Language of document : ECLI:EU:T:2016:645

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

24 octobre 2016(*)

« Recours en annulation – Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement – Indemnité d’assistance parlementaire – Recouvrement des sommes indûment versées – Réclamation – Rejet de l’exception d’irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑140/16,

Jean-Marie Le Pen, demeurant à Saint-Cloud (France), représenté par Mes M. Ceccaldi et J.-P. Le Moigne, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme S. Seyr et M. G. Corstens, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du secrétaire général du Parlement européen du 29 janvier 2016 relative au recouvrement auprès du requérant d’une somme de 320 026,23 euros indument versée au titre de l’assistance parlementaire et de la note de débit y afférente du 4 février 2016,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Jean-Marie Le Pen, est député au Parlement européen depuis 1984. À ce titre, il a effectué un mandat pendant la septième législature s’étendant de juillet 2009 à juin 2014.

2        Le 14 juillet 2009, il a conclu un contrat de travail avec M. Jean-François Jalkh, ayant pour objet un emploi à temps plein d’assistant parlementaire local (ci-après le « contrat de travail d’assistance parlementaire »). Ce contrat a pris effet le 1er août 2009 et a cessé le 30 juin 2014.

3        Le contrat de travail d’assistance parlementaire a été géré, conformément à l’article 35 de la décision du bureau du Parlement des 19 mai et 9 juillet 2008, portant mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2009, C 159, p. 1, ci-après les « mesures d’application »), par un tiers payant, le cabinet Amboise Audit.

4        Du 15 avril au 30 mai 2011 et du 5 juillet au 17 août 2012, M. Jalkh a effectué auprès, respectivement, du cabinet Howell et du cabinet Amboise Audit, des prestations de services, ayant pour objet le contrôle de comptes de campagne de candidats à des élections locales françaises. Ces prestations ont été rémunérées 28 000 euros.

5        Le 31 mars 2014, M. Jalkh a conclu un contrat de travail à durée déterminée avec le Front national, parti politique de droit français, pour la période comprise entre le 1er avril et le 30 juin 2014. Pendant cette période, il n’a pas reçu de rémunération au titre du contrat de travail d’assistance parlementaire.

6        Sur l’ensemble de la septième législature, les paiements effectués au bénéfice de M. Jalkh, au titre du contrat de travail d’assistance parlementaire, se sont élevés à un montant total de 320 026,23 euros.

7        Le 28 septembre 2015, le secrétaire général du Parlement a informé le requérant de l’ouverture d’une procédure de recouvrement, sur le fondement de l’article 68 des mesures d’application, de sommes indûment versées à M. Jalkh au titre de l’assistance parlementaire et l’a invité à présenter ses observations avant le 15 octobre 2015.

8        Le 17 novembre 2015, le requérant a, après avoir sollicité une prorogation de délai, présenté ses observations.

9        Par décision du 29 janvier 2016 (ci-après la « décision attaquée »), le secrétaire général du Parlement a estimé qu’un montant de 320 026,23 euros avait été indûment versé en faveur du requérant au titre de l’assistance parlementaire et devait être recouvré auprès de celui-ci, et a chargé l’ordonnateur du Parlement de procéder au recouvrement en cause.

10      Le 5 février 2016, l’ordonnateur du Parlement a émis la note de débit 2016-195 (ci-après la « note de débit ») ordonnant le recouvrement de 320 026,23 euros avant le 31 mars 2016.

11      Le 21 mars 2016, le requérant a, en application de l’article 72, paragraphe 2, des mesures d’application, adressé une réclamation aux questeurs contre la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 2016, le requérant a introduit le présent recours.

13      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande en référé, visant à obtenir le sursis à exécution de la décision attaquée et de la note de débit. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 22 avril 2016, Le Pen/Parlement (T‑140/16 R, non publiée, EU:T:2016:240), et les dépens ont été réservés.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 juin 2016, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal.

15      Le requérant n’a pas déposé ses observations sur cette exception dans le délai imparti.

16      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 2 septembre 2016, le requérant a introduit une nouvelle demande en référé, visant également à obtenir le sursis à exécution de la décision attaquée et de la note de débit.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      Dans la requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la note de débit ;

–        condamner le Parlement aux dépens ;

–        condamner le Parlement à lui verser 50 000 euros au titre du remboursement des dépens récupérables.

19      Dans l’exception d’irrecevabilité, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

 En droit

20      En vertu de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie défenderesse peut demander que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité, sans engager le débat au fond.

21      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure.

 Sur la recevabilité de la demande d’annulation de la décision attaquée

22      Le Parlement estime que, dans la mesure où le requérant a introduit une réclamation contre la décision attaquée avant d’introduire le présent recours, ce dernier est prématuré et donc irrecevable. En effet, selon le Parlement, un député a la possibilité d’introduire un recours en annulation contre une décision du secrétaire général du Parlement le concernant sans avoir préalablement saisi les questeurs d’une réclamation au titre de l’article 72 des mesures d’application. Toutefois, s’il choisit de contester cette décision par le biais d’une telle réclamation, ce député ne saurait introduire un recours juridictionnel contre cette décision. Il serait en effet contraire à une bonne administration de la justice que le juge de l’Union européenne se prononce sur la légalité d’une décision prise par le Parlement à l’égard d’un député, alors que celle-ci peut être modifiée, voire annulée, par les questeurs. Ainsi, si le Tribunal se prononçait sur la légalité de la décision attaquée, cela aurait pour conséquence d’anticiper les débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire et serait contraire aux exigences d’une bonne administration de la justice.

23      À cet égard, il convient de relever que, en vertu de l’article 72, paragraphe 1, premier alinéa, des mesures d’application, un député qui estime que celles-ci n’ont pas été correctement appliquées à son égard par le service compétent peut adresser une réclamation écrite au secrétaire général du Parlement.

24      Le paragraphe 2 dudit article prévoit que, en cas de désaccord avec la décision du secrétaire général du Parlement, le député peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision, demander que la question soit renvoyée aux questeurs, qui prennent une décision après consultation du secrétaire général du Parlement.

25      Selon le paragraphe 3 du même article, en cas de désaccord avec la décision adoptée par les questeurs, une partie à la procédure de réclamation peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision des questeurs, demander que la question soit renvoyée au bureau du Parlement, qui prend une décision finale.

26      Il s’ensuit que l’article 72 des mesures d’application instaure une procédure de réclamation qu’un député peut mettre en œuvre lorsqu’il considère que lesdites mesures n’ont pas été correctement appliquées.

27      À cet égard, premièrement, il n’est pas contesté par les parties que cette procédure peut être mise en œuvre à l’encontre d’une décision du secrétaire général ordonnant le recouvrement de sommes indûment versées au titre de l’assistance parlementaire, telle que la décision attaquée.

28      Deuxièmement, il n’est également pas contesté que ladite procédure est facultative et ne présente pas de caractère obligatoire pour le député concerné.

29      Troisièmement, il est à noter que, contrairement notamment au recours interne visé à l’article 167 du règlement intérieur du Parlement, la procédure visée à l’article 72 des mesures d’application n’emporte aucun effet suspensif de la décision contre laquelle elle est dirigée, celle-ci continuant donc de produire l’ensemble de ses effets.

30      Quatrièmement, aucune disposition ne prévoit que l’accomplissement de cette procédure soit une condition préalable à l’introduction d’un recours devant le juge de l’Union contre la décision faisant l’objet de ladite procédure. D’ailleurs, ainsi que le Parlement le reconnaît, l’épuisement de la voie prévue par l’article 72 des mesures d’application ne constitue pas une condition de recevabilité d’un tel recours.

31      Cinquièmement, rien ne permet de considérer que l’introduction d’une réclamation fondée sur l’article 72 des mesures d’application et celle d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE présenteraient un caractère exclusif l’une de l’autre. Ainsi, ni les mesures d’application ni aucune autre disposition ne prévoient que la mise en œuvre de l’une de ces voies de droit impliquerait l’impossibilité de mettre en œuvre, concomitamment, l’autre. Il est d’ailleurs à noter que la lettre de l’ordonnateur du 5 février 2016, à laquelle était annexée la note de débit, indiquait au requérant que, en cas de désaccord avec la décision attaquée, il pouvait présenter une réclamation aux questeurs conformément à l’article 72, paragraphe 2, des mesures d’application et qu’il pouvait également former un recours contre ladite décision devant le Tribunal.

32      Dans ces conditions, il était loisible au requérant de sauvegarder ses droits et d’introduire une réclamation contre la décision attaquée sur le fondement de l’article 72, paragraphe 2, des mesures d’application, ainsi que, concomitamment, un recours en annulation devant le Tribunal.

33      Il a d’ailleurs déjà été jugé, concernant une procédure administrative pouvant être déclenchée par le destinataire d’une décision d’une institution, que, lorsque ce dernier y avait recours, celui-ci ne devrait pas se retrouver pénalisé en perdant la possibilité d’introduire un recours devant le juge de l’Union. Une conclusion contraire signifierait en effet que, dans le cas où le destinataire en cause n’aurait pas introduit un tel recours parallèlement à la réclamation, l’institution pourrait se soustraire au contrôle de ses décisions par le juge de l’Union en introduisant des voies de recours administratives qui, si elles étaient utilisées, priveraient le destinataire de son droit d’introduire un recours au titre de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2011, CMB et Christof/Commission, T‑407/07, non publié, EU:T:2011:477, point 103).

34      Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le Parlement prétend que, dès lors qu’un député a choisi de contester une décision par le biais d’une réclamation au titre de l’article 72 des mesures d’application, il ne saurait introduire un recours juridictionnel contre cette décision.

35      À cet égard, il y a lieu de relever qu’un tel recours ne saurait être considéré, comme le soutient le Parlement, comme prématuré.

36      En effet, il y a certes lieu de rappeler que, ainsi que le fait valoir le Parlement, des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. Les actes intermédiaires ainsi visés sont d’abord des actes qui expriment une opinion provisoire de l’institution. En effet, un recours en annulation dirigé contre des actes exprimant une opinion provisoire pourrait obliger le juge de l’Union à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles l’institution concernée n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer et aurait ainsi pour conséquence une anticipation des débats au fond et une confusion des différentes phases des procédures administrative et judiciaire. Admettre un tel recours serait donc incompatible avec les systèmes de répartition des compétences entre l’institution concernée et le juge de l’Union et des voies de recours, prévus par le traité, ainsi qu’avec les exigences d’une bonne administration de la justice et d’un déroulement régulier de la procédure administrative de l’institution concernée (voir arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, points 50 et 51 et jurisprudence citée).

37      Cependant, en l’espèce, il convient de relever que la décision attaquée fixe de manière définitive la position du secrétaire général du Parlement, lequel est l’autorité compétente pour donner des instructions en vue du recouvrement de sommes indûment versées en application des mesures d’application, ainsi qu’il découle de l’article 68 de celles-ci. Il ne s’agit donc ni d’une opinion provisoire du secrétaire général, ni d’une mesure intermédiaire dont l’objectif serait de préparer la décision finale.

38      Il ne saurait certes être exclu que la procédure de réclamation aboutisse à ce que les questeurs, voire le bureau du Parlement, adoptent une décision différente de celle adoptée par le secrétaire général du Parlement.

39      Toutefois, une telle décision ne constituerait pas la décision finale au sens de la jurisprudence visée au point 36 ci-dessus, mais une nouvelle décision, adoptée à l’issue d’un recours administratif, en l’occurrence la procédure de réclamation prévue par l’article 72 des mesures d’application, et confirmant, modifiant ou remplaçant la décision attaquée. Cette décision serait ainsi adoptée par une autorité distincte du secrétaire général du Parlement à la suite d’une procédure distincte de celle ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

40      Il importe enfin de souligner que ces considérations sont sans préjudice de la possibilité, pour le Tribunal, d’envisager de suspendre le présent recours dans l’attente de l’issue de la procédure de réclamation prévue à l’article 72 des mesures d’application et de constater qu’il est devenu sans objet, en fonction de cette issue.

41      Il résulte de ce qui précède que l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée en tant qu’elle a trait à la demande d’annulation de la décision attaquée.

 Sur la recevabilité de la demande d’annulation de la note de débit

42      Le Parlement soutient que, dès lors que la décision attaquée constitue la base juridique de la note de débit et que la demande d’annulation de ladite décision est irrecevable, la demande d’annulation de cette note de débit doit également être considérée comme irrecevable.

43      À cet égard, il suffit de relever que, dès lors que l’exception d’irrecevabilité a été rejetée, en tant qu’elle a trait à la demande d’annulation de la décision attaquée, celle-ci doit également l’être, par voie de conséquence, en tant qu’elle a trait à la note de débit. En effet, cette dernière est, ainsi qu’il ressort de l’article 80, paragraphe 3, du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 362, p. 1), l’information donnée au débiteur, notamment, que l’Union a constaté la créance en cause. Il s’ensuit qu’elle n’a donc pas de portée autonome par rapport à la décision matérialisant ce constat figurant dans la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du 19 juillet 2016, Panzeri/Parlement et Commission, T‑677/15, non publiée, EU:T:2016:436, point 73).

44      Il résulte de ce qui précède que l’exception d’irrecevabilité doit également être rejetée en tant qu’elle a trait à la demande d’annulation de la note de débit, et, par voie de conséquence, dans son intégralité.

 Sur les dépens

45      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance ne mettant pas fin à l’instance, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      L’exception d’irrecevabilité est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 24 octobre 2016.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       G. Berardis


* Langue de procédure : le français.