Language of document : ECLI:EU:C:2022:754

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

6 octobre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique commune des transports – Directive 2006/126/CE – Article 11, paragraphes 2 et 4 – Suspension du droit de conduire un véhicule à moteur – Permis de conduire délivré par l’État membre de résidence normale en échange d’un permis de conduire délivré par un autre État membre – Refus par le premier État membre d’exécuter une décision de suspension du droit de conduire adoptée par le second État membre – Obligation pour le second État membre de ne pas reconnaître, sur son territoire, la validité du permis de conduire ayant fait l’objet d’une suspension »

Dans l’affaire C‑266/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 26 avril 2021, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure pénale contre

HV,

en présence de :

Sofiyska gradska prokuratura,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller, Mme A. Hoesch et M. D. Klebs, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid, MM. P. Messina et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 4, et de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la décision‑cadre 2008/947/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution (JO 2008, L 337, p. 102), ainsi que de l’article 11, paragraphes 2 et 4, de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire (JO 2006, L 403, p. 18).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure ayant pour objet l’exécution, en Espagne, d’une décision de suspension du droit de conduire prononcée en Bulgarie à l’égard d’une personne résidant en Espagne et titulaire d’un permis de conduire délivré par ce dernier État membre en échange d’un permis de conduire délivré par le premier État membre.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La décisioncadre 2008/947

3        L’article 1er de la décision‑cadre 2008/947, intitulé « Objectifs et champ d’application », dispose, à son paragraphe 2 :

« La présente décision‑cadre s’applique uniquement :

a)      à la reconnaissance de jugements et, le cas échéant, de décisions de probation ;

b)      au transfert de la surveillance de mesures de probation et de peines de substitution ;

[...]

conformément à ce que décrit et prévoit la présente décision‑cadre. »

4        L’article 2 de cette décision‑cadre, intitulé « Définitions », est ainsi rédigé :

« Aux fins de la présente décision‑cadre, on entend par :

[...]

4)      “peine de substitution”, une peine ne constituant ni une peine ou mesure privative de liberté ni une sanction pécuniaire, imposant une obligation ou une injonction ;

[...] »

5        L’article 4 de ladite décision‑cadre, portant sur les « [t]ypes de mesures de probation et de peines de substitution », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente décision‑cadre s’applique aux mesures de probation ou aux peines de substitution ci‑après :

[...]

d)      injonctions concernant le comportement, la résidence, la formation, les loisirs, ou comportant des restrictions ou des modalités relatives à l’exercice d’une activité professionnelle ;

[...] »

6        L’article 6 de la même décision‑cadre, intitulé « Procédure régissant la transmission d’un jugement et, le cas échéant, d’une décision de probation », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsque, en application de l’article 5, l’autorité compétente de l’État d’émission transmet un jugement et, le cas échéant, une décision de probation à un autre État membre, elle veille à ce qu’il soit accompagné d’un certificat dont le modèle‑type figure à l’annexe I. »

 La directive 2006/126

7        Le considérant 15 de la directive 2006/126 énonce :

« Il convient, pour des raisons en rapport avec la sécurité routière, que les États membres puissent appliquer leurs dispositions nationales en matière de retrait, de suspension, de renouvellement et d’annulation du permis de conduire à tout titulaire de permis ayant transféré sa résidence normale sur leur territoire. »

8        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, « [l]es permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus ».

9        L’article 11 de ladite directive, intitulé « Dispositions diverses relatives à l’échange, au retrait, au remplacement et à la reconnaissance des permis de conduire », dispose, à ses paragraphes 1, 2 et 4 :

« 1.      Dans le cas où le titulaire d’un permis de conduire national valable délivré par un État membre a établi sa résidence normale dans un autre État membre, il peut demander l’échange de son permis de conduire contre un permis équivalent. [...]

2.      Sous réserve du respect du principe de territorialité des lois pénales et de police, l’État membre où est située la résidence normale peut appliquer au titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre ses dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l’annulation du droit de conduire et, si nécessaire, procéder à ces fins à l’échange de ce permis.

[...]

4.      Un État membre refuse de délivrer un permis de conduire à un demandeur dont le permis de conduire fait l’objet d’une restriction, d’une suspension ou d’un retrait dans un autre État membre.

Un État membre refuse de reconnaître, à une personne dont le permis de conduire fait l’objet, sur son territoire, d’une restriction, d’une suspension ou d’un retrait, la validité de tout permis de conduire délivré par un autre État membre.

Un État membre peut également refuser de délivrer un permis de conduire à un demandeur dont le permis a fait l’objet d’une annulation dans un autre État membre. »

10      Intitulé « Résidence normale », l’article 12 de la même directive prévoit, à son premier alinéa :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par “résidence normale” le lieu où une personne demeure habituellement, c’est‑à‑dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d’attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d’une personne sans attaches professionnelles, en raison d’attaches personnelles révélant des liens étroits entre elle‑même et l’endroit où elle demeure. »

11      Aux termes de l’article 15, première phrase, de la directive 2006/126, intitulé « Assistance mutuelle » :

« Les États membres s’assistent mutuellement dans la mise en œuvre de la présente directive et échangent des informations sur les permis qu’ils ont délivrés, échangés, remplacés, renouvelés ou retirés. »

 Le droit bulgare

12      En vertu de l’article 78a du Nakazatelen kodeks (code pénal, ci-après le « NK ») :

« (1)      La juridiction [compétente] exonère la personne majeure de sa responsabilité pénale et lui inflige une amende de 1 000 à 5 000 [leva bulgares (BGN) (environ 500 à 2 500 euros)] lorsque les conditions suivantes sont cumulativement réunies :

a)      l’infraction est passible d’une peine de privation de liberté de trois ans au maximum, ou toute autre peine moins sévère, lorsqu’elle est commise de manière intentionnelle, ou d’une privation de liberté de cinq ans au maximum, ou toute autre peine moins sévère, en cas d’imprudence ;

b)      l’auteur n’a pas été condamné pour un crime de droit commun et n’a pas été exonéré de sa responsabilité pénale au titre du présent chapitre ;

c)      le préjudice matériel résultant de l’infraction a été réparé.

[...]

(4)      La juridiction qui inflige l’amende visée au paragraphe 1 peut également infliger une peine administrative de suspension du droit d’exercer une profession ou une activité pour une durée de trois ans au maximum si une suspension de ce droit est prévue pour l’infraction concernée. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Par jugement du 26 juin 2018, devenu définitif le 20 novembre 2019, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, a déclaré HV coupable d’avoir conduit sur le territoire bulgare un véhicule à moteur en infraction aux règles de la circulation routière et causé, par négligence, des dommages corporels modérés à plus d’une personne. Sur le fondement de l’article 78a, paragraphe 1, du NK, cette juridiction a exonéré HV de sa responsabilité pénale au titre de cette infraction et lui a infligé une amende administrative de 1 000 BGN (environ 500 euros). En outre, en application de l’article 78a, paragraphe 4, du NK, ladite juridiction a décidé de suspendre le droit de HV de conduire un véhicule à moteur pour une période de six mois à compter du jour où ce jugement deviendrait définitif.

14      Le procureur près la juridiction de renvoi a informé celle-ci que cette suspension ne pourrait être mise à exécution sur le territoire bulgare, puisque HV réside de manière permanente en Espagne et que son permis de conduire délivré par les autorités bulgares a été échangé contre un permis équivalent délivré par les autorités espagnoles.

15      Le 27 octobre 2020, la juridiction de renvoi a délivré un certificat au titre de la décision‑cadre 2008/947, qui a été transmis au Juzgado Central de lo Penal (tribunal pénal au niveau national, Espagne). À la section j), point 4, de ce certificat, intitulée « Nature de la (des) mesure(s) de probation ou de la (des) peine(s) de substitution », était cochée la case « injonctions concernant le comportement, la résidence, la formation, les loisirs, ou comportant des restrictions ou des modalités relatives à l’exercice d’une activité professionnelle ». Au point 5 de cette section, il était précisé que la peine de substitution consistait en une suspension du droit de conduire un véhicule à moteur pour une période de six mois.

16      Par décision du 17 février 2021, le Juzgado Central de lo Penal (tribunal pénal au niveau national) a refusé de reconnaître le jugement transmis et d’exécuter la peine prononcée contre HV, au motif que celle-ci ne figurait pas au nombre des peines prévues par la Ley 23/2014 de reconocimiento mutuo de resoluciones penales en la Unión Europea (loi 23/2014, relative à la reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale dans l’Union européenne), du 20 novembre 2014 (BOE nº 282, du 21 novembre 2014, p. 1), et par les décisions‑cadres relatives à l’exécution des peines ou des décisions de probation dans l’Union européenne. Cette juridiction a également motivé son refus sur le fondement de la directive 2006/126.

17      La juridiction de renvoi estime que ce refus rend impossible l’exécution effective de la suspension du droit de conduire prononcée contre HV, ce qui aboutit, de facto, à l’impunité de celui‑ci. Pourtant, une telle décision relèverait de la décision‑cadre 2008/947, puisqu’elle constituerait une « peine de substitution », imposant une « injonction concernant le comportement », au sens de l’article 2, point 4, et de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de cette décision‑cadre.

18      Cette juridiction considère aussi que le principe de territorialité des lois pénales et de police, énoncé à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2006/126, entre en conflit avec le principe de reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale, tel que concrétisé par la décision‑cadre 2008/947. Selon elle, la question se pose de savoir lequel de ces deux actes du droit de l’Union est applicable, afin de déterminer s’il y a lieu de transmettre au Juzgado Central de lo Penal (tribunal pénal au niveau national) un nouveau certificat au titre de cette décision‑cadre.

19      Dans ces conditions, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Des décisions de justice dans des affaires pénales en vertu desquelles, pour les infractions consistant à avoir enfreint les règles de la circulation routière et causé par négligence des dommages corporels modérés, le contrevenant a été condamné à une sanction administrative de suspension du droit de conduire pour une durée déterminée, relèvent‑elles du champ d’application de l’article 2, point 4, et de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la décision‑cadre [2008/947] ?

2)      Les dispositions de l’article 11, paragraphe 2, et paragraphe 4, premier à troisième alinéas, de la directive [2006/126] permettent‑elles à un État membre dans lequel le titulaire d’un permis de conduire délivré par ce même État réside habituellement de refuser de reconnaître et d’exécuter une sanction administrative, infligée dans un autre État membre, de suspension temporaire du droit de conduire un véhicule à moteur réprimant le fait d’avoir enfreint les règles de la circulation routière et causé par négligence des dommages corporels modérés à des tiers, dans la circonstance où l’infraction a été commise alors que le contrevenant était porteur d’un permis de conduire que l’État de résidence lui avait délivré pour remplacer le permis initialement délivré par l’État l’ayant condamné ? »

 Sur la recevabilité

20      Le gouvernement allemand émet des doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, en faisant valoir qu’aucune procédure n’est pendante devant la juridiction de renvoi et que celle‑ci semble chercher à obtenir la confirmation que les autorités espagnoles ont enfreint le droit de l’Union, ce qui ne pourrait pas faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle.

21      Il est de jurisprudence constante qu’il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, points 60 et 61 ainsi que jurisprudence citée].

22      À cet égard, il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE que la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

23      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi, saisie par le ministère public, est amenée à statuer sur la manière dont il convient d’exécuter la décision de suspension du droit de conduire un véhicule à moteur prononcée à l’égard de HV, dans le cadre d’une procédure pendante devant elle. Dans ce contexte, ainsi qu’il a été indiqué au point 18 du présent arrêt, cette juridiction s’interroge sur la question de savoir si, afin de déterminer s’il y a lieu de transmettre au Juzgado Central de lo Penal (tribunal pénal au niveau national) un nouveau certificat au titre de cette décision‑cadre, elle doit se fonder sur la directive 2006/126 ou sur la décision‑cadre 2008/947.

24      Dès lors, l’interprétation sollicitée du droit de l’Union apparaît nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement.

25      Dans ces conditions, la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la seconde question

26      Par cette question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 2, et paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126 doivent être interprétées en ce sens qu’elles autorisent l’État membre de résidence normale du titulaire d’un permis de conduire, délivré par cet État membre, à ne pas reconnaître et exécuter sur son territoire une décision de suspension du droit de conduire un véhicule à moteur adoptée à l’égard de ce titulaire par un autre État membre en raison d’une infraction routière commise sur le territoire de celui‑ci, y compris lorsque ce permis de conduire a été délivré en échange d’un permis de conduire précédemment délivré par l’État membre où cette infraction routière a été commise.

27      En premier lieu, il ressort de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2006/126, lu à la lumière du considérant 15 de celle‑ci, que, pour des raisons de sécurité routière et sous réserve du respect du principe de territorialité des lois pénales et de police, l’État membre où est située la résidence normale, au sens de l’article 12 de cette directive, du titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre peut appliquer à cette personne ses propres dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l’annulation du droit de conduire et, si nécessaire, procéder à ces fins à l’échange de ce permis. Cette disposition vise donc une situation dans laquelle le titulaire d’un permis de conduire a sa résidence normale dans un État membre autre que l’État membre de délivrance de ce permis (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2015, Aykul, C‑260/13, EU:C:2015:257, point 52).

28      Or, en l’occurrence, le permis de conduire dont dispose HV lui a été délivré par son État membre de résidence normale, en échange du permis de conduire qui lui avait été délivré par l’État membre où HV a fait l’objet de la décision de suspension de son droit de conduire pour une infraction routière commise sur le territoire de ce dernier et qui est en cause au principal. Cette situation ne relève donc pas de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2006/126. En effet, une fois qu’une personne s’est vu échanger son permis de conduire obtenu dans un premier État membre par un permis de conduire délivré par l’État membre de résidence normale, elle ne doit plus être considérée comme étant « titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre », au sens de cette disposition.

29      S’agissant, en second lieu, de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2006/126, il importe de relever que, aux termes du deuxième alinéa de ce paragraphe, un État membre refuse de reconnaître à une personne dont le permis de conduire fait l’objet, sur son territoire, d’une restriction, d’une suspension ou d’un retrait, la validité de tout permis de conduire délivré par un autre État membre. Il résulte de l’expression « refuse de reconnaître » que cette disposition prévoit non pas une faculté, mais une obligation pour l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 26 avril 2012, Hofmann, C‑419/10, EU:C:2012:240, point 53, et du 28 octobre 2020, Kreis Heinsberg, C‑112/19, EU:C:2020:864, point 37).

30      L’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126 concerne des mesures qui sont prises en application des lois pénales et de police d’un État membre et qui affectent la validité, sur le territoire de cet État membre, d’un permis de conduire délivré par un autre État membre (arrêt du 23 avril 2015, Aykul, C‑260/13, EU:C:2015:257, point 61). L’obligation prévue par cette disposition vise ainsi à garantir l’exécution effective d’une décision de suspension du droit de conduire prononcée sur le territoire de l’État membre qui l’a adoptée, en conformité avec le principe de territorialité des lois pénales et de police, énoncé à l’article 11, paragraphe 2, de cette directive. En effet, en vertu de ce principe, l’État membre sur le territoire duquel est commise une infraction routière est seul compétent pour sanctionner celle‑ci en prenant, le cas échéant, une décision de suspension du droit de conduire (voir, par analogie, arrêts du 20 novembre 2008, Weber, C‑1/07, EU:C:2008:640, point 38, et du 23 avril 2015, Aykul, C‑260/13, EU:C:2015:257, point 62).

31      Il s’ensuit que l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126, lu à la lumière du principe de territorialité des lois pénales et de police, n’implique pas que la décision de suspension du droit de conduire prononcée sur le territoire d’un État membre doive être reconnue et exécutée dans d’autres États membres, notamment celui de la résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de cette directive, du titulaire du permis de conduire qui a fait l’objet d’une telle décision. En effet, seul l’État membre qui a adopté la décision de suspension du droit de conduire est compétent pour assurer, sur son territoire, l’exécution d’une telle décision, même dans la situation où le destinataire de celle‑ci a sa résidence normale dans un autre État membre.

32      Il en résulte que la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, que HV avait été titulaire d’un permis de conduire délivré par les autorités bulgares avant que l’État membre où il a établi sa résidence normale ne lui délivre, en vertu d’un échange effectué en application de l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2006/126, un permis de conduire dont il disposait au moment des faits au principal est sans pertinence pour déterminer si la décision de suspension du droit de conduire adoptée à l’égard de HV, en raison d’un comportement infractionnel de celui‑ci sur le territoire bulgare, est susceptible d’être exécutée sur le territoire espagnol.

33      Dans ce contexte, il convient toutefois d’ajouter que l’article 15, première phrase, de la directive 2006/126 impose aux États membres de s’assister mutuellement dans la mise en œuvre de cette directive et d’échanger des informations sur les permis qu’ils ont délivrés, échangés, remplacés, renouvelés ou retirés.

34      Cette disposition est susceptible de contribuer à l’exécution effective d’une décision de suspension du droit de conduire prononcée dans l’État membre qui n’est pas celui de la résidence normale de la personne concernée. En effet, à la demande de cet État membre et en conformité avec l’annexe I, point 3, troisième phrase, sous a), rubriques 13 et 14, ainsi que point 4, sous a), de la directive 2006/126, l’État membre de la résidence normale peut consigner sur un permis de conduire d’éventuelles mentions d’interdiction de conduite sur le territoire dudit État membre [voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2021, Stadt Pforzheim (Mentions sur le permis de conduire), C‑56/20, EU:C:2021:333, points 45 et 46].

35      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que les dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 2, et paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126 doivent être interprétées en ce sens qu’elles autorisent l’État membre de résidence normale du titulaire d’un permis de conduire, délivré par cet État membre, à ne pas reconnaître et exécuter sur son territoire une décision de suspension du droit de conduire un véhicule à moteur adoptée à l’égard de ce titulaire par un autre État membre en raison d’une infraction routière commise sur le territoire de celui‑ci, y compris lorsque ce permis de conduire a été délivré en échange d’un permis de conduire précédemment délivré par l’État membre où cette infraction routière a été commise.

 Sur la première question

36      Eu égard à la réponse apportée à la seconde question et au fait que seule la directive 2006/126 régit la situation dans laquelle un État membre suspend, en vertu de sa législation nationale et en raison d’un comportement infractionnel sur son territoire, le droit de conduire du titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre, en déterminant que l’effet d’une telle suspension est limité à ce seul territoire, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.

 Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

Les dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 2, et paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire,

doivent être interprétées en ce sens que :

elles autorisent l’État membre de résidence normale du titulaire d’un permis de conduire, délivré par cet État membre, à ne pas reconnaître et exécuter sur son territoire une décision de suspension du droit de conduire un véhicule à moteur adoptée à l’égard de ce titulaire par un autre État membre en raison d’une infraction routière commise sur le territoire de celuici, y compris lorsque ce permis de conduire a été délivré en échange d’un permis de conduire précédemment délivré par l’État membre où cette infraction routière a été commise.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.