Language of document : ECLI:EU:T:2023:876

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

22 décembre 2023 (*)

« Recours en annulation – REACH – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 – Lettre sollicitant la Commission afin qu’elle demande à l’ECHA de réexaminer l’identification du phénanthrène sur cette liste – Refus de la Commission de demander à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV du règlement no 1907/2006 – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑121/23,

Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA, établie à Anvers (Belgique), représentée par Mes H. Estreicher, A. Bartl et M. Escorneboueu, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. K. Mifsud-Bonnici et Mme E. Mathieu, en qualité d’agents,

et

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä, MM. W. Broere et S. Mahoney, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh et J. Laitenberger (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mars 2023,

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 30 mai 2023,

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’ECHA par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 juin 2023,

–        les observations de la requérante sur les exceptions d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 14 juillet 2023,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA, demande l’annulation de la lettre de la Commission européenne du 21 décembre 2022 (ci-après l’« acte attaqué ») par laquelle cette institution a refusé de demander à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV du règlement no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tendant à ce que l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) réexamine sa décision ED/88/2018, du 19 décembre 2018, par laquelle elle a inscrit le phénanthrène sur la liste des substances identifiées comme étant extrêmement préoccupantes prévue à l’article 59 du règlement no 1907/2006 (ci-après la « liste des substances candidates »).

 Antécédents du litige

2        Le 19 décembre 2018, l’ECHA a adopté la décision ED/88/2018.

3        Le 21 mars 2019, la requérante a introduit un recours en annulation devant le Tribunal contre la décision ED/88/2018.

4        Le Tribunal a rejeté ce recours par arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336).

5        Le 4 avril 2022, European Petroleum Refiners Association (ci-après « Concawe »), dont la requérante est membre, a envoyé à la Commission une lettre dans laquelle elle fournissait diverses études scientifiques et mentionnait les éléments suivants :

« Dans l’ensemble, ces informations constituent des données nouvelles, fiables, pertinentes et décisives qui démontrent clairement le caractère non persistant du phénanthrène dans les sédiments. Compte tenu i) de l’arrêt du [9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336)] et ii) des données nouvelles, pertinentes, fiables et décisives soumises avec la présente lettre, Concawe et ses membres sollicitent officiellement de la Commission qu’elle demande à l’ECHA de réexaminer entièrement l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante à la lumière des nouvelles informations qui montrent que le phénanthrène ne satisfait pas aux critères d’identification comme substance très persistante et très bioaccumulable (ci-après « vPvB ») au sens du règlement [no 1907/2006]. Concawe comprend que la Commission engagera cette demande de réexamen par l’ECHA de l’identification du phénanthrène en vertu de l’article 59 du règlement [no 1907/2006]. »

6        Le 5 août 2022, la Commission a transmis un courrier à l’ECHA dans lequel elle fournissait les études scientifiques dont il est fait mention au point précédent et qui mentionnait les éléments suivants :

« La Commission souhaite […] consulter l’ECHA pour une évaluation des informations soumises et, conformément à l’article 77, paragraphe 1, du règlement [no 1907/2006], demande à l’ECHA d’examiner si les informations jointes constituent effectivement des informations scientifiques nouvelles, fiables et pertinentes qui, dans le cadre d’une approche fondée sur la force probante des données, suscitent des doutes quant à l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante. [...] Sur la base de cette évaluation, la Commission décidera des prochaines étapes qu’il conviendra de suivre, y compris la possibilité de demander à l’ECHA d’élaborer un dossier conforme aux dispositions de l’article 59 du règlement [no 1907/2006], qui tienne compte d’un ensemble actualisé de preuves. »

7        Le 4 novembre 2022, le secrétariat de l’ECHA a transmis une lettre à la Commission (ci-après le « rapport de l’ECHA ») qui mentionnait que l’ECHA avait procédé à une évaluation des nouvelles informations et qu’elle « [avait] conclu que les nouvelles informations fournies par Concawe [...] n’[avaient] pas d’incidence sur l’évaluation antérieure réalisée par l’ECHA (comité des États membres) sur les propriétés vP de la substance et ne [justifiaient] pas de réexaminer l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante en raison de ses propriétés vPvB. »

8        Le 21 décembre 2022, la Commission a envoyé l’acte attaqué à Concawe, auquel elle a annexé le rapport de l’ECHA. Elle a notamment indiqué que, compte tenu des conclusions de l’ECHA, « les services de la Commission consid[éraient] qu’il n’[était] pas nécessaire d’examiner les mesures à prendre pour radier le phénanthrène de la liste des substances [candidates] ».

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission et l’ECHA aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

11      L’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

13      En l’espèce, la Commission et l’ECHA ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

14      À l’appui de leurs exceptions d’irrecevabilité, la Commission et l’ECHA font notamment valoir que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable dans la mesure où l’acte attaqué ne serait pas un acte attaquable.

15      La requérante, quant à elle, allègue que l’acte attaqué est un acte susceptible de recours.

16      Premièrement, elle considère que l’acte attaqué n’est pas une mesure préparatoire, mais qu’il établit la position définitive de la Commission et de l’ECHA.

17      Selon la requérante, l’ECHA a en effet de facto conduit un réexamen de l’inscription du phénanthrène sur la liste des substances candidates, à la lumière des informations fournies par Concawe, que l’ECHA a jugées nouvelles, pertinentes et fiables, tout en concluant que ces informations ne soutenaient pas la radiation de la substance litigieuse de la liste en cause. Ainsi, la requérante allègue que le réexamen qu’a conduit l’ECHA équivaut à une décision au titre de l’article 59 du règlement no 1907/2006, que l’ECHA n’est compétente pour adopter qu’à la condition que le comité des États membres parvienne à un accord unanime. Toutefois, selon la requérante, l’ECHA a adopté cette décision sans avoir suivi la procédure décrite à l’article 59 du règlement no 1907/2006. La requérante affirme ainsi que l’acte attaqué établit la position définitive et non équivoque de la Commission et de l’ECHA de refuser de retirer le phénanthrène de la liste des substances candidates, sur la base des éléments de preuve spécifiques produits par Concawe. Aussi, aucune autre décision ne saurait être attendue de leur part, à la suite de l’adoption de l’acte attaqué.

18      En outre, si la requérante ne remet pas en cause la possibilité que, à l’avenir, la classification du phénanthrène puisse être révisée sur la base de nouveaux éléments de preuve, elle fait toutefois valoir que, par les effets de l’acte attaqué, ladite classification ne saurait être révisée exclusivement sur la base des nouveaux éléments de preuve présentés par Concawe, car ils ne sauraient précisément plus être considérés comme nouveaux.

19      Deuxièmement, la requérante fait valoir que l’acte attaqué est contraignant pour les tiers. Elle précise que le maintien de l’obligation de fournir une fiche de sécurité n’est pas le résultat de la décision ED/88/2018, mais de l’acte attaqué. Cet acte constituerait, en substance, une nouvelle décision prise à la lumière des éléments de preuve fournis par Concawe et concluant que le phénanthrène devait continuer à figurer sur la liste des substances candidates.

20      Troisièmement, la requérante allègue que l’acte attaqué produit des effets juridiques distincts de la décision ED/88/2018 dans la mesure où cet acte constituerait une réponse à une demande présentée par Concawe, dans laquelle des faits nouveaux et substantiels avaient été portés à l’attention de la Commission et de l’ECHA.

21      Quatrièmement, la requérante affirme qu’elle disposait d’un droit procédural de demander le réexamen de la décision ED/88/2018. Ainsi, elle indique que, d’une part, au point 115 de l’arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336), le Tribunal a jugé que l’ECHA pouvait et, le cas échéant, devait procéder à un réexamen sur la base d’informations nouvelles et pertinentes et que, d’autre part, il n’y a pas de limites quant aux personnes susceptibles d’apporter ces nouvelles informations. L’obligation de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve serait ainsi, selon la requérante, la source d’un droit procédural pour elle, ainsi que pour toute personne qui présenterait de nouveaux éléments de preuve répondant au critère susmentionné. La requérante affirme que l’existence même d’un tel droit procédural serait démontrée par le fait que la Commission a accepté d’examiner les nouveaux éléments de preuve en vue d’un réexamen de la décision ED/88/2018.

22      Il y a lieu d’examiner si l’acte attaqué constitue un acte attaquable.

 Sur la demande d’annulation de l’acte attaqué

 Observations liminaires

23      En premier lieu, il convient d’observer qu’aucune disposition du règlement no 1907/2006 ne détaille la procédure de réexamen d’une substance qui a été auparavant inscrite sur la liste des substances candidates si, sur la base de nouvelles données, les critères énoncés à l’article 57 du règlement no 1907/2006 ne sont plus remplis pour ladite substance.

24      Bien que le règlement no 1907/2006 ne prévoie pas de dispositions expresses concernant la possibilité de réexaminer l’inclusion d’une substance dans la liste des substances candidates au titre de l’article 59 du règlement no 1907/2006, il convient de rappeler que toute décision adoptée au titre de cette disposition peut, en règle générale, être réexaminée au regard de nouvelles informations disponibles sans qu’une disposition expresse soit nécessaire. À cet égard, il convient de relever que l’article 58, paragraphe 8, du règlement no 1907/2006 prévoit que les substances incluses dans l’annexe XIV de ce règlement en sont retirées dès lors que, du fait de nouvelles informations, elles ne remplissent plus les critères visés à l’article 57 dudit règlement. Cette disposition présuppose ainsi que l’ECHA peut et, le cas échéant, doit procéder à un réexamen sur la base de nouvelles informations pertinentes. Étant donné que l’identification d’une substance au titre des articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 est effectuée en vue de son inclusion à terme dans l’annexe XIV dudit règlement, le droit et, le cas échéant, l’obligation de procéder à un réexamen sur la base de nouvelles informations s’applique a fortiori notamment aussi dans la période entre, d’une part, l’identification d’une substance au titre de l’article 57 du règlement no 1907/2006 et son inclusion dans la liste des substances candidates et, d’autre part, l’inclusion ultérieure dans l’annexe XIV de ce règlement. Partant, toute nouvelle information résultant d’une étude qui était encore en cours de réalisation au moment de l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante est donc susceptible d’être prise en compte, le cas échéant, même après l’identification prévue aux articles 57 et 58 du règlement no 1907/2006, et avant l’inclusion ultérieure de celle-ci dans l’annexe XIV dudit règlement (arrêts du 16 décembre 2020, PlasticsEurope/ECHA, T‑207/18, EU:T:2020:623, points 53 et 54 et du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA, T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336, points 114 et 115).

25      Il ressort en outre de la jurisprudence qu’il existe un principe général de droit selon lequel, en principe, l’organe qui est compétent pour adopter un certain acte juridique est également compétent pour l’abroger ou le modifier par l’adoption d’un actus contrarius, à moins qu’une disposition expresse ne confère cette compétence à un autre organe (arrêt du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00, EU:T:2002:278, point 130).

26      Conformément à la règle du parallélisme des formes et de l’actus contrarius, la correction d’une décision doit intervenir de la même façon que la décision initiale [arrêt du 14 décembre 2006, Gagliardi/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (MANŪ MANU MANU), T‑392/04, non publié, EU:T:2006:400, point 53].

27      En second lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêts du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 54 et du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 37). Pour déterminer si l’acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier lesdits effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de ce même acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32 et jurisprudence citée).

28      Par ailleurs, lorsqu’une décision revêt un caractère négatif, elle doit être appréciée en fonction de la nature de la demande à laquelle elle constitue une réponse (voir ordonnance du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission, C‑150/06 P, non publiée, EU:C:2007:164, point 22 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’un refus est un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE, dès lors que l’acte que l’institution refuse de prendre aurait pu être attaqué en vertu de cette disposition (voir arrêt du 22 octobre 1996, Salt Union/Commission, T‑330/94, EU:T:1996:154, point 32 et jurisprudence citée).

29      C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner si l’acte attaqué constitue un acte attaquable.

 Sur l’existence d’un refus d’adopter un acte attaquable

30      Il importe de relever que, en ce qui concerne le contenu de l’acte attaqué, la Commission a indiqué que ses services avaient considéré, sur la base d’un rapport de l’ECHA, « qu’il n’[était] pas nécessaire d’examiner les mesures à prendre pour radier le phénanthrène de la liste des substances [candidates] ».

31      L’acte attaqué fait suite à une demande adressée par Concawe à la Commission visant à ce que, à la lumière de nouvelles informations, cette dernière demande à l’ECHA de réexaminer entièrement l’identification du phénanthrène comme substance extrêmement préoccupante selon la procédure prévue à l’article 59 du règlement no 1907/2006.

32      Il en découle que l’acte attaqué consiste en un refus de la Commission d’engager la procédure visée à l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006.

33      Eu égard à la jurisprudence citée au point 28 ci‑dessus, l’acte attaqué ne pourrait donc constituer un acte attaquable que si la demande que la Commission a la faculté de soumettre à l’ECHA, au titre de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006, était également susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

34      À cet égard, en premier lieu, l’acte attaqué, en ce qu’il vise les « mesures à prendre pour radier le phénanthrène de la liste des substances [candidates] » montre que la Commission n’a pas jugé nécessaire d’adopter un acte qui intervient au début de la procédure visée à l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006.

35      En deuxième lieu, il y a lieu de souligner que, en application de la règle du parallélisme des formes rappelée au point 26 ci-dessus, si une substance ne remplit plus les critères énoncés à l’article 57 du règlement no 1907/2006, la procédure décrite à l’article 59 du règlement no 1907/2006 doit être suivie afin de procéder à sa radiation de la liste.

36      À cet égard, d’abord, il ressort des paragraphes 2 et 3 de l’article 59 du règlement no 1907/2006 que la procédure d’identification des substances extrêmement préoccupantes et d’inscription de ces substances sur la liste des substances candidates débute, soit par une demande adressée par la Commission à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV dudit règlement, soit en raison de l’élaboration, par un État membre, d’un dossier conformément à cette même annexe.

37      Ensuite, en application de l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006, le dossier conforme aux prescriptions de l’annexe XV est publié sur le site Internet de l’ECHA et un délai est laissé pour présenter des observations.

38      Enfin, selon les paragraphes 6 à 8 de l’article 59 du règlement no 1907/2006, si l’ECHA ne reçoit ou n’émet aucune observation, elle inclut cette substance sur la liste des substances candidates. En revanche, lorsque des observations ont été reçues ou émises, l’ECHA adresse le dossier au comité des États membres. Sur ce point, si, dans les trente jours qui suivent le renvoi du dossier, le comité des États membres parvient à un accord unanime sur l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante, l’ECHA inclut la substance concernée sur la liste des substances candidates. Dans le cas contraire, la Commission élabore un projet de proposition sur l’identification de la substance dans les trois mois qui suivent la réception de l’avis du comité des États membres. Une décision définitive concernant l’identification de la substance comme extrêmement préoccupante est alors prise par la Commission conformément à la procédure de réglementation avec contrôle prévue à l’article 5 bis de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO 1999, L 184, p. 23), telle que modifiée.

39      Il s’ensuit que la demande, que la Commission a la faculté de soumettre à l’ECHA, au titre de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006, ne constitue pas un acte attaquable, en raison de son caractère préalable à l’élaboration, par cette agence, d’un dossier conforme à l’annexe XV dudit règlement et donc à la mise en œuvre de la procédure de réexamen résultant de la règle du parallélisme des formes et de l’actus contrarius, ce que la requérante ne conteste d’ailleurs pas.

40      Partant, l’acte attaqué consiste en un refus d’adopter un acte qui n’est pas attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

41      En troisième lieu, cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation de la requérante selon laquelle les appréciations portées dans l’acte attaqué seraient définitives.

42      À cet égard, premièrement, l’affirmation de la requérante, selon laquelle la Commission et l’ECHA auraient de facto adopté une décision de réexamen de la décision ED/88/2018, n’est pas fondée. En effet, la Commission s’est limitée, comme elle était en droit de le faire, à consulter l’ECHA concernant les informations soumises par Concawe, conformément à l’article 77, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006. Ce faisant, la Commission et l’ECHA n’ont donc aucunement conduit, implicitement ou explicitement, un réexamen de la décision ED/88/2018, lequel réexamen doit être conduit selon la procédure énoncée à l’article 59 du règlement no 1907/2006. L’acte attaqué constitue ainsi uniquement un refus de la Commission de demander à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV dudit règlement. Sur ce point, la Commission dispose, en vertu de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006, de la faculté de faire ou de ne pas faire une telle demande à l’ECHA, qui est un acte de procédure préalable et qui, dans le cas d’espèce, précéderait un réexamen de la décision ED/88/2018.

43      L’acte attaqué, adopté par la Commission, ne crée, en outre, contrairement à ce qu’allègue la requérante, aucun effet juridique distinct de la décision ED/88/2018, adoptée par l’ECHA, puisque l’acte attaqué ne se substitue, en aucun cas, à la décision ED/88/2018 qui continue donc de produire ses propres effets.

44      Deuxièmement, il y a lieu de noter que la Commission n’est pas habilitée à procéder elle-même au réexamen d’une décision de l’ECHA d’inscrire une substance sur la liste des substances candidates.

45      En effet, selon l’article 59 du règlement no 1907/2006, expressément visé par Concawe dans sa demande de réexamen, la Commission est seulement investie du pouvoir de demander à l’ECHA d’élaborer un dossier, conformément aux sections pertinentes de l’annexe XV de ce règlement, en vue de l’identification, selon la procédure prévue aux paragraphes 2 à 10 de cet article, des substances remplissant les critères visés à l’article 57 de ce même règlement et de l’établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV dudit règlement.

46      Troisièmement, l’argumentation de la requérante rappelée au point 18 ci-dessus et tirée de ce que les informations qu’elle a soumises à la Commission en vue d’un réexamen ne pourraient plus être qualifiées de nouvelles ne peut prospérer. En effet, d’une part, la Commission n’a pas procédé à un réexamen en l’espèce et elle n’était pas habilitée à le faire. D’autre part, le caractère nouveau des informations soumises par la requérante en vue de solliciter à nouveau un réexamen devrait être apprécié uniquement au regard des informations qui ont été prises en compte aux fins de l’adoption de la décision ED/88/2018, à savoir lors de l’inscription du phénanthrène sur la liste des substances candidates.

47      Par conséquent, indépendamment du fait que l’acte attaqué fait obstacle à l’engagement de la procédure de réexamen, la réponse qu’il contient consiste en un refus d’adopter un acte qui n’est pas attaquable et qui est fondé sur des appréciations qui ne sont pas définitives. L’acte attaqué n’est donc pas, en tant que tel, susceptible d’un recours en annulation.

 Sur l’existence d’éventuels droits procéduraux accordés à la requérante

48      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsqu’un texte confère à certaines personnes le droit de demander à la Commission d’ouvrir une procédure, notamment en vue d’adopter un acte, ou qu’il prévoit que ces personnes bénéficient de garanties procédurales lors d’une telle procédure, le refus de la Commission d’ouvrir cette procédure constitue un acte attaquable. En effet, ce refus met fin à la procédure initiée par les personnes en cause sur le fondement dudit texte. Un tel refus exprime la position définitive de la Commission et produit des effets juridiques obligatoires et, partant, est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (voir ordonnance du 8 avril 2021, CRII-GEN e.a./Commission, T‑496/20, non publiée, EU:T:2021:179, point 26 et jurisprudence citée).

49      Il y a donc lieu, en l’espèce, d’examiner si, dans le cadre de la procédure décrite à l’article 59 du règlement no 1907/2006, la requérante disposait du droit de saisir la Commission d’une demande d’initier ladite procédure de sorte que le refus d’engager celle-ci constituerait une prise de position définitive de la Commission produisant des effets juridiques obligatoires à l’égard de la requérante au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent.

50      En premier lieu, il ne ressort pas des termes de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006 que le législateur de l’Union européenne ait entendu conférer aux particuliers, tels que la requérante, le droit de demander l’ouverture de la procédure d’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates ou le droit de demander le réexamen d’une telle inscription.

51      En effet, selon cette disposition seul un État membre ou l’ECHA, sur demande de la Commission, peut soumettre un dossier établi conformément à l’annexe XV afin de proposer qu’une substance soit identifiée comme extrêmement préoccupante et inscrite sur la liste des substances candidates.

52      Ainsi, en application de la règle du parallélisme des formes mentionnée au point 26 ci-dessus, seul un État membre ou l’ECHA, sur demande de la Commission, peut soumettre un dossier établi conformément à l’annexe XV afin de proposer le réexamen de l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates.

53      En revanche, la règle du parallélisme des formes ne peut justifier l’octroi d’un droit subjectif, à la requérante ou au Concawe, d’exiger de la Commission qu’elle demande à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV ou d’exiger d’un État membre qu’il élabore un tel dossier.

54      Il s’ensuit que l’article 59 du règlement no 1907/2006 ne saurait constituer le fondement d’une demande d’une personne physique ou morale de nature à contraindre la Commission à demander à l’ECHA d’élaborer un dossier conformément à l’annexe XV et donc que la requérante ne dispose d’aucun droit d’exiger de la Commission qu’elle demande à l’ECHA d’élaborer et de soumettre un dossier conformément à l’annexe XV.

55      Contrairement à ce qu’affirme la requérante, cette conclusion n’est pas infirmée par le point 115 de l’arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336), qui énonce que l’ECHA peut et, le cas échéant, doit procéder à un réexamen sur la base d’informations nouvelles et pertinentes.

56      En effet, ce point 115 de l’arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336) se limite à constater, d’une part, que, en l’absence de dossier élaboré conformément à l’annexe XV, le réexamen d’informations nouvelles et pertinentes constitue une possibilité pour l’ECHA et, en particulier, son comité des États membres, et d’autre part, qu’un tel réexamen constitue une obligation si, le cas échant, un dossier est élaboré conformément à l’annexe XV par l’ECHA ou un État membre.

57      Ainsi, l’arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA (T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336) ne reconnaît aucun droit procédural en faveur de particuliers leur permettant d’exiger de la Commission qu’elle soumette une demande à l’ECHA au titre de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006. Il incombe uniquement à la Commission ou aux États membres d’examiner, s’il y a lieu de formuler une telle demande.

58      En second lieu, il est vrai que l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 énonce que, à la suite de la publication sur son site Internet d’un avis indiquant qu’un dossier conforme aux prescriptions de l’annexe XV a été élaboré pour une substance donnée, les parties intéressées sont invitées à soumettre leurs informations à l’ECHA sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV.

59      Toutefois, il a déjà été jugé que l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 ne garantissait pas un droit d’être entendu aux parties intéressées. Cette disposition se limite à prévoir une consultation publique qui ne confère aux parties intéressées aucun droit procédural spécifique autre que celui de soumettre des informations. Ainsi, l’ECHA n’est pas tenue, en vertu de cette disposition, d’entendre un particulier qui pourrait être concerné par la décision prise au terme de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Exxonmobil Petroleum & Chemical/ECHA, T‑177/19, non publié, EU:T:2021:336, points 243 et 244).

60      En tout état de cause, d’une part, l’applicabilité de l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 présuppose, selon la lettre même de cette disposition, qu’un dossier conforme aux prescriptions de l’annexe XV ait été élaboré par l’ECHA à la demande de la Commission ou par un État membre. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

61      D’autre part, un opérateur qui souhaite obtenir le retrait d’une substance de la liste des substances candidates et qui, à cette fin, s’adresse à la Commission ou à un État membre, présente nécessairement ses observations à cette institution ou à l’État membre concerné sur les données qui, selon lui, justifient un tel retrait.

62      Il s’ensuit que l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006 ne comporte aucune garantie procédurale de nature à rendre le présent recours recevable.

63      D’après la requérante, s’oppose à une telle conclusion le fait que le refus d’une demande de réexamen de l’inscription d’une substance sur la liste des substances candidates constitue, ne fût-ce que de facto, une décision de maintien de ladite substance sur la liste des substances candidates. Or, en l’absence d’une possibilité de contester une telle décision, les producteurs, fournisseurs et utilisateurs de la substance concernée seraient privés d’une protection juridictionnelle effective.

64      Sur ce point, il importe de relever que, si elle devait être suivie, cette argumentation de la requérante reviendrait à créer une procédure inédite par la voie jurisprudentielle. Or, le Tribunal ne dispose pas, eu égard aux principes de l’équilibre institutionnel et de l’attribution des compétences, tels que consacrés à l’article 13, paragraphe 2, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15), C‑687/15, EU:C:2017:803, point 40 et jurisprudence citée], de la compétence pour aménager les dispositions du règlement no 1907/2006.

65      En l’absence, dans l’état actuel du droit, de disposition spécifique dans le règlement no 1907/2006, la Commission ou les États membres sont les seuls habilités à déclencher ou non la procédure de réexamen de l’inscription d’une substance sur la liste de substances candidates ce qui exclut le droit, pour une personne physique ou morale, d’exiger que ceux-ci prennent position sur leur demande de réexamen voire, lorsqu’une telle position a été adoptée par la Commission, d’introduire un recours en annulation.

66      À cet égard, la circonstance que la Commission n’ait pas rejeté, sans examen préalable, les éléments fournis par la requérante mais que, dans un souci de diligence, elle ait consulté l’ECHA sur le fondement de l’article 77 du règlement no 1907/2006 au sujet desdits éléments ne peut avoir pour conséquence de contraindre ladite institution de demander à l’ECHA d’élaborer et de soumettre un dossier conformément à l’annexe XV.

67      La demande d’annulation de l’acte attaqué est donc rejetée comme étant irrecevable.

 Sur le rapport de l’ECHA

68      Pour autant que la requérante demande également l’annulation du rapport de l’ECHA pris isolément, ce qui ne ressort pas expressément de ses écritures, il convient de constater que ce rapport n’est pas un acte susceptible de recours sur le fondement de l’article 263 TFUE.

69      En effet, premièrement, ce rapport se borne à présenter les conseils scientifiques et techniques demandés par la Commission conformément à l’article 77, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 qui dispose que l’ECHA doit fournir aux institutions de l’Union les meilleurs conseils scientifiques et techniques possibles sur les questions qui lui sont soumises et qui relèvent de sa compétence. L’article 77, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 ne limite pas la portée de ces demandes dans la mesure où elles concernent des produits chimiques et relèvent de la compétence de l’ECHA, ce qui est bien le cas en l’espèce. En outre, la portée de la demande de la Commission a bien été précisée dans la lettre de la Commission du 5 août 2022. C’est donc à tort que la requérante affirme que l’article 77, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006, qui détaille les tâches du secrétariat de l’ECHA, s’opposerait à une saisine de l’ECHA dans un cas de figure tel que celui de l’espèce.

70      Deuxièmement, il convient d’observer que, dans son rapport, l’ECHA émet un avis technique et scientifique qui ne lie pas la Commission et qui est destiné à aider cette dernière à adopter un acte dépourvu d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante. C’est dans ce contexte que, dans sa demande adressée à l’ECHA le 5 août 2022, la Commission a indiqué que sur la base de l’évaluation de cette agence, elle décidera des prochaines étapes appropriées à suivre (voir point 6 ci-dessus).

71      Troisièmement, pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 41 à 46, le rapport de l’ECHA ne fixe pas définitivement la position de cette agence. Si un État membre devait élaborer un dossier conformément à l’article XV ou si la Commission devait demander à l’ECHA d’élaborer un tel dossier, cette agence devrait traiter de tels dossiers en application de l’article 59 du règlement no 1907/2006. Dans ce contexte, le rapport de l’ECHA, mis en cause par la requérante, ne lierait pas cette agence et notamment son comité des États membres.

72      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter le recours comme étant irrecevable pour défaut d’acte attaquable.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission et l’ECHA, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Exxonmobil Petroleum & Chemical BVBA supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Fait à Luxembourg, le 22 décembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

J. Svenningsen


*      Langue de procédure : l’anglais.