Language of document : ECLI:EU:C:2024:450

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

29 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Soutien aux énergies renouvelables – Construction d’une centrale de cogénération – Décision C(2017) 8456 final – Modifications du régime d’aide estonien en faveur des sources d’énergie renouvelables et de la cogénération – Considérants 42 et 43 – Notions de “projet” et de “début des travaux” – Type et intensité de l’examen devant être effectué par l’autorité nationale compétente »

Dans l’affaire C‑446/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn, Estonie), par décision du 15 juillet 2023, parvenue à la Cour le 17 juillet 2023, dans la procédure

Warmeston OÜ

contre

Elering AS,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de juge de la sixième chambre, et M. A. Kumin, juge,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des considérants 42 et 43 de la décision C(2017) 8456 final de la Commission, du 6 décembre 2017, relative aux modifications du régime d’aide estonien en faveur des sources d’énergie renouvelables et de la cogénération [aide d’État SA.47354 (2017/NN)] (JO 2018, C 121, p. 7, ci-après la « décision de 2017 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Warmeston OÜ à Elering AS, gestionnaire de réseau de transport d’énergie, au sujet de la légalité d’un avis, émis par Elering à la demande de Warmeston, constatant que l’état d’avancement d’un projet de construction d’une centrale de cogénération fonctionnant au biocombustible et produisant de l’électricité et de la chaleur ne satisfaisait pas aux exigences de la législation nationale qui permettraient de qualifier Warmeston de « producteur existant » d’énergie et, partant, de faire bénéficier cette dernière de subventions pour la construction de cette centrale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Les lignes directrices de 2014

3        Le point 19, sous 44), de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 » (JO 2014, C 200, p. 1, ci-après les « lignes directrices de 2014 ») contient la définition suivante :

« Aux fins des présentes lignes directrices, on entend par :

(44)      “début des travaux” : soit le début des travaux de construction liés à l’investissement, soit le premier engagement ferme de commande d’équipement ou tout autre engagement rendant l’investissement irréversible, selon l’événement qui se produit en premier. L’achat de terrains et les préparatifs tels que l’obtention d’autorisations et la réalisation d’études de faisabilité préliminaires ne sont pas considérés comme le début des travaux. Dans le cas des rachats, le “début des travaux” est le moment de l’acquisition des actifs directement liés à l’établissement acquis ».

4        Le point 126 desdites lignes directrices prévoit :

« Au cours d’une phase transitoire couvrant les années 2015 et 2016, il convient que des aides portant sur au moins 5 % de la nouvelle capacité prévue de production d’électricité installée à partir de sources d’énergie renouvelables soient octroyées sur la base d’une procédure de mise en concurrence fondée sur des critères clairs, transparents et non discriminatoires.

À partir du 1er janvier 2017, les critères ci-après s’appliquent.

Les aides sont octroyées à l’issue d’une procédure de mise en concurrence fondée sur des critères clairs, transparents et non discriminatoires (66) [...]

[...] »

5        Aux termes de la note en bas de page 66 des mêmes lignes directrices :

« Les installations qui ont débuté les travaux avant le 1er janvier 2017 et qui avaient reçu confirmation de l’aide par l’État membre avant cette date peuvent bénéficier de l’aide sur la base du régime en vigueur au moment de la confirmation. »

 La décision de 2017

6        Les considérants 41 à 43 de la décision de 2017 énoncent :

« (41)      En ce qui concerne l’application de la définition modifiée du producteur existant à des projets spécifiques, tels que le projet Tootsi, la Commission [européenne] estime qu’il incombe fondamentalement aux organismes nationaux qui octroient l’aide, en l’occurrence au gestionnaire du réseau de transport, de vérifier si les conditions juridiques sont effectivement remplies.

(42)      La note en bas de page 66 des [lignes directrices de 2014] peut être considérée comme une transposition du principe juridique de confiance légitime et est étroitement liée à l’exigence de l’effet incitatif des aides d’État. Concrètement, cela signifie que les producteurs dont le projet se trouvait, à la date du 1er janvier 2017, à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin doivent être considérés par les autorités qui octroient les aides comme étant des producteurs existants, de sorte qu’ils devraient obtenir l’aide sur la base du régime d’aide existant (confiance légitime). Cela exige au minimum que les maîtres d’ouvrage aient obtenu l’autorisation étatique nécessaire à la réalisation du projet et qu’ils aient légalement le droit d’utiliser le terrain sur lequel le projet sera réalisé.

(43)      La définition de la notion de “début des travaux” figurant au point 19, sous 44), des [lignes directrices de 2014] fournit plus de détails à cet égard. La note en bas de page 66 des [lignes directrices de 2014] doit donc être lue et interprétée par les autorités qui octroient les aides en tenant compte de cet élément. La Commission observe à ce propos que les États membres demeurent responsables de la bonne mise en œuvre des mesures d’aide par l’intermédiaire de leurs autorités compétentes. »

 Le droit estonien

7        L’article 3 de l’elektrituruseadus (loi sur le marché de l’électricité), du 11 février 2003 (RT I 2003, 25, 153), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« ELTS »), intitulé « Définitions », disposait :

« Aux fins de la présente loi, on entend par :

[...]

25)      “équipement de production” : une installation électrique destinée à produire de l’électricité ;

[...] »

8        L’article 59 de l’ELTS, intitulé « Aide », prévoyait :

« (1)      Le producteur a le droit d’obtenir du gestionnaire de réseau de transport l’aide visée au présent article :

[...]

2)      pour la production d’électricité, à compter du 1er juillet 2010, dès lors qu’il a utilisé pour cela de la biomasse en cogénération, sauf si l’électricité a été produite à partir de la biomasse dans le cadre du processus de condensation, auquel cas l’aide n’est pas octroyée. [...] ;

[...]

(2)      Le gestionnaire de réseau de transport verse une aide au producteur à la demande de celui-ci :

1)      au taux de 0,0537 euro par kilowattheure d’électricité si cette dernière est produite conformément au paragraphe 1, point [...] 2) ci-dessus ;

[...]

(21)      L’aide visée au paragraphe 2 du présent article constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE], qui est accordée conformément aux [lignes directrices de 2014], ainsi que sur la base de la [décision de 2017].

(22)      L’aide visée au paragraphe 2 du présent article pour l’énergie produite par un équipement de production d’une puissance électrique d’au moins 1 [mégawatt (MW)] peut être demandée par un producteur qui, en ce qui concerne le projet d’investissement afférent à cet équipement de production, a débuté les travaux au plus tard le 31 décembre 2016 en ayant procédé au moins de l’une des manières suivantes :

1)      avoir commencé la production d’électricité ;

2)      avoir commencé les travaux de construction relatifs à ce projet d’investissement ;

3)      avoir pris l’engagement ferme de commander des équipements pour la construction d’une installation de production ;

4)      avoir pris tout autre engagement rendant ledit projet d’investissement irréversible, hormis l’acquisition du terrain sur lequel se situe l’installation de production, l’obtention des autorisations et les préparatifs, qui ne font pas partie des engagements rendant le projet d’investissement irréversible.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Le 15 juin 2010, Warmeston a acquis un terrain en vue d’y construire tant une usine de granulés de bois qu’une centrale de cogénération fonctionnant au biocombustible et produisant de l’électricité ainsi que de la chaleur, principalement, pour les besoins de cette usine.

10      L’usine de granulés de bois est opérationnelle depuis la fin de l’année 2010 et fonctionne de manière rentable.

11      Le 27 mai 2015, Warmeston a obtenu le permis de construire de la centrale de cogénération envisagée. Par la suite, elle a augmenté la capacité du point de raccordement au réseau d’électricité géré par Elering et a fait construire une sous-station, un bâtiment à combustible ainsi que des voies et des cours extérieures.

12      En vue d’obtenir une aide afin d’achever le projet d’investissement relatif à cette centrale, Warmeston a demandé à Elering, le 30 juin 2020, un avis sur la conformité de ce projet d’investissement aux conditions énoncées à l’article 59, paragraphe 22, de l’ELTS.

13      Dans une décision du 13 septembre 2021, Elering a considéré que ledit projet d’investissement n’était pas conforme aux conditions énoncées à cette disposition, Warmeston n’ayant pris, à la date du 31 décembre 2016, aucun engagement susceptible de rendre le même projet d’investissement irréversible au sens de l’article 59, paragraphe 22, point 4, de l’ELTS. En particulier, les coûts engagés ne constitueraient pas un investissement suffisamment important pour conclure que le projet d’investissement relatif à la centrale de cogénération se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable que celui-ci serait mené à bonne fin, et qu’une confiance légitime serait née en faveur de Warmeston.

14      Le 27 décembre 2021, Warmeston a introduit un recours devant le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn, Estonie), la juridiction de renvoi, tendant à l’annulation de la décision du 13 septembre 2021, ainsi que d’une décision confirmative du 24 novembre 2021, et à ce qu’Elering soit enjoint de réexaminer la demande d’avis.

15      À l’appui de son recours, Warmeston fait valoir, notamment, qu’il est erroné de considérer que la construction de l’usine de granulés de bois et celle de la centrale de cogénération sont deux opérations distinctes qui ne peuvent pas être considérées comme formant un seul et même projet d’investissement.

16      À cet égard, Warmeston affirme que la centrale de cogénération, prise isolément, ne remplirait aucune fonction utile, dès lors que, sans l’usine de granulés de bois, il n’existerait aucune demande correspondant à sa capacité de production d’électricité et de chaleur, sa construction ayant été envisagée, dès le départ, en même temps que celle de cette usine dans le cadre d’un seul et même projet d’investissement. Le fait que le potentiel de rentabilité du projet d’investissement ait été atteint avant que ce projet, tel qu’il était envisagé à l’origine, n’ait été entièrement réalisé ne saurait constituer un motif pour exclure dudit projet les travaux devant se dérouler dans sa phase finale et considérer que ceux‑ci forment un projet d’investissement distinct.

17      Warmeston souligne, en outre, que si la centrale de cogénération n’avait pas, dès l’origine, fait partie du projet d’investissement, jamais des travaux d’une ampleur de 10,5 millions d’euros à la date du 31 décembre 2016 n’auraient été entrepris. Les dépenses auraient été inférieures à ce montant de 4 442 373 euros. Elle en conclut que, dès lors que l’usine de granulés de bois est indispensable au fonctionnement de la centrale de cogénération et qu’elle fait partie intégrante du projet d’investissement afférent à cette dernière, les travaux de construction de cette usine devraient être considérés comme étant des travaux de réalisation de ce projet d’investissement.

18      Selon Elering, l’usine de granulés de bois n’est pas indissociablement liée à la centrale de cogénération, ni sur le plan technique ni sur le plan économique. Il s’agirait d’une installation autonome qui ne serait directement tributaire ni de l’exploitation ni de l’alimentation de la centrale de cogénération.

19      Le fonctionnement rentable, depuis l’année 2010, de cette usine confirmerait que, même considérée de manière isolée, elle est rationnelle sur le plan économique et que la centrale de cogénération n’en constituerait pas une part indissociable. S’il ressort, certes, du plan d’entreprise de Warmeston que ladite usine serait plus rentable si elle fonctionnait avec une centrale de cogénération que sans celle-ci, ces éléments ne seraient néanmoins pas déterminants, dès lors que l’aide aux énergies renouvelables ne saurait avoir pour seul objet d’améliorer la rentabilité d’autres projets commerciaux. Une analyse sous l’angle de la rationalité économique n’apporterait donc la preuve ni de l’existence d’un projet d’investissement unique ni d’un véritable démarrage des travaux de construction de la centrale de cogénération par Warmeston.

20      Puisque l’aide aux énergies renouvelables vise à soutenir non pas la consommation mais la production d’électricité, il n’y aurait pas lieu de tenir compte du consommateur qui bénéficie de l’installation de production, en l’occurrence l’usine de granulés de bois. Ainsi, cette usine ne ferait pas partie du projet d’investissement relatif à la centrale de cogénération, qui ne concernerait que celle-ci et les infrastructures la desservant.

21      Elering est ainsi d’avis que Warmeston n’avait pris aucun engagement susceptible de rendre ce projet d’investissement irréversible à la date du 31 décembre 2016, de sorte que celui-ci ne se trouvait pas à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin. En particulier, dès lors que l’usine de granulés de bois ne ferait pas partie dudit projet d’investissement, les dépenses liées à des engagements fermes afin de construire cette centrale, seules éligibles, se limiteraient à 1,27 % du coût total du même projet. Warmeston ne remplissant ainsi pas, à la date du 31 décembre 2016, les critères d’un « producteur existant », elle ne pouvait se prévaloir d’aucune confiance légitime en sa faveur.

22      La juridiction de renvoi relève que le litige dont elle est saisie porte sur le point de savoir s’il est possible de considérer que Warmeston a débuté les travaux relatifs au projet d’investissement afférent à un « équipement de production », au sens de l’article 59, paragraphe 22, de l’ELTS et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014. Se poserait plus particulièrement la question de savoir si Warmeston a commencé les travaux de construction relatifs au « projet d’investissement », au sens de l’article 59, paragraphe 22, point 2, de l’ELTS, ou pris tout autre engagement rendant ce projet d’investissement irréversible, au sens de l’article 59, paragraphe 22, point 4, de celui-ci.

23      À cet égard, tout d’abord, il conviendrait de clarifier ce qui peut être considéré comme étant un « projet », au sens du considérant 42 de la décision de 2017, et comme étant un « investissement », au sens du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014. La juridiction de renvoi se demande si la qualification de « projet d’investissement » se limite à la seule construction d’une centrale de cogénération produisant de l’électricité ou si une autre installation liée à cette centrale, telle qu’une usine de granulés de bois qui consomme l’électricité et la chaleur produites par ladite centrale peuvent en relever et sous quelles conditions.

24      Ensuite, à supposer que tel serait le cas, il conviendrait de répondre à la question de savoir si les travaux de construction de l’autre installation pourraient être considérés comme étant le « début des travaux », au sens du considérant 43 de la décision de 2017 et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, ou si seuls les travaux de construction de la centrale de cogénération pourraient être pris en compte à ce titre. La même question se poserait en ce qui concerne les coûts qui peuvent être pris en compte pour déterminer si un investissement est rendu irréversible.

25      Enfin, même si le considérant 42 de la décision de 2017 fait référence à une condition tenant à l’effet incitatif de l’aide demandée, il n’apparaîtrait pas clairement si, pour établir la qualité de producteur existant, cet effet doit être évalué ou si l’existence d’un tel effet peut être présumée, au motif que la Commission aurait déclaré l’aide compatible avec le marché intérieur, après avoir elle-même évalué l’existence dudit effet aux considérants 62 et 63 de la décision de 2017.

26      Dans ces conditions, le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallinn) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Comment convient-il d’interpréter la notion de “projet (d’investissement)” au sens des considérants 42 et 43 de la [décision de 2017] ? Comment convient-il d’apprécier quels sont les coûts liés au projet et qui étaient de nature, potentiellement, à conduire ce dernier, à la date du 31 décembre 2016, à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin [...] ?

a)      En particulier, peut-on considérer comme faisant partie d’un projet afférent à une installation de production d’électricité une installation autre qu’une installation productrice d’énergie (telle qu’une usine de granulés de bois) ?

b)      La réponse à la question précédente dépend-elle du point de savoir si :

i)      cette installation autre qu’une installation productrice d’énergie est économiquement liée à l’installation de production d’électricité ;

ii)      cette installation autre qu’une installation productrice d’énergie est liée sur le plan technique (énergétique) à l’installation de production d’électricité, c’est-à-dire s’il importe qu’elle conditionne l’exploitation, l’alimentation ou autre fonction similaire de l’installation de production d’électricité ;

iii)      la construction de cette installation autre qu’une installation productrice d’énergie, considérée de manière isolée, était économiquement rentable et techniquement rationnelle (par exemple, elle a été en activité pendant plus de dix ans et, au cours de cette période, le maître d’ouvrage n’a entrepris aucune démarche pour la construction d’une installation de production d’électricité) ?

c)      En particulier, peut-on considérer comme faisant partie d’un projet afférent à une installation de production d’électricité une installation autre qu’une installation productrice d’énergie au seul motif qu’il est économiquement plus rentable d’exploiter cette dernière conjointement à une installation de production d’électricité ?

d)      En particulier, faut-il examiner si l’installation autre qu’une installation productrice d’énergie fait partie intégrante du projet concernant une installation de production d’électricité (autrement dit, faut-il se demander si le maître d’ouvrage aurait réalisé cette installation autre qu’une installation productrice d’énergie s’il n’avait pas parallèlement envisagé d’installation de production d’électricité), ou inversement ?

2)      Pour déterminer s’il est possible de considérer que les travaux ont débuté au sens du considérant 42 de la [décision de 2017], faut-il tenir compte uniquement de la prise formelle d’engagements inconditionnels et contraignants (par leur signature, par exemple) ou faut-il en plus examiner sur le fond, dans chaque cas, si le projet se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin et si l’abandon du projet aurait également eu des conséquences néfastes, matériellement, pour l’entreprise ?

a)      En particulier, faut-il évaluer le stade de développement d’un projet d’investissement au regard de chacun des cas de figure relevant de la notion de début des travaux, y compris dans l’hypothèse où les travaux de construction ont débuté ?

b)      En particulier, comment faut-il évaluer sur le fond les engagements pris ? Peut-on tenir compte de la part que représentent les investissements réalisés, les engagements pris, les travaux de constructions effectués et les dépenses engagées dans la valeur totale du projet ? Est-il également déterminant de savoir si les engagements pris portent sur l’installation de production d’électricité ou sur les infrastructures du projet ?

c)      En particulier, est-il possible de considérer que les travaux ont débuté dans une situation où, à une date antérieure au 31 décembre 2016, l’entreprise a pris des engagements/réalisé des investissements/commencé des travaux de construction/acquis des équipements, mais où le montant des dépenses est si faible au regard de l’ampleur du projet global que l’on ne saurait considérer que le projet se trouve à un stade de développement tel qu’il apparaît fort probable qu’il sera mené à bonne fin ? Quelle est la part des dépenses dans la valeur totale du projet qui peut raisonnablement être reconnue comme suffisante pour considérer que le projet se trouve à un stade de développement tel qu’il apparaît fort probable qu’il sera mené à bonne fin ?

d)      En particulier, pour déterminer s’il est possible de considérer que les travaux ont débuté, un État membre est-il tenu d’établir l’existence d’un effet incitatif ou celle-ci doit-elle être présumée sur le fondement de la [décision de 2017] ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

28      Les réponses à donner aux questions déférées à la Cour dans la présente affaire pouvant être clairement déduites de l’arrêt du 12 octobre 2023, Est Wind Power (C‑11/22, ci-après l’« arrêt EWP », EU:C:2023:765), et ne laissant place à aucun doute raisonnable, il convient de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

 Sur la première question

29      Par sa première question, la juridiction demande, en substance, si la notion de « projet », au sens du considérant 42 de la décision de 2017, et celle de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne concernent que la seule installation productrice d’énergie ou si ces notions peuvent viser le début des travaux de projets d’investissement plus larges, comprenant d’autres installations, le cas échéant économiquement et/ou techniquement liées à cette installation productrice d’énergie, qui font partie intégrante d’un projet global d’investissement et sont susceptibles de rendre plus rentable l’exploitation de ces installations.

30      Aux points 53 à 56 de l’arrêt EWP, la Cour a considéré ce qui suit :

« 53      Dans le contexte du considérant 42 de la décision de 2017, la notion de “début des travaux”, au sens du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, doit donc, dans tous les cas de figure, être entendue comme visant un état d’avancement des travaux en cause permettant d’assimiler le maître d’ouvrage à un producteur existant d’énergie renouvelable.

54      Partant, seul un engagement portant, à la date du 1er janvier 2017, le projet d’investissement à un “stade de développement” tel qu’il apparaissait “fort probable qu’il serait mené à bonne fin”, et que ledit projet était donc, en substance, irréversible peut relever, dans ce contexte, de cette notion de “début des travaux”.

55      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 44 à 46 de ses conclusions, un tel seuil ne saurait être considéré comme étant atteint à cette date que si les préparatifs étaient accomplis et si l’engagement pris était suffisamment significatif, au regard de sa nature et de son coût, par rapport au volume total du projet d’investissement concerné.

56      S’il incombe à la juridiction de renvoi, qui seule dispose de l’ensemble des éléments pertinents, d’apprécier si, à cette date, l’état d’avancement des travaux de construction du parc éolien envisagé permettait de considérer qu’il apparaissait fort probable que le projet de construction de ce parc serait mené à bonne fin, les éléments dont dispose la Cour tendent à indiquer que, en l’occurrence, la construction de mâts de mesure et de raccordements électriques au réseau de transport ne constituait pas un tel “début des travaux” permettant d’assimiler EWP à un “producteur existant” d’énergie renouvelable, seul le début des travaux de construction des éoliennes productrices d’énergie renouvelable, voire un engagement irréversible portant sur ces dernières, qui apparaissent représenter la partie la plus significative du projet d’investissement en cause au principal, pouvant lui conférer un tel statut. »

31      Il ressort de ces considérations que, dans le contexte du considérant 42 de la décision de 2017, la notion de « début des travaux », au sens du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, d’un projet d’investissement doit, dans tous les cas de figure, être entendue comme visant un état d’avancement des travaux en cause permettant d’assimiler le maître d’ouvrage à un producteur existant d’énergie renouvelable.

32      Il en découle sans équivoque que la notion de « début des travaux » concerne un projet d’investissement relatif à une installation productrice d’électricité en tant que telle.

33      Partant, d’une part, la notion de « projet » d’investissement vise les seuls éléments directement pertinents pour la construction et le fonctionnement d’une installation productrice d’électricité, en l’occurrence la centrale de cogénération, à l’exclusion d’installations distinctes, telle que, en l’occurrence, l’usine de production de granulés de bois, même si de telles installations distinctes sont, le cas échéant, économiquement et/ou techniquement liées à l’installation productrice d’électricité. D’autre part, la notion de « début des travaux » ne saurait porter que sur les investissements effectués par rapport à ce projet.

34      Dès lors, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si le stade de développement de la seule centrale de cogénération faisait apparaître, au 1er janvier 2017, qu’il était fort probable que le projet d’investissement en rapport avec cette centrale serait mené à bonne fin.

35      En conséquence, il convient de répondre à la première question que la notion de « projet », au sens du considérant 42 de la décision de 2017, et celle de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne concernent que la seule installation productrice d’énergie, sans qu’ait d’incidence à cet égard le fait qu’une telle installation puisse s’inscrire dans le cadre de projets d’investissement plus larges, comprenant d’autres installations le cas échéant économiquement et/ou techniquement liées à cette installation productrice d’énergie, qui font partie intégrante d’un projet global d’investissement et sont susceptibles de rendre plus rentable l’exploitation de ces installations.

 Sur la seconde question

36      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le contexte du considérant 42 de la décision de 2017, la notion de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, doit être interprétée en ce sens que, pour qu’un tel début soit reconnu,

–        l’État membre concerné doit établir l’existence d’un effet incitatif de l’aide demandée ;

–        il suffit que des engagements inconditionnels et contraignants aient été formellement pris ou s’il est nécessaire d’examiner, dans chaque cas, si le projet se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin ;

–        il convient de tenir compte de la part que représentent les investissements réalisés, les engagements pris, les travaux de constructions effectués et les dépenses engagées dans la valeur totale du projet ;

–        il faut évaluer le stade de développement d’un projet d’investissement au regard de chacun des cas de figure relevant de cette notion, et

–        les engagements pris doivent porter sur l’installation de production d’électricité elle-même ou si ces engagements peuvent porter sur d’autres installations faisant partie d’un projet d’investissement global.

37      Aux points 60 à 62 de l’arrêt EWP, la Cour a considéré ce qui suit :

« 60      Partant, il ressort sans équivoque des considérants 42 à 44 de la décision de 2017 que, dans le contexte de cette décision, l’autorité compétente doit effectuer un contrôle au cas par cas, qui porte sur la question de savoir si le projet concerné se trouvait, à la date du 1er janvier 2017, à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin. Or, une telle appréciation ne se prête pas à un contrôle purement formel et peut requérir, selon les cas, une analyse économique approfondie.

61      Cette constatation n’est pas infirmée par les considérations énoncées aux points 61 et 68 de l’arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar (C‑349/17, EU:C:2019:172). Certes, à ces points, la Cour a, en substance, exclu que les autorités nationales compétentes puissent procéder à des appréciations économiques complexes au cas par cas et a limité le pouvoir de ces autorités à des constatations factuelles ou formelles. Toutefois, une telle limitation a été constatée en ce qui concerne l’application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) no 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles [107 et 108 TFUE] (Règlement général d’exemption par catégorie) (JO 2008, L 214, p. 3), qui doit faire l’objet d’une application uniforme dans les États membres, au moyen de critères clairs et simples à appliquer. En outre, ces considérations portaient sur un effet incitatif, présumé ou réel, de l’aide concernée.

62      En revanche, en l’occurrence, l’effet incitatif du régime d’aide estonien applicable avant les modifications visées par la décision de 2017 a été définitivement constaté par la Commission dans cette décision, de telle sorte que l’appréciation incombant à l’autorité nationale compétente porte exclusivement sur l’existence ou non d’une confiance légitime du maître d’ouvrage, justifiant une protection, dans l’obtention d’une aide au titre de ce régime d’aide. Or, un tel examen doit nécessairement être effectué au cas par cas et ne saurait être regardé comme se limitant à une appréciation purement factuelle ou formelle. »

38      Il ressort de ces considérations, premièrement, que l’analyse à effectuer ne doit pas porter sur l’existence d’un effet incitatif de l’aide demandée, celui-ci ayant déjà été constaté par la Commission pour le régime d’aide en cause dans sa décision de 2017, mais sur la confiance légitime du demandeur dans l’obtention de cette aide.

39      Deuxièmement, cette analyse ne peut pas se limiter à un contrôle purement formel des engagements inconditionnels et contraignants pris, mais doit être effectuée au cas par cas, porter sur le point de savoir si le projet se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin et peut requérir, selon les cas, une analyse économique approfondie.

40      En effet, une telle analyse vise à vérifier, au regard des considérations rappelées au point 30 de la présente ordonnance, si les investissements effectués dans le projet en cause ont permis d’atteindre un état d’avancement permettant d’assimiler le maître d’ouvrage à un producteur existant d’énergie renouvelable.

41      Troisièmement, il ressort également de ces considérations que l’état d’avancement mentionné au point précédent ne saurait être considéré comme étant atteint que si les préparatifs étaient accomplis et si l’engagement pris était suffisamment significatif, au regard de sa nature et de son coût, par rapport au volume total du projet d’investissement concerné. La Cour a, en outre, précisé que tel est le cas lorsque le début des travaux de construction, voire un engagement irréversible, porte sur la partie la plus significative du projet d’investissement en cause.

42      Quatrièmement, il résulte desdites considérations que cet état d’avancement peut être atteint dans chacun des cas de figure relevant de la notion de « début des travaux ». Partant, selon les circonstances, il peut s’avérer nécessaire d’examiner par rapport à chacun de ces cas de figure le point de savoir si ledit état a été atteint.

43      Cinquièmement, il résulte de la réponse à la première question que, aux fins de l’analyse à effectuer, seuls peuvent être pris en compte les engagements portant sur le projet d’investissement relatif à l’installation de production d’électricité elle-même, à l’exclusion de ceux portant sur d’autres installations faisant partie d’un projet d’investissement global.

44      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que, dans le contexte du considérant 42 de la décision de 2017, la notion de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), des lignes directrices de 2014, doit être interprétée en ce sens que, pour qu’un tel début soit reconnu,

–        l’État membre concerné n’est pas tenu établir l’existence d’un effet incitatif de l’aide demandée, l’appréciation incombant à l’autorité nationale compétente portant exclusivement sur l’existence ou non d’une confiance légitime du maître d’ouvrage dans l’obtention de cette aide ;

–        il est nécessaire d’examiner, dans chaque cas, si le projet se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin et que ce projet a atteint un état d’avancement permettant d’assimiler le maître d’ouvrage à un producteur existant d’énergie renouvelable ;

–        il convient de tenir compte de la part que représentent les investissements réalisés, les engagements pris, les travaux de constructions effectués et les dépenses engagées dans la valeur totale dudit projet, en vue de déterminer, notamment, si les engagements pris étaient suffisamment significatifs, au regard de leur nature et de leur coût, par rapport au volume total du projet d’investissement concerné ;

–        il faut évaluer le stade de développement d’un projet d’investissement, le cas échéant, au regard de chacun des cas de figure relevant de cette notion, et

–        seuls sont pris en compte les engagements pris portant sur le projet d’investissement relatif à l’installation de production d’électricité elle-même, à l’exclusion des engagements pris portant sur d’autres installations faisant partie d’un projet d’investissement global.

 Sur les dépens

45      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1)      La notion de « projet », au sens du considérant 42 de la décision C(2017) 8456 final de la Commission, du 6 décembre 2017, relative aux modifications du régime d’aide estonien en faveur des sources d’énergie renouvelables et de la cogénération, et celle de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 »,

doivent être interprétées en ce sens que :

elles ne concernent que la seule installation productrice d’énergie, sans qu’ait d’incidence à cet égard le fait qu’une telle installation puisse s’inscrire dans le cadre de projets d’investissement plus larges, comprenant d’autres installations le cas échéant économiquement et/ou techniquement liées à cette installation productrice d’énergie, qui font partie intégrante d’un projet global d’investissement et sont susceptibles de rendre plus rentable l’exploitation de ces installations.

2)      Dans le contexte du considérant 42 de la décision C(2017) 8456 final, la notion de « début des travaux », au sens du considérant 43 de cette décision et du point 19, sous 44), de ces lignes directrices, doit être interprétée en ce sens que, pour qu’un tel début soit reconnu,

–        l’État membre concerné n’est pas tenu d’établir l’existence d’un effet incitatif de l’aide demandée, l’appréciation incombant à l’autorité nationale compétente portant exclusivement sur l’existence ou non d’une confiance légitime du maître d’ouvrage dans l’obtention de cette aide ;

–        il est nécessaire d’examiner, dans chaque cas, si le projet se trouvait à un stade de développement tel qu’il apparaissait fort probable qu’il serait mené à bonne fin et que ce projet a atteint un état d’avancement permettant d’assimiler le maître d’ouvrage à un producteur existant d’énergie renouvelable ;

–        il convient de tenir compte de la part que représentent les investissements réalisés, les engagements pris, les travaux de constructions effectués et les dépenses engagées dans la valeur totale dudit projet, en vue de déterminer, notamment, si les engagements pris étaient suffisamment significatifs, au regard de leur nature et de leur coût, par rapport au volume total du projet d’investissement concerné ;

–        il faut évaluer le stade de développement d’un projet d’investissement, le cas échéant, au regard de chacun des cas de figure relevant de cette notion, et

–        seuls sont pris en compte les engagements pris portant sur le projet d’investissement relatif à l’installation de production d’électricité elle-même, à l’exclusion des engagements pris portant sur d’autres installations faisant partie d’un projet d’investissement global.

Signatures


*      Langue de procédure : l’estonien.