Language of document : ECLI:EU:T:2012:542

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

11 octobre 2012 (*)

« Référé – Concurrence – Concentrations – Marché de l’électricité – Décision autorisant une opération de concentration sous réserve du respect de certains engagements – Refus d’accorder la prorogation du délai fixé pour honorer ces engagements – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑389/12 R,

Électricité de France (EDF), établie à Paris (France), représentée par Mes A. Creus Carreras et A. Valiente Martin, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito et S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires relatives à la décision C (2012) 4617 final de la Commission, du 28 juin 2012, refusant d’accorder à la requérante la prorogation du délai fixé pour honorer certains de ses engagements, repris par la décision C (2009) 9059, du 12 novembre 2009, qui autorise l’opération de concentration visant à l’acquisition du contrôle exclusif des actifs de l’entreprise Segebel par Électricité de France (affaire COMP/M.5549 – EDF/Segebel),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Par la décision C (2009) 9059, du 12 novembre 2009, la Commission des Communautés européennes a autorisé, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 34, p. 1), l’opération de concentration visant à l’acquisition du contrôle exclusif des actifs de l’entreprise belge Segebel par la requérante, Électricité de France (EDF), à condition pour la requérante de respecter deux engagements qu’elle avait proposés à la Commission afin de dissiper des doutes quant à la compatibilité de l’opération de concentration avec le marché commun (affaire COMP/M.5549 – EDF/Segebel).

2        Par la cession en juillet 2011 du projet Dils-Energie relatif au développement d’une centrale électrique, la requérante a honoré son premier engagement.

3        Aux termes du second engagement, la requérante était tenue de céder un autre projet relatif au développement d’une centrale électrique, le projet Nest-Energie, à un acquéreur approprié, dans l’hypothèse où elle n’aurait pas pris la décision définitive, avant le 30 juin 2012, d’investir elle-même dans ce projet.

4        Invoquant des changements significatifs et durables qui seraient survenus sur le marché de l’électricité belge depuis l’adoption de la décision d’autorisation C (2009) 9059 et qui auraient été imprévisibles en 2009, la requérante s’est adressée, par lettre du 14 mai 2012, à la Commission en faisant valoir qu’il était impossible pour elle, comme pour n’importe quel autre opérateur du marché, de prendre une décision d’investissement définitive sur le projet Nest-Energie avant l’expiration du délai fixé au 30 juin 2012. Elle a donc demandé à la Commission de lui accorder une prolongation de ce délai jusqu’au 31 décembre 2014.

5        Par la décision C (2012) 4617 final du 28 juin 2012, la Commission a refusé de faire droit à la demande de prorogation, tout en accordant à la requérante un délai supplémentaire de trois mois et demi, soit jusqu’au 15 octobre 2012 (ci-après la « décision litigieuse »).

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 septembre 2012, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision litigieuse.

7        Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande de procédure accélérée, au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, et la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner la prolongation du délai qui lui a été imparti pour prendre une décision d’investissement définitive ou pour céder le projet Nest-Energie, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal ;

–        réserver les dépens.

8        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 24 septembre 2012, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

10      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes en référé doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

11      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

12      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

13      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

14      Dans ce contexte, la requérante indique que, l’investissement dans le projet Nest-Energie représentant un coût estimé à 800 millions d’euros, ce projet pourrait couvrir ses coûts annuels fixes et variables, mais ne couvrirait certainement pas l’investissement initial et n’atteindrait pas le seuil de rentabilité requis. Selon la requérante, l’urgence créée par la décision attaquée, qui impose l’ouverture d’une procédure de cession avant le 16 octobre 2012, est inhérente à sa nature même, puisqu’elle l’oblige à céder certains actifs en faveur d’un concurrent (potentiel). Une fois la cession effectuée, il serait impossible de revenir en arrière. Le seul moyen légal qui le permettrait consisterait à faire état d’un préjudice, mais le préjudice en tant que tel résultant de l’investissement manqué serait presque impossible à quantifier, puisque la requérante le supporterait indéfiniment. En outre, une cession immédiate représenterait un risque sérieux de vente à perte si une seconde phase de cession était ouverte.

15      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, point 32, et la jurisprudence citée). Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 83].

16      Lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient, selon une jurisprudence bien établie, s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et ordonnance United Phosphorus/Commission, précitée, points 33 à 35, et la jurisprudence citée].

17      Pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc d’accorder, à titre exceptionnel, les mesures provisoires demandées, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de la partie requérante et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (voir ordonnance du président du Tribunal du 12 mai 2010, Reagens/Commission, T‑30/10 R, non publiée au Recueil, point 45, et la jurisprudence citée). La partie requérante est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C‑373/10 P(R), non publiée au Recueil, point 24].

18      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17 ; voir, également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

19      En l’espèce, le préjudice allégué doit, à l’évidence, être qualifié de préjudice d’ordre purement financier, la requérante s’étant bornée à émettre des doutes quant à son caractère quantifiable.

20      Or, force est de constater que la requérante s’est abstenue de fournir, dans la demande en référé, la moindre information sur la taille et le chiffre d’affaires de son entreprise. Ainsi, elle n’a pas établi une image fidèle et globale de sa situation financière, telle que requise par la jurisprudence.

21      De plus, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, la requérante fait partie d’un groupe (ci-après le « groupe EDF »), qui est actif à l’échelle mondiale. Par conséquent, l’obligation pour la requérante de produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière s’étendait au groupe EDF tout entier, afin de permettre au juge des référés d’apprécier la capacité et la solidarité financières dont elle jouissait grâce à son intégration dans ce groupe. Or, la requérante n’a même pas fait mention de son appartenance au groupe EDF et encore moins précisé la situation financière de ce dernier.

22      Dès lors, à défaut d’éléments pertinents figurant dans la demande en référé, la requérante n’a pas démontré que le préjudice financier allégué serait suffisamment grave pour justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées. Elle n’a, notamment, pas établi qu’elle se trouverait, en l’absence des mesures provisoires demandées, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même ou de modifier ses parts de marché de manière importante.

23      Dans ces circonstances, le juge des référés ne saurait admettre l’urgence invoquée, en se contentant des simples affirmations non étayées de la requérante. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 9 ci-dessus), de telles mesures ne peuvent être accordées que si lesdites affirmations produisent une image fidèle et globale de sa situation financière et reposent sur des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 57, et la jurisprudence citée).

24      Par conséquent, le préjudice financier allégué par la requérante ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

25      À titre surabondant, il convient d’ajouter que la requérante n’affirme pas que le préjudice financier allégué soit égal au coût, estimé à 800 millions d’euros, de l’investissement dans le projet Nest-Energie. Elle considère plutôt que ce projet n’atteindrait pas le seuil de rentabilité requis et fait état d’un risque sérieux de vente à perte, en soutenant que le préjudice en résultant serait difficile à quantifier. Il est permis d’en conclure, ainsi que la Commission l’a fait à juste titre, que ce préjudice, loin d’atteindre la somme de 800 millions d’euros, prend des dimensions nettement inférieures, puisqu’il se chiffre en termes de vente à perte et de régression des attentes de rentabilité.

26      Or, il ressort de sources publiques, à savoir du rapport 2011 publié par le groupe EDF sur son site Internet, que le chiffre d’affaires global du groupe s’élevait en 2011 à plus de 65 milliards d’euros, ce qui a également été souligné par la Commission. Eu égard à cette puissance financière du groupe EDF, il semble exclu que le préjudice causé à la requérante, soit par la cession des actifs de la société chargée du développement du projet Nest-Energie, soit par la décision définitive de poursuivre elle-même l’investissement dans ce projet, puisse être qualifié de grave, condition requise pour l’application de l’article 279 TFUE.

27      Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi la gravité du préjudice allégué. Il n’apparaît dès lors pas nécessaire d’examiner le caractère irréparable de ce préjudice.

28      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées sont remplies en l’espèce.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 11 octobre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.