Language of document : ECLI:EU:T:2012:605

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

16 novembre 2012 (*)

« Référé – Concurrence – Publication d’une décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Rejet de la demande visant à obtenir un traitement confidentiel d’informations fournies à la Commission en application de sa communication sur la coopération – Demande de mesures provisoires – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑345/12 R,

Akzo Nobel NV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Akzo Nobel Chemicals Holding AB, établie à Nacka (Suède),

Eka Chemicals AB, établie à Bohus (Suède),

représentées par Mes C. Swaak et R. Wesseling, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito, M. Kellerbauer et G. Meessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2012) 3533 final de la Commission, du 24 mai 2012, portant rejet d’une demande de traitement confidentiel introduite par Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB et Eka Chemicals AB, en vertu de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (Affaire COMP/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate), et une demande de mesures provisoires visant à ordonner le maintien du traitement confidentiel accordé à certaines données relatives aux requérantes en ce qui concerne la décision 2006/903/CE de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel, Akzo Nobel Chemicals Holding, Eka Chemicals, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret S.A., Kemira OYJ, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (JO L 353, p. 54).

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La présente procédure de référé concerne la décision C (2012) 3533 de la Commission, du 24 mai 2012, portant rejet d’une demande de traitement confidentiel introduite par Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB et Eka Chemicals AB, en vertu de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (Affaire COMP/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (ci-après la « décision attaquée »).

2        Par la décision attaquée, la Commission européenne a rejeté la demande visant au maintien de la version non confidentielle de sa décision 2006/903/CE, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel, Akzo Nobel Chemicals Holding, Eka Chemicals, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret S.A., Kemira OYJ, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate), telle que publiée en septembre 2007 sur le site Internet de la direction générale « Concurrence » (JO L 353, p. 54, ci-après la « décision de 2006 »).

3        Dans la décision de 2006, la Commission avait constaté une infraction à l’article 81 CE commise par les requérantes, Akzo Nobel, Akzo Nobel Chemicals Holding et Eka Chemicals, et par quatorze autres entreprises entre 1994 et 2000 sur le territoire de l’Espace économique européen (EEE) en ce qui concerne le peroxyde d’hydrogène et le perborate. L’une des requérantes, Eka Chemicals, ayant été la deuxième entreprise à prendre contact, en mars 2003, avec la Commission en application de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération ») et ayant produit des éléments de preuve apportant une valeur ajoutée significative par rapport à ceux déjà en possession de la Commission, l’amende qui lui aurait autrement été imposée a fait l’objet d’une réduction de 40 %. En conséquence, les trois requérantes se sont vu infliger solidairement une amende de 25,2 millions d’euros.

4        Après avoir tenu compte des demandes de traitement confidentiel formulées par les destinataires de la décision de 2006, la Commission a publié, en septembre 2007, une version intégrale non confidentielle de cette décision sur son site Internet. Cette publication n’a pas été contestée par les requérantes.

5        Par lettre du 28 novembre 2011, la Commission a informé les requérantes de son intention de publier, pour des raisons de transparence, une version non confidentielle plus détaillée de la décision de 2006 et leur a donné l’occasion d’identifier, dans le texte proposé, d’éventuelles informations confidentielles. Après avoir constaté qu’une grande partie de la version plus détaillée proposée contenait des informations fournies sur le fondement de la communication sur la coopération, informations qui n’avaient pas été publiées en septembre 2007 pour des raisons de confidentialité, les requérantes se sont formellement opposées à la proposition de la Commission, au motif qu’elle porterait gravement et irréversiblement préjudice à leurs intérêts. Elles ont néanmoins présenté, sous toutes réserves, une liste de demandes de confidentialité mettant en exergue les passages de la version plus détaillée proposée qui devraient rester en tout état de cause confidentiels.

6        Par lettre du 15 mars 2012, la Commission a informé les requérantes de son intention de passer outre leur opposition, en leur communiquant un projet révisé de la version non confidentielle plus détaillée de la décision de 2006. Elle leur a fait savoir que ce projet révisé reflétait sa position définitive concernant les demandes de confidentialité, toutes les informations permettant de déterminer la provenance des informations fournies dans le contexte de la communication sur la coopération ayant été occultées. La Commission a invité les requérantes à saisir, en cas de désaccord, le conseiller-auditeur en vertu de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO L 275, p. 29).

7        Par lettre du 10 avril 2012, les requérantes ont informé le conseiller-auditeur qu’elles s’opposaient à la publication d’une version non confidentielle de la décision de 2006 qui serait plus détaillée que celle publiée en septembre 2007 et l’ont prié d’éviter la publication de toute information fournie sur le fondement de la communication sur la coopération. À cet égard, elles ont dénoncé une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, étant donné qu’une version non confidentielle avait, après concertation, déjà été publiée en 2007. En outre, elles ont affirmé avoir nourri des attentes quant au traitement confidentiel des informations volontairement fournies en application de la communication sur la coopération, la Commission étant empêchée de s’écarter, avec effet rétroactif, de sa pratique ancienne, consistant précisément à protéger la confidentialité de telles informations.

8        Dans la décision attaquée, signée « [p]our la Commission », le conseiller-auditeur a rejeté la demande de traitement confidentiel présentée par les requérantes. Il a souligné le caractère limité de son mandat, qui ne lui permettait que d’examiner si l’information en question pouvait être divulguée, parce qu’elle ne constituait pas un secret d’affaires ou une autre information confidentielle ou que sa divulgation présentait un intérêt majeur. En outre, il a indiqué que les requérantes n’affirmaient pas que la version plus détaillée de la décision de 2006 contenait des informations confidentielles ou des secrets d’affaires, mais s’opposaient à la publication de cette version au seul motif qu’elle comportait des informations fournies en application de la communication sur la coopération, alors qu’elles n’avaient pas démontré que la divulgation de ces informations risquerait de leur causer un préjudice grave, ce qui n’empêcherait d’ailleurs nullement la Commission, même si tel était le cas, de procéder à la publication envisagée.

9        La décision attaquée a été notifiée aux requérantes les 28 et 29 mai 2012.

10      Par courrier électronique du 31 mai 2012, la Commission a fait savoir aux requérantes que la décision attaquée était sa position définitive sur cette question.

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 août 2012, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée, et ce non seulement en ce que, dans cette décision, la Commission a rejeté leur demande de traitement confidentiel, mais également en tant qu’elle doive être considérée comme ayant accordé l’accès à certaines informations sur la base du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43). À l’appui de ce recours, elles font valoir, en substance, que la publication litigieuse viole l’obligation de confidentialité incombant à la Commission en vertu de l’article 339 TFUE ainsi que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, en ce que la version plus détaillée de la décision de 2006 contient des informations qu’elles avaient fournies à la Commission en vue de bénéficier de la communication sur la coopération.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir, en application de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur la présente demande en référé ou, en tout état de cause, sur le recours principal,

–        en ce que cette décision permet à la Commission de publier une version non confidentielle plus détaillée de la décision de 2006 et, à cette fin, ordonner à la Commission de s’abstenir de publier une telle version,

–        dans la mesure où cette décision autoriserait, en vertu du règlement no 1049/2001, l’accès au texte intégral de la décision de 2006 et, à cette fin, ordonner à la Commission de s’abstenir d’autoriser un tel accès ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      Par ordonnance du 7 août 2012, le président du Tribunal a accordé, en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, les mesures provisoires demandées par les requérantes.

14      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 26 septembre 2012, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

15      Admettant qu’elles ignorent si la Commission a effectivement pris une décision d’accès au texte intégral de sa décision de 2006 en application du règlement no 1049/2001, les requérantes estiment que la décision attaquée peut être interprétée comme comportant une autorisation implicite d’accès en vertu dudit règlement. Par conséquent, leur demande en référé viserait la décision attaquée non seulement en ce qu’elle permet la publication litigieuse, mais également dans la mesure où elle peut être considérée comme autorisant, en vertu du règlement no 1049/2001, l’accès aux informations confidentielles qu’elles avaient fournies à la Commission en application de la communication sur la coopération.

16      La Commission précise qu’il n’existe, à ce jour, aucune décision par laquelle elle aurait accordé l’accès aux informations litigieuses en vertu du règlement no 1049/2001. Quant à la décision attaquée, elle aurait expressément été fondée sur le seul règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), et sur la seule décision 2011/695.

17      À cet égard, le juge des référés ne peut que prendre acte du fait que ni la présente demande en référé ni le recours principal n’a pour objet une décision qui aurait déjà été prise par la Commission en application du règlement no 1049/2001. C’est donc par pure précaution que les requérantes essaient d’obtenir que le juge des référés interdise à la Commission d’adopter une telle décision, ce qui revient à une action préventive tendant à empêcher la Commission d’agir. Or, les compétences du juge des référés se limitent à exercer un contrôle juridictionnel sur les actes administratifs que la Commission a déjà pris, mais ne s’étendent pas à l’appréciation de questions sur lesquelles cette institution ne s’est pas encore prononcée. Un tel pouvoir comporterait, en effet, une anticipation du débat au fond et une confusion des procédures administrative et judiciaire, incompatible avec le système de répartition des compétences entre la Commission et le juge de l’Union européenne (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 12 juillet 1996, Sogecable/Commission, T‑52/96 R, Rec. p. II‑797, point 39). Le juge des référés ne peut donc empêcher la Commission d’exercer ses pouvoirs administratifs, avant même qu’elle n’ait adopté l’acte définitif dont les requérantes désirent éviter l’exécution, que dans des circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 5 décembre 2001, Reisebank/Commission, T‑216/01 R, Rec. p. II‑3481, point 52), circonstances dont l’existence n’a pas été établie par les requérantes en l’espèce.

18      Il s’ensuit que la présente demande en référé doit être déclarée irrecevable en ce qu’elle vise, d’une part, à obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée dans la mesure où celle-ci autoriserait, en vertu du règlement no 1049/2001, l’accès au texte intégral de la décision de 2006 et, d’autre part, à ordonner à la Commission de s’abstenir d’autoriser un tel accès.

 Sur le fond

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

20      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

21      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

22      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

23      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’abord de procéder à la mise en balance des intérêts et d’examiner si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la mise en balance des intérêts et sur l’urgence

24      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des différents intérêts en présence consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 11 mai 1989, RTE e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, Rec. p. 1141, point 15, et du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142).

25      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), Rec. p. I‑8739, point 36]. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe (ordonnance du président du Tribunal du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T‑228/95 R, Rec. p. II‑111, point 61), de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 17 mai 1991, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90 R, Rec. p. I‑2557, point 24, et du président du Tribunal du 12 décembre 1995, Connolly/Commission, T‑203/95 R, Rec. p. II‑2919, point 16).

26      Il s’ensuit nécessairement que l’intérêt défendu par une partie à la procédure de référé n’est pas digne de protection dans la mesure où cette partie demande au juge des référés d’adopter une décision qui, loin de présenter un caractère purement provisoire, aurait pour effet de préjuger du sens de la future décision au fond et de la rendre illusoire en la privant d’effet utile. C’est d’ailleurs pour cette même raison que la demande en référé invitant le juge des référés à ordonner la divulgation « provisoire » d’informations prétendument confidentielles détenues par la Commission a été déclarée irrecevable en ce que l’ordonnance faisant droit à cette demande aurait été susceptible de neutraliser par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement sur le fond (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 23 janvier 2012, Henkel et Henkel France/Commission, T‑607/11 R, points 23 à 25).

27      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée – par laquelle la Commission a rejeté la demande des requérantes visant à ce qu’elle s’abstienne de publier les informations litigieuses – doit être annulée, notamment, pour violation du secret professionnel protégé à l’article 339 TFUE et pour méconnaissance de la nature confidentielle des informations que les requérantes avaient fournies à la Commission en vue de bénéficier de sa communication sur la coopération. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, les requérantes doivent être en mesure d’éviter que la Commission ne procède à une publication illicite des informations litigieuses. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à la Commission la publication immédiate des informations en cause et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

28      Ces considérations ne sont pas infirmées par la circonstance que même une publication effective des informations litigieuses n’aurait probablement pas pour effet de priver les requérantes d’un intérêt à agir en ce qui concerne l’annulation de la décision attaquée. En effet, la raison en est, notamment, que toute autre interprétation ferait dépendre la recevabilité du recours de la divulgation ou non par la Commission desdites informations et lui permettrait de se soustraire, par la création d’un fait accompli, au contrôle juridictionnel en procédant à une telle divulgation alors même qu’elle serait illégale (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, Rec. p. II‑4225, points 39 à 41). Or, ce maintien formel d’un intérêt à agir pour les besoins du litige principal n’empêche pas qu’un arrêt d’annulation prononcé après la publication des informations en cause n’aurait plus aucun effet utile pour les requérantes.

29      Par conséquent, l’intérêt de la Commission à voir rejeter la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par les requérantes, d’autant plus que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne reviendrait qu’à maintenir, pour une période limitée, le statu quo ayant existé pendant plusieurs années (voir, en ce sens, ordonnance RTE e.a./Commission, précitée, point 15 ; voir également ordonnance du président du Tribunal du 16 novembre 2012, Evonik Degussa/Commission, T‑341/12 R, point 24).

30      Il apparaît urgent de protéger l’intérêt défendu par les requérantes, lorsqu’elles risquent de subir un préjudice grave et irréparable en cas de rejet de leur demande en référé. Dans ce contexte, les requérantes soutiennent, en substance, que la situation résultant d’une publication de la version plus détaillée de la décision de 2006 ne pourrait plus être effacée. Une fois les informations confidentielles publiées, une annulation ultérieure de la décision attaquée pour violation du secret professionnel protégé par l’article 339 TFUE n’inverserait pas les effets découlant de la publication. En conséquence, le droit des requérantes à une protection juridictionnelle effective ne serait qu’une « coquille vide » si les informations litigieuses étaient communiquées avant que le litige principal ne soit résolu.

31      À cet égard, force est de constater que, dans l’hypothèse où il s’avérerait, dans le litige principal, que la publication envisagée par la Commission porte sur des informations de nature confidentielle dont la divulgation se heurte à la protection du secret professionnel, en vertu de l’article 339 TFUE, les requérantes pourraient invoquer cette disposition, qui leur confère un droit fondamental, pour s’opposer à cette publication.

32      Ainsi que la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, Rec. p. I‑581, points 47 et 48), en renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il peut en effet être nécessaire d’interdire la divulgation de certaines informations qualifiées de confidentielles, afin de préserver le droit fondamental d’une entreprise au respect de la vie privée, consacré à l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389, ci-après la « charte »), étant précisé que la notion de « vie privée » ne doit pas être interprétée comme excluant l’activité commerciale d’une personne morale. Par ailleurs, la Cour a jugé que l’entreprise en cause pourrait subir un « préjudice extrêmement grave » si certaines informations faisaient l’objet d’une communication irrégulière (voir, en ce sens, arrêt Varec, précité, point 54).

33      Étant donné que la Commission, en cas de rejet de la présente demande en référé, pourrait procéder à la publication immédiate des informations litigieuses, il serait à craindre que le droit fondamental des requérantes à la protection de leurs secrets professionnels, consacré à l’article 339 TFUE, à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la charte, soit irréversiblement vidé de toute signification en ce qui concerne lesdites informations. Dans le même temps, les requérantes risqueraient de voir compromettre leur droit fondamental à un recours effectif, consacré à l’article 6 de la CEDH et à l’article 47 de la charte, si la Commission était autorisée à publier les informations en cause avant que le Tribunal ait statué sur le recours principal. Par conséquent, les droits fondamentaux des requérantes étant susceptibles d’être gravement et irréparablement lésés, sous réserve d’un examen de la condition relative au fumus boni juris (voir, pour le lien étroit entre cette dernière condition et la condition relative à l’urgence, ordonnance du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, points 56 et 57), il apparaît urgent d’accorder les mesures provisoires sollicitées (voir également ordonnance Evonik Degussa/Commission, précitée, points 26 à 28).

 Sur le fumus boni juris

34      Selon une jurisprudence bien établie, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours principal apparaît, à première vue, pertinent et, en tout cas, non dépourvu de fondement sérieux, en ce qu’il révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure principale, ou lorsque le débat mené entre les parties révèle l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée (ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, point 13, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 8 mai 2003, Commission/Artegodan e.a., C‑39/03 P‑R, Rec. p. I‑4485, point 40).

35      En l’espèce, rappelant que la version non confidentielle de la décision de 2006, telle que publiée en 2007, a été le fruit d’un long processus au cours duquel la Commission a tenu compte, d’une part, du secret professionnel ainsi que des attentes légitimes d’entreprises ayant bénéficié de la communication sur la coopération et, d’autre part, de l’intérêt public à la transparence, les requérantes font valoir que, par la publication d’une version plus détaillée de la décision de 2006 contenant des informations fournies au titre de la communication sur la coopération, la Commission enfreint l’obligation au respect du secret professionnel prévue à l’article 339 TFUE, à l’article 30 du règlement n° 1/2003 et à l’article 16 de son règlement (CE) n° 773/2004, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par [elle] en application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO L 123, p. 18).

36      Se référant à l’arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539, point 34), les requérantes estiment que des informations fournies volontairement par des entreprises, assorties d’une demande de confidentialité fondée sur la communication sur la coopération, sont effectivement couvertes par la protection du secret professionnel au titre de l’article 339 TFUE. Dans l’arrêt Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, précité (points 64 et 66), le Tribunal aurait précisé que la communication sur la coopération accordait une protection à ces informations en tant que secrets professionnels. La Commission aurait, elle-même, préconisé le traitement confidentiel de telles informations dans de multiples affaires. Ainsi, reconnaissant que la divulgation d’informations provenant de demandes de clémence serait de nature à porter gravement préjudice aux demandeurs de clémence, puisqu’elle les désavantagerait de manière significative dans des procédures indemnitaires ouvertes à leur égard, la Commission aurait souligné devant le Tribunal (arrêt du 15 décembre 2011, CDC Hydrogene Peroxide/Commission, T‑437/08, Rec. p. II‑8251, point 57) et devant la Cour (arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, point 115) que l’intérêt à ce que ces informations ne soient pas divulguées méritait d’être protégé dans la mesure où il était essentiel au fonctionnement de son programme de clémence et de sa politique de répression des ententes.

37      Les requérantes reprochent encore à la Commission d’avoir enfreint sa communication sur la coopération, garantissant, aux points 29, 32 et 33, que les informations fournies par des entreprises dans le cadre d’une demande de clémence sont protégées par le secret professionnel et que ces entreprises peuvent se fonder sur des attentes légitimes à cet égard. La Commission étant liée par cette communication, la décision de publier une version plus détaillée de la décision de 2006 et de communiquer ainsi des informations provenant de la demande de clémence des requérantes violerait la protection conférée par la communication sur la coopération.

38      Selon les requérantes, la version de la décision de 2006, telle que publiée en septembre 2007, répondait déjà à l’objectif d’informer le public des motifs sous-tendant les actions de la Commission. Par conséquent, il n’y aurait « pas d’intérêt pertinent, ni de justification » à la publication plus détaillée prévue, qui pourrait l’emporter sur les attentes légitimes individuelles des requérantes quant au caractère définitif de la version publiée en 2007 et au traitement confidentiel des informations provenant de leur demande de clémence. La publication d’une version plus détaillée plus de quatre ans après la publication initiale violerait également le principe de sécurité juridique. Si la Commission désire modifier sa pratique ancienne, consistant à protéger la confidentialité d’informations provenant de demandes de clémence, elle devrait le faire pour les demandes à venir et non de manière rétroactive lorsque, comme en l’espèce, la décision en cause a déjà été publiée il y a plus de quatre ans.

39      La Commission répond que la décision de procéder à la publication litigieuse avait déjà été prise dans sa lettre du 28 novembre 2011 (voir point 5 ci-dessus) pour des raisons de transparence. Si les requérantes avaient considéré cette décision comme illégale, elles auraient dû l’attaquer par un recours en annulation, et ce dans le délai de l’article 263, sixième alinéa, TFUE. Or, les requérantes se seraient abstenues de le faire. En tout état de cause, la condition relative au fumus boni juris ne serait pas satisfaite, aucun élément concret n’attestant à première vue le bien-fondé du recours en annulation introduit par les requérantes.

40      Se référant notamment à l’arrêt du Tribunal du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission (T‑198/03, Rec. p. II‑1429, point 78), et à l’arrêt Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, précité (point 72), la Commission fait valoir que les requérantes auraient facilement pu savoir que, conformément à l’article 30 du règlement no 1/2003 et à la jurisprudence constante sur cette disposition, elle était, en principe, autorisée à publier l’ensemble du contenu d’une décision finale en matière de concurrence. Ainsi, ni le secret professionnel des requérantes, ni la communication sur la coopération, ni les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime n’auraient été violés en l’espèce. La divulgation des informations litigieuses ne pourrait pas causer un préjudice sérieux aux requérantes, puisque leur position prétendument moins favorable dans des procédures indemnitaires engagées contre elles à la suite de la publication envisagée serait la conséquence légitime de leur comportement infractionnel. De plus, l’intérêt des requérantes à garder secrets les détails de leur participation au comportement illégal ne mériterait aucune protection particulière, compte tenu de l’intérêt du public de connaître le plus amplement possible les motifs de l’action de la Commission et de l’intérêt des personnes lésées par l’infraction d’en connaître les détails afin de pouvoir faire valoir, le cas échéant, leurs droits à l’encontre des entreprises sanctionnées.

41      La Commission ajoute que ne sont plus confidentielles même les informations qui l’ont été, mais datent de cinq ans ou plus et doivent, de ce fait, être tenues pour historiques, à moins, exceptionnellement, que leur fournisseur ne démontre que, malgré leur ancienneté, ces informations constituent toujours des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celle d’un tiers. Or, toutes les informations litigieuses dateraient de plus de cinq ans. Même si elles avaient été confidentielles à l’époque de leur transmission, ces informations devraient maintenant être tenues pour historiques, puisque les requérantes ne démontreraient pas que, malgré leur ancienneté, ces informations constituent toujours des éléments essentiels de leur position commerciale ou de celle d’un tiers.

42      Selon la Commission, les arrêts Adams/Commission et Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, précités, ne permettent pas d’affirmer que la communication sur la coopération prévoit la protection des informations provenant de demandes de clémence, en vertu du secret professionnel. Les points 32 et 33 de cette communication ne concerneraient que la divulgation de documents et de déclarations écrites. En revanche, les informations contenues dans ces documents ne seraient généralement pas protégées contre une divulgation. Admettant que, dans certains cas particuliers, elle s’est opposée, par le passé, à la divulgation de certains « documents » fournis par des entreprises sollicitant la clémence lorsque l’accès à ces documents dans d’autres pays ou ressorts judiciaires, ou au titre du règlement no 1049/2001, aurait pu remettre en question les restrictions à l’accès au dossier prévu par le règlement no 1/2003, la Commission affirme n’avoir, en revanche, jamais donné l’assurance qu’elle s’abstiendrait de divulguer des « informations » contenues dans ces documents.

43      Enfin, la Commission rappelle que le point 32 de la communication sur la coopération ne protège les documents relatifs à la clémence que dans le cadre « des objectifs de [ses] activités d’inspection et d’enquête », et non dans l’intérêt privé des entreprises sollicitant la clémence, et que son point 29 crée une confiance légitime des entreprises sollicitant la clémence uniquement en ce qui concerne l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes auxquelles elles ont droit dans certaines circonstances. Pour préserver l’attrait de son programme de clémence, la Commission pourrait juger nécessaire, dans des cas particuliers, de mettre sur un pied d’égalité les entreprises sollicitant la clémence et d’autres contrevenants en ne rendant pas accessibles des déclarations auto-incriminantes effectuées au titre de la clémence. En revanche, les entreprises sollicitant la clémence ne devraient pas être favorisées par rapport aux autres participants à l’entente en gardant secrète une partie de leur comportement infractionnel, étant donné que ce secret désavantagerait de manière excessive des tiers lésés par l’entente qui ont un intérêt légitime à demander réparation. Or, la divulgation de telles déclarations auto-incriminantes s’inscrirait dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE. La possibilité pour les particuliers de s’en prévaloir devant les juridictions nationales, qui serait facilitée par cette divulgation, serait un des piliers permettant de garantir l’effet utile du droit de la concurrence.

44      À cet égard, le juge des référés constate, tout d’abord, que la Commission, par sa référence au prétendu caractère décisionnel de la lettre du 28 novembre 2011, vise soit à contester, dans le cadre du fumus boni juris, la recevabilité du recours en annulation sur lequel se greffe la demande en référé (en alléguant que la décision attaquée ne fait que confirmer la décision du 28 novembre 2011 devenue définitive), soit à prétendre que les requérantes sont forcloses à invoquer la confidentialité des informations qu’elles lui avaient fournies en application de la communication sur la coopération. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de la Commission doit prima facie être écartée. En effet, dans sa lettre du 15 mars 2012 (voir point 6 ci-dessus), la Commission ne s’est pas prévalue du caractère définitif d’une décision qui aurait, le 28 novembre 2011, déjà rejeté la demande de confidentialité des requérantes, mais elle les a, tout au contraire, invité à saisir le conseiller-auditeur, dans l’hypothèse où elles maintiendraient cette demande. En outre, dans son courrier électronique du 31 mai 2012 (voir point 10 ci-dessus), la Commission a expressément confirmé que la décision attaquée était sa position définitive en la matière.

45      Rien ne s’oppose donc à ce que le fumus boni juris du recours en annulation formé par les requérantes fasse l’objet d’un examen complet.

46      Comme il a déjà été exposé dans le cadre de la mise en balance des intérêts, l’arrêt à rendre ultérieurement sur le fond devra trancher, en substance, le point de savoir si la décision attaquée viole le droit au secret professionnel des requérantes, garanti par l’article 339 TFUE, l’article 8 de la CEDH et l’article 7 de la charte, parce que la publication prévue par la Commission comporte des indications que les requérantes lui ont communiquées sur le fondement de la communication sur la coopération et qui, par conséquent, de par leur origine et leur essence, constituent des informations confidentielles qui doivent être protégées contre une publication.

47      Contrairement à ce que semble soutenir la Commission, la jurisprudence ne permet pas de répondre aisément à cette question, qui requiert au contraire un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale, d’autant plus que les problèmes soulevés par la confidentialité à accorder aux demandes de clémence (ci-après la « problématique liée à la clémence ») ne sont expressément envisagés ni dans le règlement no 1/2003 ni dans le règlement no 1049/2001.

48      En effet, aucun des arrêts plus particulièrement évoqués par les parties – arrêts Bank Austria Creditanstalt/Commission, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, Commission/Éditions Odile Jacob et Adams/Commission, précités – ne concerne la problématique liée à la clémence. S’agissant de l’arrêt du Tribunal du 22 mai 2012, EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission (T‑344/08, points 8 et 148), selon lequel, conformément au règlement no 1049/2001, l’accès à des documents fournis dans le cadre d’une demande de clémence ne saurait être refusé aux personnes lésées par une entente, car l’intérêt d’une société ayant participé à une entente à éviter des actions en dommages et intérêts ne constitue pas un intérêt digne de protection, il suffit d’observer que cet arrêt n’est pas encore définitif, puisque le pourvoi formé par la Commission est toujours pendant devant la Cour (affaire C‑365/12 P).

49      Par ailleurs, dans l’arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, Rec. p. I‑5161, point 30), concernant la question de l’accès général d’une personne lésée par une entente à des documents fournis dans le cadre d’une demande de clémence et détenus par des autorités de concurrence nationales, la Cour s’est contentée d’indiquer que la juridiction nationale devait veiller à mettre en balance les intérêts justifiant la communication des informations fournies volontairement par le demandeur de clémence et la protection de celles-ci, alors que, dans les conclusions sous cet arrêt présentées le 16 décembre 2010, l’avocat général, M. Mazák, s’est prononcé, en principe, contre l’accès aux déclarations, et aux documents s’y rapportant, qui ont été volontairement communiqués par des candidats à la clémence et dans lesquels ceux-ci reconnaissaient effectivement leur participation à une infraction à l’article 101 TFUE.

50      Par conséquent, la question de droit à trancher dans le cadre de la procédure principale n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive du juge de l’Union. Il convient d’y répondre en interprétant toutes les dispositions pertinentes, y compris la communication sur la coopération. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, la jurisprudence relative au règlement no 1049/2001 devrait aussi avoir de l’importance à cet égard, d’autant plus que la Commission fait elle-même référence à ce règlement au point 32 de la communication sur la coopération et dans sa lettre du 28 novembre 2011 (voir point 5 ci-dessus). Dans le cadre de la procédure principale, il faudra à tout le moins rechercher si la jurisprudence relative au règlement n° 1/2003, d’une part, et celle relative au règlement no 1049/2001, d’autre part, laissent apparaître d’éventuelles divergences d’appréciation en ce qui concerne la problématique liée à la clémence et, si c’est le cas, comment ces divergences peuvent être surmontées.

51      Dans le cadre de la procédure principale, il conviendra aussi d’examiner le bien-fondé de l’argumentation selon laquelle l’intérêt des requérantes à voir garder le secret des informations qu’elles avaient fournies en tant que demanderesses de clémence n’est pas digne de protection, parce que le programme de clémence de la Commission comporte une incitation suffisante en offrant des perspectives de remise d’amende, si bien que la Commission ne voit aucune nécessité de privilégier davantage les demandeurs de clémence. Il se peut que cette argumentation méconnaisse le fait qu’un demandeur de clémence encourt le risque de ne pas obtenir de réduction significative du montant de son amende, malgré ses aveux et la communication d’éléments à charge, dès que d’autres membres de l’entente l’ont précédé en informant la Commission.

52      À cet égard, il conviendra de prendre en compte, le cas échéant, l’arrêt de la Cour du 16 juillet 1992, Asociación Española de Banca Privada e.a. (C‑67/91, Rec. p. I‑4785, points 52 et 53), selon lequel le bénéfice résultant de la remise du montant de l’amende au profit d’une entreprise ayant notifié sa participation à une entente constitue la contrepartie du risque encouru par cette entreprise en dénonçant elle-même l’entente, du fait qu’elle risque, en effet, de se voir refuser la remise du montant de l’amende demandée et d’être sanctionnée pour ses agissements antérieurs à la notification. Selon la Cour, si les États membres pouvaient utiliser, comme moyens de preuve, les informations contenues dans une telle notification pour justifier des sanctions nationales, cela réduirait de façon substantielle la portée de l’avantage consenti aux entreprises notifiantes. La Cour en a déduit une interdiction d’utiliser ces informations.

53      Lorsque la Commission fait valoir que les informations litigieuses datent toutes, sans exception, de plus de cinq ans, si bien qu’elles ont de toute façon perdu leur caractère confidentiel, elle peut effectivement invoquer la jurisprudence relative au traitement confidentiel des pièces à communiquer à une partie intervenante conformément à l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure. Selon cette jurisprudence, des informations sur des entreprises qui ont été secrètes ou confidentielles, mais datent de cinq ans ou plus, doivent, en règle générale, être tenues pour historiques (voir, en ce sens, ordonnances du président de la quatrième chambre du Tribunal du 22 février 2005, Hynix Semiconductor/Conseil, T‑383/03, Rec. p. II‑621, point 60, et du président de la huitième chambre du Tribunal du 8 mai 2012, Spira/Commission, T‑108/07, point 65), car elles ont perdu leur valeur commerciale. Toutefois, dans le cadre de la procédure principale, il faudra examiner si cette appréciation, qui semble viser notamment des entreprises parties au litige se trouvant en situation de concurrence économique, est également adaptée au cas d’espèce, qui concerne la publication d’informations détaillées relatives à une infraction au droit de la concurrence, qui, même si elles sont anciennes, pourraient être importantes pour les personnes lésées par l’entente en ce qu’elles sont susceptibles, dans le cadre d’actions en indemnité dirigées contre les requérantes, de leur faciliter la présentation des faits nécessaires pour déterminer le montant du préjudice et le lien de causalité.

54      Dans le cadre de la procédure principale, il importera également de savoir si les requérantes, en mars 2003, lorsqu’elles ont communiqué les informations en cause à la Commission dans le cadre de la communication sur la coopération, pouvaient compter sur le fait que ces informations bénéficieraient, en tant qu’informations confidentielles par essence, d’une protection durable contre une publication. À cet égard, il est permis de considérer, à première vue, que, à ce moment là, la position de la Commission concernant la problématique liée à la clémence correspondait, en substance, à celle qu’elle a défendue comme suit dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt CDC Hydrogene Peroxide/Commission, précité (point 31) : le risque d’introduction d’une action en indemnité constitue un préjudice sérieux, susceptible de conduire, à l’avenir, les entreprises participant à une entente à ne plus coopérer, raison pour laquelle il ne saurait être admis que la protection du secret professionnel des entreprises coopérant avec elle dans le cadre d’une procédure en matière d’ententes soit affectée par une demande d’accès aux documents se fondant exclusivement sur des intérêts de droit privé. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission, précité (point 70), la Commission a étendu cette position à des procédures d’application du règlement no 1/2003, en ce sens que des participants à une entente qui lui divulguent volontairement des informations sont légitimement en droit d’attendre qu’elle ne divulgue pas les documents en cause et que ces derniers ne soient utilisés qu’aux fins de la procédure en matière de concurrence, y compris dans le cadre du contrôle opéré par le juge de l’Union. Par ailleurs, il est constant que, encore l’année dernière, la Commission s’est opposée à des demandes de communication semblables de la part de juridictions d’États membres et d’États tiers en invoquant des motifs similaires.

55      Le juge du fond devra examiner si les requérantes, en mars 2003, pouvaient considérer que cette position concernant la protection des informations communiquées dans le contexte de demandes de clémence, défendue très fermement par la Commission, influençait également l’interprétation du point 32 de la communication sur la coopération. Aux termes de cette disposition, la Commission s’abstient de divulguer, en vertu du règlement no 1049/2001, les « documents reçus conformément à la présente communication ». Compte tenu, à la fois, du droit fondamental au secret professionnel et du principe de confiance légitime, il pourrait paraître formaliste de limiter cette protection aux seuls « documents » visés par le règlement no 1049/2001, alors que le but poursuivi par une telle protection couvrirait également, et ce même dans le domaine du droit de la concurrence, la publication intégrale d’informations et de passages qui proviennent de tels documents. Enfin, il conviendra d’examiner, à cet égard, dans quelle mesure la thèse que défend en l’espèce la Commission, selon laquelle la mise en œuvre du droit des ententes au moyen d’actions en indemnité fait partie de la sanction des infractions au droit de la concurrence au sens du point 33 de la communication sur la coopération, est conciliable avec la position qu’elle a défendue dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission et CDC Hydrogene Peroxide/Commission, précitées.

56      Au vu des considérations qui précèdent, force est de constater que la présente affaire soulève des questions de droit complexes qui ne sauraient, à première vue, être considérées comme dénuées de pertinence, mais dont la solution mérite un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale. Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris (voir également ordonnance Evonik Degussa/Commission, précitée, points 38 à 50).

57      Il s’ensuit que, toutes les conditions étant remplies à cet effet, il convient de faire droit à la demande en référé par l’octroi de mesures provisoires visant à interdire à la Commission de publier les informations litigieuses.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision C (2012) 3533 de la Commission, du 24 mai 2012, portant rejet d’une demande de traitement confidentiel introduite par Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB et Eka Chemicals AB, en vertu de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (Affaire COMP/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate).

2)      Il est ordonné à la Commission de s’abstenir de publier une version de sa décision 2006/903/CE, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel, Akzo Nobel Chemicals Holding, Eka Chemicals, Degussa AG, Edison SpA, FMC Corporation, FMC Foret S.A., Kemira OYJ, L’Air Liquide SA, Chemoxal SA, Snia SpA, Caffaro Srl, Solvay SA/NV, Solvay Solexis SpA, Total SA, Elf Aquitaine SA et Arkema SA (Affaire COMP/F/C.38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate), qui soit plus détaillée, en ce qui concerne Akzo Nobel, Akzo Nobel Chemicals Holding et Eka Chemicals, que celle publiée en septembre 2007 sur son site Internet.

3)      La demande en référé est rejetée pour le surplus.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 16 novembre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.