Language of document : ECLI:EU:T:2016:200

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

7 avril 2016 (*)

« Référé – Clause compromissoire – Conventions conclues en vue de réaliser des projets subventionnés par l’Union dans le cadre du programme ‘Justice civile’ – Décision exécutoire de la Commission de procéder au recouvrement des sommes versées – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑364/15 R,

ADR Center Srl, établie à Rome (Italie), représentée par Me L. Tantalo, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Cappelletti et J. Estrada de Solà, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution forcée de la décision C (2015) 3117 final de la Commission, du 4 mai 2015, relative au recouvrement d’un montant de 432 637,97 euros, majoré des intérêts, dû par ADR Center Srl en référence aux notes de débit nos 3241408192 et 3241409206 portant, respectivement, sur 155 507,97 euros et 277 130 euros,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Au cours de l’année 2011, la Commission européenne a conclu deux conventions de subvention avec la requérante, ADR Center SpA. La première de ces conventions de subvention portait sur une action visant à améliorer les ressources et la formation en ligne des juges pour les inciter à envisager davantage le recours à la médiation et au règlement extrajudiciaire des litiges dans l’Union européenne (ci-après le « projet Juges »). Ce projet a débuté le 12 septembre 2011 et devait durer 24 mois. La seconde convention portait essentiellement sur la formation des avocats, en vue d’en faire des médiateurs dans des contextes tant nationaux que transfrontières, et sur l’élaboration du matériel nécessaire pour les futurs programmes de formation à la médiation (ci-après le « projet Orientations »). Ce projet a débuté le 9 mai 2011 et devait durer 24 mois.

2        S’agissant des aspects financiers du projet Juges, le montant total des coûts éligibles a été estimé à 363 000 euros, dont la Commission a accepté de cofinancer 78,51 %, pour un montant maximal de 285 000 euros. À titre de préfinancement, la Commission a versé un montant de 199 500 euros à la requérante. En ce qui concerne le projet Orientations, le montant total des coûts éligibles a été estimé à 496 400 euros, dont la Commission a accepté de cofinancer 79,75 %, pour un montant maximal de 395 900 euros. À titre de préfinancement, la Commission a versé un montant de 277 130 euros à la requérante.

 Projet Juges

3        Le 10 juillet 2013, la requérante a adressé une lettre à la Commission lui demandant la résiliation de la convention relative au projet Juges pour un motif de force majeure. Elle a expliqué que, à la suite de la crise imprévisible ayant touché le secteur de la médiation en Italie à la fin de l’année 2012, elle avait vu ses recettes chuter de manière spectaculaire et elle n’était plus en mesure de mener ses activités habituelles ni de mettre entièrement en œuvre le projet en cause. La Commission a refusé la résiliation pour force majeure, mais a accepté de résilier la convention à compter du 11 septembre 2013.

4        La requérante a transmis à la Commission le rapport descriptif final et le rapport financier final relatif au projet Juges, respectivement le 11 novembre 2013 et le 4 février 2014. À la suite d’une analyse de ces rapports, la Commission a informé la requérante, par lettre du 24 mars 2014, que certains des coûts déclarés ne seraient pas acceptés et que, par conséquent, elle établirait un ordre de recouvrement pour un montant de 155 507,97 euros. Cette lettre incluait un tableau recensant les coûts rejetés par la Commission et les raisons sous-jacentes au rejet des coûts en cause. En outre, la requérante était invitée à fournir des informations complémentaires en cas de désaccord avec les conclusions de la Commission.

5        À défaut d’avoir reçu des observations complémentaires de la requérante, la Commission a émis, en date du 8 juillet 2014, la note de débit n° 3241408192 portant sur le recouvrement d’un montant de 155 507,97 euros, accompagnée d’une invitation à payer ledit montant au plus tard le 22 août 2014. Cette note de débit a été suivie par deux lettres de rappel du 2 septembre et du 6 octobre 2014.

 Projet Orientations

6        Le 8 avril 2013, soit un mois avant la fin du projet Orientations, la requérante a adressé à la Commission une demande de suspension de ce projet pour une durée quatre mois ainsi que de prolongation pour une même période de quatre mois. Elle a justifié cette demande en se référant à la crise du secteur de la médiation en Italie qui l’empêchait de mettre entièrement en œuvre le projet en cause (voir point 3 ci-dessus). Le 11 avril 2013, la Commission a refusé de suspendre la mise en œuvre du projet au motif que celui-ci expirait un mois plus tard. La Commission a confirmé sa position le 25 avril et le 5 juin 2013, en invoquant l’absence de circonstances exceptionnelles qui auraient justifié la suspension/prolongation du projet.

7        Le 12 septembre 2013, la requérante a soumis à la Commission le rapport descriptif final du projet Orientations. Le 6 janvier 2014, elle lui a transmis l’état financier final, dans lequel elle a déclaré des coûts éligibles d’un montant de 146 905,44 euros pour la mise en œuvre dudit projet. À la suite d’une analyse de ces rapports, la Commission a informé la requérante, par lettre du 7 mai 2014, qu’aucun coût ne serait accepté et que, par conséquent, elle établirait un ordre de recouvrement pour l’intégralité du préfinancement, soit pour un montant de 277 130 euros. Cette lettre incluait un tableau indiquant les motifs du rejet de chaque élément de coût. En outre, la requérante était invitée à fournir des informations complémentaires en cas de désaccord avec les conclusions de la Commission.

8        À défaut d’avoir reçu des observations complémentaires de la requérante, la Commission a émis, en date du 8 août 2014, la note de débit n° 3241409206 portant sur le recouvrement d’un montant de 277 130 euros, accompagnée d’une invitation à payer au plus tard le 22 septembre 2014. Cette note de débit a été suivie par deux lettres de rappel du 6 et du 30 octobre 2014.

9        Le 4 mai 2015, la Commission a adopté la décision C (2015) 3117 final relative au recouvrement d’un montant de 432 637,97 euros, majoré des intérêts, dû par ADR Center Srl en référence aux notes de débit nos 3241408192 et 3241409206 portant, respectivement, sur 155 507,97 euros et 277 130 euros (ci-après la « décision attaquée »).

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juillet 2015, la requérante a introduit un recours visant à obtenir l’annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, à déclarer éligibles tous les coûts qualifiés d’inéligibles par la Commission.

11      En décembre 2015, la Commission a lancé l’exécution forcée de la décision attaquée ainsi que celle d’une autre décision, datée du 27 juin 2014 et portant sur le recouvrement d’un montant de 194 275,34 euros, majoré des intérêts, dont elle réclamait également le paiement à la requérante en raison de l’inéligibilité des coûts que celle-ci avait déclarés dans le cadre d’autres projets cofinancés par cette institution. C’est dans ce contexte que, le 15 décembre 2015, la requérante a reçu notification, en Italie, d’un acte tendant à l’exécution forcée de la décision attaquée et de l’autre décision susmentionnée. Aux termes de la formule exécutoire figurant dans cet acte, si le paiement du montant total de 663 288,64 euros n’était pas effectué dans un délai de dix jours à compter de la notification, l’autorité compétente ferait exécuter lesdites décisions, en procédant par exemple à la saisie des comptes bancaires de la requérante. Pour empêcher une telle saisie, cette dernière a saisi les juridictions nationales italiennes.

12      Dans ces circonstances, par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 21 janvier 2016, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution forcée de la décision attaquée.

13      Par ordonnance du 22 janvier 2016, le président du Tribunal, en vertu de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, a accordé le sursis à exécution sollicité jusqu’à l’intervention de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

14      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 5 février 2016, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter cette demande comme non fondée ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le sursis à exécution serait accordé,

–        subordonner ce sursis à la constitution, par la requérante, d’une caution ;

–        ordonner à la requérante de transmettre au Tribunal, d’une part, des rapports trimestriels sur l’évolution de sa situation économique et financière et, d’autre part, préalablement à son adoption, toute décision susceptible d’affecter sa situation économique ou visant à modifier son statut juridique et, en tout état de cause, une copie des décisions de son assemblée générale ;

–        réserver les dépens.

15      La requérante a répondu aux observations de la Commission par mémoire du 17 février 2016 à l’égard duquel la Commission a pris définitivement position par mémoire du 29 février 2016.

16      Par ailleurs, la décision de la Commission du 27 juin 2014 portant sur le recouvrement d’un montant de 194 275,34 euros (voir point 11 ci-dessus) fait également l’objet d’un recours en annulation assorti d’une demande en référé (affaires T‑644/14 et T‑644/14 R, ADR Center/Commission).

 En droit

 Considérations générales

17      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE, 279 TFUE et 299, quatrième alinéa, TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution forcée d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, étant entendu que l’octroi éventuel d’un sursis à l’exécution dudit acte doit empêcher en même temps, à titre provisoire, son exécution forcée (voir ordonnance du 3 décembre 2007, Dimos Peramatos/Commission, T‑312/07 RII, EU:T:2007:363, point 15 et jurisprudence citée). Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 11 novembre 2013, CSF/Commission, T‑337/13 R, EU:T:2013:599, point 21 et jurisprudence citée).

18      En outre, l’article 156, paragraphe 3, et l’article 161, paragraphe 1, du règlement de procédure disposent que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant l’intervention de la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir, en ce sens, ordonnance CSF/Commission, point 17 supra, EU:T:2013:599, point 22 et jurisprudence citée).

19      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance CSF/Commission, point 17 supra, EU:T:2013:599, point 23 et jurisprudence citée).

20      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

21      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

22      La requérante craint de subir un préjudice grave et irréparable en cas de rejet de la demande en référé. Elle soutient qu’elle ne dispose pas des ressources financières suffisantes pour verser à la Commission la somme de 663 288,64 euros (voir point 11 ci-dessus) sans faire faillite, ce montant représentant 50 % de son chiffre d’affaires annuel. Elle ajoute que ses flux de trésorerie ne s’élevaient, en 2014, qu’à 184 385 euros au total. Ainsi, il lui faudrait à l’heure actuelle, toutes choses restant égales par ailleurs, plus de trois ans et demi pour générer des flux de trésorerie positifs suffisants pour payer le montant de 663 288,64 euros.

23      La requérante précise que, à la date du 30 novembre 2015, son actif total s’élevait à 1 027 058 euros, son passif à 947 094 euros et ses capitaux propres à 79 964 euros. Quant au montant de capital exigé, il représenterait 65 % de l’actif total de la société au 30 novembre 2015. Dans la mesure où ses dettes s’élevaient à 751 290 euros à cette même date, la demande de 663 288,64 euros correspondrait à 88 % de sa dette totale et à plus de 110 % du total du passif courant. Compte tenu des lignes de crédit ouvertes (pour 50 000 euros auprès de la banque U.) et de la disponibilité des liquidités au 30 novembre 2015, représentant 158 041 euros, la requérante ne serait absolument pas en mesure d’honorer le paiement exigé, en tout cas dans les délais prévus par l’acte d’exécution forcée, et se trouverait en situation d’insolvabilité irréversible.

24      La Commission estime, en revanche, que la capacité financière d’une entreprise à honorer ses obligations financières ne correspond pas à ses seules liquidités, mais plutôt à sa capacité à payer, qui va au-delà des liquidités et avoirs rapidement disponibles. Or, en l’espèce, une analyse de la comptabilité de la requérante au 30 novembre 2015, annexée à la demande en référé, montrerait que l’entreprise a, vis-à-vis de son actionnariat, un crédit inexploité s’élevant à 263 241 euros, qui serait suffisant pour couvrir environ 42 % de sa dette totale, sans nullement mettre en péril ses liquidités. En outre, les bénéfices de la requérante se seraient élevés, à cette date, à 73 331 euros. Ainsi, même après déduction des pertes cumulées des exercices antérieurs, son bénéfice net serait malgré tout de 16 030 euros, ce qui couvrirait une partie supplémentaire d’environ 3 % de la dette totale. En d’autres termes, il apparaîtrait que la requérante dispose de ressources suffisantes pour payer 45 % environ de la dette en cours sans mettre en péril ses activités actuelles, puisque ce paiement n’aurait pas de répercussion sur ses liquidités, d’un montant de 158 041 euros, ni sur sa ligne de crédit de 50 000 euros, et pour mettre en place un échéancier de paiement pour le remboursement du solde de la dette (55 % du montant de la dette) au cours des années à venir.

25      La requérante rétorque que ces arguments n’altèrent en rien la dure réalité, à savoir quelle n’a actuellement pas de ressources suffisantes pour couvrir le montant de la dette prétendument due. Vouloir la priver de son fonds de roulement ne servirait qu’à la forcer à la faillite et à empêcher toute possibilité de parvenir à une possible transaction avec la Commission. En outre, les détenteurs de parts n’auraient pas les moyens matériels et financiers d’intégrer le capital social initial, à savoir le montant correspondant au crédit de 263 241 euros mentionné par la Commission.

26      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du 17 décembre 2015, Lysoform Dr. Hans Rosemann e.a./ECHA, T‑543/15 R, EU:T:2015:1008, point 29 et jurisprudence citée).

27      Dans la mesure où la requérante craint de subir un préjudice grave et irréparable d’ordre financier, il est de jurisprudence constante qu’un tel préjudice n’est normalement pas irréparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, à moins qu’il apparaisse que la partie qui sollicite les mesures provisoires se trouverait, en l’absence de ces mesures, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante, et ce au regard de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache directement ou indirectement par son actionnariat [voir, en ce sens, ordonnances du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), Rec, EU:C:2013:157, point 54 ; du 19 décembre 2013, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P‑R, EU:C:2013:882, point 20, et du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, EU:T:2015:946, point 25 et jurisprudence citée].

28      Ainsi, le fait pour le juge des référés de tenir compte des ressources dont dispose globalement le groupe auquel se rattache la société qui demande les mesures provisoires peut l’amener à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de ladite société, prise individuellement. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave et d’irréparable eu égard aux caractéristiques du groupe auquel appartient cette société (voir, en ce sens, ordonnances du 10 juin 2011, Eurallumina/Commission, T‑207/07 R, EU:T:2011:265, point 32 et jurisprudence citée, et du 6 mai 2014, Frucona Košice/Commission, T‑103/14 R, EU:T:2014:255, point 53 et jurisprudence citée).

29      Pour pouvoir apprécier si ces conditions sont remplies, le juge des référés doit, selon une jurisprudence bien établie, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance POA/Commission, point 27 supra, EU:T:2015:946, point 23 et jurisprudence citée).

30      En outre, les éléments essentiels de fait et de droit permettant au juge des référés d’établir une telle image doivent ressortir du texte même de la demande en référé, ce texte devant permettre, à lui seul, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande en référé, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. En effet, compte tenu de la célérité qui caractérise, de par sa nature, la procédure de référé, il peut raisonnablement être exigé de la partie qui sollicite des mesures provisoires de présenter, sauf cas exceptionnels, dès le stade de l’introduction de sa demande, tous les éléments de preuve disponibles à l’appui de celle-ci, afin que le juge des référés puisse apprécier, sur cette base, le bien-fondé de ladite demande [voir ordonnance du 20 avril 2012, Fapricela/Commission, C‑507/11 P(R), EU:C:2012:231, points 52 à 54 et jurisprudence citée].

31      En l’espèce, en vue d’apprécier la puissance financière de la société requérante, il convient de rappeler que cette dernière se présente sous la forme juridique d’une « Srl » de droit italien, c’est-à-dire d’une société à responsabilité limitée. Ainsi que la Commission l’a relevé sans être contredite par la requérante, l’ensemble des parts de la société requérante sont détenues par M. U., M. P. et Mme B., qui en sont également les administrateurs. Il s’avère ainsi que le juge des référés est confronté à un groupe composé de la requérante en tant que société à responsabilité limitée ainsi que de M. U., de M. P. et de Mme B., ces dernières personnes physiques étant membres du groupe en qualité d’associés.

32      Dans ces circonstances, les modalités d’appartenance de la société requérante à ce groupe et les caractéristiques de celui-ci, notamment les capacités financières dont il dispose dans son intégralité, constituent des éléments essentiels aux fins de l’examen de l’urgence de la demande en référé. Par conséquent, ces éléments devaient être présentés par la requérante dans ladite demande, et ce même en ce qui concerne M. U., M. P. et Mme B. En effet, la jurisprudence relative au concept de groupe s’applique non seulement aux personnes morales, mais aussi aux personnes physiques qui font partie d’un groupe en qualité d’actionnaires ou d’associés, sans être elles-mêmes des entreprises (voir, en ce sens, ordonnances du 7 décembre 2010, ArcelorMittal Wire France e.a./Commission, T‑385/10 R, EU:T:2010:502, point 53 ; du 21 juin 2011, MB System/Commission, T‑209/11 R, EU:T:2011:297, point 32 et jurisprudence citée, et du 10 juin 2014, Stahlwerk Bous/Commission, T‑172/14 R, EU:T:2014:558, points 20 et 33).

33      Or, si la demande en référé et ses annexes comportent des indications relatives à la situation financière de la société requérante, force est de constater qu’elles ne comportent aucun élément quant à la situation financière de M. U., de M. P. et de Mme B., alors que la situation patrimoniale de ces derniers aurait dû être soumise à l’appréciation du juge des référés.

34      Pour autant que ce silence de la requérante paraisse exprimer l’avis selon lequel ses associés ne sont assujettis à son égard à aucune obligation d’assumer une responsabilité solidaire en vertu de ses statuts, et ce précisément en raison de son caractère de société à responsabilité limitée, force est de constater que la prise en considération de la puissance financière du groupe auquel appartient la société requérante repose sur l’idée que les intérêts objectifs de cette société ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent ou qui sont membres du même groupe. Le caractère grave et irréparable du préjudice allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette coïncidence des intérêts justifie que l’intérêt de la société requérante à poursuivre son activité ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que portent à sa pérennité ceux qui la contrôlent ou sont membres du même groupe. En outre, la question cruciale en matière d’évaluation d’une situation financière est de savoir si la société qui prétend subir un préjudice grave et irréparable a d’autres sources potentielles de revenus qui pourraient l’aider à endiguer ce préjudice. Si tel est le cas, le juge des référés doit en tenir compte, eu égard au caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 17 ci-dessus), qu’il s’agisse d’un revenu pouvant être tiré d’activités économiques particulières ou d’une assistance fournie par d’autres personnes (voir, en ce sens, ordonnance Eurallumina/Commission, point 28 supra, EU:T:2011:265, points 33 et 38 et jurisprudence citée).

35      Ainsi, il convient de faire une distinction entre, d’une part, l’obligation juridique de paiement imposée à une personne physique ou morale et, d’autre part, la puissance financière dont dispose cette personne afin d’accomplir son devoir de paiement. Par conséquent, si les autres membres du groupe auquel appartient la requérante ne sont pas juridiquement obligés de rembourser solidairement le montant que la Commission entend recouvrer auprès de celle-ci, le juge des référés est appelé à vérifier, en application du concept de groupe, si ces membres ont tant les moyens financiers nécessaires pour soutenir la requérante que l’intérêt objectif à accorder un tel soutien (voir, en ce sens, ordonnance Frucona Košice/Commission, point 28 supra, EU:T:2014:255, point 57 et jurisprudence citée).

36      Pour autant que le silence de la requérante doive être interprété en ce sens que les associés U., P. et B. refusent de la soutenir, il y a lieu de rappeler que le refus unilatéral opposé par un groupe d’apporter son soutien financier à une société du groupe ne saurait suffire à exclure la prise en compte de la situation financière de l’ensemble du groupe. En effet, l’étendue du dommage allégué d’une société individuelle appartenant à un groupe ne saurait, lorsque ses intérêts ainsi que ceux de ses associés ou d’autres sociétés du même groupe se recoupent objectivement, dépendre de la volonté unilatérale de ces derniers [voir, en ce sens, ordonnance du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), EU:C:2010:242, point 46]. À cet égard, la seule question pertinente qui se pose est celle de savoir si des obstacles d’ordre juridique, en particulier du droit de la faillite ou commercial, s’opposent à l’octroi, par U., P. et B., du soutien financier en cause [voir, en ce sens, ordonnances du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), EU:C:1999:609, points 52 à 54, et du 14 décembre 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑446/10 P(R), EU:C:2011:829, points 34 et 35 ; voir également, par analogie, ordonnance du 14 juin 2012, Qualitest FZE/Conseil, C‑644/11 P(R), EU:C:2012:354, point 42].

37      Or, en l’espèce, la requérante n’a pas remis en cause l’identité des intérêts objectifs poursuivis au sein du groupe auquel elle appartient. Par conséquent, rien ne permet d’exclure l’existence d’une telle identité. De plus, elle n’a présenté aucun élément susceptible d’établir l’existence d’un obstacle juridique qui exclurait l’octroi d’une assistance financière en sa faveur.

38      Si la requérante fait valoir que « les détenteurs de parts n’ont pas les moyens matériels et financiers pour intégrer le capital social initial », il s’agit là d’une pure affirmation qui n’est étayée par aucun élément de preuve. Or, l’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure prévoit qu’une demande en référé doit contenir toutes les preuves et offres de preuve disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées. Cette disposition reflète la jurisprudence selon laquelle, d’une part, il appartient à la partie qui sollicite une mesure provisoire d’étayer ses affirmations par des preuves documentaires détaillées et certifiées permettant d’apprécier la véracité desdites affirmations et, d’autre part, eu égard à l’importance que revêt la valeur probante des éléments documentaires produits pour l’appréciation du bien-fondé d’une demande en référé, l’exigence que ces éléments présentent des garanties d’authenticité ne saurait être considérée comme disproportionnée [voir ordonnance du 25 octobre 2012, Hassan/Conseil, C‑168/12 P(R), EU:C:2012:674, points 33 et 37 et jurisprudence citée ; voir, en ce sens, ordonnance du 8 mai 2012, Investigación y Desarrollo en Soluciones y Servicios IT/Commission, T‑134/12 R, EU:T:2012:225, point 16 et jurisprudence citée].

39      L’argument avancé par la requérante devant être qualifié d’affirmation non étayée, le juge des référés, compte tenu du caractère exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires, ne saurait admettre l’urgence en se contentant d’une telle affirmation, d’autant que la Commission l’a contestée par des arguments concrets et précis (voir point 24 ci-dessus). Par conséquent, le juge des référés n’est pas en mesure d’attribuer à l’affirmation non étayée de la requérante plus de valeur qu’aux arguments concrets et précis présentés en sens contraire par la Commission (voir, en ce sens, ordonnance du 16 octobre 2013, Espagne/Commission, T‑461/13 R, EU:T:2013:545, point 39).

40      Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi l’urgence au regard de la jurisprudence relative à la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

41      À défaut d’avoir été informé sur la situation financière de M. U., de M. P. et de Mme B., le juge des référés ne saurait, notamment, exclure que ces derniers soient en mesure de soutenir financièrement la requérante, que ce soit en lui avançant les fonds nécessaires ou en lui procurant un prêt hypothécaire correspondant, de sorte qu’elle pourrait rembourser le montant dont le recouvrement est exigé par la Commission, sans encourir le risque de faillite.

42      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris, ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      L’ordonnance du 22 janvier 2016 est rapportée, en ce qu’elle porte sur l’affaire T‑364/15 R.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 7 avril 2016.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.