Language of document : ECLI:EU:T:2017:278

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

6 avril 2017 (*)

« Intervention – Absence d’intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑140/16,

Jean-Marie Le Pen, demeurant à Saint-Cloud (France), représenté par Mes M. Ceccaldi et J.-P. Le Moigne, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme S. Seyr et M. G. Corstens, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du secrétaire général du Parlement du 29 janvier 2016 relative au recouvrement auprès du requérant d’une somme de 320 026,23 euros indûment versée au titre de l’assistance parlementaire et de la note de débit y afférente du 4 février 2016,

LE PRÉSIDENT DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Jean-Marie Le Pen, est député au Parlement européen depuis 1984.

2        Le 14 juillet 2009, il a conclu avec M. Jean-François Jalkh un contrat de travail ayant pour objet un emploi à temps plein d’assistant local.

3        Le 28 septembre 2015, le secrétaire général du Parlement a informé le requérant de l’ouverture d’une procédure de recouvrement, sur le fondement de l’article 68 de la décision du bureau du Parlement des 19 mai et 9 juillet 2008, portant mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2009, C 159, p. 1, ci-après les « mesures d’application »), de sommes indûment versées au titre de l’assistance parlementaire.

4        Par décision du 29 janvier 2016 (ci-après la « décision attaquée »), le secrétaire général du Parlement a estimé qu’un montant de 320 026,23 euros avait été indûment versé en faveur du requérant au titre de l’assistance parlementaire et devait être recouvré auprès de celui-ci, et a chargé l’ordonnateur du Parlement de procéder au recouvrement en cause.

5        Le 5 février 2016, le directeur général de la direction générale (DG) des finances du Parlement, en qualité d’ordonnateur du Parlement, a émis la note de débit 2016-195 (ci-après la « note de débit ») ordonnant le recouvrement de 320 026,23 euros avant le 31 mars 2016.

 Procédure

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 2016, le requérant a introduit un recours visant, notamment, à l’annulation de la décision attaquée et de la note de débit.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande en référé, visant à obtenir le sursis à exécution de la décision attaquée et de la note de débit. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 22 avril 2016, Le Pen/Parlement (T‑140/16 R, non publiée, EU:T:2016:240), et les dépens ont été réservés.

8        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 juin 2016, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 juillet 2016, M. Jalkh a demandé à intervenir au soutien des conclusions du requérant. La demande d’intervention a été signifiée aux parties conformément à l’article 144, paragraphe 2, du règlement de procédure.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 2 septembre 2016, le requérant a introduit une nouvelle demande en référé, visant également à obtenir le sursis à exécution de la décision attaquée et de la note de débit.

11      Par ordonnance du 24 octobre 2016, Le Pen/Parlement (T‑140/16, non publiée, EU:T:2016:645), le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parlement.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 novembre 2016, le Parlement a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 novembre 2016, le requérant n’a pas soulevé d’objection à l’encontre de ladite demande.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 décembre 2016, le Parlement a déposé une demande de non-lieu à statuer.

15      Par ordonnance du 16 février 2017, Le Pen/Parlement (T‑140/16 R II, non publiée, EU:T:2017:93), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé visée au point 10 ci-dessus et a réservé les dépens.

16      Par ordonnance du 6 mars 2017, Le Pen/Parlement (T‑140/16, non publiée, EU:T:2017:151), le Tribunal a rejeté la demande de non-lieu à statuer et a rejeté le recours comme irrecevable en tant qu’il vise à condamner le Parlement à verser 50 000 euros au requérant, au titre du remboursement des dépens récupérables.

 En droit

17      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, a le droit d’intervenir.

18      Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles‑mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir (voir ordonnance du 19 février 2013, Commission/EnBW, C‑365/12 P, non publiée, EU:C:2013:83, point 7 et jurisprudence citée).

19      À cet égard, il convient, notamment, de vérifier que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention [voir ordonnance du 6 octobre 2015, Comité d’entreprise SNCM/Commission C‑410/15 P(I), EU:C:2015:669, point 6 et jurisprudence citée].

20      En l’espèce, M. Jalkh indique, premièrement, que sa situation et la manière dont il a accompli ses fonctions d’assistant parlementaire sont au cœur des débats dans la présente affaire. Deuxièmement, M. Jalkh estime que la bonne administration de la justice exige que toutes les parties intéressées à un litige puissent intervenir à la procédure qui les concerne. Troisièmement, M. Jalkh considère que, en sa qualité d'ancien assistant parlementaire du requérant et en tant qu’actuel député au Parlement, il a un intérêt personnel, direct, et actuel, tant moral que matériel, à la solution du litige. En effet, d’une part, il pourrait se voir saisir à la source une partie de ses indemnités parlementaires, en application de l’article 68 des mesures d’application. Il serait en effet un tiers au sens du paragraphe 3 de cet article. L’issue de la procédure serait ainsi déterminante pour lui. D’autre part, la presse française relayerait abondamment les décisions en cause en l’espèce et n'hésiterait pas à le salir aux yeux du public. Quatrièmement, M. Jalkh souligne que son intervention permettrait d’assurer le respect de ses droits de la défense, ainsi que de ceux du requérant, étant donné qu’ils n’ont pas été entendus, comme le prévoit l’article 68 des mesures d’application. Il aurait ainsi un intérêt à faire valoir, pour la première fois, ses moyens de défense.

21      Le Parlement rétorque que M. Jalkh n’a pas démontré l’existence d’un intérêt à la solution du litige. Premièrement, les actes en cause en l’espèce étant adressés exclusivement au requérant, leur confirmation ou leur annulation par le Tribunal ne modifierait pas sa position juridique. En particulier, la question de savoir si, en cas de rejet de son recours par le Tribunal, le requérant pourrait se retourner contre M. Jalkh, sur base du droit national, pour demander le remboursement des sommes dont la récupération est demandée ne serait pas pertinente pour déterminer l’existence d’un intérêt à la solution du litige. Deuxièmement, l'allégation de M. Jalkh selon laquelle il pourrait se voir saisir à la source une partie de ses indemnités parlementaires serait erronée, dès lors que, en application des mesures d’application, le Parlement ne peut recouvrer des sommes indûment perçues au titre de l’assistance parlementaire qu’auprès du député concerné, et non pas auprès de son assistant. Troisièmement, l'argument selon lequel l’intervention de M. Jalkh serait nécessaire afin de garantir ses droits de la défense serait également erroné, étant donné que l'article 68, paragraphe 2, des mesures d’application oblige le Parlement à entendre la personne qui est le destinataire de la décision de récupération, à savoir, en l’occurrence, le requérant, lequel a bien été entendu par le secrétaire général du Parlement avant que ce dernier n’adopte sa décision.

22      À cet égard, il doit être rappelé, à titre liminaire, que la décision attaquée et la note de débit sont adressées uniquement au requérant, auquel il est demandé de rembourser une somme de 320 026,23 euros, indûment versée au titre de l’assistance parlementaire.

23      Ensuite, il convient de relever, premièrement, que l’invocation par M. Jalkh de la circonstance que sa situation et la manière dont il a accompli ses fonctions d’assistant parlementaire sont au cœur des débats dans la présente affaire n’est pas, en tant que telle, en mesure de justifier d’un intérêt de ce dernier à la solution du litige. En effet, le présent recours a certes trait, notamment, à la question de savoir si le requérant a valablement démontré que M. Jalkh avait exercé ses fonctions d’assistant parlementaire en conformité avec les mesures d’application. Néanmoins, cela n’implique pas qu’il ait, de ce seul fait, un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles‑mêmes dudit recours. En particulier, cette circonstance ne permet pas, à elle seule, de démontrer qu’une éventuelle annulation de la décision attaquée aurait un effet direct quelconque sur sa situation juridique ou économique propre. Au demeurant, il est loisible au Tribunal, s’il estime que cela s’avère nécessaire, aux fins du règlement du litige, d’entendre M. Jalkh en qualité de témoin, dans le cadre d’une mesure d’instruction fondée sur l’article 91, sous d), du règlement de procédure.

24      Deuxièmement, l’assertion, selon laquelle la bonne administration de la justice exigerait que toutes les parties intéressées à un litige puissent intervenir à la procédure qui les concerne, est générale et abstraite, de sorte qu’elle ne permet en rien d’établir, en l’espèce, un intérêt direct et actuel de M. Jalkh au sort réservé aux conclusions du recours.

25      Troisièmement, les arguments développés par M. Jalkh pour justifier d’un prétendu intérêt matériel et moral doivent être écartés.

26      En effet, s’agissant, d’une part, de l’intérêt matériel, c’est par une lecture erronée de l’article 68 des mesures d’application que M. Jalkh fait valoir qu’il pourrait se voir saisir à la source une partie de ses indemnités parlementaires. En effet, le paragraphe 3 dudit article prévoit que ce dernier s'applique également aux anciens députés et aux tiers. Toutefois, le fait que M. Jalkh puisse être un « tiers » au sens l’article 68, paragraphe 3, des mesures d’application est sans influence, dès lors que, en l’espèce, il n’est ni la personne concernée par la procédure mise en œuvre sur le fondement de cet article, ni le destinataire des actes adoptés à l’issue de celle-ci, le remboursement de la somme de 320 026,23 euros étant d’ailleurs exigé auprès du requérant et non auprès de M. Jalkh, ainsi que le souligne en substance le Parlement. Il n’est donc pas démontré que l’issue du recours serait, comme M. Jalkh le prétend, déterminante pour lui sur le plan financier.

27      S’agissant, d’autre part, de l’intérêt moral, M. Jalkh évoque la circonstance que la presse française relayerait abondamment les décisions en cause en l’espèce et n'hésiterait pas à le salir aux yeux du public. À cet égard, force est de constater que, outre le fait que M. Jalkh n’apporte aucun élément de preuve quant aux publications de la presse française qu’il évoque, il n’indique pas en quoi cette circonstance et ce prétendu intérêt moral, seraient constitutifs d’un intérêt à la solution du litige. En tout état de cause, sans même qu’il soit nécessaire d’examiner si un tel intérêt peut être d’ordre moral, il est à relever que rien ne permet de démontrer que ladite circonstance entretiendrait une quelconque relation avec le sort réservé aux conclusions du recours.

28      Quatrièmement, l’argument selon lequel l'intervention permettrait d’assurer le respect des droits de la défense de M. Jalkh, ainsi que de ceux du requérant, ne saurait fonder un intérêt à la solution du litige. En effet, le droit d’intervention découlant de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice n’a pas pour objet de pallier ou de réparer une éventuelle violation des droits de la défense affectant la procédure ayant conduit à l’adoption d’un acte dont la légalité est contestée par le destinataire de celui-ci. M. Jalkh ne saurait donc justifier d’un intérêt à la solution du litige fondé sur la circonstance qu’il pourrait faire valoir, pour la première fois, ses moyens de défense. En tout état de cause, M. Jalkh n’étant pas la personne concernée par la procédure de recouvrement mise en œuvre au titre de l’article 68 des mesures d’application, lequel prévoit que le député concerné doit être entendu par le secrétaire général du Parlement préalablement à la décision le concernant, ni même destinataire de la décision adoptée à l’issue de ladite procédure, il n’avait pas à être entendu sur le fondement de cette disposition.

29      Il résulte de ce qui précède que M. Jalkh n’a pas justifié son intérêt à la solution du litige et, dès lors, que la demande en intervention doit être rejetée.

 Sur les dépens

30      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable en l’espèce en vertu de l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

31      En l’espèce, si M. Jalkh a certes succombé, ni le Parlement ni le requérant n’ont présenté de conclusions quant aux dépens afférents à la présente demande en intervention.

32      Il convient donc d’ordonner que le requérant, M. Jalkh et le Parlement supporteront chacun leurs propres dépens afférents à ladite demande.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      M. Jean-François Jalkh n’est pas admis à intervenir dans l’affaire T140/16, au soutien des conclusions de M. Jean-Marie Le Pen.



2)      M. Le Pen, M. Jalkh et le Parlement européen supporteront leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 6 avril 2017.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

G. Berardis


*      Langue de procédure : le français.