Language of document : ECLI:EU:T:2012:141



DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

21 mars 2012 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Régime d’aides permettant l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun et n’ordonnant pas la récupération des aides – Défaut d’affectation individuelle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑234/10,

Ebro Foods, SA, anciennement Ebro Puleva, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Buendía Sierra, E. Abad Valdenebro, M. Muñoz de Juan et R. Calvo Salinero, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Par plusieurs questions écrites posées en 2005 et en 2006 (E-4431/05, E-4772/05, E-5800/06 et P-5509/06), des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission des Communautés européennes sur la qualification d’aide d’État du dispositif prévu par l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE n° 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951) (ci-après le « régime litigieux »). La Commission a répondu en substance que, selon les informations dont elle disposait, le régime litigieux ne semblait pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État.

2        Par lettres du 15 janvier et du 26 mars 2007, la Commission a invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime litigieux. Par lettres du 16 février et du 4 juin 2007, le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission les informations demandées.

3        Par télécopie du 28 août 2007, la Commission a reçu une plainte d’un opérateur privé affirmant que le régime litigieux constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun.

4        Par décision du 10 octobre 2007 (résumé au JO C 311, p. 21), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen concernant le régime litigieux.

5        Par lettre du 5 décembre 2007, la Commission a reçu les observations du Royaume d’Espagne sur cette décision d’ouverture de la procédure formelle. Entre le 18 janvier et le 16 juin 2008, la Commission a également reçu les observations de 32 tiers intéressés, dont celles de la requérante, Ebro Puleva, SA, devenue Ebro Foods, SA. Par lettres du 30 juin 2008 et du 22 avril 2009, le Royaume d’Espagne a présenté ses commentaires sur les observations des tiers intéressés.

6        Le 18 février 2008, le 12 mai et le 8 juin 2009, des réunions techniques ont été organisées avec les autorités espagnoles. D’autres réunions techniques ont également été organisées avec certains des 32 tiers intéressés.

7        Par lettre du 14 juillet 2008 et par courrier électronique du 16 juin 2009, le Royaume d’Espagne a soumis des informations additionnelles à la Commission.

8        La Commission a clôturé la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci‑après la « décision attaquée »).

9        La décision attaquée déclare incompatible avec le marché commun le régime litigieux, consistant en un avantage fiscal permettant aux sociétés espagnoles d’amortir la survaleur résultant d’une prise de participations dans des entreprises étrangères, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies au sein de l’Union.

10      L’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée permet cependant au régime litigieux de continuer à s’appliquer, en vertu du principe de protection de la confiance légitime, aux prises de participations opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, intervenue le 21 décembre 2007, ainsi qu’aux prises de participations dont la réalisation, subordonnée à une autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 mai 2010, la requérante a introduit le présent recours.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 septembre 2010, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

13      Le 16 novembre 2010, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

14      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et ordonner la poursuite de la procédure ;

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

17      La Commission fait valoir que le présent recours est irrecevable au motif que la requérante n’a démontré ni qu’elle avait un intérêt à agir, ni qu’elle était individuellement concernée par la décision attaquée.

18      Il convient de commencer par examiner la seconde fin de non-recevoir opposée par la Commission.

19      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

20      La décision attaquée ayant été adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen et n’ayant pas été adressée à la requérante, son affectation individuelle doit être appréciée selon les critères définis dans l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197, 223). Ainsi, la requérante doit démontrer que la décision attaquée l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 36, et la jurisprudence citée).

21      La requérante invoque, en premier lieu, sa qualité de bénéficiaire du régime litigieux pour démontrer qu’elle est individuellement affectée par la décision attaquée déclarant ledit régime illégal et incompatible avec le marché commun lorsqu’il s’applique à des prises de participations au sein de l’Union.

22      Selon une jurisprudence constante, une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de cette entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt Italie/Commission, précité, point 37, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Acegas/Commission, T-309/02, Rec. p. II-1809, point 47, et la jurisprudence citée).

23      Toutefois, dès lors que l’entreprise requérante n’est pas seulement concernée par la décision en cause en tant qu’entreprise du secteur concerné, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission a ordonné la récupération, elle est individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci est recevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, points 34 et 35, et arrêt du Tribunal du 10 septembre 2009, Banco Comercial dos Açores/Commission, T‑75/03, non publié au Recueil, point 44).

24      Il y a, dès lors, lieu de vérifier si la requérante a la qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre du régime d’aides visé par la décision attaquée et dont la Commission a ordonné la récupération (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C-71/09 P, C-73/09 P et C-76/09 P, non encore publié au Recueil, point 53, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 8 mars 2012, Iberdrola/Commission, T-221/10, non encore publié au Recueil, point 27).

25      La requérante fait valoir qu’elle serait individuellement concernée par la décision attaquée au titre des opérations qu’elle a réalisées avant le 21 décembre 2007, en présentant en annexe à ses observations sur l’exception d’irrecevabilité plusieurs documents attestant qu’elle avait fait application du régime litigieux à des prises de participations, dont l’une en date du 30 avril 2005 dans une société établie en France. Ainsi, la requérante a établi sa qualité de bénéficiaire effectif du régime litigieux. Toutefois, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, elle n’est pas visée par l’obligation de récupération prévue par cette décision.

26      À cet égard, la requérante soutient, premièrement, en se fondant sur la jurisprudence, que la reconnaissance de l’affectation individuelle du bénéficiaire d’une aide octroyée en vertu d’un régime d’aides déclaré illégal et incompatible ne saurait être limitée aux cas où la restitution de cette aide lui est imposée. Selon elle, en effet, l’obligation de récupération ne serait examinée par la jurisprudence qu’à titre surabondant.

27      Cet argument doit être rejeté. Les arrêts cités au point 23 ci-dessus de même que les décisions citées par la requérante subordonnent, dans des termes identiques, l’affectation individuelle d’un requérant par une décision déclarant un régime d’aides incompatible à la démonstration de sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission a ordonné la récupération (arrêts du Tribunal du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T-136/05, Rec. p. II-4063, point 70 ; du 11 juin 2009, ACEA/Commission, T-297/02, Rec. p. II-1683, point 45, et AEM/Commission, T-301/02, Rec. p. II-1757, point 45). Il ne saurait être déduit de cette formulation, qui place l’obligation de récupération sur le même plan que la qualité de bénéficiaire effectif du requérant, que l’exigence d’une telle obligation serait d’une importance secondaire, voire serait superfétatoire.

28      Il y a lieu de relever par ailleurs que l’arrêt du Tribunal du 28 novembre 2008, Hôtel Cipriani e.a./Commission, T-254/00, T-270/00 et T-277/00, Rec. p. II-3269, point 84), également cité par la requérante, se limite à réitérer les deux conditions susmentionnées et accorde même une importance particulière à l’ordre de récupération en considérant que l’individualisation résulte en l’occurrence de l’atteinte particulière portée par l’ordre de récupération aux intérêts des membres parfaitement identifiables de ce cercle fermé. La Cour, statuant sur le pourvoi formé contre cet arrêt, a estimé que c’était à bon droit que le Tribunal avait considéré que les entreprises requérantes avaient qualité pour agir en ce qu’elles étaient individuellement concernées par la décision litigieuse en raison de l’atteinte particulière portée à leur situation juridique par l’ordre de récupération des aides concernées (arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, point 51). Il en résulte que, lorsqu’un acte attaqué exige la récupération des aides octroyées en vertu d’un régime d’aides, seuls sont individuellement concernés par cet acte les requérants visés par l’obligation de récupération.

29      La requérante soutient, deuxièmement et en tout état de cause, que l’exclusion des opérations antérieures au 21 décembre 2007 du champ d’application de l’obligation de récupération en vertu du principe de protection de la confiance légitime n’est pas définitive, en raison du recours formé par Deutsche Telekom AG dans l’affaire T-207/10 contre cette partie du dispositif de la décision attaquée.

30      Par cette argumentation, la requérante confond la condition de recevabilité de l’affectation individuelle avec celle de l’intérêt à agir. En effet, si l’intérêt à agir peut être établi grâce notamment à des actions formées devant le juge national postérieurement à l’introduction du recours devant le juge de l’Union (arrêt du Tribunal du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./ Commission, T-309/04, T-317/04, T-329/04 et T-336/04, Rec. p. II-2935, points 78 à 82), l’affectation individuelle d’une personne physique ou morale s’apprécie au jour de l’introduction du recours et ne dépend que de la décision attaquée. Ainsi, une personne concernée individuellement par une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun et enjoignant sa récupération le reste, même s’il apparaît par la suite que le remboursement ne lui sera pas demandé (voir, en ce sens, arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, point 56, et conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous cet arrêt, non encore publiées au Recueil, points 81 et 82).

31      En outre, il y a lieu de rappeler que, pour être individuellement concerné par l’acte attaqué, le requérant doit établir son appartenance à un cercle fermé, c’est-à-dire à un groupe qui ne peut plus être élargi après l’adoption de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 11, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, point 63).

32      Il en résulte que, en l’espèce, l’annulation éventuelle de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée par le Tribunal et la récupération subséquente des aides litigieuses auprès de la requérante ne permettent pas de considérer que celle-ci est individuellement concernée.

33      La requérante prétend, en second lieu, être individuellement concernée par la décision attaquée en raison de sa qualité de partie à la procédure administrative, ayant présenté en temps utile ses observations relatives à la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

34      La jurisprudence a certes reconnu qu’un requérant pouvait être individuellement concerné du fait de sa participation active à la procédure ayant conduit à l’adoption de l’acte attaqué. Toutefois, étaient en cause des situations particulières dans lesquelles le requérant occupait une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même de la décision, le mettant dans une situation de fait qui le caractérisait par rapport à toute autre personne (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, points 85 à 95, et la jurisprudence citée).

35      Or, en l’espèce, la requérante s’est limitée à présenter des observations, comme les 31 autres parties intéressées. Une telle circonstance n’est pas de nature à démontrer qu’elle occupait une position de négociateur permettant la reconnaissance de son affectation individuelle.

36      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.

37      Il y a donc lieu de rejeter le recours comme irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner la première fin de non-recevoir opposée par la Commission tirée de l’absence d’intérêt à agir de la requérante.

 Sur les dépens

38      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Ebro Foods, SA est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 21 mars 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       L. Truchot


* Langue de procédure : l’espagnol.