Language of document : ECLI:EU:T:2016:240

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

22 avril 2016 (*)

« Référé – Membre du Parlement européen – Recouvrement d’indemnités versées au titre du remboursement des frais d’assistance parlementaire – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑140/16 R,

Jean-Marie Le Pen, demeurant à Saint-Cloud (France), représenté par Mes M. Ceccaldi et J.-P. Le Moigne, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. G. Corstens et Mme S. Seyr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution de la décision du secrétaire général du Parlement du 29 janvier 2016, ordonnant le recouvrement auprès du requérant d’un montant de 320 026,23 euros et de la note de débit n° 2016-195, du 4 février 2016, faisant suite à cette décision,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Le requérant, M. Jean-Marie Le Pen, est député au Parlement européen depuis 1984. À ce titre, le requérant a effectué un mandat pendant la septième législature s’étendant de juillet 2009 à juin 2014. En juillet 2009, il a conclu un contrat de travail avec un collaborateur ayant pour objet la fonction d’assistant parlementaire local à temps plein, les frais liés à cet engagement étant pris en charge par le Parlement. La rémunération mensuelle de ce collaborateur a été fixée d’abord à 3 011,14 euros, puis à 4 347,30 euros. Sur l’ensemble de la septième législature, les payements effectués par le Parlement pour ledit collaborateur au titre de sa rémunération, augmentée de diverses primes, se sont élevés, entre juillet 2009 et avril 2014, à un montant de 320 026,23 euros.

2        Estimant que le collaborateur du requérant avait exercé d’autres tâches professionnelles au cours de la période en cause, ce qui rendait impossible l’accomplissement contractuel de ses fonctions d’assistant parlementaire, le secrétaire général du Parlement, après avoir entendu le requérant, a adopté, le 29 janvier 2016, une décision fondée sur la décision 2005/684/CE, Euratom du Parlement européen, du 28 septembre 2005, portant adoption du statut des députés au Parlement européen (JO 2005, L 262, p. 1) et sur la décision du bureau du Parlement des 19 mai et 9 juillet 2008 portant mesures d’application du statut des députés au Parlement (JO 2009, C 159, p. 1, ci-après les « mesures d’application du statut »). Dans cette décision, il a constaté que le montant de 320 026,23 euros avait été indûment versé en faveur du requérant au titre de l’assistance parlementaire et que ce montant devait être recouvré auprès de lui, d’autant qu’il n’avait fourni ni explication ni preuve du travail d’assistance réalisé par son collaborateur ; de plus, cette décision charge l’ordonnateur compétent, en coopération avec le comptable du Parlement, de procéder au recouvrement dudit montant (ci-après la « décision attaquée »).

3        Par la suite, le requérant s’est vu adresser la note de débit n° 2016-195 du Parlement, du 4 février 2016 (ci-après la « note de débit »), l’informant que, à défaut de remboursement intégral au 31 mars 2016, des intérêts de retard seraient exigibles et le recouvrement se ferait par compensation, le Parlement se réservant le droit de procéder par voie contentieuse s’il n’était pas intégralement remboursé.

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 2016, le requérant a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée et de la note de débit.

5        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée et de la note de débit ;

–        condamner le Parlement à supporter les entiers dépens et, plus particulièrement, à verser la somme de 20 000 euros à titre de dépens récupérables.

6        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 19 avril 2016, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter cette demande dans son ensemble comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondée ;

–        réserver les dépens afférents à la présente procédure de référé ou, à titre subsidiaire, condamner le requérant à ceux-ci.

 En droit

7        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnances du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, non publiée, EU:T:2009:179, point 24 et jurisprudence citée, et du 11 novembre 2013, CSF/Commission, T‑337/13 R, non publiée, EU:T:2013:599, point 21 et jurisprudence citée).

8        En outre, l’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant l’intervention de la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 11 et jurisprudence citée).

9        Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 12 et jurisprudence citée).

10      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

11      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

12      Dans ce contexte, le requérant fait valoir que la somme dont le remboursement lui est réclamé constitue la quasi-totalité de ses indemnités de député européen. Cette mesure aurait pour effet direct de le priver de ses indemnités pour la mandature en cours, en raison de la faculté offerte au comptable du Parlement de procéder au recouvrement de la somme exigée par compensation après la date limite du 31 mars 2016. Dans ces conditions, le requérant serait dans l’impossibilité absolue d’exercer un mandat que le peuple français lui a confié. Or, priver un député élu au suffrage universel de pouvoir exercer son mandat, liberté fondamentale, justifierait en droit l’octroi du sursis à exécution sollicité.

13      Selon le Parlement, en revanche, la condition relative à l’urgence n’est pas remplie, le requérant ne fournissant pas la moindre information sur sa situation financière et s’abstenant d’étayer son argumentation par des éléments de preuve.

14      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires, étant précisé qu’un préjudice de caractère purement financier – tel que celui allégué en l’espèce par le requérant – n’est normalement pas irréparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, à moins qu’il apparaisse que, en l’absence de ces mesures, ladite partie se trouverait dans une situation susceptible, notamment, d’entraîner sa ruine financière avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale (voir ordonnance du 19 mai 2015, Costa/Parlement, T‑197/15 R, non publiée, EU:T:2015:294, point 16 et jurisprudence citée).

15      Pour pouvoir apprécier si le préjudice financier allégué présente un caractère grave et irréparable, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation financière de la partie qui sollicite les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 19 mai 2015, Costa/Parlement, T‑197/15 R, non publiée, EU:T:2015:294, point 17 et jurisprudence citée).

16      En l’espèce, force est de constater que le requérant ne fournit pas la moindre information sur sa situation financière actuelle. En outre, bien que l’article 156, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent contenir toutes les preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées, le requérant n’a étayé son argumentation relative à l’urgence par aucun élément de preuve. Par conséquent, le requérant n’est pas parvenu à établir le caractère grave et irréparable du préjudice allégué, en ce qu’une exécution immédiate de la décision attaquée et de la note de débit risquerait, à l’heure actuelle, d’entraîner sa ruine financière.

17      Il convient d’ajouter que la décision attaquée se limite à constater que la somme de 320 026,23 euros a été indûment versée au requérant et à indiquer que des instructions ont été données au service compétent pour procéder au recouvrement de ce montant auprès du requérant. Il s’ensuit que, à défaut d’ordonner elle-même des mesures de recouvrement ou d’exécution forcée à l’égard du requérant, la décision attaquée ne saurait être considérée comme provoquant, avec un degré de probabilité suffisant, le risque imminent d’un préjudice financier grave et irréparable. Il en va de même de la note de débit, qui, au vu de son contenu, ne procède pas au recouvrement proprement dit de la somme réclamée par le Parlement, mais se limite à indiquer les conséquences du défaut de remboursement intégral à la date limite fixée (voir, en ce sens, ordonnance du 19 octobre 2010, Nencini/Parlement, T‑431/10 R, non publiée, EU:T:2010:441, points 17 et 18).

18      Dans la mesure où le requérant semble craindre notamment l’adoption, par le Parlement, de mesures de compensation qui le priveraient de ses indemnités et l’empêcheraient ainsi d’exercer son mandat de député, il convient de relever que l’article 68, paragraphe 2, des mesures d’application du statut (voir point 2 ci-dessus), mentionné dans les visas de la décision attaquée, dispose expressément que « [t]oute décision en matière de recouvrement est prise en veillant à l’exercice effectif du mandat du député [visé] et au bon fonctionnement du Parlement ». Eu égard à cette disposition, le Parlement a exposé dans ses observations que, dans l’hypothèse où il se verrait obligé de procéder par voie de compensation, ceci ne pourrait avoir comme effet d’empiéter sur l’exercice effectif du mandat du requérant. Le juge des référés prenant acte de cette appréciation juridique estime qu’il serait, en tout état de cause, prématuré pour lui de se prononcer, dans le cadre de la présente procédure de référé, sur les effets préjudiciables d’éventuelles mesures de compensation susceptibles d’être prises à l’avenir par le Parlement à l’encontre du requérant.

19      Au demeurant, le Parlement a déposé, en annexe à ses observations, une lettre du requérant du 21 mars 2016, dont il ressort que ce dernier a saisi les questeurs du Parlement d’une réclamation dirigée, en application de l’article 72, paragraphe 2, des mesures d’application du statut, contre la procédure de recouvrement litigieuse. Dans ses observations, le Parlement expose que cette réclamation doit être interprétée comme étant dirigée à la fois contre la décision attaquée et la note de débit, ces deux actes étant inextricablement liés. Toujours selon le Parlement, l’introduction de cette réclamation a pour effet que les actes incriminés peuvent être modifiés ou même annulés par l’instance interne saisie, à savoir les questeurs, et ce à la suite d’un contrôle de la légalité et d’une évaluation ex aequo et bono. Le juge des référés prenant acte de cette appréciation juridique estime que l’adoption, par le Parlement, d’une mesure de recouvrement, notamment de compensation, ne paraît pas imminente et ne devrait pas intervenir avant la fin de la procédure de réclamation déclenchée par le requérant.

20      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut, pour le requérant, d’avoir établi l’urgence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris. Dans ces circonstances, il n’est pas non plus besoin d’examiner les questions de recevabilité soulevées par le Parlement.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 avril 2016.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.