Language of document : ECLI:EU:T:2024:437

Affaire T667/22

SBM Développement SAS

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 3 juillet 2024

« Produits biocides – Autorisation par voie de reconnaissance mutuelle – Produit biocide Pat’Appât Souricide Canadien Foudroyant – Décision de la Commission relative à des objections non résolues – Articles 35, 36 et 48 du règlement (UE) no 528/2012 – Annulation ou modification d’autorisations de mise sur le marché – Recours en annulation – Affectation directe – Affectation individuelle – Recevabilité – Conditions d’octroi d’une autorisation – Article 19, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 – Article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012 – Compétence de la Commission – Notion d’“autorisation nationale” – Notion d’“État membre de référence” – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité »

1.      Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Annulation ou modification des autorisations nationales de mise sur le marché, délivrées dans le cadre des procédures de reconnaissance mutuelle – Décision de la Commission, adressée aux États membres, relative à des objections non résolues au sujet des conditions d’autorisation d’un produit biocide – Décision modifiant le régime de reconnaissance mutuelle de ce produit et obligeant ces États à réexaminer les autorisations délivrées – Recours d’une entreprise titulaire dans plusieurs États membres d’une autorisation de mise sur le marché pour ce produit – Recevabilité

(Art. 263, 4e al., TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 528/2012, art. 36, § 3)

(voir points 29-31, 33-44, 46-50)

2.      Rapprochement des législations – Produits biocides – Règlement no 528/2012 – Annulation, réexamen et modification des autorisations de mise sur le marché – Procédures de reconnaissance mutuelle – Annulation ou modification des autorisations nationales délivrées dans le cadre de cette procédure – Autorité compétente d’un État membre – Notion – Autorité compétente de chaque État membre ayant délivré une autorisation nationale – Inclusion – Limitation au seul État membre de référence ayant délivré l’autorisation nationale initiale – Absence

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 528/2012, art. 36 et 48)

(voir points 54-58, 68-81, 84, 85)

3.      Rapprochement des législations – Produits biocides – Règlement no 528/2012 – Annulation, réexamen et modification des autorisations de mise sur le marché – Procédures de reconnaissance mutuelle – Annulation ou modification des autorisations nationales délivrées dans le cadre de cette procédure – Objections non résolues des États membres au sujet des conditions d’autorisation d’un produit biocide – Communication de ces objections à la Commission – État membre chargé de cette communication – État membre ayant adopté la décision d’annulation ou de modification de l’autorisation délivrée – Compétence de la Commission pour adopter une décision relative à ces objections, obligeant les États membres à réexaminer les autorisations délivrées

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 528/2012, art. 35, 36, § 1, et 48, § 3)

(voir points 94-102, 104, 105)

4.      Rapprochement des législations – Produits biocides – Règlement no 528/2012 – Annulation, réexamen et modification des autorisations – Procédures de reconnaissance mutuelle – Annulation ou modification des autorisations délivrées dans le cadre de cette procédure – Décision de la Commission, adressée aux États membres, relative à des objections non résolues au sujet des conditions d’autorisation d’un produit biocide – Absence d’obligation pour cette institution de procéder à un nouvel examen exhaustif du respect de ces conditions – Pouvoir d’appréciation de cette institution – Portée – Contrôle juridictionnel – Limites – Violation du principe de proportionnalité – Absence

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 528/2012, art. 19, § 5, 36, § 1 et 2, et 48, § 3)

(voir points 125, 126, 140-142, 144, 149-151)

Résumé

Le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par la titulaire d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit biocide à l’encontre d’une décision de la Commission européenne relative à des objections non résolues concernant les conditions d’autorisation de ce produit (1). Ce faisant, il se prononce pour la première fois sur l’interprétation et l’application des articles 35, 36 et 48 du règlement no 528/2012 (2), concernant la possibilité pour un État membre d’annuler ou de modifier l’autorisation d’un produit biocide précédemment accordée en application du principe de reconnaissance mutuelle.

SBM Développement SAS est titulaire, dans plusieurs États membres, d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit biocide contenant la substance active alphachloralose, commercialisé sous diverses dénominations dans l’Union et destiné à être utilisé pour lutter contre les souris en milieu intérieur (ci-après le « produit biocide en cause »). Le 17 juin 2013, le produit biocide en cause a été approuvé par l’autorité compétente du Royaume-Uni (3). Entre 2014 et 2019, cette autorisation a fait l’objet d’une reconnaissance mutuelle séquentielle dans plusieurs États membres (4), dont faisaient partie la République française et le Royaume de Suède. En décembre 2019, ces deux pays ont modifié l’autorisation nationale du produit biocide en cause (5), en réaction à la communication de plusieurs cas d’empoisonnement primaire chez le chien et d’empoisonnement secondaire chez le chat liés à l’alphachloralose En avril 2020, le Royaume de Danemark et la République fédérale d’Allemagne ont communiqué au groupe de coordination (6) des objections à ces modifications. Aucun accord n’ayant été trouvé au sein de ce groupe, le Royaume de Suède, en août 2020, et la République française, en octobre 2020, ont communiqué à la Commission les objections non résolues (7) et lui ont fourni une description détaillée des questions sur lesquelles les États membres n’avaient pu trouver un accord, ainsi que les raisons de leur désaccord.

Le 23 juin 2022, la Commission a adopté une décision d’exécution concernant le produit biocide en cause (8), dans laquelle elle a estimé que celui-ci ne remplissait pas pleinement les conditions d’octroi d’une autorisation, telles qu’énoncées à l’article 19 du règlement no 528/2012 (9). En l’espèce, cette institution a considéré, d’une part, que le produit biocide en cause ne pouvait être autorisé que dans les États membres estimant que sa non-autorisation aurait des conséquences négatives disproportionnées pour la société par rapport aux risques que son utilisation, dans les conditions fixées par l’autorisation, poserait pour la santé humaine et animale ou pour l’environnement (10). D’autre part, elle a estimé que, dans le cas d’une autorisation, l’utilisation du produit biocide en cause devait faire l’objet de mesures appropriées d’atténuation des risques afin de garantir que l’exposition des animaux et de l’environnement à ce produit biocide était la plus faible possible.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal se prononce sur la recevabilité du recours (11). Dans ce contexte, il examine, premièrement, la question de savoir si la requérante est directement concernée par la décision attaquée, et plus particulièrement si cette décision produit directement des effets sur la situation de la requérante. À cet égard, il souligne que la décision attaquée modifie le régime de la reconnaissance mutuelle applicable jusque-là au produit biocide en cause (12), en ce sens qu’elle contraint chaque État membre à réexaminer l’autorisation octroyée (13) en opérant une mise en balance entre, d’une part, les conséquences négatives disproportionnées pour la société d’une éventuelle non-autorisation et, d’autre part, les risques que l’utilisation du produit représente. Le Tribunal conclut que, par la remise en cause des autorisations délivrées par les États membres pour le produit biocide en cause, la décision attaquée modifie les critères auxquels ces autorisations sont subordonnées ainsi que le régime applicable en ce qui concerne la reconnaissance mutuelle de ce produit. Partant, elle produit directement des effets sur la situation juridique de la requérante.

S’agissant de la question de savoir si la décision attaquée laisse un pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, le Tribunal note que celle-ci a pour effet de soumettre automatiquement le produit biocide en cause à la procédure d’évaluation comparative (14) qui doit être effectuée par les États membres pour toutes les autorisations, existantes ou futures, de ce produit. En outre, celle-ci modifie automatiquement le régime juridique applicable en matière de reconnaissance mutuelle des autorisations du produit biocide en cause. Pour ces motifs, la décision attaquée produit directement des effets sur la situation juridique de la requérante, en tant que titulaire des autorisations nationales du produit biocide en cause, et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux États membres chargés de sa mise en œuvre, ceux-ci étant tenus d’effectuer un réexamen des autorisations existantes. Par conséquent, la requérante est directement concernée par la décision attaquée.

En ce qui concerne, deuxièmement, la question de savoir si la requérante est individuellement concernée par la décision attaquée, le Tribunal met en exergue qu’elle est citée dans cette décision en tant que titulaire actuelle de l’autorisation du produit biocide en cause et qu’elle a participé à la procédure de conciliation au sein du groupe de coordination (15). Il s’ensuit que la décision attaquée atteint la requérante en raison de certaines qualités qui lui sont particulières et d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne, de sorte que la requérante est également individuellement concernée par la décision attaquée. Partant, le Tribunal conclut que la requérante possède la qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, dès lors qu’elle est directement et individuellement concernée par celle-ci.

En second lieu, le Tribunal souligne, à titre liminaire, que les règles en matière de reconnaissance mutuelle (16) constituent l’une des pierres angulaires du règlement no 528/2012. Cependant, en vertu de ce même règlement, l’amélioration de la libre circulation des produits biocides dans l’Union, que le mécanisme de reconnaissance mutuelle prévu par ce règlement tend à mettre en œuvre, doit être conciliée avec la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, ainsi qu’avec le principe de précaution. En ce sens, seuls les produits conformes, en particulier, à l’article 19 du règlement no 528/2012 peuvent être mis à disposition sur le marché. Pour ces motifs, la règle de la reconnaissance mutuelle (17) ne constitue pas un principe absolu. En effet, ce règlement contient des exceptions à cette règle, prévues dans l’intérêt de la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, qui relèvent de l’intérêt général (18).

Au vu de ce qui précède, le Tribunal écarte, premièrement, l’argument selon lequel, en application du principe de reconnaissance mutuelle, seul l’État membre de référence (19) qui a délivré l’autorisation nationale initiale dans l’Union serait en droit d’annuler ou de modifier l’autorisation qu’il a octroyée (20). Au contraire, il ressort de l’utilisation de l’expression « autorisation nationale » dans le règlement no 528/2012 que l’utilisation du terme « nationale » doit s’entendre comme désignant les produits biocides autorisés au niveau national, par opposition aux produits biocides qui feraient l’objet d’une autorisation de l’Union en application du chapitre VIII du règlement no 528/2012.

Deuxièmement, le Tribunal constate que, en adoptant la décision attaquée alors même que les objections non résolues lui ont été communiquées par un autre État que l’État membre de référence au sens de l’article 33 du règlement no 528/2012, la Commission n’a pas excédé les compétences qui lui sont conférées par les articles 35 et 36 du règlement no 528/2012. Il rappelle que, en cas de désaccord entre les autorités compétentes de certains États membres concernant des autorisations nationales soumises à la reconnaissance mutuelle, à la suite d’une annulation ou d’une modification d’une autorisation par un État membre (21), les procédures prévues aux articles 35 et 36 de ce règlement s’appliquent « mutatis mutandis » (22). L’article 36, paragraphe 1, de ce règlement doit ainsi être appliqué dans le contexte particulier de l’annulation ou de la modification d’une autorisation nationale qui avait déjà été octroyée, qui diffère de celui de l’octroi d’une première autorisation par voie de reconnaissance mutuelle (23). Dans ce contexte, le renvoi à l’État membre de référence prévu à l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012 ne saurait être interprété en ce sens que seul cet État pourrait informer la Commission du désaccord qui existe en ce qui concerne la décision d’annulation ou de modification en cause. En outre, le Tribunal précise que l’habilitation de la Commission à adopter la décision attaquée découle non pas de la saisine de l’« État membre de référence », mais bien des articles 35 et 36 du règlement no 528/2012, qui prévoient l’intervention de la Commission lorsqu’aucun accord n’a pu être trouvé au sein du groupe de coordination à l’expiration du délai prévu par ce règlement (24).

Troisièmement, le Tribunal estime que la décision attaquée n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et rejette notamment l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas procédé à un examen approfondi du respect, par le produit biocide en cause, des conditions prévues à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 528/2012. Pour ce faire, il souligne que, si la Commission peut demander à l’Agence des produits chimiques (ECHA) d’émettre un avis sur des questions scientifiques ou techniques soulevées par les États membres (25), cette consultation est une faculté de cette institution et non une obligation. En outre, le Tribunal rappelle que c’est au stade de l’autorisation d’un produit biocide, en vue de sa mise sur le marché, que l’ensemble des utilisations envisagées d’un tel produit sont examinées en détail et qu’une évaluation des risques du produit au regard de chacune de ces utilisations est effectuée. Dans le cadre des procédures de reconnaissance mutuelle, il appartient à l’État membre de référence d’effectuer un tel examen, l’autorisation des produits biocides incombant ensuite aux États membres concernés, et non à la Commission. C’est donc à chaque État membre concerné qu’il appartient de vérifier si un produit biocide peut faire l’objet d’une reconnaissance mutuelle ou bien s’il existe des motifs d’intérêt général, limitativement énumérés par le règlement no 528/2012, justifiant de ne pas accéder à une demande visant à obtenir une telle reconnaissance. À cet égard, le rôle dévolu à la Commission par l’article 36 de ce règlement ne se confond pas avec celui des États membres dans le cadre de leur procédure d’autorisation nationale. Il appartient uniquement à la Commission d’adopter une décision sur les questions dont elle a été saisie, afin de trouver une solution aux différends qui opposent ces États. Dans ce contexte, si la Commission est tenue d’agir dans le respect du principe de bonne administration et d’examiner, avec soin et impartialité,l’ensemble des éléments qui lui sont soumis aux fins de résoudre ce différend, il ne lui appartient pas de procéder à un nouvel examen exhaustif du respect de l’ensemble des conditions de l’article 19 du règlement no 528/2012. Partant, compte tenu des effets inacceptables sur la santé animale du produit biocide en cause, signalés par plusieurs États membres, la Commission a bien résolu le désaccord entre les États membres de l’Union ayant autorisé ce produit.


1      Décision d’exécution (UE) 2022/1388 de la Commission, du 23 juin 2022, relative aux objections non résolues concernant les conditions de l’autorisation du produit biocide Pat’Appât Souricide Canadien Foudroyant communiquées par la France et par la Suède conformément au règlement (UE) no 528/2012 du Parlement européen et du Conseil (JO 2022, L 208, p. 7, ci-après la « décision attaquée »).


2      Règlement (UE) n o 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides (JO 2012, L 167, p. 1).


3      Conformément à la procédure d’autorisation nationale prévue par la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, concernant la mise sur le marché des produits biocides (JO 1998, L 123, p. 1). Cette autorisation a été maintenue à la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 528/2012.


4      En vertu de l’article 33 du règlement n o 528/2012.


5      Sur le fondement de l’article 48 du règlement no 528/2012.


6      Institué en vertu de l’article 35 du règlement no 528/2012.


7      En application de l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 528/2012.


8      Cette décision a été adoptée sur le fondement de l’article 36, paragraphe 3, du règlement no 528/2012.


9      Plus précisément à l’article19, paragraphe 1, sous b), iii), du règlement no 528/2012. En vertu de cette disposition, un produit biocide est autorisé « s’il n’a pas, lui-même ou à cause de ses résidus, d’effet inacceptable immédiat ou différé […] sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable, des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, de l’air ou d’autres effets indirects ».


10      En application de l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012.


11      Au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.


12      Tel qu’instauré par l’article 32 du règlement no 528/2012.


13      En application de l’article 36, paragraphe 4, du règlement no 528/2012.


14      Prévue à l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 528/2012.


15      Prévue à l’article 35 du règlement no 528/2012.


16      Telles que prévues aux articles 32 à 40 du règlement no 528/2012.


17      Telle qu’énoncée à l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 528/2012.


18      L’article 37 du règlement no 528/2012 prévoit des dérogations à la règle de la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché des produits biocides pour des motifs limitativement énumérés liés à l’intérêt général.


19      Au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 528/2012.


20      Sur le fondement de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012.


21      En application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement no 528/2012.


22      Article 48, paragraphe 3, du règlement no 528/2012.


23      Régi par les articles 32 à 40 du règlement no 528/2012.


24      Notamment par l’article 35, paragraphe 3, du règlement no 528/2012.


25      En vertu de l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 528/2012