Language of document : ECLI:EU:T:2011:378

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

14 juillet 2011 (*)

« Concurrence – Ententes – Peroxyde d’hydrogène et perborate de sodium – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Imputabilité du comportement infractionnel – Droits de la défense – Présomption d’innocence – Obligation de motivation – Égalité de traitement – Principe d’individualité des peines et des sanctions – Principe de légalité des délits et des peines – Principe de bonne administration – Sécurité juridique – Détournement de pouvoir – Amendes »

Dans l’affaire T‑190/06,

Total SA, établie à Courbevoie (France),

Elf Aquitaine SA, établie à Courbevoie,

représentées par Mes É. Morgan de Rivery, A. Noël-Baron, et E. Lagathu, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. F. Arbault et Mme O. Beynet, puis par MM. V. Bottka, P. J. Van Nuffel et B. Gencarelli, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation partielle de la décision C (2006) 1766 final de la Commission, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate), et, à titre subsidiaire, une demande de réformation de l’article 2, sous i), de ladite décision,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de MM. V. Vadapalas (rapporteur), faisant fonction de président, M. Prek, A. Dittrich, L. Truchot et K. O’Higgins, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Les requérantes, Total SA et Elf Aquitaine SA, sont des sociétés de droit français, sociétés faîtières du groupe auquel appartenait Arkema France SA (anciennement Atofina SA, ci-après « Arkema »), qui commercialisait, à l’époque des faits, notamment, du peroxyde d’hydrogène (ci‑après le « PH ») et du perborate de sodium (ci-après le « PBS »).

2        Entre la date de début de l’infraction et le mois d’avril 2000, Elf Aquitaine était le principal actionnaire, à 97,5 %, d’Arkema. À partir de cette date, Arkema a été détenue à 96,48 % par Elf Aquitaine, elle-même détenue à 99,43 % par Total.

3        En novembre 2002, Degussa AG a informé la Commission des Communautés européennes de l’existence d’une entente sur les marchés du PH et du PBS et a sollicité l’application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci‑après la « communication sur la coopération »).

4        Degussa a fourni des preuves matérielles à la Commission, qui l’ont mise en mesure d’effectuer, les 25 et 26 mars 2003, des vérifications dans les locaux de trois entreprises, dont ceux d’Arkema.

5        À la suite de ces vérifications, plusieurs entreprises, dont notamment EKA Chemicals AB, Arkema et Solvay SA, ont sollicité l’application de la communication sur la coopération et transmis à la Commission des éléments de preuve concernant l’entente en cause.

6        Le 26 janvier 2005, la Commission a envoyé une communication des griefs aux requérantes et aux autres entreprises concernées.

7        À la suite de l’audition des entreprises concernées, qui s’est déroulée les 28 et 29 juin 2005, la Commission a adopté la décision C (2006) 1766 final, du 3 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre d’Akzo Nobel NV, Akzo Nobel Chemicals Holding AB, EKA Chemicals, Degussa, Edison SpA, FMC Corp., FMC Foret SA, Kemira Oyj, L’Air liquide SA, Chemoxal SA, SNIA SpA, Caffaro Srl, Solvay SA, Solvay Solexis SpA, les requérantes et Arkema (affaire COMP/F/38.620 – Peroxyde d’hydrogène et perborate) (ci‑après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 13 décembre 2006 (JO L 353, p. 54). Elle a été notifiée aux requérantes par lettre du 8 mai 2006.

 Décision attaquée

8        La Commission a indiqué, dans la décision attaquée, que les destinataires de celle‑ci avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), concernant le PH et le produit en aval, le PBS (considérant 2 de la décision attaquée).

9        L’infraction constatée a consisté principalement en l’échange, entre concurrents, d’informations importantes sous l’angle commercial et d’informations confidentielles sur les marchés et les entreprises, en une limitation et en un contrôle de la production et des capacités potentielles et réelles de celle-ci, en une répartition des parts de marché et des clients ainsi qu’en la fixation et en la surveillance du respect d’objectifs de prix.

10      Les requérantes et Arkema ont été tenues « conjointement et solidairement » responsables de l’infraction (considérant 441 de la décision attaquée).

11      Aux fins du calcul des montants des amendes, la Commission a fait application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »).

12      La Commission a déterminé les montants de base des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction (considérant 452 de la décision attaquée), celle-ci ayant été qualifiée de très grave (considérant 457 de la décision attaquée).

13      En application d’un traitement différencié, les requérantes et Arkema ont été classées dans la troisième catégorie, correspondant à un montant de départ de 20 millions d’euros (considérants 460 à 462 de la décision attaquée).

14      Afin de s’assurer d’un effet dissuasif suffisant, un coefficient multiplicateur de 3 a été appliqué à ce montant de départ, compte tenu du chiffre d’affaires important des requérantes (considérant 463 de la décision attaquée).

15      Arkema et Elf Aquitaine ayant pris part à l’infraction, selon la Commission, du 12 mai 1995 au 31 décembre 2000, à savoir pendant une période de cinq ans et sept mois, le montant de l’amende leur étant imputable a été majoré de 55 % au titre de la durée (considérant 467 de la décision attaquée). Cette majoration n’a pas été opérée sur le montant de l’amende imputable à Total, dont la responsabilité de l’infraction en cause a été retenue pour la période du 30 avril au 31 décembre 2000 (considérant 468 de la décision attaquée).

16      La Commission a retenu une circonstance aggravante à l’égard d’Arkema, compte tenu de la situation de récidive par rapport aux infractions constatées dans sa décision 85/74/CEE, du 23 novembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (affaire IV/30.907 – Peroxygènes) (JO 1985, L 35, p. 1), et sa décision 94/599/CE, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (affaire IV/31.865 – PVC) (JO L 239, p. 14). En conséquence, elle a appliqué, au montant de base de l’amende imputable à Arkema, une majoration égale à 50 % du montant de base qui lui aurait été appliqué si les requérantes, sociétés faîtières du groupe, n’avaient pas été destinataires de la décision attaquée (considérants 469 à 471 et note en bas de page no 409 de la décision attaquée).

17      La Commission a considéré qu’Arkema était la deuxième entreprise à avoir rempli la condition visée au point 21 de la communication sur la coopération et lui a accordé, à ce titre, une réduction du montant de l’amende de 30 %, cette réduction ayant été appliquée sur le montant total de l’amende infligée à Arkema et aux requérantes (considérants 509 à 514 et 529 de la décision attaquée).

18      L’article 1er, sous o) à q), de la décision attaquée dispose que les trois sociétés ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord EEE, en participant à l’infraction concernée, Total, du 30 avril au 31 décembre 2000, Arkema et Elf Aquitaine, du 12 mai 1995 au 31 décembre 2000.

19      L’article 2, sous i), de la décision attaquée impose à Arkema une amende de 78,663 millions d’euros, dont Total et Elf Aquitaine sont tenues « conjointement et solidairement » responsables, respectivement, à hauteur de 42 millions d’euros et de 65,1 millions d’euros.

 Procédure et conclusions des parties

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 juillet 2006, les requérantes ont introduit le présent recours.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre et, les parties entendues, la présente affaire a été renvoyée devant la sixième chambre élargie.

22      Deux membres de la chambre élargie étant empêchés de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, deux autres juges pour compléter la chambre.

23      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, ordonnées par le Tribunal le 28 avril 2010, la Commission a produit, par lettre du 4 mai 2010, certains éléments du dossier administratif invoqués par les requérantes dans la requête.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 3 septembre 2010.

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler l’article 1er, sous o) et p), l’article 2, sous i), et les articles 3 et 4 de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réformer l’article 2, sous i), de la décision attaquée, en ce que la Commission les y a condamnées solidairement avec Arkema à une amende, et réduire le montant de cette amende ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

27      À l’appui de leur demande tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée, les requérantes invoquent dix moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise, le quatrième, d’une violation des règles de l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales, le cinquième, d’erreurs d’appréciation concernant Total, le sixième, d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, le septième, d’une violation du principe de bonne administration, le huitième, d’une violation du principe de sécurité juridique, le neuvième, d’une violation de certains principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes, et le dixième, d’un détournement de pouvoir.

28      À titre subsidiaire, par le onzième moyen, les requérantes demandent la réduction du montant de l’amende infligée en vertu de l’article 2, sous i), de la décision attaquée.

29      Le Tribunal estime opportun d’examiner tout d’abord l’argumentation soulevée dans le cadre du quatrième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales

30      Le quatrième moyen s’articule en trois branches. Il convient d’examiner tout d’abord la deuxième branche dudit moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit quant à l’interprétation de la jurisprudence relative à l’imputabilité et quant au respect par la Commission de sa pratique décisionnelle

–       Observations liminaires

31      Il convient de rappeler que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 54, et la jurisprudence citée).

32      La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, devait être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 55, et la jurisprudence citée).

33      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 56, et la jurisprudence citée).

34      L’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 57, et la jurisprudence citée).

35      Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 58, et la jurisprudence citée).

36      En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens susmentionné. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 59).

37      La Cour a également jugé que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 60, et la jurisprudence citée).

38      La Cour a donc précisé que, dans ces conditions, il suffisait que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 61, et la jurisprudence citée).

39      En l’espèce, aux considérants 370 à 379 de la décision attaquée, la Commission a résumé, en référence à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, les principes qu’elle entendait appliquer pour identifier les destinataires de la décision attaquée.

40      Elle a rappelé qu’une société mère pouvait être tenue pour responsable du comportement illégal d’une filiale, dans la mesure où cette dernière ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère. Elle a précisé pouvoir, en substance, présumer qu’une filiale à 100 % appliquait pour l’essentiel les instructions données par sa société mère, cette dernière pouvant renverser la présomption par la preuve contraire (considérant 374 de la décision attaquée).

41      Concernant la responsabilité d’Elf Aquitaine, la Commission a relevé que celle-ci avait détenu 98 % du capital d’Arkerma et avait toujours nommé les membres du conseil d’administration de cette dernière. Ainsi, la Commission a présumé qu’Elf Aquitaine exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (considérant 427 de la décision attaquée).

42      Concernant Total, la Commission a indiqué que celle-ci avait pris le contrôle de 99,43 % du capital d’Elf Aquitaine en avril 2000, qu’elle contrôlait directement ou indirectement le capital des sociétés du groupe ayant joué un rôle direct dans les comportements infractionnels et que, compte tenu de ces circonstances, elle avait présumé l’exercice d’une influence déterminante de Total sur le comportement de ses filiales Elf Aquitaine et Arkema (considérants 428 et 429 de la décision attaquée).

43      Aux considérants 430 à 432 de la décision attaquée, la Commission a exposé les arguments invoqués par les requérantes à l’encontre de l’imputation de l’infraction en cause et les a examinés aux considérants 433 à 440 de celle-ci.

44      Au considérant 441 de la décision attaquée, elle a confirmé sa conclusion, selon laquelle Arkema et les requérantes constituaient une entreprise unique, et a retenu leur responsabilité de l’infraction en cause, étant précisé que Total répondait de l’infraction uniquement à partir de la date de sa prise de contrôle du capital d’Elf Aquitaine, à savoir pour la période du 30 avril au 31 décembre 2000.

45      En contestant cette appréciation, les requérantes invoquent, en substance, deux griefs concernant, d’une part, la validité de la présomption en cause et, d’autre part, le rejet des éléments apportés pour établir l’autonomie d’Arkema.

–       Sur la validité de la présomption en cause

46      Les requérantes arguent, en premier lieu, que la Commission ne pouvait pas, sans méconnaître la jurisprudence et sa propre pratique décisionnelle en la matière, leur imputer le comportement d’Arkema sur la base de la seule présomption liée à leur contrôle quasi entier du capital de cette filiale.

47      Il convient de constater que la méthode suivie par la Commission pour imputer l’infraction litigieuse aux requérantes, en ce qu’elle est fondée sur la présomption en cause, est conforme à la jurisprudence citée aux points 31 à 38 ci-dessus.

48      D’une part, contrairement à ce que les requérantes semblent suggérer, cette imputation n’a pas été fondée sur la seule structure de détention du capital, mais également sur le constat que la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur leurs filiales n’avait pas été renversée (voir notamment les considérants 437 et 441 de la décision attaquée).

49      D’autre part, il ressort de cette jurisprudence (voir notamment points 37 et 38 ci-dessus) que la structure de détention du capital d’une filiale constitue un critère suffisant pour poser ladite présomption, sans que la Commission soit tenue d’avancer des indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère, comme les requérantes l’exigent.

50      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que de tels indices supplémentaires aient pu être relevés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑112/05, Rec. p. II‑5049, points 13 et 54). Il ressort en effet sans aucune ambiguïté tant de l’arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, précité (points 61 et 62) que de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra (points 61 et 62), que la mise en œuvre de la présomption en cause n’est pas subordonnée à l’existence de tels indices. De même, il n’est pas exigé que la Commission établisse à cette fin que la société mère avait connaissance, au moment des faits, du comportement infractionnel de sa filiale.

51      Il y a lieu de relever encore que la jurisprudence susvisée concerne spécifiquement le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 60). Or, en l’espèce, les requérantes ne détenaient pas la totalité du capital de la filiale concernée (voir point 2 ci-dessus).

52      Toutefois, il convient de souligner que les requérantes ne font valoir aucun argument tiré du fait que leurs participations n’atteignaient pas les 100 %. Au contraire, leur argumentation concernant la possibilité pour la Commission de recourir à la présomption en cause vise indistinctement la situation de détention de « 100 % ou presque » du capital de la filiale, confirmant ainsi qu’elles ne s’opposent pas à l’application du même régime probatoire dans les deux situations.

53      Enfin, à supposer même que, comme les requérantes le soutiennent, dans sa pratique décisionnelle antérieure en matière d’imputation de la responsabilité d’une infraction, la Commission ait fait valoir des indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère, ce seul fait ne serait pas de nature à remettre en cause la validité de la méthode d’imputation appliquée en l’espèce.

54      Partant, le présent grief doit être rejeté.

–       Sur le faisceau d’indices apporté par les requérantes pour établir l’autonomie d’Arkema sur le marché

55      Selon la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, pour renverser la présomption en cause, il incombe à la société mère d’apporter des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte sur le marché de façon autonome.

56      À cet égard, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cette filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, points 61 et 74).

57      Il n’y a pas, notamment, lieu de restreindre cette appréciation aux seuls éléments se rapportant à la politique commerciale stricto sensu de la filiale, telle que la stratégie de distribution ou des prix. En particulier, la présomption en cause ne saurait être renversée par la seule démonstration que c’est la filiale qui gère ces aspects spécifiques de sa politique commerciale sans recevoir de directives à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, points 65 et 75).

58      En l’espèce, il ressort du dossier que, lors de la procédure administrative, les requérantes ont invoqué une argumentation tirée de l’autonomie d’Arkema, en faisant notamment valoir que leur groupe était caractérisé par une gestion décentralisée des filiales, qu’Arkema définissait de manière autonome ses orientations stratégiques sur ses activités, que la gestion de son activité sur le marché n’était pas subordonnée aux instructions des sociétés mères, qu’elle n’en rendait compte à ces dernières qu’en termes généraux, qu’elle disposait d’une autonomie financière et du pouvoir de contracter sans leur autorisation préalable et qu’elle définissait sa stratégie juridique de manière autonome. L’autonomie d’Arkema aurait d’ailleurs été confirmée par la perception des tiers.

59      À l’appui de leur argumentation, les requérantes se sont limitées à présenter trois brochures émanant d’Arkema et de l’une d’entre elles, Elf Aquitaine, intitulées « Marchés et métiers », respectivement pour les années 1995, 2000 et 2003. Or, indépendamment de la question de savoir quelle valeur probante il convient d’attribuer à ces documents, force est de constater qu’ils contiennent seulement quelques informations fragmentaires quant aux rapports entre les requérantes et leur filiale. Ainsi, ces documents pourraient attester, tout au plus, de ce qu’Arkema constituait une unité décentralisée, la « branche chimie », au sein du groupe, qu’elle devait devenir une entité indépendante en 2006 et qu’elle fabriquait un nombre important de produits dans différents domaines. À l’exception de la brochure « Marchés et métiers » relative à l’année 2000, ces documents concernent des années non comprises dans la période infractionnelle.

60      En outre, dans une note en bas de page de leur réponse à la communication des griefs, les requérantes ont fait référence à certains éléments résultant de la réponse d’Arkema à la demande de renseignements adressée par la Commission.

61      Les éléments en cause, produits par la Commission dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure du 4 mai 2010, comportent un document intitulé « Pouvoirs internes et engagements de dépenses » et une liste des dirigeants des sociétés du groupe pour les années 1991 à 2003.

62      S’agissant du premier document, il ressort de la réponse d’Arkema à la demande de renseignements, produite par la Commission, que celui-ci contient les règles déterminant le droit d’engager le groupe, applicables « depuis 2001 ». Selon ce document, le comité exécutif de Total n’intervenait que pour les décisions des filiales relatives aux investissements supérieurs à 10 millions d’euros, en en appréciant le niveau de risque et la rentabilité.

63      D’une part, il y a lieu de relever que le document en cause, en ce qu’il contient les règles relatives à la répartition des compétences au sein du groupe depuis l’année 2001, ne saurait servir d’indice pertinent des liens entre les sociétés concernées au cours de la période infractionnelle, ayant pris fin le 31 décembre 2000.

64      D’autre part, il ressort de la réponse des requérantes à la communication des griefs que ce document est invoqué à l’appui de leur thèse selon laquelle elles ne sont jamais intervenues dans la gestion de l’activité d’Arkema relative au PH et au PBS, leur intervention étant limitée aux investissements les plus importants de la filiale. Or, l’autonomie de la filiale, au sens de la jurisprudence citée au point 57 ci-dessus, ne saurait, en tout état de cause, être établie par la simple démonstration que celle-ci gère de manière autonome des aspects spécifiques de sa politique relative à la commercialisation des produits concernés par l’infraction.

65      S’agissant du deuxième document, comportant une liste des dirigeants des sociétés concernées, il convient de relever que, bien que le chevauchement de dirigeants entre la société mère et la filiale constitue un indice de l’exercice d’une influence déterminante, l’absence d’un tel chevauchement ne saurait constituer un indice suffisant de l’autonomie de la filiale.

66      Il ressort de ce qui précède que l’argumentation avancée par les requérantes dans leur réponse à la communication des griefs n’était pas étayée par des éléments de preuve concrets de l’autonomie de leur filiale et consistait donc, en substance, en de simples affirmations, manifestement insusceptibles de constituer un faisceau d’indices suffisant à renverser la présomption en cause.

67      De surcroît, il y a lieu de relever que l’argumentation en cause n’était pas de nature à démontrer l’autonomie de leur filiale.

68      Premièrement, s’agissant de l’affirmation des requérantes selon laquelle Elf Aquitaine n’était qu’un holding non opérationnel, comparable à une simple « direction financière », cette situation n’ayant pas changé après la prise de contrôle de Total, il y a lieu d’observer que, même à supposer que les requérantes n’aient été que des holdings non opérationnels, cette seule circonstance ne saurait suffire pour exclure qu’elles aient exercé une influence déterminante sur Arkema, en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. En effet, dans le contexte d’un groupe de sociétés, un holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d’en assurer l’unité de direction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 63).

69      Or, les requérantes affirment elles-mêmes qu’Elf Aquitaine intervenait dans les décisions les plus importantes qui pouvaient avoir un impact à l’échelle du groupe tout entier et qu’elle déterminait une politique très générale relative à la compatibilité des activités des différentes branches entre elles, aux changements d’activités et à l’implantation géographique des activités dans le monde. Loin d’infirmer la thèse de l’existence d’une entité économique composée par les requérantes et leurs filiales, ces affirmations confirment plutôt que la fonction d’Elf Aquitaine était d’assurer une unité de direction et une coordination, de nature à influer sur le comportement d’Arkema sur le marché.

70      Deuxièmement, dans la mesure où les requérantes indiquent que, à l’époque des faits litigieux, elles ne sont jamais intervenues dans la définition de la stratégie d’un produit donné de la « branche chimie », il y a lieu de relever que cette affirmation n’est pas étayée par des éléments de preuve suffisants. Quant à la dimension du groupe, le prétendu particularisme de l’activité chimique au sein d’une compagnie pétrolière, la taille d’Arkema et le nombre considérable de produits vendus par elle sur des marchés différents, il convient de relever que ces éléments ne sont pas de nature à établir, par eux-mêmes, que les requérantes ne sont jamais intervenues dans la définition de la stratégie commerciale de l’un des produits de la « branche chimie ».

71      Troisièmement, dans la mesure où les requérantes font valoir qu’elles n’ont jamais défini la politique commerciale d’Arkema et ne sont jamais intervenues dans la gestion de l’activité relative au PH et au PBS auprès de leur filiale, il convient de constater que, dans un groupe de sociétés, la division des tâches constitue un phénomène normal qui ne suffit pas à renverser la présomption selon laquelle les requérantes et Arkema constituaient une seule entreprise, au sens de l’article 81 CE. Il en est de même en ce qui concerne l’argument tiré de ce qu’Arkema intervenait sur le marché en son nom et pour son propre compte, et non en représentation de ses sociétés mères Total et Elf Aquitaine.

72      Aucune conclusion ne saurait davantage être tirée du fait que les requérantes n’aient jamais eu de clients communs avec leur filiale, qu’elles aient été absentes des marchés investis par leur filiale et des marchés connexes, que l’activité relative aux produits concernés ne constituait qu’une très faible part du chiffre d’affaires global de chacune des requérantes et que ces produits ne représentaient que quelques-uns des très nombreux produits de l’« activité chimie » d’Arkema.

73      Quatrièmement, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de l’absence de système d’information et de rapport entre elles-mêmes et Arkema, à l’exception d’une information résultant des obligations légales en matière comptable et de régulation financière, il y a lieu d’observer que, étant donné que l’autonomie de la filiale ne s’apprécie pas au regard des seuls aspects de la gestion opérationnelle de l’entreprise, le fait que la filiale n’ait jamais mis en œuvre, au profit de sa société mère, une politique d’information spécifique sur le marché concerné ne saurait suffire à démontrer son autonomie.

74      Cinquièmement, bien que les requérantes fassent valoir qu’Arkema disposait du pouvoir de contracter sans autorisation préalable et disposait d’une autonomie financière importante, il convient de constater que les requérantes admettent avoir contrôlé les projets d’investissement industriel et d’acquisition majeurs ainsi que les engagements les plus importants de leur filiale, cette circonstance ne pouvant que renforcer la conclusion de la Commission selon laquelle cette filiale n’était pas autonome.

75      Sixièmement, il en est de même s’agissant du prétendu fait qu’Arkema ait défini sa stratégie juridique de façon autonome dans l’affaire en cause, dès le stade de l’enquête, à laquelle elle aurait décidé de collaborer sans en référer préalablement à ses sociétés mères. En effet, le fait, pour une entreprise, de ne pas se présenter comme un seul interlocuteur, tant au cours de la procédure administrative qu’au stade contentieux, ne permet pas de conclure que la filiale concernée est autonome par rapport à sa ou ses sociétés mères.

76      En outre, il importe de rappeler que ce n’est pas une implication directe de la société mère dans l’infraction commise par sa filiale, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise, qui habilite la Commission à imputer à la première citée l’infraction en question. La conclusion retenue par la Commission ne saurait, dès lors, être remise en cause par le fait que les requérantes n’ont pas été informées par Arkema et n’ont pris connaissance de l’existence de l’entente en cause qu’à la suite des vérifications menées par la Commission dans les locaux de la filiale.

77      Septièmement, l’argument, selon lequel l’autonomie d’Arkema serait confortée par la perception que peuvent avoir d’elle les tiers, dans la mesure notamment où il n’existait pas de marque commune entre les sociétés concernées et où ces sociétés ne se confondaient pas dans l’esprit des fournisseurs, des clients et des consommateurs, n’est pas étayé par des éléments de preuve.

78      De surcroît, les brochures « Marchés et métiers », annexées à la réponse à la communication des griefs, manifestement destinées aux tiers, désignent Arkema comme exerçant l’activité chimique ou comme constituant la « branche chimique » des groupes Total et Elf Aquitaine. Cela contredit l’argument des requérantes indiquant qu’Arkema était perçue par les tiers comme un opérateur entièrement distinct de ses sociétés mères. En tout état de cause, la perception par des tiers de l’image d’une société ne saurait suffire en elle-même à démontrer qu’une filiale est autonome vis-à-vis de sa ou de ses sociétés mères.

79      Huitièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel l’autonomie d’Arkema aurait été confirmée par la décision C (2003) 4570 de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/E-2/37.857 – Peroxydes organiques), il y a lieu de relever que cette décision ne comporte aucune appréciation à cet effet, la Commission ayant choisi de ne pas vérifier si l’infraction aurait dû être imputée à une société faîtière du groupe (voir point 212 ci-après).

80      Neuvièmement, s’agissant de l’élément soulevé par les requérantes pour la première fois devant le Tribunal, tiré du fait qu’Arkema s’est séparée d’un point de vue capitalistique des requérantes le 18 mai 2006, il convient de relever que cette séparation, postérieure à l’infraction et à l’adoption de la décision attaquée, ne saurait servir d’indice pertinent afin d’apprécier les liens entre les sociétés concernées au cours de la période infractionnelle.

81      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a conclu, à bon droit, que les éléments produits par les requérantes, même pris dans leur ensemble, n’étaient pas suffisants pour renverser la présomption en cause.

82      Enfin, lors de l’audience, les requérantes ont précisé que, en rejetant les indices qu’elles lui avaient fournis, la Commission a transformé la présomption en cause en présomption irréfragable.

83      À cet égard, il y a lieu de relever que, au considérant 374 de la décision attaquée, la Commission a rappelé une jurisprudence constante selon laquelle la société mère pouvait renverser la présomption en cause en produisant des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comportait de manière autonome. En l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’analyse qui précède, la Commission a conclu, à bon droit, que les éléments produits par les requérantes, même pris dans leur ensemble, n’étaient pas suffisants pour renverser cette présomption. Dès lors, les requérantes arguent, à tort, d’une prétendue transformation de la présomption simple en cause en présomption irréfragable.

84      Partant, la deuxième branche du présent moyen doit être rejetée dans sa totalité.

 Sur la première branche, tirée d’une erreur de droit quant au caractère objectif du critère de l’imputabilité

85      Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a méconnu le caractère objectif des critères de l’imputation de la responsabilité, en affirmant sa marge d’appréciation à cet égard, dans le cadre du rejet de leur argument tiré du fait que la responsabilité de la société mère d’Arkema n’avait pas été retenue dans la décision C (2003) 4570 (considérant 434 de la décision attaquée).

86      Il y a lieu d’observer que, au considérant 434 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en réponse à l’argument des requérantes, ce qui suit :

« [L]e fait que […] la Commission ait adressé sa décision [C (2003) 4570] exclusivement à [Arkema] ne l’empêche pas, en l’espèce, d’adresser sa décision à la fois à [Arkema] et [aux requérantes]. La Commission dispose d’une marge d’appréciation pour imputer la responsabilité à une société mère en pareilles circonstances et le fait qu’elle n’ait pas usé de ce pouvoir dans une décision antérieure ne l’empêche pas de le faire en l’espèce. »

87      Force est de constater que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n’a pas, en l’occurrence, prétendu disposer d’un « pouvoir discrétionnaire pour déterminer le critère pertinent de l’imputabilité » et donc du pouvoir d’imputer à une société la responsabilité des infractions commises par une autre société, en méconnaissance des règles posées par la jurisprudence. L’affirmation de la Commission vise simplement à écarter l’argument des requérantes, tiré de l’absence d’imputation, dans la décision C (2003) 4570, adressée à Arkema, du comportement de cette dernière à sa société mère. Par ailleurs, il ressort de ce qui précède que, pour imputer l’infraction litigieuse aux requérantes, la Commission a utilisé une méthode exacte, en conformité avec les règles posées par la jurisprudence et, notamment, avec la notion d’entreprise en droit de la concurrence.

88      Il s’ensuit que l’argumentation des requérantes est inopérante. En effet, même à supposer que, contrairement à ce qu’elle affirme, la Commission soit toujours tenue d’imputer le comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère, lorsque ces deux sociétés forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, le fait qu’elle ne l’ait pas fait dans le cadre de décisions antérieures n’aurait aucune conséquence sur la légalité de la décision attaquée. Il est rappelé, à cet égard, que la Commission a procédé à une telle imputation en l’espèce.

89      En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est pas tenue de vérifier systématiquement si le comportement infractionnel d’une filiale peut être imputé à sa société mère (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, points 330 et 331). Par conséquent, le seul fait que la Commission n’ait pas envisagé la possibilité d’adresser la décision C (2003) 4570 à la société mère d’Arkema ne s’opposait pas à ce qu’elle le fasse en l’espèce, en conformité avec les principes dégagés par la jurisprudence en matière d’imputabilité.

90      Partant, la présente branche du présent moyen doit être rejetée.

 Sur la troisième branche, tirée d’une violation d’un « principe d’autonomie économique de la personne morale »

91      Les requérantes font valoir que, en vertu d’un supposé « principe d’autonomie économique de la personne morale », la situation dans laquelle la société mère et sa filiale, même contrôlée à 100 %, forment une même entreprise constitue une exception. Selon elles, la Commission a violé ce « principe », en leur imputant, de manière « automatique », la responsabilité de l’infraction en cause.

92      Il convient de rappeler que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Elle doit donc être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir points 31 et 32 ci-dessus).

93      Il s’ensuit que le fait qu’une filiale dispose d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité qu’elle constitue une seule entreprise avec sa société mère.

94      Il convient de rappeler que l’infraction litigieuse a été imputée aux requérantes au motif que la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur leur filiale n’avait pas été renversée, celles-ci n’ayant pas présenté d’éléments de preuve suffisants quant à l’autonomie de leur filiale. Par conséquent, c’est à tort que les requérantes qualifient la méthode employée en l’espèce d’« automatique », car elle a permis de tenir pleinement compte de la situation propre des requérantes et notamment des liens qui les unissaient avec Arkema à l’époque des faits litigieux.

95      Cette méthode est donc compatible avec la notion d’entreprise en droit de la concurrence, dans la mesure où elle a permis de déterminer si les requérantes et Arkema formaient une même unité économique. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de ce qui précède, le fait que cette méthode repose sur une présomption et qu’il incombe à celui qui la conteste de rapporter la preuve contraire est conforme à la jurisprudence.

96      En outre, les requérantes n’établissent pas l’existence d’un principe général du droit qui s’opposerait à l’application d’une telle présomption en l’espèce. S’agissant des arguments tirés des règles du droit civil et du droit commercial français et américain, ainsi que de la pratique décisionnelle de l’autorité de concurrence française, il y a lieu de relever qu’il ne s’agit pas des éléments au regard desquels la légalité des décisions de la Commission en matière de concurrence doit être examinée.

97      Enfin, il convient de souligner que la présomption en question constitue simplement un mode de preuve à disposition de la Commission dans le cadre de ses investigations en matière de concurrence et ne préjuge en rien des rapports entre les sociétés mères et leurs filiales et notamment du degré d’autonomie juridique ou économique dont une filiale peut disposer, conformément à la législation applicable et aux choix des sociétés en cause.

98      Compte tenu de ce qui précède, la troisième branche du présent moyen et, partant, le quatrième moyen dans sa totalité doivent être rejetés.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

99      Le premier moyen s’articule en deux branches.

 Sur la première branche, tirée de l’impossibilité pour les requérantes d’avoir pu se défendre utilement

100    En premier lieu, les requérantes font valoir que la Commission était tenue de réfuter avec précision les explications apportées dans leur réponse à la communication des griefs, en leur présentant un ensemble distinct de preuves pour établir leur responsabilité. Faute d’avoir assumé ce fardeau de la preuve, la Commission aurait violé le principe d’égalité des armes.

101    Il y a lieu d’observer qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus qu’il incombe à la société mère de renverser la présomption en cause, en apportant des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché. Ainsi, lorsque la Commission constate que la présomption n’a pas été renversée, elle est en droit d’imputer l’infraction à la société mère, sans devoir rapporter un « ensemble distinct de preuves » pour établir sa responsabilité, comme les requérantes le soutiennent.

102    Eu égard à ces considérations, est dépourvue de pertinence la jurisprudence à laquelle les requérantes font référence par analogie et selon laquelle, dans l’hypothèse où la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises sur le marché pour conclure à l’existence d’une infraction, celles-ci peuvent contester l’infraction en faisant valoir les circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettent ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 186 et 187). L’hypothèse visée par cette jurisprudence n’est pas celle de l’espèce.

103    Au demeurant, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances alléguées ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 10, et du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, point 21).

104    À cet égard, le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, point 35).

105    Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à son encontre, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (voir arrêt Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, point 104 supra, point 36, et la jurisprudence citée).

106    En particulier, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes, être adressée à cette dernière et indiquer en quelle qualité cette personne se voit reprocher les faits allégués (voir, en ce sens, arrêt Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, point 104 supra, points 37 et 38).

107    Ainsi, dès lors que la société à l’encontre de laquelle la présomption en cause est invoquée peut, dans sa réponse à la communication des griefs et lors de l’audition auprès du conseiller-auditeur, présenter tous les éléments de fait et de droit en vue de contester cette présomption et que la Commission doit tenir compte de ces éléments pour, le cas échéant, abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés, le principe d’égalité des armes est respecté.

108    En l’espèce, les requérantes ne contestent pas le fait que la communication des griefs leur a permis de prendre connaissance de ce que leur implication dans la présente affaire reposait sur la présomption liée à leur contrôle quasi entier d’Arkema. Cette présomption présentant un caractère réfragable, elles ont pu assurer, au cours de la procédure administrative, leur défense sur ce point en tentant de la renverser. Par ailleurs, c’est précisément ce qu’elles ont fait, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée et de la requête, sans toutefois emporter la conviction de la Commission.

109    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent grief.

110    En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas respecté son obligation d’examiner avec soin et impartialité la preuve contraire apportée pour renverser la présomption en cause, les empêchant ainsi de cibler leur défense sur des éléments concrets.

111    Il y a lieu d’observer que les requérantes ne précisent pas quels éléments spécifiques pertinents n’auraient pas été examinés par la Commission.

112    Or, à supposer que le présent grief vise à contester l’examen par la Commission de l’intégralité des éléments apportés par les requérantes afin de renverser la présomption en cause, il y a lieu de relever que l’appréciation de ces éléments par la Commission a été confirmée dans le cadre de l’examen du quatrième moyen exposé ci-dessus.

113    En outre, ainsi qu’il résulte de l’examen de la troisième branche du deuxième moyen ci-après, le caractère succinct de la motivation de la décision attaquée sur ce point ne permet pas de constater, à lui seul, une violation de l’obligation d’examiner avec soin et impartialité les éléments pertinents résultant de la procédure administrative.

114    En effet, la lecture des considérants 434 à 441 de la décision attaquée permet de constater que la Commission a examiné les arguments des requérantes, résumés au considérant 431, visant à étayer leur thèse selon laquelle seule Arkema devait être le destinataire de ladite décision. L’analyse de la réponse à la communication des griefs ne permet pas d’identifier d’autres éléments pertinents qui auraient été ignorés par la Commission.

115    Il en résulte que le présent grief n’est pas fondé.

116    En troisième lieu, lors de l’audience, les requérantes ont soutenu que, en ayant omis de les informer de l’enquête en cause avant de leur notifier la communication des griefs, la Commission a méconnu les exigences relatives au droit à un procès équitable, tel que reconnu par l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, réaffirmées par l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission (T‑99/04, Rec. p. II‑1501), ainsi que par le code de bonnes pratiques de la Commission, relatif aux articles 101 TFUE et 102 TFUE.

117    Il y a lieu d’observer que, dans l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 110 supra (point 56), le Tribunal a considéré que, compte tenu du principe du respect des droits de la défense, la Commission était tenue d’informer l’entreprise concernée, au stade de la première mesure prise à son égard, y compris dans les demandes de renseignements qu’elle lui adresse au titre de l’article 11 du règlement nº 17, notamment de l’objet et du but de l’instruction. Au point 58 dudit arrêt, le Tribunal a également rappelé qu’il ressortait de la jurisprudence que ce n’est que si l’irrégularité commise par la Commission a été de nature à affecter concrètement les droits de la défense de l’entreprise en cause dans la procédure administrative qu’une telle irrégularité est susceptible de conduire à l’annulation de la décision finale de la Commission.

118    Or, en l’espèce, outre le fait qu’il ne saurait être déduit dudit arrêt que la Commission serait tenue, comme l’affirment les requérantes, de prendre des mesures d’enquête à l’égard d’une entreprise avant l’envoi d’une communication des griefs lorsqu’elle considère qu’elle dispose par ailleurs d’informations justifiant l’envoi d’une telle communication, force est de relever que les requérantes n’avancent aucun élément concret établissant qu’elles aient été, de ce fait, privées de la faculté de fournir la preuve qu’elles n’exerçaient pas une influence déterminante sur Arkema.

119    S’agissant de l’argument selon lequel la Commission a violé son code de bonnes pratiques en ne leur adressant aucune mesure d’enquête avant l’adoption de la communication des griefs, il y a lieu de constater, d’une part, que ledit code, qui ne doit s’appliquer, conformément à son point 5, qu’aux affaires en cours et futures à compter de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, a été adopté postérieurement à la décision attaquée et, partant, n’est pas applicable aux faits de l’espèce.

120    D’autre part, il y a lieu de relever que le point 14 dudit code prévoit, en faisant référence à l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 110 supra (point 56) que, « au moment de la première mesure d’enquête (normalement une demande de renseignements ou une inspection), les entreprises sont informées du fait qu’elles font l’objet d’une enquête préliminaire ainsi que de l’objet et du but d’une telle enquête ». Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la portée juridique dudit code, il convient de constater, en toute hypothèse, qu’il n’en ressort pas que la Commission soit tenue d’adresser des mesures d’enquête à toutes les entités juridiques constituant l’entreprise concernée, préalablement à l’adoption de la communication des griefs.

121    Par conséquent, le présent grief et, par la suite, la première branche du moyen dans son ensemble doivent être rejetés.

 Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe de la présomption d’innocence

122    Les requérantes soutiennent que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence du fait, premièrement, de les avoir déclarées a priori « coupables » d’une infraction sur le fondement d’une simple présomption non confortée par des éléments concrets et, deuxièmement, d’avoir retenu leur responsabilité alors même qu’elles n’ont pas pu pleinement bénéficier des droits de la défense.

123    Il convient de rappeler que le principe de la présomption d’innocence, en tant que principe général du droit de l’Union, s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la condamnation à des amendes ou à des astreintes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150).

124    Les arguments des requérantes ne permettent pas de constater que ce principe ait été violé en l’espèce.

125    En premier lieu, il convient de rappeler que la Commission peut recourir à la présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur une filiale, en cas de détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de celle-ci, pour la tenir solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale. Dans un tel cas, la société mère est censée former avec sa filiale une seule entreprise, à qui il incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Or, en l’espèce, l’infraction a été reconnue par Arkema dans sa demande présentée au titre de la communication sur la coopération (voir considérant 69 de la décision attaquée). Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas sa participation à l’entente en cause.

126    Contrairement à ce que les requérantes soutiennent, il ne saurait être considéré que la Commission les a tenues a priori « coupables », car il leur était loisible de renverser la présomption susvisée, posée dans la communication des griefs, en démontrant l’autonomie de leur filiale.

127    Il convient de rappeler que l’adoption d’une communication des griefs par la Commission ne peut en aucun cas être considérée comme une preuve de culpabilité de l’entreprise concernée. Dans le cas contraire, l’ouverture de toute procédure en la matière serait potentiellement susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 99).

128    Par ailleurs, pour autant que les requérantes ont soutenu à l’audience, en substance, que la présomption d’innocence a été violée en l’espèce, du fait de la « concentration entre les mains de la Commission des pouvoirs de police, d’enquêtes, de poursuites, de jugements », il y a lieu de constater que ce grief a été soulevé tardivement, dès lors qu’il a été formulé pour la première fois au stade de l’audience et qu’il ne saurait être considéré comme une ampliation du présent moyen tel qu’avancé dans la requête, selon lequel la Commission a enfreint le principe de la présomption d’innocence en se prévalant, à l’égard des requérantes, de la présomption résultant du contrôle quasi entier du capital de leur filiale. Il y a donc lieu de rejeter ce grief comme irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

129    Compte tenu de ce qui précède, la seconde branche et, partant, le présent moyen dans son ensemble doivent être rejetés.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

130    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

131    Lorsque, comme en l’espèce, une décision d’application de l’article 81 CE concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, à l’égard d’une société mère tenue solidairement pour responsable de l’infraction, une telle décision doit contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à cette société (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, points 78 à 80).

132    Les requérantes articulent leur présent moyen en trois branches.

 Sur la première branche, tirée d’une violation de l’obligation de motivation renforcée en raison de la nouveauté de la position de la Commission

133    Les requérantes soutiennent que l’obligation de motivation de la décision attaquée s’est trouvée renforcée en l’espèce, étant donné la position nouvelle adoptée par la Commission par rapport à sa pratique décisionnelle. Selon elles, la Commission a méconnu cette obligation, en affirmant simplement son interprétation de la jurisprudence relative à l’imputabilité de l’infraction à une société mère.

134    Il y a lieu de rappeler que, au considérant 434 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en réponse à l’argument des requérantes, ce qui suit :

« [L]e fait que […] la Commission ait adressé sa décision [C (2003) 4570] exclusivement à [Arkema] ne l’empêche pas, en l’espèce, d’adresser sa décision à la fois à [Arkema] et [aux requérantes]. La Commission dispose d’une marge d’appréciation pour imputer la responsabilité à une société mère en pareilles circonstances et le fait qu’elle n’ait pas usé de ce pouvoir dans une décision antérieure ne l’empêche pas de le faire en l’espèce. »

135    Force est de constater que ce passage ne revient nullement à admettre que la Commission ait adopté en l’espèce une position radicalement nouvelle et substantiellement différente de sa pratique antérieure, comme les requérantes le prétendent.

136    Par ailleurs, il convient de relever que la présomption d’exercice d’une influence déterminante par une société mère sur sa filiale, fondée sur le seul lien capitalistique, a déjà été appliquée par la Commission dans sa décision C (2004) 4876, du 19 janvier 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de Akzo Nobel, Akzo Nobel Nederland BV, Akzo Nobel Chemicals BV, Akzo Nobel Functional Chemicals BV, Akzo Nobel Base Chemicals AB, EKA Chemicals, Akzo Nobel AB, Atofina, Elf Aquitaine, Hoechst AG, Clariant GmbH, Clariant AG (affaire E-1/37.773 – AMCA), dans laquelle elle avait imputé l’infraction commise par Arkema à Elf Aquitaine. Les requérantes ne sauraient donc soutenir que la Commission a appliqué en l’espèce une position radicalement nouvelle à leur égard. Il ressort d’ailleurs de la décision attaquée que, lors de la procédure administrative, les requérantes ont soutenu que c’est précisément la décision C (2004) 4876 qui représentait un « virage audacieux » dans la pratique décisionnelle de la Commission et ont demandé à cette dernière d’attendre l’issue de la procédure juridictionnelle qu’elles avaient engagée contre cette décision (voir considérants 430 et 433 de la décision attaquée).

137    En tout état de cause, la jurisprudence invoquée par les requérantes exige seulement que la Commission développe son raisonnement d’une manière explicite lorsqu’elle prend, dans le cadre de sa pratique décisionnelle, une décision qui va sensiblement plus loin que les décisions précédentes. Il ne lui suffit donc pas, dans un tel cas, de fournir une motivation sommaire, notamment par référence à une pratique décisionnelle constante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 3).

138    Or, dans la décision attaquée, la Commission a exposé, d’une manière explicite, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, tant les principes qu’elle entendait appliquer pour identifier ses destinataires (considérants 370 à 379 de la décision attaquée) que l’application de ces principes à l’égard des requérantes (considérants 427 à 441). La motivation de la décision attaquée, s’agissant des raisons pour lesquelles la Commission a décidé d’imputer l’infraction aux requérantes, satisfait, ainsi, aux conditions posées par la jurisprudence citée au point 137 ci-dessus.

139    Dès lors, la première branche du moyen ne saurait prospérer.

 Sur la deuxième branche, tirée de l’existence d’une contradiction de motifs

140    Les requérantes soutiennent que la motivation, exposée aux considérants 370 à 372, 435 à 442 et 458 à 529 de la décision attaquée, renferme une contradiction, dans la mesure où la Commission aurait fait une confusion entre deux notions, à savoir, d’une part, la notion d’entreprise au sens de l’article 81 CE, entité économique responsable de l’infraction et qui doit être sanctionnée à ce titre, et, d’autre part, l’entité juridique qui est destinataire de la décision.

141    S’agissant, tout d’abord, de la terminologie employée par la Commission dans la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner chacun des considérants de celle-ci invoqués par les requérantes, il convient de constater qu’il ressort sans ambiguïté du considérant 441 de la décision attaquée que c’est sur la base de la constatation que les requérantes et Arkema constituaient une seule entreprise au sens de l’article 81 CE que la Commission a décidé de leur imputer l’infraction en cause et de leur imposer des amendes. Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que le texte de la décision attaquée s’écarte de temps en temps de la terminologie cohérente et emploie le terme « entreprise » pour qualifier l’une ou l’autre des sociétés du groupe concerné (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, point 62).

142    S’agissant, ensuite, du fait que la Commission, d’une part, affirme dans la décision attaquée que les différentes sociétés du groupe Total constituent une entreprise unique ayant commis l’infraction litigieuse et, d’autre part, identifie chacune de ces sociétés en tant que destinataire de la décision attaquée auquel l’amende est infligée, il importe de relever qu’il s’agit d’une simple conséquence de ce que les destinataires des règles de la concurrence et les destinataires des décisions des autorités de la concurrence ne sont pas nécessairement les mêmes.

143    En effet, alors que les règles de la concurrence visent des entreprises et s’appliquent à celles-ci directement, sans considération notamment de leur statut juridique, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, points 54 à 57, et conclusions de l’avocat général Mme Kokott sous l’arrêt de la Cour du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, I‑10896, points 68 et 69).

144    S’agissant de l’identification des différentes sociétés du groupe Total dans les motifs de la décision attaquée consacrés au calcul de l’amende, il suffit de constater que ladite décision fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement suivi par la Commission pour déterminer le montant de l’amende ainsi que les montants à concurrence desquels les requérantes ont été tenues pour responsables de son paiement.

145    Enfin, dans la mesure où les requérantes allèguent une erreur de fond, à savoir que l’application d’un calcul de l’amende spécifique à chacune de ces sociétés concernées est incompatible avec la notion d’entreprise unique, il convient de renvoyer à l’analyse du troisième moyen, exposée ci-après.

146    Par conséquent, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du moyen.

 Sur la troisième branche, tirée de l’absence de réponse de la Commission aux réfutations de la présomption d’exercice d’une influence déterminante

147    Les requérantes invoquent l’insuffisance des motifs du rejet, par la Commission, des éléments avancés lors de la procédure administrative afin de renverser la présomption liée à leur contrôle quasi entier du capital d’Arkema.

148    Pour ce qui est de l’obligation de motivation qui incombe à la Commission, il y a lieu de renvoyer à la jurisprudence visée aux points 130 et 131 ci-dessus. Il convient de rappeler, en particulier, que, pour être suffisamment motivée à l’égard des requérantes, la décision attaquée devait contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à ces sociétés (voir, en ce sens, arrêt SCA Holding/Commission, point 131 supra, point 80).

149    Il en résulte que, lorsque, comme en l’espèce, la Commission se fonde sur la présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et que les sociétés concernées ont avancé, lors de la procédure administrative, des éléments visant à renverser cette présomption, la décision doit contenir un exposé suffisant des motifs de nature à justifier la position de la Commission selon laquelle ces éléments n’étaient pas suffisants pour renverser ladite présomption.

150    Il y a lieu de relever, à cet égard, qu’il ressort des considérants 430 à 441 de la décision attaquée que la Commission a pris une position motivée sur les éléments invoqués par les requérantes lors de la procédure administrative.

151    En effet, après avoir décrit, aux considérants 430 à 432 de la décision attaquée, l’argumentation avancée par les requérantes dans leur réponse à la communication des griefs, la Commission a répondu aux arguments soulevés par ces dernières, tirés principalement de l’illégalité de l’imputation du comportement sur la base de la présomption, au regard notamment des principes d’autonomie d’une entité juridique, de la personnalité des peines, de la responsabilité personnelle, de la présomption d’innocence et d’égalité des armes.

152    En outre, aux considérants 433 à 441 de la décision attaquée, elle a constaté que la présomption liée à la détention par les requérantes de la quasi‑totalité du capital d’Arkema n’avait pas été renversée et que la conclusion quant à leur responsabilité de l’infraction devait être maintenue sur la base de cette présomption.

153    Il y a lieu de considérer que, par ces motifs, la Commission a répondu aux points essentiels des arguments des requérantes. En outre, la Commission n’étant pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec. p. II‑2197, point 64 ; voir également, en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 130 supra, point 64), il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir apporté une réponse précise sur chaque argument invoqué par les requérantes.

154    Le caractère succinct de la motivation de la décision attaquée sur ce point est d’ailleurs justifié par le fait que l’argumentation invoquée par les requérantes consistait, en substance, en de simples affirmations et n’était pas étayée par des éléments de preuve concrets relatifs aux liens entre les sociétés concernées au cours de la période infractionnelle.

155    Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes mettent en cause le bien-fondé de l’appréciation de la Commission ayant conduit au rejet des éléments en cause, leur argumentation relève de la légalité au fond de la décision attaquée, examinée dans le cadre du quatrième moyen ci-dessus.

156    Au vu de ce qui précède, la troisième branche du présent moyen doit être rejetée, de même que le deuxième moyen dans sa totalité.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise

157    Les requérantes font valoir que la Commission a violé le caractère unitaire de la notion d’entreprise, en manquant de cohérence dans l’utilisation de la notion d’« entreprise » dans les divers stades de la détermination des montants des amendes. À leur avis, cette détermination aurait dû être opérée de manière homogène à l’égard de l’unité économique concernée, la répartition de la responsabilité pour le paiement de l’amende entre les différentes entités juridiques composant l’entreprise devant constituer une étape distincte du raisonnement.

158    Il convient de relever que cette argumentation, qui vise exclusivement la méthode appliquée par la Commission afin de déterminer le montant des amendes et de répartir la responsabilité pour son paiement entre les différentes sociétés du groupe, n’est pas susceptible de remettre en cause la légalité de l’appréciation ayant conduit à l’imputation de l’infraction aux requérantes.

159    En ce que l’argumentation des requérantes pourrait être comprise comme mettant en cause le montant de l’amende ou la répartition de la responsabilité respective de chaque société du groupe pour le paiement de cette amende, force est de relever que les requérantes ne contestent pas les résultats concrets des calculs opérés par la Commission. En particulier, elles n’allèguent pas qu’une méthode différente aurait conduit à les tenir pour responsables du paiement d’une partie moins importante de l’amende.

160    En tout état de cause, il convient de constater que l’approche de la Commission n’a pas été incompatible avec la notion d’entreprise.

161    À cet égard, il y a lieu d’observer que c’est à juste titre que les requérantes font valoir que, en vertu des articles 81 CE et 82 CE, ce sont les entreprises ou les associations d’entreprises qui peuvent être reconnues comme les auteurs de violations du droit de la concurrence. En outre, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, notamment, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE.

162    Il convient de rappeler également que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. En particulier, la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, points 54 et 55, et la jurisprudence citée).

163    Lorsqu’une telle entité enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt ETI e.a., point 143 supra, point 39, et la jurisprudence citée). Toutefois, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes (arrêts Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, point 104 supra, point 38, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 57). Par conséquent, lorsque l’existence d’une telle infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l’exploitation de l’entreprise au moment où l’infraction a été commise afin qu’elle en réponde (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 236 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 78).

164    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé conforme à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (remplacé par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003) la pratique de la Commission consistant à tenir une société solidairement responsable du paiement d’une partie de l’amende infligée à une autre société, dès lors que le comportement anticoncurrentiel de cette dernière pouvait lui être imputé. Dans une telle hypothèse, la société en question est condamnée à une amende pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même du fait de cette imputation (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, points 26 à 28).

165    Partant, le fait que la décision attaquée identifie différentes personnes juridiques devant être solidairement responsables du paiement de l’amende n’est pas incompatible avec la notion d’entreprise. Il s’agit, au contraire, d’une exacte application de cette notion, dès lors qu’il est établi que l’entreprise en question est, du point de vue juridique, constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.

166    De même, aucune violation de la notion d’entreprise ne saurait être tirée du seul fait que ces différentes personnes juridiques sont responsables du paiement de l’amende à concurrence de montants différents. En effet, le constat que plusieurs personnes juridiques forment une seule entreprise responsable de la commission de l’infraction n’implique pas nécessairement que tous les éléments pertinents pour le calcul de l’amende leur soient imputables de la même manière, notamment lorsque la composition, du point de vue juridique, de l’entreprise en question a évolué dans le temps. Ainsi, en l’espèce, Total a été tenue pour responsable seulement pour une partie de la période infractionnelle (considérant 441 de la décision attaquée) et aucune des requérantes n’a été considérée comme récidiviste (considérant 469 de la décision attaquée).

167    À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Cascades/Commission, point 163 supra, la Cour a invalidé l’approche consistant à imputer à la société mère le comportement infractionnel de ses filiales lorsqu’il était antérieur à leur acquisition. La Cour a précisé qu’il incombait, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concernée au moment où l’infraction avait été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise avait été placée sous la responsabilité d’une autre personne. Après avoir souligné que les sociétés en question n’avaient pas été purement et simplement absorbées par l’acquéreur, mais avaient poursuivi leurs activités en tant que filiales de ce dernier, la Cour a jugé qu’elles devaient, en conséquence, répondre elles-mêmes de leur comportement infractionnel antérieur à leur acquisition par la société mère, sans que celle-ci puisse en être tenue pour responsable (points 77 à 80 de l’arrêt).

168    Partant, étant donné que Total avait acquis le contrôle d’Elf Aquitaine en avril 2000, c’est à bon droit que la Commission l’a tenue pour responsable de l’infraction litigieuse seulement à partir du 30 avril 2000 (considérant 441 de la décision attaquée) et que le montant de départ de l’amende qui lui a été infligée n’a pas été majoré au titre de la durée (considérants 467 et 468 de la décision attaquée).

169    Compte tenu de ce qui précède, les requérantes ne sauraient valablement critiquer la Commission pour avoir identifié différentes sociétés du groupe Total dans les motifs consacrés au calcul de l’amende.

170    Enfin, il convient de souligner que, hormis les majorations au titre de la durée de l’infraction et de la récidive, pour la détermination desquelles la Commission a tenu compte des modifications dans le temps de la composition de l’entreprise concernée, l’amende a été calculée de manière homogène pour toutes les sociétés du groupe Total concernées. En particulier, la Commission leur a appliqué le même montant de départ de l’amende et la même réduction au titre de la communication sur la coopération. Par conséquent, les critiques des requérantes concernant ces deux étapes du calcul de l’amende sont non fondées.

171    Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation concernant Total

172    Les requérantes invoquent deux griefs mettant en cause la seule responsabilité de Total. En premier lieu, elles contestent le fait que Total, ayant pris le contrôle du groupe en avril 2000, ait pu donner à Arkema des « instructions sur le cartel », concernant l’entente qui avait existé depuis des années et dont la dernière réunion multilatérale a eu lieu le 18 mai 2000. Elles indiquent que la durée de l’infraction imputable à Total est au maximum de huit mois, même si, en réalité, elle n’a été que d’un mois, dès lors que la dernière réunion multilatérale de l’entente s’est déroulée le 18 mai 2000.

173    Il convient d’observer, tout d’abord, que l’allégation des requérantes, selon laquelle la période infractionnelle imputable à Total était limitée à un seul mois repose sur la prémisse qu’il ait été mis fin à l’entente à la date de la dernière réunion multilatérale, le 18 mai 2000.

174    Or, les requérantes ne développent aucune argumentation à l’appui de cette thèse et, en particulier, ne mettent pas en cause, d’une manière argumentée, la constatation de la Commission selon laquelle la réunion du 18 mai 2000 avait abouti à un consensus général sur le maintien des niveaux de prix et, par conséquent, l’entente avait poursuivi ses effets jusqu’au 31 décembre 2000 (considérants 357 à 360 de la décision attaquée).

175    Ensuite, il y a lieu de rappeler que la responsabilité de Total repose sur la considération selon laquelle, à partir du 30 avril 2000, date de son acquisition du groupe concerné, elle constituait, avec Arkema et Elf Aquitaine, la même entreprise responsable de l’infraction en cause (considérant 441 de la décision attaquée).

176    À cet égard, il y a lieu de relever que le seul fait que Total a pris le contrôle du groupe lors de la phase finale de l’infraction ne suffit pas pour exclure qu’elle ait exercé, au cours de la période concernée, une influence déterminante sur le comportement sur le marché de sa filiale impliquée dans l’infraction.

177    Or, à part la date de prise du contrôle du groupe par Total, les requérantes ne font valoir aucune circonstance spécifique susceptible de démontrer que, entre les mois de mai et de décembre 2000, Arkema déterminait son comportement sur le marché de façon autonome par rapport à Total.

178    Dans ces conditions, la Commission a pu valablement présumer que, ayant pris le contrôle de la quasi-totalité du capital du groupe à partir du 30 avril 2000, Total avait exercé une influence déterminante sur le comportement d’Arkema sur le marché et, par la suite, lui imputer la responsabilité de l’infraction pour la période concernée, sur la base de cette présomption non renversée.

179    Par ailleurs, il y a lieu d’écarter comme inopérant l’argument des requérantes selon lequel, compte tenu de la date de sa prise de contrôle du groupe, Total n’était pas en mesure de s’informer des pratiques infractionnelles de sa filiale et de prendre les décisions afin d’y mettre un terme.

180    En effet, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, l’imputation de la responsabilité à Total résulte du fait qu’elle était l’une des entités juridiques composant l’entreprise qui a enfreint le droit de la concurrence, sans considération du fait de savoir si elle connaissait ou non l’existence de l’infraction.

181    Le premier grief ne saurait donc être accueilli.

182    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Commission a indiqué à tort, au considérant 471 de la décision attaquée, que les destinataires de sa décision 85/74/CEE, du 23 novembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (affaire IV/30.907 – Peroxygènes) (JO 1985, L 35, p. 1), et sa décision 94/599, prises en compte au titre de la récidive, avaient fait partie du groupe Total au moment de l’adoption de ces décisions antérieures.

183    Il y a lieu d’observer que c’est par erreur que la Commission, ainsi qu’elle l’a admis elle-même dans le mémoire en défense, a indiqué, au considérant 471 de la décision attaquée que « les personnes morales qui sont destinataires [des] décisions [85/74 et 94/599] étaient et sont toujours membres du groupe [de] Total ».

184    Cette constatation est néanmoins sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. En effet, d’une part, il ressort du considérant 441 de la décision attaquée que Total a été tenue pour responsable de l’infraction uniquement à partir de la date à laquelle elle a pris le contrôle du groupe, à savoir le 30 avril 2000.

185    D’autre part, ainsi qu’il ressort du considérant 469 de la décision attaquée, la Commission a tenu compte du fait qu’Arkema ne faisait pas partie du groupe de Total à l’époque des condamnations antérieures, en appliquant la majoration liée à la récidive au seul montant de l’amende imputable à Arkema.

186    Compte tenu de ce qui précède, le second grief et, partant, le cinquième moyen dans son ensemble doivent être rejetés.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union

187    Les requérantes soutiennent que, en leur imputant la responsabilité de l’infraction en cause et en leur infligeant l’amende, la Commission a violé les principes d’égalité de traitement, de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines, ainsi que le principe de légalité des délits et des peines.

 Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement

188    Les requérantes soutiennent que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement, en ayant retenu leur responsabilité sur la base de la seule présomption en cause, alors qu’elle aurait fondé la responsabilité des autres sociétés destinataires de la décision attaquée sur la présomption confortée par des éléments additionnels (considérants 385, 391 et 394, 405, 411 et 423 à 427 de la décision attaquée).

189    Il y a lieu d’observer, à cet égard, qu’il ressort des considérants 370 à 379 de la décision attaquée, que la Commission a retenu, au regard de tous les destinataires, la même règle selon laquelle le contrôle de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale suffit pour poser une présomption réfragable permettant d’imputer la responsabilité à la société mère. La présomption en cause a en effet été appliquée tant au groupe de Total qu’aux autres groupes de sociétés visés par la décision attaquée.

190    Le fait que, au regard de certains destinataires de la décision attaquée, à savoir Akzo Nobel, FMC, L’Air liquide, SNIA et Edison, la Commission a invoqué, en plus de la présomption, certains indices supplémentaires de l’influence déterminante exercée par des sociétés mères ne saurait signifier que les principes appliqués n’ont pas été les mêmes pour tous les destinataires.

191    En effet, s’agissant d’Akzo Nobel, il ressort du considérant 384 de la décision attaquée que, « puisque [celle-ci] contrôle EKA [Chemicals] à 100 %, la Commission estime qu’[elle] a exercé une influence déterminante sur EKA [Chemicals], aucun élément de nature à renverser cette présomption n’ayant été produit ». Cette considération n’est pas contredite par le fait que, au considérant 385 de cette même décision, la Commission s’est référée à certains indices supplémentaires tendant à la confirmer.

192    S’agissant de FMC, la Commission a indiqué qu’elle tirait la conclusion quant à la responsabilité de celle-ci « du fait que FMC Foret [était] une filiale contrôlée (indirectement) à 100 % par [FMC] » (considérant 390 de la décision attaquée). Cette considération est sans préjudice du fait que, au considérant 391 de la décision attaquée, la Commission a invoqué un indice supplémentaire de l’influence déterminante exercée par FMC sur sa filiale.

193    S’agissant de L’Air liquide, la Commission a relevé, au considérant 403 de la décision attaquée, que, « étant donné que [celle-ci] détenait 100 % du capital de Chemoxal à l’époque de l’infraction et qu’elle avait le pouvoir de désigner les membres du conseil d’administration de Chemoxal, [elle] a[vait] présumé que [celle-ci] exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale ». La Commission a précisé cette considération en indiquant, au considérant 405 de la décision attaquée, que « la participation de 100 % au capital donn[ait] lieu à une présomption qui [pouvait] être réfutée en montrant que […] la filiale bénéfici[ait] d’une […] autonomie ».

194    S’agissant de SNIA, il résulte du considérant 411 de la décision attaquée que sa responsabilité a été retenue compte tenu de sa fusion avec la société qui était la société mère à 100 % de l’entité directement impliquée dans l’infraction, la situation invoquée n’étant donc pas comparable à celle des requérantes.

195    Enfin, s’agissant d’Edison, la Commission a indiqué, au considérant 418 de la décision attaquée, que, « en l’absence d’argument réfutant la présomption, la détention de 100 % du capital a été considérée [par la jurisprudence] comme un élément suffisant ». En outre, aux considérants 419 à 421 de la décision attaquée, la Commission a invoqué certains éléments supplémentaires, en indiquant que ceux-ci contredisaient l’argument d’Edison tiré de l’autonomie de sa filiale.

196    Il ressort, ainsi, des considérants de la décision attaquée, invoqués par les requérantes, que la Commission a considéré, au regard de tous les destinataires de la décision attaquée, que le contrôle de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale suffisait, en l’absence d’argument réfutant la présomption en résultant, à imputer la responsabilité à une société mère, des indices supplémentaires d’une influence exercée par certaines sociétés mères concernées sur leurs filiales ayant été exposés, lorsqu’ils étaient disponibles, soit pour renforcer la conclusion résultant déjà valablement du contrôle entier du capital de la filiale, soit pour répondre aux arguments développés par les entreprises concernées.

197    Par ailleurs, en ce qui concerne les requérantes, la Commission a également relevé, en plus du lien capitalistique, le fait que les membres du conseil d’administration d’Arkema avaient été nommés par Elf Aquitaine (considérant 427 de la décision attaquée), sans pour autant subordonner l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale détenue à 100 %, ou presque, à sa société mère à l’existence d’éléments additionnels.

198    Le présent grief n’est donc pas fondé.

 Sur la prétendue violation des principes de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines

199    Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé les principes de droit invoqués, en ayant omis de reconnaître qu’Arkema constituait une entité économique autonome par rapport à elles et, par conséquent, en ayant, à tort, retenu leur responsabilité et les ayant condamnées aux amendes.

200    Il convient de rappeler que, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, la responsabilité pour la commission de ces infractions a un caractère personnel (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 78). En outre, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 63), principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de concurrence de l’Union (arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T‑304/02, Rec. p. II‑1887, point 118).

201    En l’espèce, il suffit de constater que l’argumentation des requérantes repose sur une prémisse erronée, selon laquelle aucune infraction n’a été constatée à leur égard et aucune amende personnelle ne leur a été infligée. Au contraire, il ressort de ce qui précède que les requérantes ont été personnellement condamnées pour une infraction à l’article 81 CE, qu’elles sont censées avoir commise elles-mêmes en raison des liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissaient à leurs filiales et de l’absence d’autonomie de celles-ci sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, point 164 supra, points 27 et 34).

202    En outre, contrairement à ce que les requérantes allèguent, il ressort de l’examen du quatrième moyen exposé ci-dessus qu’une infraction à l’article 81 CE a été prouvée les concernant. Or, les sanctions relatives à une telle infraction sont clairement prévues à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Par conséquent, le principe nullum crimen, nulla poena sine lege a été respecté.

203    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent grief, ainsi que le sixième moyen dans sa totalité.

 Sur le septième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration

204    En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a omis d’examiner avec soin et impartialité les éléments apportés pour démontrer l’autonomie d’Arkema.

205    Dès lors qu’elles se bornent à réitérer leur argument tiré du défaut d’examen des éléments en cause, examiné et rejeté au points 111 à 115 ci‑dessus, il y a lieu de le rejeter pour les mêmes motifs.

206    En deuxième lieu, les requérantes arguent que la Commission aurait dû, dans un souci d’économie de procédure, faire droit à leur demande de surseoir à prendre la décision attaquée jusqu’à ce que le Tribunal statue sur les recours formés contre la décision C (2004) 4876.

207    Or, s’agissant de l’argumentation invoquant une simple économie de procédure et n’étant donc manifestement pas susceptible de remettre en cause la légalité de la décision attaquée, il y a lieu de l’écarter d’emblée.

208    Dès lors, il y a lieu de rejeter le septième moyen.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

209    Les requérantes soutiennent que la nouveauté du critère de l’imputabilité appliqué en l’espèce, par rapport à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et, en particulier, par rapport à la décision C (2003) 4570, a conduit à la violation du principe de sécurité juridique.

210    Il suffit de rappeler que la décision attaquée n’est pas la première décision par laquelle la Commission a imputé la responsabilité de l’infraction commise par Arkema à sa société mère sur la base de la présomption d’exercice d’une influence déterminante. En effet, dans la décision C (2004) 4876, la Commission avait déjà procédé à une telle imputation à Elf Aquitaine. Par conséquent, contrairement à ce que les requérantes suggèrent, la décision attaquée ne constitue pas un revirement dans la pratique de la Commission en matière d’imputabilité, y compris en ce qui concerne le groupe en question. En outre, dans leur réponse à la communication des griefs en l’espèce, les requérantes faisaient déjà référence au critère d’imputabilité appliqué par la Commission dans la décision C (2004) 4876, comme cela ressort par ailleurs de leurs arguments présentés dans le cadre du sixième moyen. Par conséquent, la prémisse du présent moyen, selon laquelle la Commission aurait appliqué à l’égard des requérantes un nouveau critère d’imputabilité est, en l’espèce, incorrecte.

211    En tout état de cause, il convient de rappeler que la Commission n’est pas tenue d’envisager systématiquement l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère (voir point 89 ci-dessus). Dès lors, le fait qu’elle décide d’imputer la responsabilité de l’infraction constatée à l’entreprise composée de la société mère et de sa filiale, alors que, selon sa pratique antérieure, elle n’aurait pas envisagé de le faire, n’est pas constitutif d’une violation du principe de sécurité juridique.

212    Au demeurant, il convient de constater qu’il ressort de la décision C (2003) 4570 (considérants 373 à 391), invoquée par les requérantes, que la Commission n’a pas du tout analysé la problématique de la responsabilité de la société mère d’Arkema et, en particulier, qu’elle ne s’est pas prononcée sur la question de son autonomie par rapport à la société mère. Dès lors, même à supposer que les faits dans cette affaire aient été semblables à ceux de l’espèce, il ne peut être soutenu que cette décision constituait une quelconque garantie quant à la façon dont la Commission percevait les rapports entre Arkema et ses sociétés mères, ni d’ailleurs quant au critère d’imputabilité applicable à ce groupe de sociétés.

213    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être accueilli.

 Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation des principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes

214    Les requérantes contestent, sous divers motifs, le montant de l’amende qui leur a été imposée.

215    En premier lieu, elles soutiennent qu’elles auraient dû bénéficier d’une réduction du montant d’amende au titre de l’absence de connaissance de l’infraction commise par leur filiale. Elles indiquent, en invoquant le principe d’égalité de traitement, que la Commission a accordé une réduction à ce titre à un autre destinataire de la décision attaquée, à savoir Caffaro.

216    Il y a lieu d’observer que la Commission a accordé une réduction du montant de départ de l’amende à l’entreprise, constituée par les sociétés SNIA et Caffaro, dès lors qu’il n’était pas établi que cette dernière, ayant participé à un nombre limité des réunions de l’entente portant uniquement sur l’un des produits concernés, avait ou devait nécessairement avoir eu connaissance du projet global d’arrangements anticoncurrentiels (considérants 332 et 461 de la décision attaquée).

217    Concernant les requérantes, il y a lieu de rappeler que l’infraction en cause leur a été imputée du fait qu’elles constituaient une seule entreprise avec leur filiale, et non au motif de leur implication directe dans l’infraction, leur absence de connaissance de l’entente étant sans incidence sur cette imputation.

218    Or, dès lors que les requérantes ne soutiennent pas que leur filiale ayant directement participé à l’infraction n’a pas eu connaissance du projet global d’arrangements anticoncurrentiels, leur absence de connaissance de l’entente ne constitue pas un indice du fait que la gravité de l’infraction commise par l’entreprise qu’elles constituaient avec leur filiale était moindre et ne saurait donc constituer un motif justifiant une réduction du montant de l’amende.

219    S’agissant de la prétendue violation du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de relever que les requérantes, en tant qu’entités juridiques responsables de l’exploitation de l’entreprise ayant commercialisé les deux produits concernés et ayant directement participé dans tous les éléments de l’entente, ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle de Caffaro, exploitant de l’entreprise dont la participation dans l’entente ne s’étendait pas à l’ensemble du projet global anticoncurrentiel.

220    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent grief.

221    En deuxième lieu, les requérantes invoquent une violation des principes de la présomption d’innocence et de sécurité juridique, en ce qui concerne l’augmentation du montant de l’amende au titre de l’effet dissuasif.

222    Premièrement, leur argument tiré de la violation de la présomption d’innocence repose sur une prémisse selon laquelle « aucun élément […] ne permettait de retenir [leur] responsabilité dans le cartel ». Or, dès lors qu’il résulte de l’examen du quatrième moyen, exposé ci-dessus, que la responsabilité des requérantes a été retenue à bon droit, le présent argument doit être écarté.

223    Deuxièmement, les requérantes soutiennent, en faisant référence au considérant 465 de la décision attaquée, que la Commission a violé le principe de la présomption d’innocence, en indiquant que, en créant une filiale juridiquement distincte, une société mère pouvait poursuivre le but d’associer cette filiale à un comportement infractionnel, tout en échappant à une sanction.

224    Au considérant 465 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en réponse à l’argument des requérantes critiquant l’augmentation du montant en cause, que, « si [elle] devait décider, sur la base de cet argument, que l’amende infligée à Atofina [devait] être moins importante que ce qui [était] justifié par la taille de l’entreprise dont elle [faisait] partie, une très grosse entreprise participant à une ou plusieurs ententes pourrait échapper à de fortes amendes en créant des petites filiales au chiffre d’affaires peu élevé pour les associer à un comportement illicite ».

225    Ainsi qu’il résulte de ce considérant, en appliquant l’augmentation du montant de l’amende en cause, la Commission a considéré, en substance, que cette augmentation permettait de tenir compte de la capacité économique réelle de l’ensemble des entités juridiques constituant l’entreprise unique concernée, afin de déterminer le montant de l’amende à un niveau suffisamment dissuasif.

226    Or, cette considération d’ordre général ne peut nullement être considérée comme constituant une violation de la présomption d’innocence à l’égard des requérantes.

227    Troisièmement, les requérantes invoquent une violation du principe de sécurité juridique, en réitérant leur argumentation, exposée dans le cadre du huitième moyen, tirée d’un prétendu revirement de la pratique de la Commission. Ce grief doit donc être rejeté pour les motifs exposés aux points 210 à 212 ci-dessus.

228    Quatrièmement, les requérantes contestent la légalité de l’augmentation du montant de l’amende au titre de l’effet dissuasif, en soutenant qu’une telle augmentation n’est pas prévue par l’article 23 du règlement n° 1/2003, ni par les lignes directrices.

229    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller à son caractère dissuasif et, à cet égard, elle peut notamment prendre en considération la taille et la puissance économique de l’entreprise en cause (arrêts de la Cour Musique Diffusion française e.a./Commission, point 103 supra, points 106 et 120, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 243).

230    Ainsi, en l’espèce, la Commission a pu légalement augmenter le montant de départ de l’amende en cause, compte tenu de la taille de l’entreprise exploitée par les requérantes, attestée par leur chiffre d’affaires mondial particulièrement important (considérant 463 de la décision attaquée).

231    Les griefs dirigés contre l’augmentation du montant de l’amende au titre de l’effet dissuasif ne sont donc pas fondés.

232    En troisième lieu, les requérantes soutiennent, lors de l’audience, que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires, prévu à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, est illégal au regard des principes de légalité et de sécurité juridique, en ce qu’il fait référence au chiffre d’affaires de l’entreprise réalisé au cours de l’exercice social précédant l’adoption de la décision, et non à celui relatif à la période au cours de laquelle l’infraction a été commise.

233    Il y a lieu de relever que ce grief a été soulevé tardivement, dès lors qu’il a été formulé pour la première fois au stade de l’audience et qu’il ne saurait être considéré comme une ampliation du présent moyen tel qu’avancé dans la requête, revendiquant, d’une part, une réduction du montant d’amende au titre de l’absence de connaissance de l’infraction et critiquant, d’autre part, l’augmentation du montant de l’amende au titre de l’effet dissuasif.

234    Il y a donc lieu de rejeter ce grief comme irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

235    Il est, en tout état de cause, inopérant, dans la mesure où les requérantes n’indiquent pas que la prise en compte d’un exercice social relevant de la période infractionnelle ait pu avoir une incidence quelconque, en ce qui concerne l’application, en l’espèce, de la règle prévue à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, dont l’illégalité est invoquée.

236    À la lumière de ces considérations, le présent moyen n’est pas fondé.

 Sur le dixième moyen, tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir

237    Les requérantes soutiennent que la Commission a commis un détournement de pouvoir en ce que, en leur imputant la responsabilité de l’infraction, elle n’aurait pas cherché à punir l’entreprise responsable, mais à augmenter le montant de l’amende infligée, en prenant en compte leur taille importante.

238    Selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, IECC/Commission, T‑133/95 et T‑204/95, Rec. p. II‑3645, point 188, et la jurisprudence citée).

239    Il y a également lieu de rappeler que, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises qui commettent une infraction à l’article 81 CE. Il est établi que les sanctions prévues à l’article 23 du règlement n° 1/2003 ont pour objet de punir les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises en question que d’autres opérateurs économiques de violer, à l’avenir, les règles du droit de la concurrence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, Rec. p. I‑5859, point 16).

240    Or, étant donné que les requérantes et Arkema formaient une entreprise au sens de l’article 81 CE et que ladite entreprise a participé à l’infraction litigieuse, la sanction qui leur a été infligée n’a en rien été détournée de sa finalité, y compris dans la mesure où, en l’adoptant, la Commission poursuivait un objectif de dissuasion.

241    Partant, le dixième moyen doit être rejeté.

 Sur le onzième moyen, présenté à titre subsidiaire, fondé sur une réduction du montant de l’amende à un niveau approprié

242    Dans le cadre du onzième moyen, les requérantes revendiquent une réduction du montant de l’amende à un niveau approprié, et ce à un double titre.

243    D’une part, elles soutiennent que, compte tenu de leur absence de connaissance de l’infraction, le montant de départ de leur amende devrait être réduit de 25 %, à l’instar de la réduction accordée au considérant 461 de la décision attaquée.

244    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la situation visée au considérant 461 de la décision attaquée n’est pas comparable à celle des requérantes (voir point 219 ci-dessus). Le Tribunal estime, par conséquent, que les requérantes ne sauraient bénéficier d’une réduction à ce titre.

245    D’autre part, les requérantes revendiquent le bénéfice d’une circonstance atténuante, en se prévalant du fait qu’elles ont été condamnées au paiement d’amendes importantes pour leur participation à d’autres ententes au cours de la même période que celle visée par la décision attaquée, par la décision C (2004) 4876 et la décision C (2006) 2098, du 31 mai 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.645 – Méthacrylates).

246    Il convient de relever, à cet égard, que, dès lors que la Commission a constaté que les requérantes avaient commis trois infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE, il lui était loisible de leur infliger trois amendes distinctes, respectant chacune les limites fixées à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 56). Chacune de ces amendes devait nécessairement reposer sur l’appréciation de la durée et de la gravité propre de l’infraction qu’elle sanctionne. Or, il convient de constater que l’imposition d’une amende aux requérantes pour diverses activités anticoncurrentielles visant d’autres produits n’affecte pas la réalité de l’infraction litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 52).

247    Par conséquent, eu égard à l’objectif de dissuasion poursuivi par les amendes, le seul fait que les requérantes ont été récemment condamnées à deux autres amendes, pour des infractions en partie simultanées, ne saurait justifier la réduction de l’amende infligée en l’espèce.

248    Or, les requérantes ne font valoir aucun élément de nature à démontrer que l’imposition de l’amende en l’espèce, combinée à d’autres amendes récentes, les aurait placées dans une situation financière particulièrement difficile, susceptible d’être prise en compte, exceptionnellement, dans le cadre de la détermination du montant de leur amende.

249    S’agissant enfin de l’invocation par les requérantes de la décision 94/599, dont il résulte que, en déterminant le montant des amendes dans le cadre de l’entente visée par cette décision, la Commission a tenu compte du fait que la majorité des entreprises avaient déjà été condamnées à des amendes importantes pour leur participation à une autre entente sur le marché voisin, pendant pratiquement la même période (considérant 52 de la décision 94/599), il convient de souligner, d’une part, que la décision 94/599 est antérieure aux lignes directrices appliquées en l’espèce et, d’autre part, que la situation considérée dans cette décision comporte des différences par rapport à celle en cause en l’espèce. En effet, en l’espèce, d’une part, les infractions sur les marchés du PH et du PBS ont fait l’objet d’une seule condamnation par la Commission dans la décision attaquée et, d’autre part, les requérantes n’invoquent pas l’existence d’un lien entre ces marchés et ceux visés par leurs autres condamnations récentes.

250    Par conséquent, aucun élément invoqué en l’espèce n’étant de nature à justifier une réduction du montant de l’amende, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande, présentée à titre subsidiaire, tendant à la réformation du montant de l’amende imposée aux requérantes.

251    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

252    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Total SA et Elf Aquitaine SA sont condamnées aux dépens.

Vadapalas

Prek

Dittrich

Truchot

 

       O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2011.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales

Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit quant à l’interprétation de la jurisprudence relative à l’imputabilité et quant au respect par la Commission de sa pratique décisionnelle

– Observations liminaires

– Sur la validité de la présomption en cause

– Sur le faisceau d’indices apporté par les requérantes pour établir l’autonomie d’Arkema sur le marché

Sur la première branche, tirée d’une erreur de droit quant au caractère objectif du critère de l’imputabilité

Sur la troisième branche, tirée d’une violation d’un « principe d’autonomie économique de la personne morale »

Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

Sur la première branche, tirée de l’impossibilité pour les requérantes d’avoir pu se défendre utilement

Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe de la présomption d’innocence

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

Sur la première branche, tirée d’une violation de l’obligation de motivation renforcée en raison de la nouveauté de la position de la Commission

Sur la deuxième branche, tirée de l’existence d’une contradiction de motifs

Sur la troisième branche, tirée de l’absence de réponse de la Commission aux réfutations de la présomption d’exercice d’une influence déterminante

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du caractère unitaire de la notion d’entreprise

Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation concernant Total

Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de plusieurs principes essentiels reconnus par l’ensemble des États membres et faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union

Sur la prétendue violation du principe d’égalité de traitement

Sur la prétendue violation des principes de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines

Sur le septième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration

Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation des principes fondamentaux gouvernant la fixation des amendes

Sur le dixième moyen, tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir

Sur le onzième moyen, présenté à titre subsidiaire, fondé sur une réduction du montant de l’amende à un niveau approprié

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.