Language of document : ECLI:EU:T:2021:497

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 juillet 2021 (*)

« Référé – Droit institutionnel – Membre du Parlement – Privilèges et immunités – Levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Parlement – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑272/21 R,

Carles Puigdemont i Casamajó, demeurant à Waterloo (Belgique),

Antoni Comín i Oliveres, demeurant à Louvain (Belgique),

Clara Ponsatí i Obiols, demeurant à Louvain,

représentés par Mes P. Bekaert, G. Boye, J. Costa i Rosselló et S. Bekaert, avocats,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz, N. Görlitz et T. Lukácsi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume d’Espagne, représenté par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution des décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061 du Parlement, du 9 mars 2021, sur la demande de levée de l’immunité des requérants,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

remplaçant le président du Tribunal, conformément à l’article 157, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal,

rend la présente

Ordonnance

1        Les requérants, MM. Carles Puigdemont i Casamajó, Antoni Comín i Oliveres et Mme Clara Ponsatí i Obiols, étaient respectivement président de la Generalitat de Cataluña (Généralité de Catalogne, Espagne), et membres du Gobierno autonómico de Cataluña (gouvernement autonome de Catalogne, Espagne) au moment de l’adoption de la Ley 19/2017 del Parlamento de Cataluña, reguladora del referéndum de autodeterminación (loi 19/2017 du Parlement de Catalogne, portant réglementation du référendum d’autodétermination), du 6 septembre 2017 (DOGC no 7449A, du 6 septembre 2017, p. 1), et de la Ley 20/2017 del Parlamento de Cataluña, de transitoriedad jurídica y fundacional de la República (loi 20/2017 du Parlement de Catalogne, de transition juridique et constitutive de la République), du 8 septembre 2017 (DOGC no 7451A, du 8 septembre 2017, p. 1), ainsi que de la tenue, le 1er octobre 2017, du référendum d’autodétermination prévu par la première de ces deux lois, dont les dispositions avaient, dans l’intervalle, été suspendues par une décision du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne).

2        À la suite de l’adoption desdites lois et de la tenue dudit référendum, le Ministerio fiscal (ministère public, Espagne), l’Abogado del Estado (avocat de l’État, Espagne) et le Partido político VOX (parti politique VOX) ont engagé une procédure pénale contre plusieurs personnes, dont les requérants, en considérant que celles-ci auraient commis des faits relevant, notamment, d’infractions de « sédition » (ci-après la « procédure pénale en cause »).

3        Pendant la phase de jugement de la procédure pénale en cause, les requérants ont présenté leur candidature aux élections des membres du Parlement européen, convoquées par le Real Decreto 206/2019, por el que se convocan elecciones de Diputados al Parlamento Europeo (décret royal 206/2019, portant convocation des élections au Parlement européen), du 1er avril 2019 (BOE no 79, du 2 avril 2019, p. 33948), et tenues le 26 mai suivant.

4        Le 13 juin 2019, la Junta Electoral Central (Commission électorale centrale, Espagne) a adopté la décision proclamant les candidats élus au Parlement lors des élections du 26 mai 2019, parmi lesquels figuraient MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

5        Le 17 juin 2019, la Commission électorale centrale a refusé aux requérants la possibilité de prêter le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole requis par l’article 224, paragraphe 2, de la Ley orgánica 5/1985, de régimen electoral general (loi organique 5/1985, portant régime électoral général), du 19 juin 1985 (BOE no 147, du 20 juin 1985, p. 19110).

6        Le même jour, cette commission électorale a notifié au Parlement la liste des candidats élus en Espagne, dans laquelle ne figuraient pas MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

7        Le 27 juin 2019, le président du Parlement a informé MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres qu’il n’était pas en mesure de les traiter comme de futurs membres du Parlement.

8        Des mandats d’arrêt européens, au sens de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), ont été émis par le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) contre M. Puigdemont i Casamajó le 14 octobre 2019 et contre M. Comín i Oliveres et Mme Ponsatí i Obiols le 4 novembre 2019.

9        Le 10 janvier 2020, le président de la deuxième chambre du Tribunal Supremo (Cour suprême) a transmis au Parlement une demande, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême), ayant pour objet la levée de l’immunité de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres fondée sur l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE et FUE (ci-après le « protocole no 7 »).

10      Lors de la session plénière du 13 janvier 2020, le Parlement a pris acte, à la suite de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), de l’élection en tant que députés de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres avec effet au 2 juillet 2019.

11      Le 16 janvier 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière les demandes de levée d’immunité de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres et les a renvoyées à la commission compétente, à savoir la commission des affaires juridiques du Parlement (ci-après la « commission JURI »).

12      Le 4 février 2020, le président de la deuxième chambre du Tribunal Supremo (Cour suprême) a transmis au Parlement une demande, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême), ayant pour objet la levée de l’immunité de Mme Ponsatí i Obiols fondée sur l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7.

13      Le 10 février 2020, le Parlement a, conformément à la décision (UE) 2018/937 du Conseil européen, du 28 juin 2018, fixant la composition du Parlement européen (JO 2018, L 165, p. 1) et à la suite du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne, le 31 janvier 2020, pris acte de l’élection de Mme Ponsatí i Obiols en tant que députée avec effet au 1er février 2020.

14      Le 13 février 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière la demande de levée d’immunité de Mme Ponsatí i Obiols et l’a renvoyée à la commission JURI.

15      Par ordonnance du 23 octobre 2020, la chambre d’appel du Tribunal Supremo (Cour suprême) a rejeté le recours de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres contre la demande de levée d’immunité du 10 janvier 2020.

16      Les 12, 16, 20, 23 et 24 novembre 2020, les requérants ont présenté des observations au Parlement.

17      Le 14 février 2021, la commission JURI a auditionné les requérants.

18      Les 15 et 20 février 2021, les requérants ont présenté des observations au Parlement.

19      Le 23 février 2021, la commission JURI a adopté les rapports A 9-0020/2021, A 9-0021/2021, et A 9-0022/2021, concernant les demandes de levée d’immunité des requérants.

20      Par décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061, du 9 mars 2021, sur la demande de levée de l’immunité des requérants (ci-après les « décisions attaquées »), le Parlement a fait droit aux demandes visées aux points 9 et 12 ci-dessus.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 mai 2021, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions attaquées.

22      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 26 mai 2021, les requérants ont introduit une demande en référé.

23      Par ordonnance du 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le vice-président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution des décisions attaquées jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 juin 2021, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Parlement. Les requérants et le Parlement ont présenté leurs observations à cet égard dans le délai imparti. Les observations des requérants contenaient également une demande de mesures d’organisation de la procédure.

25      Le 16 juin 2021, le Parlement a présenté ses observations sur la demande en référé.

26      Le 22 juin 2021, le vice-président du Tribunal a posé aux requérants deux questions écrites auxquelles ils ont répondu dans le délai imparti.

27      Par décision du 24 juin 2021, le vice-président du Tribunal a accueilli la demande visée au point 24 ci-dessus. Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

28      Dans leur demande en référé, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        sursoir à l’exécution des décisions attaquées ;

–        réserver les dépens.

29      Dans ses observations sur la demande en référé, le Parlement, soutenu par le Royaume d’Espagne, conclut à ce qu’il plaise au vice‑président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        révoquer l’ordonnance du 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée) ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 Sur la recevabilité

30      Dans ses observations sur la demande en référé, le Parlement soulève de sérieux doutes quant à la recevabilité du recours principal. D’une part, chacun des trois requérants ne serait recevable à demander l’annulation que de la décision qui le concerne et non de celles concernant les autres requérants. D’autre part, les requérants ne préciseraient pas dans quelle mesure chacun des moyens soulevés s’applique à chacune des décisions attaquées.

31      À cet égard, il convient de rappeler que la recevabilité du recours principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure de référé. C’est seulement dans l’hypothèse où l’irrecevabilité manifeste du recours principal est soulevée que la partie sollicitant les mesures provisoires doit établir l’existence d’éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité de ce recours, sur lequel se greffe la demande en référé, afin d’éviter qu’elle puisse, par la voie du référé, obtenir le sursis à l’exécution d’un acte dont elle se verrait par la suite refuser l’annulation, son recours étant déclaré irrecevable lors de son examen au fond [voir, en ce sens, ordonnance du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C‑329/99 P(R), EU:C:1999:572, point 89]. Un tel examen, par le juge des référés, de la recevabilité du recours principal est nécessairement sommaire, compte tenu du caractère urgent de la procédure de référé [voir, en ce sens, ordonnance du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C‑300/00 P(R), EU:C:2000:567, point 35].

32      En l’espèce, le Parlement, loin de dénoncer l’irrecevabilité manifeste du recours en annulation sur lequel se greffe la demande en référé, s’est borné à exprimer de « sérieux doutes » à cet égard, tout en laissant « à la discrétion » du juge des référés le soin de « tirer les conclusions appropriées » de prétendus vices de forme de la requête principale qu’il évoque. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu pour le juge des référés d’examiner dans le cadre de la présente procédure de référé les doutes avancés par le Parlement au regard de la recevabilité du recours principal (voir, en ce sens, ordonnance du 17 mars 1986, Royaume-Uni/Parlement, 23/86 R, EU:C:1986:125, point 21).

 Sur le fond

33      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du 3 mars 2020, Junqueras i Vies/Parlement, T‑24/20 R, non publiée, EU:T:2020:78, point 40 et jurisprudence citée).

34      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

35      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 3 mars 2020, Junqueras i Vies/Parlement, T‑24/20 R, non publiée, EU:T:2020:78, point 42 et jurisprudence citée).

36      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (voir ordonnance du 3 mars 2020, Junqueras i Vies/Parlement, T‑24/20 R, non publiée, EU:T:2020:78, point 43 et jurisprudence citée).

37      Compte tenu des éléments du dossier, le vice‑président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

38      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à celle-ci d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure principale sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du 16 mars 2007, V/Parlement, T‑345/05 R, non publiée, EU:T:2007:89, point 82 et jurisprudence citée).

40      Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 16 mars 2007, V/Parlement, T‑345/05 R, non publiée, EU:T:2007:89, point 83 et jurisprudence citée).

41      En l’espèce, les requérants font, tout d’abord, valoir que le manque de clarté des décisions attaquées et la violation alléguée du principe de sécurité juridique par celles-ci auraient une incidence sur l’examen du caractère urgent de la demande. Aussi, estimant qu’aucune interprétation desdites décisions ne peut être exclue tant que le Tribunal n’a pas statué sur le fond de l’affaire, les requérants retiennent, aux fins de l’analyse de la condition de l’urgence, l’interprétation qui porte le plus atteinte à leurs droits. Ensuite, partant du principe que, notamment, les décisions attaquées permettent à tout État membre et au Royaume-Uni de les arrêter ou de restreindre leurs déplacements et de les remettre aux autorités espagnoles, et qu’elles ne font pas obstacle à ce qu’ils soient placés, à la suite de leur remise, en détention provisoire, les requérants soutiennent que lesdites décisions peuvent leur causer un préjudice grave et irréparable. Cela porterait en particulier atteinte à leur droit d’exercer leurs fonctions de députés européens. Selon les requérants, une annulation éventuelle des décisions attaquées ne pourrait faire l’objet d’une exécution si, au moment où elle intervient, ils ont déjà fait l’objet d’une telle remise et d’un tel placement.

42      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, dans la mesure où l’argumentation des requérants vise à retenir l’interprétation des décisions attaquées qui entrave le plus leurs droits, ladite argumentation doit être écartée. En effet, aux fins de l’appréciation du caractère urgent de la présente demande, il n’y a lieu, pour le juge des référés, de se référer qu’aux effets objectifs desdites décisions, déterminés au regard du contenu de celles-ci. Il convient d’ajouter que, dans la mesure où, par cette argumentation, les requérants entendraient, pour établir ledit caractère urgent, se fonder sur un prétendu manque de clarté des décisions attaquées et une violation du principe de sécurité juridique par celles-ci, leur argumentation devrait également être écartée. En effet, selon une jurisprudence constante, la violation éventuelle d’une règle de droit par un acte ne saurait, en principe, suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d’un éventuel préjudice causé par cette violation (voir, en ce sens, ordonnance du 29 juillet 2011, Cemex e.a./Commission, T‑292/11 R, non publiée, EU:T:2011:402, point 29 et jurisprudence citée).

43      En second lieu, il convient de souligner que les décisions attaquées procèdent à la levée de l’immunité dont bénéficient les requérants en vertu de l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, qui prévoit que les députés bénéficient, sur le territoire de tout État membre autre que leur territoire national, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. En revanche, s’agissant de l’immunité conférée par l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7, qui couvre les députés lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement ou en reviennent, il y a, tout d’abord, lieu de relever que les décisions attaquées n’indiquent pas que les demandes de levée de l’immunité des requérants auraient été effectuées par l’autorité compétente espagnole au regard de cette disposition. En effet, il ressort des points A de ces décisions que ces demandes ont été effectuées au regard de l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole no 7, sans que le deuxième alinéa de cet article soit visé auxdits points. Ensuite, il est à noter que les décisions attaquées ne procèdent pas, dans leur dispositif, à la levée de l’immunité conférée par l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7. Enfin, le Parlement reconnaît explicitement, dans ses observations, que cette immunité demeure juridiquement intacte, confirmant l’interprétation évoquée par les requérants selon laquelle ils conserveraient ladite immunité. Dans ces conditions, et au regard du silence des décisions attaquées à cet égard, il y a lieu de considérer que l’immunité conférée par l’article 9, deuxième alinéa, du protocole no 7 n’a pas été levée par lesdites décisions. Il demeure ainsi loisible aux requérants de se déplacer afin d’assister à des réunions du Parlement. Ainsi, les requérants ne peuvent valablement prendre appui, pour établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable, sur un prétendu risque d’être arrêtés, notamment en France, lors d’un déplacement visant à participer à une session parlementaire à Strasbourg (France) ou à en revenir.

44      En troisième lieu, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort des points P des décisions attaquées, les demandes de levée d’immunité ont été effectuées afin que l’exécution des mandats d’arrêt européens émis à l’encontre des requérants puisse se poursuivre. Or, selon les requérants, il ne peut être exclu qu’ils puissent faire l’objet d’une arrestation imminente, résultant de l’effet conjugué des décisions attaquées et des mandats d’arrêt européens et des signalements dont ils font l’objet.

45      À cet égard, tout d’abord, il est à noter que la levée de l’immunité d’un député européen n’implique pas ipso facto l’exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré à son égard. En effet, les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution ont notamment la possibilité, dans les conditions prévues par les articles 3 et 4 de la décision-cadre 2002/584, de refuser l’exécution d’un tel mandat d’arrêt. De plus, la personne concernée peut ne pas consentir à sa remise, de sorte qu’il revient à l’autorité judiciaire d’exécution de décider de manière définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, conformément à l’article 17 de la même décision-cadre. La réalisation du préjudice invoqué par les requérants dépend donc de la survenance de multiples facteurs.

46      Ensuite, force est de constater que les requérants ne démontrent ni que leur arrestation ou la limitation de leurs déplacements ni, a fortiori, que leur remise aux autorités espagnoles et leur placement subséquent en détention provisoire seraient prévisibles avec un degré de probabilité suffisant.

47      Ils n’ont ainsi apporté aucun élément permettant de considérer que des autorités nationales d’exécution, au sens de la décision-cadre 2002/584, et notamment celles de l’État membre où ils résident, à savoir la Belgique, entendraient traiter et exécuter les mandats d’arrêt européens délivrés à leur égard d’une manière telle que le préjudice allégué pourrait se réaliser de façon suffisamment probable.

48      Dans ce contexte, il convient d’ailleurs de constater que, en réponse à une question écrite du vice-président du Tribunal, les requérants sont restés en défaut de démontrer que, entre l’adoption des décisions attaquées et l’ordonnance du 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée), des démarches pouvant conduire à la réalisation dudit préjudice auraient été entreprises, et ce alors même que, en application de l’article 17 de la décision-cadre 2002/584, un mandat d’arrêt européen est à traiter et exécuter d’urgence.

49      Plus particulièrement, les requérants ont indiqué que, en ce qui concerne les autorités judiciaires belges, l’examen des demandes d’extradition de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres a été reporté sine die le 14 février 2020, dans l’attente de la décision du Parlement sur la demande de levée d’immunité parlementaire. Ils n’ont fait état d’aucune démarche qui aurait été entreprise par lesdites autorités à la suite de l’adoption des décisions attaquées et, au moins, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée).

50      Il ressort au contraire des indications fournies par les requérants que, le 7 janvier 2021, les autorités judiciaires belges ont refusé d’exécuter un mandat d’arrêt européen dirigé contre M. Lluís Puig i Gordi, qui est également visé par la procédure pénale en cause et par un mandat d’arrêt européen, mais qui, contrairement aux requérants, ne bénéficie pas d’une immunité découlant du protocole no 7, en faisant valoir que l’exécution dudit mandat mettrait en péril les droits fondamentaux de la personne concernée.

51      Cette situation a conduit le Tribunal Supremo (Cour suprême), dans le cadre de la procédure pénale en cause, à introduire, le 9 mars 2021, une demande de décision préjudicielle devant la Cour au titre de l’article 267 TFUE, afin, notamment, de savoir si la décision-cadre 2002/584 autorise l’autorité judiciaire d’exécution à refuser la remise de la personne recherchée par l’intermédiaire d’un mandat d’arrêt européen en se basant sur des motifs de refus qui sont prévus par son droit national, mais qui ne sont pas énoncés, en tant que tels, dans ladite décision-cadre (affaire Puig Gordi e.a., C‑158/21).

52      Or, comme cela ressort de la demande de décision préjudicielle et ainsi que le confirment les autorités espagnoles, la procédure pénale en cause a été suspendue par ladite demande. Une telle suspension est d’ailleurs prévue par les recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) qui indiquent, en leur point 25, que le dépôt d’une demande de décision préjudicielle entraîne la suspension de la procédure nationale jusqu’à ce que la Cour ait statué.

53      Dès lors que la demande de décision préjudicielle porte sur l’exécution des mandats d’arrêt européens émis dans le cadre de la procédure pénale en cause, il peut être considéré que la suspension de cette dernière entraîne la suspension de l’exécution desdits mandats.

54      Les autorités espagnoles ont d’ailleurs indiqué expressément que cette demande entraînait la suspension des mandats d’arrêt nationaux dirigés contre les requérants et impliquait la suspension de toute procédure d’exécution d’un mandat d’arrêt européen susceptible d’être engagée. Elles ont également souligné qu’aucune juridiction de l’Union ne pouvait donner exécution aux mandats d’arrêt européens en cause tant que la Cour n’a pas statué.

55      Les requérants n’apportent aucun élément permettant de remettre en cause les affirmations du Royaume d’Espagne et de considérer que la suspension de la procédure pénale en cause n’impliquerait pas la suspension de l’exécution des mandats d’arrêt européens. En particulier, la circonstance avancée par les requérants que le Royaume d’Espagne n’a pas supprimé les signalements en vue d’une arrestation aux fins de remise du système d’information Schengen II est sans influence sur le constat de la suspension de la procédure pénale en cause. Quant au fait que le juge d’instruction aurait rendu plusieurs autres ordonnances et procédé à différentes audiences postérieurement à la demande de décision préjudicielle, il n’a pas été démontré que celles-ci concernaient les mandats d’arrêt européens en cause ou leur exécution.

56      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que, tant que la Cour n’aura pas statué dans l’affaire Puig Gordi e.a., C‑158/21, rien ne permet de considérer que les autorités judiciaires belges ou que les autorités d’un autre État membre pourraient exécuter les mandats d’arrêt européens délivrés à l’encontre des requérants et pourraient remettre ceux-ci aux autorités espagnoles.

57      Il doit être ajouté que, s’agissant des autorités britanniques, les requérants indiquent que celles-ci auraient décidé de poursuivre, après qu’elle ait été suspendue, la procédure de remise à l’encontre de Mme Ponsatí i Obiols. Selon les requérants, une audience aurait eu lieu le 4 mai 2021 et un juge écossais aurait décidé de poursuivre la procédure de remise à son égard, une nouvelle audience étant fixée en août 2021. Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué par les requérants, Mme Ponsatí i Obiols ne réside plus au Royaume-Uni depuis janvier 2020 et le juge écossais saisi devra décider s’il demeure compétent pour poursuivre la procédure de remise d’une personne qui ne réside plus au Royaume-Uni, de sorte qu’une arrestation et une remise de Mme Ponsatí i Obiols par les autorités britanniques apparaît, en l’état, hypothétique. Au demeurant, ainsi que l’indique le Parlement, dès lors que l’immunité qui est levée par les décisions attaquées est celle visée à l’article 9, paragraphe 1, sous b), du protocole no 7, applicable sur le territoire de tout État membre autre que le territoire national du député concerné et que, en vertu de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7), cet État n’était plus un État membre à la date d’adoption desdites décisions, celles-ci sont sans effet sur le territoire de ce dernier.]

58      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, en l’état, le dommage grave et irréparable invoqué par les requérants n’apparaît pas pouvoir être qualifié de préjudice certain ou établi avec un degré de probabilité suffisant. Les requérants ne sont donc pas parvenus à démontrer que la condition relative à l’urgence était remplie.

59      Partant, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris est remplie, ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence, ni de faire droit à la demande de mesures d’organisation de la procédure formulée par les requérants.

60      Il importe cependant d’ajouter que, dans l’hypothèse où, postérieurement à la présente ordonnance, le préjudice allégué apparaîtrait pouvoir survenir avec une probabilité suffisante, notamment en cas d’arrestation des requérants par une autorité d’exécution d’un État membre ou de mise en œuvre d’une démarche visant leur remise aux autorités espagnoles, il leur serait loisible d’introduire une nouvelle demande de mesures provisoires, dans les conditions prévues par l’article 160 du règlement de procédure.

61      La présente ordonnance clôturant la procédure en référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il a été sursis à l’exécution des décisions attaquées jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

62      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens des parties principales. En outre, le Royaume d’Espagne n’étant pas, à la date de la présente ordonnance, partie intervenante dans l’affaire principale, il convient de décider qu’il supporte ses propres dépens afférents à la présente procédure, conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE VICE-PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      L’ordonnance 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a/Parlement (T272/21 R), est rapportée.

3)      Les dépens des parties principales sont réservés.

4)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 30 juillet 2021.

Le greffier

 

Le vice-président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : l’anglais.