Language of document : ECLI:EU:T:2001:197

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

2 août 2001(1)

«Procédure de référé - Sursis à exécution - Aides d'État - Intérêt à agir - Urgence»

Dans l'affaire T-111/01 R,

Saxonia Edelmetalle GmbH, établie à Halsbrücke (Allemagne), représentée par Me P. von Woedtke, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et V. Di Bucci, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution de la décision K (2001) 1028 de la Commission, du 28 mars 2001, concernant l'aide d'État de la République fédérale d'Allemagne en faveur d'EFBE Verwaltungs GmbH & Co. Management KG (à présent Lintra Beteiligungsholding GmbH, holding regroupant Zeitzer Maschinen, Anlagen Geräte GmbH; LandTechnik Schlüter GmbH; ILKA MAFA Kältetechnik GmbH; SKL Motoren- und Systembautechnik GmbH; SKL Spezialapparatebau GmbH; Magdeburger Eisengießerei GmbH; Saxonia Edelmetalle GmbH et Gothaer Fahrzeugwerk GmbH),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Faits et procédure

1.
    Au terme de la procédure prévue à l'article 88 CE, la Commission a adopté, le 28 mars 2001, la décision K(2001) 1028, concernant l'aide d'État de la République fédérale d'Allemagne en faveur d'EFBE Verwaltungs GmbH & Co. Management KG (à présent Lintra Beteiligungsholding GmbH, holding regroupant Zeitzer Maschinen, Anlagen Geräte GmbH; LandTechnik Schlüter GmbH; ILKA MAFA Kältetechnik GmbH; SKL Motoren- und Systembautechnik GmbH; SKL Spezialapparatebau GmbH; Magdeburger Eisengießerei GmbH; Saxonia Edelmetalle GmbH et Gothaer Fahrzeugwerk GmbH) (ci-après la «décision»), dans laquelle une partie de ladite aide est déclarée incompatible avec le marché commun.

2.
    Selon l'article 2 de la décision, cette partie de l'aide est de 34,978 millions de marks allemands (DEM).

3.
    À l'article 3 de la décision, la Commission oblige la République fédérale d'Allemagne à prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer le montant de 34,978 millions de DEM auprès de Lintra Beteiligungsholding GmbH et de ses filiales, y inclus la requérante. En ce qui concerne plus spécifiquement la requérante, il s'agit d'une obligation solidaire avec Lintra Beteiligungsholding GmbH de rembourser 3 195 559 DEM plus les intérêts y afférents.

4.
    La République fédérale d'Allemagne a entamé la procédure de récupération des sommes en cause. Ainsi, par lettres des 17 avril et 9 mai 2001, il a été demandé àla requérante de rembourser la somme de 3 195 559 DEM, augmentée de 907 406,47 DEM d'intérêts.

5.
    Le 23 mai 2001, la requérante a saisi le Tribunal, en vertu de l'article 230 CE, d'un recours visant à obtenir l'annulation de la décision.

6.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 14 juin 2001, elle a également introduit la présente demande en sursis à l'exécution de la décision. Cette demande était fondée sur l'article «243 UE».

7.
    Le 2 juillet 2001, la Commission a présenté ses observations sur cette demande.

8.
    Bien qu'elle n'y ait pas été invitée, la requérante a présenté, le 10 juillet 2001, des observations écrites complémentaires en réponse à celles de la Commission. Le juge des référés a décidé de verser ces nouvelles observations de la requérante au dossier, auxquelles la Commission a réagi en déposant des observations complémentaires le 12 juillet 2001.

9.
    En l'état du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu'il soit utile d'entendre les parties en leurs explications orales.

En droit

10.
    En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

11.
    L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu'une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut (ordonnance du président du Tribunal du 10 février 1999, Willeme/Commission, T-211/98 R, RecFP p. I-A-15 et II-57, point 18). Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 29 juin 1999, Italie/Commission, C-107/99 R, Rec. p. I-4011, point 59).

12.
    Dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités del'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnance du président de la Cour du 17 décembre 1998, Emesa Sugar/Conseil, C-363/98 P(R), Rec. p. I-8787, point 50].

Sur la recevabilité

Arguments des parties

13.
    La Commission fait observer, sous forme d'une remarque préliminaire et sans formellement soulever une exception d'irrecevabilité, que la requérante a introduit sa demande sur le fondement de l'article 243 UE au lieu de l'article 242 CE. Elle fait valoir que la référence au traité UE est manifestement inexacte, car ce traité n'a pas d'article 243, ce qui signifie qu'il ne peut assurément s'agir que de l'article 243 CE. En plus, elle fait valoir que l'article 243 CE ne règle pas le sursis à l'exécution d'un acte attaqué par recours séparé, mais autorise la Cour à prescrire des mesures provisoires. Selon la Commission, la demande en cause fait plutôt penser que la requérante vise en réalité à obtenir, conformément à l'article 242 CE, le sursis à l'exécution de la décision.

14.
    Ensuite, la Commission soutient que la requérante n'a pas d'intérêt, dans le cadre de l'affaire au principal, à obtenir l'annulation de la décision. En effet, si le Tribunal faisait droit à son recours, la Commission devrait prendre une nouvelle décision dans laquelle elle ne pourrait que constater la responsabilité solidaire des filiales de Lintra Beteiligungsholding GmbH pour la totalité de la dette, de sorte que la requérante devrait participer à la restitution de l'aide pour un montant beaucoup plus élevé. Il s'ensuivrait que la demande en référé doit être rejetée, étant donné que le recours sur lequel elle se fonde est irrecevable.

Appréciation du juge des référés

15.
    Il est manifeste, comme la Commission l'a fait observer, que la demande en référé doit être lue en ce sens que, au lieu de se fonder sur l'article 243 UE, qui n'existe pas, elle a pour base l'article 243 CE. En outre, nonobstant le fait que l'article 242 CE prévoit explicitement que la Cour est compétente pour ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué, comme il est demandé en l'espèce, il n'est pas exclu que l'article 243 CE puisse, également, servir de base juridique pour une telle demande.

16.
    Selon une jurisprudence constante, le problème de la recevabilité du recours devant le juge du fond ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger l'affaire au principal. Il peut, néanmoins, s'avérer nécessaire, lorsque, comme en l'espèce, l'irrecevabilité manifeste du recours au principal sur lequel se greffe la demande en référé est soulevée, d'établir l'existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité d'un tel recours (ordonnances du président de la Cour du 16 octobre 1986, Groupe des droites européennes et Front national/Parlement, 221/86 R, Rec. p. 2969, point 19, et du 27 janvier 1988, Distrivet/Conseil, 376/87 R, Rec. p. 209, point 21; ordonnance du président du Tribunal du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement, T-222/99 R, Rec. p. II-3397, point 60).

17.
    Quant à la question de savoir si la requérante a un intérêt à agir, il suffit de relever que la décision fait peser sur elle une obligation solidaire de rembourser un montant de 3 195 559 DEM, plus les intérêts y afférents. Il s'ensuit qu'elle a un intérêt à obtenir l'annulation de cet acte. L'argument de la Commission, selon lequel, en cas de succès du recours au principal, la nouvelle décision qui devrait être prise serait nécessairement plus défavorable à la requérante, ne peut être retenu. En effet, la Commission ne saurait, dès à présent, déterminer le contenu de l'acte qu'elle pourrait être amenée à prendre si le recours au principal était jugé bien fondé.

18.
    La recevabilité du recours au principal n'étant pas exclue, il convient de procéder à l'examen de la condition relative à l'urgence.

Sur l'urgence

Arguments des parties

19.
    La requérante s'est bornée, au soutien de sa demande de sursis à exécution, à exposer ce qui suit:

«Sur la base de la décision attaquée de la défenderesse, la BVS a ordonné à la requérante, par lettres des 17 avril 2001 (annexe K2) et 9 mai 2001 (annexe K1), de restituer dans un délai limité la somme de DEM 3 195 559 plus les intérêts y afférents d'un montant de DEM 907 406,47.

L'urgence nécessaire aux fins de l'adoption d'une ordonnance de sursis à exécution ressort des lettres de la BVS. Le danger est bien réel que la BVS tente de récupérer la somme qu'elle réclame, soit par la voie administrative, soit dans le cadre d'une procédure particulière dirigée contre la requérante. Dans les deux cas, la requérante se défendrait. Par lettre du 16 mai 2001, elle a déjà refusé directement à la BVS de donner une suite favorable à sa demande. Ne serait-ceque pour des raisons d'économie liées à l'instance , il y a lieu d'éviter que la procédure ne se poursuive.

2.    L'urgence découle des courriers joints de la BVS.

L'exécution par la requérante des mesures visées par la BVS lui causerait un important préjudice. La somme d'environ 4 millions de DEM met la requérante devant des difficultés sérieuses. Selon les informations dont nous disposons, la requérante n'est pas en mesure de réunir cette somme sans mettre en péril son existence . Cela constitue un dommage irréparable.

Le paiement de la somme demandée conduit à une menace concrète de l'existence de la requérante.»

20.
    La Commission fait valoir que la requérante n'a pas démontré qu'elle risquait de subir un préjudice grave et irréparable au cas où le sursis à exécution demandé ne serait pas ordonné. Dans ses observations du 12 juillet 2001 sur les observations de la requérante, elle a notamment souligné que la requérante n'aurait pas contesté l'analyse de la Commission sur l'urgence, contenue dans ses observations du 2 juillet 2001.

Appréciation du juge des référés

21.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnances du président du Tribunal du 15 juillet 1998, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98 R, Rec. p. II-2769, point 36, et du 20 juillet 2000, Esedra/Commission, T-169/00 R, Rec. p. II-2951, point 43; ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Grèce/Commission, C-278/00 R, Rec. p. I-8787, point 14).

22.
    S'il est exact que, pour établir l'existence d'un tel dommage, il n'est pas nécessaire d'exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue et qu'il suffit que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n'en reste pas moins que la requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un dommage grave et irréparable [ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C-335/99 P(R), Rec. p. I-8705, point 67, du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377/98 R, Rec. p. I-6229, point 51, et Grèce/Commission, précitée, point 15].

23.
    En l'espèce, le préjudice invoqué par la requérante est d'ordre financier. À cet égard, il convient de relever que, comme l'a fait valoir la Commission, selon une jurisprudence bien établie, un tel préjudice ne peut, en principe, être regardécomme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure (ordonnances du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C-213/91 R, Rec. p. I-5109, point 24, et du président du Tribunal du 30 juin 1999, Alpharma/Conseil, T-70/99 R, Rec. p. II-2027, point 128).

24.
    En application de ces principes, le sursis demandé ne se justifierait, dans les circonstances de l'espèce, que s'il apparaissait que, en l'absence d'une telle mesure, la requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même.

25.
    En l'espèce, il convient de constater que la requérante n'a pas fourni le moindre élément de preuve concernant sa situation financière. En effet, elle s'est bornée à affirmer, sans aucune motivation, que, au cas où le sursis à l'exécution de la décision ne serait pas ordonné, le remboursement de la partie de l'aide en cause mettrait son existence en péril. En revanche, il ressort des documents produits par la Commission en annexe à ses observations, et cela n'a pas été contesté par la requérante dans ses observations du 10 juillet 2001, que le groupe Vereinigte Deutsche Nickel-Werke AG, qui a procédé à l'acquisition de la requérante le 13 juin 1997, possède une puissance financière considérable, qui lui permettrait, à première vue, de rembourser la partie de l'aide en cause.

26.
    Il convient, à cet égard, de souligner qu'il ressort des mêmes documents que ni la requérante ni ce groupe ne semblent se trouver dans une situation financière difficile. En effet, il ressort du rapport d'exercice pour l'année 2000 ainsi que d'un communiqué de presse du groupe en question que le bénéfice annuel de celui-ci est passé de 48,9 millions de DEM en 1999 à 64,3 millions de DEM en 2000, ce qui représente une augmentation de 31,5 %. Il en résulte également que la requérante, pour l'année 2000, a réalisé un chiffre d'affaires d'un montant de 312 millions de DEM, ce qui représente une hausse de 86,8 % par rapport à celui de l'année précédente, qui s'élevait à 167 millions de DEM.

27.
    Il importe de rappeler que, dans le cadre de l'examen de la viabilité financière de la requérante, l'appréciation de sa situation matérielle peut être effectuée en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat [ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C-43/98 P (R), Rec. p. I-1815, point 36; ordonnances du président du Tribunal du 10 décembre 1997, Camar/Commission et Conseil, T-260/97 R, Rec. p. II-2357, point 50, et du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T-13/99 R, Rec. p. II-1961, point 155, confirmée par ordonnance du président de la Cour du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C-329/99 P(R), Rec. p. I-8343, point 67].

    

28.
    La requérante n'ayant nullement étayé ses affirmations quant au dommage irréparable qui découlerait de l'exécution de la décision, la condition relative àl'urgence n'est pas satisfaite. À cet égard, il y a lieu de souligner qu'il n'incombe pas au juge des référés, d'office, de pallier un tel défaut de preuve.

29.
    En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1)    La demande en référé est rejetée.

2)    Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 2 août 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.