la République de Finlande, conteste les arguments de la requérante.

94      En l’espèce, il ressort de l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012 que, en cas de désaccord entre les autorités compétentes de certains États membres concernant des autorisations nationales soumises à la reconnaissance mutuelle, à la suite d’une annulation ou d’une modification d’une autorisation par un État membre conformément à l’article 48, paragraphe 1, dudit règlement, les procédures prévues aux articles 35 et 36 de ce règlement s’appliquent « mutatis mutandis ».

95      À cet égard, il est vrai que l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 charge l’« État membre de référence » d’informer la Commission du désaccord qui persiste entre les États membres à l’issue des discussions au sein du groupe de coordination.

96      Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’utilisation de l’expression « mutatis mutandis » à l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, l’article 36, paragraphe 1, de ce règlement doit être appliqué dans un contexte particulier, à savoir celui de l’annulation ou de la modification d’une autorisation nationale qui avait déjà été octroyée. Un tel contexte diffère de celui de l’octroi d’une première autorisation par voie de reconnaissance mutuelle, régi par les articles 32 à 40 dudit règlement.

97      En effet, dans le cadre de l’octroi d’une autorisation nationale par une autorité compétente, les articles 33 et 34 du règlement no 528/2012 relatifs, respectivement, à la procédure de reconnaissance mutuelle séquentielle et à la procédure de reconnaissance mutuelle simultanée, confèrent à l’État membre de référence un rôle prépondérant. Celui-ci est chargé de réaliser l’évaluation de la première demande d’autorisation du produit biocide. C’est sur la base de cette évaluation et de l’autorisation nationale subséquente que le demandeur pourra obtenir la reconnaissance mutuelle, dans un ou plusieurs États membres concernés, de cette autorisation nationale. Les éventuelles objections de l’un des États membres concernés visent dès lors les résultats de l’évaluation réalisée par l’État membre de référence et la question de savoir si le produit biocide satisfait aux conditions d’octroi de l’article 19 du règlement no 528/2012, ainsi qu’il ressort de l’article 35, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement.

98      C’est dans ce contexte que, en l’absence d’accord entre les États membres dans le délai de 60 jours fixé à l’article 35, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, l’État membre de référence informe immédiatement la Commission et lui fournit une description détaillée des questions sur lesquelles les États membres n’ont pas pu trouver un accord ainsi que les raisons de leur désaccord, conformément à l’article 36, paragraphe 1, dudit règlement. La désignation de l’État membre de référence dans un tel contexte s’explique ainsi en raison de la position centrale qu’il occupe dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle.

99      En revanche, lorsque des autorisations nationales ont déjà été octroyées dans le cadre d’une procédure de reconnaissance mutuelle mais que, en raison, notamment, de l’évolution des connaissances scientifiques ou techniques ou de l’apparition d’effets particuliers, l’autorité compétente d’un État membre constate qu’il convient d’annuler ou de modifier une telle autorisation pour les motifs prévus à l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, ce n’est plus la décision d’autorisation de l’État membre de référence qu’il convient de reconnaître, mais bien la décision d’annulation ou de modification de l’État membre ayant adopté celle-ci. C’est également cette décision d’annulation ou de modification qu’il conviendra, en principe, d’appliquer dans d’autres États membres.

100    Dès lors que l’application des articles 35 et 36 du règlement no 528/2012 doit être effectuée « mutatis mutandis », selon les termes mêmes de l’article 48, paragraphe 3, troisième alinéa, de ce règlement, le renvoi à l’État membre de référence à l’article 36, paragraphe 1, du règlement ne saurait être interprété en ce sens que seul cet État pourrait informer la Commission du désaccord qui existe en ce qui concerne la décision d’annulation ou de modification en cause.

101    Par ailleurs, comme le souligne à bon droit la République de Finlande, une telle interprétation permet de garantir l’effet utile du mécanisme prévu par l’article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012, dès lors que l’État membre qui a adopté la décision d’annulation ou de modification possède la meilleure connaissance des éléments appuyant sa décision et susceptibles d’aboutir à une annulation ou à une modification de l’autorisation nationale dans les autres États membres. Il est ainsi le mieux placé pour informer la Commission et lui communiquer la description requise par l’article 36, paragraphe 1, de ce règlement, applicable mutatis mutandis.

102    En tout état de cause, à supposer que l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 ait été méconnu au motif que cette communication avait été effectuée par un autre État membre, il ne saurait être considéré qu’une telle irrégularité doit, en l’espèce, entraîner l’annulation de la décision attaquée. En effet, la désignation de l’autorité compétente de l’État membre « de référence » comme autorité chargée d’informer la Commission poursuit avant tout un objectif pratique, sans pour autant conférer des droits aux particuliers dont la méconnaissance aurait une incidence sur le contenu de la décision de la Commission.

103    Dès lors que la violation alléguée de l’article 36 paragraphe 1, du règlement no 528/2012 repose tout au plus sur une irrégularité de procédure, celle-ci ne saurait entraîner l’annulation en tout ou en partie de la décision attaquée que s’il est établi qu’en l’absence de cette irrégularité, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 80 et jurisprudence citée). Or, la requérante n’a avancé aucune argumentation susceptible de démontrer que, si la République italienne avait informé la Commission du désaccord entre les États membres, en lieu et place de la République française et du Royaume de Suède, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent.

104    Enfin, aux termes du considérant 42 du règlement no 528/2012, relatif au mécanisme de résolution des différends prévu aux articles 35 et 36 de ce règlement, il convient que la Commission soit habilitée à prendre une décision dans le cas où le groupe de coordination ne parviendrait pas à trouver un accord dans un délai déterminé. L’habilitation de la Commission à prendre une telle décision découle ainsi, non pas de la saisine de l’« État membre de référence », mais bien des articles 35 et 36 du règlement eux-mêmes, qui prévoient l’intervention de la Commission dès que le délai de 60 jours prévu à l’article 35, paragraphe 3 de ce règlement est écoulé sans qu’aucun accord ait pu être trouvé. Or, il est constant entre les parties que, à l’expiration du délai susmentionné, les États membres, réunis au sein du groupe de coordination, n’avaient pas trouvé d’accord relatif aux décisions de la République française et du Royaume de Suède de modifier l’autorisation du produit biocide en cause.

105    Il en résulte que, en adoptant la décision attaquée, la Commission n’a pas excédé les compétences qui lui étaient conférées par les articles 35 et 36 du règlement no 528/2012.

106    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 51 du règlement no 528/2012, des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime et d’un dépassement des compétences de la Commission

107    La requérante fait valoir que la Commission a méconnu l’article 51 du règlement no 528/2012, dès lors qu’elle n’a pas défini, par voie d’actes d’exécution, les modalités d’application de l’article 48 de ce règlement. Cela aurait été pourtant nécessaire compte tenu des doutes que l’application de cette disposition soulevait auprès des États membres et des titulaires d’autorisations de produits biocides. La Commission se serait contentée d’adopter des orientations administratives, ainsi qu’il ressortirait des annexes A14, A15 et A29 de la requête, et de transmettre aux autorités compétentes des États membres des avis interprétatifs ad hoc, en violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. En adoptant des déclarations interprétatives avant et après la décision attaquée, elle aurait également excédé sa compétence, dès lors que l’interprétation du droit de l’Union serait réservée à la Cour de justice de l’Union européenne.

108    La Commission, soutenue par la République de Finlande, conteste les arguments de la requérante.

109    Il ressort de l’article 51 du règlement no 528/2012 que, afin d’assurer une approche harmonisée de l’annulation et de la modification des autorisations, la Commission établit, par voie d’actes d’exécution, des modalités d’application des articles 47 à 50 de ce règlement.

110    Certes, la Commission reconnaît qu’elle n’a pas encore adopté de tels actes d’exécution. Toutefois, en l’espèce, la légalité de la décision attaquée doit être appréciée, avant tout, à l’aune de l’article 48 du règlement no 528/2012, lu conjointement avec les articles 35 et 36 du même règlement, tels qu’adoptés par le législateur de l’Union. Conformément à l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, ce règlement est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. L’absence d’adoption d’actes d’exécution par la Commission n’empêche donc nullement l’application de l’article 48 du règlement no 528/2012 et n’entache pas cette application d’illégalité.

111    Il convient d’ajouter que la requérante n’a pas, en l’espèce, introduit un recours en carence contre la Commission sur le fondement de l’article 265 TFUE, mais bien un recours en annulation de la décision attaquée, sur le fondement de l’article 263 TFUE.

112    Aussi, à supposer même que la Commission ait méconnu l’article 51 du règlement no 528/2012, voire les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, en n’adoptant pas les actes d’exécution requis, en l’espèce, une telle violation ne permettrait pas de constater l’illégalité de la décision attaquée et partant, d’aboutir à l’annulation de celle-ci. Cet argument est donc inopérant.

113    De surcroît, la requérante n’explique nullement en quoi la non-adoption des mesures d’exécution par la Commission aurait conduit à une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Faute d’être étayé, cet argument doit donc être rejeté.

114    Par ailleurs, s’agissant des « orientations administratives » de la Commission, auxquelles la requérante fait référence, il convient de relever que les documents figurant aux annexes A14 et A29 de la requête sont, en premier lieu, une note adressée au groupe de coordination pour les produits biocides et, en second lieu, une note invitant les autorités compétentes des États membres à trouver un accord concernant l’harmonisation des autorisations des produits biocides contenant de l’alphachloralose. Ces deux notes précisent d’emblée qu’elles ne représentent pas la position officielle de la Commission et que les États membres ne sont pas légalement tenus de les respecter, puisque seule la Cour de justice de l’Union européenne est habilitée à fournir une interprétation contraignante du droit de l’Union.

115    Quant à l’échange de courriels figurant à l’annexe A15 de la requête, il ne contient aucune indication quant à une interprétation prétendument contraignante de l’article 48 du règlement no 528/2012 par la Commission.

116    Par conséquent, et en tout état de cause, la requérante n’est pas fondée à prétendre que la Commission aurait outrepassé ses compétences en adoptant les « orientations administratives » concernées.

117    Partant, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité ainsi que de la violation du droit à la liberté d’entreprise

118    La requérante fait valoir que les informations figurant au considérant 16 de la décision attaquée, sur lesquelles la Commission s’est fondée pour adopter celle-ci, ne concernent que la substance active alphachloralose. Les données scientifiques examinées par la Commission ne contiendraient aucune information relative à l’utilisation de produits biocides ou à l’insuffisance des mesures d’atténuation des risques mises en place pour réduire le risque d’empoisonnement secondaire chez le chien et le chat. Ces informations constitueraient tout au plus des « indices » d’un lien de causalité avec l’utilisation du produit biocide en cause.

119    Selon la requérante, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que l’existence d’un risque d’empoisonnement secondaire avait déjà été examinée et jugée  acceptable au niveau de l’Union dans le cadre de la procédure d’approbation de la substance active alphachloralose, à condition que certaines mesures d’atténuation du risque soient mises en place. La requérante aurait respecté ces exigences et serait même allée au-delà de ces dernières en proposant le produit biocide en cause dans des caisses d’appâts préremplies. De plus, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord aurait conclu que le risque d’empoisonnement des chats était négligeable, compte tenu des caractéristiques de la substance active et de la forme sous laquelle les produits biocides en cause étaient mis à disposition sur le marché.

120    Les informations scientifiques présentées par la République de Finlande et le Royaume de Suède se rapporteraient, quant à elles, à des informations d’ordre général sur les propriétés toxiques de la substance active alphachloralose et les symptômes cliniques d’empoisonnement par cette substance. Les données provenant de l’autorité compétente suédoise, figurant à l’annexe B9 de la défense, n’étayeraient en rien la position de la Commission, qui aurait adopté une approche purement hypothétique du risque. Par ailleurs, la République française n’aurait pas présenté de données scientifiques justifiant les cas allégués d’empoisonnement sur son territoire.

121    À cet égard, la Commission et les États membres concernés n’auraient effectué aucun examen approfondi des éléments de preuve scientifiques présentés afin de vérifier que les conditions de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 n’étaient effectivement plus remplies. Au demeurant, la requérante aurait demandé à la Commission, en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 528/2012, d’inviter l’Agence des produits chimiques (ECHA) à rendre un avis sur la question de savoir si le produit biocide en cause remplissait les conditions de l’article 19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012. La Commission aurait rejeté cette demande compte tenu de la procédure de renouvellement de l’approbation de la substance active alphachloralose en cours, qui ne devrait aboutir à une décision qu’en 2026 au plus tôt.

122    Dans la réplique, la requérante ajoute que la Commission n’aurait pas communiqué les données et analyses scientifiques venant au soutien de ses conclusions ni la méthode d’évaluation utilisée permettant d’établir un lien entre le produit biocide en cause et les cas signalés en Finlande et en Suède.

123    La décision attaquée constituerait ainsi une décision arbitraire violant le principe de proportionnalité, en particulier compte tenu des investissements majeurs de la requérante aux fins de l’autorisation de son produit biocide et du renouvellement de la procédure d’approbation de la substance active alphachloralose. De plus, l’erreur manifeste d’appréciation commise entraînerait une violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité ainsi qu’une violation du droit fondamental à la liberté d’entreprise de la requérante protégé par l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

124    La Commission conteste les arguments de la requérante.

125    À titre liminaire, il convient de relever que le présent recours, qui a trait à la reconnaissance mutuelle de produits biocides, s’inscrit dans un contexte technique et scientifique hautement complexe à caractère évolutif. Dès lors, les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent. Le contrôle du juge de l’Union doit alors se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir, ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité FUE a conféré cette tâche (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60 et jurisprudence citée).

126    En outre, afin d’établir qu’une institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation d’un acte, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cet acte (arrêt du 13 octobre 2021, European Union Copper Task Force/Commission, T‑153/19, non publié, EU:T:2021:688, point 65).

127    En l’espèce, au considérant 16 de la décision attaquée, il est indiqué que la Commission s’est fondée, d’une part, sur les informations soumises par les États membres et par la requérante et, d’autre part, sur l’avis de l’Autorité alimentaire et de l’Association vétérinaire finlandaises ainsi que sur les rapports de la clinique vétérinaire universitaire d’Uppsala (Suède) et de la Sveriges Veterinärförbund (Association vétérinaire, Suède), aux termes desquels le produit biocide en cause aurait des effets inacceptables sur la santé animale et où il aurait été confirmé, grâce à des analyses réalisées sur les animaux empoisonnés, qu’un nombre important d’empoisonnements par l’alphachloralose chez le chat auraient eu lieu.

128    Il ressort d’un rapport de la clinique vétérinaire de l’université suédoise des sciences agricoles du 19 novembre 2019, sur les cas suspectés d’empoisonnement à l’alphachloralose entre 2014 et 2019, que des cas supposés d’intoxication secondaire à l’alphachloralose ont été recensés par ladite clinique vétérinaire depuis 2014, avec une augmentation importante de ces cas en 2019. En particulier, cette clinique y indique avoir traité près d’un cas d’intoxication par jour au cours des mois de novembre et de décembre de cette année. Dans plusieurs de ces cas, les propriétaires des animaux concernés auraient vu leur chat développer des symptômes d’intoxication dans les 30 à 60 minutes après avoir mangé un rongeur, tandis que des restes de rongeurs ont été retrouvés dans l’estomac d’autres animaux intoxiqués.

129    En outre, les cas d’empoisonnement secondaire de chats dus à l’alphachloralose ont été confirmés à l’issue d’une étude menée par des chercheurs du Statens veterinärmedicinska anstalt (Institut vétérinaire national, Suède), de la clinique vétérinaire de l’université suédoise des sciences agricoles et du département de chimie médicale de l’université d’Uppsala, dont les résultats ont été publiés le 27 juillet 2021 dans la revue scientifique Journal of Analytical Toxicology. Cette étude se fonde elle-même sur divers articles scientifiques. La notification que l’autorité compétente suédoise a envoyée le 18 décembre 2019 aux autorités compétentes des autres États membres en vertu de l’article 48 du règlement no 528/2012 contenait également des documents justificatifs en annexe.

130    Il ressort en outre de l’avis de l’Autorité alimentaire finlandaise du 8 juin 2021 sur les effets des préparations à base d’alphachloralose sur les animaux et la faune sauvage qu’un premier cas confirmé d’empoisonnement d’un chat a été signalé en 2018. Par la suite, cette autorité a reçu plusieurs signalements de la part de vétérinaires et de propriétaires d’animaux concernant des cas suspects d’empoisonnement à l’alphachloralose. Un sondage a été réalisé en 2019 auprès de vétérinaires ainsi qu’une étude conjointe des pays nordiques en 2020-2021 sur ces cas suspects d’empoisonnement. Bien que le rapport de cette étude n’eût pas encore été finalisé et qu’aucun laboratoire en Finlande n’eût pratiqué de tests de détection de l’alphachloralose à l’époque, l’Autorité alimentaire finlandaise a conclu que les préparations à base de cette substance causaient des souffrances importantes aux animaux et à la faune sauvage, et que le nombre de cas d’empoisonnement signalés était considérable. Dans un avis du 4 juin 2021, l’association vétérinaire finlandaise a également conclu, pour sa part, que l’alphachloralose était un poison particulièrement dangereux pour les chats.

131    La requérante n’a apporté aucun élément susceptible de démontrer que les affirmations reprises aux points 128 et 129 ci-dessus étaient erronées, de sorte que la Commission ne pouvait pas se fonder sur celles-ci, ni que la Commission a interprété ces informations de manière manifestement incorrecte. En outre, le fait que, dans la décision attaquée, la Commission ait renvoyé aux documents soumis par les États membres sans répondre de manière spécifique à chaque argument soulevé par la requérante dans le cadre de ses observations sur le projet de décision conformément à l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 528/2012 ne signifie pas qu’elle a ignoré, à tort, ces arguments.

132    À cet égard, premièrement, il est vrai que les documents mentionnés au point 131 ci-dessus ne concernent pas explicitement le produit biocide en cause et n’établissent aucun lien de causalité explicite entre les cas d’empoisonnement recensés et ce produit en particulier. Toutefois, le produit biocide en cause, à l’instar des autres produits biocides contenant de l’alphachloralose, ne pouvait être autorisé par les États membres que dans le respect des conditions prévues à l’annexe de la directive 2009/93 (voir point 11 ci-dessus). En particulier, ces produits ne pouvaient pas être autorisés en vue d’une utilisation à l’extérieur et seuls les produits destinés à être utilisés dans des caisses d’appâts inviolables et scellées étaient autorisés.

133    La requérante n’indique pas en quoi son produit biocide serait différent des autres produits biocides contenant de l’alphachloralose mis sur les marchés suédois ou finlandais, de sorte que le risque d’empoisonnement secondaire qu’il présente pour les chats serait moindre que celui de ces autres produits. Certes, la requérante a fait valoir qu’elle commercialisait son produit biocide dans des caisses d’appâts préremplies. Toutefois, tous les produits à base d’alphachloralose devaient nécessairement être utilisés dans des caisses d’appâts inviolables et scellées. En outre, dès 2019, la République de Finlande avait imposé de commercialiser les produits biocides contenant de l’alphachloralose dans des caisses préremplies comme celles de la requérante. Or, cette exigence supplémentaire n’avait pas permis de réduire suffisamment le nombre de cas d’empoisonnement chez les chats (considérant 12 de la décision attaquée).

134    Deuxièmement, le risque d’empoisonnement secondaire avait certes été jugé acceptable au niveau de l’Union dans le cadre de la procédure d’approbation de la substance active alphachloralose. Toutefois, l’inscription de cette substance à l’annexe I de la directive 98/8, le 31 juillet 2009, était fondée sur les données communiquées par le demandeur de l’approbation à l’époque conformément à l’article 11 de la même directive. Or, les données disponibles concernant une substance active peuvent évoluer grâce au progrès scientifique et technique, ainsi que cela ressort du considérant 13 du règlement no 528/2012. Pour ce motif, les substances actives approuvées au niveau de l’Union doivent régulièrement faire l’objet d’un examen, dans le cadre du renouvellement ou du réexamen de l’approbation desdites substances, conformément aux articles 12 à 16 de ce règlement.

135    En ce qui concerne la première autorisation du produit biocide en cause, au Royaume-Uni, il ressort du rapport d’évaluation de l’autorité compétente de cet État, établi en juin 2013, que, compte tenu, d’une part, des similitudes entre le produit biocide de la requérante et le produit biocide représentatif examiné dans le cadre de la procédure d’approbation de la substance active et, d’autre part, de l’identité des utilisations envisagées, l’évaluation de l’exposition environnementale serait reprise du rapport d’évaluation de la substance active alphachloralose, datant du 30 mai 2008. À cet égard, pour conclure à un risque négligeable d’empoisonnement secondaire, le rapport d’évaluation se fondait sur des études des années 2000, 2001 et 2003 sur le comportement des rongeurs ayant ingéré de l’alphachloralose ainsi que sur la faible quantité de substance nécessaire pour produire des effets. De plus, il convient de relever que, dans ce rapport d’évaluation, l’appréciation du risque d’empoisonnement secondaire se fondait sur l’action rapide du produit biocide sur les souris ainsi que sur les faibles quantités ingérées, sans faire référence au mode d’emballage de la pâte contenant la substance active.

136    Cette évaluation du risque d’empoisonnement secondaire a néanmoins été remise en cause par des données ultérieures, datant de 2019 essentiellement, qui ont montré que, malgré les conditions d’utilisation et d’étiquetage imposées, un nombre croissant d’empoisonnements secondaires avait eu lieu, à tout le moins dans certains États membres, ainsi qu’il ressort des points 128 à 130 ci-dessus. 

137    Troisièmement, il est vrai que les informations provenant de la République française et de la République de Finlande figurant dans le dossier sont de nature générale et ne fournissent pas de données scientifiques chiffrées. Toutefois, les rapports mentionnés aux points 128 et 129 ci-dessus, concernant la situation en Suède, contiennent des indications précises quant aux cas d’empoisonnement recensés. En outre, l’article mentionné au point 129 ci-dessus fournit des explications détaillées relatives à l’étude approfondie menée sur les cas d’empoisonnement secondaire de chats à l’alphachloralose. Pour les motifs repris aux points 132 et 133 ci-dessus, ces éléments ne sauraient être considérés comme étant non pertinents au seul motif qu’ils portent sur la substance active, et non sur le produit biocide lui-même.

138    En outre, comme il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 528/2012, lu à la lumière du considérant 3 du même règlement, celui-ci vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur par l’harmonisation des règles concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, ses dispositions se fondant sur le principe de précaution dont le but est la préservation de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement. À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, c’est la présence même d’une substance active en tant que telle dans un produit qui est susceptible de présenter un risque pour l’environnement ou pour la santé animale (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2021, Biofa, C‑29/20, EU:C:2021:843, point 35).

139    Quatrièmement, en ce qui concerne l’absence alléguée d’examen approfondi, par la Commission, des éléments de preuve scientifiques présentés afin de vérifier que les conditions de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 n’étaient effectivement plus remplies, la requérante n’indique pas quelles sont les données que la Commission aurait ignorées ou mal interprétées.

140    En outre, il ressort de l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 528/2012 que la Commission peut demander à l’ECHA d’émettre un avis sur des questions scientifiques ou techniques soulevées par les États membres. Ainsi, la consultation de l’ECHA ne constitue qu’une faculté pour la Commission, et non une obligation.

141    Il convient également de rappeler que c’est au stade de l’autorisation d’un produit biocide, en vue de sa mise sur le marché, que l’ensemble des utilisations envisagées d’un tel produit sont examinées en détail et qu’une évaluation des risques du produit au regard de chacune de ces utilisations est effectuée (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2022, Sciessent/Commission, T‑122/20 et T‑123/20, EU:T:2022:712, point 61). Dans le cadre des procédures de reconnaissance mutuelle prévues au chapitre VII du règlement no 528/2012, il appartient à l’État membre de référence d’effectuer un tel examen, l’autorisation des produits biocides incombant ensuite aux États membres concernés, et non à la Commission. C’est donc à chaque État membre concerné qu’il appartient de vérifier si un produit biocide peut faire l’objet d’une reconnaissance mutuelle ou bien s’il existe des motifs d’intérêt général, limitativement énumérés par le règlement no 528/2012, justifiant de ne pas accéder à une demande visant à obtenir une telle reconnaissance.

142    À cet égard, le rôle dévolu à la Commission par l’article 36 du règlement no 528/2012 ne se confond pas avec celui des États membres dans le cadre de leur procédure d’autorisation nationale. Il appartient uniquement à la Commission d’adopter une décision sur les questions dont elle a été saisie, afin de trouver une solution aux différends qui opposent ces États. Dans ce contexte, si la Commission est tenue d’agir dans le respect du principe de bonne administration et d’examiner, avec soin et impartialité, l’ensemble des éléments qui lui sont soumis aux fins de résoudre ce différend, il ne lui appartient pas de procéder à un nouvel examen exhaustif du respect de l’ensemble des conditions de l’article 19 du règlement no 528/2012.

143    Or, en l’espèce, la question soumise à la Commission concernait l’existence d’effets inacceptables sur la santé animale causés par le produit biocide en cause, en tant qu’il contient de l’alphachloralose. À cet égard, la requérante n’indique pas en quoi une consultation de l’ECHA aurait été nécessaire pour permettre à la Commission de prendre une décision ni sur quelles questions scientifiques ou techniques un avis aurait dû être rendu, alors même que les documents du dossier démontrent qu’il existait des cas d’empoisonnement de chats à l’alphachloralose en Suède, voire dans d’autres États membres, malgré les conditions strictes de mise sur le marché des produits contenant cette substance.

144    Compte tenu de ces effets inacceptables sur la santé animale, signalés par plusieurs États membres, la Commission a bien résolu le désaccord entre les États membres de l’Union ayant autorisé le produit biocide, en faisant application de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012. Une telle solution n’est nullement exclue par l’article 48, paragraphe 3, dudit règlement, lu conjointement avec l’article 36 de ce même règlement.

145    En ce qui concerne l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas communiqué les données et analyses scientifiques venant au soutien de ses conclusions ni la méthode d’évaluation utilisée permettant d’établir un lien entre le produit biocide en cause et les cas signalés en Finlande et en Suède, il convient de relever que cet argument, qui repose, en substance, sur une violation du droit d’accès de la requérante aux éléments du dossier, a été soulevé pour la première fois au stade de la réplique.

146    Or, il ressort de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. À cet égard, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. En revanche, un moyen qui ne saurait être considéré comme étant fondé sur des éléments de droit ou de fait révélés pendant la procédure doit être déclaré irrecevable. En effet, dans ces circonstances, rien n’empêchait les requérantes de soulever ce moyen au stade de la requête (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 134 et jurisprudence citée).

147    Dès lors que ce n’est qu’au stade de la réplique que la requérante a soulevé l’argument lié à l’absence de communication de certaines données et informations scientifiques et que celui-ci ne se fonde pas sur des éléments qui se sont révélés après l’introduction du recours, il y a lieu de le considérer comme étant tardif et, partant, irrecevable.

148    Quant à la violation alléguée du principe de proportionnalité, il convient de rappeler que ce principe, qui constitue l’un des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 124 et jurisprudence citée).

149    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point 148 ci-dessus, dans la mesure où l’adoption par la Commission d’une décision implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, dans le cadre desquels elle est appelée à effectuer des appréciations complexes, celle-ci dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation, de sorte que le contrôle juridictionnel de la légalité de ces actes ne peut être que restreint. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que la Commission entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 125 et jurisprudence citée).

150    En l’espèce, si la décision attaquée constate que le produit biocide en cause ne remplit pas pleinement les conditions énoncées à l’article 19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012, elle laisse toutefois le soin à chaque État membre de vérifier si ce produit peut néanmoins être autorisé moyennant des mesures appropriées d’atténuation des risques, conformément à l’article 19, paragraphe 5, dudit règlement. Ainsi, les États membres qui, tels la République de Finlande et le Royaume de Suède, ont exprimé des inquiétudes quant aux nombreux cas d’empoisonnement de chats sur leur territoire peuvent, le cas échéant, décider de modifier, voire de supprimer, l’autorisation du produit biocide, dans l’intérêt de la protection de la santé animale ainsi que du principe de précaution, ainsi qu’il a été rappelé aux points 55 à 57 ci-dessus. Une telle décision est toutefois sans préjudice de la possibilité, pour d’autres États membres, de considérer que les conditions prévues par l’article 19, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement no 528/2012 sont remplies et d’autoriser le produit sans imposer de nouvelles mesures d’atténuation des risques. Compte tenu de cette large marge d’appréciation laissée aux États membres, il ne saurait être conclu que la décision attaquée revêt un caractère manifestement inapproprié par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir mettre un terme au différend entre les États membres concernant le produit biocide en cause en application de l’article 36 du règlement no 528/2012.

151    Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que la décision attaquée était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’une violation du principe de proportionnalité.

152    Enfin, dès lors que les arguments de la requérante tirés d’une erreur manifeste d’appréciation ont été écartés, celle-ci ne saurait faire valoir que cette erreur a entraîné une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi qu’une violation du droit fondamental à la liberté d’entreprise conformément à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux.

153    Le quatrième moyen doit donc être rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

154    L’ensemble des moyens de la requérante ayant été écartés, il convient, par conséquent, de rejeter le recours.

 Sur les dépens

155    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.

156    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République de Finlande supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      SBM Développement SAS supportera ses propres dépens et ceux de la Commission européenne.

3)      La République de Finlande supportera ses propres dépens.

da Silva Passos

Gervasoni

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juillet 2024.

Signatures,


*      Langue de procédure : l’anglais.