Language of document : ECLI:EU:T:2015:654

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

18 septembre 2015 (*)

« Aides d’État – Distribution de courrier – Mesures prises par les autorités allemandes en faveur de la Deutsche Post AG – Décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE – Intérêt à agir – Réouverture d’une procédure close – Effets d’un arrêt d’annulation »

Dans l’affaire T‑421/07 RENV,

Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Martenczuk, T. Maxian Rusche et R. Sauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

UPS Europe NV/SA, établie à Bruxelles (Belgique),

et

UPS Deutschland Inc. & Co. OHG, établie à Neuss (Allemagne),

représentées par Me T. Ottervanger, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 12 septembre 2007 d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, [CE] en ce qui concerne l’aide d’État accordée par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la Deutsche Post AG [aide d’État C 36/07 (ex NN 25/07)],

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 7 juillet 1994, la société de distribution de colis UPS Europe NV/SA a déposé une plainte auprès de la Commission des Communautés européennes à l’encontre de l’entreprise publique postale allemande Deutsche Bundespost Postdienst (ci-après la « DB‑Postdienst »), dont les activités ont été reprises, le 1er janvier 1995, par la requérante, la Deutsche Post AG. Cette plainte, fondée tant sur l’article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) que sur l’article 92 du traité CE (devenu article 87 CE), a été suivie d’une autre plainte introduite, en 1997, par l’association des prestataires privés de services de messagerie et de livraison express du courrier et de colis, le Bundesverband Internationaler Express‑ und Kurierdienste eV.

2        UPS Europe et le Bundesverband Internationaler Express‑ und Kurierdienste reprochaient à la DB‑Postdienst de mener une politique de vente à perte dans le secteur ouvert à la concurrence du colis de porte à porte, financée au moyen des recettes générées dans le secteur du transport du courrier, dans lequel elle bénéficiait d’un monopole légal ou bien d’aides contraires à l’article 87 CE.

3        Par lettre du 17 août 1999, publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 23 octobre 1999 (JO C 306, p. 25), la Commission a informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard de plusieurs mesures en vertu desquelles la requérante avait bénéficié de fonds publics (ci‑après la « décision d’ouverture de 1999 »).

4        Le 19 juin 2002, la Commission a adopté la décision 2002/753/CE concernant des mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la requérante (JO L 247, p. 27, ci‑après la « décision de 2002 »), dont le dispositif est libellé comme suit :

« Article premier

L’aide publique d’un montant de 572 millions d’euros (1 118,7 millions de DEM), que [la République fédérale d’Allemagne] a accordée à [la requérante], est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1. [La République fédérale d’Allemagne] prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger [de la requérante] la restitution de l’aide mentionnée à l’article 1er, qui lui a été octroyée illégalement.

[…] »

5        Par son arrêt du 1er juillet 2008, Deutsche Post/Commission (T‑266/02, Rec, ci‑après l’« arrêt d’annulation », EU:T:2008:235), le Tribunal a annulé la décision de 2002. Le pourvoi formé par la Commission contre ledit arrêt a été rejeté par l’arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post (C‑399/08 P, Rec, EU:C:2010:481).

6        Le 11 mai 2004, UPS Europe a introduit une nouvelle plainte auprès de la Commission en faisant valoir que celle-ci, dans la décision de 2002, n’avait pas examiné toutes les mesures publiques mentionnées dans la plainte de 1994 et que les avantages dont bénéficiait la requérante dépassaient largement le montant dont la Commission avait ordonné la récupération. À son tour, le 16 juillet 2004, la TNT Post AG & Co. KG a introduit une plainte alléguant que les tarifs des services facturés par la requérante à l’une de ses filiales étaient excessivement bas, ces services étant financés au moyen des recettes provenant du secteur du transport du courrier.

7        Par lettre du 12 septembre 2007, la Commission a notifié à la République fédérale d’Allemagne sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne l’aide d’État accordée par les autorités allemandes en faveur de la Deutsche Post [aide d’État C 36/07 (ex NN 25/07)] (ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée est publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 19 octobre 2007 (JO C 245, p. 21) dans la langue faisant foi, l’allemand, précédée d’un résumé dans les autres langues officielles.

8        Dans la décision attaquée, premièrement, la Commission a rappelé les procédures entreprises contre la requérante, au titre de l’article 87 CE, depuis 1994. Elle a invoqué la nécessité de mener une enquête globale sur l’ensemble des distorsions de la concurrence résultant des fonds publics accordés à la requérante et à son prédécesseur et a indiqué que la procédure entamée par la décision d’ouverture de 1999 serait complétée pour intégrer les informations récemment communiquées et adopter une position définitive sur la compatibilité de ces fonds avec le traité CE (considérants 1 à 15 de la décision attaquée).

9        Deuxièmement, la Commission a souligné que l’« enquête complémentaire » à laquelle elle entendait procéder « ne remplacera[it] nullement la décision de 2002 », cette dernière constatant que « des aides d’État à hauteur de 572 millions d’euros avaient été utilisées pour le subventionnement croisé d’activités commerciales, mais sans se prononcer sur la question générale de savoir si [la requérante et son prédécesseur] avaient reçu une compensation excessive [pour l’accomplissement de leur mission de service d’intérêt économique général] par des fonds publics ». La Commission a expliqué qu’elle envisageait de déterminer s’il y avait eu une surcompensation, au-delà de ces 572 millions d’euros, et a annoncé qu’elle examinerait l’ensemble des mesures publiques adoptées au profit desdites entreprises entre le 1er juillet 1989, date de la création de la DB‑Postdienst, et le 31 décembre 2007, date présumée de cessation de la mission de service d’intérêt économique général de la requérante (considérant 15 de la décision attaquée).

10      Troisièmement, la Commission a mentionné trois mesures publiques dont la DB‑Postdienst et la requérante avaient bénéficié (considérants 25 à 32, 38, 39 et 40 à 48 de la décision attaquée).

11      Quatrièmement, la Commission a considéré que les trois mesures visées au point 10 ci‑dessus soit étaient des aides d’État, soit risquaient d’être des aides d’État (considérants 76 à 78 de la décision attaquée).

12      Cinquièmement, la Commission a indiqué qu’elle examinerait dans quelle mesure la compensation accordée à la requérante et à son prédécesseur était nécessaire pour assurer l’exécution d’une mission de service d’intérêt économique général (considérants 80 et 81 de la décision attaquée).

13      Enfin, sixièmement, la Commission a invité la République fédérale d’Allemagne à « faire part de sa position dans un délai d’un mois à compter de la réception [de la décision attaquée] » et « à communiquer toutes les informations utiles pour l’appréciation juridique des mesures précitées à la lumière des dispositions régissant les aides d’État ».

 Procédure devant le Tribunal et la Cour

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 novembre 2007, la requérante a demandé l’annulation de la décision attaquée et la condamnation de la Commission aux dépens.

15      La Commission a déposé un mémoire en défense au greffe du Tribunal le 6 février 2008 par lequel elle a demandé au Tribunal de rejeter le recours dont il était saisi comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondé, et de condamner la requérante aux dépens.

16      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 29 février 2008, UPS Europe et UPS Deutschland Inc. & Co. OHG (ci‑après, prises ensemble, « UPS ») ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

17      Par ordonnance du 9 juillet 2008, le président de la première chambre du Tribunal a admis la demande d’intervention d’UPS.

18      Par arrêt du 8 décembre 2011, Deutsche Post/Commission (T‑421/07, Rec, EU:T:2011:720), le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable et a condamné la requérante à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission. UPS a été condamnée à supporter ses propres dépens.

19      Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 février 2012, la requérante a formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal, en vertu de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

20      Par arrêt du 24 octobre 2013, Deutsche Post/Commission (C‑77/12 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2013:695), la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal, renvoyé l’affaire devant celui-ci et réservé les dépens.

 Procédure et conclusions après renvoi

21      À la suite de l’arrêt sur pourvoi et conformément à l’article 118, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, l’affaire a été attribuée à la première chambre, par décision du président du Tribunal du 13 novembre 2013.

22      Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, la requérante et la Commission ont déposé des mémoires d’observations écrites au greffe du Tribunal respectivement le 23 décembre 2013 et le 19 février 2014. UPS a renoncé au dépôt d’un mémoire d’observations écrites le 17 avril 2014.

23      Le Tribunal a posé des questions aux parties dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, au titre de l’article 64 du règlement de procédure du 2 mai 1991, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti. Le Tribunal a notamment souhaité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et en vue d’une gestion optimale de trois affaires pendantes devant lui, opposant la requérante à la Commission, à savoir, premièrement, la présente affaire, deuxièmement, l’affaire T‑388/11, Deutsche Post/Commission, et, troisièmement, l’affaire T‑152/12, Deutsche Post/Commission, connaître l’opinion des parties sur ce que pourraient ou devraient être les priorités quant à l’ordre de traitement de ces affaires et la possibilité de suspendre une ou plusieurs affaires dans l’attente du jugement des affaires restantes. Dans l’affaire T‑388/11, Deutsche Post/Commission, la requérante demande l’annulation de la décision de la Commission C (2011) 3081 final, du 10 mai 2011, d’étendre la procédure formelle d’examen en cours, concernant les aides d’État accordées par l’Allemagne à la requérante à titre de compensation de ses obligations de service universel, aux subventions versées par les autorités allemandes en faveur de la requérante en vue de couvrir le coût des pensions des salariés ayant le statut de fonctionnaire [aide d’État C 36/27 (ex NN 25/07)]. Dans l’affaire T‑152/12, Deutsche Post/Commission, la requérante demande l’annulation des articles 1er, 2 et 4 à 6 de la décision 2012/636/UE de la Commission, du 25 janvier 2012, concernant la mesure C 36/07 (ex NN 25/07) mise à exécution par l’Allemagne en faveur de la requérante (JO L 289, p. 1).

24      À la suite des observations des parties, par ordonnances du 15 septembre 2014 du président de la première chambre du Tribunal dans l’affaire T‑388/11, Deutsche Post/Commission, et du président de la huitième chambre du Tribunal dans l’affaire T‑152/12, Deutsche Post/Commission, ces deux affaires ont été suspendues dans l’attente de la décision mettant fin à l’instance dans la présente affaire.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 janvier 2015.

26      Dans son mémoire d’observations du 23 décembre 2013, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      Lors de l’audience, la requérante s’est désistée partiellement du recours. Elle a renoncé à demander l’annulation de la décision attaquée en ce que celle-ci a ouvert la procédure formelle d’examen à l’égard de certaines garanties publiques accordées à son prédécesseur et à elle-même. Elle a maintenu le recours pour le reste et, donc, en ce qui concerne l’ouverture de la procédure formelle d’examen s’agissant des autres mesures publiques visées par la décision attaquée (ci‑après les « mesures litigieuses »).

28      La Commission, soutenue par UPS, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’intérêt à agir

29      Suivant une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’une partie requérante au regard de l’objet du recours s’apprécie, sous peine d’irrecevabilité, au jour où ledit recours est formé. En outre, l’intérêt de cette partie requérante à obtenir satisfaction doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1963, Forges de Clabecq/Haute Autorité, 14/63, Rec, EU:C:1963:60, point 748, et du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec, EU:C:2007:322, point 42).

30      Dans ses observations après renvoi, la Commission fait valoir que la requérante a perdu son intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée comme conséquence de l’annulation de la décision de 2002 et demande au Tribunal de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours.

31      La Commission rappelle que, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a jugé que le recours devait être considéré comme recevable au moment de son introduction, le 22 novembre 2007, en dépit de l’annulation de la décision de 2002, au motif que, à cette date, ladite annulation n’avait pas encore eu lieu. Toutefois, la Cour ne se serait pas prononcée sur la question de savoir si, compte tenu de cette annulation, le recours était devenu sans objet ultérieurement. Sur ce point, la Commission relève, d’une part, que la procédure formelle d’examen ouverte par la décision d’ouverture de 1999 concernait les mesures litigieuses et, d’autre part, que le seul effet juridique de la décision attaquée, à savoir l’obligation pour la République fédérale d’Allemagne de suspendre les mesures litigieuses en cours d’exécution, résultait déjà de la décision d’ouverture de 1999. Or, du fait de l’annulation de la décision de 2002, le 1er juillet 2008, la procédure formelle d’examen ouverte par la décision d’ouverture de 1999 aurait été intégralement rouverte. Par ailleurs, la Commission relève que, à la suite de l’annulation de la décision de 2002, elle était tenue, en vertu de l’article 233 CE, de prendre toutes les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt d’annulation, y compris la clôture, par une décision définitive, de la procédure formelle d’examen ouverte. La Commission en conclut que l’annulation de la décision attaquée n’est plus susceptible de procurer aucun avantage à la requérante, dans la mesure où, d’une part, la procédure formelle d’examen resterait ouverte et devrait être clôturée par une décision définitive et où, d’autre part, l’obligation de suspension des mesures en cours d’exécution continuerait à exister.

32      La requérante conteste les arguments de la Commission et fait valoir qu’elle conserve un intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée.

33      À cet égard, il convient de rappeler que l’intérêt à agir visé par la jurisprudence mentionnée au point 29 ci‑dessus constitue une condition de recevabilité qui doit également perdurer en cas de pourvoi jusqu’à ce que le juge statue au fond. Selon la jurisprudence de la Cour, un tel intérêt existe tant que le pourvoi est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, Rec, EU:C:2010:512, points 22 et 23).

34      Or, dès lors que, d’une part, l’annulation de la décision de 2002 est intervenue le 1er juillet 2008, donc avant le prononcé de l’arrêt sur pourvoi, et que, d’autre part, la Cour a mentionné cette annulation dans son arrêt et ne pouvait partant pas ignorer ses effets, force est de constater que, en accueillant le pourvoi introduit par la requérante, elle a, implicitement, mais nécessairement, estimé que la requérante conservait un intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée même après l’annulation de la décision de 2002.

35      À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de considérer que la requérante conserve un intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, à savoir l’existence de plusieurs décisions successives prises par la Commission depuis 1999 concernant les mesures adoptées en sa faveur, et, notamment, de la circonstance qu’accueillir certains des arguments invoqués par la requérante, concernant le respect du délai raisonnable, dans le cadre du présent recours pourrait avoir non seulement pour conséquence l’annulation de la décision attaquée, mais également des effets sur l’obligation pour la Commission d’en tenir compte s’agissant de l’examen ultérieur de ces mesures.

36      La demande de non‑lieu à statuer présentée par la Commission doit, partant, être rejetée.

 Sur le fond

37      À l’appui de sa demande d’annulation partielle de la décision attaquée, la requérante soulève trois moyens, que la Commission, soutenue par UPS, conteste. Ces moyens sont tirés, le premier, d’une violation des principes fondamentaux de la procédure, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation et, le troisième, d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 88 CE.

38      Dans le cadre du premier moyen, la requérante présente plusieurs griefs. Par le premier de ces griefs, qu’il convient d’examiner d’emblée, elle met en cause la possibilité pour la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard des mesures litigieuses, celles-ci ayant fait l’objet d’une procédure formelle d’examen clôturée et le délai raisonnable pour réaliser l’examen requis ayant été dépassé. D’une part, elle soutient que, conformément à la jurisprudence, la Commission ne peut pas exiger la récupération d’une aide illégale après une période d’inactivité excessive afin de préserver le principe de protection de la confiance légitime. D’autre part, le règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), ainsi que les principes généraux de la procédure, notamment le principe de sécurité juridique, empêcheraient la réouverture d’une procédure clôturée.

39      La Commission répond que le délai écoulé avant l’adoption de la décision attaquée est raisonnable, compte tenu, d’une part, de la complexité de l’examen des frais et des recettes de la DB‑Postdienst et de la requérante pendant plus de 20 ans et, d’autre part, du fait qu’elle avait reçu des informations après avoir adopté la décision de 2002 suscitant de nouvelles questions. Par ailleurs, l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 prévoirait un délai de prescription de dix ans pour les aides illégales, la confiance légitime ne reposant pas sur l’expiration de délais lorsqu’un délai de prescription explicite est prévu. En outre, la Commission rappelle qu’elle était tenue de reprendre la procédure formelle d’examen après l’annulation de la décision de 2002, ce que la décision attaquée aurait simplement anticipé, et que, une décision finale pouvant être révoquée en vertu de l’article 9 du règlement no 659/1999, elle n’aurait pas forcément un caractère définitif.

40      D’abord, il y a lieu d’examiner si la Commission a violé le règlement no 659/1999 ainsi que le principe de sécurité juridique en adoptant la décision attaquée.

41      Premièrement, il importe de relever que la Commission, dans ses observations sur l’arrêt sur pourvoi, et la requérante, dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal visées au point 23 ci‑dessus, ainsi que lors de l’audience, ont confirmé que les mesures litigieuses faisaient déjà l’objet de la procédure formelle d’examen ouverte par la décision d’ouverture de 1999, comme le Tribunal l’avait déjà constaté aux points 56 à 60 de l’arrêt Deutsche Post/Commission, point 18 supra (EU:T:2011:720), sans que la Cour ait relevé dans l’arrêt sur pourvoi l’existence d’une erreur quelconque sur ce point.

42      Il y a donc lieu de considérer que la procédure formelle d’examen à l’égard des mesures litigieuses a été ouverte en 1999.

43      Deuxièmement, il convient de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, applicable à la procédure relative aux aides illégales en vertu de l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement, la procédure formelle d’examen est clôturée par voie de décision conformément aux paragraphes 2 à 5 du même article, à l’exception des cas de retrait de la notification par l’État membre concerné, et, d’autre part, que la Cour a jugé dans l’arrêt sur pourvoi que la Commission avait, par la décision de 2002, complètement clôturé la procédure formelle d’examen ouverte en 1999 (arrêt sur pourvoi, points 56 à 64).

44      La décision attaquée doit donc être considérée, à l’égard des mesures litigieuses, comme une décision de réouverture d’une procédure formelle d’examen complétement clôturée.

45      Troisièmement, il y a lieu de relever que l’article 9 du règlement no 659/1999 permet de révoquer une décision ayant clôturé la procédure formelle d’examen dans le seul cas où elle repose sur des informations inexactes transmises au cours de la procédure et d’une importance déterminante. Est également indiqué à cet article que, avant de révoquer cette décision et d’en prendre une nouvelle, la procédure formelle d’examen doit être ouverte.

46      Certes, l’article 9 du règlement no 659/1999 n’est pas la seule possibilité, pour la Commission, de modifier une décision de clôture de la procédure formelle d’examen.

47      En effet, cette disposition n’est qu’une expression spécifique du principe général du droit selon lequel le retrait rétroactif d’un acte administratif illégal ayant créé des droits subjectifs est admis, notamment lorsque l’acte administratif en cause a été adopté sur la base d’indications fausses ou incomplètes fournies par l’intéressé. La possibilité de retirer de manière rétroactive un acte administratif illégal ayant créé des droits subjectifs n’est toutefois pas limitée à cette seule circonstance, un tel retrait pouvant toujours être opéré, sous réserve de l’observation par l’institution dont émane l’acte des conditions relatives au respect d’un délai raisonnable et de la confiance légitime du bénéficiaire de l’acte qui a pu se fier à la légalité de celui-ci (voir arrêt du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission, T‑25/04, Rec, EU:T:2007:257, point 97 et jurisprudence citée).

48      Toutefois, la Commission n’a jamais envisagé de révoquer ou de retirer la décision de 2002, comme elle le reconnaît dans ses écritures, et n’a pas soutenu que cette décision avait été fondée sur des informations inexactes, mais a justifié l’ouverture d’une nouvelle procédure formelle d’examen par la nécessité de compléter la procédure ouverte en 1999 afin d’intégrer des informations récemment communiquées (considérant 14 de la décision attaquée). Par ailleurs, au considérant 15 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que cette décision ne remplaçait pas la décision de 2002 (voir point 9 ci‑dessus).

49      La décision attaquée ne peut donc pas être considérée comme étant une décision de retrait ou de révocation de la décision de 2002 prise, que ce soit au titre de l’article 9 du règlement no 659/1999 ou en application du principe général du droit selon lequel le retrait rétroactif d’un acte administratif illégal est admis dans certaines circonstances.

50      Quatrièmement, il y a lieu d’observer qu’aucune disposition du règlement no 659/1999 ne donne à la Commission la faculté de rouvrir une procédure formelle d’examen clôturée et de prendre une nouvelle décision sans révoquer ou retirer la décision de clôture.

51      Certes, une telle réouverture n’est pas explicitement interdite par le règlement no 659/1999. Toutefois, elle serait contraire au principe de sécurité juridique ainsi qu’à l’esprit dudit règlement, dont le considérant 3 montre que le besoin d’accroître la sécurité juridique a été l’une des raisons de son adoption et dont le considérant 9 indique que la procédure formelle d’examen est clôturée par une décision « finale ».

52      En effet, d’une part, une telle réouverture impliquerait la coexistence dans l’ordre juridique de deux décisions incompatibles. D’autre part, admettre la possibilité pour la Commission de rouvrir une procédure formelle d’examen clôturée et de prendre une nouvelle décision sans révoquer ou retirer préalablement la décision de clôture permettrait à la Commission de revenir à tout moment sur cette décision, empêchant les parties concernées par la procédure d’examen clôturée d’avoir la moindre certitude sur leur situation juridique.

53      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la décision attaquée a été prise en violation du règlement no 659/1999 et du principe de sécurité juridique, dans la mesure où elle a rouvert la procédure formelle d’examen complètement clôturée par la décision de 2002 afin que soit prise, sans que celle-ci soit révoquée ou retirée, une nouvelle décision.

54      La Commission a admis, lors de l’audience, que la réouverture d’une procédure formelle d’examen complètement clôturée, comme celle de l’espèce, était illégale en l’absence de révocation ou de retrait de la décision de clôture. Toutefois, selon la Commission, il y a lieu de prendre en considération, en l’espèce, la circonstance que l’annulation de la décision de 2002 a eu pour effet de faire disparaître rétroactivement de l’ordre juridique la décision de clôture de la procédure formelle d’examen ouverte en 1999. La décision attaquée serait donc légale.

55      À cet égard, il convient de rappeler que la légalité d’un acte doit être appréciée en se situant au moment de son adoption (arrêt du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec, EU:C:1979:29, point 7). Or, au moment de l’adoption de la décision attaquée, en 2007, l’arrêt d’annulation, prononcé en 2008, n’existait pas encore et la Commission ne pouvait pas le prendre en considération. Par ailleurs, l’annulation ultérieure rétroactive de la décision de 2002 n’empêche pas qu’il soit tenu compte de son existence lors de l’appréciation de la situation procédurale prévalant avant ladite annulation, ainsi qu’il ressort de l’arrêt sur pourvoi, dans lequel la Cour a indiqué que, lors de l’adoption de la décision attaquée, la décision de 2002 faisait encore partie de l’ordre juridique de l’Union européenne et était encore en vigueur (arrêt sur pourvoi, points 65 et 66).

56      Ensuite, il convient de relever que la décision attaquée a été prise sur la prémisse que la décision de 2002 n’avait pas entièrement clôturé la procédure et que, par conséquent, la continuation de la procédure qui a abouti à la décision attaquée, a constitué un « complément d’enquête » (voir point 9 ci-dessus). Or, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt sur pourvoi, cette prémisse était erronée et la Commission n’était pas en droit de prendre la décision attaquée en s’appuyant sur cette prémisse (voir point 53 ci-dessus).

57      Il est, certes, exact que, en vertu de l’article 231, premier alinéa, CE, lorsqu’un recours en annulation est fondé, le juge de l’Union déclare nul et non avenu l’acte contesté. Selon une jurisprudence constante, il en résulte que la décision d’annulation du juge de l’Union fait disparaître rétroactivement l’acte contesté à l’égard de tous les justiciables [arrêts du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, Rec, EU:C:2006:356, point 43, et du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, Rec, EU:C:2008:79, point 61]. Ainsi, depuis l’arrêt d’annulation, la décision de 2002 a disparu rétroactivement.

58      L’annulation de la décision de 2002 par l’arrêt d’annulation a imposé à la Commission de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt, conformément à l’article 233 CE. À cette fin, elle doit prendre en considération le fait que cette décision a disparu rétroactivement.

59      Sur ce dernier point, il convient de rappeler que l’institution dont un acte a été annulé doit, pour se conformer à l’arrêt et lui donner pleine exécution, respecter non seulement son dispositif, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui, d’une part, identifient la disposition exacte considérée comme illégale et, d’autre part, font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé (arrêt du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec, EU:C:1988:199, point 27).

60      Ainsi, s’agissant de la réouverture d’une procédure formelle d’examen clôturée, il y a lieu de considérer que, lorsque la Commission rouvre une telle procédure à la suite de l’annulation de la décision de clôture, elle se trouve juridiquement dans une situation différente de celle où elle se trouvait au moment de l’adoption de la décision attaquée, qui ne s’appuyait pas sur la non-existence de la décision de 2002.

61      Par conséquent, la Commission ne saurait valablement invoquer l’arrêt d’annulation pour soutenir la légalité de la décision attaquée alors que celle-ci a été prise en tenant compte de la décision de 2002, qui a été annulée par cet arrêt. La décision attaquée ne peut pas non plus dans ces conditions constituer, contrairement à ce que fait valoir la Commission, une « anticipation » de l’arrêt d’annulation.

62      Enfin, l’annulation de la décision de clôture d’une procédure formelle d’examen doit être considérée, en l’absence du retrait ou de la révocation de cette décision, comme une condition formelle nécessaire et préalable à la réouverture de ladite procédure. Les parties concernées par la procédure formelle d’examen seraient sinon placées dans une situation d’incertitude quant à la nature de la décision de réouverture, incompatible avec le besoin d’accroître la sécurité juridique qui est l’une des raisons de l’adoption du règlement no 659/1999 (voir point 51 ci‑dessus).

63      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission n’était pas en droit d’adopter la décision attaquée avant l’annulation de la décision de 2002. Dès lors, le premier grief présenté par la requérante dans le cadre du premier moyen est fondé.

64      Le premier moyen devant être accueilli, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, griefs et arguments présentés par la requérante à l’appui de ses conclusions.

 Sur les dépens

65      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés au titre du recours en annulation, en ce compris ceux exposés dans la procédure sur pourvoi devant la Cour, conformément aux conclusions de la requérante.

66      UPS supportera ses propres dépens en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission du 12 septembre 2007 d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne l’aide d’État accordée par la République fédérale d’Allemagne en faveur de la Deutsche Post AG [aide d’État C 36/07 (ex NN 25/07)] est annulée en ce qu’elle a ouvert la procédure formelle d’examen à l’égard des mesures publiques visées, à l’exception des garanties d’État accordées en faveur de la Deutsche Bundespost Postdienst et de la Deutsche Post.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Deutsche Post au titre du recours en annulation, y compris ceux exposés dans la procédure sur pourvoi devant la Cour.

3)      UPS Europe NV/SA et UPS Deutschland Inc. & Co. OHG supporteront leurs propres dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 septembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.